Oraison Funebre De tres Haute & tres Puissante Princesse MARIE, Reine d'Angleterre, d'Ecosse, de France, & d'Irlande.
Prononcée le jour de ses Funerailles PAR Monseigneur l'Archevêque de Canterbury.
Traduite en François par L. D.
A LONDRES, Se vend chez la Veufue Maret & Henry Ribotteau Marchands Libraires, dans Salisbury-Exchange dans le Strand. 1695.
Oraison Funebre. OU SERMON.
Au jour du bien use du bien, & au jour d'Adversité prens y garde. Aussi le Seigneur a fait l'un a l'opposite de l'autre.
LA Prosperité qui émouvant les passions, les fait paroitre au dehors & excite la joye, n'est nullement un sujet propre pour vous entretenir dans cette Maison de deuil; Mais l'Adversité qui fait rentrer l'Ame en elle meme & luy fait faire des reflexions, sera sans doute une matiere plus convenable à la céremonie qui nous assemble ici aujourd'huy. Nous croyons donc qu'en ce jour de calamité, quattre choses sont tres dignes d'étre considerées. I. La grandeur de nôtre perte. II. La principalle cause de cette perte. III. Les divers avantages dont Dieu a assaisonné l'amertume de cette affliction, afin de la rendre plus supportable. IIII. Ce qu'il faut que nous fassions enluite, afinque nôtre douleur ayant produit son effect, nous puissons moissonner en joye, apres avoir semé en pleurs.
Nous examinerons en premier lieu, la grandeur de nôtre perte, qui paroitra par l'excellence de la Personne que Dieu nous a enlevée, & par les circonstances du tems, qui ont rendu cette perte beaucoup plus sensible.
Le grandur de nôtre perte vient de l'excellence de la Personne que Dieu nous a ravie, par un effect de sa bonté pour elle, & de sa Justice envers nous, Ce sujet comme vous voyés, est tres abondant; Et la difficulté qu'il y a à la traiter, consiste moins à trouver matiere de parler, qu'à donner de justes bornes à nôtre discours: Et c'est à ne point sortir de ces justes limites, que je veux principallement m'attacher.
Pour commencer par l'excellence de la Personne que nous avons perduë, nous vous la representerons par les qualitez de son Esprit, par ses Dons & par ses Vertus. Cette incomparable Princesse avoit des qualitez de l'Ame au dessus du comman, soit que nous ayons égard à ses connoissances, soit que nous considérions sa Sagesse. La Nature avoit beaucoup contribué à luy donner des connoissances extraordinaires, son éducation jointe aux conversations avec les Gens les plus éclairés, y avoient encore plus de part, mais plus que tout cela, la Grace de Dieu.
Elle avoit l'esprit clair & solide, d'une vaste étenduë, & concevant les choses avec une extreme facilité; Elle savoit l'élever aux plus sublimes mysteres de la Religion, & le faire descendre jusqu'aux moindres choses qui regardoient l'oeconomie de sa Maison; Aussi prenoit Elle un soin continuel de le cultiver & de le meurir, par la lecture, par la Conversation & par la Méditation. Sa Bibliotique étoit nombreuse & ses livres étoient bien choisis; Et comme Elle les aymoit, Elle en faisoit un tres bon usage, n'oubliant rien de ce qu'Elle lisoit; Il est vray que cette Princesse avoit la memoire heureuse, & qu'Elle la cultivoit comme on le doit, par la lecture des livres d'Histoire. Il y en a un sur tout, qu'Elle estimoit beaucoup & qu'Elle avoit souvent entre les mains, qui est l'Histoire du Concile de Trente par le Pere Paul.
Mais de tous les livres, les Stes Ecritures étoient les principaux Oracles qu'Elle consultoit. S'il s'y rencontroit quelque passage qui luy parust d'abord difficile ou obscur, Elle le marquoit, pour en faire le sujet de ses réflexions, & tâcher [Page 3]d'en découvrir le véritable sens; Ou bien Elle consultoit pour le trouver, les Commentateurs, ou quelque savant Theologien.
Sa Sagesse & sa Prudence n'étoient pas moins grandes que sa connoissance; C'est dont on pouroit donner plusieurs exemples, mais nous nous contenterons de ceux ci.
Sa Sagesse s'est fait particulierement remarquer à regler ses connoissances. Elle ne se mettoit point en peine, ni n'embarassoit Personne de ces questions curieuses & inutilles, que les sages ne font jamais, & aux quelles ils ne se croyent. pas obliges de répondre. On auroit travaillé en vain, à luy inspirer ces opinions en matiere de Religion, qui ne regardent pas directement le Salut. Elle se servoit beaucoup de livres de Theologie prattique, & les derniers qu'Elle à leus, sont des Sermons & des Discours sur la Felicité, la mort & le Jugement. Elle apprenoit de bonnes choses, dans le dessein de les pratiquer. Il est vray qu'Elle a leu plusieurs volumes de controverse entre les Réformés & l'Eglife Romaine, mais Elle l'a fait par la necessité de se deffendre, & non pas pour disputer. On connoissoit sa sagesse, par cet art admirable au quel Elle étoit parvenüe, de bien ménager le tems, du quel depend si fort toute la conduitte de nôtre vie. Ses heures étoient si bien réglées & appliquées à ses diverses affaires & à celles des autres, que non nobstant leur grand nombre, Elle trouvoit du loisir pour chaque chose, & en expedioit souvent plusieurs à la fois. Le tems qu'Elle employoit à s'habiller, n'empéchoit pas qu'Elle n'en trouvast pour lire, pour entendre lire ou pour travailler; Mais rien n'empéchoit chez Elle, le service de Dieu, lequel dispense les heures & nous en fera rendre compte. Cette Princesse savoit bien que dans le suitte du tems, les affaires se multipliant, trouvent ensin quelque chose qui les arreste, si on ne les expedie les unes apres les autres, sans les laisser accumuler.
Mais sa Sagesse a particulierement & 'tres glorieusement éclaté dans son Administration des affaires publiques, qui luy ont aussi attiré avec tant de justice, des remerciements publics, les ayant conduittes avec une prudence, un temperamment & une application merveilleuse. Application qui faisoit il n'y a pas long tems, le sujet de la raillerie, & qui manquant aujourd'huy, fait celuy de nôtre plainte. Ceux qui approchoient de plus pres cette excellente Reine, ont remarqué, que lorsqu'il se rencontroit quelques tems difficilles, Elle les sentoit autant que Perfonne, mais Elle se possedoit si bien, qu'il ne paroissoit aucunes marques de chagrin ni d'apprehention sur son visage, dans la crainte de décourager les Amis du Gouvernment, ou d'entretenir les esperances de ses Ennemis. Il faut ajouter à tout cela, que la sagesse de nôtre Reine étoit la veritable sagesse, qui tend toûjours au bien & choisit les meilleures choses, préférant l'honnour de Dieu à la pompe de cette vie, le salut de l'Ame au gain de ce Monde.
Cette Sagesse se justifie par les deux effects qu'elle produit, savoir les Dons & les vertus, qui font la seconde partie de son caractere, & que nous vous réprésenterons fous ces trois branches de la vie Chrétienne, sa Pieté, sa Charité, & son Humilité.
Cette Princesse possedoit la Pieté dans un tres haut degré.
La Pieté qui est si necessaire à tous les Chrétiens, mais particulierement à ceux qui sont dans un semblable rang, n'y ayant rien de meilleur pour ceux qui doivent gouverner le Peuple, que d'étre premierement eux mêmes obeissants à Dieu.
Ses Devotions particulieres étoient extraordinaires; Et quoy-qu'Elle les fist en sécret, il étoit impossible dans le haut rang qu'Elle tenoit, qu'on ne remarquast sa retraitte. Et on a découvert vers sa fin que les exercices de devotion qu'Elle faisoit publiquemeut, n'étoient pas la moité tant que ceux qui n'étoient pas connus. Si châcun apportoit autant de soin à examiner & à prendre connoissance de l'état de son [Page 5]Ame, & á comparer le présent avec le passé, le Ciel se méleroit pour ainsi dire, avec la Terre.
Cette Religieuse Reine observoit exactement le jour du Sabat, assistoit constamment aux prires publiques, participoit souvent à la Communion, écoutoit avec attention les Sermons, & tout cela avec si peu de distraction, que ceux qui se donnoient la liberté de se relacher de leur devoir, pour regarder de quelle maniere, Elle s'acquittoit du sien, la trouvoient toûjours attentive & receuillie en elle même, à moins qu'Elle ne fut obligeé par quelque regard, à réprimer l'interruption qui pouvoit arriver. L'Eglise Romaine auroit bien de la peine à nous faire voir une Sainte si Devote & si prudente. Le zele de ses Moines les plus austeres & les plus pieux, étant par les Regles de leur Ordre, toujours embarassé de Superstitions; Mais on n'en voyoit pas la moindre apparence dans la pieté dé nôtre Reine.
Les fruits de la véritable Devotion de cette Princesse, étoient Sa Charité Chrétienne, sans la quelle, les plus longues & les plus ferventes prieres, ne sont que des pretentions Pharisaiques. Car celuy qui ayme Dieu, ayme aussi son Frere. Sa Charité étoit aussi étenduë, que son pouvoir; Et ses Aumones étoient dispensées avec autant de discretion que de largesse. Les Protestants François persecutés, les Ecossois, les Irlandois, & les Pauvres de ce Royaume étoient tous les jours secourus & assistez. Les Personnes de condition, qui étoient tombées dans le besoin, en ont ressenti les effects, ainsi qu'un grand nombre de gens de moindre sorte, & particulierement les Femmes & les veufues des Soldats & des Matelots. Elle donnoit liberallement & sans contrainte. Elle ne refusoit rien de ce qu'on luy demandoit avec justice & avec raison; Ceux qui étoient indignes de ses Aumones, en étoient exclus, & ceux qui [Page 6]les méritoient, n'avoient pas la peine de les demander. On voyoit un air de satisfaction sur son visage, lorsqu Elle faisoit quelque libéralté; Mais si manque d'avoir de quoy donner, Elle étoit obligóe à refuser, ce n'étoit qu'avec chagrin, & Elle le faisoit d'une maniere si obligeante, qu'on n'étoit gueres moins satisfait d'Elle; Au lieu que plusieurs autres se font presques autant d'Ennemis, qu'ils refusent de Personnes.
Si Dieu nous avoit jugé dignes de la laisser plus longtems sur la Terre, Elle auroit laissé des Monuments plus publics & plus durables de sa Charité; Nous en voyons particulierement les marques dans un Hospital pour les Matelots, qu'Elle a commencé à Greenwich; La Sagesse & la bonté du Roy concouroient avec Elle, dans ce pieux dessein, pendant Sa vie; Et Sa Majesté le continuë présentment, pour encourager la Navigation, que je crois etre le nerf Anglois, tant en tems de guerre qu'en tems de paix.
Comme cette excellente Princesse avoit joint la Sagesse à ses connoissances, la Pieté à là Sagesse & la Charité à sa Pieté, aussi faifoit Elle reluire toutes ces vertus par Son humilité, qui comme dit St. Pierre, est la ceinture & la marque d'un Serviteur de Christ. Les orguilleux & les Gens hautains sont insupportables, lorsqu'ils ont le pouvoir en main, & lorsqu'ils ne l'ont pas, ils sont tout a fait ridiculles. L'Authorité, la Majesté & l'Humilité qui vont fi rarement de compagnie, se rencontroient assemblées dans nôtre illustre Reine. La derniere étoit chez elle, dans un si haut degré, qu'on n'auroit presque pû l'offencer davantage, que de dire en sa présence ce que je viens de raporter. Mais la justice des Nations donne au merite des bons Princes; les louanges que leur modestie ne pouroit souffrir. Un exemple feul suffit pour faire [Page 7]voir son aversion non seulement pour la flatterie, mais aussi pour toutes sortes de louanges; En parlant d'un livre qui luy avoit été dedié. Elle dit qu'Elle l'avoit leu & le trouvoit bon, mais beaucoup mailleur, parceque l'Epitre Dedicatoire étoit simplement une Dedication.
On ne découvroit jamais mieux cette humilité, que lorsque son administration des affaires publiques devoit cesser; Elle la résignoit avec la même tranquilité, qu'une Personne quitte ses habits pour aller prendre son repos.
Il est vray qu'à cette Grace, Elle joignoit une grande égalité qu'on remarquoit dans sa conduitte exterieure; Mais qui n'avoit rien de femblable à celle des Gens artificieux; Ce n'étoit au contraire, que l'effect d'un Esprit bien tourné, & non d'une finesse mondaine.
Cette humilité étoit encore accompagnée de familiarité, mais d'une si bonne sorte, qu'elle imprimoit du respect, bien loin de faire naitre le mépris; Elle augmentoit l'affection & l'obéissance de ses Domestiques, quoy qu'Elle les traitast plus tost comme ses Enfants que comme ses serviteurs; Enfin Elle apportoit dans sa grande Famille, cette regularité, cette diligence & ce bon ordre, qui font si fort à souhaitter dans les Maisons particulieres.
Ces grandes qualitez sont ordinairement augmentées par la renommée, & diminuées par la présence qui découvre des deffauts, que l'on ne sauroit discerner de loin. Mais plus on voyoit & on prattiquoit nôtre Reine, plus on l'admiroit. Et ceux qui la connoissoient le mieux, l'estimoient davantage. Apres que cette excellente Princesse eut esté connuë pendant diverses années dans un païs Etranger & voisin du nôtre, Elle y fut tellement aymée & considerée, qu'on y regretta son [Page 8]départ, comme on auroit fait sa mort, & il causa une douleur aussi profonde qu'elle estoit généralle.
On peut encore louër à plusieurs égards, les qualitez, les beaux Dons & les vertus de cette Reine. La vanité ni l'affectation ne les obscurcissoient d'aucune tache; Elle n'auroit pas autrement un peu avant sa mort, fait cette déclaration, Je sais, dit Elle, ce que les Mondains croyent de ceux qui prétendent avoir quelque Religion; Ils s'imaginent que ce n'est qu'hypocrisie; Mais qu'ils en pensent ce qu'il leur plaira, Je puis dire à present & Je remercie Dieu de le pouvoir dire, que je n'ay jamais affecté de paroitre, ce que je n'étois pas.
Davantage, ses vertus estoient les fruits prematurés de la Grace de Dieu; au lieu que la crainte & l'impuissance sont les causes ordinaires d'une apparence de pieté dans les Pécheurs avancés en âge. Elles se rencontroient dans une Personne élevée à ce haut rang de Grandeur, qui est sujet à plusieurs violentes temptations. Elles estoient exercées conjointement l'une avec l'autre, & elles faisoient les agreables parties d'une vie bien réglée. Elles estoient sinceres & sans mélange, car on ne pouvoit pas dire de cette Princesse, qu'Elle possédoit de grandes qualitez, mais qu'Elle n'avoit pas moins de vices.
On luy voyoit de la Dévotion, sans entousiasme, de la Charité sans vaine gloire, & de l'humilité sans cette inclination à censurer les autres, qui foule aux pieds leur orgueuil, sans remarquer qu'on en est tout bouffi.
Ses vertus se faisoient remarquer dans les divers rangs qu'Elle tenoit. Elle estoit bonne & sage Reine, aymable & incomparable Epouse; Et je suis certain qu'Elle auoit tout le respect & la veneration possible pour ses autres Parants, autant qu'apres y avoir serieusement & long tems pensé, Elle jugea que cela pouvoit s'accorder [Page 9]avec ce qu'Elle devoit à Dieu & à son Pays. Elle étoit encore un des plus fermes appuys de l'Eglise de Dieu établié un milieu de nous, & avoit cependant pitié des Gens scrupuleux. Patrone de la Religion & des Sciences; Maitresse qu'on servoit avec plaisir, Amie véritable & fidelle. Chrétienne enfin qui avoit de la doucenr & de la clémence pour ses Ennemis; Et il ne faut pas s'étonner si Elle en eut, puisque le Fils de Dieu même n'en fut pas exempt.
En un mot, toute sa vie n'étoit qu'une prattique continuelle des vertus Chrétiennes. Elle n'étoit point incommodée de ces mouvements d'une pieté pêu solide, qui s'élevent promtement & s'évanouissent de même. La source de sa pieté étoit dans son jugement & dans son coeur; Et elle produisoit des exercises d'une Sainte vie aussi reguliers que constants. Oh qu'une telle vie est belle, qu'elle est heureuse; Que cette Scene étoit glorieuse, non pour les vains plaisirs qu'on y prenoit, mais pour l'utilité & la consolation qu'on en tiroit. Ses divertissements mêmes étoient tout a fait raisonables: Ses Bâtiments & ses Jardins en faisoient la plus considerable partie; Et son plus grand plaisir étoit d'augmenter & d'orner les uns & de cultiver les autres. Sa vie n'est Elle pas un continuel reproche à celle de ces Gens, qui arrivent à la fin de leur carriere, avant que d'avoir fait aucune bonne action; Seigneur, enseigne nous à tellement compter nos jours, que nous en puissions avoir un coeur de Sagesse.
Ce n'est pas une petite affliction, pour un Mary de perdre sa Femme à un homme de perdre un Amy fidelle & verteux; Mais nous pleurons ici la mort de nôtre Souveraine, dont le plus grand soin étoit de travailler au bien public & c'est ce qui rend nôtre perte plus sensible, comme il y ades circonstances de rems qui en augmentent la grandeur.
Nons avons beaucoup perdu à la mort d'une Princesse d'une si grande Pieté, dans un tems d'Atheisme & de profanation; La semence de cette impieté a est rependüe depuis quelques années, & semble à present s'élever en plus grande abondance que jamais. Notre pette est grande en la Personne d'une Reine si charitable, dans un siecle que l'on renverse ce que nôtre Seigneur a dit, & que l'on affecte de declarer, qu'il est plus heureux de recevoir que de donner; D'une Reine si humble, lorsque l'orgueuil fait son possible, pour égaller toutes choses au Pere du desordre & de la confusion.
Notre perte est grande eu égard à la conjoncture du tems au quel elle est arrivée, pendant que nous avons la guerre au dehors & des Mécontents au dedans, dont les ressentiments surpassent la raison Une Personne nous a été enlevée, qui partageoit avec le Roy, sa joye, fes chagrins & sa Fortune; Une Princesse qui pouvoit gouverner l'Etat à la satisfaction entiére de tout le Peuple, & sans étre enviée par les Grands du Royaume. Nôtre perte est grande par la mort d'une Reine incomparable, qui nous a été ravie au milieu de sa course. Il est certain que les Princes sout mortels comme les autres hommes, ils sont poudre, ils retourneront en poudre. Neanmoins la Providence prend un soin particulier des bons Princes, & les conserve souvent, en donnant de la terreur aux plus desespéres, au lieu que les Tyrants, qui n'ont pas Dieu devant leurs yeux, & ne remarquent pas qu'il gouverne tout par les Loix éternelles de l'équité, finissent rarement par une mort naturelle. Ajoutons à tout cela, que cette Princesse étant d'un temperamment doux & égal, & menant une vie réguliere, n'étant point non plus excitée par ces passions violentes, qui usent la nature avant son tems, [Page 11]nous nous étions flattês de pouvoir encore jouir pendant plusieurs années de sa protection, avec toutes sortes de plaisirs & de confiance. Mais les hommes forment tous les jours de vains projects, & sont aussi sort souvent trompés dans leur attente; Lorsque cela arrive, ils en conçoivent du chagrin. Nous avons deux raisons de faire paroistre de la douleur, en ce rencontre, & d'en étre penétrez; De la douleur pour nôtre perte, & une plus grande douleur de ce qui en est la principalle cause, ce qui nous meine à nôtre Seconde considération, favoir la principalle cause de cette affliction. Les causes naturelles ont eu part à ce malheur, mais ce sont les pechés & les crimes de la Nation, qui l'ont avancé comme un Jugement. Un moineau ne tombe pas à terre sans la Providence de Dieu, & beaucoup moins une Téte couronnée. Dieu a conduit cette affaire comme il sait toutes les choses du monde, les accommodant à sa Justice. Il est juste & bon, mais nous avons été méchants. Il nous avoit fait voir quel bien il vouloit nous faire, si nous voulions reformer nôtre vie, mais nous ne l'avons pas assez reconnu & ne l'en avons pas remercié Leurs Majestez avoient fait publier des ordres, pour rép imer les Blasphemes & les autres vices, mais helas! peu de Gens y ont obei. I a lumiere a reluy, & nous n'avons pas suivi sa clarté, de sorte que Dieu nous en a ôté une partie; Ne péchons plus, de peur, ce qu'à Dieu ne plaise, que l'autre partie ne soit aussi étiente. Nous pouvons encore étre heureux, si nous nous voulons corriger; Car Dieu nous a fait voir par plusieurs signes, qu'il ne nous a pas encore abandonnés à destruction. Il nous a affligés, mais en nous punissant, il nous a fait voir sa misericorde.
Et pour passer à nôtre troisiéme consideration, Il a dans ce jour de nôtre calamité, mélé la prosperité avec l'Adversité, pour rendred la derniere plus supportable. Il a mis l'un a l'opposité de l'autre, ce que nous allons faire voir par les remarques suivantes.
Il a par sa bonté, conservé le Roy, dont la Santé alterée par ce triste accident, a été rétablie; Et sa Majesté est encore occupée à poursuivre le grand dessein de remettre l'Europe en liberté. Ce Prince ëtoit au milieu de nous, lorsque ce malheur est arrivé, afin de nous empécher de tomber dans cette instabilité, que cette perte auroit pû causer. Il s'est encore rendu plus cher à ses Peuples, par cette tendresse admirable dont il a donné tant de témoignages en cette affligeante occasion; Il là poussée aussi loin que la bienseance la pû permettre, & nous a donné un exemple de grandeur d'Ame, mais qui estoit melée de courage & d'humanité.
L'étroitte union qu'ily a dans la Famille Royalle en ce Royaume, a confondu les desseins des mal-intentionnés, & rompu leurs mesures.
Le Grand Conseil de la Nation étoit assemblé, & prit aussi tost des résolutions pour maintenir le Roy & le Gouvernement.
La saison n'étoit pas propre pour entreprendre aucune chose de de là la mer, qui pût faire tort à nos affaires. Et les Pays Etrangers en recevant les tristes nouvel'es de la mort de la Reine, apprirent en même tems, que tout le Royaume representé par le Parlement, donnoit à sa Majesté, toutes les marques possible de son zéle & de sa fidelité. Toutes ces choses sont par la merveilleuse Providence de Dieu, arrivées ensemble pour nôtre bien. Il nous reste encore une chose à considerer la dessus, qui est que puisque Dieu avoit [Page 13]déterminé que cette bonne Reine mourust, la maniere Chrétienne & édifiante dont Elle a fini ses jours, doit en quelque sorte, soûlager la douleur de ceux qu'Elle a laissés apres Elle. Nous n'avons en verité que trop de raison de mener deüil, mais non pourtant commedes Personnes destituées d'esperance.
Quelques jours avant la Féte de Noël, cette Princesse se trouva indisposée: Et il faut croire que dans les lieux où on le sqeut, cela retint la liberté que des Gens se donnent, d'employer ce tems de Feste en des divertissements peu conformesà la solemnite de ce jour. Je ne saurois dire qu'Elle eust aucun présage assuré de cette affliction; Neanmoins il se passa quelque chose, par où il sembloit qu'Elle s'y preparoit: C'est qu'Elle se fic lire plus d'une fois un peu avant qu'Elle tombast malade, le dernier Sermon d'un homme de bien & tres savant qui est présentement avec Dieu, sur ce sujet. Que nous premons le bien de lu part de Dieu, & le mal que nous ne le prenions point.
Cette indisposition dégénera bien tost en une dangereuse maladie. Aussi tost qu'on vid ce que c'étoit, le premier soin de cette charitable & de cette bonne Maitresse, fut d'éloigner ceux de ses Domestiques, dont la santé auroit couru quelque risque en demeurant aupres d'Elle. Peu apres, Elle marqua les heures aux quelles on feroit les prieres dans la Chambre où Elle étoit rétenue par sa maladie. Ce même jour, Elle donna des marques de sa sensibilité pour la mort, & fit voir combien peu Elle la craignoit; Elle pria celuy qui lisoit les prieres, d'y ajouter la Collecte qui est dans le fervice de la Communion des Malades, dans la quelle se trouvent ces parolles, Et lors qu'il te plaira separer son Ame de son Corps, fais qu'elle comparoisse devant toy sans tache. ‘Je veux dit Elle qu'on life, cette Collecte [Page 14]deux fois tous les jours. Tous les hommes ont besoin qu'on les fasse souvenir de la mort, & les Princes autant que Personne.’
Le Lundy suivant, cette maladie flateuse fit concevoir quelques esperances, quoy qu'elles ne fussent que tres petites. Le lendemain, qui étoit le jour de la Naissance de Jesus Christ, ces esperances devinrent presques des certitudes: On s'abandonna à la joye, qui se repandit sur lé visage de tous les Gens de bien, qui ne pouvoient s'empécher de l'exprimer, de sorte qu'il ne faut point douter qu'elle ne fut encore plus grande dans leurs coeurs. Mais Helas! on vid quel changement peut arriver en peu d'heures; Cette joye ne dura qu'un jour, & ce jour fut suivi d'une triste nuit. La maladie se fit voir en diverses formes, & il ne restoit que tres peu d'esperance de vie Ce fut alors que celuy qui faisoit les prieres, se crut obligé d'avertir la Reine du peu d'apparence qu'il y av [...]it quelle en pût relever; Elle reçeut cette nouvelle avec un courage conforme à la grandeur de sa Foy; Loin d'epouvanter ceux qui étoient aupres de sa Personne; Elle parut ne point craindre la mort, ni desirer la vie. Elle ne marqua pas le moindre regret, d'abandonner ces Grandeurs Temporelles, qui font que tant de Gens dans un rang élevé, ne voudroient jamais mourir. On n'eut pas comme vous pouvés croire, une petite satisfaction de luy entendre dire plusieurs choses aussi chrétiennes que touchantes, & entr'autres celles ci, ‘Je crois que je suis sur le point de mourir, Je remercie Dieu d'avoir des ma jeunesse, appris cette véritable Doctrine, qu'il ne faut pas attendre qu'on soit au lict de mort, pour se repentir.’
Elle fouhaitta ce jour là, qu'on fist les prieres pour la troisiéme fois, dans la crainte d'avoir dormi lorsqu'on [Page 15]les avoit leuès, la seconde: Elle eroyoit que ce n'est pas faire son devoir, que de le faire sans application. Le Jeudy, Elle se prépara pour reçevoir la Sainte Communion, à la quelle Elle avoit si fouvent participé depuis l'age de quinze ans. Elle étoit extremement fâchée de se trouver si assoupie, c'est ainsi qu'Elle l'exprima, à quoy Elle ajouta, ‘J'ay bon besoin que les autres prient pour moy, puisque je suis si peu en état de prier pour moy même.’ Cependant, Elle s'essorca pour reveiller son attention, & demanda à Dieu sonassistance, qui la luy accorda; Car depuis ce moment la jusqu'à la fin du fervice Elle eut une parfaitte connoissance, & fut si appliquée au grand ouvrage qu'Elle alloit faire, & si attentive, que le reste de quelque potion qu'on luy avoit donnée, luy ayant été présentée, Elle la refusa en disant, "Je n'ay que peu de tems à vivre, & je veux le mieux employer. Les Saints Elements étant prests, & plusieurs Evêques s'étant approchés pour participer à la Sainte Communion, Elle répeta dévotement & distinctement, mais d'une voix basse, que la force du mal avoit affoiblie, toutes les parties du Service Divin qui luy é [...]oient propres; Et Elle receut avec toutes les marques d'une grande Foy & d'une ardente preté, les facrés gages de la Grace de Dieu, le remerciant bien humblement & de tout son coeur, de n'avoir pas été privée de ce bonheur. Elle avoua que Dieu luy avoit fait plus de faveurs, qu'Elle n'en esperoit en des occasions de moindre consequence, ayant fans indécence ni difficulté pris & mangé le pain de la Céne, quoy qu'il y eut déia quelque rems, qu'Elle n'en pouvoit plus avaller d'autre.
Elle pria qu'on fist les prieres cette apres mydi là, de meilleure heure qu'à l'ordinaire, dans la crainte, [Page 16]& ce fut sa raison, qu'Elle ne fut pas encore long tems en état d'y assister avec attention; C'est ce qui arriva, car on pouvoit aisément voir, qu'apres cela, la mort s'approchoit d'Elle à chaque moment. Cependant, cette véritable Chrétienne, tint son Ame aussi attachée qu'Elle le pouvoit, aux meilleures choses; On lut par ses ordres, divers Pseaumes de David, & un Chapitre d'un excellent Livre, touchant nôtre confiance en Dieu. Sur la fin de cette lecture, le jugement commenca à luy manquer, mais pas si fort, qu'Elle ne pût dire encore fort dévotement Amen à la priere par la quelle son Ame pieuse étoit recommandée à Dieu, qui le luy avoit donnée. Elle ne fit paroitre pendant tout ce tems là, aucune impatience, aucun chagrin, aucun déplaisir. Ou n'entendit aucun murmure, rien de mal à propos, rien qui marquast de la foiblesse, pas une parolle hors d'ordre. Le Roy étoit alors dans une tres grande affliction, & plusieurs virent l'exces de sa douleur, sans que Personne y remarquast rien d'indigne de luy, ce qui n'est pas facille à réprésenter. Enfin tout le secours de l'art, les prieres & les larmes étant inutilles, apres deux ou trois petit efforts de la Nature, & sans les agonies & les sanglots si ordinaires en une telle occasion, apres avoir comme David, gouverné son Peuple selon la volonté de Dieu, Elle s'endormit.
C'est ainsi que finit ses jours, cette vertueuse, cette grande & cette bonne Princesse, qui n'auroit jamais pû apprendre l'art de mourir avec tant de pieté & de résignation, si Elle n'avoit auparavant appris & pratiqué celuy de bien vivre.
La derniere & quatriéme chose qui nous reste à considerer, est de savoir ce que nous devons faire, nous qu'Elle a laissés dans ce Monde pénible, & c'est ce que je feray en peu de mots.
Nôtre devoir en cotte occasion, est de plusieurs sortes, ce que nous devons à Dieu, au Roy, à la mémoire de cette bien heureuse Reine & à nous mémes.
Nôtre Devoir envers Dieu, est de luy donner gloire, de nous souvnir en le remerciant, de l'excellence de so Grace & des Vertus dont nôtre Reine étoit enrichie, car c'étoit par sa Grace qu'Elle é [...]cit ce qu'Elle etoi [...]; De le remercier, d'avoir joui pendant plusieurs années d'un si grand bien, sans murmurer de ce qu'il ne luy a pas plû nous la conserver plus long terns; De reconnoitre sa Justice, de trembler dans la crainte de ses Jugements, d'en éloigner la cause qui sont nos grands péchés, & nous addressant à Dieu avec ferveur & priere luy dire, Pardonne nous ô bon Dieu; pardonne à ton Peuple & ne sois point irrité contre nous à jamais.
Nôtre devoir envers le Roy, est de prier Dieu de r [...] pandre au double ses bénédictions sur sa Personne Royalle, & employer nos soins à le deffendre par nôtre inviolable fidelité.
Ce que nous devons à la mémoire de la Reine; est de mener deuil, d'étre affligés & penetrés de douleur, ce que des Nations Etrangeres mêmes ont fait; Et neamoins; de soûlager nôtre affliction, par les esperances presque certaines deson éternelle felicité: De parler bien d'Elle, de remarquer & mêmes exalter la grandeur de sa Pieté, qui luy avoit gagné tant de coeurs; De loüer ses vertus, & en même tems de n'en point abandonner la pratique, mais fuivions autant qu'il nous se ra possible; l'exemple de cette vertueuse Princesse, qui a plus vécu, c'est à dire qui a plus fait de bonnes actions, dans l'espace de trente trois ans, que plusieurs ne font en soixante & dix.
Enfin nôtre devoir envers nous mêmes, est de pleurer, non pour Elle mais pour Nous, & pour nos péchés [Page 18]qui ont irrité Dieu, & nous ont attiré ce malheur & cette calamité; De nous amender tous les jours, & pour cet effect de penser incessamment à la mort, & ne pas souffrir que l'éclat de nôtre Grandeur, ou la bonne opinion que nous pourions avoir de nous mêmes, nous détourne des reflexions que nous devons faire sur nô [...]re condition de Mortels.
Voyant qué nôtre Sage, nôtre pieuse nôtre charitable & humble Reine nous à été enlevée dans la fleur de son âge, quelle folie, quelle méchanceté aux dissolus, aux vicieux, aux malades, aux vieillards, aux Décrepits, & mêmes aux Jeunes Gens, aux plus sains & aux plus robustes, de ne pas songer à la mort.
Considerons que nous ommes mortels, comme nous sommes obligés, si nous avons quelques égards pour l'avenir, & que cette pensee nous oblige à bien vivre; Car lorsqu'un homme meurt, il n'est plus question s'il a été Grand s'il a été riche, puisque tout cela perit avec luy, même si sa vie a été Sainte.
Dieu nous fasse à tous la Grace de vivre comme cette bien heureuse Princesse à vecu, a finque nous mourions comme Elle; Que nous puissions combattre le bon combat, & finir nôtre course par tous les exercices de nôtre Sainte Religion, & garder nôtre Foy inviolable jusqu'au dernier moment de nôtre vie, afin qu'apres cela, la Couronne de vie nous soit reservée par nôtre Seigneur Jesus Christ, le juste Juge de tous le hommes.
A luy, comme au Pere & au St Esprit, soit tout honneur & toute gloire aux siecles des siecles, Amen.