ACTION DE GRACES (EN FORME DE MEDITATION) FAI­cte à Dieu sur la vie redonnée àses enfans par le benefice de la Paix.

A Messieurs Marius& Aurelius les tres­honoréz Pasteurs de l'Eglise Françoise recueillie à Londres.

Par le Sieur du Pin Docteur és Droicts & Ad­uocat au Parlement de Paris.

‘ANCHORA SPEI’

A LONDRES, Imprimé par Richard Field demeu­rant à la rue de VVood-street. 1622.

A MESSIEVRS, MESSIEVRS LES PA­STEVRS DE L'EGLISE Françoise recueillie à Londres.

MESSIEVRS,

Ce qui vient de vous, retourne à vous. L'excellence de vos pre­dications (comme aussi celles de quelques Pasteurs douéz de graces non vulgaires retiréz ici) auquelles Dieu m'a faict la grace de me rendre assidu pendant mon seiour en cest heureux Royaume, & les textes sacréz par vous interpretéz pied à pied auec les ornemens requis, & application continuelle & pleinemēt faicte, ont porté mon Ame & l'inclination d'icelle où desia elle estois pencheante, c'est assauoir à la meditation à la­quelle mon esprit s'est attaché, pour penser plus aux choses diuines qu'aux humaines. Et est arriué qu'au lieu de deffendre la cause des hō ­mes, comme i'ay faict depuis vingt ans & plus au premier Senat de France, i'ay pris vn plai­sir indicible à vous entendre plaider la cause de Dieu, au lieu de vacquer à bexercicè & [Page 4]fonc̄tiō de donner aduis & conseilà ceux qui le demandent, pour remedier aux fluxions & hu­meurs d'vn proces souuentesfois importun, ma delectation a esté d'apprēdre de vos bouches les preceptes de santé spirituelle, au lieu de cōmu­uiquer auec les hommes pour affaires humains, ie me suis entretenu au doux contentement que reçoiuent les esprits par lans auec Dieu, & se representans iournellement la grandeur de ses benefices inestimables par la naissance & re­naissance de l'homme. D'ailleurs outre plu­sieurs remerciemens faicts à Dieu en vos di­uerses predications incontinant apres la nou­uelle de paix, vous ayant pris & ordonné ce iour extraordinaire & solemnel pour sacrifice d'actions de graces au Toutpuissant de son don miraculeux, ie me suis trouué en l'Eglise, ou suiuant de coeur, volonté, affection, attention & intention ces deux cloquens Ambassadeurs du Filz de Dieu, auquels la chaire a esté pre­sentée pour le glorifier, en le remerciant par leurs predications diuines & prieres arden­tes, aussi tost & ausortir du Temple, est née cest Action de graces qui de droict retourne à vous, considerant que plusieurs qui eussent peu mieux faire que moy, en donnant au iour les tesmoignages de nostre recognoissance deue enuers le ciel, & particulierement vous autres Messieurs n'auez le loisir distraicts & empe­schéz [Page 5]par vos predications frequentes & au­tres saincts exercices qui en dependent. Ainsi est aduenu que comme on se noircit au Soleil sans y penser, aussi entendant tant de belles predications & sainctes meditations, ceste miennepetite s'est formée en vn instant, & l'effect d'icelle remonte à sa cause & à son ori­gine. Ie vous supplie treshumblement le pren­dre en bon part, & comme ie suis obligé de che­rir toute ma vie l'honneur & la faueur de vo­stre cognoissance, & benir les heures esquelles i'ay veu & entendu personnages si excellens en doctrine & pieté, en vous entendant & voy­ant, aussi ie vous supplie me croire sans fin, de coeur, d'ame, & d'affection entierement vo­stre. Et sur ceste verité ie prieray Dieu nostre Pere, auquel vous seruéz en son Eglise.

Messieurs, Benir de plus en plus l'allai­gresse par vous apporteé en l'exercice heureux & glorieux de vostre sainct Ministere, vous fortifier contre toutes difficultéz qui l'accom­pagnent, vous donner de surmonter les empe­schemens qui s'y rencontrent, & tousiours auec la continuation à'vne longue & heureuse vie en bonne & ferme santé vous faire sentir a­bondamment les consolations de son Esprit par nostre Seigneur Iesus.

Vostre treshumble & tres­affectionné seruiteur, I. de Grauelle.

ACTION DE GRA­CES (EN FORME DE MEDITATION) FAICTE A Dieu sur la vie redonnée à ses enfans par le benefice de la Paix.

L'Homme est miserable com­me la misere mesme, conside­ré en la condition de sa vie subiecte à mille & mille ren­contres toutes pleines d'amer­tume. Le plus grand contentement qu'il reçoit au monde n'est iamais entier, & la douceur de ses plus grands plaisirs bien sou­uent luy faict mal en le chatouillant. Ce qu'il demande pour le resiouir, luy donne de la tristesse, & d'ordinaire où il espere de trouuer le subiect de consolation, c'est là qu'il faict rencontre de mille douleurs. En vn mot, l'homme a plus de mal à plusieurs esgards luy seul, que tous les autres ani­maux ensemble. Mais pourtant il ne s'ensuit pas que simplement il faille faire mesme iu­gement de l'estat de tous hommes, qui di­stinguez & considerez en gros, peuuent e­stre [Page 8]distinguez en deux sortes. Les vns au milieu des biens n'ont que mal. Les autres au milieu des maux sont enuironnez de biens. Les premiers sont au monde & pour le monde: Les autres conuersent en terre, mais leur coeur & leur affection est au ciel. Les vns ne goustent & ne recognoissent point les graces decoulantes du ciel: les au­tres les sentent & les cherissent plus que leur vie. Les vns ne sçauent aucunement que c'est que l'Esprit de sanctification: les autres ont l'honneur & la grace de le porter & loger heureusement au dedans d'eux. Les vns ne prient point l'auteur de toute dona­tion, sinon quand ilz n'en peuuent plus: les autres mettent tout leur solas & leurs deli­ces en la priere faicte en tout temps. Les vns viuent en perpetuelle ingratitude: les autres s'occupent à recognoistre les benefi­ces receus en tout le cours de leur vie. En quoy se voit vne merueilleuse difference, & principalement en ce dernier poinct faisant partie du seruice de Dieu. Me voici descen­du en vn profond abysme, abysme des gra­ces, des misericordes, & des benedictions de Dieu, lequel selon les richesses de ses gratuitez qu'il fait reposer sur nos testes, sans fin & sans cesse, nous donne matiere en re­ceuant tous biens de sa main, luy en rendre [Page 9]actions de graces immortelles. Le fidelle est raui en admiratiō quand il pense à ces cho­ses, & son esprit demeure comme fondu & hors de luymesme, soubleué & porté ius­ques au ciel, & à Dieu qui le reçoit & vnit à soymesme. Les pensées de l'esprit de l'hom­me, alors n'ont rien moins que les qualitéz de l'homme. Les saincts eslans de l'ame vi­uifiée & sanctifiée l'a portent à la grace du ciel, pource que la grace d'enhaut s'est fait gouster & sauourer extraordinairement à elle. O Dieu, quelle douceur que la dou­ceur des consolations de ton Esprit, par­lant à nous & nous faisant parler à toy, nous conduisant, nous benissant, conseillant, con­solant & deliurant à tout propos, & par mi­racle & par le ministere des Anges. Celuy qui est marqué de la marque des enfans de Dieu, ayant le seau de la foy planté dans son coeur par son Esprit parmy les difficul­tez, amertumes, & fascheux accidens de la vie humaine, recognoist, touche, sent la vertu, le pouuoir & efficace de la verité, & de la certitude des deliutances & assistances qu'il octroye à ses enfans. Et apres ce senti­ment ces enfans ainsi fauorisés & deliuréz annoncent ses louanges, & rendent actions de graces immortelles à l'Immortel. C'est à quoy l'Eglise de Dieu est appellée main­tenant [Page 10]pour la deliurance à elle donnée par la misericorde du Toutpuissant, qui a faict merueilles en nos iours en rachettant Israel de tribulation. O Eternel qui prends plaisir à l'exaltation de ton grand Nom, fay nous la grace, & nous donne de le pouuoir exal­ter & magnifier selō ta bonne volonté. Cō ­bien grande est ta misericorde, ta bonté, ta pitié! combien grandes sont les compas­sions desquelles tu as vsé enuers nous! Nous qui auions merité non seulemēt d'estre cha­stiez, mais aussi exterminez du milieu des hommes, qui nous sommes monstrez in­grats & ennemis de nostre propre salut, qui auons faict combattre nos voeus contre nos voeus mesmes, qui auons veu tout desrei­glé, tout desbordé, point d'honneur, point de vertu, la foy sans ses qualitez, la perfidie auec les siennes, le vice auec sa suite, vn monde de maux au monde, le discours de la raison noyé dedans son contraire, l'in­iustice du temps meschamment destruisant la iustice mesme, l'impudente temerité fai­sant trophée de sa folie, les inuentions dont la memoire doit estre exterminée reuiuan­tes, parmi le conseil de l'amitié les inimities glisséez & exercéez cruellement, l'hypocri­sie redoublée pour le dommage de ceux qui viuent en innocence, le seruice de Dieu [Page 11]foulé aux pieds, les remonstrances des bons Euesques & excellens Pasteurs tiréez mal­heureusement en subiect de risée. Brief, tout reduict à l'extremité d'vn horreur & mal espouuantable en soy & en toutes ses cir­constances.

Et neantmoins Seigneur, nonobstant tant d'ingratitudes dont nous sommes ta­chez, tant de desordres, tant d'iniquitéz & forfaicts, tu as fait luire sur nous ta face en ioye & en salut. Tu t'es leué pour relleuer pour sauuer les tiens. Il t'a pleu regarder la desolation de Sion: Tu as entēdu les pleurs, les cris & les gemissemens des affligez. Grand Dieu, à ceste nouuelle les humains demeurent saisis d'estonnement, de ioye, & d'vne liesse incroyable. Pere misericordieux tu as couuert l'imperfection qui s'est trou­uée en nos iusnes particuliers, & en nos ius­nes generaux, de la perfection de ton Filz Iesus: & ainsi Seigneur & bon Pere, tu as eu agreable nostre humiliation.

Benit soit à iamais ton Nom glorieux. A toy Seigneur seul soit l'honneur de tes gra­ces. A toy Seigneur seul soit l'honneur de tes oeuures miraculeuses. Fay Seigneur, s'il te plaist, que ceste deliurance, ceste paix ac­cordée à ton Eglise, soit à iamais grauée de­dans nos souuenances, pour t'en tendre [Page 12]actions de graces eternelles, pour te seruir ainsi que nous deuons, & mieux qu'aupara­uant, pour paroistre & veritablement estre consacrez à ton obeissance, dediez à ton sainct seruice, & vouez auec zele, affection, & ardeur grande, à l'execution de tous tes commandemens.

Et te rendant graces ô nostre grand Dieu, nous te demandons vne autre grace, Qu'il te plaise ne permettre que iamais nous at­tribuions la cause de nostre deliurance à autre bras qu'au tien, puis que toy seul es la cause de nostre deliurance, deliurance ine­sperée, & par consequent plus douce, plus admirable, plus cherissable mille fois. Pere sainct, quand la vision n'est plus, quand ta parole & la predication d'icelle cesse, quand les Oracles manquent, tout va à rebours, la confusion seule a le dessus, & ne voit on au­tte chose qu'vne Iliade de maux. Quand ce­ste nourriture, ceste manne & pasture cele­ste est desniée, les facultez de l'homme in­terieur tombent en atrophie & finalement succombent. Mais aussi quand tout cela re­uient par le benefice de la Paix donnée de Dieu à son Eglise, c'est vne lumiere, vne pasture nompareille, pasture viuifiante, & qui plus est, la vie, laquelle tu nous as re­donnée asin d'inuoquer ron Nom. Qu'à [Page 13]iamais nous l'inuoquions auec la foy de tes enfans, te prions sans cesse viuans & mou­rans contens en vn tel exercice dont les ef­fects dressent nos actions à viser constam­ment au but de ta gloire, qui est la fin de nostre naissance. Te priant & t'inuoquant comme nous deuons, nous recognoistrons & confesserons nostre misere, nous implo­rerons ta misericorde, nous obtiendrons tes benefices, & te rendant actions de graces pour iceux, nostre recognoissance saicte se­lon ton commandement sera vn tiltre de nouuelles graces qu'a l'aduenir nous rece­urons. Que ton Esprit donc forme nos de­mandes, & qu'ainsi Pere celeste tu nous donnes ce que luy mesmes t'aura deman­dé pour nous. Eternel donne nous s'il te plaist de faire plus d'estat de la predication de ta parole que nous n'auons fait ci deuāt, de rechercher tous moyens de l'entendre plus souuent, de profiter paricelle, d'aller de foy en foy, de pieté en pieté, de cognois­sance en cognoissance, de charité en chari­té. Octroye nous ce bien, que tout le reste de nos iours nostre plus ardent desir soit d'auoir ta Loy proposée deuant les yeux, & d'apprendre ta sagesse, cognoissant ta vo­lonté, & embrassant ta verité. Quelque cho­se qui arriue, que iamais nous ne murmu­rions, [Page 14]mais nous tenions sans mot dire ado­rans tes iugemens. Que la foy, l'esperance & la charité soyent en nous nourries, fo­mentéez, illustréez de la vertu de patience, qui demeurant en nous immortelle, les por­tes toutes à l'immortaliré. Ainsi faisant & estant nouueaux hommes & nouuelles creatures, ta grace accompagnera nos a­ctions, ta beneficence sera proche de nous, & ta saincte benediction demeurera à ia­mais dedans nos maisons. Derechef, Sei­gneur nous benissons ton sainct Nom, nos ames te louent, te glorifient, & t'offrons nos ames mesmes en sacrifice, desirāt nous qui sommes temples de ta gloire, n'estre & ne faire iamais vn sepulchre de ta bonté. O Dieu fay que ceste deliurance demeure re­gistrée és monumens publicqs de ton E­glise, tout ainsi que les heureux iours de nostre sacré Baptesme. Tu as ouy la voix de nos supplications, ta iustice a frappé les vns, ta pitié a appellé les autres. Fay Sei­gneur que la priere qui t'a appellé à nostre secours, ne cesse point apres qu'il est venu, que la priere qui a demandé ta grace conti­nue encores apres l'auoir obtenue. Que nos prieres qui ont fait monter nos coeurs à toy en l'aduersité, soyent encores organes de sa­lut en la prosperité, de sorte que nos coeurs [Page 15]& nos corps dediez à toy, comme tu es Pe­re de l'vn & de l'autre, nostre conuersation d'ici bas ait quelque chose de celeste, & sui­uiōs la saincteté, sans laquelle nul ne te ver­ra iamais, afin qu'apres auoir paracheué heureusement nostre course, & nous estans esiouis en ton salut d'vne liesse & ioye spiri­tuelle pour la paix de Ierusalem, finalement Pere de grace & de bonté appellez à la par­ticipation de tes graces au ciel, iouissions d'vne paix, ioye, & liesse surmontans toute cognoissance & toute autre ioye, en la cō ­pagnie des milliers d'Anges, pour te louer & glorifier auec eux e­ternellement. Amen.

‘Maior egit Deus.’ [...].’

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