LES QUATRAINS DU SEIGNEUR DE PYBRAC, CONSEILLER DU ROY en son Conseil Privé. Contenant preceptes & enseignemens, utiles & profitables pour tous Chrêtiens. Avec les Quatrains du President le FAURE. Ensemble les Quatrains de la Vanité du Monde.

Le tout revû, corrigé & augmenté des Tablettes ou Quatrains de la Vie & de la Mort, Par PIERRE MATTHIEU, Conseiller du Roy. Divisé en deux Parties.

A LONDRES, Chez D. DU CHEMIN Marchand Libraire, dans le Strand, proche la Savoye, vis-à-vis Sommerset-House, au Sacrifice d'Abraham. 1697.

AU LECTEUR, SALUT.

JE n'ay tâché cét oeuvre façaonner,
D'un style doux, afin qu'il puisse plaire:
Car aussi bien n'entens je le donner,
Quà ceux qui n'ont soucy que de bien faire.

LES QUATRAINS DU SEIGNEUR DE PYBRAC, CONSEILLER DU ROY, en son Conseil Privé.

I.
DIEU tout premier, puis pere & mere honore:
Sois juste & droit, & en toute saison
De l'innocent prens en main la raison:
Car Dieu te doit là haut juger encore.
II.
Si en jugeant la faveur te commande,
Si corrompu par or, ou par presens
Tu fais justice au gré des Courtisans,
Ne doute point que Dieu ne te le rende.
III.
Avec le jour commence ta journée,
De l'Eternel le saint nom benissant,
Le soir aussi ton labeur finissant
Loüe-le encor, & passe ainsi l'année.
IV.
Adore assis, comme le Grec ordonne,
Dieu en courant ne veut être honoré,
D'un ferme coeur il veut être adoré:
Mais ce coeur là il faut qu'il nous le donne.
V.
Ne va disant, ma main a fait cette oeuvre,
Ou ma vertu ce bel oeuvre a parfait;
Mais, dis ainsi, Dieu par moy l'oeuvre à fait,
Dieu est l'autheur du peu de bien que j'oeuvre.
VI.
Tout l'univers n'est qu'une Cité ronde,
Chacun à droit de s'en dire bourgeois,
Le Scythe & More autant que le Gregeois,
Le plus petit que le plus grand du monde.
VII.
Dans le pourpris de cette Cité belle,
Dieu a logé l'homme comme en lieu saint,
Comme en un temple où luy même s'est peint,
En mille endroits de couleur immortelle.
VIII.
Il n'y a coin si petit dans ce Temple
Où la grandeur n'apparoisse de Dieu:
L'homme est planté justement au milieu,
Afin que mieux par tout il la contemple.
IX.
Il ne sçauroit ailleurs mieux la connoître
Que dedans soy, ou comme en un miroir,
La Terre il peut & le Ciel même voir;
Car tout le monde est compris en son être.
X.
Qui a de soy parfaite connoissance,
N'ignore rien de ce qu'il faut sçavoir:
Mais le moyen asseuré de l'avoir,
Est se mirer dedans la Sapience.
XI.
Ce que tu vois de l'homme n'est pas l'homme,
C'est la prison où il est enserré,
C'est le tombeau où il est enterré,
Le lit branlant où il dort un court somme.
XII.
Ce corps mortel où l'oeil ravy contemple,
Muscles & nerfs, la chair, le sang, la peau,
Ce n'est pas l'homme, il est beaucoup plus beau,
Aussi Dieu l'a reservé pour son temple.
XIII.
A bien parler ce que l'homme on appelle,
C'est un rayon de la Divinité,
C'est un atome éclos de l'unité,
C'est un dégout de la source eternelle.
XIV.
Reconnois donc homme ton origine,
Et brave & haut dédaigne ces bas lieux,
Puis que fleurir tu dois là haut és Cieux,
Et que tu es une plante Divine.
XV.
Il t'est permis t'orgueillir de la race,
Non de ta mere & ton pere mortel:
Mais bien de Dieu ton vray pere immortel,
Qui t'a moulé au moule de sa face.
XVI.
Au Ciel n'y a nombre infiny d'idées,
Platon s'est trop en cela méconté,
De nôtre Dieu la pure volonté
Est le seul moule à toutes choses nées.
XVII.
Il veut, c'est fait, sans travail & sans peine,
Tous animaux (jusqu'au moindre qui vit)
Il a creé, les soûtient, les nourrit,
Et les défait du vent de son haleine.
XVIII.
Hausse les yeux, la voûte suspendüe,
Ce beau lambris de la couleur des eaux,
Ce rond parfait de deux globes jumeaux,
Ce firmament éloigné de la veüe.
XIX.
Bref, ce qui est, qui fut, & qui peut être,
En terre, en mer, au plus caché des Cieux,
Si tôt que Dieu l'a voulu pour le mieux,
Tout aussi-tôt il a reçû son être.
XX.
Ne va suivant le troupeau d'Epicure,
Troupeau vilain qui blaspheme en tout lieu,
Et mécroyant ne connoît autre Dieu,
Que le fatal ordre de la nature.
XXI.
Et cependant il se veautre & patroüille
Dans un bourbier püant de tous côtez,
Et du limon des sales voluptez
Il se repaît comme une orde grenoüille.
XXII.
Heureux qui met en Dieu son esperance,
Et qui l'invoque en sa prosperité,
Autant ou plus qu'en son aversité,
Et ne se fie en humaine asseurance.
XXIII.
Voudrois-tu bien mettre esperance sîre
En ce qui est imbecile & mortel?
Le plus grand Roy du monde n'est que tel,
Et a besoin, plus que toy qu'on l'assûre.
XXIV.
De l'homme droit, Dieu est la sauve-garde:
Lors que de tous il est abandonné,
C'est lors que moins il se trouve étonné,
Car il sçait bien que Dieu lors plus le garde.
XXV.
Les biens du corps & ceux de la fortune,
Ne sont pas biens à parler proprement,
Ils sont sujets au moindre changement:
Mais la vertu demeure toûjours une.
XXVI.
Vertu qui gît entre les deux extréme,
Entre le plus & le moins qu'il ne faut,
N'excede en rien & rien ne luy deffaut,
D'autruy n'emprunte & suffit à soy-même.
XXVII.
Qui te pourroit, Vertu voir toute nüe,
O qu'ardamment de toy seroit épris!
Puis qu'en tout temps les plus rares esprits
T'ont fait l'amour au travers d'une nüe.
XXVIII.
Le sage fils est du pere la joye:
Or si tu veux ce sage fils avoir,
Dresse le jeune au chemin du devoir;
Mais ton exemple est la plus courte voye.
XXIX.
Si tu es né, enfant d'un sage pere,
Que ne suis-tu le chemin ja batu?
S'il n'est pas tel, que ne t'efforce-tu?
En bien faisant couvrir ce vitupere.
XXX.
Ce n'est pas peu naissant d'un tige illustre,
Etre éclairé par ses antecesseurs:
Mais c'est bien plus luire à ses successeurs,
Que des ayeuls seulement prendre lustre.
XXXI.
Jusqu'au cercüeil mon fils vüeilles apprendre,
Et tiens perdu le jour qui s'est passé,
Si tu n'y as quelque chose amassé,
Pour plus sçavant & plus sage te rendre.
XXXII.
Le voyageur qui hors du chemin erre,
Est égaré se perd dedans les bois,
Au droit chemin remettre tu le dois,
Et s'il est chû le relever de terre.
XXXIII.
Aime l'honneur plus que ta propre vie,
J'entens l'honneur qui consiste au devoir.
Que rendre on doit (selon l'humain pouvoir)
A Dieu, au Roy, aux Loix, à sa Patrie.
XXXIV.
Ce que tu peux maintenant ne differe
Au lendemain, comme le paresseux:
Et garde aussi que tu ne sois de ceux
Qui par autrui font ce qu'ils pourroient faire.
XXXV.
Hante les bons, des méchans ne t'accointe,
Et mémement en la jeune saison,
Que l'apetit, (pour forcer la raison)
Arme nos sens d'une brutale pointe.
XXXVI.
Quand au chemin fourchu de ces deux Dames,
Tu te verras (comme Alcide semond;)
Suis celle-là, qui par un âpre mont
Te guide au Ciel, loin des plaisirs infames.
XXXVII.
Ne mets ton pied au ttavers de la voye
Du pauvre aveugle, & d'un piquant propos
De l'homme mort ne trouble le repos,
Et du mal-heur d'autruy ne fais ta joye.
XXXVIII.
En ton parler sois toûjours veritable,
Soit qu'il te faille en témoignage ouïr,
Soit que par fois tu vueilles réjouïr
D'un gay propos tes hôtes à la table.
XXXIX.
La verité d'un Cube droit se forme,
Cube contraire au leger mouvement,
Son plan quarré jamais ne se dément,
Et en tous sens a toûjours même forme.
XL.
L'oiseleur caut se sert du doux ramage
Des oisillons, & contrefait leur chant:
Ainsi pour mieux decevoir le méchant,
Des gens de bien imite le langage.
XLI.
Ce qu'en secret l'on t'a dit ne revele,
Des faits d'autruy ne sois trop enquerant,
Le curieux volontiers toûjours ment,
L'autre merite être dit infidelle.
XLII.
Fais poids égal & loyale mefure,
Quand tu devrois de nul être apperçû:
Mais le plaisir que tu auras reçû,
Ren-le toûjours avec quelque usure.
XLIII.
Garde soigneux le dépôt à toute heure,
Et quand on veut de toy le recouvrer,
Ne va subtil des moyens controuver
Dans un Palais, afin qu'il te demeure.
XLIV.
L'homme de sang te soit toûjours en haine,
Hüe sur luy, comme fait le Berger
Numidien sur le tygre leger,
Qui voit de loin ensanglanter la plaine.
XLV.
Ce n'est pas tout ne faire à nul outrage,
Il faut de plus s'opposer à l'effort
Du mal heureux qui pourchasse la mort,
Ou du prochain la honte & le dommage,
XLVI.
Qui a desir d'exploiter sa proüesse,
Dompte son ire, & ce ventre & ce feu,
Qui dans nos coeurs s'allume peu à peu,
Soufflé du vent d'erreur & de paresse.
XLVII.
Vaincre soy-même & la grande victoire:
Chacun chez soy loge ses ennemis,
Qui par l'effort de la raison sous mis,
Ouvre le pas à l'eternelle gloire.
XLVIII.
Si ton amy a commis quelque offense,
Ne va foudain contre luy t'irriter,
Ains doucement pour ne le dépiter,
Fais luy ta plainte, & reçois sa défense.
XLIX.
L'homme est fautif, nul vivant ne peut dire
N'avoir failly, és hommes plus parsaits
Examinant & leurs dits & leurs faits,
Tu trouveras, si tu veux, à redire.
L.
Vois l'hypocrite avec sa triste mine,
Tu le prendrois pour l'aîné des Catons,
Et cependant toute nuit à tâtons:
Il court, il va, pour tromper sa voisine.
LI.
Cacher son vice est une peine extréme,
Et peine en vain; fais ce que tu voudras,
A toy au moins cacher ne te pourras:
Car nul ne peut se cacher à soy-même.
LII.
Aye de toy, plus que des autres, honte:
Nul plus que toy, par toy n'est offense:
Tu dois premier, si bien y as pensé,
Rendre de toy, à toy même le compte.
LIII.
Point ne te chaille être bon d'app [...]rence,
Mais bien ne l'être à preuve & par effet:
Contre un faux bruit que le vulgaire fait,
Il n'est rempart tel que la conscience.
LIV.
A l'indigent montre-toy secourable,
Luy faisant part de tes biens à foison:
Que Dieu benit & accroît la maison
Qui a pitié du pauvre miserable.
LV.
Las! que te sert tant d'or dedans ta bourse,
Au cabinet maint riche vêtement,
Dans tes greniers tant d'orge & de froment,
Et de bon vin dans ta cave une source?
LVI.
Si cependant le pauvre nud frissonne
Devant ta porte & languissant de fain,
Pour tout enfin n'a qu'un morceau de pain,
Ou s'en reva sans que rien on luy donne.
LVII.
As-tu, cruel! le coeur de telle sorte,
De mépriser le pauvre infortuné,
Qui comme toy est en ce monde né,
Et comme toy de Dieu l'image porte.
LVIII.
Le mal-heur est commun à tous les hommes,
Et mémement aux Princes & aux Rois:
Le sage seul est exempt de ses loix:
Mais où est-il, las! au siecle où nous sommes?
LIX.
Le sage est libre enferré de cent chaînes,
Il est seul riche, & jamais étranger,
Seul asseuré au milieu du danger,
Et le vray Roy des fortunes humaines.
LX.
Le menacer du tyran ne l'étonne,
Plus se roidit quand plus est agité,
Il connoît seul ce qu'il a merité,
Et ne l'attend hors de soy de personne.
LXI.
Vertu és moeurs ne s'acquiert par l'étude,
Ny par argent, ny par faveur des Rois,
Ny par un acte, ou par deux, ou par trois,
Ains par constante & par longue habitude.
LXII.
Qui lit beaucoup, & jamais ne medite,
Semble à celuy qui mange avidement,
Et de tous mets sur-charge tellement
Son estomach, que rien ne luy profite.
LXIII.
Maint l'un pouvoit par temps devenir sage,
S'il n'eût pensé l'ètre ja tout à fait:
Quel Artisan fut one Maître parsait
Du premier jour de son apprentissage?
LXIV.
Petits ruisseaux font les grosses rivieres:
Qui bruit si haut à son commencement,
N'a pas long cours, non plus que le torrent,
Qui perd son cours és prochaines fondrieres.
LXV.
Maudit celuy qui fraude la semence,
Ou qui retint le salaire promis
Au mercenaire; & qui de ses mis
Ne se souvient sinon en leur presence.
LXVI.
Ne te parjure en aucune maniere:
Et si tu es contraint faire serment,
Le Ciel ne jure, ou l'homme, ou l'element,
Ains par le nom de la Cause premiere.
LXVII.
Car Dieu qui hait le parjure execrable,
Et le punit comme il a merité,
Ne veut que l'on témoigne verité,
Par ce qui est mensonger & muable.
LXVIII.
Un Art sans plus, en luy seul t'exercite,
Et du métier d'autruy ne t'empêchant,
Va dans le tien le parfait recherchant:
Car l'exceller n'est pas gloire petite.
LXIX.
Plus n'embrasser que l'on ne peut étraindre,
Aux grands honneurs convoiteux n'aspirer:
User des biens, & ne les disirer,
Ne souhaitter la mort, & ne la craindre.
LXX.
Il ne faut pas aux plaisirs de la couche
De chasteté rêtraindre le beau don,
Et cependant livrer à l'abandon,
Ses yeux, ses mains, son oreille & sa bouche.
LXXI.
Ha! le dur coup, qu'est celuy de l'oreille,
L'homme en devient quelquefois forcené,
Même alors qu'il nous est assené
D'un beau parler plein de douce merveille.
LXXII.
Mieux nous vaudroit des oreillettes prendre
Pour nous sauver de ces coups dangereux:
Par là s'armoient les Pugils valeureux,
Quand sur l'arene il leur falloit descendre.
LXXIII.
Ce qui en nous par l'oreille penetre,
Dans le cerveau coule foudainement,
Et ne seaaurions y pourvoir autrement,
Que tenant close au mal cette fenêtre.
LXXIV.
Parler beaucoup on ne peut sans mensonge,
Ou pour le moins sans quelque vanité:
Le parler bref convient à verité,
Et l'autre est propre à la fable & au songe.
LXXV.
Du Memphien la grave contenance,
Lors que sa bouche il serre avec le doigt,
Mieux que Platon enseigne comme on doit
Reveremment honorer le silence.
LXXVI.
Comme l'on voit à l'ouvrir de la porte
D'un cabinet Royal, maint beau tableau,
Mainte antiquaille, & tout ce que de beau
Le Portugais des Indes nous apporte.
LXXVII.
Ainsi dés lors que l'homme qui médites,
Et est seaavant commence de s'ouvrir,
Un grand tresor vient à se découvrir,
Tresor caché au puits de Démocrite,
LXXVIII.
On dit soudain: voila qui fut de Grace,
Cecy de Rome, & cela d'un tel lieu,
Et le dernier est tiré de l'Hebreu:
Mais tout en somme est remply de sagesse.
LXXIX.
Nôtre heur pour grand qu'il soit nous semble moindre,
Les seps d'autruy portent plus de raisins;
Mais quand aux maux que souffrent nos voisins,
C'est moins querien, ils ont tort de s'en plaindre.
LXXX.
A l'envieux nul tourment je n'ordonne,
Il est de soy le Juge & le bourreau:
Et ne fut onc de Denis le Taureau
Supplice tel, que celuy qu'il se donne.
LXXXI.
Pour bien au vif peindre la calomnie,
Il la faudroit peindre comme on la sent,
Qui par bon heur d'elle ne se ressent,
Croire ne peut quelle est cette furie.
LXXXII.
Elle ne fait en l'air sa residence,
Ny sous les eaux, ny au profond des bois:
Sa maison est aux oreilles des Rois,
D'où elle brave & flétrit l'innocence.
LXXXIII.
Quand une fois ce monstre nous attache,
Il scait si fort ses cordillons nouer,
Que bien qu'on puisse en fin les dènouer,
Restent toûjours les marques de l'attache.
LXXXIV.
Juge, ne donne en ta cause sentence,
Chacun se trompe en son fait aisément:
Nostre interest force le jugement,
Et d'un costé fait pancher la balance.
LXXXV.
Dessus la Loy tes jugemens arreste,
(Et non sur l'homme, elle est sans affection:
L'homme au contraire est plain de passion,
L'un tient de Dieu, l'autre tient de la beste.
LXXXVI.
Le nombre sainct se juge par sa preuve,
Toûjours égal, entier, ou départy:
Le droict aussi, en Atomes party,
Semblable à soy toújours égal se treuve.
LXXXVII.
Nouveau Ulysse apprend du long voyage,
A gouverner Ithaque en équitè:
Maint a un Scylle & Charibde èvité,
Qui heurte au port, & chez soy fait naufrage.
LXXXVIII.
Songe long-temps avant que de promettre;
Mais si tu as quelque chose promis,
Quoy que ce soit, & fust-ce aux ennemis,
De l'accomplir en devoir te faut mettre.
LXXXIX.
La Loy sous qui l'Estat sa force a prise,
Garde-la bien pour grosse qu'elle soit:
Le bon-heur vient d'où l'on ne s'apperçoit,
Et bien souvent de ce que l'on méprise.
XC.
Fuy jeune & vieil de Circe le bruvage:
N'écoute aussi des Syrenes les chants;
Car enchanté tu courrois par les champs
Plus abruty qu'une beste sauvage.
XCI.
Vouloir ne faut que chose que l'on puisse,
Et ne pouvoir que cela que l'on doit,
Mesurant l'un & l'autre par le droit,
Sur l'Eternel, moule de la Justice.
XCII.
Changer à coup de Loy & d'Ordonnance,
En faict d'Etat est un poinct dangereux:
Et si Licurgue en ce poinct fut heureux,
Il ne faut pas en faire consequence.
XCIII.
Je hay ces mots de puissance absolüe,
De plein pouvoir, de propre mouvement,
Aux saincts Decrets ils ont premierement,
Puis à nos Loix la puissance tolüe.
XCIV.
Croire leger, & soudain se resoudre,
Ne discerner les amis des flateurs
Jeune conseil, & nouveaux serviteurs
Ont mis souvent les hauts Estats en poudre.
XCV.
Dissimuler est un vice servile,
Vice suivy de la deloyaute,
D'où sourd és coeurs des Grands la cruauté,
Qui aboutìt à la guerre civile.
XCVI.
Donner beaucoup sied bien à un-grand Prince,
Pourveu qu'il donne à qui l'a merité,
Par proportion, non par égalité,
Et que ce soit sans fouler sa Province.
XCVII.
Plus que Sylla c'est ignorer les lettres,
D'avoir induit les peuples à s'armer:
On trouvera les voulant dèsarmer,
Que de subjets ils sont devenus maistres.
XCVIII.
Ri si tu veux, un ris ne Democrite,
Puis que le monde est pure vanité
Mais quelquefois touchè d'humanité,
Pleure nos maux des larmes d'Heraclite.
XCIX.
A l'Etranger sois humain & propice,
Et s'il se plaint incline à sa raison:
Mais lui donner les biens de la maison,
C'est faire aux tiens & honte & injustice.
C.
Je t'apprendray, si tu veux en peu d'heure,
Le brau secret du breuvage amoureux,
Aime les tiens, tu seras aimé d'eux,
Il n'y a point de recepte meilleure.
CI.
Crainte qui vient d'amour & reverence
Est un appuy ferme de Royautè:
Mais qui se fait craindre par cruauté,
Luy-mesme craint & vit en defiance.
CII.
Qui sauroit bien que c'est qu'un Diadème,
Il choisiroit aussi-tost le tombeau,
Que d'affeubler son chef de ce bandeau:
Car aussi bien il meurt lors à soy-mesme.
CIII.
De jour, de nuit, faire la sentinelle,
Pour le salut d'autruy toûjours veiller,
Pour le public sans nul gré travailler,
C'est en un mot ce qu'Empire j'appelle,
CIV.
Je ne vis onc prudence avec jeunesse,
Bien commander sans avoir obey,
Estre fort craint, & n'estre point hay,
Estre tyran & mourir de vieillesse.
CV.
Ne va au bal qui n'aimera la danse,
Ny au banquet qui ne voudra manger,
Ny sur la mer qui craindra le danger,
Ny à la Cour pour dire ce qu'il pense.
CVI.
Du medisant la langue venimeuse,
Et du flateur les propos emmielez,
Et du moqueur les brocards enfièlez,
Et du malin la poursuite animeuse.
CVII.
Haïr le vray, se feindre en toutes choses,
Sonder le simple, afin de l'attraper,
Braver le foible, & sur l'absent drapper;
Sont de la Cour les oeillets & les roses.
CVIII.
Adversité, defaveur & querelle,
Sont trois essais pour sonder son amy,
Tel a ce nom qui ne l'est qu'à demy,
Et ne sauroit endurer la coupelle.
CIX.
Aime l'estat, tel que tu le vois estre;
S'il est Royal, aime la royauté,
S'il est de peu, ou bien communauté:
Aime. le aussi, quand Dieu t'y a fait estre.
CX.
Il est permis souhaitter un bon Prince:
Mais tel qu'il est, il le convient porter:
Car il vaut mieux un tyrant supporter,
Que de troubler la paix de sa Province.
CXI.
A ton Seigneur & ton Roy ne te joüe,
Et s'il t'en prie, il t'en faut excuser:
Qui des faveurs des Rois pense abuser,
Bien tost, froissé, chet au bas de la roüe.
CXII.
Qui de bas lieu (miracle de fortune)
En un matin t'es haussé si avant,
Penses-tu point que ce n'est que du vent,
Qui calmera peut-estre sur la brune?
CXIII.
L'estat moyen, est l'estat plus durable:
On voit des eaux le plat pays noyé,
Et les hauts monts ont le chef foudroyé:
Un petit ertre est seur & agreable.
CXIV.
De peu de biens nature se contente,
Et peu suffit pour vivre honnestement:
L'homme ennemy de son contentement,
Plus a, & plus pour avoir se tour mente.
CXV.
Quand tu verras que Dieu au Ciel retire
A coup a coup les hommes vertueux,
Dis hardiment, l'orage impetueux
Viendra bien-tost ébranler cet Empire.
CXVI.
Les gens de bien ce sont comme gros termes,
Ou forts pilliers qui servent d'arcs-boutans
Pour appuyer contre l'effort du temps
Les hauts Estats & les maintenir fermes.
CXVII.
L'homme se plaint de sa trop courte vie,
Et cependant n'employe où il devroit
Le temps qu'il a, qui suffir' luy pourroit.
Si pour bien vivre avoit de vivre envie.
CXVIII.
Tu ne saurois d'assez ample salaire
Recompenser celuy qui t'a soigné
En ton enfance, & qui t'a enseigné
A bien parler, & sur tout à bien faire.
CXIX.
Es jeux publics, au theatre, à la table,
Cede ta place au vieillard & chenu:
Quand tu seras à son âge venu,
Tu trouveras qui fera le semblable.
CXX.
Cil qui ingrat envers toy se demontre,
Va augmentant le los de ton bien-fait:
Le reprocher maint homme ingrat a fait:
C'est se payer, que du bien faire montre.
CXXI.
Boire & manger, s'exercer par mesure,
Sont de santé les outils plus certains:
L'excez en l'un de ces trois aux humains
Haste la mort, & force la nature.
CXXII.
Si quelquefois le mechant te blasonne,
Que t'en chaut-il? helas! c'est ton honneur:
Le blasme prend la force du donneur:
Le los est bon, quand un bon nous le donne.
CXXIII.
Nous meslons tout, le vray parlet se change:
Souvent le vice est du nom revestu
De la prochaine opposite vertu:
Le los est blasme & le blasme est loüange.
CXXIV.
En bonne part ce qu'on dit tu dois prendre,
Et l'imparfait du prochain supporter,
Couvrir sa faute, & ne la rapporter,
Prompt à loüer, & tardif à reprendre.
CXXV.
Cil qui se pense & se dit estre sage,
Tien-le pour fol, & celuy qui scavant
Se fait nommer, sonde-le bien avant,
Tu trouveras que ce n'est que langage.
CXXVI.
Plus on est docte, & plus on se dèfie
D'estre savant: & l'homme vertueux,
Jamais n'est veu estre presomptueux,
Voylà des fruits de ma Philosophie.
FIN.

LES QUATRAINS DU PRESIDENT FAVRE.

I.
POUR vivre à Dieu, l'homme doit en Dieu vivre:
Qui vit à soy, meurt souvent à son Dieu:
Mais celuy-là qui dit au monde adieu,
Mourant à soy, vit bien pour mieux revivre.
II.
Ce n'est mourir de perdre cette vie,
Rien que le corps par la mort n'est vaincu,
Pourveu qu'on ait Chrestiennement vescu,
La mort se voit par soy-mesme ravie.
III.
Ce sac de vers, cette charongne morte,
Un jour, un jour son ame reprendra,
Lors par effect le corps advouëra,
Que non luy l'ame, ains que l'ame le porte.
IV.
Ayant forfait, ne dy point, je suis homme:
Mais souvien-toy d'estre encore Chrestien:
Et t'advoûant indigne d'un tel bien,
Garde sur tout qu'ingrat Dieu ne te nomme.
V.
Où que tu sois, quoy que ton peché face,
Croy que ton Dieu te voit de tout costé:
Pourrois-tu bien de sa divinité,
Respecter moins que d'un Prince la face?
VI.
Adore Dieu comme un Chrestien doit faire,
N'est le prier de levres, ains de coeur:
Le principal, c'est d'aymer son honneur,
C'est l'adorer, ne vouloir luy desplaire.
VII.
Ren-toy devot, si tu veux que la grace
De ce grand Dieu t'empesche de pecher,
Et ne croy pas d'estre si dur rocher,
Que pour cela meilleur il ne te face.
VIII.
Estre devot n'est qu'un desir extreme
De laisser tout pour s'unir tout à Dieu:
Mais qui plus est, quand le temps & le lieu
Le veut ainsi, pour Dieu laisser Dieu mesme.
IX.
Pour vivre bien, fay que souvent ton ame
Rentrant en soy medite sainctement
Quel est ton Dieu, quel toy semblablement:
Combien luy grand, combien toy pauvre infame.
X.
En ces deux poincts, soy-mesme &
Dieu connoistre, Gist tout le bien qui se peut desirer:
Heureux qui peut l'un de l'autre attirer,
Et par le Ciel le ensers reconnoistre.
XI.
Fay qu'un desir de la vie éternelle
Incessamment espoineaonne ton coeur,
Si tu pretens d'estre enfin le vainqueur,
De cette mort qui se vante immortelle.
XII.
Garde-toy bien d'aimer Dieu pour la gloire,
Qu'un jour tu veux de sa main recevoir,
Tu te rendrois indigne de l'avoir,
Le proposant au prix de ta victoire.
XIII.
Ayme ton Dieu pour sa bonté si grande,
Qui te cherit d'un amour si constant:
Peux-tu n'aimer un Dieu qui t'aime tant,
Qui rien de toy que l'amour ne demande?
XIV.
De cette amour si ton ame estoit pleine,
A ton prochain pourrois-tu faire mal?
Puis qu'il ne faut aimer l'homme à l'esgal,
L'amour de Dieu produit l'autre sans peine.
XV.
Pour bien aimer autruy comme toy mesme,
Ne t'aime point sinon comme celuy,
Lequel n'a rien qui ne soit de l'autruy,
Pour estre aimé, non mesmes de soy-mesme.
XVI.
Hay ta chair, & ses plaisirs infames,
Mais encore plus ta propre volonté,
C'est celle-là de qui l'authorité
Fait regorger les enfers de tant d'ames.
XVII.
Tant aimer Dieu que soy-mesme on haisse,
C'est s'aimer bien, & d'amour bien lié:
Mais t'aimer tant, que Dieu soit oublié,
C'est prier Dieu que l'enfer t'engloutisse.
XVIII.
User, jouir, ont telle difference,
Que sans se perdre on en peut abuser:
Jouîr Dieu seul sans jamais en user:
Du reste user, mais non par jouyssance,
XIX.
Honneurs, estats, richesse incomparable,
Cil qui premier vous osa dire bien,
Puis que si mal il connut vostre rien,
Que ne fut-il fait par vous miserable?
XX.
Si les thresors Dieu compare aux espines▪
Comment peux-tu dans ta main les serrer?
Ouvre-la donc, & pour mieux t'asseurer,
Remply ton coeur de richesses divines.
XXI.
Le voyageur n'est il sot, s'il ne change
Tout son argent qui n'a mise autre part?
Tu cours au Ciel pour y prendre ta part,
Pren donc de Dieu quelque lettre de change.
XXII.
Mais pour l'avoir (car par tout il en donne)
Fay liberal l'aumosne à plein boisseau,
Puis que tu scais, que pour un verre d'eau,
Pour un denier il rend mainte couronne.
XXIII.
Quand tu reeaois en tes biens grand dommage,
Pour te sauver Dieu descharge ta nef;
Puis qu'il te faut entrer là haut en bref,
Garde qu'au port tu ne faces naufrage.
XXIV.
Oy ce vieil mot qui dit, Cache ta vie,
Si tu ne veux que vivre impunement:
Mais si tu sais vivre Chrestiennement,
Fay qu'on la voye, & qu'on y prenne envie.
XXV.
Ne cherche point de ressembler, mais d'estre
Tel que tu veux de tous estre estimé,
A quoi te vaut d'estre tel renommé,
Si Dieu te voit, s'ilte tient pour un traistre.
XXVI.
Je ne veux pas que l'honneur tu mesprises,
Quand ta vertu se fera venerer:
Mais je voudrois, que pour plus t'honorer,
Il vinst à toy lors que moins tu le prises.
XXVII.
Ce point d'honneur qui tant pique le monde,
Croy qu'il n'est pas, puis que ce n'est qu'un point:
Ou que s'il est, pour le moins il n'a point
De cet honneur, qui porte qu'on s'y fonde.
XXVIII.
Croy que plustost c'est un seur tesmoignage
Du peu de coeur qu'a l'homme impatient,
Qui pour braver, à la mort s'enfuyant,
Du moindre mot ne peut vaincre l'outrage.
XXIX.
Lors qu'il faudra que la cause publique,
Ou de ton Dieu arme en guerre ton flanc,
Fay voir alors, prodigue de ton sang,
Combien tu vaux, quand le devoir te picque.
XXX.
Ne pense pa; qu'un bon coeur se défie
D'estre vaillant & humble ensemblement:
L'humilité doit estre l'ornement
De la valeur, l'orgueil de la furie.
XXXI.
L'humilité à Platon inconnuë,
Ne s'apprend point qu'en l'Escole de Dieu:
C'est celle-là, qui seule sans milieu.
Se porte en bas pour voler sur la nuë.
XXXII.
Si par discours tu ne peux bien comprendre
De ta grandeur l'immense vilité,
Voy qui tu es, voy qui tu as esté,
Qui tu seras encore apres ta cendre.
XXXIII.
Si Dieu fait chair, s'appelle ver de terre,
Voudrois-tu bien prendre un titre pareil?
Dy que tu n'es que poudre, ains le cercueil,
Où le grand Rien tous ses titres enterre.
XXXIV.
L'humilité n'est point embitieuse
De cét honneur qui la suit dignement:
C'est double orgueil de feindre simplement
L'humilité, qnand elle est orgueilleuse.
XXXV.
Ne pense pas que pour humble te dire,
Ce soit assez d'estre tel reconnu,
Il faut de plus, quand tu seras tenu
Homme de peu, le croire & puis t'en rire.
XXXVI.
Ne fay jamais que ton oeuvre meschante
Donne argument de parler mal de toy:
C'est le secret pour bien vivre & m'en croy,
Ouîr le blasme, & faire tant qu'il mente.
XXXVII.
Quand tu seras outrage comme infame,
Ne dy jamais, je suis homme de bien:
Mais dy sans fard, ha! je merite bien
Pour mes pechez plus de mal que ce blasme.
XXXVIII.
Ne fais estat que de ta conscience,
Si l'on te veut faussement accuser,
Ne laisse pas pour ne scandaliser,
De faire voir à tous ton innocence.
XXXIX.
Pren pour amis ceux qui sont de ton aage,
S'ils sont meilleurs & plus sages que toy:
S'ils ne le sont (sans leur dire pourquoy)
Laisse les là, prend des vieux le plus sage.
XL.
Platon dit vray, que de la défiance
(comme un enfant) la prudence naissoit:
Ne dy qu'encor la deffience soit,
Tout au rebours fille de la prudence,
XLI.
Aime un chacun, si tu veux que Dieu t'aime
Ne pren pourtant un chacun pour amy:
Aime un chacun, voire ton ennemy:
Mais tes amis plus encor que toy-même.
XLII.
A ton amy qu'auras sceu bien élire.
Ne crain d'ouvrir le secret de ton coeur:
Mais pour jamais n'offencer son honneur,
Crain de penser ce qu'il doive redire.
XLIII.
De l'ennemy, qui tes oeuvres épie,
Pour t'en venger tire commodité,
Te faisant bon, si tu ne l'as esté,
Si ja tu l'es, vivant plus sainte vie.
XLIV.
L'homme méchant (esclave de son vice)
Ne peut durer, s'il n'a de grands amis:
Mais pour mon mieux, Dieu me doint ennemîs
Plein d'un desir qui brave ma malice.
XLV.
Pour estre aimé, fay que ceux qui te prisent,
De ta faveur cherissent les honneurs,
Et ne sois pas fait semblable à plusieurs,
Qu'on n'aime point, que de peur qu'ils ne nuisent
XLVI.
Fol est celuy dont le discours se fonde
Sur ce qu'il peut en songe imaginer:
Mais bien plus sot, qui pense gouverner
Apres sa mort une autrefois le monde.
XLVII.
A quoi servir tant de vaines loūanges,
Apres ta mort tu ne les sentiras,
Garde plustost, que là où tu seras,
Tune sois ry du diable & de ses Anges.
XLVIII.
Puis que tu scais quel moyen il faut suivre,
Pour vivre bien, pourquoy ne vis-tu pas,
Pour bien mourir, ainsi qu'à ton trépas,
Tu voudrois bien avoir sceu toûjours vivre.
XLIX.
Si pour guerdon de ta vertu plus rare,
Dieu t'enrichit & de biens & d'honneur,
Louê si haut la bonté du donneur,
Que pour ton mieux il n'en soit plus avare.
L.
Tu peux bâtir comme oyseau sur la terre,
Comme Chestien tu dois bâtir aux Cieux
Ce seul Palais te rende ambitieux,
Dont Dieu sera le masson & la pierre.
LI.
De l'envieux les langueurs nompareilles
Tiennent son coeur justement affligé,
Mais si tu veux estre encor mieux vangé,
Donne à son coeur cent yeux & mille oreilles.
LII.
Du mal d'autruy prendre un plaisir extréme,
Du bien d'autruy concevoir maint regret,
C'est témoigner de ne scavoir que c'est,
Ny bien, ny mal d'autruy, ny de soy-mesme.
LIII.
L'homme lascif prend sa chair pour excuse,
L'avare l'or, le superbe l'honneur,
L'ire un sang chaud, la santé le dormeur,
Et le gourmand, l'envieux tout accuse.
LIV.
Rougis tu point luxurieux infame,
De décharger ta faute sur le corps?
Hé! penses-tu honnissant le dehors,
Rendre plus net le dedans de ton ame?
LV.
Ne dy jamais pour couvrir ta luxure,
Que ce peché se cache dans ta chair:
C'est dans ton coeur que tu dois rechercher
De ton forfait, & la source, & l'ordure.
LVI.
De ces pechez que capitaux on nomme,
Scache sur tous la luxure fuîr,
Ne vois-tu pas les bestes y courir?
Les autres n'ont, que du diable, & de l'homme.
LVII.
L'avare étant de son or idolatre,
N'a pour objet que le mal de son bien,
Et pour compter, changeant son tout en rien,
Moins il en a, plus il dit cinq & quatre.
LVIII.
Bien dit-on vray, qu'il n'est telle richesse
Pour vivre heureux, que le contentement:
L'avare n'a que le content: & ment,
Quand sien il dit, ce qu'aux autres il delaisse.
LIX.
Si tu pouvois le Ciel par l'or acquerre,
Ce soin devroit sans cesse te tenir,
Mais si tu scais quel mal t'en peut venir,
Pourquoy baiser l'excrement de la terre?
LX.
De quoy peux-tu t'enorgueillir superbe,
Si tu n'as rien que Dieu ne t'ait donné?
S'il faut dêja, qu'à peine encore bien né,
Tu sois l'épic, dont la mort fait sa gerbe.
LXI.
L'ambition du Ciel precipitée,
Contre le Ciel va toûjours s'élevant:
C'est pour plonger aux enfers plus avant,
Comme au bourbier la pierre en haut jettée,
LXII.
L'ambition pour mere a l'ignorance,
L'orgueil pour pere, & l'enfer pour pays,
Pour son plaisir cent mille & mille ennuis.
Mais pour bourreau sa seule impatience.
LXIII.
Quoy qu'offensé, sois toûjours debonnaire,
Et en ce point ne ressemble à Platon,
Qui n'épargnoit ses valets, ce dit-on,
Que quand contr'eux il étoit en colere.
LXIV.
Dieu ne veut pas qu'à l'égal d'une fouohe,
Tu sois sans poulx, quand tu es offencé:
Mais que ton coeur (justement courroucé)
Se commandant tienne en bride ta bouche.
LXV.
Le courroux est des tortures plus fortes
Pour découvrir de ton coeur le secret:
Sois au rebours à la grace tout prest,
Tu feras voir qu'en ton coeur Dieu tu portes.
LXVI.
Si des pechez le grand nombre te presse,
Si le combat t'en semble trop affreux,
Je te diray comme en fuy ant tu peux
Les vaincre tous, fuy la seule paresse.
LXVII.
Courir toûjours au devoir de sa charge,
C'est combatant fuyr l'oisiveté:
Sans dur combat le vice n'est dompté,
La seule chair, quand tu fuis pren la charge.
LXVIII.
Ce n'est le tout de brouïller maint affaire,
Pour n'estre dit justement paresseux:
Le principal, c'est n'estre point de ceux,
Lesquels font tout, fors ce qu'ils doivent faire.
LXIX.
Pauvre gourmand, d'où vient que tant tu di [...]
Si tu n'as faim, ou si tost ne l'auras?
Veux-tu scavoir comment tu banniras,
Ces voluptez, goûte mieux les divines.
LXX.
Pourquoy dis tu pour excuser ta bouche,
Que ta santé te fait estre gourmand:
Si par jeusner ton ventre oncques n'apprend,
Combien dort mieux qui sans souper se couche.
LXXI.
Le ventre plein de crapule & de sauce,
Tout en dormant la luxure produit:
Fay le jeuner, il sera moins de bruit,
Et si fera que tant mieux Dieu t'exauce.
LXXII.
Si d'un beau corps le vain regard te tente,
Va voir ton ame, & une, & sans témoins,
Si belle elle est, pourquoy l'aimes tu moins
S'elle ne l'est, qu'est ce qui te contente?
LXXIII.
Si tu voyois la beauté de cette ame,
Lors que de Dieu la grace l'embellit,
Tu brùlerois & ta table, & ton lit,
Pour t'embraser d'une si saincte flame.
LXXIV.
Pour parvenir tu peux bien te promettre,
Sans te flatter, qu'ensin tu parviendras:
Mais ne croy point, lors que grand tu seras,
D'estre si bon qu'il faudroit pour tel estre.
LXXV.
Ne juge point l'homme bon, ou coulpable,
Pour bien, ou mal, qu'il reçoive de Dieu:
Voy seulement si le Ciel, ou le feu,
Déja le fait heureux, ou miserable.
LXXVI.
Vy comme ayant à mourir tout á l'heure,
Vy comme ayant à vivre longuement:
L'un te fera vivre éternellement,
L'autre si peu, qu'à ta mort on te pleure.
LXXVII.
Ne crain la mort, pour douleur qu'elle apporte,
La mort n'est rien, puis qu'on ne la sent pas:
Mais vy si bien, qu'apres ce tien trespas,
La mesme mort aux enfers ne t'emporte.
LXXVIII.
Ton Dieu, ta mort, pour un jour te surprendre,
Comme larrons veillent ja ta maison;
Pour t'asseurer, scache en toute saison,
Faisant bon guet, estre prest de te rendre.
LXXIX.
L'homme de bien peut souffrir calomnie,
Il n'en doit pas estre moins estimé:
Mais quand tu vois quelque homme diffamé,
Croy que son nom est meilleur que sa vie.
LXXX.
De tes amis honore la memoire,
S'ils sont vivans, cherche de les revoir:
S'ils sont ja morts, fay qu'ils puissent te voir
Un jour la haut compagnon de leur gloire.
LXXXI.
D'un tien ami perdant la jouïssance,
Si par sa mort pren le patiemment,
Si par son tort, pren le joyeusement,
Si par le tien, meurs, ou purge l'offence.
LXXXII.
Quand le méchant te voudra faire outrage,
Pour ne venger, ni recevoir le tort,
Fay luy toucher que tu es le plus fort:
Mais en effet montre tov le plus sage.
LXXXIII.
Si de ton Dieu la juste main te presse,
Reconnoissant que c'est pour ton peché,
Souffre joyeux: ou si tu es fâché,
Fay voir que c'est ton peché qui te blesse.
LXXXIV.
Du coeur humain la figure t'exhorte,
Que le tien soit quant au monde serré:
Mais quant à Dieu, large, ouvert & quarré,
Pour le loger quand luv-même s'y porte.
LXXXV.
Peut-on souffrir que la Philosophie
D'un seul instant face si peu de cas,
S'il faut enfin que l'instant du trépas
Donne la loy à l'éternelle vie?
LXXXVI.
Si de la mort le chemin pour Dieu même
Se voit frayé pour monter sur les Cieux,
Quand tu la vois venir clorre tes yeux,
Es-tu Chrètien, si ton ame en est blême?
LXXXVII.
N'atten d'avoir achevé ta carriere,
Pour faire part aux pauvres de ton bien:
En pleine nuit faut-il pour y voir bien,
Que ton flambeau t'éclaire par derriere?
LXXXVIII.
De tes forfaits quand Dieu t'a purgé l'ame,
Sois plus soigneux qu'oncques de ne pecher:
La méche esteinte, au soudain approcher
De la fumée, aussi tost se r'enflamme.
LXXXIX.
Pour vivre heureux, jamais ne t'imagine
L'état meilleur où tu voudrois te voir:
Discours plustost que tu deusses avoir
Pis que tu n'as, comme en étant plus digne.
XC.
Chery l'honneur de voir souvent ton Prince,
Mais pour cela ne frequente la Cour:
Là le plus grand enfin se trouve court,
Le plus vaillant, celuy qui mieux te pince.
XCI.
N'aille à la Cour qui dira ce qu'il pense,
Ny qui craindra d'avoir mille envieux,
Ny qui voudra d'un coeur ambitieux
Pretendre au ciel pour toute recompense.
XCII.
Nul n'est repris de gueule, ou d'avarice,
D'orgueil, luxure, envie, oisiveté,
Sans en rougir, tant soit il éhonté,
Le seul venger fait gloire de son vice.
XCIII.
Rien ne te sert de pleurer tes miseres,
Qu'à faire voir que tu n'as point de coeur:
Veux-tu tirer profit de ta douleur?
Lave un peché de mille pleurs ameres.
XCIV.
Ne dy jamais, tel m'a fait miserable,
Autre que roy ne te peut faire mal:
De ton bon-heur es-tu si liberal,
Qu'au gré d'autruy tu le rendes perdable?
XCV.
L'homme est grand sot, s'il ose se promettre
Cent ans de vie, ha! c'est trop s'abuser:
Quiconque scait sa vie mépriser,
Scache qu'il est de la tienne le maistre.
XCVI.
Le monde est rond, l'ame triangulaire:
Comment pourroient mille mondes remplir
L'ame qui est capable de tenir
Celuy qui peut mille monde défaire?
XCVII.
Heureux celuy qui voit peupler sa race
D'enfans bien nez: mais beaucoup plus heureux,
Qui les rend tels, qu'ils puisse avoir en eux
Dignes vaisseaux, où Dieu verse sa grace.
XCVIII.
Bien que c'est peu de cette vie humaine,
Grand est celuy qui la scait bien priser!
Mais bien plus grand qui la scait mépriser,
Non par dédain, mais pour l'aimer sans peine.
XCIX.
Quand tu voudras compter au vray ton aage,
Ne me di point j'ay soixante ans & plus:
Tu compterois les ans que tu n'as plus,
Compte tes jours dés quand tu seras sage.
C.
Si tu fais mal ton plaisir est d'une heure,
Mais le regret t'en demeure à jamais:
Si tu fais bien te prenant tu t'y plais,
La peine passe, & le plaisir demeure.
FIN.

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