L'ARTENICE.

ARGVMENT.

CRISANTE femme de Silene, ne pouuant nourrir d'en­fans, Voüa le premier qu'elle au­roit à la bonne Deesse. Au bout de neuf mois elle accoucha d'vne fil­le qu'elle nomma Artenice, de qui la parfaicte santé fist assez cognoistre que les voeux de sa me­re estoient exaucez, & que les Dieux prenoient soin de sa conseruation. A peine sçauoit elle par­ler, que son pere luy fist promettre mariage à Lu­cidas, recogneu pour le plus riche Berger du païs; encore qu'il fust sorty d'vn Estranger, qui s'y estoit venu habituer il y auoit quelques an­nées. A mesure qu'elle croissoit ses parents tas­choient de la nourrir en ceste affection; mais la bonne Deesse, qui ne iugeoit pas que se fust son bien, s'apparoissoit fort souuent à elle, & luy de­fendoit de n'en espouser point qui ne fust de son païs, & de sa race. Elle en aduertit plusieurs fois sa mere Crisante, qui n'en faisoit point de cas, estimant que se fust vn artifice pour colorer la re­pugnance [Page] qu'elle auoit pour Lucidas: mais Ar­tenice ne recognoissant que le seul Tisimandre, qui eust les qualitez requises par la bonne Dees­se, s'imagina que c'estoit celuy qu'elle luy desi­gnoit pour mary; elle fist se qu'elle peut pour le rendre amoureux d'elle, mais ce fut inutillement, il ne pouuoit aimer qu'Ydalie, ny Ydalie qu'Al­cidor. Ceste Bergere estoit fille d'vn nommé d'Amoclée, chez qui Alcidor (ieune Berger in­cogneu) auoit esté nourry depuis l'aage de neuf à dix ans qu'il s'y estoit venu retirer; pour ceste raison il l'aimoit comme sa soeur: mais il n auoit de l'amour que pour Artenice: il l'a seruoit auec tant de soings, & auoit de si excellentes quali­tez, qu'il sembloit à ceste jeune Bergere, que la conqueste d'vn tel Amant valloit bien la peine de contreuenir à la deffence de la bonne Deesse; estimant qu'il ne luy pouuoit arriuer de plus grand mal'heur que celuy de ne le posseder point. Du commencement elle souffroit seule­ment sa recherche pour le seul plaisir qu'elle pre­noit en sa conuersation; mais en fin elle si enga­gea de telle sorte que son amour parut assez pour donner de la jalousie à Lucidas, qui pour cét ef­fect, eut recours à vn Magicien son ancient amy nommé Polistene, il le prie d'employer tous ses secrets pour diuertir Artenice de ceste nouuelle affection, le conseil du Magicien fut de luy don­ner [Page] du soupçon des familiaritez qui estoient en­tre Alcidor & Ydalie; ce qui luy fut facile en adjoustant aux apparences exterieures les artifi­ces que sa magie luy fournissoit, ils aduisent donc ensemble que Lucidas feignant de vouloir rompre l'accord qui estoit entre luy & Artenice; tascheroit à mesme temps de luy faire cognoistre la faute qu'elle faisoit de soufftir la recherche d'Alcidor; qu'il estoit accordé auec Ydalie, qu'ils faisoient desia les actions de femme & de mary, quand ils en auoient la liberié, & qu'il of­friroit de luy faire voir dans vn miroir enchanté, sur la promesse que son amy Polistene luy faisoit de faire paroistre ce qu'il voudroit par le moyen de ses Demons. Ceste entreprise est si dextre­ment conduite, qu'Artenice s'engagea de faire espreuue de ce charme, feignant neantmoins que ce n'estoit que par curiosité. Elle se trouua donc à l'asignation que luy donna Lucidas, où pendant qu'elle l'attendoit, elle trouua Tisiman­dre (desesperé de ce que ny sa fidelité, n'y l'obli­gation, qu'Ydalie luy venoit d'auoir tout frais­chement, de l'auoir retirée des mains d'vn Saty­re, ne luy auoient de rien profité à radoucir le coeur de ceste ingrate) elle croit qu'elle ne le pouuoit trouuer plus à propos, pour luy faire changer d'affection, mais elle y reüssit aussi mal qu'elle auoit fait par le passé: Tisimandre ne l'a [Page] veut point escouter, elle desesperée de paruenir à ce dessein, rencontra Lucidas, qui l'a mena en la grotte de Polistene, où elle vit dans vn miroir enchanté Alcidor & Ydalie se baiser auec tant de priuautez, quelle creut que ce qu'il luy en auoit dit n'estoit que trop veritable. Les desplai­sirs qu'elle receut à mesme temps du mespris de Tisimandre, & de l'infidelité d'Alcidor, l'a fi­rent resoudre à se retirer auec des filles voüées à Diane; & comme elle y alloit elle rencontra (pour augmenter son erreur) Alcidor & Ydalie qui gardoient leur troupeaux ensemble, au mes­me lieu où le miroir de Polistene les luy auoit re­presentez. Alcidor l'a voulut aborder de la mesme sorte qu'il auoit accoustumé: mais il y trouua vn grand changement; elle luy reprocha sa déloyauté, & sans vouloir entendre ses justi­fications; luy deffend de l'a voir jamais, cela le met tellement au desespoir, qu'il se resolut de se precipiter dans la Seine. Cependant Artenice pour continuer son dessein, se retire auec les fil­les deuotes, où Silene son pere, & d'Amoclée son oncle, & pere d'Ydalie, l'a vont trouuer pour essayer al'en diuertir. Estant forcée de leur dire le sujet de son déplaisir, l'accusation qu'elle fait cō ­tre Ydalie, fait resoudre d'Amoclée de faire pas­ser sa fille par la rigueur de la coustume du païs. va luy-mesme trouuer le grand Druide Chin­donnax, [Page] pour se rendre tesmoin contr'-elle. Ce­la n'interrompit que fort peu le dessein qu'auoit Silene de persuader à la sienne de reuenir au monde; elle s'en deffendoit opiniatrement: mais comme ils estoient en ceste dispute, Clean­te arriua tout effrayé du mal'heur d'vn Berger qui par desespoir s'estoit precipité dans la riuie­re, dont il l'auoit retiré aussi mort que viuant. Il les prie tous deux de luy venir rendre les der­niers deuoirs, ils y vont, & trouuent que c'est Alcidor, qui pour le danger qu'il auoit couru, estoit en si mauuais estat, qu'Artenice ne le sceut voir sans tesmoigner vne sensible douleur. Elle tomba auanoüie entre les bras de son pere; qui ne la pouuant soustenir à cause de son extreme vieillesse, se laissa tomber auec elle. Peu de temps apres Alcidor reprit ses esprits, & l'horreur de ce spectacle fist tant de pitié au bon homme Si­lene, qu'il se resolut de ne se plus opposer au ma­riage de luy & d'Artenice: de sorte qu'il n'y auoit plus rien à surmonter, que les deffences que la bonne Deesse luy auoit fait en songe. Pen­dant que cela se passoit, d'Amoclée continuant son dessein eust fait sacrifier sa fille Ydalie, sans le retardement que causa Tisimandre en s'offrant de mourir pour elle; cela donna le tēps à Clan­te d'apporter la nouuelle du mariage d'Alcidor & d'Artenice, qui troubla tellement Lucidas, [Page] que sans y penser il auoüa la fausseté qu'il auoit faite par le moyen du miroir enchanté de Po­listene, & justifia Y dalite par sa propre bouche. Ceste derniere obligation qu'elle eut à Tisiman­dre l'a toucha plus que pas vne, & l'a fist resoudre à receuoir son affectiō. Il sembloit qu'il n'y auoit plus rien qui s'oposast au contentement des vns & des autres; mais comme Silene alloit au tem­ple accomplir les ceremonies du mariage de sa­fille & d'Alcidor, assisté de sa femme Crisante & de son frere d'Amoclée; Crisante creut estre obligée de declarer à la compagnie, comme la bonne Deesse s'estoit apparuë à elle la nuict pre­cedente (& luy auoit dit les mesmes choses qu'elle auoit dites plusieurs fois à Artenice) qui estoit qu'elle ne vouloit pas qu'elle fust mariée qu'à vn qui fust de son païs & de sa race: cela fist changer le dessein de la marier à Alcidor; &. d'Amoclée voyant qu'il n'y auoit plus de gar­cons que le seul Tisimandre du sang de sa niep­ce, estima que ce seroit vne cruauté de luy oster pour le donner à sa fille Ydalie, puis qu'il estoit libre de la marier à qui bon luy sembleroit. Les peres trouuerent donc à propos de changer les mariages & de luy donner Alcidor, & Tisiman­dre à Artenice, mais il si trouua tant de repu­gnance qu'il fut impossible d'cffectuer cette pro­position. Alcidor & Tisimandre aimoient mieux [Page] quitter le païs que d'en espouser d'autres que cel­les qu'ils auoient choisies. Artenice estoit telle­ment desesperée des mespris que Tisimandre auoit fait de son amitié, qu'elle ne pouuoit pas s'imaginer qu'il peust jamais changer d'humeur. Et Ydalie estoit si viuement touchée des obliga­tions qu'elle auoit à Tisimandre, & des tesmoi­gnages d'affection qu'il luy auoit rendus, qu'el­le ne pensoit jamais viure heureuse auec d'autre qu'auec luy. Comme toutes ces choses se pas­soient, suruint le vieil Alcidor, qui recogneut Alcidor pour l'auoir esleué jusques à laage de neuf ou dixans, depuis qu'il le sauua de la riuie­re, qu'il l'auoit apporté dans son berceau en vn débordement arriué il y auoit dix-neufans; ce bon Vieillard fist voir vn bracelet qu'il luy auoit pris au bras lors qu'il le retira de l'eau, & ceste derniere remarque le fist recognoistre à d'Amo­clée pour son fils d'Aphnis qu'il auoit perdu en mesme temps, auec sa maison que la Seine auoit submergée: de sorte que s'estant trouué de la ra­ce & du païs d'Artenice, les deffences de la bon­ne Deesse furent leuées, rien n'empescha plus leur mariage, & d'Amoclée n'eut plus de raison de s'oposer à celuy de Tisimandre & de sa fille Ydalie.

LES ACTEVRS.

ARTENICE Bergere.
YDALIE Bergere,
ALCIDOR Berger.
TISIMANDRE Berger.
LVCIDAS Berger.
CLEANTE Berger.
SILENE pere d'Artenice.
CRISANTE mere d'Artenice.
D'AMOCLEE pere d'Ydalie.
POLISTENE Magicien.
PHILOTEE Vestale.
CLORISE confidente d'Artenice
CHINDONNAX Druide.
D'ARAMET l'vn des Sacrificateurs
Le Vieil ALCIDOR  
Le SATYRE.  

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

ALCIDOR.
QVe ceste nuict est longue, & fascheuse à passer!
Que de sortes d'ennuis me viennent trauesser!
Depuis qu'vn bel obiect a ma raison blessée
Incessamment ie voy des yeux de ma pensée,
Cét aimable Soleil autheur de mon amour,
Qui fait qu'incessamment ie pense qu'il soit iour.
Ie saute à bas du lict, ie cours à la fenestre,
I'ouure & hausse la veuë, & ne voy rien parestre,
Que l'ombre de la nuict, dont la noire pasleur
Peint les champs & les prez d'vne mesme couleur:
Et cette obscurité, qui tout le monde enserre,
Ouure autant d'yeux au Ciel qu'elle enferme en la terre:
Chacun iouït en paix du bien, qu'elle produit,
Les coqs ne chantent point, ie n'entens aucun bruit;
Sinon quelques Zephirs, qui le long de la plaine
Vont cajolant tout bas les Nymphes de la Seine.
Maint phantosme hideux, couuert de corps sans corps,
Visite en liberté la demeure des morts.
Les troupeaux, que la faim a chassez des bocages,
Apas lents & craintifs entrent dans les gagnages.
Les funestes oiseaux, qui ne vont que la nuict,
Annoncent aux mortels le malheur qui les suit.
Les flambeaux eternels, qui font le tour du monde,
Percent à longs rayons le noir cristal de l'onde,
Et sont veuz au trauers si luisans & si beaux,
Qu'il semble que le Ciel soit dans le fons des eaux.
O nuict, dont la longeur semble porter enuie
Auseul contentement, que possede ma vie:
Retire vn peu tes feux, & permets que le iour
Vienne sur l'horison éclairer à son tour:
A fin que ces beaux yeux pour qui mon coeur soupire,
Sçachent auant ma mort l'excez de mon martyre.
Certes c' estoit en vain que j'auois esperé
De posseder par toy mon repos desiré:
Mes larmes de mon lict ont fait vne riuiere,
I'ay tasché maintefois de fermer la paupiere.
Mais, helas! ie voy bien qu'en ce mal nompareil,
Lamort la fermer a plustost que le sommeil.
Tenebreuse Deesse, ingrate à ma priere,
Qui te fait si long temps retar der ta carriere?
Veux-tu par ta longueur aduancer mon trépas?
Mais ie la prie en vain, elle ne m'entend pas,
Celuy de qui le monde admire les merueilles,
La faisant toute d'yeux, ne luy fist point d'oreilles.
Et toy, race des Dieux, belle Nymphe du iour,
Qui n' es pas insensible aux attraits de l'amour,
Agreable lumiere, espoir de tout le monde,
Qui te retient si tard dans le sejour de l'onde?
Où ton jeune desir demeure languissant
Dessous les froids baizers de ton vieil impuissant,
Si de ton beau Chasseur le merite & la flame
Ont encore pouuoir de captiuer ton ame,
Va jouïr en ses bras de ton souuer ain bien,
Et soul age ton mal en soulageant le mien.
Depuis le premier iour que ie vis Artenice,
Et qu'elle prit engré les voeux de mon seruice,
Ie n' ay fait en tous lieux que plainde mon tourment,
Sans espoir de trouuer aucun soulagement:
Ce recomfort me reste en ma douleur extréme,
Que ie sçay qu' elle m' aime autant comme ie l'aime
Mais que me sert de voir ses beaux yeux languissans,
Témoigner auoir part aux ennuis que ie sens,
Si ie ne puis jouïr du bon-heur que i'espere
Sans le consentement des parens & du pere,
De qui l'auare faim, qui ne peut s' assouuir
L'empesche de m' aimer, & moy de la seruir:
Ie fay ce que ie puis pour leur estre agreable,
Mais rien ner' adoucit leur ame impitoyahle.
Tout le soin que j'y prends ne profite de rien,
Leur esprit aueuglé n'estime que le bien:
Et veulent sans raison contraindre cette Belle
D'en aimer vn plus riche, & de m'estre infidelle:
Déja leur tyrannie afait tout son pouuoir,
Afin de m'empescher les moyens de l'a voir:
Ils éclairent ses pas en quelque part qu'elle aille,
Ils lisent les premiers les lettres qu'on luy baille,
Et pensent follement captiuer ses beaux yeux,
Qui pourroient captiuer les hommes & les Dieux.
Mais l'amour, qui se loge en vn jeune courage,
N'est pas de ces oyseaux, que l'on enferme en cage,
Elle leur montre bien: car si par la rigeur
Ils possedent son corps, ie possede son coeur.
Mais le iour n'est pas loing, les ombres s'esclaircissent,
Déja d'estonnement les Estoilles pallissent,
Et déja les oyseaux joyeux de son retour,
Commencent dans les bois à se parler d'amour.
Afin de ne point perdre vn temps si fauorable,
Ie vay faire sortir mes brebis de l'estable.

ACTE PREMIER.
SCENE SECONDE.

LVCIDAS. POLISTENE.

LVCIDAS.
Sous quel astre funeste, ô Destins rigoureux!
Ourdissez-vous le fil de mes ans malheureux?
Ie voy tous mes desseins d'eux-mesmes se détruire,
Et semble que le Ciel ne se plaist qu' à me nuire.
I' atmois dés mon enfance vne ieune beauté,
A qui rien ne manquoit que la fidelité;
De toutes les vertus, de qui les destinées
Ornent auecques soing les ames les mieux nées.
Chacun prenoit plaisir à voir de iour en iour
Augmenter à la fois nostre aage & nostre amour:
Et la jalouze enuie estoit mesme contrainte
De benir le progrez d'vne amitié si saincte,
Qui bornoit ses desirs aux amoureux apas,
Où ses ans & les miens nous menoient pas à pas:
Mais lors que i'esperois voir l'heureuse iournée,
Qui deuoit de nos veux accomplir l'Hymenée,
L'iniustice du sort, qui preside à mes iours,
Luy fit tourner ailleurs l'espoir de ses amours,
Et donner cette foy, qu'elle m'auoit promise,
Au Berger Alcidor, dont son ame est éprise:
Ce ieune homme tout seulla possede auiourd'huy,
Elle n'a plus d'attrais pour d'autre que pour luy;
Qui l'en veut diuertir perd son temps & sa peine,
Cela passe l'effect de la puissance humaine,
Il me faut au besoin les Demons pratiquer,
Que l'art de Polistene àpouuoir d'éuoquer.
Ce pendant que le iour qu'on voit naistre dans l'onde,
Ne chasse point encor les tenebres du monde,
Ie vay sous leur faueur implorer ce vieillard,
De me vouloir aider des secrets de son art.
De tout temps sa franchise a chery mon enfance,
Aussi tost que du iour i'en eus la cognoissance:
Il me témoignera l'effect de sa bonté,
S'il en à le pouuoir comme la volonté.
Ie croy que le voyla, qui tout seul se promeine,
Vn liure dans sa main, au long de cette plaine.
Il le faut aborder, pour voir si mon tourment
Peut esperer de luy quelque soulagement.
Pere dont la science, en prodiges feconde,
D'horreur & de merueille étonne tout le monde:
Si nostre affection qui nasquit auec moy,
Vous peut rendre sensible au mal que ie reçoy;
Ou sivous voulez faire vn oeuure memorable,
Et vous monstrer sçauant autant que charitable,
Guerissezles ennuis d'vn pauure Amant jaloux,
Qui n'attend son repos que du Ciel ou de vous?
I'ayme dés le berceau la Bergere Artenice,
De qui l'esprit leger, méprisant mon seruice,
Au lieu de prendre exemple à ma fidelité,
M'a si legerement pour vn autre quitté,
Qu'il semble que sa flame, en cette amour nouuelle,
Ne cherche autre raison que de m'estre infidelle.
POLISTENE.
Monsils, i'aurois de l'heur, si mon affection
Vous pouuoit secourir en vostre affliction.
Ie sçay combien l'Amour trouble vn ieune courage,
Les tourmeuts, que i'ay plains au plus beau de mon âge
En suiuant ces plaisirs, de pleurs accompagnez,
Me font auoir pitié de ceux que vous plaignez.
Si la part, que ie prends, au mal qui vous possede
Y pouuoit tenir lieu d'vn vtile remede,
Cette ame, qui sans fard vous a tousiours chery,
Seroit le seul Demon, dont vous seriezguery.
Mais, certes c'est en vain, qu' on a recours aux charmes
Pour éteindre les feux, & se parer des armes
De ce Dieu si petit, & sigrand en tous lieux,
"Le pouuoir des Demons ne peut rien sur les Dieux.
Il faudroit essayer, par quelque jalousie,
De guerir sa raison de cette fanta sie:
Peut estre cet esprit qui se tourne àtout vent,
Vous aymeroit alors autant qu' auparauant.
Mon fils, vostre riual n'en n'ayme-t' il point d'autre,
Que celle, où son amour a trauersé la vostre?
LVCIDAS.
Nenny, mais ie scay bien qu'il doit voir auiourd'huy
Vne ieune beauté qui meurt d'amour pour luy.
POLISTENE.
L'occasion pour vous ne peut estre meilleure,
Pourueu que vous pui ssiez vous asséurer de l'heure.
LVCIDAS.
C'est vers le haut du iour qui se doiuent trouuer.
POLISTENE.
Il me faut leur deux noms dans vn cerne grauer,
Pour rendre detous points ma figure accomplie.
LVCIDAS.
[Page 8]
L'homme c'est Alcidor, & la fille Ydalie.
POLISTENE.
Mon fils tout ira bien, pourueu que promptement
Vous voyez Artenice, & qu'auec iugement
Vous taschiez de l'a mettre en telle defiance,
Que son esprit troublé recoure à ma science,
Ie puis dans les objects d'vn cristal enchanté
D'vn mensonge aparent masquer la verité,
Gouuernez-vous y donc auecque modestie
Vous verrez son amour en rage conuertie.
LVCIDAS.
I'y vay tout de ce pas: attendez vn moment,
Monretour de bien peu suiura mon partement.
Soit que ie puisse ou non amener ma cruelle,
Dedans vne heure ou plus vous en aurez nounelle.

ACTE PREMIER.
SCENE TROISIESME.

ARTENICE. SILENE, son pere.

ARTENICE.
HOnneur, cruel tyran des belles passions,
Qui tr auerse l'espoir de nos affections;
De combien de malheurs est la terre feconde
Depuis que ton erreur empoisonne le monde?
Ce Dieu dont les amants reuerent le pouuoir,
Ne recognoissoit point l'empire du deuoir;
Ce fut toy qui premier fist glisser en nostre ame,
Ces folles visions de la honte & du blasme:
Qui premier nous aprint à taire nos de sirs,
Qui premier nous aprint à cacher nos plaisirs;
Et dont latyr annie, aux amants trop cruelle,
S'opposa la premiere à la loy naturelle.
Petits oyseaux des bois, que vous estes heureux,
De plaindre librement vos tourments amoureux:
Les valons, les rochers, les forests, & les plaines,
Sçauent également vos plaintes & vos peines;
Vostre innocente amour ne fuit point la clarté,
Tout le monde est pour vous vn lieu de liberté.
Mais ce cruel honneur, ce fleau de nostre vie,
Sous de si dures loix l'a retient asseruie,
Qu'au plus fort des ennuis, que ie souffre en aimant,
I'ay honte de le dire aux rochers seulement.
Il est vray, ie ressens vne secrette flame,
Qui malgré ma raison s'allume dans moname
Depuis le iour fatal, que ie vis sous l'ormeau▪
Alcidor, qui dançoit au son du chalumeau:
Lagrace qu'il auoit, me pleut de telle sorte,
Qu' à tous autres obiects mon coeur ferma la porte:
Dés l'heure sourdement ie taschay de sçauoir
Les lieux les plus frequents, où l'on le vouloit voir:
On me dist que c'estoit où les flots de la Seine
Vont arrouzant le pied des cousteaux de Surene.
Et dés le l'endemain, en mes plus beaux habits,
Au ssi tost qu'il fut iour i'y mené mes brebis:
A peine la premiere entroit en ces herbages,
Où ces fertiles monts étendent leurs ombrages;
Que i'entendis de loing sa musette & sa voix,
Qui troubloit doucement le silence des bois:
Lors tous mes sens rauis de ces douces merueilles,
Mes yeux portent enuie à l'heur de mes or eilles:
Ie passay tout le front par dessus vn buisson,
Du costé d'où venoit cet agreable son,
De quel aimable trait fut mon ame blessée;
Quelle timide ioye entre dans ma pensée,
Lors que i'en vis l'autheur, sous vne chesne écarté,
Qui remplissoit le lieu de sa propre clarté?
Tel estoit Apollon au seruice d'Acmette,
Alors que de sa lyre il fist vne muzette;
Quand ie vis de plus prez les aimables apas,
Feignant de me cacher, ie redouble le pas:
Mais tousiours dessus luy i'eu la veuë attachée,
Pour voir s'il me verroit auant qu' estre cachée.
Il vint droit cù i'estois, ils' approche de moy,
Ei me vouloir dés lors asseurer de sa foy:
Ces yeux, qui de my morts, dans les miens se mirerent,
Bien mieux que ses discours, de sa foy m' asseurerent:
Alors le coeur ioyeux d'vn si riche butin,
Ie rend grace tout bas à mon heureux destin:
Et quand ce ieune Amant, apres quelque silence,
Eut lasché maints souspirs auecques violence,
Qui comme prisonniers sortans tous à la fois,
Ouurir ent le chemin à sa timide voix.
Ne pouuant plus celer ce qu'il auoit dans l'ame,
Me declara l'ardeur de sa nouuelle flame:
Maint Zephirs amoureux, dans les fueilles cachez,
Furent à ce discours par l'oreille attachez,
Et la Nymphe de Seine, en sa couche profonde,
Fist cesser pour l'ouïr le murmure de l'onde.
Ie ne sçaurois choi sir vn plus parfait Berger,
Tout le mal que i'y trouue, est qu'il est estranger:
Et la bonne Deesse, à qui dés ma naissance
Mes parents ont remis le soing de mon enfance,
M'apparoist en dormant presques toutes les nuicts,
Et menace mes iours d'incurables ennuis,
Si i'en reçois iamais au lict de mariage,
Qui ne soit de marace, & de mon voisinage,
Ie ne sç ay tantost plus à qui ie dois penser,
Cela me trouble toute, il le faut confesser.
En vain pour ce suiet ie m'efforce de prendre
Aux apas de l'amour le Berger Tisimandre:
Berger au ssi parfait, comme il est malheureux,
D'estre depuis cinq ans d'vne ingrate amoureux,
Qui n'est pas moins constante à mépriser sa peine,
Qu'est son ame aueuglée en sa pour suite vaine.
Mais quoy? le iour s' augmente, & dérobe à nos yeux,
Les roses, dont l'Aurore auoit semé les Cieux.
Il est temps de partir, tout ce que i'apprehende,
Est qu'au cry des aigneux mon pere ne m'entende,
S'ilvient à s'éueiller: ie crains que d'auiourd'huy
Ie ne puisse aizément me défaire de luy.
Sa mefiante humeur de iour en iour s' augmente,
Mon Dieu qu'il est fascheux, que cela me tourmente!
Ie pense que ie l'oy.
SILENE.
Ma fille, à qu'elle fin,
Voulez-vous auiourd'huy vous leuer si matin?
Le Soleil n'a pas beu l'égail de sa prairie,
Cela mettra le mal en vostre bergerie.
ARTENICE.
Nostre chien qui resuant de moment en moment,
Au loup, que son penser luy forgeoit en dormant,
D'vnveritable loup m'a fait naistre la crainte.
SILENE.
L'inutile soucy, dont vostre ame est attainte,
Ne m'est que trop cogneu, ie ne puis l'ignorer,
Et c'est ce qui me fait iour & nuict souspirer.
Iesçay ce qui vous met la puce dans l'oreille,
Ie vis hier icy le loup, qui vous réueille:
Mais si tost qu'il me vit il rebroussa ses pas,
Fasché d'auoir trouué ce qu'il ne cherchoit pas.
Il ne faut point pour luy ny rougir ny sousrire.
ARTENICE.
Ie ne puis deuiner ce que vous-voulez dire?
SILENE.
A quoy vous sert cela de le dissimuler?
Vous sçauez bien celuy de qui ie veux parler,
Ne me le celez plus, i'ay découuert la mine,
Ce n'est pas auec moy qu'il faut faire la fine.
Ie sçay que vous aimez celuy qui l'autre iour
Menoit le premier bransle en nostre carrefour,
Et souffrez sans mon sceu l'affection secrette,
D'vn Berger incogneu, qui n'a que la houlette.
Il est vray que sa grace est si plaine d'attrais,
Qu'il n'est point de beautez, qui n'en sentent les traits:
Soit qu'il dāse, ou qu'il chāte, enses moindres merueilles
Il arreste sur luy nos yeux & nos oreilles.
Mais ces icunes Bergers, si beaux & si cheris
Sont meilleurs pour amants, qu'ils ne sont pour maris,
Ils n'ont aucun arrest, ce sont esprits volages,
Qui souuent sont tous gris auant que d'estre sages;
Et doit-on souhaiter pour leur vtilité,
De voir finir leur vie auecques leur beauté:
Semblables à ces fleurs, dont Venus se couronne,
De qui iamais les fruicts n'en richissent l'Automne:
Oubliez, oublez l'amour de ce Berger,
Et prenez en son lieu quelque bon ménager,
De qui la façon masle à vos yeux moins gentille
Témoigne vnesprit meur à regir sa famille:
Et dont la main robuste au mestier de Cerés
Fasse ployer le soc en fendant les guerets.
Vous estes grande assez, vous deuriez estre sage,
Et plustost proietter quelque bon mariage,
Que de vous amuser à ces folles amours.
ARTENICE.
[Page 14]
Mon pere, à quelle fin tendent tous ces discours?
Si ie hante Alcidor, en dois-ie estre blasmée,
Ce n'est ny pour l'aimer ny pour en estre aimée?
Ie n'ay point fait dessein d'en faire mon espoux,
Ie ne veux po nt au [...]ir d'au [...]re mary que vous,
Tandis que vous aurez mon seruice agreable,
Ce me sera, monpere, vn bien inestimable,
De meurir auec vous la fleur de monprintemps
Auant que d'en partir.
SILENE.
C'est comme ie l'entends,
Et certes le seul bien à quoy ie veux pretendre,
Est qu'auant mon trespas vous me donniez vn gendre,
Do [...]t le b [...]n natur el me venant à propos,
Me donne le moyen de mourir en repos.
Ie n'aur ay plus regret de luy quitter la place,
Quand ie verr ay mon sang reu [...]ure en vostre race:
Ie croy que Lucidas seroit bien vostre fait,
La fortune luy rit, tout luy vient à souhait:
De vingt paire de boeufs il seillonne la plaine,
Tous les iours ses a [...]quests augmentent son domaine;
Dans les champs d'alentour on ne void auiourd'huy
Que cheures & brebis, qui sortent de chez luy:
Sa maison se fait voir par dessus le village,
Comme fait vn grand chesne au dessus d'vn boccage;
Et sçay que de tous temps son inclination
Nous a donné ses voeux, & son affection.
Mais le voicy qui vient au long de ceste roche,
Ie m'en vay vous quitter auant qu'il soit plus proche:
Bien qu' Amour soit enfant, c'est vn enfant discret,
Qui n'oseroit parler s'il ne parle en secret.

ACTE PREMIER.
SCENE QVATRIESME

LVCIDAS. ARTENICE.

LVCIDAS.
AGreable suiet de mes inquietudes,
Apres tant de mespris, & tant d'ingratitudes,
Puis qu' à la fin mon coeur vomissant son poinson,
Au lieu de son trespas trouue sa guerison;
Bien que vous me quittiez pour en aimer vn autre,
Sçachez que ie plains moins mon malheur que le vostre,
Et que le seul dépit, dont ie suis enflamé,
Est de voir mépriser ce que i' ay tant aimé:
Quand vostre Amant nouueau pour comble de folie,
Prefere à vos beautez les beautez d'Ydalie.
ARTENICE.
Autant que vostre espoir eut de presumption,
Quand il creut auoir part à mon affection,
Autant vostre creance est iniuste & cruelle,
Lors que vous m'accusez de vous estre infidelle:
Ce que i'engage ailleurs ne fut iamais à vous,
Vous n'en deuez point estre amoureux & jalous,
Maperte vous aporte aussi peu de dommage
Qu' à moy le changement de ce Berger volage,
Et certes sans raison vous m'en parlezainsi,
Cela ne mettra point mon esprit en soucy.
LVCIDAS.
Ien'ay point ce dessein, la chose est asseurêe
Par la foy qu'ils se sont l'vn à l'autre iurée.
ARTENICE.
Qu'ils facent à leur gré ie ny demanderien,
Ie ne regrette point ce qui n'estoit point mien:
Le Ciel rende a leurs voeux la fortune prospere,
Ie quitte de bon coeur la part que i'en espere.
Mais comment, Lucidas, se seroient-ils promis
Sans le consentement de parens ny d'amis?
LVCIDAS.
Ils ont fait & bien pis, c'est chose trop certaine,
Que souuent dans vn bois sur la riue de Seine
Ils ioüissent de'ja des plus secrets plaisirs,
Dont Hymen assouuit les amoureux desirs:
Ie sçaybien le moyen d'en sçauoir des nouuelles.
Ie cognois vn deuin de mes amis fidelles,
Qui me doit faire voir, par ses enchantemens
Toutes les priuautez de ces ieunes Amans:
I'espere auant midy envoir faire l'espreuue.
ASTENICE.
A quelle heure, Berger, est-ce que l'on le treuue?
LVCIDAS.
[Page 17]
Si vous le voulez voir, il faut prendre le temps
Que ces ieunes Bergers rendent leur voeux contens:
C'est vers le haut du iour, lors que de ces campagnes
L'ombrage est retiré iusqu'au pied des montagnes,
Quand le Soleil est presqu'au milieu de son cours.
ARTENICE.
Ien'ay point d'interest à leurs folles amours:
Mais ie prendray plaisir à voir l'experience
Des effects merueilleux que produit sa science,
LVCIDAS.
Trouuez-vous donc tantost sur le bord de cette eau,
Et conduisez vos pas deuers vn vieux chasteau,
Maintenant des Lutins l'effroyable demeure,
C'est où ie me promets de vous voir en vne heure.
Là sous vn chesne creux, de fourmis habité,
Dont la seule grosseur monstre l'antiquité,
Se void dans vn rocher sur lariue où nous sommes,
Vn antre plus hanté des Demons que des hommes,
Qu'vne viorne épaisse enclost tout à l'entour,
C'est de ce vieux Deuin l'ordinaire seiour.
Cette belle trompeuse en fin sera trompéc,
Ie la verray bien tost dans le piege attrapée,
Et verray cet esprit, qui fait tant le ruzé,
Vomir bien tost le feu dont il est embrazé.
Ie m'en vay cependant tout le long de la Seine
Par vn autre chemin retrouuer Polistene,
Afin de l'aduertir d'apprester promptement
La glace destinée à son enchantement:
Il est vray ie commets vne grande malice,
Mais ce n'est pas moy seul, le Ciel dont l'artifice
Couure de tants d'apas tant d'infidelité,
Est le premier autheur de ma méchanceté.

ACTE SECOND.

SCENE PREMIERE.

LE SATYRE.
D'Où me vient hors de temps cette boüill ante rage,
Quelle nouuelle ardeur s' allume en mon courage?
Ie ne fais iour & nuict, ny veill ant ny dormant
Que souspirer le mal que ie souffre en aymant,
Depuis que les attraits de la belle Ydalie
Ont fait naistre en mon coeur cette douce folie.
Pour quoy mon vain espoir viens tu m'entretenir
D'vn bien où mes trauaux ne sçauroient paruenir?
O Dieu, qui sous tes loix tiens mon ame asseruie
Donne m'en le merite, ou m'en oste l'enuie!
Elle n'a point d'égard à l'excez de ma foy,
Si tost qu'elle me voit elle s' enfuit de moy,
Pour aimer vn mignon de qui le beau visage
Empruntant de l'Amour le pouuoir & l'image
A de plus doux apas, & plus selon ses voeux
Que ces membres pelus, robustes & nerueux.
Plus ie luy fay de bien, plus elle m'est cruelle
Ie ne cucille des fleurs ny des fruicts que pour elle.
Lors que de son logis elle sort au matin
Ie paue son chemin de lauande & de tin:
Sous l'habit d'vn Berger souuent ie me déguise
I'arrache mes sourcils, ie me farde & me frise
Mais tout ce que ie fais ne me profite rien:
Peut estre son desir s' accorderoit au mien
Si dessous les efforts de ma flame incensée
Sa pudeur pouuoit dire auoir esté forcée.
Ie sçay que le matin elle ne manque pas
De prendre dans les eaux conseil de ses appas,
A fin qu'vn élement au ssi per fide qu'elle
Luy monstre à me dresser quelque embuche nouuelle:
Dans ce buisson espais loing du monde & du iour
Ie m'en vay me cacher pour l'a prendre auretour.

ACTE SECOND.
SCENE SECONDE.

YDALIE. TISIMANDRE. LE SATYRE.

YDALIE.
AGreables deserts, bois, fleuues & fontaines,
Qui sçauez de l'amour les plaisirs & les peines,
Est-il quelque mortel esc laue de sa Loy
Qui se pleigne de luy plus iustement que moy?
Ie n'auois pas douze ans quand la premiere flame
Des beaux yeux d'Alcidor s' alluma dans mon ame.
Il me passoit d'vn an, & de ses petits bras
Cuilloit de sia des fruicts dans les branches d'embas.
L'amour qu' à ce Berger ie portois dés l'enfance,
Creut insensiblement sa douce violence;
Et iusques à tel point s' augmenta dans mon coeur
Qu' à la fin de la place il se rendit vainqueur.
Deslors ie prins vn soin plus grand qu' à l'ordinaire
De le voir plus souuent, & tascher à luy plaire;
Mais ignorant le feu, qui depuis me brusla,
Ie ne pouuois iuger d'où me venoit cela
Soit que dans la prairie il vist ses brebis paistre
Soit que sa bonne grace au bal le fist paroistre,
Ou soit que dans le Temple il fist priere aux Dieux
Ie le suiuois par tout de l'esprit & des yeux
A cause de mon âge & de mon innocence
Ie le voyois alors auec plus de licence,
Et souuent tous deux seuls libres de tout soupçon
Nous passions tout le iour à l'ombre d'vn buisson:
Il m' appelloit sa soeur ie l'appellois monfrere,
Nous mangions mesme pain au logis de mon pere;
Cependant qu'ily fut nous vescumes ainsi,
Tout ce que ie voulois il le vouloit aussi.
Il m'ouuroit ses pensers iusqu'au fonds de son ame,
De baisers innocents il nourrissoit ma flame:
Mais dans ces priuautez, dont l'Amour se masquoit,
Ie me doutois tousiours de celle qui manquoit,
Et combien que desia l'amoureuse manie
M' augmentast le plaisir d'estre en sa companie;
Ie goustois neantmoins auec moins de douceur
Ces noms respectueux de parente & de soeur.
Combien de fois alors ay-ie dit en moy-mesme,
Ayant les yeux baissez & le visage blesme;
Beau chef-d'oeuure des Cieux, agreable Pasteur,
Qui du mal que ie sens estes le seul autheur,
Auec moins de respect soyez moy fauorable,
Ne soyez point mon frere, ou soyez moins aimable.
Mais quoy? cet aueuglé ne me regarde pas,
Et quelque fois songeant aux aymables apas,
Dont vne autre Bergere a son ame blessée
Me contraint de conter son amour insensée.
A l'heure mes douleurs perdent tout recomfort
Comme si i' entendois ma sentence de mort.
Si la ciuilité m' oblige à luy respondre
Ie sens au premier mot mon discours se confondre,
Ie ne sçay que luy dire, & mon esprit troublé,
Tesmoigne assez l'ennuy dont il est accablé.
Apres cet entretien, si la nuict nous separe
I' apprehende le mal que le lict me prepare,
Alors que mes pensers de mon aise enuieux
Deffendent au sommeil d'approcher de mes yeux:
Il est vray qu' au matin aucune fois les songes
Me deçoiuent les sens par de si doux mensonges,
Qu' encore que ie deusse éuiter ses attraits,
Ie ne puis m' empescher d'y repenser apres;
Ce qui fait que ma peine encore plus griefue
Est que te perds l'espoir d'y voir iamais de treue.
Cét aimable Berger est pris en des liens,
Qu'il ne quitter a pas pour s' enchaisner aux miens:
Le Ciel mesme benit leur amoureuse flame,
La Bergere Artenice a captiué son ame,
Et comme à la plus belle a choisi iustement
Le plus beau des Bergers pour estre son Amant.
Moy ie suis cependant reduitte à me deffendre
Des importunitez du facheux Tisimandre,
Qui tout le long du iour malgré tous mes efforts
Ne me quitte non plus que l'ombre fait le corps,
Ie pense que voila ce pauure temeraire,
Qui rumine tout seul sa folie ordinaire:
Il ne faut dire mot, s'il entendoit ma voix
Il me viendroit chercher iusqu'au fond de ces bois.

CHANSON DE TISIMANDRE.

DONC apres de tant maux soufferts
Il faudra mourir dans les fers,
Où les yeux d'vne ingrate ont mon ame asseruie,
Ie n'en puis eschapper
On ne les peut coupper
Qu'on ne couppe auec eux le fillet de ma vie.
Heureux si ma longue amitié
L'esmouuoit alors à pitié
Et que lle eust quelque part en ma douleur profonde:
Pour le moins en ma mort
I'aurois ce recomfort
Que ie serois pleuré des plus beaux yeux du monde.
YDALIE.
O Dieux! il vient icy, que luy pourray-ie dire?
TISIMANDRE.
Adorable beaute que tout le monde admire,
Voulez vous de ces bois les tenebres chasser,
Que le iour seulement n'a iamais sceu perser?
Quel miracle de voir en ce lieu triste & sombre
Vne Deesse en terre, & le Soleil à l'ombre,
Qui vous mene en ces lieux solitaires & doux?
YDALIE.
Rien que le seul desir de mesloigner de vous.
TISIMANDRE.
C'est bien fait de fuir l'abord d'vn miserable.
YDALIE.
Celuy d'vn importun est bien moins agreable.
TISIMANDRE.
Nommez vous mon seruice vne importunité?
YDALIE.
Me voulez-vous aimer contre ma volonté?
TISIMANDRE.
N'auez-vous point pitié d'vn coeur qui s'humilie?
YDALIE.
Si i'ay pitié de vous, c'est de vostre folie:
TISIMANDRE.
Est-ce là le loyer de mon affection?
YDALIE.
[Page 24]
C'est trop long temps souffrir la persecution:
St vous ne me laissez il faut que ie vous laisse.
TISIMANDRE.
O cruauté du sort, qui n'as iamais de cesse!
A quelle nuict d'ennuis me dois-ie preparer,
Puis que ce beau soleil ne veut plus m'éclairer?
YDALIE.
Que i'ay le coeur ioyeux de ce qu'il m'a quittée,
Dieux! qu'il est mal plaisant, que i'en suis tourmentée,
Ie ne sçay tantost plus où ie me dois cacher,
Tant il est importun à me venir cehrcher;
Ce qui me déplaisoit en sa per seuerance,
Et ce qui me donnoit autant d'impatience,
Est le desir que i'ay d'aller voir auiourd'huy
Le Berger Alcidor, que i'ayme mieux que luy:
Il le faut aduoüer, bien que ceste belle ame
Soit esclaue d'vne autre, & méprise ma flame,
Sagrace naturelle est si plaine d'apas,
Qu'il faut que ma raison mette les armes bas.
I'ay long temps disputé si ie luy deuois dire
L'amoureuse douleur dont mon ame souspire:
Mais puis que de la sienne il m'importune tant,
Ie croy que sans rougir i'en puis bien faire autant.
LE SATYRE.
En fin ie ioüiray de celle que i'adore
La voicy que'elle vient plus belle que l'Aurore:
I'ay vaincu ces vainqueurs, qui souloient me brauer,
Ie vous tiens, ie vous tiens, rien ne vous peut sauuer.
YDALIE.
Quoy? méchant prenez vous les filles de la sorte?
A l'aide mes amis, à l'aide ie suis morte?
LE SATYRE.
Vous ne sçauriez mourir d'vne plus douce mort.
TISIMANDRE.
Vilain arrestez-vous, quel furieux transport,
Vous a fait profaner le corail de ces leures.
Allez bouquin puant faire l'amour aux cheures.
Cher obiect de mes voeux, beaux astres inhumains,
Comme estes vous tombée en ces barbares mains?
Ces roses & ces lis où la beauté se mire
Ne sont point destinez à l'amour d'vn Satyre.
Le Ciel qui de son oeuure est luy-mesme amoureux
Reserue à leur merite vn destin plus heureux:
C'est le iuste loyer d'vn seruiteur fidelle,
Qui depuis cinq moissons, plein d'amour & de zèle
Surmontant la tempeste & les vens ennemis
Est demeuré constant en ce qu'il a promis.
YDALIE.
Ie vous entends venir, il ne faut plus vous feindre,
Vous parlez de vous-mesme, & me voulez contraindre.
D'acc order à vos voeux par obligation
Ce que l'on n'a de moy que par affection:
Ie ne vous puis aimer quoy que vous puissiez dire,
Remettez moy plustost és mains de ce Satyre;
Quand ie serois contrainte de l'auoir pour espoux
I'en aurois moins d'horreur que ie n'aur ois de vous.
TISIMANDRE.
Est-ce là le loyer de vous auoir sauuée
De ce monstre hydeux qui vous eust enleuée?
O Dieux! elle s'en va sans vouloir m'escouter
Mes raisons ny mes pleurs ne sçauroient l'arrester:
De qu'elle folle amour est mon ame enflammée?
De quel enchantement est ma raison charmée?
Que de tant de beautez que la Seine produit
Mon coeur ne fasse choix que d'vne qui me fuit?
Si ie voulois aimer la Bergere Artenice,
Elle satisferoit aux voeux de mon seruice:
Ses attraits sont puissans, il n'est coeur de rocher,
Qui de sa douce humeur ne se laisse toucher.
Ie ne voy que Bergers, qui souspirent pour elle
Et tous, excepté moy, latreuuent la plus belle,
Mais ie croy que mes yeux sont complices du sort,
Qui malgré ma raison a conspiré ma mort.
Cette ieune beauté que i'ay tant mesprisée,
Ne se refroidit point pour se voir refusée,
Et me té moigne assez l'amour qu'elle a pour moy,
Par le soin qu'elle prend de m'attirer àsoy:
Certes i'en suis honteux, & ne sçay que luy dire
Quand son taint quirougit, & son coeur qui souspire,
En s'approchant de moy me disent sans parler
Le mal que le respect luy contraint de celer:
Ie croy que l'a voila toute triste & pensiue,
Qui va cueillant des fleurs le long de cetteriue.

ACTE SECOND.
SCENE TROISIEME.

ARTENICE. TISIMANDRE.

ARTENICE.
QVe Lucidas est long! qu'en ce retardement,
La crainte & le de sir me donnent de tourment!
Voicy l'heure & la place où ie le dois attendre,
Cette vieille mazure est où ie me dois rendre:
Dans cet antre remply de tristesse & d'horreur
Est où ma passion doit finir son erreur.
Ie sens l'impatience en mon ame s'accroistre
De cognoistre le mal que i'ay peur de cognoistre,
Qui me fait sans besoin découurir vn peché,
Qui ne m'offençoit point lors qu'il m'estoit caché.
Sous les plaisirs d'Amour souuent la jalousie
Apres s'estre couuée en nostre fantasie,
Par nostre propre faute éclost de grands malheurs,
De mesme qu'vn serpent endormy sous des fleurs.
O Dieux! qui sçauez tout, en quelle inquietude
Demeure mon esprit en cette incertitude:
Qu'vn quart d'heure à passer me donne de soucy?
TISIMANDRE.
[Page 28]
Elle ne me voit pas elle viendroit icy.
ARTENICE.
[...]n'en faut plus parler la pierre en est iettée.
TISIMANDRE.
Quelque chose l'a fasche: elle est inquietée.
ARTENICE.
Mais ne cognois ie point ce Berger arresté,
Que [...]' entre voy de loing dedans l'obscurité?
[...] as! c'est Tisimandre! il monstre à son visage
[...] vn sanglant desespoir luy ronge le courage.
[...]aut aborder; peut-estre qu'à present
Q [...]l ressent dans son ame vn déplaisir cuisant
D'auoir de ses trauaux sipeu de recompence
[...]s [...]ra plus aisé d'ébransler sa constance.
Puis que dessus la Seine il ne reste auiourd'huy
Du sang de mes ayeuls aucun homme que luy,
En luy saisant changer cette amour obstinée,
I' accordereis la mienne auec ma destinée.
Berger que dites vous? quel tourment excessif
Vous rend le [...]eint si pasle & l'esprit si pensif?
N'oublirez vous iamais cette Nymphe cruelle,
Qui se rit des ennuis que vous souffrez pour elle?
On ne peut à b [...]n droit estimer bon nocher
Celuy qui tous les iours heurte vn mesme rocher.
Guerissez vostre esprit, remettez-le en vous-mesme
Fuyez ce qui vous fuit, aimez ce qui vous aime:
Celuy certes Berger est digne de mourir
Qui void sa guerison & ne veut point guerir.
TISIMANDRE.
Il est vray que mon mal tout autre mal excede
De n'estre pas gnery par vn si beau remede,
Ie suis bien en cela dépourueu de conseil
De vouloir preferer vne Estoille au Soleil:
Ie sçay vostre merite, & sçay que ma cruelle
Ne doit qu'à mon malheur le choix que i'ay fait d'elle.
ARTENICE.
Comme auez vous fait choix de cét esprit rusé,
Qui d'vn autre Berger à le coeur emhrase?
TISIMANDRE.
Quoy le feu de quelqu'autre à t'il peu trouuer place
Dans ce coeur qui pour moy n'est que roche & que glace?
ARTENICE.
Estes vous si nouueau que de ne sçauoir pas
Que c'est pour Alcidor qu'elle tend ses apas?
TISIMANDRE.
Combien que ce Berger soit tousiours auec elle,
Ie sçay que leur amour n'est qu'amour fraternelle,
Et n'y sçaurois encor aucun mal conceuoir.
ARTENICE.
Bien tost la verité vous fera tout sçauoir:
Deuant que le Soleil se recache dans l'onde
Leur feu ser a visible aux yeux de tout le monde:
Oubliez, oubliez, cette ingrate beauté,
Vous trouuerez ailleurs plus de facilité.
Deffendez à vos voeux c ette perseuer ance
Perdez en le de sir auec ques l'esper ance.
TISIMANDRE.
Ce conseil seroit bon à quelqu' autre qu' à moy,
Qui [...]ust encore libre & maistre de sa foy:
ARTENICE.
Bien que pour son amour vous l'ayez destinée
N'en estant point receuë elle n' est point donnée,
Elle est encor à vous pour en disposer mieux.
TISIMANDRE.
Helas! il faudroit donc que i'eusse d'autres yeux;
Car ces beautez aux miens y sont comme les vostres.
Sont aux riues de Seine aux yeux de tous les autres:
Il faut bien qu' à present mon coeur soit hors de soy,
De n'estre point touché des charmes que ie voy.
Vostre beauté n'est point pour estre mesprisée.
ARTENICE.
Ny vostre affection pour estre refusée.
TISIMANDRE.
Ie ne scay de quels yeux ie puis voir vos attraits,
Et ne point r [...]ssentir leurs flames & leurs traits?
ARTENICE.
Ie ne sçay de quels yeux on peut voir vos seruices,
Et n'estre point sensible à tant de bons of fices.
TISIMANDRE.
Vous attirez les coeurs auec vn tel aimant,
Que qui n'a point a'amour n'a point de sentiment.
ARTENICE.
[Page 31]
Vous aimez & seruez auec telle constance,
Que qui n'a point d'amour n'a point de cognoissance.
TISIMANDRE.
Ie sçay que vos appas sont adorez de tous,
Et si i' auois deux coeurs i' en aur ois vn pour vous:
Mais le mien desormais n'est plus en ma puissance.
ARTENICE.
L'on ne peut trop loüer vostre perseuer ance:
Ie voudrois que l'amour qui vous peut émouuoir
Auec ques le de sir m'eust donné le pouuoir
De vous faire oublier ce coeur inexorable.
TISIMANDRE.
Cessez belle cesséz de m'estre fauorable.
Lors que i' ay mesprisé l'heur de vostre amitié
I' ay rendu mon tourment indigne de pitié:
Quic onque vous a veuë, & ne tasche à vous plaire
N' est pas digne de voir le iour qui nous éclaire:
Souffrez donc que du sort le iuste chastiment
Punisse mon amour de cet aueuglement
A fin que vos beaut ez à qui i' ay fait l'offence
Puissent par mon trépas en auoir la vengeance.
ARTENICE.
Ie ne gagneray rien contre cét obstiné,
Le mal qui le possede est trop enraciné:
Il n'entend point raison, mon entreprise est vaine,
Il ne veut pas guerir, il se plaist en sa peine,
Il s'en va tout courant la mettre en liberté
Dans les antres affreux d'vn desert écarté,
Qui ne sont point si noirs que sa melancholie,
Ny leur rochers si durs que le coeur d'Ydalie.
Pour moy ie veux sçauoir si i' aur ay tout perdu,
Lucidas ne vient point c'est assez attendu
Ie m'envay le chercher pour passer mon enuie
De sçauoir du Deuin ou ma mort ou ma vie.

ACTE SECOND.
SCENE QVATRIESME.

POLISTENE. ARTENICE. LVCIDAS.

POLISTENE.
AVcreux de ces rochers d'où l'eternelle nuict
A chassé pour iamais la lumiere & le bruit:
I'ay choisi mon seiour loing de la multitude
Pour ioüir en repos du plaisir de l'estude.
Par elle tous les iours comme maistre absolu,
Ie fais faire aux Demons ce que i'ay resolu,
Et mon pouuoir cogneu dans tous les coings du monde,
Met cen dessus dessous le Ciel, la terre, & l'onde:
Des iours ie fais des nuicts, des nuicts ie fay des ieurs
I' arreste le Soleil au milleu de son cours,
Ou la honte qu'il a d'obeïr à mes charmes
Souuent luy fait noyer son visage de lar mes:
Les broüillards par le frein de mes enchantements
Dans le vague de l'air changent leurs mouuements.
Et portent où ie veux de l'onde ou de la terre
La tempeste, le vent, la gresle & le tonnerre.
Quand le fier Aquilon l'horreur des Matelots
Met la guerre ciuille en l'Empire des flots.
Bien qu'il ait de Neptune irrité la puissance
Mon seul commandement excuse son offence:
Bref, ie suis tout puissant, si tost que des Enfers
Mon art a deliuré les esprits de leurs fers:
N'est-il pas vray Demons, Spectres, images sombres,
Noirs ennemis du iour phantosmes, Lares, ombres,
Horreur du genre humain, trouble des élemens?
Qu'est-ce qui vous rend sourds à mes commandemens?
Que retardez vous tant? & quoy trouppe infidelle
Ne cognoissez vous pas la voix qui vous appelle?
Découurez des enfers le funeste appareil,
Que l'horreur de la nuict fasse peur au Soleil,
Faites couler le Stix dessus nostre hemisphere,
Et faites soir Pluton au trosne de son Frere,
Tonnez, greslez, ventez, estonnez l'vniuers,
Monstrez vostre pouuoir & celuy de mes vers.
Et vous qui dans vn verre en formes apparentes,
Imitez des absents les actions presentes,
Faites voir Ydalie auec son fauory,
Ioüir des priuautez de femme & de mary,
A fin que sa riuale en voyant cette feinte
Quitte sa passion dont son ame est attainte:
Et que de ce tyran qu'on craint mesme aux enfers
Nous brisions auiourd'huy les prisons & les fers.
LVCIDAS.
[Page 34]
Voila ma belle ingrate, où le Deuin demeure,
Si vous le voulez voir, all ons tout a cette heure
Car ie l▪entends de sia sur le haut de ces monts
D'vne voix éclatante inuoquer les Demons.
ARTENICE.
Allons donc Lucidas.
LVCIDAS.
Allons belle Artenice
Sçauoir de mon Riual l'infidelle artifice.
POLISTENE.
Mais ie croy que voyla de sia ce pauure Amant
Qui cherche dans mon art la fin de son tourment?
LVCIDAS.
Vener able vieillard, dont l'obscure science
Ne tire sa raison que de l'experience,
Et dont nos sens rauis, & non pas satisfaicts
D'vne cause incogneuë admirent les effects,
Quand vostre art leur découure en ces noires merueilles
Les secrets ignorez des yeux & des oreilles.
Ie vous viens retrouuer de sireux de sçauoir
Ce que dans vostre glace il me doit faire voir;
Permettez qu'auec moy cette ieune Bergere
Contente son esprit à voir ce qu'elle espere.
POLISTENE.
Mon fils ie le veux bien, vous pouuez librement
De tout ce que ie puis vser absolument.
Mais ie crains que cette ame encore ieune & tendre
Ne transisse de peur, mais qu'il luy faille entendre
Les foudres éclattans & les horribles cris
Que font au tour de moy ces bijarres espris,
ARTENICE.
Non, non, ne craignez point ie suis bien asseurée,
Auant que d'y venir ie m'y suis preparée.
POLISTENE.
Ie vay donc de ce pas mes charmes commencer,
Ne bougez de ce lieu, gardez d'outrepasser
Les bornes de ce cerne imprimé sur la terre:
Ne vous ennuyez point ie vay querir le verre,
Où mes enchantements feront voir à vos yeux
Ce que le monde croit n'estre veu que des Dieux.
ARTENICE.
Nous attendrons long temps.
LVCIDAS.
C'est ce que i'apprehende
Mais il faut trouuer bon tout ce qu'il nous commande.
ARTENICE.
Dieux qu'est-ce que ie voy?
LVCIDAS.
Dieux qu'est-ce que i'entends?
ARTENICE.
Que de monstres hideux.
LVCIDAS.
Que de feux éclattants,
D'horribles tourbillons, d'éclairs & de tempestes
Dans ce nuage épais s'assemblent sur nos testes.
ARTENICE.
Tout le Ciel est couuert d'vne noire vapeur.
POLISTENE.
Ne vous estonnez point vous n'aurez que la peur.
ARTENICE.
Foites donc appaiser cét horrible tonnerre,
Qui semble menacer le Ciel, l'onde, & la terre.
POLISTENE.
Courage mes enfans, bien tost ie me promets
De vous rendre le iour aussi clair que iamais.
ARTENICE.
Ie croy qu'il dira vray, la nuë est dissipée,
La terre de broüillards n'est plus enueloppée,
Son sçauoir admiré des ames & des yeux,
Rend le beau temps au monde, & le Soleil aux Cieux,
Dieux! que sur ces Demons il s'est acquis d'Empire,
Voyez quel changement, ils font ce qu'il desire,
Et semble qu'il les tient sous son pouuoir enclos,
Comme Aeole les vents, ou Neptune les flots.
POLISTENE.
Tenez ieunes Bergers considerez ce verre,
C'est le portrait naïf des secrets de la terre.
Maintenant que mon art à sa puissance ioint
Luy fait rendre à nos yeux les obiects qu'il n'a point:
Commencez vous à voir?
LVCIDAS.
[Page 37]
Nous commençons à peine
A découurir vn peu des deux bords de la Seine,
Qui serrant en ses bras ces beaux champs plantureux
Fait cognoistre à chacun l'amour qu'elle à pour eux:
Quel éclat de grandeur reluit en ces riuages,
Quel amas de Palais riches de leur ouurages,
Où la nature & l'art semblent de tous costez
Disputer à l'enuy le prix de leurs beautez?
Que ces ruisseaux d'argent fugitifs des fontaines
Coullent de bonne grace au trauers de ses plaines.
Voyez vous au dessous de ce petit couppeau
Le Berger Alcidor qui meine son trouppeau?
ARTENICE.
Ouy certes ie le voy bien pres de sa maistresse,
On recognoist assez le desir qui le presse.
LVCIDAS.
Le vermeillon leur vient ils entrent dans le bois
Tous deux sous vn ormeau s'assisent à la fois.
Que ie voy de baisers prins à la dérobée.
ARTENICE.
O Dieux en quel malheur se void elle tombée!
Que leurs sales plaisirs, detestez en tous lieux,
Font de peine à mon coeur, & de honte à mes yeux:
Que long temps cét affront viura dans ma memoire.
LVCIDAS.
[Page 38]
Au moins vous l'auez veu: vous n'ē vouliez rien croire.
ARTENICE.
Ie n'en ay que trop veu pour mon contentement,
Peut-on plus se fier en la foy d'vn Amant?
Va, triomphe à ton aise esprit plein d'artifice
De l'honneur d Ydalie & du coeur d'Artenice,
En me voyant punie auec indignité,
De m' estre trop fiée en ta legereté.
Quant à moy desormais le seul bien que i' espere,
Est de passer ma vie au fond d'vn Monastere,
Où sage à mes despends ie veux à l'adueuir
Au seul amour des Dieux mes volontez vnir.
LVCIDAS.
Vous pleurez vne perte indigne de vos larmes,
La faute est à ses yeux & non pas à vos charmes,
Qui pourroient arrester les yeux les plus legers,
Et contraindre les Dieux d'estre encore Bergers.
ARTENICE.
Que seruent Lucidas toutes ces flatteries,
Ie ne me repaist plus de vos cajoleries,
Ie prends congé du monde & de ses vanitez,
Qui sucrent le venin de tant d'impietez;
Adieu donc pour iamais plaisirs pleins d'amertume,
Adieu vaine esperance, où l'âge se consume,
Adieu feux insensez autheurs de mes ennuis,
Adieu doux entretien où ie passois les nuicts,
Adieu rochers & bois, adieu fleuues & plaines,
Qui sçauez de mon coeur les plaisirs & les peines:
Adieu sages parens de qui les bons aduis,
En mon aueuglement furent si mal suiuis.
Adieu pauure Berger dont la per seuerance
Recoit de mon amour si peu de recompence:
Adieu sage vieillard dont l'art prodigieux
Fait que la verité se découure à nos yeux:
Adieu pauures brebis que ïay tant de laissées
Pendant qu' vn autre soin occupoit mes pensées:
Adieu donc Lucidas, encore vn coup adieu,
Ie vay finir mes iours dedans quelque sainct lieu,
Où tamais le malheur ne me pourr a déplaire.
LVCIDAS.
Commen c' est tout de bon?
POLISTENE.
Il l'a faut laisser faire;
Vn mal si violent est sourd à la raisen,
Son sec ours à present seroit hors de saison,
Le temps senl peut guerir vne si grande playe.
LVCIDAS.
Pere vous dites vray, c'est en vain qu' on essaye
A consoler vne ame au fort de son malheur,
Les remedes trop prompts irritent la douleur:
C' est pour quoy le meilleur est d'aller à cette heure
Passer dans le village où son pere demeure,
A fin de l'aduertir qu'il l'a suiue de prés
Cependant que le mal est encore tout frais.

ACTE SECOND.
SCENE CINQVIESME.

ALCIDOR. YDALIE. ARTENICE.

ALCIDOR.
QVE le Soleil est haut! de sia de ces colines,
L'ombre ne s'estend plus dans les pleines voisines,
Desia les Laboureurs lassez de leurs trauaux
Tous suants & poudreux emmeinent leurs cheuaux.
Desia tous les Bergers se reposent à l'ombre
Et pour se festoyer des mets en petit nombre
Que la peine & la faim leur font trouuer si doux,
Font seruir au besoin de table à leurs genoux:
Les oyseaux assoupis la teste dans la plume
Cessent de nous conter l'amour qui les consume.
L'air est par tout siclair, qu'il deffend à nos yeux
D'admirer les Saphirs, dont il pare les Cieux:
Le Soleil trop à plomb nous void sur ce riuage,
Il nous faut retirer & nous mettre à l▪ombrage
De ce boccage épais, où l'on diroit qu'amour
A voulu marier la nuict auec le iour.
YDALIE.
Helas! mon frere helas! en quelque part que i'aille
Ie ne puis moderer le feu qui me trauaille.
I'ay par tout le Soleil autheur de mon ennuy,
Les antres & les bois n'ont point d'ombre pour luy.
ALCIDOR.
Quelle secrette ar deur vous ronge le courage?
YDALIE.
Ce que i'ay dans le coeur se lit dans mon visage.
Ie voudrois bienle dire & ne le dire point,
Ie scay bien en cela ce [...]que l'honneur m'enjoint,
Et ne puis sans rougir, quoy que ie me propose
En vous le découurant en découurir la cause.
ALCIDOR:
Pourquoy ma chere soeur? quelle timidité
Retient vostre discours en cette obscurité?
YDALIE.
Pleust à ce petit Dieu qui me reduit en cendre,
Que sans vous en parler vous le peussiez entendre.
ALCIDOR.
Auez vous des secrets, dont vous n'osiez parler
A celuy dont le coeur ne vous peut rien celer?
YDALIE.
Las! c'est aussi le seul que ie ne vous puis dire.
ALCIDOR.
Quand vous me le diriez en deuiendr oit-il pire?
Ay-ie quelque interest en vostre passion.
YDALIE.
Au trouble ou ie me voy ie ne sçay comment faire,
Ie ne vous l'ose dire, & ne vous le puis taire.
ALCIDOR.
[Page 42]
Ma soeur ne craignez point, dictes-le librement,
Il ne faut point rougir pour auoir vn Amant:
La seule opinion rend ce plai sir blasmable,
Et si c'est vn peché le Ciel mesme est coupable
Combien qu'il le deffende il en est de sireux,
Il est au renouueau de la terre amoureux,
Il void de tous ses yeux ses beautez raieunies
Elle sent dans son coeur leurs flames in finies
Et s'estoillant de fleurs tasche à se conformer
Auec celuy qui l'aime, & qu'elle veut aimer.
Leur mutuelle ar deur rend la terre feconde,
Et le feu s'en répand dans tous les coeurs du monde,
Ces rochers & ces bois n'entendent nuict & iour
Que de pauures Bergers qui se plaignent d'amour,
S'ils ne sont point suspects aux secrets de tant d'autres
Quelle crainte auez vous d'y declarer les vostres?
YDALIE.
Que seruir a cela?
ALCIDOR.
C'est vnsoulagement.
D'oser en liberté declarer son tourment:
Il n'ect rien de si doux aux ames bien atta [...]ntes
Que de pouuoir trouuer à qui faire ses platntes,
Vn mal se diminuë & n'est plus que demy
Quandnous le partageons auecque nostre amy.
YDALIE.
[Page 43]
Mais c'est à ces amis compagnons de fortune,
Qu'on aime seulement d'vne amitié commune.
ALCIDOR.
Ma soeur c'est au contr aire à ceux qu'on aime bien
Il faut ouurir son coeur & ne leur celer rien.
YDALIE.
Le mien vous est ouuert, ces souspirs tous de flame
Vous découurent assez ce que ie sens dans l'ame.
ALCIDOR.
Ces souspirs enflamez, dont ie suis spectateur,
En disant vostre mal n'en disent point l'autheur.
YDADIE.
Las il ne m'entend point ie me rends trop obscure,
Il a comme le coeur l'intelligence dure.
ALCIDOR.
Ie ne sçay pas de vray pour quoy vous differez
A me nommer celuy, pour qui vous souspirez?
YDALIE.
Vous le verrez bien tost, & sans beaucoup de peine,
Si vous baissez [...]s yeux dans les flots de la Seine.
ALCIDOR.
Helas! ie vous entends & tiendrois à bon heur
D'auoir en moy dequoy meriter cét honneur.
I'aypitié de vous voir le visage si blesme,
Assez depuis trois ans i'ay cogneu par moy-mesme,
Quel tourment c'est d'aimer & de n'esperer rien
Ie déplore en cela vostre sort & le mien.
YDALIE.
[Page 44]
Vous seul à tous les deux pouuez donner remede.
ALCIDOR.
Ouy si i'estois guery du mal qui me possede.
YDALIE.
Las! guerissez-vous donc a fin de me guerir.
ALCIDOR.
De manquer à ma foy i'aymerois mieux mourir.
YDALIE.
Vostre mort en cela seroit mal employée.
ALCIDOR.
Heureux si le destin me l'auoit enuoyée,
Iene sçaurois mourir pour vn plus beau subiect.
YDALIE.
Vos desirs feront mieux d'auoir vn autre obiect.
ALCIDOR.
La Saine dans son lict verra plûtost son onde
Rebrousser contre-mont sa source vagabonde.
Et plûtost nos brebis paistront dessus les flots,
Que ie brise les fers, qui me tiennent enclos,
Et qu'on v [...]ye Alcidor engager son seruice
Sous vn autre pouuoir que celuy d'Artenice.
YDALIE.
Puis qu'elle n'est pas libre en son affection,
Vous n'en aurez iamais que de l'affliction,
Et vieillirez tous deux en ces poursuites vaines
Auant que de cueillir le loyer de vos peines:
Sonpere & ses parents ne le desirent pas.
ALCIDOR.
[Page 45]
Ie suis assez content d'adorer ses appas
Combien que son destin soit à mes voeux contraire
L'honneur que i'enreçoy me tient lieu de salaire.
YDALIE.
Languirez-vous tousiours en si dure prison?
ALCIDOR.
Ouy siie ne perdois le sens & la raison.
YDALIE.
Appellez-vous raison d'aimer sans esperance?
ALCIDOR.
La raison nous oblige à laperseuerance,
Apres que nous auons engagé nostre foy.
YDALIE.
Vous ne voulez donc peint auoir pitié de moy?
ALCIDOR.
Que peut vn affligé, dont le mal incurable
A luy-mesme le rend luy-mesme inexorable?
Mais si vous receuez quelque contentement
De me voir comme frere & non pas comme amant,
Nous nous verrōs tousiours sans cōtrainte & sans peine
En gardant nos troupeaux sur le bord de la Seine.
YDALIE.
Puis que pour posseder le bonheur de vous voir
Il faut regler mes voeux aux loix de mon debuoir,
Bien qu'il soit mal aisé belle ame de mon ame
De paroistre de glace estant toute de flame:
Toutes fois pour ioüir d'vn bien qui m'est si doux,
Ie t'airay pour vn temps l'amour que i'ay pour vous.
ALCIDOR.
Vous me permettrez donc d'aller voir cette belle,
Qui seule & sans troupeau da [...]s ce bois se recele:
Beauté le cher soucy de tant de beaux esprits,
Qui d'vne belle flame auez m [...]n coeur épris,
Merueille d'icy bas chef d'oeuure de nostre âge,
Où la nature mesme admire s [...]n ouurage.
Quel soin guide vos pas en ces lieux écartez.
ARTENICE.
Quoy tu ne rougis point de tes desloyautez?
Tume parles encor' mes [...]hant, ingrat, pariure,
Apres que tu m'as fait vne si grande iniure?
ALCIDOR.
Qu'elle rage vous meut à me traicter ainsi?
ARTENICE.
Ce que tout maintenant tu viens de faire icy.
ALCIDOR.
O quelle calomnie! ô Dieux quelle malice!
ARTENICE.
Voyez qu'il est méchant & remply d'artifice!
Laisse moy déloyalne m'importune plus.
ALCIDOR.
Beauté dont mon malheur à son flus & reflus,
S'il vous reste dans l'ame vn rayon de iustice
Pour le der nier loyer de trois ans de seruice,
Differez vn moment l'arrest de mon trépas,
Auant que de m'ouïr ne me condemnez pas?
O Dieux elle s'en va sans me vouloir entendre!
O destins trop cruels que voulez vous attendre
A couper de mes ans le filet malh [...]ur eux?
N'estes vous sans pitié que pour les amour eux?
Et toy pere du iour, dont la flame feconde,
Comble de tant de biens tout ce qui vit au monde,
Seul astre sans pareil, arbitre des saisons
Qui pares de splendeur les celestes maisons:
Iadis i'ay comparé des yeux de ma cruelle
La flame perissable à ta flame immortelle,
Pour qu [...]y ne punis tu pour t'auoir offensé
D'vne eternelle nuict ce blaspheme insensé?
A quoy me sert de voir ta lumiere importune?
A quoy me sert ma vie en butte à la fortune?
Il vaut mieux, il vaut mieux en arrester le cours,
Et mourir vne fois que mourir tous les iours.

ACTE TROISIESME.

SCENE PREMIERE.

ARTENICE. PHILOTEE▪

ARTENICE.
QVE cette vie est douce, he que ie suis contente
D'auoir trouué ce lieu conforme à mon att [...]nte,
Que i'y trouue d'apas qui charment ma douleur,
Que le sort m'a renduë heureuse à mon malheur!
Doux poison des esprits amoureuse pensée,
Qui mer amenteuez ma fortune passée.
Esloignez vous de moy, sortez de ces saincts lieux,
Les coeurs ny sont épris que de l'amour des Cieux!
La gloire des mortels n'est qu'ombre & que fumée
C' est vne flame étainte aussi tost qu' all umée.
Dessillez-vous les yeux, vous dont la vanité
Prefere cette vie à l'immortalité.
Maintenant que ie gouste vne paix si pr of onde,
Que i'ay pitié ma soeur de ceux qui sont au monde,
Et qui sur cette arene émeue à tous propos
Fondent sans iugement l'espoir de leur repos.
PHILOTEE.
Ma soeur ne plaignez point ceux que le sort conuie
A passer loing de nous la course de leur vie,
Parmy les vanitez qui ne sont point icy,
Où le combat est grand la gloire l'est aussi:
Nous viuons sur la terre en eternelle peine,
Et de plusieurs chemins par où le Ciel nous meine
Au repos glorieux qui nous est preparé,
Celuy que nous tenons est le plus asseuré;
Benissez donc, ma soeur, sa bonté paternelle
Qui nous met au chemin de la vie eternelle:
Et benisséz aussi la tempeste du sort
Qui du milieu des flots vous a ietté au port.
Les Dieux diuersement nous retirent du monde,
L'esprit ne peut sonder leur prudence profonde;
C'est d'eux d'où le Soleil emprunte la splendeur,
Il faut en se taisant admirer leur grandeur,
Alors que vous perdiez au milieu des delices▪
Qui cachent comme fleurs les abysmes des vices
Ces esprits tou siours prests au secours des humains
Vous sauuent du naufr age & vous tende les mains.
Oubliez donc le feu de ce Berger paiure,
Qui fait à vostre amour vne sigrande iniure,
Donnez leur vos pensers vostre ame & vos apas,
Ces Amants tous parfaits ne vous tromperont pas.
ARTENICE.
Ie vous croir ay ma soeur leur bonté m'y conuie
Autant que le destin me laissera la vie,
Iamais autre de sir n'entrer a dedans moy
Que de leur conseruer mon amour & ma foy
C' est en cette asseurance aussi douce que saincte,
Que ie veux terminer mon espoir & ma crainte.
PHILOTEE.
Quand on vient en ce lieu deuant que s'engager
Au voeu que nous faisons ily faut bien songer;
Nostreregle est étroitte & mal-aisée à suiure,
Dans vn desert austere il faut mourir & viure,
Prendre congé du monde & de tous ses plaisirs,
N' auoir plus rien à soy, pas mesme ses desirs,
Méditer & ieusner anec ques patience,
Et souffrir doucement la loy d'obedience:
Nous en voyons assez de pareilles à vous
Pour vn prompt desespoir se retirer chez nous,
Mais quand il faut ieusner, & faire penitance
Souuent leur desespoir se tourne en repentance:
Conseillez-vous aux Dieux pensez y meuremént,
Ne vous engagez point inconsiderement.
ARTENICE.
Ma soeur cette harangue est pour moy superflué,
Auant que d'y venir ie m'y suis resolué,
Et croy qn'auec le temps i'eusse fait par raison
Ce que par desespoir i'ay fait hors de saison.
PHILOTEE.
Qui sont ces deux vieill ards que ie voy dans la pleine?
ARTENICE.
C'est mon pere & mon oncle, ô Dieux qu'ils ont de peine!
Que ie crains leur abord! que ie plains leur soucy!
Dieux qu'ils sont importuns! qui les ameine icy
Tourmenter mon esprit de leurs raisons friuoles,
Et perdre sans effect leurs pas & leurs paroles?
PHILOTEE.
Ie vous laisseray seule a fin que librement
Ils vous puissent tous deux dire leur sentiment.

ACTE TROISIESME.
SCENE SECONDE.

SILENE. DAMOCLEE. ARTENICE.

SILENE.
DANS ce bocage épais loin du peuple pofane,
C'est où ma fille sert les Autels de Diane,
Le bon-heur nous conduit, nous ne pouuions choisir,
Vn temps plus à propos selon nostre de sir,
Lavoila toute seule au frais de ce boccage:
Ma fille, he! qui vous meut à quitter le village
Pour venir demeurer ende de si tristes lieux?
ARTENICE.
Pour la haine du monde, & pour l'amour des Cieux.
SILENE.
D'où vous vient cette humeur en l'Auril de vostre âge?
Si se sont des effects d'vne amoureuse rage,
Nommez-nous en l'autheur?
ARTENICE.
C'est tout ce que ie crains
Que de vous declarer celuy dont ie me plains,
Parce qu'en l'accusant moy-mesme ie m'accuse.
SILENE.
Cét extreme remords dont vostre ame est confuse,
Repare assez le mal que vous tenez caché.
ARTENICE.
[Page 52]
Vostre seule deffense en a fait le peché:
Si vos iustes rigeurs, dont ie fus menacée
Eussent peut trouuer place en ma raison blessée
Mon coeur ne plaindroit pas l'ennuy que ie reçoy,
Devoir vn estranger m'auoir manqué de foy.
SIELENE.
Elle en a dit assez nous le pouuons cognoistre,
L'excuse qu'elle fait nous fait assezparoistre
Que c'est ce beau garçon qui s'êleua chez vous,
Lors que son bon destin l'arresta parmy nous.
ARTENICE.
Mon pere c'est luy-mesme: excusez mon enfance:
Il est vray ie l'aimois contre vostre deffence,
Ceméchant, cét ingrat, cét esprit inconstant.
DAMOCLEE.
Quel suiect auez-vous de vous enplaindre tant?
ARTENICE.
Ne vous enquerez point de cette per fidie,
Vous la sçaurez trop tost sans que ie vous la die?
DAMOCLEE.
Quel timide respect vous deffend d'en parler,
Est-ce quelque secret, qu'on me doiue celer?
SILENE.
Ma fille dites luy puis qu'il vous le commande.
ARTENICE.
Par où commenceray-je? ô Dieux! que i'apprehende
De vous entretenir de ce triste discours,
Qui combler a d'ennuy le reste de vos iours.
DAMOCLEE.
[Page 53]
Depeschez vous, ma niepce, en vain on me le cache,
Quand ce seroit ma mort il faut que ie le sçache.
ARTENICE.
D'vn autre que de moy le pui siez-vous sçauoir.
DAMOCLEE.
Que de peurs à la fois vous me faites auoir,
Que vous m'apprenez bien qu'en vn suiect de plainte
Le plus souuent le mal est moindre que la crainte!
ARTENICE.
Le crime qu'Alcidor à fait contre sa foy
Vous offense, mon oncle, aussi bien comme moy.
DAMOCLEE.
Est-ce point que ce traistre abusant de ma fille
Auec elle eust taché l'honneur de ma famille?
ARTENICE.
Helas i'en ay trop dit.
DAMOCLEE.
Acheuez promptemert,
Dites nous en quel lieu, quand ce fut, & comment.
ARTENICE.
Que ie sens de regrets & de douleurs mor telles
En faisant le recit de ces tristes nouuelles:
Sur la riue de Seine en ces lieux écartez,
Que son cours sinueux, borné de trois costez.
Est dans vn petit bois vn cabinet champestre,
D'où sans se faire voir l'on voidses brebis paistre.
Làces ieunes amants vont presque tous les iours
Esteindre en liberté le feu de leurs amours,
Et desia leurs plai sirs pensent couurir leur crime
Sous vn voeu fait entre eux d'vn hym nlegitime;
Et pensent que des maux, dont ils sont entachez
Ils sont assez absous en les tenant ca [...]ez:
Mais Lucidas & moy consultant les m [...]steres,
Que Polistene obserue en ses grottes austeres;
Recogneusmes au iour d'vn cristal enchanté,
Ce que le bois cachoit dans son obcurité.
DAMOCLEE.
O Dieux que dictes vous?
ARTENICE.
Ie rougis quand i'y pense:
Et ma condition ne peut auoir dispense
De conter deuant vous leurs profanes plaisirs.
DAMOCLEE.
O desloyal! ô traistre! ôper fide estranger!
De qui l'ingratitude & l'amour impudique
Font d'vn mal domestique vne honte publique,
Est-ce là le loyer du soin que i'eus de toy
Lors que tu vins enfant te retirer chez moy?
ARTENICE.
Il monstre bien qu'il est d'vne ingrate nature,
De s'attaquer à vous, dont il est creature,
D'où peut-il desormais esperer de l'apuy?
SILENE.
Vous auez en sa faute autant de tort que luy:
Tous les ieunes Bergers viuent sur la commune,
Sans respect & sans crainte ils cherchent leur fortun [...]
Laisser sa fille seule auec ses ieunes fous
C'est mettre vne bredis en la garde des loups.
Si vous eussiez eusoin de la tenir subiecte,
Elle n'eust iamais fatt la faute qu'elle a faicte.
DAMOCLEE.
Vous dites vray mon frere.
SILENE.
Il n'en faut plus parler.
DAMOCLEE.
Que ie suis miserable.
SILENE.
Il se faut consoler.
DAMOCLEE.
La mort seule à pouuoir de consoler mon ame,
Mais il faut que deuant ie me laue du blasme,
Donc cette fille infame a mon honneur taché
Et que dessus l'Autel expiant son peché
Son iuste chastiment à sa faute réponde,
Pour la gloire du Ciel & l'exemple du monde.
ARTENICE.
O Dieux qu'il est cruel!
SILENE.
Ma fille il a raison
Ce crime tacheroit à iamais sa maison.
ARTENICE.
[Page 56]
Apres tant d'accidens qu'à toute heure on void naistre,
C'est n'auoir point de sens que de ne point cognoistre
Que qui vit dans le monde il vit dans le malheur.
SILENE.
Il falloit que mon frere eust part à ma douleur,
Il n'auoit comme moy que cette seule fille,
Il perd en la per dant l'espoir de sa famille:
Et moy si ie vous perds ie perds en mesme temps
Le seul bien qui rendoit tous mes desirs contens:
vostre bon naturel maintenant vous conuie
D'auoir pitié de ceux dont vous tenez la vie.
Ce froid & pasle corps victime du tombeau,
Verra bien tost ses iours esteindre leur flambeau,
Attendez le succez des tristes destinées,
Qui détordent de sia le fil de mes années:
Helas! ma fille helas! qui me clorra les yeux
Mais que mon pasle esprit soit monté dans les Cieux?
ARTENICE.
Ie sçay ce que ie dois à l'amour paternelle:
Mais il faut obe ïr à celuy qui m'appelle,
Et qui mon premier pere a voulu prendre soing
De me tendre les bras & m'aider au besoin.
SILENE.
Les Dieux que vous seruez ence deser austere,
N'ostent point les enfans d'entre les bras dupere:
Ce n'est point leur conseil, qui vous meut à cecy,
Rien que le desespoir ne vous ameine icy.
ARTENICE.
[Page 57]
Le soing continuel de nostre bon Genie
Par des moyens diuers nos volontez manie,
Et de quelque façon qu'il nous vienne inspirer
Il luy faut obeïr & ne point murmurer,
Bien que le desespoir d'vne flame amoureuse
Ait conduit ma fortune en cette vic heureuse:
Puis qu'ainsi l'Eternel pour mon bien le voulut
D'vn desespoir naistra l'espoir de mon salut.
SILENE.
Pensez vous le trouuer en cette triste vie,
Plustost que dans le monde où l'âge vous conuie?
Estimez vous que ceux qui n'ont fait que pour nous
Les plaisirs d'icy bas aussi iuste que doux,
Vueillent pour leur seruice en deffendre l'vsage?
ARTENICE.
Croyez-vous que ce lieu solitaire & sauuage
En éloignant de nous la crainte & le desir,
Eloigne de nos coeurs tout suiect de plaisir.
Voyez ces bois épais, voyez cette verdure,
Ces promenoirs dressez par le soing de nature,
Et ce Temple où les coeurs vrayement deuotieux
Destinent leur repos à la gloire des Cieux,
Voyez en cét enclos les lieux cù Philotée
Fait depuis si long temps sa demeure arrestée,
Et vous-mesme aduoüerez exempt de passion
Qu'ils n'ont pas moins d'attraits que de deuotion.

ACTE TROISIESME.
SCENE TROISIEME.

CLENATE.
HElas! que de l'amour les passions diuerses
Dans l'esprit des mortels apportent de trauerses:
De combien de tourment, de peine & de desir
Il nous fait achepter vn moment de plaisir.
Ce miserable Amant plus fidelle que sage,
Aux dépens de savie en fait l'apprentissage:
Il s' est precipité pour finir son ennuy
Dans les flots plus humains à luy-mesme que luy:
Lavague couroucée & d'écume couuerte,
Mesme au fort de son ire eut pitié de sa perte,
Par trois ou quatre fois elle l'a sousleué
Pour le rendre à la terre où ie me suis treuué:
Mais sa vie & sa mort sont encore incertaines,
Vne tiede chaleur estrestée en ses veines,
Et semble que son coeur fait ses derniers efforts
Pour retenir son ame aux prisons de son corps,
Ie voudrois bien me rendre à son mal secourable
Mais en le secourant ie me rendrois coupable:
Ceux qui de son malheur ne s'informeroient pas
Me iugeroient moy mesme autheur de son trépas.
Vn Temple de Diane est au bord de cette onde,
Où les coeurs nettoyez des soüilleures du monde
Sçauent des faits douteux choisir la verité,
Auec moins d'arti fice & plus d'integrité,
Ie m'en vais en ces lieux amis de l'innocence,
Implorer de quelqu'vn la fidelle assictance.

ACTE TROISIESME.
SCENE QVATRIESME

ALCIDOR. CLEANTE. ARTENICE. SILENE.

ALCIDOR.
EN quel lieu m'a conduict la cruauté du sort,
Suis-ie en terre ou en l'eau, suis-ie viuant ou mort?
Qu'est-ce quitient encor' mon ame prisonniere?
D'où proutent à mes yeux cette triste lumiere?
Quoy? le Ciel ou l'Enfer ont ils quelque flambeau,
Qui trouble le repos en la nuict du tombeau?
Que ne suis ie en ces lieux eternellement sombres?
Me refuse-t' on place en la troupe des ombres?
Veut-on qu'errant tousiours sous la voûte des Cieux
I'é prouue en tous endroits la iustice des Dieux?
Où que mon pasle esprit vaine terreur du monde
Se plaigne incessamment auxriues de cette onde,
Où mon coeur au mépris de la diuinité
N'aguere idolatroit vne ingrate beauté?
N'est-ce pas là le bois, n'est-ce pas là la plaine,
Où viuant i' auois soin de mes bestes à laine?
Ces valons reculez de la flamme du iour,
N'est-ce pas où i' allois souspirer mon amour.
Aces vieux bastiments de qui l'on void à peine
Les ornements du faiste estendus sur l'arene:
A ces murs éboulez par la suitte des ans,
Ie recognois ces lieux autrefois siplaisans:
Quand la belle Artenice honneur de son village,
Amenoit son troupeau dans nostre pasturage.
Ces aliziers témoings de nos plaisirs passez
Ont encore en leurs troncs nos chiffres enlacez:
Cette vieille forest d'eternelle durée
L'accusera sans fin de sa foy pariurée.
Ces vieux chesnes ridez sçauent combien de fois
Ses plaintes ont troublé le silence des bois,
Lors qu'en la liberté de leur ombre immortelle
Elle esoit prendre part au mal que i'ay pour elle.
Viuez doncques forests, viuez don [...]ques tousicurs
Pour estre les té moings de nos chastes amours.
Mais que de visions, qui passent & repassent,
Que de phantosmes vains en ces riues s' amassent,
Sont ce morts ou Demons, qui s' approchent de moy?
Tout fait peur à mes yeux! Dieux qu'est-ce que ie voy?
Belle ame le miroir des ames les plus belles
Anez vous donc quitté vos dépoüilles mortelles?
Quels tourmen's douloureux? quels funestes remords?
Vous ont fait ennuyer dedans vn si beau corps?
Quoy voulez vous encor? ô ma chere infidelle!
Trauer ser mon repos en la nuict eternelle?
Quel destin malheureux vous a conduit icy?
CLEANTE.
Ne vous estonnez point de ce qu'il parle ainsi,
La fureur le domine auec tant de puissance
Que sa raison malade en perd la cognoissance.
ARTENICE.
Quelque mal que ie vueille à sa déloyauté
I' ay pitié de le voir en cette extremité,
Le tort qu'il m' auoit fait n'estoit pas vne offence,
Qui le d'eust obliger à telle penitance:
Il le faut aduoüer ie plains bien son malheur,
Mon pere pardonnez à ma iuste douleur!
Ie ne la puis nier tant elle est vehemente.
O Dieux ie n'en puis plus le mal qui le tourmente
M'a troublé tous les sens aussi bien comme à luy.
SIELENE.
Ma fille appaisez▪vous moderez vostre ennuy!
Domptez vostre douleur auant qu'elle s' augmente.
O Dieux elle se meurt secouroz moy Cleante!
CLEANTE.
Helas! auquel iray-ie ils se meurent tous trois?
Tous trois sont étendus sans parole & sans voix.
ALCIDOR.
D'où vient-ie? qu'ay-ie fait? quelle rage aueuglée
A depuis si long temps ma raison déreglée?
Qui m'a mis en ce lieu? qui sont ceux que ie voy
Au long de ce riuage estendus comme moy?
D'où vient que ce vieillard sans voix & sans halaine
Soustient ain si la teste à ma belle inhumaine?
O Dieux elle se meurt: tout le monde est en pleurs:
Helas! pourquoy destin pour voir tant de malheurs
Rendez vous à mes sens l'vsage de la vie?
CLEANTE.
Berger consol [...]z vous l'amour vous y conuie
Afin de consoler cette ieune beauté,
Qui prend part à l'ennuy qui vous a tourmenté!
ALCIDOR.
O l'heur eux changement! que dites vous Cleante.
CLEANTE.
Vostre mal a causé la douleur violente
Qui l'a mise en l'estat où vous l'a pouuez voir.
ALCIDOR.
Qu' amour & la fortune ont sur nous de pouuoir!
O coeur de Diamant helas! est-il possible
Qu' à la fin la pitié vous ait rendu sensible?
Inhumaine beauté que ie benis vos fers,
Puis que vous prenez part aux maux que i'ay soufferts.
Las! si la voix vous manque ain si que le courage,
D'vn seul clin de vos yeux donnez m' en tesmoignage,
Afin qu' au [...]nt ma mort ie puisse encore voir
Ces astres dont ma vie adoroit le pouuoir,
Pour la derniere fois soyez moy fauor able.
ARTENICE.
Est-ce vous mon Berger? est-ce vous miserable?
Quel desespoir vous rend si sourd au reconfort?
Helas! gardez-vous bien d'aduancer vostre mort.
Ie mourr ois auec vous nos amoureuses flames,
Font dans vn mesme coeur respirer nos deux ames.
ALCIDOR.
N' ayez point cette beaux astres inhumains,
Vous tenez pour iamais mon destin en vos mains,
Quand mesme la douleur m' auroit l'ame rauie
Vous auriez le pouuoir de me rendre la vie.
ARTENICE.
Ne parlons plus de mort mettons fin à nos pleurs:
Quelque iour le destin finira nos malheurs.
ALCIDOR.
Tout ce que i'en veux dire est que mon innocence
Vienne auant mon trespas à vostre cognoissance.
ARTENICE.
Quand d'infidelité vous seriez entaché
Vostre extr [...]me remords absout vostre peché.
ALCIDOR.
Si ie m'estois distrait de vostre obeïssance
La mort seule pourroit expier mon offence.
CLEANTE.
Guerissez-vous tous deux pour ioüir des plaisirs
Qu'vn he ureux Hymenée appreste à vos desirs.
ALCIDOR.
Si iamais le bon heur accorde à mon enuie
De voir d'vn si beau noeud ma franchise asseruie,
Ie veux quand ie perdray la lumiere du iour
Que mon dernier souspir soit vn souspir d'amour:
Et que l'effort du temps à qui tout est possible
Perde contre ma foy le tiltre d'inuisible.
SILENE.
Ie ne me vis iamais si touché de pitié,
Il me faut malgré moy souffrir leur amitié:
Sus donc mes chers enfans qu'aux nopces l'on s'appreste
Ie veux dés à ce soir en commencer la feste:
Pardonnez-moy tous deux si trop iniustement
I'ay tousiours trauersé vostre contentement.
Allons donc au logis: venez aussi Cleante
Voir accomplir l'hymen d'vne amour violente:
Venez disner chez moy, vous ne treuuerezpas
Ces mets seruis par order au superbes repas,
Qui de tant d'artifices ont leur graces pourueuë
Qu'il semble n'estre faits que pour paistre la veuë,
Mais ce qui se pourr a selon ma pauureté,
D'vn coeur libre & sans fard vous sera presenté.

ACTE QVATRIESME.

SCENE PREMIERE.

ARTENICE. CLEANTE.

ARTENICE.
TV ne peux ignorer ô ma chere Clorise!
De quelle affection ie cheris ta franchise?
Tu lis dans mes pensers qui ne souurent qu' à toy,
Combien ton iugement à de pouuoir sur moy.
C'est la raison mon coeur pourquoy ie t'importune
De prendre maintenant le soing de ma fortune,
Tu sçais comme Alcidor apres ses longs trauaux
Aselon son desir surmonté ses riuaux:
Et comme son amour qui tousiours perseuere
A touché de pitié la rigueur de monpere:
Ie pense qu' à ce soir nous nous donnons la foy,
Ie ne te puis celer l'aise que i'en reçoy.
Mais comme à tous les biens que le Cielnous enuoye
Tousiours quelque douleur se mesle à nostre ioye;
Vn doute assez fascheux qui n'est point éclaircy
Tenant mon coeur glacé d'vn timide soucy
Me fait apprehender si ie t'ose le dire,
Le succez de l'accord que mon amour desire.
CLORICE.
Vous me le deuez dire & ne me rien celer
Ie souffrirois la mort plûtost que d'en parler:
Il ne faut rien cacher aux personnes qu'on aime,
Ie suis aupres de vous comme vn autre vous-mesme,
Ce seroit faire tord à mon affection
Que de vous deffier de ma discretion.
ARTENICE.
Il faut donc aduoüer le regret qui me presse
D'aller contre l'aduis de la bonne Déesse,
Qui s' apparoist la nuict aux yeux de mon penser,
Et d'vn front couroucé me semble menacer,
De rendre en mes amours ma vie infortunée
Si ie ne me marie au sang d'où ie suis née,
Ie l'ay tousiours seruie auec deuotion
Depuis que l'on me mist en sa protection:
Aussi ie recognois ses graces tousiours prestes
A me fauoriser en toutes mes requestes:
Quand mon pere voulut inconsiderement,
Preferant la richesse à mon contentement,
Auecques Lucidas me rendre miserable,
Ce qu' elle m' ordonoit m' estoit fort agreable,
Parce que ie sçauois que ce riche Berger
Estoit comme Alcidor du sang d'vn estranger:
Mais ma mere Chrisante à qui ie dis mon songe,
Non sans quelque raison le prinst pour vn mensonge,
Estimant qu' à dessein ie l'auois inuenté
Pour empécher l'accord qu' elle auoit proietté.
Et moy qui ne voyois que le seul Tisimandre,
Où selon cét aduis mes voeux puissent pretendre,
Mon coeur n'estant pas libre en cette election,
Ce Berger fut l'obiect de mon affection.
Ie fais ce que ie puis pour diuertir la flame,
Qúe l'ingrate Ydalie a fait naistre en son ame:
Mais ie trauaille en vain son tourment & le mien
Font que depuis cinq, ans ie ny profiterien,
C'est pour quoy mon amour apres tant de martyre,
Ie ne puis deuiner ce que cela veut dire.
Et voguant en ces flots sans espoir d'aucun port
I' abandonne ma bar que à la mercy du sort,
Si ton bon iugement à mon mal Salutaire
Ne me donne conseil à ce que ie dois faire.
CLORISE.
Toutes les Deïtez dont l'on sert les Autels,
Et de qui la bonté veille pour les mortels,
Aux belles comme vous se monstrent fauorables
Et d'elles prennent soing comme de leurs semblables.
Vous y deuez penser auecques iugement,
Et ne point reietter cét aduertissement.
ARTENICE.
Ce Berger me possede auec vn tel Empire
Qu' il sera mal aisé de m'en pouuoir dédire,
Et puis si ie ne l'ay que sçaurois-ie esperer.
CLORISE.
Les Dieux y pouruoiront il s'en faut asseurer,
Vous en verrez l'effect & dedans peu d'espace.
ARTENICE.
Cependant ie vieillis l'occasion se passe.
CLORICE.
Si la bonne Déesse a pour nous tant de soing,
Croyez qu' elle viendra vous aider au besoing:
Aux choses d'importance il faut estre timide,
Comme elle est vostre espoir qu'elle soit vostre guide,
Elle est aussi puissante en la terre qu' aux Cieux.
ARTENICE.
Mais dis moy donc mon coeur que puis-ie faire mieux
Que de prendre vn mary ieune, gallant, & sage,
Et qui de son amour m' a rendu témoignage.
CLORISE.
[Page 68]
Craindre les immortels suiure leur volonté.
ARTENICE.
Il n'en faut plus parler le sort en est iettée,
Vos raisons desormais sont pour moy superflues,
En vain l'on prend conseil des choses resoluës:
Quand les Dieux me deuroient enuoyer le trépas,
Ie ne puis auoir pis que de ne l'auoir pas.

ACTE QVATRIESME.
SCENE SECONDE.

TISIMANDRE.
VErray-ie donc tousiours mon esper ance vaine?
Per dray-ie sans loyer ma ieunesse & ma peine?
Brûleray-ie tousiours sans estre consumé?
En vain ie pousse aux Cieux mes plaintes effroyables,
Les Dieux sont impuissans ou sont impitoyables:
Ie cherche le remede & ne veux pas guerir,
Ie me déplais de viure & ne sçaurois mourir
Malheureux que ie suis, quelle chaude furie
Me fait passer les iours en cette réuerie,
Que me sert de chercher les bois les plus secrets
Pour les entretenir de mes iustes regrets,
Imprimer sur leur front les chifres d'Ydalie,
Ne nourrir mon esprit que de melancholie,
Méditer tous les iours des supplices nouueaux
Nous n'en sommes pas mieux ny moy ny mes troupeaux,
Mes brebis ont en nombre égalé les estoilles
Do [...] les plus claires nuicts enrichissent leurs voiles,
Et mes jerbes lassant le soigneux Moissonneur
Rendoient les plus contents jaloux de mon bon-heur,
Mais à present tout suit mes tristes destinées,
Mes champs n'ont que du chaume aux meilleures années
Et mes pauures moutons se mourants tous les iours
Seruent dans ses rochers de pasture aux Vautours.
Ie suis en me perdant l'autheur de tant de pertes,
Ie n'ay plus soing de rien mes terres sont desertes,
Tandis qu'en ces forests tout seul ie m'entretiens,
Ie laisse mon troupeau sur la foy de mes chiens.
Il faut, il faut quitter cette humeur solitaire,
Et reprendre le train de ma vie ordinaire:
Chasser de mon esprit ces inutiles soings,
Qui ne veulent auoir quc les bois pour témoings.
Mépriser à mon tour celle qui me méprise,
Et rompre sa prison pourr' auoir ma franchise.
Mais, ô Dieux! qu'ay▪ ie dit, amour pardonne moy,
Ie ne puis ny ne veux iamais viure sans toy,
Quand ie parle autrement ie suis hors de moy mesme,
Contre vne deïté ie commets vn blaspheme:
Ie te voy dans ses yeux plus puissant que iamais,
Fais ce que tu voudras à tout ie me sousmets,
Aussi bien ma raison ne m'en sçauroit deffendre,
Le salut des vaincus est de n'en plus attendre.

ACTE QVATRIESME.
SCENE TROISIESME.

TISIMANDRE. YDALIE.

TISIMANDRE.
BEauté dont la nature admire les apas,
Quelle heureuse fortune a peu guider vos pas
Dans ce valon affreux où mon inquietude
Ne cherche que l'horreur, l'ombre & la solitude.
ALCIDOR.
Berger qui de nature estes si mal plaisant,
Quel malheureux destin vous conduit à present
Dedans cette valée effroyable & profonde;
Où pour fuir de vous ie fuis de tout le monde.
TISIMANDRE.
Vous fachez-vous de voir vn miserable amant,
Qui banny de vos yeux ne peut viure vn moment.
Esloignez-vous plustost de cét esprit barbare,
Qui ne sçait point gouter vn merite sirare.
Tandis que vous suiurez ce Berger qui vous fuit,
Vos plus belles saisons se pesseront sans fruict.
YDALIE.
Tandis que vous suiurez vos entreprises vaines,
Vous y perdrez sans fruict vostre temps & vos peines.
TISIMANDRE.
Puis qu' Alcidor pour vous n'a point de sentiment,
Pourquoy differez-vous de faire vn autre amant.
YDALIE.
[Page 71]
Si ie suis insensible autourment qui vous pressé,
Pourquoy differez-vous de changer de maistresse.
TISIMANDRE.
Croyez, que si i'en parle auecque passion,
C'est moins par interest que par affection:
Mais ie crains que ce feu dont vous estes éprise,
Vostre honneur ne se perde apres vostre franchise:
Vous sçauez que desia l'on murmure tout bas,
De vous voir si souuent le suiure pas à pas.
YDALIE.
Quoy qu'on ait dit de moy par haine ou par enuie,
Tousiours mes actions répondront de ma vie.
TISIMANDRE.
Bien qu'aucun à bon droit ne vous puisse blasmer,
D'estimer sa vertu, de le voir, de l'aimer,
Pourquoy recherchez-vous de penibles conquestes,
Vous à qui le bon-heur en offre de si prestes.
YDALIE.
Vous perdez vostre temps, ne m'importunez plus,
Ie suis lasse d'ouïr vos discours superflus.
TISIMANDRE.
Aquelle dures loix me voulez vous contraindre,
Ne m'est-il pas permis en mourant de me plaindre.
YDALIE.
Ne vous affligez point vous n'en sçauriez mourir,
Le mal que vous auez est facile à guerir.
TISIMANDRE.
[Page 72]
Rien ne me peut guerir du mal qui me possede,
Si vostre belle main n'en donne le remede.
YDALIE.
Le remede d'amour dépend de la raison.
TISIMANDRE.
Suiuez donc son conseil pour vostre guerison.
YDALIE.
Mon tourment est si doux qu'il m'en oste l'enuie.
TISIMANDRE.
Le mien est si cruel qu'il m'ostera la vie,
Si vous ne moderez vostre inhumanité.
YDALIE.
Pensez-vous m'y forcer par importunité?
TISIMANDRE.
Non certes, mais plustost par mon amour extreme.
YDALIE.
Amour m'oblige-t'il d'aimer tout ce qui m'aime?
TISIMANDRE.
Ouy plustost qu'vn ingrat qui ne vous aime pas.
YDALIE.
Ie choisiray plustost dépouser le trépas,
Que iamais vous voyez vostre vaine entreprise,
Rendre dessous vos loix ma liberté sousmise.
TISIMANDRE.
O cruelle beauté, quel astre malheur eux
Se plaist à trauer ser nos desirs amoureux,
Quel charme, ou quelle erreur ont troublé nos pensées?
Quels traits enuenimez ont nos ames blessées?
Quel funeste ascendant nostre destin conduit,
Qui nous fait à tous deux aimer ce qui nous fuit.
Nous verrons écouler l'Auril de nostre vie,
Sans gouster les plaisirs où l'âge nous conuie.
Et lors qu'en cheueux blancs nous les verrons finir,
Nous pleurerons le temps qui ne peut reuenir.
Les ans coulent sans cesse, & iamais leur carriere
Non plus que les torrents ne retourne en arriere.
Ils faniront bien tost la fleur de vos beautez,
Et vengeront ma foy de tant de cruautez.
D'ARAMET.
Prenons cette victime & couronnons sa teste,
De guir landes, & de fleurs pour honorer la feste,
Chindonnax a de sia le bucher preparé
Vous viendrez vostre crime est assez aueré.
YDALIE.
Dequoy m'accuse-t'on? quelle noire impudence
Peut d'vn front asseuré taxer mon innocence.
D'ARAMET.
Vous le pourrez sçauoir du Sacrificateur.
YDALIE.
O Ciel iuge de tout, soyez mon protecteur,
Soustenez mon bon droict contre la calomnie.
TISIMANDRE.
Arrestez, arrestez, perdez cette manie,
De vouloir de mes bras ma maistresse rauir,
Ie leur resiste en vain, ie ne luy puis seruir:
Tout ce que ie puis faire en ce dernier of fice
C'est de m'offrir pour elle au feu du sacrifice.

ACTE QVATRIESME.
SCENE QVATRIESME

DAMOCLEE. LVCIDAS.

DAMOCLEE.
QVe sert de me celer ce que ie veux sçauoir,
Pensez vous m'empescher de faire mon deuoir:
Cette pasle couleur qui vous monte au visage
Du malhenr de ma fille est vn mauais presage.
Il est hors de propos de le taire à present,
Vostre discretion l'accuse en l'excusant.
Parlez donc librement, n'vsez plus d'artifice,
Celuy qui taist le mal semble en estre complice.
LVCIDAS.
Qui vous fait de siprés vn crime rechercher,
Que vous-mesme deuriez à vous-mesme cacher.
DAMOCLEE.
Cela ne ce peut plus, cette desesperée
Qui c' est pour ce malheur dis monde retirée,
Par ce grand changement en elle suruenu,
Rend de son déplaisir le suiuect trop cogneu:
Chacun sçait le peché dont ma fille est blasmée,
Mon deuoir seulement preuient la renommée.
LVCIDAS.
Le deuoir vous oblige à aimer vostre enfant.
DAMOCLEE.
Quand il est vicieux l'honneur me le deffend.
LVCIDAS.
Quoy la loy de l'honneur est-elle si cruelle?
Qu'elle fasse oublter l'amitié paternelle.
DAMOCLEE.
Nostre honneur suit tousiours la loy de l'equité,
Qui veut que chacun ait ce qu'il a merité,
Si ma fille est coupable, il faut que dans la flame
Elle purge son corps, en expir ant son ame:
La loy de Lute ssie en faueur de nos Dieux
Condamne l'impudique à la flame des Cieux:
Donc pour estre pieux soyez moins pitoyable
Et me dites le mal dont ma fille est coupable.
LVCIDAS.
Ie ne vous diray point ce que vous sçauez bien.
DAMOCLEE.
Las vous me dites tout en ne me disant rien.
Ie voy bien ce que c'est il faudra qu'elle meure,
Ie luy vois preparer sa derniere demeure.
LVCIDAS.
O iustice eternelle à quelle impieté
A la fureur d'amour mon esprit transporté,
Ie me verray forcé de faire vne iniustice,
Mais ie ne suis pas seul, l'amour est mon complice.
Cette ingrate beauté qui m'a manqué de foy
A contr ainct vn dieu mesme à faillir comme moy.
Innocente victime aussi chaste que belle
Que ma jalouse rage a rendu criminelle,
Pourray-ie auoir le coeur de te voir auiourd'huy
Souffrir le chastiment de la faute d'autruy?
En ces iustes remors, mon Dien que puis-ie faire,
Dois-ie dire ma faute, ou si ie la dois tatre?
Pour la iustifier il me faut accuser
Du mal que méchamment i'ay voulu supposer.
Lors que l'on a failly contre sa conscience,
La honte de le dire est pire que l'offence.
Il faut donc per sistant à ma méchanceté,
Pour parestre équitable accuser l'équtté.
Mais de sia Chindonnax attend la criminelle,
Il est temps de penser à témoigner contr'elle.

ACTE QVATRIESME.
SCENE CINQVIESME.

CHINDONNAX. DAMOCLEE. LVCIDAS. YDALIE. TISIMANDRE. DARAMET. CLEANTE.

CHINDONNAX.
VOus serez estimé des hommes & des Dieux:
Quand nous auons produit vn enfant vitieux
Il faut de nostre sang retrancher ce prodige,
Ainsi qu'vn mauuais bois indigne de sa tige,
Et d'vn coeur genereux témoigner constamment
D'oublier pour l'honneur tout autre sentiment,
Mais dites-nous Vieillard comment peustes-vous faire
Pour cognoistre leur faute en ce bois solitaire.
DAMOCLEE.
Lucidas decouurit leur impudicité
A trauers le cristal d'vn miroir enchanté.
CHINDONNAX.
Gardez-vous bien mon fils d'accuser l'innocence
Les Dieux iustes & bons veillent pour sa deffence,
Qui des faits incogneus arbitres & témoings
Découurent tost ou tard ce que l'on sçait le moins.
Ils parlent par ma voix des actions passées,
Et par mes propres yeux lisans dans les pensées,
My font voir clairement les faits les plus douteux:
Bref, estant deuant moy vous estes deuant eux,
Tirez donc de vostre ame vn discours veritable,
Qui rende l'accusée innocente ou coupable.
LVCIDAS.
Pour quoy pere sacré me faites vous ce tort,
De vouloir que ie sois la cause de sa mort.
CHINDONNAX.
Vous n'estes de sa mort ny cause ny complice
Ce n'est que son peché qui la meine au supplice.
LVCIDAS.
Mais son crime sans moy n'eust point esté prouué.
CHINDONNAX.
[Page 78]
Mais son crime sans vous fust tousiours arriué.
LVCIDAS.
Mais tousiours c'est par moy qu'on l'arend criminelle.
CHINDONNAX.
Non, mais plustost par vous la iustice eternelle,
Dont l'absolu pouuoir qu'elle m' [...] mis és mains
Deffend de me celer le crime des humains.
LVCIDAS.
Que vous puis-ie celer, ny que vous puis-ie dire,
Chacun sçait le malheur dont ce vieillard souspire,
Luy-mesme vous la dit,
CHINDONNAX.
Aussi ce que i'attens
Est de sçauoir le lieu, la façon & le temps.
LVCIDAS.
Desia le chaud du iour chassoit la matinée
Lors que c'est consommé ce funeste Hymenée.
Vn bois au bord de Seine en son ombre a caché
De ces ieunes amans la honte & le peché.
CHINDONNAX.
Reste à sçauoir l'endroit où c'est commis l'offence.
LVCIDAS.
Où le mont de Valere en la plaine s'auance.
CHINDONNAX.
Nous en sçauons assez, retirez-vous Berger,
On ameine Ydalie, il faut l'interroger.
YDALIE.
[Page 79]
Quelle timide horreur se glace dans mon ame,
Ie voy l'autel, le fer, le bucher & la flame,
Qu'apreste contre moy l'iniustice du sort,
O Dieux! combien de morts pour vne senle mort.
CHINDONNAX.
Asseurez vostre esprit, que la honte & la crainte
Qui tiennent maintenant vostre voix en contrainte,
Ne vous empéche point de vous iustifier.
YDALIE.
Où montimide esprit se peut-il plus fier?
Le Ciel iuge de tout est icy ma partie,
Puis que de son Autel, ie dois estre l'hostie.
CHINDONNAX.
Le Iuge de là haut exempt de passion
Ne peut estre sensible à la corruption,
Luy qui tient en ses mains le ciel, la terre & l'onde,
Accepte sans besoing les offrandes du monde,
Et ce qu'à ces autels nous faisons auiourd'huy
C'est pour nous seulement, on ne fait rien pour luy:
Mais d'vn si haut subiect nos esprits incapables,
De blaspheme ou d'erreur se roient iugez coupables,
C'est pour quoy d'vn discours medité promptement
De qui la verité soit le seul ornement,
Dites nous franchement sans faire l'estonnée,
Où vous auez passé toute la matinée.
YDALIE.
[Page 80]
Sous le mont de Valere aupres d'vn buisson clos
Où quelque fois la Seine a répandu ses flots,
CHINDONNAX.
Quel Berger estoit lors en vostre compagnie?
YDALIE.
Alcidor.—
CHINDONNAX.
—C'est tout dire.—
YDALIE.
—O quelle calomnie
Me veut-on accuser d'auoir fait dans ce bois
Quelque chose auec lny contre ce que ie dois?
Que plustost ie perisse en l'infernelle flame
Que iamais ce desir tombe dedans mon ame.
DAMOCLEE.
Ah pauure malheureuse, helas! où pensois-tu?
Alors que tu faisois ce tort à ta vertu,
Faut-il qu'aux yeux d'vn Iuge & d'vne populace
Ie t'offre pour victime à l'honneur de ma race.
YDALIE.
Mon pere appaisez-vous vn iour la verité
Découurira la fraude & mon integrité,
Et croyez qu'auiourd'huy, quelque mal qui m'aduienne,
Ie plaindray vostre peine autant comme la mienne.
DAMOCLEE.
En cét excez d'ennuis qui me vient tourmenter
Ie ne sçay quelle perte est plus à regretter,
Celle de son honneur, ou celle de sa vie.
Ie sçauois qu'à la parque elle estoit asseruie,
Puis que ie suis mortel il ne m'est point nouueau,
Que ce qui sort de moy soit suiect au tombeau.
Mais elle est sans raison aux vices adonnée,
D'vn pere vicieux elle n'estoit point née,
Ah ie pasme, ie meurs.
DARAMET.
—Ces cris sont superflus.
Il les faut appaiser—
DAMOCLEE.
Ah Dieux ie n'en puis plus
L'excez de la douleur m'empesche la parole.
CHINDONNAX.
Allez sage vieillard, l'Eternel vous console,
Allez verser chez vous ces inutiles pleurs,
Sa presence ne fait qu'augmenter vos douleurs.
Or sus il s'en va temps de conduire l'hostie,
Qu'on appreste l'encens, la farine rostie,
Et les cousteaux sacrez, c'est trop perdre le temps.
YDALIE.
Me faut-il donc mourir, Dieux qu'est-ce que i'entens,
Pense-t'on que le Dieu que ce bois represente
Se plaise à voir le sang d'vne fille innocente.
TISIMANDRE.
Que ce soit plustost moy que l'on meine à la mort,
Aussi bien chacun sçait que l'amour & le sort
M'ont condamné pour elle à mourir dans la flame.
CHINDONNAX.
[Page 82]
Cela ne ce peut pas i'enporterois le blasme,
Dieu n'aime rien d'iniuste, & iamais ne consent
De voir pour le pecheur endurer l'innocent.
TISIMANDRE.
Ie luy monstrer ay donc en mourant premier qu'elle,
Que ie ne suis pas moins courageux que fidele,
DARAMET.
Arrestez-vous Berger.
TISIMANDRE.
Ne m'en empechez point
Aussi bien que l'amour la raison me l'enioint,
C'est le meilleur aduis qu'à present ie puis suiure,
Il faut sçauoir mourir quand on ne doit plus viure.
CHINDONNAX.
Pour vn si beau suiect, vos pleurs sont approuuez,
Mais apres l'auoir plainte autant que vous deuez
Ne nous obligez point à vous plaindre vous mesme.
TISIMANDRE.
Ne me deffendez point de suiure ce que i'aime.
CHINDONNAX.
Quel espoir vous conuie à la suiure au trépas,
Vos yeux ny verront plus ces aimables apas,
La grace, la beauté, la ieunesse & la gloire
Ne passent point le fleuue, ou l'on perd la memoire.
TISIMANDRE.
Rien ne peut effacer les agreables traits,
Dont elle a dans mon ame imprimé les attraits,
L'enfer n'a point d'horreurs ny de nuicts assez sombres
Dont le iour de ses yeux ne dissipe les ombres.
CHINDONNAX.
Ces yeux & ce beau tainct de roses & de lis
Sous celuy de la mort seront enseuelis,
L'horreur qui l'accompagne est à toutes commune,
On ny recognoist point la blance de la brune.
TISIMANDRE.
Bien heureux si ie perds auec le sentiment
Le feu dont son amour me brusle incessament,
Mais plus heureux encor si mon ame eternelle
Conserue apres ma mort l'amour que i'ay pour elle.
CHINDONNAX.
Toutes les passions qui regnent icy bas
Ne suiuent point nostre ombre en la nuict du trépas,
Ce qu'on dit de Pluton & de ses Eumenides,
N'est qu'vne impression qu'ont les ames timides,
Ces lieux où prennent fin nos peurs & nos desirs
N'ont point de si grands maux ny de si doux plaisirs,
Que cét âge où l'amour armé de tant de flames,
Commence à s'alumer dedans les belles ames,
Chacun s'y rend luy-mesme heureux ou malheureux
Selon qui se gouuerne aux plaisirs ameureux.
L'vn attache ses voeux aux conquestes faciles,
L'autre volant trop haut, rendles siens inutiles:
Bref des fleurs que produit cette belle saison,
L'vn en tire le miel, & l'autre le poison:
Viuez donc & perdez cette ardeur incensée,
Qui depuis si long temps trouble vostre pensée;
Et sage à vos dépens joüissez des plaisirs
Qu'amour & la ieunesse offrent à vos desirs.
TISIMANDRE.
Non, non, il faut mourir, la raison my conuie,
La mort m'est à present plus douce que la vie,
I'aime mieux n'estre point que de d'estre malheureux.
CHINDONNAX.
Croyez-moy Tisimandre, vn esprit genereux,
Oppose la constance au malheur qui l'irrite,
Et se resout plustost au combat qu' à la fuite.
TISIMANDRE.
Lamort seule a pouuoir de vaincre mon ennuy.
CHINDONNAX.
Quelle erreur de mourir pour la faute d'autruy.
TISIMANDRE.
Mais quelle erreur plustost de iuger l'innocence
Sans vouloir seulement écouter sa deffence.
CHINDONNAX.
Il faut que laschement ie me laisse outr ager:
Car quel mal puis-ie faire à ce ieune Berger,
Que celuy que luy-mesme à luy-me desire?
TISIMANDRE.
La peur ne me fer a ny taire ny dédire,
Ie veux ouïr l'auteur de cette fausseté,
Qui veut taxer l'honneur de sa pudicité.
CHINDONNAX.
[Page 85]
Bien vous ser ez content dites que l'on r'appelle
Ce Berger, qui n'aguere a témoigné contr'elle.
YDALIE.
A quel point m'a reduit la cruauté des Cieux,
Qu'il faille qu'en mour ant les hommes & les Dieux
Cognoi ssent sa constance & mon ingratitude?
CHINDONNAX.
Voicy ce qu'on attend auec inquietude.
Venez-ça mon amy, dites la verité,
Comment l'a vistes-vous en ce verre enchanté?
LVCIDAS.
Apeine le Deuin auoit dit les paroles,
Que la magie enseigne en ses noires écoles,
Qu'il ressort de son antre, & m'apporte vn cristal,
Qui fait voir à mes yeux le bocc age fatal,
Où ces ieunes amans francs de honte & de blasme
Esteignent tous les iours leur amoureuse flame.
TISIMANDRE.
Osez-vous miserable accuser les absents?
Sur l'obiect qu'vne glace a produit à vos sens.
LVCIDAS.
I'ay regret de luy rendre vn si mauuais of fice,
Mais il me faut vouloir ce que veut la Iustice.
CLEANTE.
Graces aux Immortels, nos amans sont vnis,
Les pleurs sont appaisez, les tourments sont finis,
D'vne extreme douleur vient vne extreme ioye,
L'on plaint à tort le mal que l'amour nous enuoye,
Qui vit dessous ses loix doit tou siours esperer,
Il fait rire à la fin ceux qu'il a fait pleurer.
LVCIDAS.
Quelle bonne nouuelle en ce lieu vous ameine?
CLEANTE.
La nopce qui se fait au logis de Silene.
LVCIDAS.
Peut-on parler de nopce, & voir tant de malheurs.
CLEANTE.
Laize de toutes parts a terminé les leurs.
Ala fin d'Alcidor le fidele seruice
A touché de pitié la Bergere Artenice,
De son bon heur extreme vnchacun se ressent,
Il s'espouse demain, le bon homme y consent,
Son logis est desia tapissé de ramées,
De fenoüil & de fleurs les sales sont semées,
Et de sia maints aigneaux victimes du festin,
Le cousteau dans la gorge acheuent leur destin.
LVCIDAS.
O Dieux! quel changament, quelle estrange nouuelle,
O Bergere inconstante, ô teste sans ceruelle!
Où sont allez ces voeux pleins de zele & de foy?
Ser as-tu donc pariure à ton Dieu comme à moy?
Ie croy que ta promesse estoit plus incertaine,
Que les enchantements du deuin Polistene.
TISIMANDRE.
[Page 85]
Remarquez ce qu'il dit, écoutez-le parler.
LVCIDAS.
O Dieux le desespoir me fait tout deceler.
DARAMET.
Ie voy la verité, luy-mesme la confesse,
Lucidas enragé de voir que sa maistresse
Des flames d'Alcidor auoit le coeur touché,
A par l'art du Deuin produit ce faux peché,
Qui deceuant les yeux & l'ame d'Artenice,
La rend de cette erreur innocemment complice.
CHINDONNAX.
Cela n'est pas sans doute, il faut tout à loisir
Y penser meurement, & pendant se sai sir,
Du Deuin & de luy, peut-estre en la torture
Ils pourront l'vn ou l'autre auoüer l'imposture.
LVCIDAS.
Par donnez au Deuin, i'ay tout tout seul merité
Le iuste chastiment de cette iniquité,
I'en suis le seul autheur, il n'en est que complice.
CHINDONNAX.
Puis qu'il a confessé son in signe malice,
Qu'on mette hors des fers cette ieune beauté,
Qui recouure l'honneur auec la liberté.
Et que cét imposteur y soit mis en sa place,
C'est à vous d'or donner ce qu'il faut qu'on en face,
Prononcez donc ma fille ou sa vie ou sa mort.
LVCIDAS.
[Page 86]
Belle ame qui pouuez disposer de mon sort,
Si iamais les souspirs d'vn amant miserable
Ont peu tirer de vous vn regard fauorable,
Si vous auez le coeur aussi doux que les yeux,
Mettez fin à mes iours, ce sera pour le mieux,
Ie voy de tant d'ennuis ma fortune suiuie,
Que me donner la mort c'est me donner la vie.
YDALIE.
Non, tu ne mourr as point, ie veux pour te punir
Qu'à iamais ton peché viue en ton souuenir.
CHINDONNAX.
Laissez-le donc aller—
LVCIDAS.
—O Dieux quelle sentence!
Faut-il douc qu'à iamais ie pleure mon offence?
YDALIE.
Et vous fidele amant, mon support mon bon-heur,
Dont ie tiens à present ma vie & mon honneur.
De quel digne loyer qui soit en ma puissance
Puis-ie recompenser vostre extreme constance?
En vous donnant mon coeur ie ne vous donne rien,
Vous l'auez racheté, c'est vostre propre bien:
Disposez donc de moy fidele Tisimandre,
L'amour & le deuoir m'obligent à me rendre.
TISIMANDRE.
O l'heureux accident! en fin mon cher soucy,
L'amour at'il touché vostre coeur endurcy,
Belle & chere maistresse, en fin est-il croyable
Que ma fidelité vous rende pitoyable,
Et que ces deux soleils dont le Ciel est jaloux,
Se rendent à mes voeux si iustes & si doux?
YDALIE.
Vos extremes faueurs certes ie le confesse
M'ont fait vostre captiue & non vostre maistresse:
Oubliez donc ce nom, viuez plus franchement.
TISIMANDRE.
Vous auez tout pouuoir vsez-en librement,
Mon coeur est vostre esclaue, il ne vous peut dédire,
L'heur de vous obeïr est tout ce qu'il de sire,
Il se tient trop heureux d'estre en vostre prison.
YDALIE.
Quittons là ces discours qui sont hors de saison,
Et supplions chacun de rendre témoignage
De l'accord mutuel de nostre mariage.
TISIMANDRE.
Allons donc mon soleil rendre nos voeux contens.
YDALIE.
Allons le plus parfait des Bergers de ce temps.
CHINDONNAX.
En fin des Immortels la iustice prof onde
A découuert la fraude aux yeux de tout le monde,
A la fin chacun voit que leur bras tout puissant
Sçait punir le coupable & sauuer l'innocent,
Et quelque empeschement que l'artifice apporte,
Tousiours la verité se trouue la plus forte.

ACTE CINQVIESME.

SCENE PREMIERE.

Le vieil ALCIDOR. CLEANTE.

Le vieil ALCIDOR.
NE sçaurois ie trouuer vn fauorable port
Où me mettre à l'abry des tempestes du sort?
Faut il que ma vieillesse en tristesse feconde,
Sans espoir de repos erre par toutle monde?
Heureux qui vit en paix du laict de ses brebis,
Et qui de leur toison voit filer ses habis,
Qui plaint de ses vteux ans les peines langoureuses,
Où sa ieunesse a plaint les flames amoureuses;
Qui demeure chez luy comme en son élement,
Sans cognoistre Paris que de nom seulement,
Et qui bornant le monde aux bords de son domaine
Ne croit point d'autre mer que la Marne ou la Seine.
En cét heureux estat le plus beau de mes iours
Dessus les riues d'Oise ont commencé le cours.
Soit que prisse en main le soc ou la faucille,
Le labeur de mes bras nourrissoit ma famille;
Et lors que le Soleil en acheuant son tour
Finissoit mon tr auail en finissant le iour,
Ie trouuois mon foyer courouronné de marace,
A peine bien souuent y pouuois-ie auoir place,
L'vn gisoit au maillot, l'autre dans le berceau,
Ma femme en les baisant déuidoit son fuseau.
L'vn écalloit des noix, l'autre teill oit du chamvre,
Iamais l'oi siuet é n'entroit dedans ma chambre,
Aussi les Dieux alors benissoient ma maison,
Toutes sortes de biens me venoient à foison.
Mais helas! ce bon-heur fut de peu de durée,
Aussitost que ma femme eut sa vie expirée
Tous mes petits enfans la suiuirent de prés,
Et moy ie restay seul accablé de regrets,
De mesme qu'vn vieux tronc relique de l'orage,
Qui se voit dépoüillé de branches & d'ombrage.
Ma houlette en mes mains, inutile fardeau,
Ne regit maintenant ny cheure ny troupeau,
Vne seule brebis qui m'estoit demeurée
S'estant loin de ma veuë en ce bois égarée,
Y ietta son petit auec vntel effort,
Qu'en luy donnant la vie, il luy donna la mort.
Voyant tant d'accidens m'arriuer d'heure en heure,
Ie cherche a me loger en vne autre demeure,
Pour voir si ce malheur à ma fortune ioint,
En quittant mon païs ne me quitter a point.
Et siles champs où Marne à la Seine se croise
Me seront plus heureux que le riuage d'Oise.
CLEANTE.
Ne cherchez point ailleurs où vous mettre en repos,
Vous ne sçauriez trouuer vn leu plus à propos,
Pour rendre vostre vie en tous biens fortunée,
Nos fertilles cousteaux portent deux fois l'année,
Et les moindres épics qui dorent nos guerets
S'égalent en grandeur aux chesnes des forests.
Icy le bien sans peine abonde en nos familles,
Et nos champs vsent moins de socs que de faucilles.
Icy le doux zephir Roy de nostre Orison
Faict de toute l'année vne seule saison.
La Nimphe de la Marne, & le Dieu de la Seine,
Qui pour leur mariage ont choisi ceste plaine
Nous tesmoignent assez par leurs tours & retours
Le deplai sir qu' ils ont d'en éloigner leur cours.
L'impitoyable horreur des foudres de la guerre
A quittê par respect cette fertille terre;
La iustice & la paix y regnent à leur tour,
Nous n'y sommes bruslez que des flames d'amour.
Mais helas! de ce Dieu les flames & les charmes
Causent bien dans nos champs de plus grandes alarmes
Que ne faisoient jadis ces bataillons épars,
Que la rebellion semoit de toutes pars.
Encore à ce matin cette boüill ante rage
Animant d'Alcidor l'impetueux courage,
L'a fait ietter dans leau, d'où la force du vent
L'a remis à lariue aussi mort que viuant.
Le vieil ALCIDOR.
Et comment? Alcidor est-il encore en vie?
CLEANTE.
Vous le pourrez bien voir s'il vous en prend enuie,
Il épouse à ce soir cette aimable beauté,
Pour qui dedans la Seine il s'est precipité:
I'offre à vous y mener.
Le vieil ALCIDOR.
[Page 91]
Allons à la bonne heure,
Ie ne pouuois trouuer de fortune meilleure;
Le de sir de reuoir ce que i'ay tant aimé
Ranimeroit mon corps au cercueil enfermé.

ACTE CINQVIESME.
SCENE SECONDE.

SILENE. DAMOCLEE. CLORISE. ALCIDOR. ARTENICE. CRISANTE.

SILENE.
EN fin la destinée est à mes voeux propice,
Ma volonté s'accorde à celle d'Artenice,
En fin apres l'orage arriue le beau temps,
La fin de nos malheurs rend nos de sirs contens.
Ie jure qu'à present ie le suis autant qu' elle,
De ce qu' elle a choisi vn amant si fidele:
Allons donc mes enfans, allons tout de ce pas,
Nos voisins assemblez nous attendent là bas,
Et de sia dans le bourg toute la populace
Au son des violons s' assemble dans la place.
Mais qui cognoist celuy qui vient tout droit à nous?
ARTENICE.
Vous le pouuez cognoistre.
SILENE.
Ha! mon frere est-ce vous?
Ie n'auois pas osé vous prier de la feste,
Croyant que le malheur, qui vostre fille arreste
A souffrir dans le feu son iuste chastiment,
Toucheroit vostre coeur de quelque sentiment.
DAMOCLEE.
Mon frere mon amy, ie n'en suis plus en peine,
Dieu qui des innocens est la garde certaine,
A dé couuert la fraude, & m' a desabusé
Du crime que contr' elle on auoit supposé.
Ie vous viens faire part de l'exce ssiue ioye
Qu'apres tant de malheurs la fortune m'enuoye.
SILENE.
Qui vous a découuert cette méchanc eté?
DAMOCLEE.
Lucidas, de colere & d'amour transporté.
Quand il sceut qu' Acidor malgré son artifice
Espousoit à ce soir vostre fille Artenice,
Se trouble, se confond & parmy ses regrets
Larage ouurant la porte à ses pensers secrets,
Il rend sa calomnie à chacun apparente,
Il est iugé coupable, & ma fille innocente
Reçoit l'affection de son fidelle amant,
Qui lors voulut pour elle endurer le tourment.
CLORISE.
Quoy? cette ame endurcie en fin se laisse prendre
Aux obligatious du Berger Tisimandre?
Quoy? celle qui brauoit l'amour & son pouuoir
S'est donc renduë esclaue aux chaines du deuoir?
DAMOCLEE.
[Page 93]
C'est ce que i'en apprens d'vn messager fidele.
SILENE.
Ie ne pouuois sçauoir de meilleure nouuelle,
Nos coeurs n'ayent qu'vn but, & qu'vn mesme de sir,
Se font part de leur ioye & de leur déplaisir,
Et sembl [...]nt qu'en naissant la main des Destinées
Dans vne mesme trame ait ourdy nos années.
ALCIDOR.
Ala fin on cognoist auecque l'équité
Le tort que l'on faisoit à ma fidelité,
En fin, mon beau Soleil, malgré la médisance
Les plus beaux yeux du monde ont veu mon innocence,
L'amour est équitable, il le témoigne assez,
Ceux qui l'ont bien seruy sont bien recompensez.
ARTENICE.
Vostre foy, mon Berger, si long temps maintenuë
Auant son arriuée estoit assez cogneuë,
Ce que i' apprens de luy n' augmente nullement
Ny mon affection, ny mon contentement,
Rien ne peut augmenter les choses infinies.
SILENE.
En fin de toutes parts nos craintes sont bannies,
Ne perdons point de temps en discours superflus
Allons, mes chers enfans, il ne nous reste plus
Que d'accomplir les voeux de vostre mariage.
CRISANTE.
Ie crains bien qu'il ne soit de sinistre presage.
ARTENICE.
[Page 49]
Quel timide soupçon vous fait ainsi parler?
CRISANTE.
Ce que pour vostre bien ie ne dois point celer.
ARTENICE.
Dieu qui peut empécher ce que chacun desire;
CRISANTE.
Vous-mesme le sçauez si vous le voulez dire.
ARTENICE.
Ie n'entens point cela, si vous ne l'expliquez,
Ie croy que c'est vn songe, ou que vous vous mocquez.
CRISANTE.
C'est de vray l'vn des deux, ie ne m'en sçaurcis taire
Il faut pour nous seruir, quelquefois nous de plaire.
La grande Deïté fauorable aux mortels,
Qui les hommes bannit de ses chastes autels
S'est fait voir à mes yeux aussi belle que saincte,
Telle que nostre foy dans nos ames l'a peinte.
D'vne voix éclatante, & d'vn front irrité
Apres auoir reprins mon incredulité;
M'a dit ainsi qu'à vous, que i'eusse souuenance
De ne vous marier que par son ordonnance:
Son salutaire aduis ne fut pas entendu
Quand par sa propre bouche il vous fut deffendu
De ne prendre mary que dans vostre lignage,
Parce que vos mépris nous donne témoignage
Que vostre affection ne pouuoit approuuer
L'hymen que Lucidas s'efforçoit d'acheuer;
Ie creu que vous pensiez auec ses artifices
De vostre inimitié rendre les Dieux complices:
Mais ces dernieres nuicts sapresence & sa voix
M'ont osté tout à faict le doute que i'auois.
La vigne qui pendoit au dessus de sa teste,
Me la fist remarquer comme elle est à la feste,
Où comme elle estoit lors que ma deuotion
Confia vostre vie en saprotection;
Peut-estre preuoyant ce fatal Hymenée,
Sa faueur prend ce soin de vostre destinée:
Si donc vous en auez de vostre vtilité
Ne vous mariez point contre sa volonté.
SILENE.
C'est le meilleur aduis, quoy que vous puissez dire
Que de ne faire rien que ce qu'elle desire.
ARTENICE.
Que deuiendr ay-ie donc? chetiue que ie suis?
Que ne m'a ton permis de fiuir mes ennuis?
Dans ce paisible lieu, franc d'amour & d'euuie
Où ma bonne fortune auoit conduit ma vie?
ALCIDOR.
Quoy donc, chere beauté, nous fera-ton ce tort
De vouloir pour vn songe empécher nostre accord?
Pour vne vision, vne ombre, vne chimere,
Qui s'engendre au cerueau de vostre vieille mere
Veut-on récompenser mon seruice de vent?
CRISANTE.
Cecy n'est point l'effect d'vn songe deceuant,
Produict d'vn faux obiect, ou vapeur incognuë
Au debile cerueau d'vne vieille chenuë
Ma fille qui sçait bien quelle est la verité,
Ne m'accusera point de l'auoir inuenté.
CLORISE.
Berger ne croyez point que ce soit vne fable,
Ce que vous dit Crisante est chose veritable.
ALCIDOR.
Quelle presumption de croire que les Dieux
Qui la haut sont rauis en la gloire des Cieux,
Daignent penser en nous, qui ne sommes que terre;
Leur soing est d'éclairer ce que le Ciel enserre,
Regler le mouuement de tant d'astres diuers,
Separer les Estez d'auec ques les Hiuers;
Sauourer les douceurs dont leurs coupes sont plaines,
Et non pas s'umuser aux affaires humaines.
CLORISE.
Les Dieux ne'sont point tels comme vous les pensez,
Bien qu'à de plus grands soings ils s'occupent assez;
Toutes fois Alcidor leur sagesse profonde
Songe à tout ce qui vit sur la terre & dans l'onde:
Tous les iours leurs effects le font voir clairement,
Et c'est impieté de le croire autrement.
ALCIDOR.
S'ils pensent aux mortels ce n'est que pour me nuire.
CLORISE.
O Dieux! à quel Demon vous laissez vous seduire?
Ne parlez pas ainsi de la Diuinité,
Elle vous puniroit de vostre impieté.
ALCIDOR.
Quelle fasse de moy tout ce qu' elle desire,
Mon mal est en tel point qu'il ne peut estre pire:
Celle par qui ie perds l'espoir de me guerir,
Peut m'empécher de viure & non pas de mourir.
ARTENICE.
Gardez vous bien Berger d'auancer vos anées,
Ma vie & mon amour sont envous terminées.
Viuez pour Artenice.—
ALCIDOR:
—O quel commandement!
Faut-il donc que pour vous ie souffre inc essamment?
Ne vaudroit-il pas mieux qu'vne mort genereuse
Esteignist de mon coeur cette flame amoureuse,
Et bannist de vos yeux ce miserable amant
Qui ne sert qu'à troubler vostre contentement?
Bien, bien, ie viuray donc en quelque solitude,
Où vous n' aurez point part à mon inquietude.
Loing des bords de la Seine en ces lieux écartez,
Que les mers d'Occident baignent de trois costez,
Où pour nourrir le feu de nostre amour passée
Vostre object à iamais viura dans mapensée.
ARTENICE.
O Dieux! que deuiendray-ie apres tant de malheur
Quoy? vous me laissez donc en proye à la douleur,
Où trouueray-ie vn port en toutes ces tempestes,
Le Ciel est inflexible à toutes mes requestes.
CLORISE.
Tous ces pleurs & ces cris ne vous seruent derien,
Vous estes chere aux Dieux, ils le témoignent bien:
Ils faut esperer d'eux vostre bonne aduenture,
Le soin qu'ils ont de vous m'en donne bon augure.
ARTENICE.
D'où peut-elle venir?—
CLORISE.
De leurs fatales mains
D'où les biens & les maux arriuent aux humains.
ARTENICE.
Aussice n'est qu'en eux où mon espoir se fonde,
Il faut, il faut pour eux abandonner le monde,
Et chercher mon repos en seruant leurs autels,
Puis qu'on me le refuse auecque les mortels.
CLORISE.
Elle plaint à bon droit l'ennuy qui l'amenace,
Puis que le seul Berger qui restoit de sa race
Est auec Ydalie engagé par la foy.
DAMOCLEE.
Tisimandre se trompe il ne peut rien sans moy,
Ie ne permettray point que cela s' accomplice,
Ie le veux redonner à l'amour d'Artenice.
CLORISE.
Vostre bon naturel luy vient tout à propos,
Elle tiendra de vous l'espoir de sonrepos,
Pourueu que ce Berger y vueille condé cendre.
SIELENE.
Quand mesme il le voudroit, ie ny dois pas entendre,
C'est vne honnesteté que mon frere me fait.
CHRISANTE.
Il peut trouuer ailleurs des gendres à souhait,
Il n'a pas comme vous sa volonté bornée,
Aussibien Ydalie est ailleurs enclinée,
C'est plust ost par deuoir que ce n' est par amour,
Elle ne l'aimoit point auparauant le iour.
Ie sçay bien qu' en son coeur elle aimeroit mieux pre:
Alcidor pour mary, que non pas Tisimandre:
C'est pour quoy si mon frere en estoit consentant
Vn double Hymen rendroit tout le monde content.
DAMOCLEE.
Vous m' auez preuenu, ie vous le voulois dire,
Ce que vous desirez est ce que ie desire.
SILENE.
Que l'on s' enquere donc du vouloir d'Alcidor.
CLORISE.
Il ne peut mieux auo ir quand il serort tout d'or,
Ie m' enuay le chercher pour luy faire ouuerture
De l'heur inopiné que le sort luy procure.
ARTENICE.
Miserable Artenice où sera ton support,
Mes souspirs & mes pleurs sont-ils sans reconsort,
O Dieux qui disposez dela terre & de l'onde,
Arbitres absolus des fortunes du monde,
Vous dont les affligez implorent le secours,
Finissez mes ennuis ou finissez mes iours.
Faut-il tant de longueur en chose si legere
Il n'y va que du sort d'vne pauure Bergere.
Pour quoy m' ordonnez-vous iniustice des Cieux!
De borner mes desirs au sang de mes ayeux?
Voulez-vous l'imiter en choses sipetites
La puissance d'vn Dieu qui n'a point de limites?
Est-ce auec que raison que vous m' auez enioinct
De donner mon amour à qui ne la veut point?
Ce conseil me déplaist ie ne le sçaurcis suiure,
Pour le seul Alcidor ie veux mourir & viure.
C'est celuy dont mon coeur a fait élection,
Ie n'en veux consulter que mon affection.
Chanson d'ALCIDOR.
Noir séiour de l'horreur, tenébreuses valées
Que du monde & du iour nature à reculées,
Agreable repos des esprits languissants
Dans l'abisme d'enfer dont vous estes voisines
Les vengeances diuines
Ont elles rien d'égal aux peines que ie sens?
I' entens de sia la voix d'vn iuge inexorable,
Ie voy desia l'apprest du tourment per durable
Que pour les malheureux ont les Dieux estably:
Mais le diuin flambeau dont i' adore la flame
A fait que pour mon ame,
La mort est sans repos, & l'enfer sans oubly.

ACTE CINQVIESME.
SCENE TROISIESME.

CLORISE. ALCIDOR.

CLORISE.
IE perds en vain mes pas en ces rochers deserts,
Mes paroles en vain se perdent dans les airs,
Ie n'entens aucun bruit plus ce bois est paisible
Et plus sa solitude à mes sens est horrible:
Ces antres tenebreux ne sont point sans danger,
Ie ne voy dans ces champs ny troupeau ny Berger,
I'ay perdu mon chemin, ie ne trouue personne,
La frayeur me saisit, toute chose m'estonne:
Mes yeux de tous costez percent l'ombre des bois,
Les rochers les plus durs répondent à ma voix:
Et si ie ne voy rien, ny ne puis rien entendre,
Mes pas irresolus ne sçauent où se rendre:
Ie me confonds au choix de ses chemins diuers,
En cherchant Alcidor moy-mesme ie me perds.
Mais i' entends ce me semble vne voix desolée,
Que le vent me rapporte au long de la valée,
Seroit-ce point la sienne, il y faut aller voir.
ALCIDOR.
Qu'est-ce qui dans ce bois me peut apperceuoir;
I'entends quelqu'vn venir.
CLORISE.
[Page 102]
O bons Dieux! c'est luy mesme,
Le voila de son long tout pensif & tout blesme,
Berger quittez ces pleurs, ils sont hors de saison,
Desormais vos souspirs n' auront plus de raison,
Vostre contentement est en vostre puissance
La fortune vous offre vne bonne alliance,
Le pere est consentant, il ne tient plus qu' à vous
Ce sera vostre bien au iugement de tous;
Vous cognoissez la race & le nom d'Ydalie,
Et de quelle richesse sa maison est remplie.
ALCIDOR.
Puis que ie voy le sort m' estre si rigoureux
Il vaut mieux que tout seul ie viue malheureux,
Que de luy faire part des mauuaises fortunes
Qui depuis le berceau m'ont esté si communes.
CLORISE.
Quel suiect auez-vous de vous plaindre dusort.
ALCIDOR.
De ce qu'il ne me donne où la vie ou la mort.
CLORISE.
Voudriez vous par la mort finir vostre martyre?
ALCIDOR.
Ouy si ie suis priué du bien que ie desire.
CLORISE.
Qui vous fait desirer ce que le Ciel deffend?
ALCIDOR.
Le malheur d'estre esclaue au pouuoir d'vn enfant.
CLORISE.
[Page 103]
Aucun n'est prins d'amour s' il ne se laisse prendre.
ALCIDOR.
Mesmes les immortels ne s'en peuuent deffendre.
CLORISE.
La raison de ce mal est le contre-poison.
ALCIDOR.
De puis qu'il est extréme on n'a plus de raison.
CLORISE.
Le temps seul peut guerir cette chaude furie.
ALCIDOR.
Ny le temps ny la mort ne l'arendra guerie.
CLORISE.
Ne vous lassez-vous point de tant de maux soufferts.
ALCIDOR.
Mon coeur ne peut auoir de plus aimables fers.
CLORISE.
Il faut qu' vne autre flame en chasse la premiere.
ALCIDOR.
Rien ne peut du Soleil effacer la lumiere.
CLORISE.
Oubliez, oubliez, ces folles passions,
Donnez vn autre obiect à vos affections.
ALCIDOR.
Brisons-là ce discours, vostre entreprise est vaine,
Apres auoir aimé la fille de Silene
Ie ne puis moderer vn feu si vehement,
Si ce n'est par la mort ou par [...]éloignement,
Il faut pour la quitter que ie quitte la France.
CLORISE.
Helas que fera-t'elle en vostre longue abscence?
Elle qui ne respire & ne vit que pour vous.
ALCIDOR.
Elle esteindra sa flame aux bras d'vn autre époux,
Qui sera de sarace & de son voisinage.
CLORISE.
Pour le moins rendez-luy le dernier témoignage
De vostre affection.
ALCIDOR.
Ce la ne ferarien
Qu' augmenter à la fois son tourment & le mien.
CLORISE.
Alcidor croyez moy, voyoz cette Bergere
Souuent le bon-heur vient lors que moins on l'espere;
Le Ciel a soin de vous, les Dieux par leur bonté
Vous peuuent redonner ce qu' ils vous ont osté.
L'on a veu surmonter de plus facheux obstacle
Reuenez auec moy.
ALCIDOR.
Combien que sans miracle
Ie ne puisse esperer mon salut qu' au trépas,
Ie suiuray donc encor vostre aduis & vos pas.

ACTE CINQVIESME.
SCENE QVATRIESME

TISIMANDRE. YDALIE.

TISIMANDRE.
ALa fin ma rebelle a cogneu ma constance,
A la fin mes trauaux ont eu leur recompence,
A la fin i' ay fait tréue auec ques les malheurs,
L'amour dans son carquois me presente des fleurs,
A la fin ma Déesse est à mes voeux propice,
Comme les autres Dieux elle aime la iustice,
Et sçait recompenser le zele des mortels,
De qui la pieté reuere ses autels:
Allons mon beau Soleil, le deuoir nous conuie,
d'auoir l'aduis de ceux dont vous tenez la vie.
YDALIE.
Cela sera facile, il n' en faut point douter,
L'honneur de vous auoir n' est point à reietter.
TISIMANDRE.
Allons donc le chercher, ie croy que vostre pere
Est allé voir la nopce au logis de son frere.
Mais ne voyez-vous pas quelque gens amassez,
Qui de sia vers le bourg se sont fort aduancez?
Ne la seroit-ce point?
YDALIE.
Ils en ont l'aparence.
TISIMANDRE.
d'où leur pourroit venir vn si pronfond silence?
Ils n'ont ny violons, ny flutes, ny haubois,
Apeine seulement peut-on ouïr leur voix,
On n'oit point retentir des chansons d'Hymenée,
Qui les rend si pensifs en si bonne iournée?
Ils sçauancent vers nous, hastons-nous vistement,
Nous sçaurons le suiect de leur estonnement.

ACTE CINQVIESME.
SCENE CINQVIESME.

YDALIE. DAMOCLEE. TISIMANDRE. SILENE. CRISANTE. CLORISE. ARTENICE. ALCIDOR. CLEANTE. Le vieil ALCIDOR. LVCIDAS.

YDALIE.
VOila celuy mon pere, à qui ie dois la vie,
Si vous le trouuez bonle deuoir me conuie
De receuoir les voeux de son affection,
Et mettre ma franchise en sa protection
Dans les noeuds eternels d'amour & d'Hymenée.
DAMOCLEE.
Vous y venez troptard, ma parole est donnée.
TISIMANDRE.
Comment? est-il quelqu'vn enuieux de mon bien,
Qui me voulust rauir ce que i' ay rendu mien,
Que deuiendroit ma peine & ma perseuerance
Dont ie n' ay que sa foy pour toute recompence?
DAMOCLEE.
[Page 107]
Elle n'a point pouuoir de vous donner sa foy,
Puis que ie suis son pere elle dépend de moy:
Alcidor est celuy que ie veux pour mon gendre.
YDALIE.
Il est vray qu' autrefois i' eusse peu condécendre
Areceuoir l'amant que l'on m' offre auiourd'huy,
Mais n' estant plus à moy, ie ne suis plus à luy:
Ce Berger témoignant son amour excessiue
En me tirant des fers m'a rendu sa captiue.
DAMOCLEE.
Vous luy feriez grand tort de l'amuser à vous,
De la belle Artenice il doit estre l'espoux,
Le Ciel nous le commande, & chacun le souhaite.
ARTENICE.
Encor que l'on l'ait dit ce n'est pas chose faite,
Il faut auparauant cognoistre son amour,
Artenice n'est point la conqueste d'vn iour:
Quand ses voeux par cinq ans me l'auront témoignée,
Comme il a par cinq ans la mienne dédaignée▪
A l'heure ie verray si ie seray pour luy.
YDALIE.
D'où nous prouient ce trouble autheur de tant d'ennuy
Qui s'oppose au bon▪ heur où tout le monde aspire?
SILENE.
Lavolonté des Dieux qu' on ne peut contredire,
Qui deffend que ma fille épouse vn estranger,
Faites vn autre amant laissez moy ce Berger
Ie tiendr ay mon bon-heur de vostre courtoisie.
CRISANTE.
Vous ne iouïirez pas à vostre fantasie
Du desir d'vn Berger amoureux comme il est,
Ny du pouuoir d'vn Dieu qui fait ce qui luy plaist.
TISIMANDRE.
Ne pensez plus à moy puis qu'en ma propre terre
Les hommes & les Dieux me declarent la guerre,
Ie vois chercher ailleurs ou mon pis ou mon mieux.
ARTENICE.
Et moy dont le malheur est si contagieux.
A quoy me resoudray-ie, où ser a ma retraicte,
Toute chose s'oppose àce que ie souhaite.
N'eust-il pas valu mieux estre morte en naissant,
Et voir mon triste sort finir en commençant,
Que de le voir tousiours trauer ser tout le monde?
CRISANTE.
Certes ie ne sçay pas où nostre espoir se fonde,
Ie n'entends que souspirs, ie ne voy que malheurs.
DAMOCLEE.
Peut-estre qu' Alcidor mettra fin à nos pleurs:
Oyons ce qu'il dir a le voicy qu'il arriue.
ALCIDOR.
Puis qu' apres tant d▪ennuys le desespoir me priue
De l'aise & de l'honneur de viure auec que vous,
Puis que dans vn seiour si fertile & si doux
Ie ne puis asseurer le repos de ma vie,
Auant que vous quitter le deuoir nous conuie
De tesmoigner à tous que iusques au cercueil
Ie vous reste obligé de vostre bon accueil.
Vueille le tout puissant, à mes voeux fauorable
Vous payer les biens-faicts dont ie suis redeuable
Puissiez-vous voir sans fin en toutes les saisons
L'abondance & la paix regner en vos maisons.
Et vous chere beauté dont i'adore la flame
Puissiez vous a iamais belle ame de mon ame
Auoir autaut de biens & de contentements
Que vostre affection ma cousté de tourments.
Pour moy le seul espoir de mon inquietude
Est de passer ma vie en vne solitude,
Et cacher dans l'horreur de quelque antre secre [...]
Celuy sur qui le iour ne luist plus qu' à regret.
Adieu donc, belle Seine, adieu campagnes vertes,
Complices & témoins de mes peines souffertes.
CLORISE.
Est-ce làle suject qui vous a ramené
Voulez vous donc tousieurs demeurer obstiné.
Ny prieres ny pleurs n'ont-ils point de puissance?
Auez-vous resolu d'abandonner la France?
Où tout le monde a soin de vostre auancement?
ALCIDOR:
Y scauroy-ie trouuer aucun contentement;
Et voir tousiours l'obiect qui trauerse ma vie?
CLORISE.
Pour le moins Alcidor contentez nostre enuie,
De demeurer encore vne heure auecque nous.
ALCIDOR.
[Page 110]
Cela ne seruiroit qu' à vous affliger tous.
CRISANTE.
Au contraire, Alcidor, c' est de vostre presence
Que nos maux esperoient d'auoir leur allegeance.
ALCIDOR:
D'vn esprit accablé de mortelles douleurs
Qu'en pouuez-vous auoir que des cris & des pleurs.
ARTENICE.
Si iamais i' eu pouuoir dessus vostre courage
Rendez-m'en auiourd'huy le dernier témoignage,
Donnez moy seulement ce qui reste du iour.
ALCIDOR.
Ie ne puis resister au pouuoir de l'amour,
Il vous faut obeïr, ô ma chere Déesse,
Pour la derniere fois vous serez ma maistresse.
CRISANTE.
Ala fin nous l'aurons ce coeur de diamant
Aux l'armes d'Artenice à quelque sentiment.
Il nous faut essayer par vne amour plus forte
De luy faire changer celle qui le transporte.
Le vieil ALCIDOR.
En quel endroit mon fils, auez-vous tant esté?
Que fistes-vous alors que vous m'eustes quitté?
ALCIDOR.
Las! pardonnez, mon pere, à l'ennuy qui m' outrage,
Si i' offre à vostre abord vn si triste visage.
Le vieil ALCIDOR.
[Page 111]
Quand à moy desormais ie braue le malheur,
Laise de vous reuoir a finy ma douleur,
Quelque suiect de pleurs que le destin m'enuoye
Ie ne verseray plus que des larmes de ioye.
CLEANTE.
C'est à vostre vieillesse vn agreable apuy,
Que l'amitié d'vn fils vertueux comme luy,
De quel excez d'amour dont vous soyez capable,
Vous ne sçauriez l'aimer autant qn'il est aimable.
Le vieil ALCIDOR.
Ce n'est point monen fant, mon bon-heur l'a trouué
Et mon affection l'a tousiours éleué,
De puis que son berceau luy seruant de nacelle,
En le sauuant des flots le mist sous ma tutelle.
DAMOCLEE.
Comment se fist cela, quel sinistre destin
L'auoit mis en naissant siproche de sa fin?
Le vieil ALCIDOR.
Ie ne puis le sçauoir, les eaux d'Oise, & de Seine
Disputant ce butin, faisoient que de la plaine,
Ie ne peu mesme voir qui des deux l'emportoit,
Ie m'aprochay du bord, lors qu'encore il flotoit,
Où ses ieunes attraits me donnerent enuie
De le porter chez moy pour luy sauuer la vie,
Et ma femme dés lors qui l'aima comme sien,
Ne sçachant point son nom le fist nommer le mien.
DAMOCLEE.
[Page 112]
En quel temps fut cela?
Le vieil ALCIDOR.
Ce fut lors que la France
Se vit couuerte d'eau en si grande abondance,
Depuis ce iour fatal les moissons de Cerés
Ont par dix & neuf fois redoré nos guer ets.
DAMOCLEE.
Las ie per dis alors parla fureur de l'onde
Daphnis, qui ne faisoit que de venir au monde;
Ie pleure quand i'y pense, il m'en souuient tousiours,
Ce fleuue à gros boüillons débordant de son cours
Remplissoit de terreur les campagnes voisines,
Mes troupeaux effroyez gaignerent les colines,
Et le petit Daphnis encor dans le berceau
Demeur a dans ma loge à la mercy de l'eau,
Trois fois pour le sauuer ie me mis à la nage,
Mais vn torrenc rapide estoit dans mon passage,
Qui rauageant l'espoir des cousteaux les plus verts
Precipitoit son cours dans leurs flancs entrouuerts,
Couuroit les champs voisins de cailloux & d'arene
Et payant en grondant son tribut à la Seine,
Dans le milieu de leau les vagues m'offusquoient,
Lapeur me saisissoit, les forces me manquoient,
De ma temerite les ondes se couroussent,
Et malgré mes efforts par trois fois me repoussent.
La Seine cependant estant larges ses eaux
Pour rassembler en vntous les petits ruisseaux,
Ie regarde en pitié ma maison assiegée,
Soustenir les efforts d'vne vague enragée;
Et desia la fureur dont elle l'a battoit
Faisoit monter l'écume aussi haut que le toict;
En fin de toutes pars la tempeste boüill onne,
La charpente gemit, la muraille s' étonne,
L'vn s' éleue sur l'eau, l'autre fond au dessous,
Ie perds en ce malheur la parole & le poux,
Quand ie vis mon enfant dans le milieu des ondes,
Errer à la mercy des poudres vagabondes,
Tant que ie le peux voir ie le suiuis des yeux,
Et puis ie le remis en la garde des Dieux.
Ne seroit-ce point luy qui tient de vous la vie?
Recognoissez-le bien, chacun vous en conuie.
Quelle marque auoit-il, lors qu'ils fut abordé?
Le vieil ALCIDOR.
Voila son bracelet que i'ay tousiours gardé.
DAMOCLEE.
C'est celuy qu'il auoit, ô merueille du monde!
Mon enfant est sauué de la rage de l'onde,
Venerable vieillard, helas! que ferons-nous
Pour vous rendre le bien que l'on reçoit de vous?
SILENE.
A la fin tout le monde aura ce qu'il souhaite,
La volonté des Dieux est par vous satisfaite,
Ce Berger est celuy que la Déesse entend
Du bon-heur de mon frere vn chacun est content,
En luy donnant vn fils, vous me donnez vn gendre,
La Bergere Ydalie aura son Tisimandre,
Et ma fille celuy que par élection
Le destin reseruoit à son affection.
ALCIDOR.
Que ie luy dois d'autels du bon-heur qu'il m'enuoye.
ARTENICE.
Que de biens biens à la fois!
YDALIE.
Dieux! que i' en ay de ioye!
TISIMANDRE.
Vieillard de qui nos maux ont leur soulagement,
Dieu vous peut-il combler d'aucum contentement
Qui ne soit au dessous de ce qu' on vous desire?
ALCIDOR.
Aprestant faueurs! que vous sçaurois-ie dire?
A vous par qui ie suis comblé d'aise & d'honneur,
Et par qui le destin auec tant de bon-heur,
Pour la seconde fois me redonne la vie?
Dans l'exez des plaisirs dont mon ame est rauie
Ie ne penseray plus à mon tourment passé,
Que pour benir les Dieux qui l'ont recompensé.
SILENE.
Allons donc chers enfans souourer les delices
Dont l'amour satisfait vos fidelles seruices;
Et nous autres Vieillards amoureux durepos,
Allons vuider en rond les verres & les pots:
Le Ciel de toutes pars nous met en asseurance,
Il faut m [...]n frere encor apres cette alliance
Pour ioindre de nos coeurs l'étroite liaison,
Faire de nos maisons vne seule maison,
Nous y verrons vn iour nos gendres & nos filles
Dans vn mesme foyer éleuer leurs familles;
Et vous sage Veillard y viendrez auec nous▪
Prendre part au repos que nous tenons de vous.
ALCIDOR.
Dieux! que ie dois de graces aux bonnes destinées
Qui comblent de tant d'heur la fin de mes annés.
TISIMANDRE.
Mais pour quoy Lucidas vient-il si promptement?
Voudroit-il point encor par quel que enchantement
S'opposer aux douceurs du bon-heur où nous sommes?
LVCIDAS.
Belles qui possez la merueille des hommes
Et vous ieunes amants que i'ay tant trauersez,
Ne m' accusez pas seul de mes crimes passez,
Vous en voyez l'autheur dans les yeux d'Artenice.
DAMOCLEE.
Laissez-nous en repos esprit plain d'artifice,
Vous offencez encor ces deux couples d'amants
En retardant l'effect de leur contentements
La nuict viendre bien tost mettre fin à leurs peines,
Les ombres des coustaux s' alongent dans les plaines,
Desia de toutes pars les Laboureurs lassez
Trainent deuers les bourgs leurs coutres renuersez.
Les Bergers ont de sia leurs brebis ramenées
Le Soleil ne luit plus qu' au haut des cheminées,
Voicy le temps Berger qu'il se faut dépescher
De iouïr des plaisirs qui vous coustent si cher.
LVCIDAS.
Et moy seul resteray-ie en proye à la tristesse?
Passeray-ie sans fruict la fleur de ma ieunesse?
Que me seruent ses biens dont en toute saison
Le voisin enuieux voit combler ma maison.
Que me sert que mes bleds soient l'honneur des cāpagnes
Que les vins à ruisseaux me coulent des montagnes,
Ny que me sert de voir les meilleurs ménagers
Admirer mes jardins, mes parcs, & mes vergers,
Où les arbres plantez d'vne égale distance
Ne perissent iamais que dessous l'abondance,
Ce n'est point en cela qu'est le contentement:
Tout ce change icy bas de moment en moment,
Qui le pense trouuer aux richesses du monde
Bastit dessus le sable, ou graue dessus l'onde.
Ce n'est qu'vn peu de vent que l'heur dugenre humain,
Ce qu'on est auiourd'huy l'on ne l'est pas demain:
Rien n'est stable qu'au Ciel, le temps & la fortune
Regnent absolument au dessous de la Lune.
FIN.

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