DE L'ETAT PRESENT D'IRLANDE ET DES AVANTAGES Qu'y peuvent trouver les Protestans François: EN UNE LETTRE D'UN DES CHAPELAINS DE MONSEIGNEUR Le Duc d'Ormond VICEROI D'IRLANDE; A un de ses Amis en Angleterre,

IMPRIME A Dublin chez Benjamin Tooke et Jean Crooke, Imprimeurs du Roy, 1681▪

PAR COMMANDEMENT DE SON EXCELLENCE

Monsieur,

L'Amitié que je vous ay vouée ne me permet pas de me taire, qua [...] vous m'ordonnez de parler. Et puis que vous avez envie de sav [...] quel Païs c'est que l'Irlande, et de quelle maniere les Protestans [...] France, qui se sauvent de la Persecution, dont vous étes si heureusem [...] échapé, sont ici receus; il est juste de vous satisfaire: mais à cette c [...] dition que vous me permettrez de passer les bornes ordinaires de [...] lettres; pour vous donner seulement une idée generale des cho [...] que je ne pourrois vous déduire en détail, sans faire un volume [...] tier.

Je vous avouë, Monsieur, que je n'ay pas si tôt connu l'Irlande [...] j'ay été surpris de voir nos François courir les Mers, pour se cherc [...] des Etablissemens parmi les Indiens, et les Sauvages de l'Amériq [...] quand ils ont si prés d'eux un si bon Pais, où le Gouvernement e [...] excellent, et les Loix si douces; et où il est si facile de s'établir av [...] tageusement. Sur tout, depuis que la violente Persécution, que l'on [...] en France aux Protestans, les oblige à fuïr d'un lieu en l'autre, se [...] l'Ordre de leur Sauveur; je suis extrémement étonné d'en voir si [...] chercher des Retraites dans ce Royaume, qui est le plus proche de [...] qui sont les plus persecutez; où ils peuvent vivre dans une si gra [...]Liberté, et s'asseurer d'étre d'autant plus favorablement, receus, qu [...] y est sensiblement touché de leurs maux. Je dis si peu; puis qu'il [...] a encore qu'environ deux cens personnes, qui sont arrivées depuis [...] ou six semaines. Et je n'en puis attribuër la cause qu'à l'ignora [...] où ils sont, de la bonté de ce Païs, et des Avantages qu'ils y peu [...] trouver.

Je say bien que ce Païs passe pour sauvage et barbare; et je l'ay [...] tel aussi. Mais, Monsieur, il n'est pas si desert qu'on se le figure [...] quoy qu'il ne soit pas aussi peuplé qu'il seroit à souhaiter, il n'y a p [...] tant point de Terres, mémes les plus incultes, qui ne soient baillé [...] [...] ferme. Tellement qu'il n'y a point ici de Terres Inconnuës, ni de [...] velles Découvertes à faire. Cependant il est d'une étenduë si vast [...] [...] le Terroir en est si bon qu'il peut aisément recevoir, et maintenir [...] fois plus d'Habitans, qu'il n'y en a. C'est la seule chose qui y man [...] tant pour y établir toutes sortes de Manufactures, que pour y m [...] [Page 4]cultiver les Terres, qui demeurent en friche, ou faute d'Habitans, ou par l'extréme fainéantise des Naturels.

Ces Terres qui y sont à un bas prix, sont pourtant bonnes et fertiles; [...]es unes plus, les autres moins, comme en tout autre Païs; et elles [...]ont propres aux pâturages, et à toute sorte de labeur: le Païs étant [...]ort diversifié d'agreables Vallées, de Montagnes, de Bois, de Plaines, de Prairies, de Marêts, de Lacs, et de quantité de belles Rivieres; et [...]yant dans ses entrailles des Mines de Fer, et de Plomb; et des Car­ [...]ieres de Pierres propres à bâtir, et mémes de Marbre.

La Situation en est avantageuse, et tout à sait commode pour le Commerce: cette Isle ayant quantité de bons Ports pour les plus grands [...]aisseaux, plusieurs grandes Rivieres navigeables, et toutes les Mers [...]uvertes, tant pour le Nort, que pour l'Angleterre, la France, l'Espagne, [...] les Indes; comme il se peut voir par la Carte.

Le Climat en est si tempéré qu'il n'y fait jamais ni trop de Chaud, ni [...]op de Froid; et que le Bétail y est tonte l'année dans les Pâturages. [...]t en verité le Bétail, la Volaille, les Bêtes fauves, toute sorte de Gibier, [...] Poison de Mer, de Lac, et de Riviere; les Coquillages, et toutes les [...]oses nécessaires pour la Vie, y sont dans une abondance si merveil­ [...]use que l'on peut dire, non seulement dans un sens figuré; mais aussi ellement, et sans flaterie, que c'est ici une Terre découlante de Lait, [...] de Miel. Et si je vous marquois le prix de toutes ces choses, comme [...]es se vendent dans le Païs (à Dublin elles sont plus chéres, quoy­ [...]'elles y soient presque toûjours à un prix modéré); je m'asseure que [...]us en seriés tout surpris: et il fut le voir, pour le croire.

Dailleurs il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y ait que des Irlandois, et [...]on y vive parmi des Sauvages. Ce Païs (au dire de ceux qui le con­ [...]ssent de plus long-tems) est si changé depuis vint ans, et il change [...]ement tous les jours qu'on diroit que c'en est un autre. Et quoy qu'il [...]it, comme par tout ailleurs, des Gens rustres et des Brutaux; je ne [...] pas qu'on y soit moins civilisé qu'ailleurs. Il y a quantité d'Anglois, [...]'Ecossois; des Cantons, et des Villes mémes, où ils ne veulent point [...]frir d'Irlandois parmi eux. Et ces Irlandois, quoy que nombreux, [...]on en excepte quelques Personnes considérables par leur Qualité, ou [...] leur Bien; ne sont la plûpart que des misérables, qui vivent dans [...] lâcheté honteuse, et dans une paresse étrange.

Au reste. la Religion Protestante y a la Justice, le Pouvoir, et toute l'Authorité en main; soutenue d'une bonne Armée de dix mille hommes, répanduë dans tout le Païs en diverses Garnisons, et compsée de Soldats Protestans: Leurs Officiers, Ceux de Justice, et de Police, les Magistrats, et les Gouverneurs le sont aussi. Et je ne sâche point de Païs, ou l'on vive plus en repos, et plus à son aise.

Joignez à tout cela, Monsieur, la douceur des Loix, et l'excellence du Gouvernement sous lequel on vit ici sous le meilleur des Rois, qui qui ne se propose de gouverner que par des Loix si douces, et qui est d'autant plus parfaitement un de ces Dieux, et de ces Enfans du Sou­verain, dont parle l'Ecriture; qu'étant vrayment Monarque, il ne peut étre Tyran. Ajoûtez encore la véritable Liberté, et la Propriété de Bi­ens dont joüit ici le Sujet; sans étre exposé à se voir accablé de Taxes et d'Impôts, ou mangé de Gens de Guerre: Ceux cy ne logeant point chez le Bourgeois; mais seulement dans lieux Publics, comme les Ta­vernes, et les Cabarets à biere: Et n'y ayant pour tous Impôts et Taxes (je ne parle pas des Droits de la Doüane) que les Dixmes à la Cam­pagne, et les Taxes des Maisons dans les Villes, pour l'entretien des Ministres; et une petite Taxe pour le maintien des Pauvres de chaque Paroisse; Vint cinq sous par an dûs au Roy pour chaque Cheminée, et quelques sous pour chaque Acre de terre, sans autre Taille, ni Gabelle.

Si vous voulez connoître plus particulierement l'Irlande, soûfrez, Mon­sieur, que je vous renvoye à l'Histoire Naturelle d'Irlande traduite de l'Anglois de Gérard Boate. Car en voila, ce me semble, assez ici; pour vous faire avouër que ce Royaume peut bien étre aux Pauvres Persécu­tez une Retraite aisée, et un Asyle favorable contre les atteintes de l'op­pression: et vous en allez, sans doute, étre pleinement convaincu par la maniere, dont on les y reçoit.

Sa Majesté Britannique ayant fait publier en faveur desdits Pro­testans Sa Déclaration du 28 du mois d'Aoust dernier; par laquelle Elle les reçoit d'une façon si royale, si pieuse, et si charitable pour Ses Sujets, les traitte comme Ceux qui ont eu le bonheur de naître dans Ses Royaume, et leur ottroye plusieurs Priviléges et Immunittez [...] Monseigneur le Duc D'Ormond nôtre Viceroi, dont la Piété et le Zéle pour la Religion Protestante, la Bonté et la Générosité pour Ceux de la Nation Francoise sont si connuës, n'a pas manqué d'imiter [Page 6]un si Grand Exemple. Et comme l'etablissement de l'Eglise Françoise de Dublin est une preuve solide et parlante de son Excellente Charité, dont elle est l'Ouvrage: aussi puis je dire que les Asseurances de sa Protection, et les Encouragemens qu'il a fait donner de sa Part aux Pauvres oppressez, dans ce tems de Persecution, sont des argumens aussi sincéres que convainquans de la tendre compassion qu'il a pour eux. Car enfin, Monsieur, ces Asseurances n'ont pas été vaines, et elles sont maintenant suivies des effets réels de Ses charitables Soins.

A peine quelques Protestans François arriverent-ils en cette Ville, le 9. de Novembre dernier, que Son Excellence en fut informée par un de Ses Chapelains François, à qui elle commanda d'avoir grand soin d'eux, et de s'enquerir éxactement de leur état, et de leurs nécessitez: Et elle luy fit donner en méme tems une somme de ses propres Deniers, pour distribuër à Ceux qui en auroient le plus de besoin.

Son Excellence étant particulierement informée de leur nombre, et de leur condition; aussi bien que de la condition, et du nombre de Ceux qui arriverent le 10. du méme mois; et le Conseil d'Etat et Privé étant assemblé, et suivant avec ardeur et empressement les mouvemens de la Piété et du Zéle de Son Excellence; Il y fut résolu que tous les Conseillers d'Etat feroient sans delai une Contribution charitable pour le secours desdits Protestans. Et il fut aussi ordonné qu'une Lettre seroit incessamment écrite au Milord Maire de cette Ville; pour luy recom­mander le soin desdits Protestans, et de faire faire une Collecte da [...] toute la Ville par des Personnes de probité et d'honneur, et de la ma­niere que vous pouvez voir dans l'Imprimé que je vous en envoye. Où vous remarquerez aisément deux choses: L'une que le Conseil Privé a Subdélégué des Seigneurs dudit Conseil, avec quelques autres Personnes; pour considerer, éxaminer, et ordonner tout ce qui sera nécessaire tant pour l'Assistance, que pour l'Etablissement dedits Protestans; selon les [...]nformations qui leur en doivent étre données par des Personnes dépu­ [...]ées pour cela. L'autre chose est que le Milord Maire, et l'Assemblée de Ville ont accordé sans frais ni charges, la Franchise de cette Ville, et la Maitrise dans les Corps des Metiers aux Protestans, qui [...]ersécutez pour la Religion sont déja arrivez, ou qui viendront d'ici à [...]inq ans, pour s'établir en cette Ville; en leur ottroyant aussi durant [...]esdites cin (que) amées, exemtion de toutes les Taxes et subsides de Ville, [Page 7]que les Bourgeois sont, ou peuvent étre obligez de payer en consé­quence de leur Franchise.

Les Seigneurs Subdéleguéz s'étant assemblez, et ayant recommandé audit Milord Maire la Collecte dans toute la Ville, elle se fait, et avec succez: chacun contribuant volontairement pour une si bonne oeuvre. Et comme ils ont aussi trouvé à propos d'en faire faire Une Genérale par tout le Royaume, afin d'avoir un fonds suffisant, et prêt pour se­courir les Protestans, qui se réfugieront dans ce Païs, elle a été ordon­née par Monseigneur le Viceroi et le Conseil. Lesdits Seigneurs Sub­déleguez ont encore résolu plusieurs choses en faveur desdits Protestans; comme d'avoir une Maison toute prête, et fournie des choses nécessai­res pour leur Réception; afin qu'à leur arrivée ils ayent un Logis tout préparé, jusques à ce qu'ils soient autrement pourvûs, ou établis: et de prendre grand soin de leur Subsistance, et de leur Etablissement; soit en leur fournissant des Outils pour leur Travail ou Métier, soit en leur donnant une Assistance conforme à leur Condition. Et lesdits Seig­neurs s'assemblans pour ce sujet une fois la semaine, ne faut il pas avouër, Monsieur, qu'on ne se peut mieux prendre à encourager, et à secourir ces Pauvres Affligez.

Mais ce ne sont pas seulement les Seigneurs du Conseil, qui sont animez de ce bon zéle; Les autres Seigneurs le sont aussi: et pour ob­liger lesdits Protestans à s'établir dans leurs Terres, ils leur donnent plusieurs encouragemens, soit par les Gratifications, ou par les Avances qu'ils leur font. Il seroit peut▪estre trop ennuieux de vous les dire par le menu. Je dirai feulement que les Peuples, imitent en cela leurs Su­périeurs, et les Nobles: chacun s'empressant de prendre les Enfans desdits Protestans, pour leur apprendre quelque Métier, ou pour les employer à quelque autre chose, et leur faire du bien. Tellement que Ceux qui sont arrivez, et qui avoient besoin d'étre pourrûs, le sont déja pour la plus grande partie: et je m'asseure que le reste ne tardera guére à l'étre, de la fa on dont on s'y prend.

C'en est assez pour aujourd'huy, Monsieur; et je ne manquerai pas de vous mander ce qui se fera dans la suite de cette affaire, si vôtre curiosité le désire. J'ajoûterai seulement ces deux mots à l'égard du Droit de Naturalité, que je ne fais point de doute, dans la disposition charitable où sont les Esprits, qu'il ne soit accordé aux dits Protestans, [Page 8]à peu ou point de frais, par le prémier Parlement d'Irlande, ou d'An­gleterre. Et Monseigneur le Viceroi a déclaré qu'en attendant; Il leur ottroyera, autant que besoin sera, des Lettres Patentes de Franc Déni­zon, comme on les appelle; qui donnent, à peu prés, les mémes Li­bertés et Priviléges, dont joüissent les Naturels.

Adieu, Monsieur; souvenez-vous toûjours bien que je suis tres-sin­cérement,

Vôtre, &c.

This keyboarded and encoded edition of the work described above is co-owned by the institutions providing financial support to the Text Creation Partnership. Searching, reading, printing, or downloading EEBO-TCP texts is reserved for the authorized users of these project partner institutions. Permission must be granted for subsequent distribution, in print or electronically, of this EEBO-TCP Phase II text, in whole or in part.