LES STRATAGEMES D'Amour. Nouvelle Curieuse. Dedièè A Madame la Duchesse MAZARIN.
PAR Le Sieur De la Roberdiere.
A LONDRES: Imprimé en l'An 1680.
EPISTRE DEDICATOIRE A Madame la Duchesse MAZARIN.
L'Empire Merueilleux que vous avéz sur tous les esprits vous donnant une Souvrainetè sur leurs Productions, Je ne puis Madame tenir plus longtemps Caché & dans l'obscurité [Page]le fruict de quelques heures sans vous le presenter: Vous y verres une amante de qui les Qualitès Spirituelles ne peuvent entrer en Parallele qu'avec votre Merite, la beautè du Corps & de l'esprit font si bien son Partage qui ny a que Vôtre Grandeur qui puisse lui en disputer le premier rang, & elle seroit même assez temeraire pour se flatter d'un parfait raport avec vous si la Mediocritè de sa Naissance & la Grandeur de la Vostre ne [Page]lui en faisoint voir le discernement. Cette Belle & Spirituelle Provinciale n'orêt jamais osè esperer l'entréé de vostre Cabinét sans ces deux Avantages, elle sâvoit qu'on ne Connoit les Personnes qui ont l'Honneur de vous aprocher que par ces Illustres Caracteres, & que pour plaire a un esprit dont le goust est si fin & aussi delicat que le Vôtre il faillèt être au dessus du vulgaire: Je prend donc la Libertè Madame, de la Conduire dans cette [Page]Academie du beau Sexe & des beaux esprits, elle en sortira satisfaite si dans le recit de ses Avantures elle ne vous a pas entierement deplûe & à pû faire Naître dans vôtre Coeur cette premiere Emôtion qu'excite l'Amour dans sa Naissance: L'Interest que jay dans sa Reception m'oblige a former ces Souhaits & la part que J'oray dans sa Fortune ne me permet pas de la Negliger: Je vous la presente donc pour faire une heure de Vôtre [Page]entretien & prend congé de vous apres avoir obtenû de Vôtre Grandeur la Permission de me dire avec Respect,
obeissant Serviteur,
Alex. De la Roberdiere.
Preface.
LA Crainte que jay eûe (Mon Cher Lecteur) que les Intrigûes qui font la Beaute de la Nouvelle que Je vous presente ne vous fissent Qualifier de Roman une Histoire Veritable, m'a obligè de vous prevenir pour vous asseurer que cet Ouvrage est une sincere Expression de la [Page]verité & qu'il luy Manque toute la Dissimulation & la fausseté pour être fabuleux. Si vous trouvés en quelques Endroits quelque chose de surprenant & dont la Creânce vous soit dificile Reflechissés Je vous prie, fur la puissance de l'Amour lorsqu'il est accompagné de l'esprit & assisté de la Fortune, Je me flatte que vous ne trouverés apres aucun passage que Vôtre Foix ait penne a Franchir & que cet Ouvrage aurâ de vous la Creânce quil merite: Le peu de temps [Page]que j'ay Emploié a le reduire par êcrit ma empesché de luy donner tout le Lustre & l'Ornement que vous y pourés souhaiter, pour tout l'Eclat & les Enrichissements de l'Expression vous ni verrés que la Clarté & la proprieté des termes, mais jéspere si cette piece ne vous deplais pas Entierement d'en mettre au jour de fort Galantes qui meriteront bien mieux Vôtre Aprobation.
Je ne puis finir (cet avantpropos Mon Cher Lecteur) sans vous faire le portraict [Page]d'après Nature d'un Nouvel ecrivain a qui la demangaison de voir son Nom en gros Caracteres a fait mettre au jour le plus impertinent de tous les Livres: tous les Sages ont Interest qu'on le Connoisse, c'est l'Autheur de la Sage Folie, Ouvrage qui seroit parfaict & acompli si on en retranchêt quatres Lettres, c'est un Homme dont le Jugement n'a jamais êtè lapartie predominante de son ame, on n'en parle que comme d'une piece Confisquéé & l'unique Marque d'esprit qu'il ait [Page]jamais donnéé c'est a ce qu'on m'a dit, de s'etre echapé des petites Maisons; Il veut justifier les sottises de son Livre par ses grands Voyages & par sa maniere de Composer fort precipitéé, mais helas c'est Accuser des Inocens le mal vient d'une autre endroit & c'est le Cerveau qui a causé tout le desordre. Il se qualifie de Docteur, Je le croy mais il est du Nombre de ces Docteurs pédans qui gâtent & salissent la Doctrine en la maniant & abusent a la veûe de tout le Monde [Page]d'une Chose si Belle & si excellente il faut neanmoins avoir Compassion de ce Corupteur & Adultere public & excuser par Charité dans un Docteur des fautes qu'on punirét severement dans un êcolier. Mais c'est assés vous entretenir de ces Folies jéspere que vous ne jugerés pas de la Capacité des autres par son Ignorance, comme quelques uns ont faict, & c'est ce qui m'a obligé pour reparer cet Interest public, de vous en faire une si Naïue peinture.
LES Stratagemes D'Amour.
Nouvelle Curieuse.
BIen quil n'y ait rien de plus Ingenieux & de plus inventif que l'Amour, il faut pourtant avoüer que tous les [Page 2]amans ne sont pas Spirituels les ruses, l'adresse, & les Delicatesses d'esprit ne font le Partage que de bien peu & les traïs dont la plûpart sont blessés sont fort grossiers & sans pointe. Il semble que ce Dieu d'Amour dispanse ses Graces & ses Faveurs avec tant de Menagement que s'il donne la Beauté il acorde peu d'esprit & que trés souvant l'on ne peut acheter l'un que par la perte de l'autre: Il faut neanmoins Confesser, en rendant Justice au beau Sexe, qu'il se rencontre a present des Personnes si ecleréés tant par l'eclat de cette Majesté exterieure que par les Lumieres & le Brillant de leur genie, que Je Croy quelles seroint Capables de tromper l'Amour [Page 3]même si la Fidelité & la Candeur ne faisoint un de leurs principaux Caracteres. Il ne faut point chercher de preuves de la verité de ces Avantages (que les Dames possedent) que dans la nouvelle suivante ou la beautè & les qualitès Spirituelles d'une amante y sont trop evidentes pour être Contredites.
Ce fut une des plus Riches & des plus Belles Villes de la France que l'Amour choisit pour être le Theatre des Avantures de Lelie c'êtoit une jeune demoiselle en qui la Nature n'avoit point êtè avare de ses Tresors, il seroit dificile de dire au vray si sa beautè surpassêt son esprit ou si celuy ci pouvêt entrer en parallele avec l'autre; les traicts de son visage [Page 4]êtoint formés avec la proportion la plus reguliere, son tein êtoit d'un Coloris & d'une delicatesse incomparable en un mot elle faisoit la gloire & l'admiration de toute sa Province; son esprit avoit des Charmes desquels il êtoit mal-aisé de se defandre, son humeur êtoit la plus agreable & la plus divertissante du Monde, son air le plus doux & le plus engageant: En fin c'êtoit un de ses Chefdóëures accomplis qui paroissent dans les Cours des Princes: Il êtoit tellement impossible de se defandre de sês pieges particulierement quand elle les tendoit avec dessein quelle ût en peu de temps un nombre prêque infini d'adorateurs; Mais c'est chose merveilleuse q'une persone [Page 5]qui Causét tant d'Amour d'elle même en Conceut si peu pour les autres; tous ces amants luy étoint dans le même degrè d indiference, les braves quelle menoit en triomphe tenoint plus a elle par leur passion que par ses soëns, ils suivoint sans être attaché & ils êtoint des Captifs quelle laissoit sur leur bonne foix & qui se gardoint eux mémes; Ce n'est pas quelle ne fût fort sensible mais son heure n'êtoit pas encore arrivèè & l'Amour avoit penne a trouver un jeune homme capable d'engager un si Noble Coeur.
Enfin il s'en rencontra un qui donna dans la veûe de nôtre heroïne mais elle ne fût pas plûtost blessèè par ses regârs q'uil perdit [Page 6]luy meme sa liberté & devint en un moment son esclave. Ce fut un Jeune Gentilhomme nommé Amador, aussi remarquable par sa Naissance que par ses autres qualitès, il êtoit beau, bienfaict, sâvant dans tous les Exercices des persones de son rang & de plus instruit de tant de Curiosités & de secrets que quand la Nature même se seroit faict voir a luy toute nüe & a decouvert elle ne luy avroit pas plus Communiquè de lumieres qu'il s'etoit âquis de Connoissance; Le hâsar ou plûtost l'Amour qui luy servoit de guide le Conduisit chez un de ses amis apellè Leonte il y trouva Lelie qui randoit visite a la soeur de ce Gentilhomme, Celle qui jusques a present avoit [Page 7]êté invulnerable ne pût supporter les doux regârs de ce Jeune Cavalier, elle fût blessèè & ce coeur desia attaqué acheva de se randre lors qu'Amador se mesla dans la Conversation; Il y fit parêtre une Eloquence si aisèè & si profonde, il y expliqua ses pansèes avec tant de facilitè & en si beaux termes qu'on peut dire que son esprit termina sa Conquête. Nos deux amants reconnurent qu'ils êtoint egalement blessez il ne soupirerent plus que pour leur retraitte afin de se menager une occasion ou ils pûssent se declarer ouvertement ce qui se passoit secretement dans leur Coeur; Lelie prit Congè de la Compagnie & donna en sortant de si tendres Oëillades a Amador quelles [Page 8]auroint emû le Coeur le plus dur & le plus insensible, elle fut bientost suivie de son amant qui se retirà en sa Maison pour panser serieusement aux moiens de se Conserver une si belle Conquête, il êcrivit dés le soir la Lettre suivante a sa Maitresse & l'envoia le lendemain par un de ses laquais.
AMADOR A la Charmante LELIE.
LE premier moment de nôtre entreüeue ayant êté celuy de Mon Engagement, Je ne doute point Aimable Lelie, que mes yeuxs & [Page 9]mes soupirs ne vous aïe donné une parfaite connoissance de ce qui se passoit dans Mon Coeur, si Je suis aussi malheureux que ceux qui m'ont precedés dans l'Adoration de vos attraicts, il faut que le silence la solitude, & l'obscurité finissent mes jours, & que la mort detruise en Moy un Ouvrage que la Nature n'a pas faict assez accompli pour vous plaire; Ma langue nût pas hier la hardiesse de servir d interprete à Mon Coeur Je vous en decouvre aujourdhuy les Sentiments, & vous Conjure par tout ce quil y a d'aimable & d'engageant dans vôtre Persome de m'aprendre m'a destinéé: Vous pourés sans doute (belle Lelie) trouver des Serviteurs qui me surpasseront en Merite mais Je suis [Page 10]certain que vous n'en possederés jamais dont l'affection & la tendresse partent plus du Coeur & qui soint plus Fidels qu'Amador.
Lelie fut au Comble de sa joye quand elle ût receu cette Lettre & quelle en ût faict la Lecture, elle ne pût si bien cacher les Mouvements de son Coeur qu'ils ne parûssent au dehors & donassent a Conêtre a sa Mere Victorie que l'Amour êtoit de la partie: On lisêt dans ses yeux cequi se passoit dans son ame, ses paroles étoint Confuses & l'ordre & l'arangement, qui faisoint d'ordinaire la beautè & l'agrément de ses Discours furent entierement troublèz par la Violence de cette Passion, en êfet [Page 11]c'estoit une Felicitè peu Commune d'etre prevenûe dans ses Amours par une Declaration aussi douce que celle quelle venoit de recevoir, elle jugea donc quelle devoit attendre que son esprit fût dans une assiete plus paisible pour faire reponce a Amador, elle se Contenta de dire a son laquais quelle recevoit les nouvelles de son Maitre avec bien de la satisfaction, & que s'il se trouvoit le lendemain chez Leonte ou il s'étoint desia veus, quelle ne manquerêt pas de si rancontrer Lelie avoit une suivante pour qui elle avoit Conceu une si tendre amitié qu'il luy fut impossible de luy faire un secret de son Amour, elle luy declarâ tout & avec succéz car cette fille [Page 12]glorieuse de la Confidence de fa Maitresse la seruit depuis avec autant de Zele que de Fidelitè. L'Affection de Lelie pour cette demoiselle provenoit d'un parfaict raport de visage & simpathie d'humeur de Marceline (c'êtoit son nom) avec elle, & la ressamblance êtoit si parfaite que la seule difference de Vêtements faisoit le discernement de l'une & de lautre; Cepandant le laquais d'Amador ne Causa pas peu de joie a son Maitre quand il luy declarâ ce qu'il avoit ordre de luy dire de la part de Lelie ses transports furent surprenants & les saïllies de cet amant ne Cederent rien aux marques que sa Maitresse avoit donnèès de son Contentement; Ces [Page 13]deux jeunes Coeurs êtant desia unis ne pouvoint ressentir des Mouvements differents, & le son de la voix & de l'echo avoit moins de raport que leurs soupirs: Nos deux amants passerent la nüit avec des impatiences incroiables les heures & les instans leurs sambloint des siécles & la joye qu'ils se promettoint de leur entreueüe les fit sans cesse soupirer apres cet heureux moment: âtant Conduis le matin par un même esprit ils ariverent prêque en même temps chèz Leonte mais leur surprise fut bien grande de le voir dans l'êtat ou ils le rencontrerent, Leonte êtoit un jeune homme dont l'humeur sanguine & billieuse ne respiroit que les Combats il êpousêt toute [Page 14]sorte de querelle & se faisant une gloire de maintenir les plus foibles il n'en sortêt pas toujours avec son Avantage, il venoit d'ariver en sa Maison tout Couvert de sang par une blessure d'un Coup dépéé, mais par bonheur elle ne fut pas dangereuse & huit ou dix jours de repos pouvoint luy rendre une parfaicte santé; Les Chirugiens qui le panssoint dirent qu'il ne faillêt pas le faire trop parler & que sa foiblesse ne luy permetoit pas: C'est pourquoy nos deux amans se retirerent dans une autre Chambre apres avoir Marqué a Leonte la part qu'ils prenoint a son mal, Floriante soeur du Malade demeurâ aupres de son Frere & Lelie & Amador se trouverent [Page 15]seuls, ils ne perdirent point de temps dans des Discours superflûs ces moments leurs êtoint trop precieuxs, ils en firent donc un bon usage & Lelie dit a Amador, ah? Dieu que je suis sensiblement touchèè de l'accident de Leonte & que le malheur de ce pauvre Gentilhomme me penetre le Coeur, ah! Madame luy repartit Amador, Jene puis m'oposer a la Compassion que vous faites parêtre pour mon amy, mais helas si vous Conceuéz de la douleur de ses Plaïes qui dieu mercy ne sont pas Perilleuses, ayès au moins de la sensibilité pour une blessure que vous avèz faite a mon Coeur, qui peutestre sera mortelle; Il Continuâ d'exprimer son Amour [Page 16]par les Temoignages les plus pressants q'une veritable Affection ait jamais pû produire toutes ces paroles porterent Coup & eurent une puissance Merüeilleuse pour faire Croitre un Amour Naissant, Lelie de son Cotè qui ne gardêt pas le silence repondit a son amant avec des termes les plus obligeants du Monde, elle recût sa Declaration avec toutes les Marques de Bienveillance quelle pouvêt donner a la Persone qui luy êtoit la plus Chere, elle luy jura quelle n'oroit jamais d'autre êpoux que luy & en lui serrant amoureusement la main elle lui demanda les mêmes Protestations, elle les recût bientost mais avec des Paroles si tendres & si Conformes [Page 17]a sa passion quelle ne peut lui refuser un Baiser, ce Baiser amoureux fût donné & receu avec tant de transpors, accompagnè de tant de soupirs qu'il fût bientost suivi de toutes les Faveurs & les Caresses qui ne sont pas incompatibles avec la Vertu: Ces agreables passetemps furent interompus par la presence de Floriane, nos amans se separerent & Amadors s êtant retirè revint le soir pour aprendre l'êtat de la santè de Leonte il êtoit trop son amy pour lui Cacher son Coeur il luy declarâ donc son nouvel Engagement mais helas cette Confidence fût bientost troubléé par ce pauvre blessé il aprit a nôtre amant qu'il avoit Pamphile pour Rival il sceut qu'il alloit souvent [Page 18]Chéz Victorie & que les entretiens qu'il avoit û avec Lelie avoint êté fort frequens: Pamphile êtoit capable de donner de la Jalousie a nôtre amant c'êtoit un Gentilhomme de qui la Naissance êtoit Illustre, les Richesses immenses, & le merite particulieur au dessus du Mediocre, neanmoins Amador avoit recû tant de Faveurs de Lelie qui ût bien de la Pénne a s'alarmer il ne pouvèt sepersuader que la Diffimulation d'une Fille pût si bien feindre & masquer la veritè, & tout son êtonement fût de ce que sa Maitresse lui en avêt fait un Mistere il avoit trop d'Interest dans cette nouvelle pour n'en pas rechercher les Eclaircissements il trouvâ pretexte d'aller [Page 19]Chez Victorie, il y rencontra heureusement celle qui Causêt sa Penne, la presence de la mere obligeâ la Fille à faire parêtre une Modestie qui pouvet passer pour indiference, cela fachoit bien nôtre Gentilhomme, mais son bonheur qui êtoit inseparable de sa persone lui fit naitre l'occasion d'être seul avec Lelie: Victorie fût obligée de Conduire une Dame de qualité qui lui avoit randu visite elle pria Amador d'excuser & par un surcrois de felicité cette Dame êtant fort longue a faire ses adieux nôtre amant ût le temps de se tirer de doute, il aprit le peu de sujet qu'il avoit de Craindre & sceut de Lelie que si son Rival la visitoit Comme amant il n'etoit pas [Page 20]receu d'elle sur ce pied la, elle n'avoit pour lui que les deferences qui êtoint deües a la Grandeur de sa Naissance & sans le respect de sa Mere qui souhaitoit quelle ût pour lui de l'Inclination elle lui auroir donné son Congé: Amador sortit tres satisfaict de sa visite il y receut de Nouvelles Asseurances de son bonheur & Lelie lui promit de lui faire sâvoir au plûtost par êcrit les Veritables Sentiments de son Coeur: Pamphile Cepandant de qui jusques a present l'Amour n'avoit êté Combattu de Persone fût bientost instruit du Merite de son Rival, il ne doutâ point q'un Jeune Homme dont l'esprit & le Corps êtoint Composés de parties si admirables ne fit Ombrage [Page 21]a ses Pretentions il redoubla dans cette pansée ses visites & se persuada que les soèns & les assiduitez pouroint lui Menager un Coeur qu'il ne pouvét posseder ni gangner d'une autre maniere.
Entre toutes les Visites qu'il rendit il n'y en û point de plus fatale a son Rival & de plus funeste a sa Maitresse que celle cy, un jour qu'il alloit a son ordinaire chez Victorie il monta jusques dans la Chambre de Lelie sans rancontrer Persone qui l'empeschast de satisfaire sa Curiositè, il aperceut son Cabinet ouvert & sur la Table un Billet plié: Le soupcon qu'il ût qu'il fût pour Amador lui fit ouvrir, il êtoit en ces termes.
LELIE A AMADOR.
JE ferés Conscience de garder un plus long silence a vôtre êgar, ce serêt abuser avec trop d'excés de la patience d'un amant que d'agir de la sorte: En un mot je pûis vous dire avec sincerité que je vous aime, je dissimulerés de parler autrement & si vous aves remarqué jusques a present dans ma Conduite quelque chose de Contraire a ces Paroles croyes que je suivés plûtost en cela les loix d'une prudence rigoureuse que les Mouvements de Mon Inclination; Vous ne devés pas vous imaginer aucun [Page 23]changement de Mon Cotè puisque je suis a l'epreuve des plus rudes & plus pressantes attaques & ma Constance inflexible & inebranlable.
Adieu.
Pamphile apres la lecture de ce Billet conceut milles desseins de malice & le dêpit, de voir les progrés d'Amador lui en fit executer un, il adjoutâ ces deux Lettres suivantes (NE) qui changerent entierement le sens des Paroles, & le malheur de son Rival voulût qu'il trouvâts assés de lieu pour les placer sans gehenne & sans Contrainte. Il plia le Billet, sortit du Cabinet & fût assés heureux pour se pouvoir retirer sans être veu de Persone: [Page 24]Lelie qui étoit descendüe dans les Offices pour alumer une bougie remonta aussi tost & trouvant sa Lettre desia plièè elle la Cacheta & l'envoia le soir a son amant; Si-tost qu'Amador ût receu la Lettre de sa Maitresse il la baisa Milles fois devant que de l'ouvrir & fit un present a Marceline qui l'avoit aportèè, jamais joye ne fût en même temps si grande & de si peu de durèè: Il se renferma seul dans son Cabinet afin que le plaisir qu'il esperoit recevoir par la lecture de son Billet ne fût point troublé par quelque visite impreveüe; Mais helas ce pauvre amant fût bien surpris il trouva tout a son desavantage & ne pouvant se persuader la verité de ce qu'il voioit [Page 25]dans le Billet il le lût & relût plusieurs fois en ces termes.
LELIE A AMADOR.
JE féres Conscience de garder un plus long silence a vôtre êgar ce sêret abuser avec trop d'excés de la patiance d'une amant que d'agir de la sorte, en un mot Je ne puis vous dire que Je vous aime je dissimulerés de parler autrement, & si vous avés remarqué jusques a present dans ma Conduite quelque chose de Contraire a ces Paroles, Croyes que je suivés plûtost en cela les loix d'une prudence rigoureuse [Page 26]que les Mouvements de mon Inclination: Vous ne devés pas vous imaginer aucun changement de Mon Coté puisque Je suis a l'epreuve des plus redues & plus pressantes attaques, & ma Constance inflexible & inebranlable.
Adieu.
Amador nût pas plûtost faict toutes ses Reflections sur la Nature de cette Lettre, qu'il sortit tout transporté de son Cabinêt & entrant dans une Chambre il se jetta sur un petit lit de Camp en s'êcriant, ah! Crüelle & inconstante par quelle Action ay je attirè ton Couroux? Qu'as tu trouvè en Amador indigne de tes Affections & digne d'un traitement si injurieux, tu dis [Page 27]que tu ne pêux m'aimer avec sinceritè ah! Coeur Volage que mon malheur plûtost que ma mauvaise Condüite à faict passer dune extremitè à l'autre avec tant de vitesse & de promptitude, qui tâ pû donner des Sentiments si oposés a ces premieres tendresses, que sont devenûs ces soupirs ces Caresses, ces Faveurs, & ces Engagements: Ah! ils ne partoint que d'une ame dissimulèè. Ces plaintes furent interompües par Leonte qui entrâ dans la Chambre de nôtre pauvre affigè pour lui rendre visite, aussitost qu'Amador lût aperceu en l'embrassant les larmes aux Yeux il lui dit, Ah! cher Leonte, que la Condition des Hommes est changeante quelle est suiette aux [Page 28]Revolutions & que celui qui passêt il y a peu de temps dans vôtre esprit pour être le plus heureux des Hommes est a present exposé a de sensibles Malheurs: Mais ce qui me perce & penetre davantage le Coeur, c'est l'Infidelité de la Persone que Je cherissês le plus qui faict mon Infortune: Aussitost il lui montrâ sa Lettre mais celuicy n'aiant jamais ressenti les douceurs de l'Amour êtoit fort incapable de Concevoir de semblables deplaisirs il Consola fort mal son amy affligé, il lui dit seulement jene suis pas surpris de vôtre accident, vous ne pouviez attendre que peu de succéz de vôtre Amour, vous Combattiéz un Coeur desia prevenû d'une [Page 29]forte passion pour Pamphile, & il est tres dificile quelque merite que nous aions d'éffacer dans une ame les premieres Impressions que lAmour yà gravèès, tout ce que je puis vous dire c'est que Je m'offre a vous vanger de vôtre Rival aussitost que j'oray servi un de mes amis dans une querelle qui lui est survenüe, nous dévons demain nous trouver dans un Jardin secret proche de vôtre Maison, & j'espere sortir avec Honneur de mon Entreprise. L'esprit d'Amador êtoit trop en desordre pour reflechir sur les Paroles de son ami il l'eust sans doute dissuadé d'une Action si Imprudente & temeraire a un Homme qui n'êtoit point encore en santé & dont les Blesseures [Page 30]êtoint encore Sanglantes, mais il êtoit trop preoccupé de son malheur pour avoir le Jugement Libre, & l'attention particuliere avec laquelle il Considerêt le Cachet du Billet de Lelie l'empeschâ prêque de l'entendre: Il trouvoit dans ce cachet un nouveau sujet de douleur & se plaignêt secretement de l'excés de son Infortune, la graveure du sceau representoit un Cupidon qui avec un Marteau a la main sembloit vouloir forger deux Coeurs sur une enclume & tellement les unir que des deux il n'en fit q'un, cet Embleme êtoit animé de ces deux mots (faux Monnoieur:) la Melancolie d'Amador lui fit Interpreter le sens de ces Paroles a son desavantage il crût que les [Page 31]deux termes qui faisoint l'ame de la devise luy êtoint entierement Contraires & que l'assemblage du mauvais metail avec le bon ne Marquêt autre chose que la fausse Union de leurs Coeurs, apres toutes ces Reflections il s'abandonna entierement a la douleur, il garda un profond silence, & obligea par ce moien Leonte de prendre Congé de lui, bien faché de n'avoir pû aporter aucun soulagement a fa tristesse: Le dêplaisir & le chagrin d'Amador furent si excessifs qu'ils furent bientost suivis d'une fieure violente, il passa la nuit dans des reuveries & des Inquietudes êtranges & le Medecin l'aiant veu le matin jugea par ces simptomes que sa vie êtoit en danger. [Page 32]Le Malade aprit cette nouvelle sans beaucoup s'emouvoir & demandant avec une voix languissante une plume & du Papier il êcrivit la Lettre suivante a Lelie en lui renvoiant son Billet.
Le Mourant AMADOR, A L'inconstante LELIE.
S'Il me reste encore assés de Jugement dans l'êtat deplorable ou vôtre Cruauté me reduit je ne veux m'en servir que pour me plaindre de vôtre Injustice & faire Connêtre par mes dernieres Paroles le deplaisir que jay de [Page 33]vous avoir Conneüe, Je vous renvoie le funeste Billet qui portêt ma Sentence, & Je mourai avec satisfaction si Je puis arracher de Mon Coeur la Tendresse & l'Amour qu'il à Conceû pour vous, mais helas? Je ne le puis malgré toutes vos Rigeurs & vous aprendrés peutêtre dans peu qu'Amador sera expiré en proferant le Nom de Lelie.
Adieu.
Sa foiblesse ne lui permit pas d'en êcrire davantage il renferma le Billet dans sa Lettre & l'envoia promptement a Lelie, mais malheureusement le porteur ne le trouva pas a la Maison, elle êtoit allèè avec sa Mere passer deux jours a la Campagne, [Page 34]& il fût obligé de la laisser entre les mains de Marcéline qu'il instruisit de la Maladie & du peril ou êtoit la vie de son Maitre, c'est pourquoy le Billet ne fut point receu qu'au retour & c'est ce qui causa tout le desordre: Cepandant les Medecins aperceurent de la diminution dans la mal d'Amador & cette fiéure violente l'aiant quitté il ne lui resta plus que de la foiblesse avec un changement extraordinaire dans son visage: Ce commancement de Convalescence fût troublé par un êtrange accident. Leonte venoit d'être blessé dans plusieurs endroits avec bien du danger dans le dêmelé qu'il avêt soûtenu, il êtoit trop eloigné de sa Maison pour si faire porter [Page 35]sans peril & il avêt choisi le logis de nôtre amant pour faire mettre le premier appareil a ses plaiës, Amador lui rendit des soëns & des assiduitèz de Frere & le fit traitter par ses Serviteurs comme un autre lui meme. Cepandant Lelie arriva de la Campagne elle receut la Lettre & le Billet & âprit de Marceline le facheux êtat de celuy quelle cherissêt, elle reconût l'addition des deux Lettres & ne douta point que ce ne fût un tour de l'esprit jaloux de Pamphile, l'extremité dans laquelle cette tromperie avoit reduit son amant la mit au desespoir, elle partit avec empressement pour l'aller voir & lui donner la vie s'il êtoit en êtat de la recevoir: Mais helas elle ne [Page 36]fut pas plûtost arivèè devant la porte de son logis quelle ne vit que de tristes objects de douleur, tout le frontispice de la maison êtoit tendû de noir, un Cercüeil êtoit exposé au public & tous les Serviteurs & domestiques d'Amador revetûs de duëil: La surprise de cette pauvre amante fût fi grande quelle en perdit l'usage de la parole, elle ne pût rester un moment devant un spectable si triste pour elle & elle se fit promptement reconduire a la Maison de Victorie, elle ne fût pas plûtost arivèè quelle tomba en pamoison elle perdit l'usage de tous ses sens & fût près d'un quart d'heure sans donner aucunes marques de vie. Tous les soëns de Marceline [Page 37]& de Victorie furent innutils & la seule voix d'une servante qui prononca avec dessein le Nom d'Amador fût Capable de la faire revenir: elle n'ût pas plutost recouvrè l'usage de la parole que regardant d'un oëil mourant ceux qui êtoint presents pour l'assister, elle dit d'un ton languissant ou est Amador? La Connoissance lui revint parfaictement mais ce ne fût que pour s'abandonner davantage aux plaintes & a la douleur, elle repandit un ruisseau de larmes, arracha ses Cheveux & donna toutes les Marques de la plus violente Affliction qu'on puisse ressentir; On la mit sur le lict, elle ne voulut voir persone le reste de la journèè, & retint [Page 38]seulement aupres d'elle sa Chere Marceline qui sachant le secrèt son Coeur pouvêt seule lui donner de veritables Consolations: Elle passa la nuit sans repos & dans des Troubles d'esprit qui marquoint quelle êtoit la violence de sa passion, elle s'êcrioit quelques fois avec des transports dignes de pitiè, Ah! miserable Lelie, pourquoy as'tu donnè la mort a celui que tu Cherissés davantage, tu às repandu lesang de celui qui devêt faire tous tes plêsirs, Ah! Marceline il faut mourir puisqu'il n'ia que le trepas qui puisse finir mon tourment. Toutes les heures de la nuit se passerent dans de semblables demonstrations de douleur, elle prit seulement quelques moments [Page 39]de repos le matin. Mais il ne dura guere & fût interrompû par un laquais qui montant avec frayeur dans la Chambre de la malade dit en tremblant quil venoit de voir l'esprit d'Amador dans les degréz. Marceline qui ne se laissoit pas facilement aller a de semblables Imaginations ût la Curiosité d'aller voir, mais elle fût bien surprise quelle n'ût pas plûtost ouvert la porte que le laquais avoit fermèè, que le Phantome pretendu entrâ; le laquais ne l'ût pas plûtost aperceu qu'il prit la fuitte & laissa Lelie & Marceline seules plus mortes que celui quelles croioint dans le tombeau, elles furent quelque temps immobiles a la veüe de son visage pâle & [Page 40]d'un long Habit de deuil dont il êtoit revêtu, apres quoy Lelie se rasseurant dit en tremblant a Amador (qui jusques a present surpris de leur Cry & êtonement avoit gardé le silence:) Ah! Dieu faut il que celui qui pandant sa vie faisêt le plêsir de mes yeux soit apres sa mort la peur & la gehenne de mon esprit: Elle n'en dit pas davantage & son amant Cônneut par ces Paroles qu'ils êtoint tous deux dans l'erreur il lui dit ne Cregnéz point (Madame) si vous souhaitez la vie a Amador il n'est pas mort mais si vos Rigueurs continuent de l'outrager il vâ expirer a vos pieds, il lui exposa ensuite la mort de Leonte causèè par ses Blesseures il luy apprit que voulant reconnêtre [Page 41]l'amitié & les bien faits du defunct qui par son Testament l'avét mis au nombre de ses Heritiers, il en avét voulu porter le düeil avec tous ses domestiques & Honorer par ce moien la memoire d'un si bon amy. Lelie de son Coté l'instruisit de la fourbe de Pamphile & la joie qu'eurent nos deux amans par cet eclaircissement leur fit bientost oublier les Pennes qu'ils avoint ressenties, ils se separerent donc l'un & l'autre en versant un torrent de larmes bien differentes de celles que la douleur avoit repandües peu de temps auparavant. Cepandant Victorie apprenant la Convalescence de sa Fille voulût sâvoir d'elle la Cause de sa Maladie elle n'approuva point ses [Page 42]Familiaritez passèès ny cés Engagements secrets & le desir quelle avoit de faire alliance de sa Maison avec celle de Pamphile la fit entierement declarer contre Amador: Pamphile de son Coté apprenant les progrez de son Rival & n'aiant jamais rien pû obtenir de favorable de Lelie ne faisoit plus ses Sollicitations qu'aupres de la Mere, il sâvoit le pouvoir que cette qualitè lui donnoit sur sa Fille & se flatoit que la Vertû dont elle êtoit doüèè l'empecheroit de refuser son Consentement a l'inclination de Victorie. Enefêt si cette amante n'ût êté bien Constante c'êtoit le vray moien de la gangner mais depuis la tromperie de la Lettre qui avoit Causé tant de desordre elle ne [Page 43]pouvêt le regarder qu'avec Indignation. Cepandant Victorie êbloüie par les grandes Richesses de Pamphile temoigna ouvertement a Lelie le dessein quelle avoit quelle acceptâts ce Gentilhomme pour Epoux, elle defandit l'entrèè de sa Maison a Amador & obligea sa Fille de lui êcrire dans des termes Capables de le rebuter: L'esprit de nôtre pauvre amante êtoit dans un grand embaras, son amant n'êtoit point instruit de ce qui se passêt & elle êtoit si observèè quelle ne pouvét plus rien faire sans temoins, Marceline son unique refuge n'êtoit pas pour lors au logis & le Commandement d'êcrire promptement cette Lettre ne lui donnoit pas peu d'Inquietude. [Page 44]Dans cette grande perplexité l'Amour qui n'abandonne jamais ceux qui le reconôisse pour leur Souverain, lui inspira d'êcrire sa Lettre d'un Stile qui apparenment Contenterêt sa Mere & ne pourêt pas désobliger Amador, elle êtoit tellement persuadèè de la beauté de l'esprit de son amant quelle ne doutêt point qu'il ne Conceut bientost le sens de son Billet & il l'avoit autrefois entretenüe de tant de secrets pour l'ecriture quelle se promit un bonne issüe de celui la, elle temoignâ donc a Victorie quelle avoit trop de déference pour ses ordres pour ne pas obëir a son Commandement quelle êtoit prête d'ecrire, mais dans des termes si Chocants [Page 45]que celui pour qui elle avoit autrefois û de l'inclination remarquerêt bientost son Changement; Sa mere la loüa de son Obeissance & Lelie prenant une plume a la main ecrivit la Lettre suivante.
LELIE A AMADOR.
APprenés par cette Lettre que je n'ay plus
D'affection pour vous, bien que devant je n'ûsse
D'esperance qu'en Amador, ma mere Victorie
Ou plûtost mon inclination & ma volonté
M'oblige a choisir Pamphile pour êpoux
Il â mon coeur & vous êtes abusé si vous
Panses a eviter un tel Coup: Je vous
Suis Contraire & je cheris vôtre Rival que je
Suivraydans les lieux les plus eloignés s'il le faut
Pour lui marquer mon Amour.
Adieu.
Victorie ne lui permit pas d'en êcrire davantage elle dit que ces Paroles êtoint suffisantes elle plia la Lettre & l'envoia par un laquais, elle fût donnèè a Amador qui a la premiere lecture qu'il en fit fût un peu surpris, mais les dernieres preuves d'amitié qu'il avoit receües de Lelie êtoint trop recentes pour être sitost suivies d'un si prompt changement, il crût qu'il y avoit quelque chose de misterieux dans un Stile si precipité & la tromperie qui l'avoit seduit dans le premier Billet l'empescha de juger mal de son amante, enfin apres plusieurs recherches la vivacité de son esprit lui fit decouvrir le secret il Connût que pour trouver le veritable sens il ne faillêt pas en [Page 48]faire une lecture Continüe mais qu'il êtoit necessaire de deux Lignes en laisser une, il la relût de cette maniere & la trouva a son avantage.
LELIE A AMADOR.
APprenés paricette Lettre que Je n' ay plus
— — — — — — — —
D'esperance qu'en Amador, Victorie ma mere
— — — — — — — — — —
M'oblige a choisir Pamphile pour êpoux
— — — — — — — — — —
Pansés a eviter un tel Coup, Je vous
— — — — — — — — — —
Suivraydans les lieuxles plus eloignés s' il le faut
Adieu.
Nôtre amant admira la beauté du genie de sa Maitresse & fût ravi d'avoir trouvé la clef d'un Mistere qui lui êtoit si important: [Page 50]Il ne faillêt point de retardement pour instruire Lelie de ce quelle devoit faire, Pamphile n'avoit rien negligé pour venir a bout de ses pretentions Lelie lui êtoit promise & trois jours de termes devoint le rendre heureux; C'est pourquoy Amador n'ût pas plûtost receu le Billet qu'il y fit reponce il l'adressa à Victorie par ce qu'il ne pouvét rien faire tenir a sa Maitresse avec seureté mais la Lettre êtoit Conceüe de telle maniere, qu'il ne douta point quelle ne fût leüe de l'une & de l'autre elle êtoit en ces termes.
AMADOR A VICTORIE.
JE me Console facilement de ma disgrace La perte de Lelie n'est pas fort considerable Si vous vous trouvés demain sans retardement En humeur de la marier vous le prouvés: quand ce serét A onzes heures du soir du gros horloge Elle ne receura pas de moy ces serenades qui se donnoint Proche la porte secrete du Jardin avec Marceline Qui aimoit tant l'air de la Chanson qui finit, L'unique remede a nos maux c'est Lenlerida, &c. jugés par la de mon chagrin je parle naifvement, que cela vous suffise pour reponce Et Croyés que je ne perds rien en une inconstante.
Adieu.
Victorie n'ût pas plûtost fait la lecture de la seconde Ligne de ce Billet quelle ne fit pas de difficulté d'en communiquer le reste a sa Fille, celle cy y apperceut en même temps le dessein de son amant & fût ravie de voir comme malgrè les Rigueurs de sa mere elle avoit lieu d'esperer du succés dans son Amour, le laquais d'Amador s'en alla & Lelie lui dit en partant avec un air enjoüé & dégagé de toutes les apparences de dissimulation; Vâ dis a ton Maitre qu'on suivra ses avis & ses Conseils avec exactitude, j'admire poursuivit elle a sa mere que cet amant hâte lui meme mes nopces & qu'il vous Conseille si ingenûment de me marier dés demain: Hé bien ma Fille lui [Page 53]repartit Victorie apprenés par vôtre propre experience a être sage vous ne Juriés que par Amador & vous pouvés maintenant remarquer quels êtoint les Sentiments de son Coeur, Jugés de l'affection qui'il vous portêt par le deplêsir qu'il temoigne de la perte de la vôtre. Il ne faut pas prendre pour de l'Or tout ce qui Brille ny pour des Diamants tout ce qui à de léclat mais je suis au Comble de ma joie de ce que vous êtes entierement desabusèè & de ceque cet amant, qui vous avoit fasciné les sens vous declare lui meme qu'il ne vous aime pas il faut seulement penser au choses necessaires pour vôtre Mariage j'en ay fait avertir Pamphile & j'ay Commandé [Page 54]mandé qu'on levats les plus riches êtoffes pour faire vos Habits, je vous remets entre les mains la disposition de mes pierreries & de mon Cabinet, faites en sorte que tout paroisse avec eclât parceque je veux que cette Ceremonie surpasse en richesses & en Magnificences toutes celles qui l'ont precedees. Lelie êcoutâ avec une attention Merueilleuse tous les discours de sa mere, elle la remercia fort affecteusement de ses bontés & se retira seule dans sa Chambre avec Marceline: Cette Fille de Chambre n'êtoit point instruite des grands desseins de sa Maitresse elle les apprit & cette simpathie d'humeur qui êtoit entre elles ne pût diviser leurs sentiments, ils approuverent [Page 55]toutes deux le Conseil d'Amador, & Marceline promettant a Lelie quelle ne l'abbandonerêt jamais elle se preparerent serieusement pour cette Execution: Lelie passa avec sa mere la journèè qui devoit mettre fin a ses malheurs ou leur donner un nouveau Commancement, elle se retira d'avec elle sur les dix heures du soir & alla dans son Cabinet pour prendre toutes ses pierreries & tout ce quelle avoit de plus Cher. Onzes heures sonnerent & elle descendit promptement avec Marceline au lieu de l'assignation elle y vit en peu son amant avec son valét de Chambre ils ne se sirent pas grands discours, car ils êtoint hors de saison ils allerent a [Page 56]pied jusque aux dehors de la ville ou ils trouverent dans une Maison quatres Chevaux pour leur Voyage: Amador avêt mis ordre a tout, & pour eviter toute surprise il fit prendre a Lelie I'habit de son valet de Chambre qui se revêtit de celui de Marceline laquelle se parâ des vetements de sa Maitresse: Lelie enqui ce dessein n'avoit point ôté la pudeur obligea son amant de lui promettte qu'il la regarderêt toujours avec respect & qu'il n'exigerêt rien d'elle devant qu'ils fussent unis par le Mariage. Apres ils monterent a Cheval & prirent un chemin qu'il Creurent ne devoir être connû de Personne parcequ'il êtoit sans vestiges ils n'avancerent pas beaucoup [Page 57]parceque la delicatesse de Lelie ne leur permettoit pas d'aller vîtes: Laissons les continuer leur Chemin pour voir cequi se passe dans la Maison de Victorie. Il êtoit onzes heures du matin lorsque Pamphile arriva dans ce logis il venoit au levér de sa Maitresse pour apprendre d'elle même quel Sentiment elle avoit la veille de leur engagement, mais helas il fût bien surpris de trouver tous les domestiques allarmés, la mere de Lelie qui fondoit en pleurs, & en un mot le plus triste spectacle qu'on peut simaginer; il apprit de cette mere affligèè l'enleuement de sa Fille la prise de ses pierreries avec d'autres indices en êtoit une preuve Convaincante elle Conjura [Page 58]cet amant desesperé de l'assister dans ce malheur & lui dit que s'il êtoit assés heureux pour joindre ces fugitifs quelle ferêt de sa Fille une punition si exemplaire quelle les vangerêt tous deux, l'une de sa désobeissance, & l'autre de son peu d'inclination. Ce pauvre Rival irritté sortit en asseurant Victorie quelle apprendiêt bientost des nouvelles des ravisseurs de sa Fille; Il partit aussitost avec sept ou huit Cavaliers de ses amis il fût asses heureux pour prendre le Chemin qu'avoit tenu Amador & fut instruit par des Païsans, du passage de deux Demoiselles avec deux Gentilshommes. Etans tous encouragéz par cette nouvelle ils Courrurent pandant trois heures [Page 59]la poste avec une vitesse incroiable, la troupe s'aresta chez un Seigneur des amis de Pamphile on si rafraichit & on changea de Chevaux, la vigueur avec laquelle ils pousserent leurs nouvelles montures leur fit bientost découvrir ce qu'ils Cherchoint, cela ne leur donna pas peu de joie, leur grand nombre qui fut apperceu de loing de nos Voiageurs, leur fit Conêtre que leur resistance seroit innutile, ils remirent entre les mains de l'Amour le succés d'une si triste avanture & Amador ordonna un profond silence a toute la Compagnie afin que leur deguisement ne fût pas découvert par leur Parole: Enfin ils furent bientost aux prises & Amador qui se battoit [Page 60]en retraife avec son valet de Chambre apparent, leur laissa prendre marceline dont ils se saisirent croiant a ses habits & a son visage que ce fut la veritable Lelie: Pamphile ne put tirer d'elle que des pleurs & des soupirs & cet amant aiant apparenment ce qu'il souhaitêt il negligea la poursuite des autres, qui courant a Brides abattües se virent enfin hors de danger par leur addresse, ils se retirerent dans un Chateau qui appartenoit a un parent d'Amador ils si reposerent & y demeurerent comme dans un lieu de seureté: Cepandant Pamphile se Servant de la Clarté de la lune ne voulut faire aucun retardement, il partit avec sa fausse Lelie & arrivâ [Page 61]avec ceux de sa Compagnie en peu de temps chez le Seigneur ou il avoint Changé de montures. Ils reprirent leurs Chevaux & le silence & les pleurs des Marceline empescherent qu'on ne la reconnût. Ils partirent incessament & furent aux portes de la Ville a trois heures du Matin, elles furent ouvertes peu de temps aprés & Pamphile aiant remercié les Gentilshommes qui lui avoint servi d'escorte Conduisit sa I elie chez celle qu'il Croioit être sa mere: Mais helas ils reconneurent bientost qu'ils êtoint abusés: Ce pauvre Gentilhomme fut le sujet de la risèè de tout le Monde & faisant vertû de la necessité il abandonna toutes ses pretentions a son Rival. Marceline [Page 62]fut tres blaméé de sa Maitresse, mais le plêsir qu'elle avoit receu d'avoir servi Lelie lui fit bientost oublier tout son mauvais traittement: Cepandant nos deux amans êcrivirent a Victorie pour rentrer dans ses bonnes Graces tout le Monde se joignit a leur prieres & ils obtinrênt enfin de cette mere offensèè le pardon & l'amnistie qu'il desiroint: ils arriverent en peu de temps chez elle ou la Ceremonie de leur Mariage fut faicte avec toutes la pompe & la Magnificence possible. Voila la fin des avantures de ces heureux amants qui se recompansent a present avec usures des travaux & des Pennes qui se sont toujours opposés a leurs recherches, si leur Amour [Page 63]à êté Combattu il est maintenant Couronné, & ces Chastes voluptéz qui ne sont assaisonnèès que du Ciel ont succedés a leurs deplaisirs. Dans cette aimable societé leur joie se double & leur douleur se Partage ils vivent encore en amans, & ces degousts qui suivent de si prés les plus purs Contentements n'ont pas ozés troubler le bonheur de leur Himenéé.
Avertissements.
MOn Cher Lecteur vous aurés (s'il vous plaist) la bonté d'excuser quelques Fautes qui se sont Glisseés dans l'Impression & d'avoir egâr quelles sont prêque inevitables dans un Ouvrage mis au jour dans un Païs êtranger ou la Langue Francoise n'est pas Naturelle.
COmme les plus Mauvaises Causes ne manquent pas toujours d'Avocats, Je viens d'apprendre q'un inconnu s'interesse dans la Critique que jay faicte dans ma Preface & qu'il a trouvé tant de beauté & de charmes dans le Livre de la Sage Folie qu'il pretend en faire l'Eloge contre le sens Commun. Pour moy Je me persuade que si cet Homme a quelque legere teinture de Doctrine, tout ce qu'il fera sera plustost un jeu de son esprit q'une preuve certaine de sa Creance, & que tout son dessein (en s'exercant sur un sujet si eloigné des Communes opinions) sera plustost pour exciter l'admiration dans les esprits que pour en Corrompre le Jugement. Quoy qu'il en soit Je l'attend sans Crainte & suis prest a lui faire raison s'il leve le masque & m'attaque a découvert: Il peut écrire en Latin, en Gréc, en Francois, ou Italien, & Je le satisferay en Homme d'Honneur. Adieu.