ACTION DE GRACES (EN FORME DE MEDITATION) FAICTE A Dieu sur la vie redonnée à ses enfans par le benefice de la Paix.
L'Homme est miserable comme la misere mesme, consideré en la condition de sa vie subiecte à mille & mille rencontres toutes pleines d'amertume. Le plus grand contentement qu'il reçoit au monde n'est iamais entier, & la douceur de ses plus grands plaisirs bien souuent luy faict mal en le chatouillant. Ce qu'il demande pour le resiouir, luy donne de la tristesse, & d'ordinaire où il espere de trouuer le subiect de consolation, c'est là qu'il faict rencontre de mille douleurs. En vn mot, l'homme a plus de mal à plusieurs esgards luy seul, que tous les autres animaux ensemble. Mais pourtant il ne s'ensuit pas que simplement il faille faire mesme iugement de l'estat de tous hommes, qui distinguez & considerez en gros, peuuent estre [Page 8]distinguez en deux sortes. Les vns au milieu des biens n'ont que mal. Les autres au milieu des maux sont enuironnez de biens. Les premiers sont au monde & pour le monde: Les autres conuersent en terre, mais leur coeur & leur affection est au ciel. Les vns ne goustent & ne recognoissent point les graces decoulantes du ciel: les autres les sentent & les cherissent plus que leur vie. Les vns ne sçauent aucunement que c'est que l'Esprit de sanctification: les autres ont l'honneur & la grace de le porter & loger heureusement au dedans d'eux. Les vns ne prient point l'auteur de toute donation, sinon quand ilz n'en peuuent plus: les autres mettent tout leur solas & leurs delices en la priere faicte en tout temps. Les vns viuent en perpetuelle ingratitude: les autres s'occupent à recognoistre les benefices receus en tout le cours de leur vie. En quoy se voit vne merueilleuse difference, & principalement en ce dernier poinct faisant partie du seruice de Dieu. Me voici descendu en vn profond abysme, abysme des graces, des misericordes, & des benedictions de Dieu, lequel selon les richesses de ses gratuitez qu'il fait reposer sur nos testes, sans fin & sans cesse, nous donne matiere en receuant tous biens de sa main, luy en rendre [Page 9]actions de graces immortelles. Le fidelle est raui en admiratiō quand il pense à ces choses, & son esprit demeure comme fondu & hors de luymesme, soubleué & porté iusques au ciel, & à Dieu qui le reçoit & vnit à soymesme. Les pensées de l'esprit de l'homme, alors n'ont rien moins que les qualitéz de l'homme. Les saincts eslans de l'ame viuifiée & sanctifiée l'a portent à la grace du ciel, pource que la grace d'enhaut s'est fait gouster & sauourer extraordinairement à elle. O Dieu, quelle douceur que la douceur des consolations de ton Esprit, parlant à nous & nous faisant parler à toy, nous conduisant, nous benissant, conseillant, consolant & deliurant à tout propos, & par miracle & par le ministere des Anges. Celuy qui est marqué de la marque des enfans de Dieu, ayant le seau de la foy planté dans son coeur par son Esprit parmy les difficultez, amertumes, & fascheux accidens de la vie humaine, recognoist, touche, sent la vertu, le pouuoir & efficace de la verité, & de la certitude des deliutances & assistances qu'il octroye à ses enfans. Et apres ce sentiment ces enfans ainsi fauorisés & deliuréz annoncent ses louanges, & rendent actions de graces immortelles à l'Immortel. C'est à quoy l'Eglise de Dieu est appellée maintenant [Page 10]pour la deliurance à elle donnée par la misericorde du Toutpuissant, qui a faict merueilles en nos iours en rachettant Israel de tribulation. O Eternel qui prends plaisir à l'exaltation de ton grand Nom, fay nous la grace, & nous donne de le pouuoir exalter & magnifier selō ta bonne volonté. Cō bien grande est ta misericorde, ta bonté, ta pitié! combien grandes sont les compassions desquelles tu as vsé enuers nous! Nous qui auions merité non seulemēt d'estre chastiez, mais aussi exterminez du milieu des hommes, qui nous sommes monstrez ingrats & ennemis de nostre propre salut, qui auons faict combattre nos voeus contre nos voeus mesmes, qui auons veu tout desreiglé, tout desbordé, point d'honneur, point de vertu, la foy sans ses qualitez, la perfidie auec les siennes, le vice auec sa suite, vn monde de maux au monde, le discours de la raison noyé dedans son contraire, l'iniustice du temps meschamment destruisant la iustice mesme, l'impudente temerité faisant trophée de sa folie, les inuentions dont la memoire doit estre exterminée reuiuantes, parmi le conseil de l'amitié les inimities glisséez & exercéez cruellement, l'hypocrisie redoublée pour le dommage de ceux qui viuent en innocence, le seruice de Dieu [Page 11]foulé aux pieds, les remonstrances des bons Euesques & excellens Pasteurs tiréez malheureusement en subiect de risée. Brief, tout reduict à l'extremité d'vn horreur & mal espouuantable en soy & en toutes ses circonstances.
Et neantmoins Seigneur, nonobstant tant d'ingratitudes dont nous sommes tachez, tant de desordres, tant d'iniquitéz & forfaicts, tu as fait luire sur nous ta face en ioye & en salut. Tu t'es leué pour relleuer pour sauuer les tiens. Il t'a pleu regarder la desolation de Sion: Tu as entēdu les pleurs, les cris & les gemissemens des affligez. Grand Dieu, à ceste nouuelle les humains demeurent saisis d'estonnement, de ioye, & d'vne liesse incroyable. Pere misericordieux tu as couuert l'imperfection qui s'est trouuée en nos iusnes particuliers, & en nos iusnes generaux, de la perfection de ton Filz Iesus: & ainsi Seigneur & bon Pere, tu as eu agreable nostre humiliation.
Benit soit à iamais ton Nom glorieux. A toy Seigneur seul soit l'honneur de tes graces. A toy Seigneur seul soit l'honneur de tes oeuures miraculeuses. Fay Seigneur, s'il te plaist, que ceste deliurance, ceste paix accordée à ton Eglise, soit à iamais grauée dedans nos souuenances, pour t'en tendre [Page 12]actions de graces eternelles, pour te seruir ainsi que nous deuons, & mieux qu'auparauant, pour paroistre & veritablement estre consacrez à ton obeissance, dediez à ton sainct seruice, & vouez auec zele, affection, & ardeur grande, à l'execution de tous tes commandemens.
Et te rendant graces ô nostre grand Dieu, nous te demandons vne autre grace, Qu'il te plaise ne permettre que iamais nous attribuions la cause de nostre deliurance à autre bras qu'au tien, puis que toy seul es la cause de nostre deliurance, deliurance inesperée, & par consequent plus douce, plus admirable, plus cherissable mille fois. Pere sainct, quand la vision n'est plus, quand ta parole & la predication d'icelle cesse, quand les Oracles manquent, tout va à rebours, la confusion seule a le dessus, & ne voit on autte chose qu'vne Iliade de maux. Quand ceste nourriture, ceste manne & pasture celeste est desniée, les facultez de l'homme interieur tombent en atrophie & finalement succombent. Mais aussi quand tout cela reuient par le benefice de la Paix donnée de Dieu à son Eglise, c'est vne lumiere, vne pasture nompareille, pasture viuifiante, & qui plus est, la vie, laquelle tu nous as redonnée asin d'inuoquer ron Nom. Qu'à [Page 13]iamais nous l'inuoquions auec la foy de tes enfans, te prions sans cesse viuans & mourans contens en vn tel exercice dont les effects dressent nos actions à viser constamment au but de ta gloire, qui est la fin de nostre naissance. Te priant & t'inuoquant comme nous deuons, nous recognoistrons & confesserons nostre misere, nous implorerons ta misericorde, nous obtiendrons tes benefices, & te rendant actions de graces pour iceux, nostre recognoissance saicte selon ton commandement sera vn tiltre de nouuelles graces qu'a l'aduenir nous receurons. Que ton Esprit donc forme nos demandes, & qu'ainsi Pere celeste tu nous donnes ce que luy mesmes t'aura demandé pour nous. Eternel donne nous s'il te plaist de faire plus d'estat de la predication de ta parole que nous n'auons fait ci deuāt, de rechercher tous moyens de l'entendre plus souuent, de profiter paricelle, d'aller de foy en foy, de pieté en pieté, de cognoissance en cognoissance, de charité en charité. Octroye nous ce bien, que tout le reste de nos iours nostre plus ardent desir soit d'auoir ta Loy proposée deuant les yeux, & d'apprendre ta sagesse, cognoissant ta volonté, & embrassant ta verité. Quelque chose qui arriue, que iamais nous ne murmurions, [Page 14]mais nous tenions sans mot dire adorans tes iugemens. Que la foy, l'esperance & la charité soyent en nous nourries, fomentéez, illustréez de la vertu de patience, qui demeurant en nous immortelle, les portes toutes à l'immortaliré. Ainsi faisant & estant nouueaux hommes & nouuelles creatures, ta grace accompagnera nos actions, ta beneficence sera proche de nous, & ta saincte benediction demeurera à iamais dedans nos maisons. Derechef, Seigneur nous benissons ton sainct Nom, nos ames te louent, te glorifient, & t'offrons nos ames mesmes en sacrifice, desirāt nous qui sommes temples de ta gloire, n'estre & ne faire iamais vn sepulchre de ta bonté. O Dieu fay que ceste deliurance demeure registrée és monumens publicqs de ton Eglise, tout ainsi que les heureux iours de nostre sacré Baptesme. Tu as ouy la voix de nos supplications, ta iustice a frappé les vns, ta pitié a appellé les autres. Fay Seigneur que la priere qui t'a appellé à nostre secours, ne cesse point apres qu'il est venu, que la priere qui a demandé ta grace continue encores apres l'auoir obtenue. Que nos prieres qui ont fait monter nos coeurs à toy en l'aduersité, soyent encores organes de salut en la prosperité, de sorte que nos coeurs [Page 15]& nos corps dediez à toy, comme tu es Pere de l'vn & de l'autre, nostre conuersation d'ici bas ait quelque chose de celeste, & suiuiōs la saincteté, sans laquelle nul ne te verra iamais, afin qu'apres auoir paracheué heureusement nostre course, & nous estans esiouis en ton salut d'vne liesse & ioye spirituelle pour la paix de Ierusalem, finalement Pere de grace & de bonté appellez à la participation de tes graces au ciel, iouissions d'vne paix, ioye, & liesse surmontans toute cognoissance & toute autre ioye, en la cō pagnie des milliers d'Anges, pour te louer & glorifier auec eux eternellement. Amen.