Licensed, Tuesday, Jan. 22.
ROGER L'ESTRANGE.
LETTRE A SON ALTESSE Monseigneur le Duc DE MONMOUTH.
Par le Sieur DES-CHANTS.
A LA SAVOYE, Imprimée par Tho: Nieucomb, pour André Forrester dans King-street Westminster. M.DC.LXXVII.
A Son Altesse MONSEIGNEUR LE DUC DE MONMOUTH.
JE ne sçay si V. A. approuuera le Zéle, auec le quel je luy offre cet ouurage, puisque tout ce qui vient d'vne personne aussi peu considerable que moy doit estre indigne d'Elle. Neantmoins je me persuade que si Elle veut se donner la peine de jetter les yeux dessus, Elle demeureta d'acord que je ne pouuois pas me dispenser de le luy offrir, puisque je le tiens d'Elle, & qu'il luy doit retourner.
Les autres jetrent de la terreur dans les esprits, quelques personnes qu'ils puissent representer: mais celuy-cy me parût si charmant & si beau, que la crainte de perdre son idée, & d'estre priué de la plus agreable chose du monde me fit sans, perdre tems, recourir à la plume, pour en conseruer les traits. Voicy tout ce que ma plus grande application me fit remarquer de luy.
Son AIR n'auoit rien que de Grand, de Majestueux, & pourtant de Modeste. Je n'y reconus point cette affectation que beaucoup de gens étudient, pour faire baisser deuant soy les ye ux de quiconque les regarde, & pour arracher, pour ainsy dire, le respect de tout le monde. Tout y paressoit, [Page 3] libre, natured & non forcé aussy je ne me fis aucune violence pour luy rendre tous mes respects & tous mes hommages.
C'est ce qui me charma d'abord en luy, & ce qui me donna lieu d'apliquer ma veüe à le contempler auec atention.
Son ASPECT doux & graue, où j'apperceus vne affable Fierté, me fit aussi-tost juger qu'il sortoit d'vne race illustre & vertueuse, & qu'il faloit que le Dieu du Parnasse eust pris vn soin particulier pour son éducation.
Ce qui me surprit dauantage & ce qu'on auroit peine à croire,
Le tour de son VISAGE imitoit à peu prés celuy de la face du Soleil; & comme les ouurages les plus exquis qui sortent de la main de l'Auteur de la Nature ont tous la forme circulaire, je n'eus pas beaucoup de peine à conclure sur le champ, que ce qui saisoit lors le sujet de mes admirations pouvoit passer pour vne merveille du monde & pour vn chef-d'oeuure de l'Immortel.
Son FRONT me parût estre de ceux qui désignent vn grand Jugement & vne merveilleuse force d'esprit. Il sembloit que la Prudence y auoit empraint son charactere pour le remarquer entre tous ceux qui l'approchent.
Ses YEUX estoient de la couleur du Ciel, lors qu'il est riant & serain, autant qu'il le peut estre. Ils me fauoriserent d'vn regard si doux & si affable, que je m'imaginay ressentir les agreables influences d'vn Soleil de Printems, lors qu'il rend la vie & les beautez à la Nature que la rigueur de l'hyuer luy auoit à demy rauies. L'éclatante lumiere qui en sortoit n'estoit point confuse; car elle auoit autant d'issüe qu'il luy en faloît pour toute sa splendeur.
Sa BOUCHE me parût si rauissante que ma veüe ne suffisoit pas pour l'examiner.
Le Coloris de son TEIN, qui n'estoit nitrop brun, ni trop pasle, releué d'vn agreable vermillon effacoit celuy des plus belles fleurs qui soient en la Nature. J'auoüe que j'en fûs surpris & charmé tout à la fois; & pour me rendre raison de ce qui causoit ma surprise & me charmoit dans ce Diuin & vivant Phantosme, je me dis à moy-méme.
Sa TAILLE estoit grande, fine, & bien [Page 8] dégagée; Elle n'auoit rien de grossier ni d'élancé; mais tout ce qu'il faut pour estre parfaite,
A le voir marcher deux pas seulement je n'eus pas de peine à me persuader,
Enfin tout en luy me parût acheuè, & je crûs que la Nature épuisée en sa faueur auroit peine à produire vn autre qui luy ressemblast. Je ne pouuois me lasser de le voir & j'eusse passé toute ma vie à le considerer.
Tous mes sens estoient penetrez du plaisir quils ressentoient à le contempler. L'extréme joye les auoit rendus insensibles pour toutte autre chose, lors, Monseigneur, que ce rauissant objet disparût à l'approche d'vne personne qui me vint prendre pour aller rendre à V. A. ce que ses insignes vertus exigent de tout le monde.
Je ne puis celer que cette perte me fût trés sensible. Le plaisir que je me promettois de l'honneur de voir V. A. fût seul capable de me la rendre legere. Je ne me trompay pas dans ma pensée: car dés l'instant que j'eus l'auantage de l'enuisager, mon bonheur me vint ressaisir, & je découuris en elle la verite de ce qui [Page 10] m'auoit charmé par imagination. En effect, Monseigneur, je trouuay V. A. si Semblable à ce merueilleux Phantosme, dont mes sens auoient esté rauis à la faueur des tenebres du Someil, que je crûs voir en Elle l'Original, dont je n'auois veu que la copie.
Je fûs obligé, Monseigneur, de me retirer d'auprés V. A. & faisant reflexion sur cette agreable auanture, je trouuay qu'elle ne provenoit que de mon Imagination fortement préoccupée de vos rares qualitez & de vos inestimables perfections, dont on m'auoit fait recit quelque tems auparauant;
Je crûs aussi quil estoit de mon deuoir de tracer sur le papier cette prétieuse Image, aprés l'auoir emprainte dans mon coeur, tant pour pouuoir rendre à V. A. ce que je tiens d'Elle, que pour auoir lieu de luy offrir mon encens aux yeux de toute le monde, & de faire voir à toutte la Terre que je mets ma plus grande gloire à luy consacrer mes respects & mes voeux, estant auec vne extréme veneration,