ECLAIRCISSEMENS SUR LES SCANDALES Injustement pris d'un Livre INTITULE', L'OUVERTURE DE L'EPITRE AUX ROMAINS, Par l'Explication du vers. 27. du Chap. 3.

A LONDRE, Chez ANTOINE HILL. M.DC.LXXXVII.

AUX PROFESSEURS ET DOCTEURS EN THEOLOGIE.

ON s'adresse ici aux Maî­tres de l'art, parce que les plus doctes sont toû­jours les plus équitables juges. Ho­mine imperito nihil est iniquius. J'espere que vos lumieres décou­vriront facilement l'innocence d'un ouvrage contre lequel des demi-sça­vans se sont reoriés. Ces sortes de gens sont esclaves de certaines hy­potheses dont ils canonisent les ter­mes aussi bien que les choses. Mais pour les personnes sçavantes & é­quitables, illeur suffit que dans le [Page]fonds on retienne la saine doctrine, & les apparences de nouveautés ne les effarouchent pas; pourvu que ces nouveautés ne donnent à l'Ecri­ture aucun sens violent, & qui ne soit conforme à l'analogie de la foi. De plus cet ouvrage n'est pas trop pour des Disciples, c'est une courte Analyse de la plus longue & de' la plus difficile des Epîtres de S. Paul. Ceux qui ne possedent pas cette E­pître pour profiter de cet ouvrage, doivent avoir le texte sous les yeux & le suivre de fort prés & fort exa­ctement, en y appliquant les obser­vations de l'Auteur. On ne doute pas que les éclaircissemens qui sont adjoûtés à la fin de cette seconde édition, ne levent tous les injustes soupçons que la plus part des gens a­voient conçu contre le livre sans l'avoir lû.

L'OUVERTURE DE L'EPITRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS.
Par l'explication du vingt septiéme verset du chapitre troisiéme.

‘Nous concluons donc que l'homme est justifié par foi sans les oeuvres de la Loi.’

TOUT le monde tombe d'accord que l'Epître que Saint Paul écri­voit aux Romains est difficile. Cette difficulté naît de divers principes; il y en a qui lui sont communs a­vec les autres livres de l'Ecriture Sainte du Nouveau Testament; par exemple, les fre­quens Hebraïsmes qui s'y rencontrent; le genre d'écrire, qui dans ces siecles étoit tout [Page 6]different de celui d'aujourd'hui. Outre que les Ecrivains sacrez étoient assés peu stilez dans l'art d'écrire selon la methode du mon­de, avec lequel ils n'avoient point de com­merce; adjoûtés la difficulté & la grandeur de la matiere, qui n'avoit point encore été maniéc; & l'inexactitude que ces auteurs sacrez ont laissé couler dans leur stile, étant si fort attachez aux choses qu'ils ont negligé les paroles.

Outre ces sources d'obscuritez que cette Epître peut avoir communes avec les au­tres écrits des Apôtres, il y en a de particu­lieres; & la principale de celles-ci est, que cette Epître est un de ces écrits qu'on appel­le polemiques; Ces sortes d'ouvrages de­viennent facilement obscurs, tant à cause que les matieres controversées qu'on y agite sont naturellement difficiles, que parce que la question est souvent embarassée & la veri té obscurcie par les subtilitez des contredi­sans. La veritable & la principale clef qui nous ouvre ces sortes d'écrits polemiques, c'est la juste connoissance de l'état de la con­troverse. Car si on examine bien toutes les disputes qui paroissent être, ou qui sont ve­ritablement embarassées, on découvrira que l'embarras, ou de l'auteur, ou du Lecteur ne vient que de ce que, ou l'auteur en com­posant n'a pas compris l'état de la contro­verse qu'il veut traiter, ou que le Lecteur en lisant ne comprend pas l'état de la con­troverse, [Page 7]selon qu'il a été posé par l'au­teur.

Nous avons dessein, s'il est possible d'ou­vrir le sens de l'Epître aux Romains, & l'on peut dire que l'intelligence de cette Epître dépend de l'intelligence du verset 27. du troisiéme chapitre, car c'est la conclusion de toute la dispute de l'Apôtre: comme il paroît même par les termes de cette conclu­sion: Nous concluons donc que l'homme est ju­stifié par foi sans les oeuvres de la Loi.

Or il est certain que de l'intelligence de la conclusion dépend l'intelligence des preu­ves, comme de la force des preuves dépend l'évidence de la conclusion. Nous ferons donc deux choses sur ce Texte, la premiere c'est que nous verrons le sens de cette These, l'homme est justifié par foi sans les oeuvres de la Loi: La seconde, c'est que nous exami­nerons de quelle maniere & par quelle me­thode l'Apôtre prouve cette These dans tou­te son Epître.

Comme nous avons remarqué que l'in­telligence d'und dispute dépend absolument de l'intelligence de l'état de la controverse, c'est la premiere chose que nous avons à fai­re & à examiner, sçavoir quel est l'état de la controverse que l'Apôtre traite ici. Il faut donc remarquer d'abord que tous ceux-là se trompent qui se sont imaginez que l'Apôtre avoit en vûë des controverses à peu prés semblables à celles qui s'agitent aujourd'hui [Page 8]sur la matiere de la justification; par exem­ple, si l'homme est precisement justifié par l'habitude & par l'acte de la foi, ou si c'est par la vertu & par le mérite des oeuvres. L'Apôtre n'a point eu dessein d'entrer dans ces questions qui divisent aujourd'hui l'éco­le Romaine de la Protestante. Ce n'est pas qu'il n'ait dit beaucoup de choses, & posé des principes generaux qui sont d'un trés­grand secours pour vuider ces questions. Il est certain que les ennemis que l'Apôtre a­voit en vûë c'étoient ces Pharisiens, ces zé­lateurs de la Loi dont il est si souvent parlé dans le livre des Actes, & qui traverserent de tant de façons l'établissement de l'Evan­gile que Saint Paul prêchoit entre les Na­tions. Voions precisement quel étoit le sen­timent de ces gens-là, & nous aurons trou­vé Thése que Saint Paul combattoit. Ces gens-là soûtenoient que l'oeconomie de Moïse devoit durer eternellement, que cette alliance legale étoit la seule & l'unique voye du salut, que le Messie n'étoit point venu pour détruire cette alliance, mais afin de la faire observer; en un mot que la Loi de Moïse étoit celle qui mettoit les hommes en état de grace, & qui les établissoit dans la disposition prochaine, comme on parle, pour la vie éternelle, en leur donnant la vraie & salutaire justice. Voilà precisement le sentiment que Saint Paul combat, c'est à dire, qu'il établit que ce n'est point la Loi [Page 9]de Moise qui est capable de mettre les hom­mes en état de grace, qu'elle ne confere point la vraye justice salutaire, laquelle con­duit necessairement à la vie eternelle, & rend les hommes agreables à Dieu, mais que ce privilege de sauver les hommes & de les rendre veritablement justes appartient à l'Evangile exclusivement, 1. à l'Alliance de Nature, 2. à l'Alliance Legale. Cela étant posé, il faut presentement voir le sens de nôtre These: Neus concluons que l'homme est justifié par foi sans les oeuvres de la Loi. Elle est composée de trois termes, le pre­mier c'est d'être justifié, le second c'est la foi, le troisiéme c'est les oeuvres de la Loi.

Les Interpretes par justifier, entendent être absous & déclarez justes; par la foy, ils entendent la vertu de la foy en habitude & en acte; & enfin par les oeuvres de la Loi, ils entendent toutes les oeuvres par lesquel­les l'homme rend obéïssance aux Comman­demens de Dieu, qui sont contenus tant dans la Loi morale, que dans toute l'Ecriture du Vieux Testament: & selon cela, le sens or­dinaire qu'on donne à cette proposition, c'est: l'homme est déclaré juste & absous devant Dieu de tous ses péchez par la vertu & l'efficace de la foi, comme cause instru­mentelle qui s'applique les promesses justi­fiantes de l'Evangile, & cela en excluant toutes les bonnes oeuvres faites dans la gra­ce ou hors de la grace, comme ne contri­buant [Page 10]rien à la justification. Je ne sçai si cette These ainsi expliquée n'a point quel­que chose d'incommode, mais je suis assu­ré que ce n'est point l'intention & le but de l'Apôtre. Je dis que cette These ainsi ex­pliquée, pourroit bien avoir quelque chose d'incommode; car je doute qu'on doive absolument exclure toute sorte d'oeuvres de l'affaire de la justification. Il est vrai qu'il faut bannir absolument tout merite des oeu­vres, car il est certain que cette proposition, l'homme est sauvé & justifié gratuitement, est le fondement de toute la doctrine de la grace.* Mais il faut observer que quelques bonnes oeuvres peuvent intervenir dans la justification de deux manieres, ou par voye de merite, ou par voye de condition. La pre­miere est necessairement excluë comme nous l'avons dit, mais je ne voi rien qui ex­cluë la derniere. Au contraire toute l'Ecri­ture la favorise, car il est certain qu'elle de­mande la repentance & l'amandement de vie, comme un préliminaire d'une abso­luë necessité pour recevoir la justification. L'Ecriture Sainte crie par tout, Amendez­vous, & vous convertissez, & vos péchez vous seront pardonnez; ainsi la conversion & la repentance sont des conditions d'une éga­le necessité avec la foi pour recevoir la justi­cation. Or la conversion & la repentance [Page 11]sont des oeuvres, & des oeuvres distinctes de la foi; & dans leur idée elles renferment les premiers actes de toutes les vertus Chrê­tiennes, foi, charité, esperance, humili­té, &c. Car il est impossible d'être vrai pe­nitent & contrit, que l'on n'aime Dieu en quelque degré de veritable amour, que l'on n'espere en lui & en sa misericorde; & enfin l'on ne sçauroit être vrai converti & repen­tant qu'on ne soit humilié veritablement. Or comme ces premiers actes de foi, de cha­rité, d'esperance, & d'humilitê, qui sont renfermez sous l'idée de la repentance, sont de veritables bonnes oeuvres, si la repentan­ce doit préceder la justification, il est clair que quelques bonnes oeuvres doivent aussi préceder la justification. Il ne faut donc pas prendre à la rigueur cette These de Saint Augustin, qui a été adoptée par tous nos Theologiens, Bona opera non praecedunt ju­stificandum, sed sequuntur justificatum. Car cela signifie seulement que cette suite de bonnes oeuvres, qui font un homme habi­tuellement saint & juste, ne viennent qu'a­prés la justification, & ne la précedent pas. En effet il faut remarquer que les bonnes oeuvres qui composent la repentance devant la justification de l'homme, ne partent pas des habitudes de vertu qui soient déja éta­blies dans l'ame. Ce sont seulement des actes qui sont produits par le Saint Esprit, & par cette grace que l'Ecole appclle gratia [Page 12]praeveniens, auxilium actuale; Ainsi la dif­ference qui est entre les bonnes oeuvres qui suivent la justification, & celles qui la pré­cedent, est tres-grande, parce que celles qui suivent la justification, viennent d'une gra­ce actuelle & habituelle, & elles font l'hom­me veritablement juste, puis qu'elle le font habituellement juste, au lieu que les oeuvres qui précedent la justification, ne sont enco­re que des actes sans habitude, & ne peu­vent par consequent donner à leurs sujets le nom de veritables justes. C'est pourquoi les oeuvres qui suivent la justification, meritent beaucoup mieux que les autres le nom de bonnes oeuvres, & en ce sens il est tres-vrai de dire, bona opera sequuntur justificatum non praecedunt justificandum.

Au reste si l'on considere de prés la Theo­logie de Saint Paul dans la matiére de la ju­stification, il paroîtra évidemment qu'il n'a pas dessein d'en exclure generalement toute sorte d'oeuvre: Car au moins il est certain que quand il attribuë la justification à la foi, il entend une foi operante par cha­rité, comme il parle ailleurs, c'est à dire, une foi qui produit efficacement les bonnes oeuvres. Il faut donc considerer la foi sous deux égards, 1. entant qu'elle est un instru­ment de reception, ou une main qui em­brasse & qui fait application des promesses. 2. comme une oeuvre par laquelle on obeït au commandement que Dieu nous donne [Page 13]de croire à sa parole. Sous l'un & l'autre é­gard, la foi contribuë à la justification. Sous le premier égard, c'est à dire, entant qu'elle est une main qui recoitles promesses, on peut dire que la foi justifie d'une manie­re qui lui est propre exclusivement aux bonnes oeuvres. Mais sous le second égard, c'est à dire, entant qu'elle est une oeuvre, il est certain qu'elle n'entre point dans la justi­fication, autrement que quelques autres bonnes oeuvres. C'est à dire, qu'elle est une condition que Dieu demande de l'homme a­vant que de le justifier. Or les autres bonnes oeuvres comme sont les premieres actes de la charité, l'esperance, l'humilité, la repentan­ce, sont des conditions qui ne sont pas moins requises que la foi pour obtenir la justifica­tion. Selon quoi il est clair que l'on ne peut dire que l'homme est justifié par foi sans les oeuvres de la Loi. D'où je conclus que le sens que l'on donne ordinairement à ces paroles de Saint Paul, a de grandes difficultez qui nous doivent obliger d'en chercher un plus commode.

Pour le trouver il faut d'abord voir ce que signifie òans cette dispute le terme de justi­fier; chacun sçait que le mot se prend en­deux manieres. Le 1. est le sens du barreaus dans lequel sens le mot de justifier signifie déclarer juste ou absoudre. Il faut tomber d'accord qu'il se prend en ce sens dans beau­coup de passages de l'Ecriture, par exemple [Page 14]au sixiéme verset du Pseaume cinquante & un. La Vulgate a tourné ut justificeris in verbis tuis; il est clair qu'ici le mot de justi­ficeris, se prend pour être déclaré juste. Ainsi au dixiéme chapitre de Saint Luc ver­set 29. il nous est parlé d'un Docteur de la Loi qui se voulant justifier dit à Jesus, & qui est mon prochain? Au 16. chapitre verset 15. Jesus disoit aux Pharisiens, C'est vous qui vous justifiez vous-mêmes devant les hom­mes. Au dixseptiéme des Proverbes vers. 15. Salomon dit, que celui qui justifie le méchant & condamne le juste, sont également en abo­mination à l'Eternel. Au douziéme chapitre de l'Evangile de Saint Matthieu verset 37. Par tes paroles tu seras justifié, & par tes pa­roles tu seras condamné Au septiéme cha­pitre du Livre de Job, Comment l'homme mortel se justifier a-t'il envers le Dieufort, &c. & au verset 20. du méme chapitre, Si je me justifie, ma propre bouche me condamne­ra. Il est clair que dans tous ces passages, le terme de justifier se prend au sens du bar­reau, mais il y a plusieurs autres passages oùce terme ne se peut prendre en ce sens. Par exemple, au douziéme chapitre de la Pro­phetie de Daniel verset 3. il est dit, que ceux qui en auront justïfié plusieurs, réluiront comme des étoilles. Nous avons tourné qui en auront amené plusieurs à justice, mais la Vulgate Latine suit l'Hebreu en cet en­droit, & qui justificant multos. Au dixhui­tiéme [Page 15]chapitre de l'Ecclesiastique, verset 22. nous lisons selon la Vulgate, Ne expectes usque ad mortem justificari, ce que nous a­vons touné, n'attend point d'être homme de bien jusqu'à la mort. Au vingt-deuxiéme chapitre de l'Apocaly pse verset 11. que celui qui est juste se justifie encore, celui qui est saint, soit encore santifié. Pour peu que l'on aitd'équité, il est impossible de ne pas avoüer que le mot de justifier ne signifie point en ces endroits absoudre, mais qu'il signifie plûtôt rendre juste, devenir juste, & passer d'un état de damnation à un état de salut & de grace. Maintenant il s'agit de sçavoir dans lequel de ces deux sens on le doit pren­dre dans cette dispute de la justification. Je ne trouve pas que le premier sens soit com­mode selon les intentions de Saint Paul & le but de toute la dispute; Ainsi selon mon sentiment le terme de justifier dans cette dispute signifie transporter de l'état de na­ture, qui est un état de condamnation, à l'état de salut & de grace. Or comme l'état de salut & de grace ne consiste pas simple­ment dans l'absolution que nous appellons remission des pechez, mais aussi dans l'in­fusion des qualitez & des dispositions requi­ses pour être sauvez, il est clair que le terme de justifier doit comprendre l'un & l'autre, c'est à dire, la remission des pechez & la communication des dispositions internes & inherentes.

Or que ce terme de justifier se doive prendre ici pour transporter les hommes de l'état de nature & de damnation à celui de salut & de grace, cela est clair ce me semble, 1. parce que l'état de la controverse le de­mande absolument. Il s'agissoit entre Saint Paul & les Pharisiens contre lesquels il dis­pute, de sçavoir par quelle Alliance les hom­mes étoient transportez de l'état de la natu­re corrompuë à celui de la nature rétablie. L'un & l'autre parti tomboit d'accord que les Payens étoient dans l'état de damnation, mais les zelateurs de la Loy soûtenoient que de cet état de panagisme pour passer dans l'état de grace, il faloit subir le joug de la Loi & entrer dans l'Alliance Mosaïque. Saint Paul au contraire soûtenoit que les Pa­yens pour être mis en état de salut, devoient entrer dans l'alliance de grace. Selon cela il est clair que le mot de justifier & celui d'en­trer en état de salut & de grace sont des ter­mes d'une même signification. Or être mis en état de salut ou en état de grace, com­prend ces deux choses, c'est à dire, la remis­sion des péchez & l'infusion des qualitez inherentes, puis qu'un homme ne peut ê­tre en état de grace s'il n'a l'un & l'autre.

2. Il est à remarquer que le terme de ju­stification dans la dispute de Saint Paul com­prend & signifie toute la justice evangeli­que, c'est à dire, toute cette justice qui est communiquée par la vertu de l'Alliance de [Page 17]grace. Cela est clair parce que dans le stile de l'Apôtre Saint Paul, le mot de justice & celui de justification sont deux termes Syno­nimes. Par exemple il dit au Chap. 1. v. 16. & 17. Je ne prens pas à honte l'Evangile de Christ, parce que c'est la puissance de Dieu salutaire à tout croyant, car en lui ser évele tout à plein la justice de Dieu de foi en foi. Ici la justice de Dieu ne signifie pas sa justice vangeresse, c'est la justice evangelique, ou le moyen par lequel Dieu communique aux hommes sa justice salutaire, & le sens est que dans l'Evangile Dieu revele & fait connoître le moyen par lequel il veut justi­fier & sauver les hommes. Ainsi dans le 3. Chap. de la même Epître v. 21. & 22. Main­tenant la justice de Dieu est manifestée sans Loi, & étant à elle rendu témoignage par la Loi & par les Prophetes, voire la justice de Dieu qui est par la foi en Jesus. Christ envers tous & sur tous les croyans. Il est clair que dans ces paroles la justice de Dieu signifie encore la justice evangelique & la justifi­cation. Si donc la justice de Dieu ou la ju­stice evangelique signifie la même chose que la justification, puisque cette justice evangelique comprend & la remission des péchez, & l'infusion des qualitez inheren­tes, il est evident que le mot de justification qui est synony me, doit aussi comprendre ces deux choses.

3. Il faut remarquer aussi que l'Apotre [Page 18]Saint Paul dans cette dispute se sert de plu­sieurs termes synonymes à celui de justifier, par lesquels nous pourrons découvrir quel est le vrai sens de celui de justifier. Par exem­ple celui de vivre de foi, dans ces paroles que l'Apôtre cite plusieurs fois du Prophete Ha­bacuc, le juste vivra de foi; il est certain que vivre de foi & étre justifié par foi c'est absolu­ment la même chose; cela est évident par ce que dit Saint Paul Gal. 3.11. Or que par la Loi nul ne soit justifié il appert, d'autant que le juste vivra de foi, car c'est comme s'il di­soit, or que par la Loi nul ne soit justifié il est évident, parce que l'homme doit être justifié par la foi. Car la preuve de S. Paul ne vaudroit rien, si vivre de foi ne signifioit pas être justifié par foi, exclusivement à la Loi. Cela n'est pas moins évident par le premier chapitre de l'Epître aux Romains v. 17. où l'Apôtre dit, Dans l'Evangile se révele tout à plein la justice de Dieu de foi en foi, selon qu'il est écrit, or le juste vivra de foi. Nous avons déja vû que le mot de justice dans ce verset signifie precisement la justification. L'Apôtre veut prouver que dans l'Evangile la justification se revele, il le prouve par le texte d'Habacuc, or le juste vivra de foi; à moins que vivre de foi ne so it la même cho­se, qu'être justifie par foi, la preuve est ab­solument nulle. Voions presentement ce que signifie la vie de la foi, où vivre de foi. Il est certain que cela signifie cette vie de la [Page 19]grace qui nous est communiquée par l'E­vangile. Or cette vie de la grace comprend ces deux choses, la remission des pechez & l'infusion de la sainteté, car l'homme vit avec Dieu, parce' qu'il est sorti de la mort, c'est à dire du pêché par la remission, & parce qu'il est uni avec Dieu par la confor­mité de sa justice. Ainsi le mot de justifica­tion & de justifier qui est sy nonyme à celui de vivre par foi doit comprendre les deux par­ties qui composent la vie de la grace.

Voici encore un autre terme de même si­gnification que celui de justifier, c'est celui de sauver, par exemple l'Apôtre Saint Paul au 2. chapitre de l'Epître aux Ephesiens: vous étes sauvez par grace, par la foi, & ce­la non point de vous, c'est don de Dieu, non point par oeuvres, &c. & dans la 2. à Timo­thée chap. 1. v. 9. qui nous a sauvez & ap­pellez par une sainte vooation, non point selon nos oeuvres, mais selon son propos arrêté, &c. Pareillement dans le 3. chap. de l'Epître à Tite v. 4. & 5. Quand la benignité & l'a­mour de Dieu nôtre Sauveur est clairement apparuë il nous a sauvez non point par oeuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa misericor de par le lavement de la regenera­tion & le renouvellement du Saint Esprit: Il est clair que dans tous ces passages l'Apôtre prend le mot de sauver pour celui de justi­fier; car il attribuë le salut comme la justi­fication à la grace & à la foi, & en exclud [Page 20]expressement les oeuvres, comme il fait dans la matiere de la justification. Et en effet dans le passage de l'Epître à Tite il explique le mot de sauver dont il s'est servi par celui de justifier, car il ajoûte immediatement aprés les paroles que nous avons citées; afin qu'é­tant justifiez par la grace d'icelui, nous soyons heretiers selon l'esperance de la vie eternelle. Cela érant posé que le terme de justifier & celui de sauver sont synonymes dans la dis­pute de Saint Paul, au moins dans la pluspart des endroits, il est clair que le mot de justi­fier doit comprendre les deux parties qui sont necessaires pour être sauvé. Etre sauvé comprend deux choses, la premiere, rece­voir la remission des péchez & par là être delivré de la colere de Dieu, la seconde, re­cevoir l'esprit de sanctification & par là être delivré de l'esclavage du peché: & par con­sequent le terme de justifier comprend aussi ces deux choses-là!

Remarquons encore, que le mot de benir dans cette dispute de Saint Paul, signifie la même chose que celui de justifier. Dans l'E­pître aux Galates chap. 3. v. 8. l'Ecriture prevoyant que Dieu justifie les Gentils par la foi, a cy-devant evangelisé à Abraham, di­sant; toutes nations seront benites en toy. Il est clair que l'Apôtre prend le terme de be­nir pour celui de justifier, puis qu'il prouve que la promesse faite à Abraham que toutes les Nations seroient benites en lui, a été ac­complie [Page 21]en ce que Dieu a justifié les Gentils par la foi. Dans le quatorziéme verset du même chap. l'Apôtre dit, afin que la bene­diction d'Abraham avint aux Gentils par Je­sus-Christ. Cette benediction d'Abraham est sans doute la justification. Si nous sup­posonsencore ceci, que le mot de justifier & celui de benir dans cette dispute sont de même signification, il paroîtra clairement que le terme de justifier doit embrasser & la remission des pêchez & l'infusion de la justi­ce inherente. Car le terme de benir com­prend l'un & l'autre, puis qu'un homme ne seroit pas veritablement beni de Dieu qui n'auroit que l'une ou l'autre de ces deux choses.

4. Voici une nouvelle raison qui nous persuade cela même que justifier signifie conferer toute la justice evangelique, c'est que dans le 5. chap. de cette Epître aux Ro­mains l'Apôtre fait une opposition de la ma­niere dont le peché est descendu d'Adam sur les autres hommes, à la' maniere dont la ju­stice de Jesus-Christ passe de lui à ses fideles. Or le peché d'Adam est communiqué à ses descendans par deux voyes, l'une est l'im­putation, soit qu'on la pose mediate ou im­mediate; l'autre est la propagation des soüillures inherentes. A fin que l'opposition soit juste & raisonnable, elle doit être par­faite dans toutes ses parties: & par conse­quent afin que l'opposition qui est ici entre [Page 22]le pêche d'Adam & la justice de Jesus Christ soit juste, il faut que la justice de Jesus Christ passe sur les fideles par deux voyes. La premiere est celle de l'imputation qui fait la remission des pechez, l'autre est la communion de la justice inherente par la vertu du Saint Esprit. Et il est clair que le terme de justifier dans l'intention de Saint Paul comprend l'une & l'autre de ces par­ties, puis qu'il oppose toûjours la justifica­tion que nous recevons par Jesus Christ à la corruption que nous heritons d'Adam, la coulpe, dit il, est d'une seule offense en con­damnation, mais le don est de plusieurs offen­ses en justification, & peu aprés: comme done par une seule offense la coulpe est venuëtsur to us hommes en condamnation, ainsi aussi par une seule justice nous justifiant, le don est venu sur tous hommes en justification de vie. Il y a d'avantage, c'est que l'Apôtre Saint Paul explique le terme de justifier par celui de rendre juste, & il ajoûte: Comme par la des­obeïssance d'un seul homme plusieurs ont été rendus pecheurs, ainsi par l'obeissance d'un seul plusieurs seront rendus justes, Or nous ne sommes rendus justes que par cette dou­ble justice, la justice imputée & la justice inherente, & par consequent le terme de justifier comprend le don de l'une & de l'au­tre justice.

5. Ajoûtons à tout cela que l'Apôtre S. Paul comprend evidemment la sanctifica­cion, [Page 23]ou l'infusion de la justice inherente, sous le don de la justification dans le huitié­me chapitre de cette Epître au 29. verset où il dit, ceux qu'il a predestinez, il les a aussi appellez; & ceux qu'il a appellez, il les a aussi justifiez; & ceux qu'il a justifiez, il les a glorifiez. L'Apôtre dans ces paroles fait la chaine du salut, c'est à dire, qu'il fait l'é­numeration de toutes les graces par lesquel­les Dieu nous conduit à la gloire. Mais en­tre les graces il oublie celle de la sanctifica­tion, car il ne met rien entre justifiez & glo­rifiez. Or il n'y a point d'apparence que l'Apôtre eût neglige une grace si essentielle que celle de la sanctification, & de laquelle il dit ailleurs, que sans elle nul ne verra le Sei­gneur. C'est pourquoi nous ne pouvons pas douter que sous le terme de justifier, il ne comprenne l'infusion de la justice inheren­te; & Beze qui étoit grand défenseur du sens du barreau, est pourtant demeuré d'accord de cette verité, qu'ici le terme de justifier comprend le don de la justice evangelique dans toute son étenduë. Il est encore tres­remarquable que l'Apôtre attribuë la justi­fication au S. Esprit: c'est dans ce passage de l'Epître à Tite que nous avons déja cité; où nous lisons ces paroles: Par le lavement de la regeneration & par le don du Saint Esprit, lequel il a épandu abondamment en nous par Jesus Chr. nôtre Sauveur, afin qu'étant justi­fiez par la grace d'icelui nous soyons heritiers [Page 24]Il dit que nous avons reçu le Saint Esprit afin que nous soyons justifiez; C'est donc au S. Es­prit qu'il attribuë la justification. Or si nous prenons le terme de justification, in sensu fo­rensi, ce n'est point le Saint Esprit qui nous justifie, car la justification on ce sens est un acte de Dieu le Pere, par lequel il nous re­lâche la peine de nos pechez en nous impu­tant la satisfaction de son Fils. De sorte qu'il faut necessairement que le terme de justifier se prenne ici pour la communication de la justice evangelique dans toute son étenduë, & en ce sens il est certain que le Saint Esprit nous justifie, parce que c'est lui qui nous communique la justice. On ne me doit pas objecter que dans cette dispute l'Apôtre S. Paul oppose le mot de justifier à celui de condamner: Qui est-ce qui intenter a accusa­tion contre les élûs de Dieu? Dieu est celui qui justifie, qui sera celui qui condamner a? Car même dans ce passage & dans les autres semblables, s'il y en a, le mot de justifier se prend tres-commodement pour la com­munication de toute la justice evangelique. Qui est-ce qui intentera accusation contre les Elûs de Dieu; puisque Dieu est celui qui justifie les fideles, c'est à dire, qui les rend justes & saints, & par voye d'imputation, & par voye de sanctification. Il est même necessaire qu'ici la justification signifie l'un & l'autre, afin que le raisonnement de l'A­pôtre demeure absolument en son entier. [Page 25]Car si Dieu en justifiant les fideles leur par­donnoit simplement leurs pechez, & ne les santifioit pas, il y auroit encore lieu d'in­tenter accusation contr' eux, & le Demon pourroit dire qu'ils ne seroient pas justes de­vant Dieu, puisqu'ils ne seroient pas justes en eux-mêmes. Au lieu que si l'homme par le benefice de la justification est delivré du peché à tous égards, & pour la soüillure, il est clair qu'on peut dire d'un ton ferme, qui est-ce qui intentera accusation contre les Elûs, Dieu est celui qui justifie. On me dira peut­être encore, que hors de cette dispute, le mot de justifier se prend plus ordinairement in sensu forensi, pour l'absolution & la re­mission des pechez. J'en tombe d'accord, & je dis que ce n'est pas sans raison que l'A­pôtre, pour nous exprimer l'action qui nous communique la justice evangelique, s'est servi d'un terme qui signifie ordinairement absoudre & déclarer juste. C'est pour nous signifier que la principale partie de cette ju­stice evangelique consiste dans nôtre abso­lution, comme l'a remarqué en quelques endroits Saint Augustin: Que nôtre justice consiste plus dans la remission de nos pechez que dans nos vertus. C'est une maxime du bon sens aussi bien que de la Philosophie, que, res denominanda est à potiori parte; ainsi, comme l'absolution & la remission des of­fences est dans l'affaire de nôtre salut ce qu'on appelle pars potior, il ne faut pas s'é­tonner [Page 26]que cette principale partie ait donné le nom au tout. Mais ce qui est le principal & qui a causé de cela donne le nom, ne doit pas exclurre la partiè qui est moins principale.

Au reste il ne faut point s'imaginer qu'en prenant le terme de justifier en ce sens on fa­vorise en façon du monde les sentimens des Justiciaires, des Pélagiens, & de ceux qui veulent renouveller le Pélagianisme, ni qu'on fasse aucun tort aux veritez que nous soûtenons contre les Doctenrs de l'Eglise Romaine. Au contraire cela établit beau­coup mieux le salut absolument gratuit, qui est ce que nous avons interest de soûtenir. Quand nous disons avec Saint Paul, que nous sommes justifiez par grace, non point par oeuvre, mais que c'est un don de Dieu qui ne vient point de nous, nous entendons que nous recevons de Dieu gratuitement & le don de la remission des péchez, & celui de la sanctification. Et cette These ainsi ex­pliquée combat bien plus fortement les sen­timens des Docteurs de l'Eglise Romaine, car ils avoüent que la remission des péchez est gratuite, & c'est une maxime de leurs Ecoles; Remissio peccatorum non cadit sub meritum. Mais ils soûtiennent que la santi­fication tombe sous le merite, & qu'un homme par ses premieres oeuvres merite que Dieu lui donne augmentation de grace, pour en faire de nouvelles. C'est ce qu'ils [Page 27]appellent justification seconde. Ils appel­lent justification premiere, la premiere in­fusion de justice que Dieu fait dans un hom­me auparavant méchant, & ils avoüent que cette premiere justification ne tombe point sous le merite. Ils appellent justification seconde les progrés & les nouveaux degrez de santification que la grace ajoûte de jour à autre, & ce sont ces progrés de santification lesquels on peut meriter, selon eux. Or si nous donnons au terme de justifier la ver­tu de signifier toute la justice evangelique qui consiste dans la remission des péchez, & dans les degrez de la santification, Saint Paul posant expressement que nous sommes justifiez par grace, il est clair que par là nous établissons beaucoup mieux que tout ce que nous recevons de Dieu est gratuit, & remis­sion des pechez, & santification. C'est as­sez du mot de justifier, passons à celui de FOY qui est l'autre terme important, dans ce Texte & dans cette Epître.

La foi se prend en divers sens dans l'Ecri­ture Sainte. Je laisse à part tous ces sens, excepté ceux qui regardent nôtre sujet, c'est à dire, que la foi dans la dispute de la justification & dans les Ecrits de Saint Paul se prend en deux sens. Dans le premier elle signifie l'habitude & l'acte de la foi, dans le second elle signifie l'objet de la foi, c'est à dire, l'Evangile ou l'Allian­ce de grace. Dans le premier sens Saint [Page 28]Paul définit la foi au verset 1. du chapitre 11. de l'Epitre aux Hebreux; Une subsistan­ce des choses qu'on espere & une démonstra­tion de celles qu'on ne voit point. Je ne rap­porterai point d'exemples de cette premiere acception de la foi, parce qu'ils sont assez frequens, & que la matiere ne souffre point de difficulté. Mais j'en rapporterai de la seconde acception, dont les exemples ne sont pas moins frequens que ceux de la pre­miere, à quoi l'on n'a pas assez pris garde. En particulier je prétens que c'est le sens au­quel le mot de foi se prend dans le texte que nous expliquons, & dans toute la dispute de la justification que nous essayons d'éclair­cir. Ce n'est pas que dans cette dispute l'A­pôtre Saint Paul ne prenne aussi quelquefois le mot de foi pour l'acte, & l'habitude de la foi, mais il le prend beaucoup plus souvent dans l'autre sens pour l'Alliance de grace, & sur tout dans les passages où il poseses prin­cipes, pour l'éclaircissement de la maniere dont se fait la justification de l'homme. Pour prouver cette verité il est bon d'abord de profiter de la confession que nous font tous les Interpretes, c'est que le mot de foi se prend évidemment en plusieurs passages du Nouveau Testament pour l'objet de la foi, c'est à dire, pour l'Evangile & pour l'Alli­ance de grace. Par exemple, au premier chapitre des Galates verset 23. Mais ils a­voient seulement ouï dire, celui qui autrefois [Page 29]nous persecutoit, annonce maintenant la foi laquelle il détruisoit. Il est clair qu'annon­cer la foi & détruire la foi, c'est annoncer & combattre l'Evangile. Saint Luc au sixiéme chapitre des Actes verset. 7. dit, Et la Pa­role de Dieu croissoit & le nombre des Disci­ples se multiplioit fort en Jerusalem, grand nombre de Sacrificateurs obeïssoient à la foi. Au quatorziéme du même Livre verset 27. Il est dit, que Dieu avoit ouvert aux Gentils la porte de la foi. Au chapitre 12. des Ro mains verset 6. Saint Paul dit, Prophetisons selon l'Analogie de la foi. Saint Paul en sa premiere à Timothée chapitre 3. verset 9. retenons le secret de la foi dans une conscience pure. Au quatriéme chapitre de la même Epitre verset 1. il dit, l'Esprit dit not am­ment qu'és derniers temps quelques-uns se ré­volteront de la foi, & au sixiéme verset du même chapitre, si tu proposes ces choses aux sreres tu seras bon Ministre de Jesus Christ, nourri dans les paroles de foi & de la bonne do­ctrine. Au premier chapitre de l'Epître à Tite verset 13, nous lisons; Ce témoignage est veritable, pour cette cause redargue les vivement, afin qu'ils soient sains en la foi. Saint Jude au troisiéme verset de son Epître exhorte les hommes à soûtenir le combat pour la foi laquelle a été une fois baillée aux Saints. Il est clair que dans tous ces passa­ges le mot de foi se prend pour la doctrine & pour l'objet de la foi; aussi tout le monde [Page 30]en convient, & de là nous tirons cet avan­tage qu'en donnant dans la dispute de la ju­stification ce sens au mot de foi, nous ne lui donnons point de sens qui ne soit trés-fami­lier à S. Paul & aux autres Ecrivains Sacrez. Mais je veux en apporter des preuves plus sensibles. 1. Je le prouve par le but de l'Epître, qui est un flambeau auquel nous devons souvent recourir. Nous avons dit que le but de S. Paul, est de prouver que les hommes sont mis dans l'état de grace par l'Alliance Evangelique, & non par l'Alli­ance Légale. Afin donc de prouver ce qui é­toit en question & que les Juifs disputoient, ils doit prendre le mot de foi pour l'Evan­gile & pour l'Alliance Evangelique, & conclurre que l'homme est justifié par la foi, c'est à dire, par l'Alliance de Grace & non par les oeuvres, c'est à dire, par l'Alliance Légale. Autrement il ne con­clurroit rien contre ses adversaires, avec lesquels il n'étoit pas en dispute, sçavoir si les hommes étoient justifiez precisement par les actes de la foi, ou par les actes des autres vertus.

2. Je le prouve encore par l'intention de S. Paul, qui est d'établir la justification gra­tuite. Qui sera beaucoup mieux établie en supposant que S. Paul oppose alliance à al­liance, & non pas la vertu de la foi aux autres vertus; parce que l'Alliance Légale est l'Alliance des oeuvres qui dit; fais ces choses [Page 31]& tu vivras, & qui ne donne rien pour rien, au lieu que l'Alliance Evangelique est une alliance de grace qui donne tout gratui­tement. Ainsi en désignant par le terme de foi toute cette alliance Evangelique, & po­sant que nous sommes justifiez par cette al­liance, il établit fortement que nous som­mes justifiez gratuitement. 3. J'ajoûte qu'il n'est point vrai-semblable que l'Apôtre Saint Paul dans l'explication de la maniere de la justification Evangelique; ne fasse mention que de la seule cause instrumentel­le de nôtre justification, qui est l'acte de la foi, & qu'il oublie les causes principales qui sont la misericorde de Dieu, le merite de Jesus Christ, & engeneral tout ce qui con­court à nôtre salut. D'où je conclus que l'Apôtre sous le terme de foi doit renfermer toutes les causes qui produisent nôtre justifi­cation, c'est à dire, l'alliance de grace tou­te entiere. 4. Enfin je le prouve par les pa­roles & par les textes de l'Apôtre dans cette dispute. Et pour rendre cette preuve claire, il faut examiner ces textes & en faire une re­vûë, bréve mais generale.

Je commence par le troisiéme chapitre au verset 22. L'Apôtre dit, Maintenant la ju­stice de Dieu est manifestée sans loi, voire la justice de Dieu qui est par la foi en Jesus Christ. Je vous ay déja averti que dans la dispute de Saint Paul la justice de Dieu signi­fie la justification, par laquelle Dieu rend [Page 32]les hommes justes. Ici done l'Apôtre dit que la maniere dont Dieu justifie les hom­mes est manifestée sans loi, c'est à dire, est manifestée sans l'alliance legale, ajoûtant quelle est manifestée par la foi en Jesus Christ, il est clair que l'opposition laquelle Saint Paul fait de la loi à la foi, l'oblige à prendre le terme de foi pour l'alliance evan­gelique, puisque la loi signifie l'alliance le­gale. Le bon sens ne pourroit pas souffrir qu'il opposât une vertu à une alliance, mais l'alliance doit être opposée à l'alliance. Le verset qui suit, qui est le 23. est un excellent commentaire de ce qu'il entend ici par être justifié par foi: Etant justifié gratuitement, dit-il, par la grace d'ycelui, par la redem­ption qui est en Jesus Christ, ici Saint Paul embrasse generalement tout l'Evangile, par ces deux termes de grace, de redemption de Jesus Christ. Car nous sommes justifiez par Jesus Christ redempteur, qui nous don­ne la grace. Et c'est precisement ce que si­gnifie être justifié par foi. Dans le verset 24. l'Apôtre dit, que Dieu a ordonnné Jesus Christ de tout tems pour propitiatoire par la foi: Qui ne voit que la foi se doit ici pren­dre pour l'alliance, Jesus-Christ tire-t'il sa vertu propitiatoire de la foi? nullement, mais il la tire de l'alliance evangelique. Car Jesus Christ n'est propitiatoire qu'en vertu de cette nouvelle alliance que Dieu a traitée avec nous. Au verset suivant qui est le 25. [Page 33]l'Apôtre dit, que Dieu justifie celui qui est de la foi de Jesus. Si vous donnez à ces paroles, qui est de la foi de Jesus, ce sens, qui croit en Jesus, & qui a la foi en Jesus, on ne pourra s'empêcher de dire que le tour de ces mots est violent, mais si par le mot de foi vous en­tendez l'alliance, & que vous expliquiez, celui qui est de l'alliance de Jesus, alors ces paroles seront tout à fait naturelles. Ce que nous voulons prouver paroît évidemment dans le verset 26. Où est donc la ventance? elle est excluse, par quelle loi? Est-ce par cel­le des oeuvres? non, mais par la loi de la foi. N'est-il pas clair que la loi de la foi signifie l'alliance de grace? Or l'Apôtre exprime par ces mots de loi de la foi, ce qu'il signifie par le mot de foi simplement, & par conse­quent par le terme de foi il désigne la loi de la foi toute entiere. Enfin dans le trentiéme verset de ce chapitre, Saint Paul dit, anéan­tissons-nous donc la loi par la foi? Il est enco­re ici plus clair que le jour que le mot de foi se prend pour l'alliance de grace. Ce n'est ni l'habitude ni l'acte de la foi qui semble a­néantir la loi. Les Juifs zelateurs de la loi convertis au Christianisme contre lesquels l'Apôtre dispute, vouloient bien qu'on crût en Jesus Christ, ils ne s'imaginoient pas que l'acte & l'habitude de cette foi anéantit l'al­liance legale. C'est proprement l'alliance evangelique qui paroît anéantir celle de la loi. Et c'est sur quoi l'Apôtre se défend; A­néantissons-nous [Page 34]la loi par la foi? c'est à dire, avons-nous dessein d'anéantir l'alliance le­gale en établissant la nouvelle alliance? ainsi n'avienne, au contraire nous établissons la loi. C'est à dire, à proprement parler, l'al­liance Evangelique n'anéantit point l'allian­ce legale, au contraire elle l'accomplit, car les choses trouvent leur veritable établisse­ment dans leur accomplissement.

Si nous examinons le quatriéme chapitre dans lequel l'Apôtre poursuit cette dispute, nous verrons qu'il prend le terme de foi dans la même signification, par exemple, au verset 11. l'Apôtre dit, qu' Abraham reçût le signe de la circoncision pour un sceau de la ju­stice de la foi, & dans le treiziéme verset, que la promesse n'est point avenuë par la loi à Abraham, mais par la justice de la foi. Il est clair que par la justice de la foi, il faut en­tendre la justice Evangelique, & par conse­quent que la foi se prend ici pour l'Evangile. Dans le verset 14. l'Apôtre ajoûte, si ceux qui sont de la loi sont heritiers, la foi est anéan­tie, & la promesse abolie, qui ne voit que la foi doit aussi signifier ici necessairement l'E­vangile & l'alliance de grace, car le sens du passage est tel: si ceux qui sont sous l'alliance legale sont heritiers, c'est à dire, participans de la justification promise à Abraham, la foi est anéantie, c'est à dire, l'alliance de grace est anéantie. Les paroles de l'Apôtre ainsi expliquées ont un parfaitement bon sens. [Page 35]Mais si on̄ entendoit par la foi, l'habitude & l'acte de la vertu qui porte ce nom, on ne pourroit donner à ces paroles qu'un sens violent, pour les faire aller vers le but de l'Apôtre. Car quand même les hommes au­roient pû être justifiez par la Loi, cela n'au­roit point anéanti la foi. C'est à dire, l'acte & l'habitude de la foi: puisque même sous l'alliance legale il étoit necessaire de croire en Dieu & d'ajoûter foi à sa parole. Dans le seiziéme verset du même chapitre l'Apôtre dit, Pour cette cause est-ce par foi, afin que ce soit par grace. Il est clair que le sens de ces paroles est que Dieu veut justifier les hom­mes par une alliance distincte & opposée à l'alliance des oeuvres, afin qu'ils soient sau­vez par grace; ainsi la foi se prend en ce lieu pour l'alliance qui est opposée à l'alliance des oeuvres. Au reste l'on ne doit point pren­dre d'avantage contre ce que nous avons des­sein d'établir, de ce que dans ce même cha­pitre le mot de foi s'y prend assez souvent pour l'acte ou l'habitude de la foi, comme dans les passages où il est parlé de la foi d'A­braham qui lui fut imputée à justice: car nous ne pretendons pas établir que la foi ne se prenne jamais dans cette dispute pour l'acte & pour l'habitude de la foi, mais seu­le ment que le mot de foi se prend pour l'al­liance de grace Evangelique dans les textes où l'Apôtre pose l'état de la question, & dans ceux où il apporte ses principales preu­ves.

Devant que de quitter l'Epître aux Ro­mains nous pouvons examiner le chapitre dixiéme où nous trouverons que le mot de foi se prend encore dans le même sens. Dans le v. 8. Saint Paul en citant un texte de Moï­se qui dit, la parole est prés de toi, en ta beu­che & en ton coeur, il ajoûte, c'est là la pa­role de la foi laquelle nous préchons. Il est clair que la parole de la foi qui se préche, c'est la parole de l'Evangile & de l'alliance de grace. Il est encore plus évident que Saint Paul prend ce terme dans le même sens au sixié­me verset de ce même chap. où il dit, Moise décrit ainsi la justice qui est par la Loi, que l'homme qui fera ces choses vivra par elles, mais la justice qui est de la foi dit ainsi. Ici le mot de justice, comme nous l'avons déja remarqué ci-devant, se prend pour la justi­fication. L'Apôtre oppose la justification par la Loi, à la justification qui est par la foi. Par la justification qui est par la Loi, il est certain qu'il entend la justification qui est presentée par l'alliance legale. Il ne doit donc pas être moins certain que par la justi­fication qui est par la foi, il entend la justi­fication de l'alliance de grace; ainsi il est clair que par la foi il entend l'alliance Evan­gelique.

Passons presentement à l'Epître aux Ga­lates. C'est un abregé de l'Epître aux Ro­mains. L'Apôtre y traite depuis la fin du 2. chapitre jusqu'à la fin du 4. absolument la [Page 37]même matiere, & dispute contre les mê­mes gens. Dans le vers. 16. du chap. 2. il établit sa These par les mêmes paroles, dont il se sert dans le texte que nous expliquons: Sçachant que l'homme n'est point justifié par les oeuvres de la Loi, mais seulement par la foi de Jesus Christ. Déja dans ces paroles il paroît que l'Apôtre prend le mot de foi pour l'alliance de grace, car il auroit dû di­re la foi en Jesus Christ plûtôt que la foi de Jesus Christ, si par la foi il avoit voulu dé­signer l'acte & l'habitude de la vertu ainsi nommée. Ainsi la foi de Jesus Christ signi­fie l'alliance de Jesus Christ, & cela nous paroîtra d'une tres-grande evidence, si nous examinons le troisiéme chapitre, dans le­quel l'Apôtre poursuit cette dispute. Dés le deuxiéme verset il dit, avez vous reçû l'es­prit par les oeuvres de la Loi, ou par la Predi­cation de la foi? & dans le v. 5. Celui qui pro­duit les vertus en vous, le fait-il par les oeu­vres de la Loi ou par la Predication de la foi? Il faudroit avoir un esprit de contradiction fort singulier, pour nier qu'ici la predica­tion de la foi signifie la predication de l'al­liance de grace. Dans le v. 9. l'Apôtre conti­nuë en disant: Ceux qui sont de la foi, sont benis avec le fidele Abraham, car tous ceux qui sont des oeuvres de la Loi, sont sous la ma­lediction. Etre des oeuvres de la Loi, signifie certainement être sous l'alliance legale. Il est clair aussi qu'être de la foi, signifie être [Page 38]sous l'alliance evangelique; & par conse­quent que la foi se prend ici pour l'alliance. L'Apôtre dit dans le v. 12. Que la Loi n'est point de la foi. Prenez le mot de foi pour l'acte & l'habitude de la foi, je ne sçai pas bien quel sens on pourra donner à ces paro­les. Mais prenez le mot de foi pour l'allian­ce de grace, le sens sera tres-naturel & tres­beau, la Loi n'est point de la foi. C'est à dire, l'alliance legale n'apartient point à l'alliance de grace, & ces deux alliances sont incom­patibles. Dans le v. 14. L'Apôtre ajoûte que nous recevons la promesse de l'esprit, ou l'es­prit promis, par la foi. Prenez le terme de foi pour l'acte & l'habitude de la foi, ce que dit l'Apôtre ne sera point vrai, car ce n'est pas par la foi que nous recevons l'esprit pro­mis, au contraire c'est par l'esprit promis que nous recevons la foi. Mais il est tres-vrai que c'est par la foi, à prendre la foi pour l'al­liance de grace que nous recevons l'esprit promis. Dans le v. 22. L'Apôtre dit, L'E­criture a tout enclos sous peché, afin que la promesse par la foi de Jesus Christ fût donnée aux croyans, & il ajoûte dans le vers. sui­vant, Devant que la foi vint nous étions gar­dez sous la Loi, étant enclos sous l'attente de la foi qui devoit être revelée. Il ajoûte dans le v. 25. Que la foi étant venuë nous ne sommes plus sous Pedagogue. Il ne faut point avoir de penetration {pro}our voir que la foi signifie l'alliance de grace; devant que la foi vint, [Page 39]c'est à dire, devant que l'Evangile vint; nous êtions dans l'attente de la foi, c'est à di­re, nous attendions l'alliance de grace. La foi, dit-il, est venuë, cela signifie claire­ment que l'alliance de grace a été manife­stée; & sans le secours de nôtre commen­taire, l'Apôtre dit expressement, la foi qui devoit être revelée; ce n'est ni l'acte, ni l'habitude de la foi, qui devoit être revelée, c'est l'objet de la foi, c'est à dire, l'alliance de grace & l'Evangile. Enfin si l'on veut lire avec quelque attention ce troisiéme chap. on reconnoîtra clairement que les termes de promesse, d'alliance, & de foi, sont des termes synonymes dans le sens de Saint Paul, & que par consequent la foi signifie l'alliance.

Au reste il ne faut point s'étonner que l'Apôtre se soit servi du terme de foi pour signifier toute l'alliance. 1. Parce que c'est une maniere de s'exprimer naturelle que de désigner l'objet d'une science par la faculté, ou par la science qui considere cet objet. Par exemple, nous disons qu'un homme a ap­pris la Physique pour signifier qu'il a étudié la nature des corps; nous disons qu'il a ap­pris la Medecine pour signifier qu'il a étudié la nature des maladies & des remedes; en un mot, la science signifie tous les objets qu'el­le considere. Or la foi est proprement le nom de la science sainte, & par consequent il ne faut pas s'étonner qu'elle signifie & de­signe [Page 40]signe tous les objets qu'elle embrasse. 2. Il étoit convenable de désigner l'alliance par la principale condition de cette alliance, c'est une maniere de parler familiere au Saint Esprit; l'Ecriture appelle la Circoncision une Alliance: C'est ici mon Alliance, disoit Dieu à Abraham. C'est parce que la Cir­concision étoit une condition de l'Alliance. ainsi nous appellons l'Evangile l'Alliance de la foi, parce que la foi est une condition de cette alliance. 3. Il étoit encore raisonna­ble d'appeller ainsi l'Alliance de Grace, par­ce qu'effectivement la foi a tres-grande part dans cette alliance, & que souvent le tout prend son nom de l'une de ses principales parties. 3. Enfin le terme étoit extréme­ment propre pour l'intention de Saint Paul, car il vouloit désigner une alliance gratuite, dans laquelle Dieu n'exige rien d'onereux, & il ne pouvoit la mieux exprimer que par le terme de foi qui emporte avec soi une idée de facilité, car il n'est rien de moins penible que de croire, & aussi n'y at-il rien de moins meritoire; ainsi ce terme est proprè à nous exprimer une alliance & facile & gratuite.

Il ne nous reste plus que le troisiéme mot considerable en ce texte, c'est celui des oeu­vres de la Loi; sur lequel nous ne nous ar­rêterons pas long-tems, parce qu'il est clair que si le mot de foi désigne toute l'alliance Evangelique, les oeuvres de la Loi doivent désigner toute l'alliance Mosaïque. L'Apô­tre [Page 41]désigne l'une & l'autre alliance, par des termes qui signifient les concitions de ces alliances; la foi est la condition de l'alliance Evangelique, & renferme toute l'alliance, les oeuvres sont la condition de l'alliance le­gale, & signifient aussi toute cette alliance. Ainsi les oeuvres de la Loi signifient la Loi des oeuvros par une metathese qui est assez familiere à Saint Paul Cela est clair par le verset qui precede celui que nous expli­quons, où l'Apôtre dit, Où est la ventance? Elle est forclose. Par quelle Loi? Est ce par celle des oeuvres? non, mais la loi de la foi. Dans ces paroles Saint Paul pose qu'ily a deux loix, la loi des oeuvres, & la loi de la foi. La loi de la foi c'est l'Evangile; la loi des oeuvres c'est la Loi de Moïse, & ce qu'il vient d'appeller la loi des oeuvres, il l'appel­le incontinent aprés les oeuvres de la loi. Ce­la même est évident par l'Epître aux Gala­tes, où l'Apôtre se sert souvent des mêmes termes dans la même signification, par e­xemple dans le 3. chapître aux versets 2. & 5. il dit, Je voudrois seulement entendre ceci de vous: Avez-vous reçu l'esprit par les oeu­vres de la Loi, ou par la predication de la foi? Il est clair, que ces paroles signifient, a­vez-vous reçû l'Esprit par l'alliance legale, ou par l'alliance evangelique? Dans le di­xieme vers. du même chapitre il dit, Tous ceux qui sont des oeuvres de la Loi sont sous la malediction; il est évident que dans ce [Page 42]texte les oeuvres de la Loi signifient l'allian­ce legale, car ces paroles signifient que ceux qui sont sous l'alliance legale, sont sous la malediction. Enfin ce que l'Apôtre Saint Paul appelle les oeuvres de la Loi, il l'appelle par tout ailleurs la Loi simplement, établis­sant que nous ne sommes pas justifiez par la Loi. Par la Loi nul n'est justifié envers Dieu, Gal. 3. v. 11. l'heritage n'est point de la Loi, v. 18. Ce qui fait voir que la loi & les oeu­vres de la loi signifient la même chose, c'est à dire, l'oeconomie Mosaïque. Je n'insiste­rai pas davantage là-dessus, parce qu'à mon sens, la chose ne peut pas souffrir de diffi­culté.

Presentement que nous avons l'intelli­gence de ces trois mots: Justifiez, par foy, justifiez sans les oeuvres de la loi: nous a­vons aussi trouvé le sens de ce passage, nous avons rencontré le but de l'Apôtre, & nous tenons la clef de toute l'Epître. Justifier signifie être transporté de l'état du peché & de mort, en celui de salut & de vie, par la re­mission des pechez & par l'infusion de la ju­stice. La foi signifie toute l'alliance de gra­ce. Les oeuvres de la loi signifient l'alliance legale. Ainsi le sens de l'Apôtre est, je con­clus que nous sommes transportez & mis en l'état de grace, mis en possession de la veri­table justice salutaire, par la seule alliance Evangelique, & point du tout par l'alliance legale. Voilà la these de Saint Paul, voyons [Page 43]presentement comment il la prouve, & fai­sons pour cet effet une courte analyse de ses principales preuves.

Je commence par le premier chapître dans lequel l'Apôtre employe les 15. pre­miers versets à ses salutations & prefaces or­dinaires, destinées à prevenir les esprits des Romains, afin qu'ils écoutassent avec at­tention les choses importantes qu'il avoit à leur dire. Il entre en matiere dans le 16. vers. 16. en disant, qu'il ne prend point à honte l'Evangile de Christ, parce que c'est la puis­sance de Dieu salutaire à tout croyant, aux Juifs premierement, & puis aussi aux Grecs. Voilà la These que l'Apôtre veut prouver dans toute l'Epître, c'est que ni le Grec par l'alliance de la nature, ni le Juif par l'allian­ce de Moïse ne pouvoit être sauvé, & que l'Evangile étoit la seule alliance salutaire aux uns & aux autres. Cette proposition a deux membres generaux; le premier, que le Gree ne peut être sauvé par l'alliance de la nature: le second que le Juif ne peut trou­ver son salut dans l'alliance de Moïse. L'A­pôtre commence par le premier de ces deux membres, comme par celui sur lequel il a­voit moins de choses à dire, & qui souffroit le moins de difficulté. Ainsi dans ce premier chapître il prouve que les Gentils ne peu­vent être sauvez dans leur oeconomie, & c'est à cette fin qu'il fait une description si vive & si longue de leurs crimes, & de la [Page 44]grandeur de leur corruption. Il établit d'a­bord dans les versets 20. & 21. que la con­noissance que les Payens ont tiré des oeuvres de la nature & de la creation ne peut ser­vir qu'à les rendre inexcusables. En suite il fait une longuel enumeration des pechez qui les ont engagez dans la mort eternelle.

Cette affaire étant vuidée dans le chapi­tre premier. L'Apôtre passe dans le chap. 2. à ce qu'il y avoit de plus important, c'est au deuxiéme membre de la proposition ge­nerale, sçavoir que le Juif ne peut être sauvé ni justifié par la loi des oeuvres ou par l'alliance legale. Et c'est aux Juifs ausquels il s'addresse quand il dit, Pourtant ô homme quiconque sois-tu quijuges des autres, tu és sans excuse. Mais parce que cela souffre de la difficulté dans l'esprit de quelques-uns, sçavoir à qui l'Apôtre parle au commence­ment de ce chapitre, s'il continuë de par­ler aux Juifs, je veux bien m'arrêter un peu ici pour faire voir que c'est aux Juifs qu'il parle & non pas aux Gentils.

1. Tout le monde tombe d'accord que l'Apôtre fait une grande parenthese depuis ces paroles du verset 6. qui rendra à chacun selonses oeuvres, jusques à celles-ci du ver­set 17 Voici tu és surnommé Juif. Dans cette parenthese, à propos de ce qu'il dit, que Dieu rendroit à chacun selon ses oeu­vres, il explique quels sont les jugemens de Dieu, qui doivent tomber au dernier jour [Page 45]& sur le Juif, & sur le Grec. Mais la diffi­culté est sur les 5. premiers versets. Or il est évident que c'est aux Juifs qu'il parle, 1. Parce qu'il a dans le chapitre precedent renfermé & conclu tout ce qui se peut dire contre les Gentils. En finissant le chapitre il a prononcé sentence de mort contréux di­sant, que ceux qui commettent telles choses sont dignes de mort. C'est la derniere chose qui se puisse dire, & il n'y a point d'appa­rence que l'Apôtre revienne à eux aprés ce­la. 2. L'Apôtre change de personne, car en parlant aux Gentils il s'est toûjours servi de la troisiéme personne: Ils n'ont point con­nu Dieu: ils sont devenus vains en leurs dis­cours, ils ont changé la gloire de Dieu incor­ruptible, ils sont remplis de toute injustice, &c. Maisici il se sert de la seconde person­ne, ô homme qui és-tu qui juge des autres; & que ce soit à l'égard des Juifs qu'il change ainsi de personne, il paroît parce que de­puis le dix-septiéme verset du même chapi­tre jusques à la fin, où du consentement de tout le monde il parle aux Juifs, il se sert aussi de la seconde personne: Voici tu és sur­nommé Juif, tu connois la volonté, tu penses être le conducteur des aveugles, &c, 3. Si l'Apôtre parloit ici aux Gentils, ils se con­trediroit, car dans le dernier verset du pre­mier chapitre il a dit des Gentils, que non seulement ils commettent ces crimes, mais qu'ils favorisent ceux qui les commettent. [Page 46]Et dans ce premier verset du second chapi­tre, au contraire il dit à ceux ausquels il parle, qu'ils commettoient bien les mêmes crimes, mais qu'au lieu de favoriser ceux qui les commettoient, ils les condamnoient: Car en ce que tu condamnes autrui, tu te con­damnes toi-même, vû que toi qui condamnes, commets les mêmes choses, &c. C'étoit-là veritablement le caractere du Juif qui fai­soit le procés sans misericorde aux Gentils, & cependant il étoit coupable des mêmes crimes. 4. Qui voudra lire avec attention depuis le verset 17. jusqu'à la fin du chapi­tre, on verra que ce n'est rien autre chose qu'une paraphrase de ce qu'il dit, en termes plus abregez, dans ce premier verser. Car il leur reproche qu'en jugeant, enseignant, & condamnant les autres sur le vol, sur l'a­dultere, sur idolatrie, eux-mêmes se rendoient coupables de mémes pechez. Il est donc clair qu'il parle en l'un & en l'autre endroit aux mêmes gens, puisqu'il leur dit les mêmes choses. 5. Mais la maniere avec laquelle l'Apôtre commence son discours au v. 17. Voici tu es surnommé Juif, ne fait-elle pas voir clairement qu'il parle à des gens à qui il venoit déja de parler? Il avoit designé le Juif d'une maniere cou­verte, en disant, ô homme quiconque sois-tu, en suite il prend hardiesse & franchit le pas, & l'appelle par son nom, pour lui faire son procés. 6. Enfin c'est-là le vrai caractere [Page 47]d'un Juif; en ce que tu juges des autres tu es sans excuse, car les Juifs étoient temeraires dans leur jugement, condamnoient les Gen­tils, & les avoient en horreur, & cepen­dant ils n'étoient pas meilleurs, c'est pour­quoi ils étoient sans excuse. Il n'y a là-des­sus qu'une seule difficulté qui est dans le mot, partant; c'est qu'il semble que ce mot fasse la liaison de ce chapitre avec le prece­dent, & que l'Apôtre y parle aux mêmes gens. Mais il faut faire ici une trés-belle ob­servation. dont nous sommes redevables à Origene, c'est qu'il y a ici une transposition de verset, le second doit être mis en la place du premier, dans cet ordre: Or sçavons­nous que le jugement de Dieu est, selon veri­té, sur tous ceux qui commettent telles cho­ses; partant ô homme, &c. Vous voyez que la liaison est tres-belle & tres-naturelle avec le chapitre precedent, où l'Apôtre a décrit une multitude de crimes. Il commen­ce ce chapitre en prononçant que Dieu châ­tiera tous ceux qui les commettent. D'où il conclud en suite par le terme de partant, que ceux qui condamnent ces actions, & qui les commettent sont sans excuse; On peut dire qu'en laissent le partant au commence­ment du chapitre comme il est, cela ne re­vient à rien, & ne fait aucune liaison natu­relle avec le chapitre precedent, non pas même dans l'hypothese de ceux qui veulent que l'Apôtre continuë de parler aux Gen­tils. [Page 48]En transportant ainsi ces versets, com­me certainement il les faut transporter, toute la difficulté est levée, & il demeure clair que l'Apôtre parle aux Juifs. Au reste de semblables transpositions sont tout à fait familieres à l'Apôtre Saint Paul, & dans le chapitre 3, on en voit une notable; le ver­set 6. doit être mis à la place du 8. Dans le chapitre 10. il y en a une autre où le dix­septiéme verset doit être mis en la place du seiziéme. Quoi qu'il en soit, Saint Paul re­commence à parler aux Juifs dans le dix­septiéme verset: Voicy tu és surnommé Juif, & tu te reposes du tout en la Loi, & te glorifies en Dieu. Dans tout le reste du cha­pitre il travaille à convaincre les Juifs de peché, comme il en avoit convaincu les Gentils dans le premier chapitre, & cela à dessein d'établir sa These, c'est qu'il n'y a point d'autre moyen d'être justifié par l'al­liance de grace; car si le Gentil est pecheur dans l'alliance de la nature, & le Juif con­vaincu de peché dans l'oeconomie legale, il faut necessairement une troi siéme dispensa­tion, pour faire l'expiation des pechez de l'un & de l'autre. C'est dans cette vuë qu'il reproche ici aux Juifs de dérober, de com­mettre adultere, de se rende coupables de sacrilege, pendant qu'ils se glorifioient dans la Loi. Depuis le vingt-cinquiéme ver­set jusques à la fin où il dit, Il est vray que la circonsion est profitable si tu garde la Loi, il [Page 49]explique ce qui eût été necessaire afin de pouvoir être justifié par l'Alliance Legale, c'est d'accomplir parfaitement la Loi, & ayant ci-devant convaincu le Juif de l'avoir violée dans tous ses points, il lui fait sentir qu'il ne peut être justifié par cette alliance.

Dans le chapitre troisiéme l'Apôtre pour­suit sa matiere & tend à son but qui est, de convaincre le Juif de ne pouvoir être justifié par l'alliance Legale. Mais au commence­ment du chapitre il résout une difficulté qui naissoit dans l'esprit du Juif, sur la matiere contenuë dans les deux chapitres precedens. C'est qu'il avoit convaincu & le Grec & le Juif d'être également prevaricateurs de la Loi, & de ne pouvoir être sauvez par les oe­conomies dans lesquelles ils avoient vêcu, De là on pouvoit conclurre que donc le Juif & le Grec sont égaux, & que le Juif n'a au­cun avantage sur le Gentil. C'est ce qui lui fait dire, quel est donc l'avantage du Juif? à quoi il répond, grand en toute maniere, & il explique en quoi consiste cet avantage du Juif sur le Grec, nonobstant l'égalité de leur peché. C'est que les oracles de Dieu avoient été commis aux Juifs: où par les oracles de Dieu, il ne faut pas entendre ge­neralement toute la revelation dans son é­tenduë, mais il faut entendre l'alliance que Dieu avoit traitée avec ce Peuple pour le present, & la promesse du Messie pour l'a­venir. Car c'étoit precisement dans ces [Page 50]deux choses que consistoit l'avantage du Juif sur le Gentil. En suite dans le troisiéme verset & les suivans, il prouve que l'infide­lité des Juifs, qui avoient violé les allian­ces n'empêchoit pas qu'ils n'eussent un tres­grand avantage sur les Grecs, que cela n'anéantissoit pas les privileges de leurs Al­liances, & que Dieu ne pouvoit être accusé de leur avoir manqué de foi. C'étoit pure­ment leur faute, s'ils n'avoient pas été ju­stifiez par leur obeïssance à la Loi. L'Apô­tre établit qu'au contraire, bien loin que les prevarications des Juifs contre l'alliance, accusassent Dieu d'infidelité & de peu de fermeté dans ses promesses, cela mettoit plûtôt la bonne foi de Dieu dans un grand jour, par la raison qu'un contraire mis au­prés d'un autre contraire, lui donne plus de jour, & c'est ce que veulent dire ces paro­les; leur incredulité aneantira-t-elle la foi de Dieu? ainsi n'avienne, au contraire Dieu soit veritable & tout homme menteur. Mais de là il naissoit une nouvelle difficulté, c'est que si l'infidelité des Juifs rendoit plus recommandable la fidelité de Dieu, il sem­ble que Dieu ne devoit point punir cette in­fidelité, au contraire il la devoit récompen­ser comme servant à sa gloire. C'est ce qu'il veut dire, quand il dit au verset 5. si nôtre injustice recommande la justice de Dieu, que dirons-nous? Dieu n'est-il pas injuste quand il punit? C'est ainsi qu'il faut lire ces [Page 51]dernieres paroles & non pas comme elles sont dans vôtre Version, Françoise, Dieu est-il injuste quand il punit? Dans le septié­me verset il poursuit la même objection, & il répond dans le sixiéme par ces paroles: Ainsi n'avienne, autrement, comment Dieu jugera-t'il le monde? C'est à dire, Dieu n'est pas injuste quand il punit des pechez qui servent à sa gloire, car s'il étoit injuste, il ne pourroit pas être le juge du monde. Il est à remarquer, comme nous l'avons ob­servé sur le chapitre precedent, qu'il y a ici une metathese du verset 6. qui contient la réponse à l'objection; car naturellement l'objection contenuë dans le cinquiéme & septiéme verset, devoit être exprimée tout d'une suite, & la réponse devoit venir apres, au lieu que la réponse est au milieu de l'ob­jection & la coupe en deux. L'Apôtre re­vient à sa matiere au verset 9. & prouve que les Juifs quant au peché & à l'incapacité d'être sauvez, étoient égaux aux Gentils. Quoi done sommes-nous plus excellens, dit-il? nullement, car nous avons ci-devant con­vaincu que tous, tant Juifs que Grecs, sont sous peché. En suite de quoi il amene une grande suite de passages par lesquels il prou­ve que les Juifs ont été prevaricateurs, & par consequent non justifiez. Et afin que les Juifs n'eussent pas lieu de répondre que dans tous ces passages il étoit parlé des Gen­tils, & non des Juifs, il leur déclare au [Page 52]verset 19. que c'est à eux que la Loiparle, & que c'est d'eux dont elle parle: Or sçavons­nous que tout ce que la Loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bou­che soit fermée. Jusques ici sont ce qu'on peut appeller les premisses des raisonne­mens de S. Paul, & dans le verset 20. com­mence la conclusion; Parquoi nulle ohair ne sera justifiée devant lui par les oeuvres de la Loi; car c'est comme s'il disoit: Je viens de prouver que les Juifs sont prévaricateurs des alliances dans toutes leurs parties, d'où il s'ensuit que les Juifs ni les Grecs ne peu­vent être sauvez par ces alliances. Dans le verset 21. & suivans, il produit & met en avant le nouveau moyen de justification, que Dieu a manifesté par l'alliance de grace, c'est la justification Evangelique, & aprés avoir établi cette justification Evangelique, il tire sa conclusion generale dans le texte que nous avons expliqué: Nous concluons donc que nous sommes justifiez par foi sans les oeuvres de la Loi; e'est à dire, nous concluons que la seule alliance qui sauve se trouve dans l'Evangile.

Dans le Chapitre quatriéme l'Apôtre prouve par un exemple, ce qu'il avoit éta­bli par des raisons dans les Chapitres prece­dens, ce qui est selon toutes les regles de la Methode la plus exacte. Il avoit prouvé ces trois choses dans les chapitres precedens. La premiere que l'on n'est ni justifié, ni sau­vé [Page 53]dans l'alliance de la Nature avant la voca­tion de la Grace. La deuxiéme qu'on n'est point justifié, ni sauvé par l'alliance Mo­saïque. La troisiéme que l'alliance Evan­gelique ou l'alliance de grace est la seule, par laquelle les hommes soient justifiez. Il prouve presentement ces trois choses par l'exemple d'Abraham, lequel pour cet effet il considere en trois états: 1. dans l'état où il étoit avant qu'il fut appellé de Dieu: 2, dans l'état où il se trouva quand il fut dit que la foi lui fut alloüée à justice: 3. enfin dans l'état de la Circoncision. Le premier état étoit de l'alliance de la Nature, le troi­siéme état sçavoir celui de la Circoncision, étoit de l'alliance Mosaïque. Car on peut commencer cette oeconomie, non pas du tems de Moïse qui y mit la perfection, mais du tems d'Abraham qui en reçût les pre­miers fondemens. L'Apôtre prouve dans ce Chapitre qu'Abraham ne fut justifié, ni dans ce premier état, ni dans ce troisiéme état, d'où il conclud qu'il fut justifié dans le deuxiéme. Or il est à remarquer que ce fut dans ce deuxiéme état qu'Abraham re­çût les promesses de la semence benite & que Dieu traita alliance avec lui, qu'en sa semence seroient benites toutes les nations de la terre. Et c'est-là proprement l'E­vangile & l'alliance de Grace, par la­quelle aussi l'Apôtre prouve qu'Abraham à été justifié avant que de recevoir la [Page 54]Circoncision. Les Interpretes pour n'avoir pas bien distingué ces trois états, dans les­quels l'Apôtre con [...]re Abraham, ont trouvé dans ce Chapitre des embarras, d'où ils n'ont pas pû se tirer.

Voici donc comme l'Apôtre commence ce Chapitre selon nôtre version: Que di­rons-nous donc qu'Abraham nôtre Pere a trouvé, selon la chair: Paroles que les In­terpretes, selon mon sens, n'ont point entenduës. Je croi qu'au lieu de tourner, que dirons-nous donc? il faut dire, quoi donc? s'arrêter-là par un point d'interrogation, & continuer, dirons-nous qu'Abraham nôtre Pere a trcuvé selon la chair? Ici trouver est une façon de parler qu'on appelle Ellipti­que, qui signifie trouver grace, c'est à dire, étre justifié, étre agréable à Dieu. C'est ainsi qu'il se prend au 6, Chapitre de la Genese quand il est dit de Noë, qu'il trouva grace de­vant Dieu. Selonla chair, c'est à dire, dans l'état de la nature & avant la vocation de Dieu. Et je ne sçai pas comment les Inter­pretes qui veulent, que dés ce verset Abra­ham soit consideré comme étant déja dans l'Alliance de Dieu, se peuvent imaginer, qu'étre selon la chair, se prenne en bonne part, vû que la chair & étre en la chair se prennent par tout pour la corruption. Ainsi le sens du premier v. est, Quoi donc? di­rons-neus qu'Abraham nôtre pere a été justi­fié & a trouvé grace devant Dieu étant enco­re [Page 55]dans l'état de la chair, & dans l'alliance de la nature? L'Apôtre continuë ainsi, Certes si Abraham a été justifié par les oeu­vres, il a de quoi se vanter, mais non pas envers Dieu, & ces paroles donnent encore de la peine aux Interpretes; parce que l'A­pôtre semble avoüer qu'Abraham a été ju­stifié par les oeuvres, ce qui est tout à fait opposé à son intention. Voici le sens; dans cet état de la nature Abraham étant en­core en la chair, a bien pû être justifié, c'est à dire, il a pû passer pour juste par ses oeuvres qui étoient moralement bonnes: Mais dans cet état il ne passoit pour juste que devant les hommes & non pas devant Dieu, qui connoît le fond des coeurs & les défauts essentiels de ces oeuvres qui ne sont que mo­ralement bonnes. Ainsi dans ces deux pre­miers versets, l'Apôtre établit qu'Abra­ham n'a point été justifié dans l'état de la Nature. Dans le troisiéme verset il ajoû­te: Que dit l'Ecriture? Abraham a crû à Dieu & il lui a été alloüé à justice. Par les­quelles paroles il marque le point dans le­quel Abraham commença d'être justifié, c'est celui dans lequel il crût à ses promes­ses. Voici donc le deuxiéme état dans le­quel l'Apôtre considere Abraham. Depuis ce verset 3. jusqu'au 9. Saint Paul explique ce que c'est qu'être alloiié à justice, & prou­ve par le Pseaume 32. que ces paroles signi­fient une justification gratuite sans merite [Page 56]& sans oeuvres. Dans le neuviéme verset & les suivans il considere Abraham dans le troisiéme etat, c'est celui de la Circonci­sion, & montre que ce n'a point été dans cet état precisement qu'il a été justifié, parce qu'il avoit été justifié dans le prepuce avant que de recevoir la Circoncision. Or il faut toûjours se souvenir que la Circoncision par metonimie signifie ici l'alliance legale toute entiere, tellement que l'Apôtre prou­vant qu'Abraham n'ayant pas été justifié dans la circoncision, prouve par cela mê­me qu'Abraham n'a pas été justifié par l'al­liance legale. Depuis le treiziéme verset jusques à la fin, l'Apôtre s'occupe à prou­ver, amplifier & expliquer cette these, que la justification n'est point arrivée à Abra­ham par l'alliance legale, mais par l'Evan­gile.

L'Apôtre passe aux objections qui se pouvoient faire contre la doctrine qu'il a­voit établie, & par raisons & par exemple, dans les chapitres precedens, & il y répond. C'est dans le cinquiéme chapitre qu'il com­mence à se faire des difficultez, & a y ré­pondre. Depuis le verset 1. jusqu'au 12, du chapitre 5. exclusivement, il explique les fruits de la justification, sçavoir la paix, la reconciliation avec Dieu, l'amour, l'es­perance, le secours de Dieu dans les affli­ctions. Dans le douziéme il commence à entrer dans la matieve des objections, & [Page 57]voici qu'elle est la premiere à laquelle il ré­pond. Il avoit établi que les hommes sont justifiez par l'alliance de grace de Jesus-Christ; ce qui emporte que les hommes sont justifiez uniquement par la justice qui découle de Jesus-Christ. Or cela faisoit u­ne grande difficulté dans l'esprit des Juifs & peut être des Gentils qui lui pouvoient dire, comment se peut-il faire que par la justice qui découle d'un seul homme plu­sieurs soient justifiez? L'Apôtre n'exprime pas cette objection, il la supprime par une methode qui luy est assez ordinaire, & met seulement la réponse, en montrant par le peché d'Adam, que si le peché d'un seul homme a pû se répandre sur tout le genre humain, la justice d'un seul peut aussi se ré­pandre sur tous ceux qui sont justifiez. C'est dans cette vûë que jusqu'à la fin du chapitre il fait une opposition perpetuelle entre la justice de Jesus-Christ & le peché d'A­dam.

Sur ce Chapitre il nous faut faire brie­vement deux choses, devant que de le quiter. La premiere c'est d'expliquer le 13. verset qui a de la difficulté. L'Apôtre dit, jus­ques à la Loi le peché étoit au monde. Or le peché n'est point imputé quand il n'y a point de Loi. L'Apôtre dit cela pour prouver ce qu'il avoit avancé dans le verset precedent, que tous les hommes ont peché; & il le prouve en disant que les hommes avant que [Page 58]la Loi fut donnée étoient reputez coupables. Mais quand il ajoûte: Or le peché n'est point imputé, quand il n'y a point de Loi, selon nôtre version, il semble détruire ce qu'il vient de dire: Car si le peché n'a point été imputé avant la Loi de Moise, les hommes alors ne devoient donc pas être réputez coupables. Les Interpretes se seroient tirez de cette difficulté, s'ils avoient apperçû que l'on doit lire ces paroles avec un point d'interrogation de cette maniere: Le peché n'est-il point imputé quand il n'y a pas de Loi? C'est à dire, avant la Loi de Moïse, les hommes n'étoient-ils pas reputez pecheurs? C'est une interrogation affirmative, qui est une sorte negation, selon l'axiome des Grammairiens; Interrogatio affirmativa est fortis negatio. Pour prouver que les hommes étoient reputez coupables avant la Loi, l'Apôtre ajoûte que la mort a regné de­puis Adam jusqu'à Moyse. Car en effet, si les hommes n'avoient point été reputez coupables dans cet espace de tems, ils ne se­roient pas morts.

L'autre chose que nous avons à faire, c'est de dire un mot sur la question, sçavoir sidans ce chapitre l'imputation du premier peché d'Adam est établie par l'Apôtre? Je répons qu'oüi, 1. Parce que Saint Paul se sert de diverses expressions, qui emportent cette imputation; par exemple quand il dit au verset 12. que tous ont peché en Adam, car c'est ainsi qu'il faut tourner ces paroles [Page 59] e'ph 'o pantes emarton, in quo omnes peccave­runt; avec la Vulgate. C'est la signification de la proposition epi dans cette construction, comme on peut voir, 1. Thess. 3.7. Heb. 9.17. Marc 2.4. Ce qu'il dit aussi dans le 16. v. que la coulpe est d'une seule offense en condamnation, emporte assez clairement l'imputation. Mais sur tout cette imputation est prouvée par le but de l'Apôtre S. Paul, car il a dessein de faire un paralelle exact entre la maniere dont le pe­che d'Adam s'est répandu sur les hommes, & la maniere dont la justice de Jesus-Christ se répand sur les élûs. Or la justice de J. Christ se répand par deux voyes, par voye d'imputa­tion, & par voye d'infusion & d'inherence, car les satisfactions de Jesus-Christ nous sont imputées d'une part, & sa sainteté d'autre part nous est donnée par le S. Esprit. Le para­lelle seroit donc tout à fait imparfait & dé­f [...]lant, si le peché d'Adam ne passoit à nous que par voye de propagation & d'inherence, & non par voye d'imputation. Ainsi afin que ce paralelle soit juste, le peché d'Adam doit passer à nous par voye d'imputation & de pro­pagation, comme la justice de Jesus-Christ nous est donnée par l'imputation & par infu­sion. Le dogme de la non imputation, est à mon sens, l'un des plus temeraires qui ait été avancé dans l'Ecole des Reformés, car ou­tie qu'il nie une verité soûtenuëd unconsen­tement de seize siecles, il donne beaucoup de prise aux Sociniens, qui nient l'imputation [Page 60]de nos pechez à Jesus-Christ. Cartous les argumens dont on se sert pour la non impu­tation du peché d'Adam; seroient bons aux Sociniens contre l'imputation de nos pechez à Jesus-Christ.

Dans le 6. Chapitre l'Apôtre se propose u­ne seconde objection contre la matiere de la justification, c'est la seule qu'il propose, & à laquelle il réponde en forme. Il avoit éta­bli que par l'alliance Evangelique, les hom­mes sont justifiez purement par grace, par la remission des pechez, & par la couverture de leurs offenses. De là naturellement sem­ble naître l'objection des profanes, qui di­sent, si ainsi est, nous n'avons qu'à pecher hardiment, car la grace effacera tous nos pe­chez: Pechons donc afin que la grace abonde. C'est-là l'objection laquelle il propose dans le 1. verset, & il répond dans les suivans, en prouvant que bien loin que la doctrine de la grace nous engage dans le desordre & dans le peché, au contraire, elle nous porte neces­sairement à la santification. Il le prouve par deux raisons; la premiere, c'est que par la grace nous sommes morts au peché, c'est à dire, que le peché est mortifié & anean­ti en nous par la grace justifiante, ain­si il ne se peut pas faire que cette grace nous conduise au peché, puis qu'elle don­ne la mort au peché. C'est ce qu'il établit dans le deuxiéme verset. Ainsi n'avienne! car nous qui sommes morts au peché, comment [Page 61]vivrons-nous encore en icelui? Or que par la grace justifiante nous soyons morts au peché; l'Apôtre le prouve par le Sacrement du Baptême, tant par le si­gne, que par la chose signifiée. Par le signe, parce que dans le Baptême, (sur tout celui d'immersion qui se pratiquoit principalement alors) l'action par la­quelle le baptisé est couvert d'eau, ce qui represente la mort & la sepulture, signifie que le baptisé est mort & enseve­li à l'égard du peché. Il le prouve aus­si par la chose signifiée dans le Baptê­me, c'est que par le Sacrement nous som­mes parfaitement unis à Jesus-Christ, é­tant faits une même plante avec lui, par­ticipans des fruits de sa mort & de sa re­surrection. D'où il s'ensuit encore quo la grace du Baptême, ou la grace justifian­te, ne peut induire les hommes au peché; puisque la vertu de la mort de Jesus-Christ, les fruits de sa resurrection & nôtre union avec lui sont absolument incompatibles a­vec le peché.

En suite poursuivant la consideration qui naît de la mort de Jesus-Christ, il fait voir qu'il en resulte un puissant motif à la santification, c'est que comme Jesus-Christ est mort une seule fois & ressuscité pour vivre éternellement avec Dieu, pa­reillement les fideles doivent mourir une fois au peché, pour vivre éternellement [Page 62]d'une vie sainte & spirituelle; d'où il con­clud que bien loin que l'Evangile porte les hommes au crime, au contraire ils doivent vivre saintement, à cause de cela même qu'ils ne sont plus sous la Loi, mais sous la grace. Et c'est-là l'abregé des versets qui sont depuis le troisiéme jusqu'au quatorzie­me inclusivement.

L'autre raison par laquelle Saint Paul prouve que la doctrine de la grace, bien loin de nous rengager dans le peché, nous en re­tire, est prise de la comparaison de l'esclava­ge & de la servitude, dans ce sens: Com­ment est-ce que la grace justifiante nous pourroit engager dans les desordres du pe­ché, puis qu'elle nous affranchit du peché & nous rend heureusement esclaves de la justice? Nous ne sommes donc plus sous la domination du peché pour lui servir, nous sommes sous le régne de la justice pour lui obéïr, & c'est l'Alliance de la Grace qui fait ce changement & qui nous rend soûmis aux loix de la sainteté. Ainsi l'Alliance de Gra­ce ne peut en façon du monde induire les hommes au peché. De cette pensée, où il compare le peché & la grace à deux maîtres, il prend occasion de tirer un motif à la san­tification, pris de la diversité des récompen­ses que donnent ces maîtres à ceux qui les servent. C'est que le peché pour salaire donne la mort, & la grace pour récompense donne la vie éternelle. C'est le sens du reste [Page 63]du Chapitre, jusqu'à la fin.

Dans le Chap. 7. l'Apôtre répond à une troisiéme objection qui se pouvoit faire contre la doctrine de la justification, de la maniere qu'il l'avoit expliquée. C'est qu'il avoit posé que nous sommes justifiez par la seule Alliance Evangelique, à l'exclusion de l'Alliance Légale, & avoit enseigné que cette oeconomie Légale n'avoit point été donnée pour la justification des hommes, mais seulement afin de les convaincre du peché, & pour leur donner lieu de connoî­tre tout le fonds de leur misere. Ce qu'il avoit exprimé en termes tres-durs pour les Juifs; car il avoit dit, Or la Loi est interve­nuë a fin que l'offense abondât, Ch. 5. v. 20. Cela faisoit une grande difficulté dans l'es­prit des Juifs qui disoient, si cela est ainsi, la Loi de Moïse est inutile puis qu'elle ne ju­stifie pas. Elle est même nuisible & mau­vaise, puisque par elle le peché abonde. C'est l'objection à laquelle l'Apôtre répond dans ce Chapitre, & il explique en quel sens il a dit, la Loi a été donnée afin que le peché abondât. Ce qui signifie que la Loi a été donnée; 1. afin de découvrir & de reveler le peché, comme celui-là fait abonder l'or qui le tire de ses cachettes. 2. Que la Loi a été occasion au peché d'abonder, parce que le peché s'irrite par la resistance. L'Apôtre veut donc se purger de l'accusation qu'on lui pouvoit faire d'avoir accusé la Loi d'étre [Page 64]la source du peché, & d'avoir accusé Dieu d'étre lui même la cause du peché, par la Loi qu'il avoit donnée.

Avant que d'entrer dans ce détail, l'Apô­tre établit tout de nouveau que nous ne sommes plus sous l'Alliance Légale, mais sous l'Alliance Evangelique, & il se sert pour faire comprendre cela d'une compa­raison prise du mariage, disant que quand une femme a perdu son mari, & que son ma­ri est mort, elle est mise en liberté, & se peut remarier avec un autre: qu'ainsi l'Eglise qui étoit autrefois mariée avec la Loi, cette Alliance Légale étant morte, c'est à dire, ayant été anéantie, l'Eglise peut se marier & étre effectivement mariée à Jesus-Christ par les liens de l'Alliance Evangelique. Dans cette comparaison le premier mari c'est la Loi, la mort de ce premier mari c'est l'a­néantissement de l'Alliance Légale, le se­cond mari c'est Jesus-Christ, & l'Epouse qui est successivement liée à ces deux maris, c'est l'Eglise. Ce qui doit étre remarqué contre les autres Interpretes qui disent que le premier mari c'est le peché, que l'Epouse c'est l'ame, que le lien qui unit l'ame avec le peché, c'est la Loi de Moïse, que la mort du premier mari, c'est l'anéantissement du pe­ché. Cette interpretation est insoûtenable, & ne peut s'accorder ni avec l'analogie de la foi, ni avec les paroles de Saint Paul, car se­lon l'un & l'autre, on ne peut pas dire que [Page 65]l'ame soit mariée au peché, par la Loi de Moïse.

Dans le septiéme verset où l'Apôtre parle ainsi, Que dirons-nous donc? la Loi est-elle peché? il entre dans sa matiere & répond à l'objection dont nous avons parlé, & sa ré­ponse revient à ceci; c'est que quand il a dit que par la Loi le peché abonde, il a entendu que par la Loi est donnée connoissance du peché. C'est ce que signifient ces paroles du septiéme verset: Je n'ay point connu le peché sinon par la Loi, car je n'eusse point connu ce que c'étoit que convoitise, si la Loi n'eût dit, Tu ne convoiteras pas. L'au­tre chose qu'il répond & sur laquelle il ap­puye beaucoup davantage, c'est que quand il a dit que la Loi avoit eté donnée afin que le peché abondât, il n'entendoit pas que ce fut l'intention de celui qui avoit donné la Loi, mais que la Loi paraccident avoit donné occasion au peché d'abonder davan­tage; Et là-dessus depuis le verset 8. jus­qu'au 14. inclusivement, il montre com­ment & de quelle maniere le peché est de­venu plus violent par la resistance que la Loi lui a faite, comme un torrent s'enfle & devient plus furieux quand on oppose des digues à son passage. Et pour montrer tout ce que la Loi étoit capable de faire, tant de bien par elle-même, que de mal par accident, depuis le quinzieme verset jus­ques à la fin du chapitre, il dépeint le com­bat [Page 66]interieur que la Loi éleve dans les a­mes entre le bien & le mal: en donnant au pecheur la connoissance du peché, sans lui donner les forces pour le vaincre; & de tout cela il conclud, selon son inten­tion, contre l'objection des Juifs; que l'Al­liance de la Loi, selon la doctrine de la gra­ce n'étoit ni inutile, ni mauvaise; Non inutile puisqu'elle sert à faire connoître la turpitude du peché; non mauvaise, parce que la Loi est bonne, sainte, & juste en elle­même, & que si elle produit du mal, e'est purement par accident.

Il reste deux choses considerables à re­marquer sur ce chapitre. La premiere que l'Apôtrey fait rouler le discours sur sa per­sonne en disant: je n'eusse point connu le pe­thé sinon par la Loi, quand j'étois sans Loi je vivois. Le peché prenant occasion par la Loi m'a seduit, & par icelui m'a mis à mort, &c. Sur quoi on demande si effectivement Saint Paul parle de lui-même; ou s'il parle des autres en sa personne? Je puis répon­dre avec assurance que l'Apôtre ne par­le point de lui-même; il lui est fami­lier de se servir de cette figure, & de faire rouler sur sa personne les choses ausquelles souvent il n'a point de part. Cela se peut voir dans letreizieme chapitre de la pre­miere aux Corinthiens versets 1.2. & 3. Dans l'Epître aux Galates chapitre 2. ver­set 18. aux Romains chapitre 3. verset 7. [Page 67]& dans tout le discours qu'il fait dans le premier chapitre de la 1. aux Corinthiens, où il parle des divisions qui étoient entre les Corinthiens, comme si Apollos & lui eus­sent été les objets de ces divisions. Cepen­dant dans la suite il nous avertit qu'il n'a­voit transporté ce discours sur Apollos & sur lui, que par figure.

Mais l'autre question qui est plus impor­tante, c'est de sçavoir dans quel état l'Apô­tre Saint Paul considere l'homme dont il parle. La premiere opinion de Saint Au­gustin étoit que Saint Paul parle là d'un homme sous la Loi non encore regeneré, mais il changea de sentiment. En dispu­tant contre les Pelagiens, parce qu'il avoit à faire de passages pour prouver contr'eux que les regenerez & les Saints ne sont point parfaits en cette vie, il se servit de ce chap. & établit que l'Apôtrey parle d'un homme regeneré, d'un homme déja saint. Cette opinion est suivie par le gros des Theolo­giens, mais elle ne se peut en façon du mon­de soûtenir. Car il dit ici plusieurs choses qui ne peuvent du tout convenir à un hom­me regeneré. Par exemple, le peché m'a seduit & par icelui m'a mis à mort, au verset 11. Je suis charnel vendu sous peché, au verset 14. Quand j'étois sans Loi, je vi­vois, verset 9. Mais quand le peché est venu à revivre en moi je suis devenu mort. On a beau donner la gêne à ces expressions, ja­mais [Page 68]elles ne sçauroient convenir à un hom­me regeneré. La lutte que l'Apôtre repre­sente ici n'est point la même, quoi qu'on dise, avec celle qu'il represente au 5. des Galates entre l'esprit & la chair; C'est la lutte qui est dans un homme non regeneré, entre son entendement éclairé par la Loi & ses passions solicitées par les objets. Cela paroît clairement, parce qu'il donne à l'une de ces parties combatantes le nom de Loi des membres, & à l'autre le nom de Loi de l'en­tendement. La Loi des membres evidem­ment c'est la cupidité; & la Loi de l'enten­dement, c'est la partie superieure où sont la raison, la volonté, la conscience.

Dans le chapitre 8. il continuë à répondre aux objections qui pouvoient naître dans l'esprit sur la maniere dont il avoit expliqué la matiere de la justification, & voici la quatriéme difficulté qu'on lui pouvoit faire. Il avoit dit, qu'étant justifiez par foi nous avons paix envers Dieu, nous avons été reconciliez à Dieu par la mort de son Fils. Sur quoi on pouvoit lui dire, comment cela se peut-il faire, puisque Dieu fait tom­ber encore tant de maux sur ceux qui cro­yent à l'Evangile, comme sont la mort & les persecutions qu'ils souffrent? Cela ne s'appelle pas être reconciliez à Dieu, & exempts de condamnation. Contre cette difficulté l'Apôtre prononce dés le com­mencement du chapitre, qu'il n'y a nulle [Page 69]condamnation à ceux qui sont en Jesus Christ, c'est à dire, à ceux qui sont Chrêtiens, & qui ont embrassé l'Evangile. Car être en Jesus-Christ, c'est être Chrêtien, vray Chrêtien. Mais en même tems il pose la condition, sous laquelle les Chrêtiens peu­vent être rendus exempts de toute condam­nation. C'est qu'ils doivent cheminer selon l'esprit, & non point selon la chair. Sur cela il fait une digression qui dure jusqu'au neu­viéme verset inclusivement, dans laquelle il explique ce que c'est que la chair, ce que c'est qu'être en la chair, & quels sont les fruits de la chair & de l'esprit; Ou pour mieux dire dans cette digression il explique les deux propositions dont sa These, qui est contenuë dans le premier verset, est com­posée. Dans le 2.3. & 4. verset il explique comment il n'y a point de condamnation pour ceux qui sont à Jesus Christ, c'est par­ce que la Loi de l'esprit de vie, c'est à dire, l'Evangile a tiré les hommes de dessous le joug de la Loi, du peché & de la mort. Car en ef­fet c'étoit-là les trois sources de condamna­tion, la Loi, le peché, la mort. Dans les cinq autres versets qui suivent il explique la seconde proposition de sa These; ce que c'est que cheminer selon l'esprit, & selon la chair. Dans le dixiéme verset il com­mence à répondre à l'objection contre la­quelle il avoit posé sa These, & parce que le fort de cette objection consistoit dans ce [Page 70]que les Sectateurs de l'Evangile n'étoient point exempts de la mort, ce qui sembloit être une grande condamnation; il montre que la mort n'est plus une condamnation ni un effet du jugement de Dieu, parce que si le corps souffre encore des atteintes de cette mort, l'ame reçoit une nouvelle vie par la justification. Et d'autre côté il ajoûte que ce corps qui meurt, ne meurt que pour res­susciter, & qu'ainsi la mort n'est point une vraye condamnation, & ne fait aucun pré­judice à la verité de la justification, c'est le sens du dixiéme & onziéme verset. Dans les trois suivans il revient à toucher la ne­cessité de cette condition de ne point vivre selon la chair, mais selon l'esprit, afin que la most ne soit pas une vraye condamnation, car il déclare qu'aux pecheurs la mort est une vraye condamnation. C'est le sens de ces paroles du treiziéme verset: Si vous vi­vez selon la chair, vous mourrez. C'est à di­re, si vous étes pecheurs le caractere de con­damnation & de malediction naturellement attaché à la mort, n'en sera pas separé. Dans les versets 15.16. & 17. il explique comment le fidele est exempt de toute con­damnation par l'alliance Evangelique, en faisant opposition de cette alliance à l'allian­ce legale, & montrant que dans celle-ci les hommes n'avoient que l'esprit de servitude, & étoient soûmis à la crainte & à la male­diction de Dieu en qualité d'esclaves rebel­les: [Page 71]au lieu que sous l'alliance Evangelique les hommes deviennent enfans de Dieu, & en cette qualité sont exempts de toute male­diction. Il pousse cette reflexion jusqu'au dix-huitiéme verset, dans lequel il entre in­sensiblement dans l'autre partie de l'obje­ction, à laquelle il a dessein de répondre.

C'est qu'on lui objectoit les souffrances ausquelles les Sectateurs de l'Evangile éto­ient sujets, & qui sembloient porter un ca­ractere de malediction & de condamnation. Sur cela Saint Paul dit que ces afflictions de­voient être contées pour rien, à cause qu'el­les n'ont aucune espece de proportion aves la gloire à venir, c'est à dire, avec la beati­tude eternelle que Dieu prepare à ses fideles dans le Paradis. Or pour rendre sa réponse solide & evidente, il prouve la grandeur de cette gloire par le témoignage de toutes les creatures, desquelles il dit: que le grand & ardent desir est en ce qu'elles attendent la ma­nifestation de cette gloire des enfans de Dieu. Ce passage contenu dans les versets 19.20.21. & 22. a toûjours passé pour fort diffici­le. Je croi que sa difficulté vient d'une rai­son toute opposée à celle d'où naît la diffi­culté de la plûpart des autres passages. Les autres Textes obscurs passent pour diffici­les, parce qu'on a de la peine a leur donner un sens commode, & celui-ci au contraire est difficile, parce qu'il peut aisement rece­plusieurs sens, sans faire violence aux ter­mes. [Page 72]Il n'y a pas eu jusqu'à Origene qui n'ait trouvé dans cet endroit dequoi appu­yer ses réveries Platoniciennes, en don­nant à ce passage un sens qui les favorisoit, sans faire violence aux paroles du Texte. Il croyoit que tout l'Univers éroit semé d'a­mes intelligentes, particulierement les A­stres & les Etoilles, s'imaginant que ces a­mes avoient été renfermées dans ces corps pour punition des pechez qu'elles avoient commis, quand elles étoient encore de purs esprits. Car il croyoit que toutes les ames avoient été creées devant le corps. Ces ames répanduës dans toute la Nature & renfermées dans la matiere, soûpiroient, selon lui, pour être delivrées de cette cor­ruption & de cette vanité, & pour sortir de ces prisons, afin de retourner à leur être de pur esprit, ce qui ne se devoit faire qu'au jugement dernier, quand la gloire des En­fans de Dieu devoit être revelée. C'est ain­si qu'il explique cette vanité à laquelle les creatures ont été assujetties, cette esperan­ce qu'elles ont d'étre delivrées de la servitu­de de corruption, pour être mises en la li­berté de la gloire des Enfans de Dieu, ces soûpirs, ces desirs, & ces travaux de ces creatures tendantes à cette delivrance; & il faut avoüer que tout cela y revient fort bien, Mais la splûpart des autres interpretations qu'on donne à ce Texte n'y reviennent pas moins bien. Ainsi je le compare à ces ver­res [Page 73]transparents qui n'ont aucunes couleurs, & qui sont susceptibles de toutes les couleurs des objets qui les approchent. J'ai crû pour un temps que par ces créatures qui soûpirent, qui desirent, qui travaillent, & qui sont sujettes à vanité, il faloit enten­dre les ames separées des justes, qui quoi qu'elles soient bienheureuses dans les Cieux, sont pourtant dans un état qu'on peut ap­peller violent, c'est la separation d'avec le corps, qui est une espece de mort & de cor­ruption à laquelle elles ont été assujetties par la volonté de Dieu, à cause du peche. Ces ames sans doute desirent ardemment de voir la perfection de leur gloire, & la resurrection de leur corps. Cela s'accor­de encore fort bien avec les paroles de nô­tre Texte. Cependant apiés y avoir bien pensé, je croi que la meilleure interpreta­tion, c'est la plus commune & celle qui cher­che le moins de mystere, sçavoir que l'Apô­tre par les créatures, entend ici toutes les créatures insensibles qui ont été assujetties à vanité par le mauvais usage que les hommes en font, & il donne des soûpirs & des desirs aux créatures, par ces figures qu'on appelle Prosopopées.

A prés avoir prouvé par les desirs que les créatures ont pour cette gloire, quelle est infiniment grande; il le prouve aussi par les desirs des fidéles, & montre que cette gloi­re est une chose que nous ne possedons pas [Page 74]encore, mais que nous attendons en pa­tience, c'est ce qu'il fait dans le 22.23. & le 24. verset. Pour achever de dissiper l'ob­jection qui se tiroit des afflictions des fideles, il dit dans le 25. & 26. verset, que l'esprit soulage nos foiblesses au milieu des maux que nous souffrons: ce qui fait que ce n'est plus une malediction. Enfin pour prouver que les maux des fidéles ne font aucune espece de prejudice à cette verité, que l'homme par la justification est exempt de toute con­damnation, il declare dans le verset 27. que les afflictions concourent au salut des fideles. Et pose dans les v. 28. & 29. que rien ne peut empêcher l'effet de la Predestination. C'est pourquoi à ce propos il fait l'énumeration des parties de nôtre salut, en disant, ceux qu'il a predestinez, il les a aussi appel­lez, & ceux qu'il a appellez, &c. Pour si­gnifier l'inseparable liaison qui est entre toutes ces parties. Le reste du Chapitre de­puis le 30. v. jusqu'à la fin n'a aucune diffi­culté & n'est rien autre chose qu'une ampli­fication de cette proposition, que rien ne peut empêcher l'effect de la Predestination, ce qui affermit la premiere conclusion & dé­truit l'objection à laquelle il avoit dessein de répondre.

L'Apôtre aprés avoir levé les difficul­tez qu'on peut appeller internes à la justi­fication, dans le neuviéme Chapitre leve une difficulté qu'on peut appeller externe. [Page 75]Il entre en ce Chapitre dans la matiere de la rejection du peuple des Juifs & de la vocation des Gentils, & la poursuit dans le dix & onziéme Chapitre. Voici la liai­son qui est entre cette matiere & celle de la justification; Selon les vûës de l'Apô­tre, on lui pouvoit faire cette difficulté: Comment est il possible que la doctrine que vous prêchez d'une nouvelle Alliance predite, comme vous pretendez, par Moï­se & par les Prophetes, fût veritable, puis­que le peuple auquel vous avez avoüé que les Oracles sacrez ont été commis, rejette presque unanimement cette doctrine? Vous étes Juif, ils sont Juifs aussi, mais vous étes seul contre tout un peuple, & il n'y a pas d'apparence d'opposer vôtre autorité à celle de toute une Nation qui s'appelle le Peuple de Dieu? L'Apôtre entreprend d'invalider cette objection, en faisant voir que cette Nation qui fut autrefois le Peuple de Dieu, ne l'est plus aujourd'hui, & que par consequent son témoignage & son autorité n'est d'aucun poids contre la verité de la do­ctrine de l'Evangile.

Parce que cette matiere de la rejection des Juifs étoit odieuse en elle-même, & que d'ailleurs l'Apôtre en étoit vivement touché de douleur, il s'y glisse plûtôt qu'il n'y entre, & commence par une protestation de la tristesse qu'il a de voir ce Peuple duquel il étoit sorti, être re­jetté [Page 76]de Dieu. C'est ce qu'il fait dans le premier 2. & 3. verset, où il dit mê­me qu'il souhaiteroit étre anathême & se­paré de Christ pour ses freres, c'est à dire, qu'il desireroit être excommunié & separé du Corps de l'Eglise, pour le salut de ses freres Juifs. Car il n'est pas necessaire d'aller plus loin, ni de s'i­maginer que Saint Paul desire d'être damné pour le salut d'autrui; Ce voeu neseroit ni legitime, ni raisonnable. Dans les versets 4. & 5. l'Apôtre étale les divers avanta­ges de la Nation Juive. C'est principa­lement à dessein d'amolir les Juifs, & de diminuer l'aversion qu'il s'attiroit de leur part en enseignant qu'ils étoient un peuple rejetté de Dieu.

En cette matiere de la rejection des Juifs il y avoit úne difficulté qui sautoit aux yeux, c'est que cela paroissoit absolu­ment opposé à la promesse que Dieu avoit faite à Abraham, je serai ton Dieu & de ta semence. Si les Juifs étoient rejettez, Dieu n'étoit plus leur Dieu & la parole que Dieu avoit donnée demeuroit nulle. C'est à cette difficulté que l'Apôtre répond dans les trois versets suivans depuis le sixié­me jusqu'au neuviéme inclusivement, & voici à quoi revient sa réponse. C'est que les enfans, ou la semence promise à A­braham, ne sont point les enfans de la chair, mais ceux de la foi d'Abraham, c'est à di­re, [Page 77]non point ceux qui sortiroient des reins de ce Patriarche par la voye de la generation, m is ceux qui seroient les enfans de sa foi, par la voye de l'imitation. C'est ce que signi­fient ces paroles; Tous ceux qui sont d'Israël, ne sont point pourtant Israël, & pour étre se­mence d'Abraham, ils ne sont pas tous enfans; mais en Isaac te sera appellé semence; c'est à di­re, non point ceux qui sons enfans de la chair, sont enfans de Dieu, mais ceux qui sont enfans de la promesse, sont reputez pour semence. Il déclare donc que les Gentils qui devoient croire à Jesus-Christ par la Prédication de l'Evangile, étoient les veritables enfans de la promesse; c'est à dire, selon la Phrase Hebraï­que, les enfans promis; sçavoir dans ces paroles, je serai ton Dieu & ta se­mence deviendra comme les Etoiles des Cieux & comme la poudre de la terre, & en ef­fet cette grande multiplication de la semen­ce d'Abraham comparée à la poudre de la terre, à cause de sa multitude, ne peut avoir é­té parfaitement accomplie dans la Nation des Juifs qui n'a jamais été qu'un petit Peu­ple, en comparaison des autres Nations de la terre, & cela n'a été bien accompli que par la vocation des Gentils, qui a rendu la Famil­le d'Abraham si nombreuse. Car il est à remarquer qu'Abraham étant appellé le Pe­re des Croyans, tout le Corps de l'Eglise & des Fideles est consideré comme sa famil­le. Cela étant il est clair que la rejection des [Page 78]Juifs ne fait aucun prejudice à la verité de cette promesse, qui avoit été donnée à Abraham; ainsi voilà la difficulté levée à cet égard.

Mais il en restoit une autre, c'est que l'on pouvoit demander, comment la justice de Dieu & sa bonté lui pouvoient permettre de rejetter un peuple qu'il avoit si long-tems aimé? La difficulté est grande, c'est pour­quoi l'Apôtre employe beaucoup de paro­les à y répondre. Il commence la répon­se à cette objection dans le dixiéme ver­set, & la continuë jusqu'au vingt-quatrié­me. Ce dixiéme verset est ainsi couché, se­lon nôtre version, & non seulement celui-ci, mais aussi Rebecca quand elle eût conçû d'un, savoir de nôtre Pere Isaac. Mais il faut tourner un peu autrement. Ce mot celui­ci n'est point dans le Texte Grec, il y a seu­lement ou' monôade; apres quoi l'on peut suppléer ce que l'on veut, ou le pronom ce­lui-ci, ou le pronom cela, ou quel qu'autre chose de semblable; mais évidemment il y faut substituer le pronom cela, & non seule­ment cela, mais aussi Rebecca, &c. C'est à di­re, outre la raison que je viens de vous appor­ter, qui prouve que la parole de Dieu & sa promesse donnée à Abraham, ne sont point enfreintes par la rejection des Juifs: j'ai à vous dire sur cette rejection, qu'elle ne doit point être contrôlée par la raison humaine, parce que Dieu est absolument [Page 79]libre dans le choix & dans la rejection des choses; il ne lui faut point d'autre raison que sa volonté. Ce qui paroit par ce qui arriva à Rebecca quand elle conçût de nôtre Pere Isaac, c'est que devant que les enfans fussent nez & qu'ils eussent fait ni bien ni mal, il lui fut dit, le plus grand servira au moindre. C'est donc ici le but pour le­quel Saint Paul apporte l'exemple de la re­jection d'Esaü & de l'élection de Jacob. C'est pour faire voir que Dieu rejette & choisit qui bon lui semble, sans avoir égard à leurs oeuvres; D'où il conclud que quand les Juifs ne seroient point coupables, Dieu auroit pû rejetter leur Nation, sans que nous fussions en droit de lui demander pourquoi. Or parce que cette liberté de l'élection & du choix de Dieu est une matié­re en soi fort importante, & qui d'ailleurs faisoit beaucoup pour lever ce grand scan­dale que la rejection des Juifs pouvoit créer dans l'esprit des Gentils, il insiste beaucoup là-dessus. Et parce que Jacob & Esaü avoient été les types de la reprobation & de l'élection des hommes à l'égard du sa­lut eternel, il explique la matiere depuis le quatorziéme verset jusqu'au vingt-qua­triéme, & commence par se faire la dif­ficulté qui naît naturellement dans l'esprit de tout le monde, que dirons-nous donc? y a-t-il iniquité en Dieu? c'est à dire, Dieu n'est-il pas injuste? de deux personnes [Page 80]qui sont absolument en même état, choi­sir l'une & laisser l'autre? Il differe de ré­pondre à cette difficulté jusqu'au verset 20. & dans les cinq versets suivans il établit par des témoignages de l'Ecriture cette ve­rité, que Dieu est libre dans l'exercice de sa misericorde & dans la distribution de ses gra­ces. C'est à cela que tendent ces paroles de Dieu qu'il cite en disant: j'aurai compassion de qui j'aurai compassion; c'est à dire, j'aurai compassion de qui il me plaira. C'est pour cela même qu'il amene l'exemple de Pha­rao, que Dieu par un acte de sa volonté libre avoit suscité plûtôt qu'un autre pour dé­montrer en lui sa justice.

Dans le verset 19. il reprend son obje­ction: Or tu me diras, pourquoi se plaint-il en­core, &c. La réponse qu'il y fait est tirée u­niquement de ce qui s'appelle, Summum jus Dei in Creaturas: c'est le sens de ce qu'il dit dans le verset 22. où il dit que Dieu a re­prouvé certains hommes qu'il appelle vais­seaux d'ire pour donner à connoítre sa puis­sance; où ce mot de puissance, ne peut si­gnifier autre chose que summum jus, que les Latins appellent aussi summa potestas. Car autrement il n'y a pas grande puissance à reprouver un homme; ce n'est pas un acte de la force de Dieu, c'est une action de sa li­berté & un exercice de son droit. Il illustre cette souveraine puissance de Dieu par cel­le d'un Potier, qui d'une même masse peut [Page 81]faire des vaisseaux à honneur & des vaisseaux à deshonneur.

Mais il y a sur cette matiere une remar­que importante à faire, c'est de sçavoir pre­cisement de quelle élection l'Apôtre parle dans cet endroit; si c'est de cette election qu'on appelle eternelle, qui n'est autre cho­se que le decret de Dieu, par lequel il a or­donné de choisir dans le temps certains hommes pour les conduire au salut; ou bien si c'est d'une élection & d'un choix qui se fasse dans le temps. Les Interpretes en­tendent par l'élection dont parle Saint Paul en cet endroit, le decret de l'election éternel­le; mais je puis dire avec assurance qu'en cela ils se trompent, & qu'ici l'élection est precisement cette action de Dieu purement gratuite, par laquelle dans le temps il ap­pelle efficacement & convertit certains hommes, en negligeant les autres. Il est vray que les versets 21.22. & 23. peuvent être rapportez à la predestination éternelle, comme on verra dans les éclaircissemens. Mais les versets precedens doivent être en­tendus de l'élection & du choix qui se fait dans le temps. Si on examine bien toute l'Ecriture Sainte & tous les passa ges dans les­quels les mots d'élire, d'élection, & d'élûs, se rencontrent, on n'en trouvera aucun où ces mots signifient necessairement l'élection é­ternelle; & au contraire il y en a beaucoup où clairement ces mots doivent signifier [Page 82]l'election qui se fait dans le temps. Par exemple au chap. precedent l'Apôtre dit, qui intentera accusation contre les elûs de Dieu? Il est clair que le terme d'élûs se doit prendre là pour convertis & pour fideles? autrement il est certain que l'on pourroit fort bien intenter accusation contre les E­lûs precisement comme elûs, si l'election ne se prenoit que pour le decret eternel. Saint Paul, par exemple, n'étoit-il pas élû quand il persecutoit l'Eglise? & cependant il est certain qu'il étoit sujet à la condam­nation, & qu'on pouvoit intenter accusa­tion contre lui? Ainsi les elûs dans cet endroit signifient ceux-que Dieu a conver­tis & justifiez actuellement par un acte de grace absolument gratuit, contre les­quels il n'y a plus d'accusation à intenter, parce qu'ils ne sont plus dans la coulpe. Au 9. chap. des Actes verset 15. Saint Paul est appellé un Vaisseau d'election, skeûis eklo­gês. Il est évident que le mot d'élection dans cet endroit ne signifie pas l'élection é­ternelle. Un Vaisseau d'élection, c'est à dire, un Vaisseau élû dans le temps, & se­paré de tous les autres actuellement. Il est clair aussi que dans ce celebre passage du 20. deSaint Mat hieu où le Seigneur dit, qu'il y a beaucoup a'appellez, & peu d'élûs, le mot d'élûs signifie ceux qui sont choisis actuellement par la conversion, & par la vocation efficace. Car le sens est, que [Page 83]Dieu appelle bien des gens, mais qu'il en convertit tres-peu. Au 13 chap. du Livre des Actes l'Apôtre Saint Paul dit, que Dieu a élû nos peres; & Jesus-Christ au 15. de Saint Jean dit, ce n'est pas vous qui m'avez élû, mais je vous ai élûs; Et dans le 19. v. du même chap. il dit à ses Apôtres, je vous ai élûs du monde. Il est clair que dans ces passages le mot d'élire ne se prend point pour un decret éternel, mais pour une action faite dans le temps, par laquelle on separe actuellement du milieu des autres celui que l'on choisit. Selon cette interpretation, nous trouvons facilement le sens de ces pa­roles de Saint Pierre dans sa seconde Epît re chap. 1. affermissez vôlke vocation & éle­ction par bonnes oeuvres. Si l'élection se prenoit pour un decret eternel, il seroit peut-être assez difficile d'expliquer com­ment nous pouvons affermir un decret de Dieu absolument independant de nous. Mais si vous entendez par le mot d'élection cette action par laquelle Dieu nous separe a­ctuellement du reste des hommes en nous convertissant, alors il est clair que c'est nôtre affaire de confirmer cette élection par nos bonnes oeuvres. Enfin l'on peut dire avec certitude, qu'il n'y a aucun passa­ge dans toute l'Ecriture où ces mots d'éli­re, d'élûs, & d'élection se doivent necessaire­ment prendre pour des actes faits de toute é­ternité.

Il est vrai que Saint Paul au 4. verset du 1. chap. aux Ephesiens dit, que Dieu nous avoit élûs en Christ, devant la fondation du monde; mais c'est au même sens qu'il est dit au 13. de l'Apocalypse que l'Agneau a é­té mis à mort dés la fondation du monde. Ce qui signifie, que Dieu avoit decreté de toute éternité de faire mourir son Fils. Pa­reillement élûs devant la fondation du mon­der, c'est à dire, que Dieu a decreté devant la fondation du monde d'élire dans le tems. Et nous avons un passage paralelle dans le 1. Chap. de la seconde à Timoth. qui don­ne une grande lumiere à celui ci. C'est que S. Paul dit, que la grace nous a été donnée en Jesus-Christ devant les temps éternels. Il est clair que cela signifie que Dieu a decre­té de nous donner la grace dévant les temps eternels. Ainsi élire devant les temps éternels, c'est decreter d'élire. Il faut donc sçavoir que Saint Paul exprime le decret de l'éle­ction, & de la predestination par le mot de próthesis, & de proorismòs, que nous tour­nons propos arrêté. Mais le mot d'eklogè ou d'election, signifie cet acte purement gra­tuit, par lequel sans avoir regard aux oeuvres ni aux merites, Dieu separe certaines gens du reste des hommes, par une vocation ef­ficace, & veritablement convertissante. Il est tres-certain que c'est en ce sens que se prend le mot d'election dans toute cette dispute de l'Apôtre Saint Paul, touchant la rejection [Page 85]des Juifs, & la vocation des Gentils, conte­nuë dans les chapitres 9.10. & 11.

Mais s'ensuit-il done de là, comme les Arminiens le pretendent, que tout ce neu­viéme chapitre ne fait rien pour l'élection & pour la predestination gratuite? Nulle­ment; car il faut sçavoir que Dieu ne fait rien dans le temps à quoi ne réponde un decret dans l'éternité. Tellement que si Dieu choisit les hommes gratuitement dans le temps, sans avoir aucun égard à leurs oeuvres precedentes, il est aussi certain que Dieu les a predestinez dés l'eternité, & é­lûs d'une élection eternelle, sans aucune prevision de leurs oeuvres, poury avoir é­gard. Ainsi tout ce chapitre prouve invinci­blement contre les Semi-Pelagiens, que Dieu n'a point élû les hommes ex operibus praevisis.

L'Apôtre aprés avoir ainsi expliqué les deux fondemens de la rejection des Juifs, qui sont, le premier, que la pro­messe que Dieu avoit faite à Abraham & à sa semence, appartenoit aux Gentils, qui devoient ête appellez; le deuxiéme, la souveraine liberté de Dieu: Il passe dans le v. 24. & dans les suivans, à prouver que cette rejection des Juifs, & cette vocation des Gentils, se devoient faire selon les Oracles des Prophetes. Dans le 25. & 26. vers il ap­porte le témoignage d'Osée pour prouver la vocation des Gentils. Dans le 27.28. & [Page 86]26. il prouve la rejection des Juifs, par le témoignage d'Esaïe. Depuis le trentiéme verset jusqu'à la fin du chapitre, il montre quelle est la raison de cette rejection des Juifs; comment & pourquoi ils ont été re­jettez? c'est qu'ils ont pourchassé la Loi de justice; c'est à dire, qu'ils ont cherché la justice de la Loi. Car ily a ici cette figure de Grammaire qu'on appelle, hypallage casû, la Loi de justice, pour la justice de la Loi; & cela signifie, qu'ayant cherché à être justi­fiez par l'alliance legale, ils n'ont pû être justifiez par l'alliance evangelique; parce qu'ils se sont aheurtez contre Jesus Christ, & contre l'Evangile, par un amour aveugle pour la Loi de Moïse.

Dans le dixiéme chapitre, l'Apôtre con­tinuë la même matiere de la rejection des Juifs. Mais parce que le sujet étoit odieux, il fait encore une nouvelle protestation du zele qu'il a pour le salut de ce peuple, & du chagrin qu'il a de sa perte. Aprés quoi dans le verset 3. de ce chapitre & les suivans, il commence à expliquer la cause de cette chû­te des Juifs; c'est qu'ils avoient cherché d'établir leur propre justice, c'est à dire, leur maniere de justification qu'ils avoient con­çûë; & ne se sont point rangez à la justice de Dieu, c'est à dire, qu'ils n'ont point vou­lu accepter la maniere de justification que Dieu leur avoit presentée par l'Evangile. L'Apôtre ajoûte dans le verset 4. car Christ [Page 87]est la fin de la Loi en justice à tout croyant; paroles qui ne signifient pas, comme on se l'imagine, que Jesus Christ étoit le but des ceremonies légales, mais elles signifient, que Jesus Christ donne la justification que la Loi cherche, & qui est la fin de la Loi. Christ est la fin de la Loi, c'est à dire, Jesus Christ fournit cette justification que la Loi cher­che comme sa fin. Ce qui paroît par ces pa­roles qui sont ajoûtées, en justice à tout cro­yant, c'est à dire, en justifiant tous les cro­yans; Christ obtient la fin que la Loi cher­che, qui est la justification, parce qu'il ju­stifie tous les croyans.

L'Apôtre aprés avoir declaré que la cause de la chûte des Juifs, c'est qu'ils avoient cherché d'être justifiez par l'alliance legale, montre dans la suite pourquoi les Juifs ont cherché inutilement d'être justifiez par cet­te alliance, & déclare que cela vient de ce que la justification legale est tres-difficile, au lieu que la justification evangelique est tres-facile. C'est à quoi tend ce qu'il dit depuis le cinquiéme verset jusqu'à l'onzié­me inclusivement. Dans le cinquiéme verset il décrit la difficulté de la justification legale, en ce que cette alliance de Moïse demande un parfait accomplissement de la Loi, lequel est absolument impossible à l'homme corrompu. C'est ce que signifie ce que l'Apôtre dit, La justice qui est par la Loi dit ainsi: que l'homme qui fera ces choses [Page 88]vivra par elles. Dans les vs. suivans l'Apôtre oppose la facilité de la justification evange­lique en ce que l'Evangile pour justifier les hommes, demande seulement d'eux la con­fession de la bouche, & la foi du coeur; car, du coeur on croit à justice, & de bouche on fait con­fession à salut. C'est à dire, que celui qui croit du coeur est justifié, & que celui qui fait con­fession par la bouche est sauvé. Or l'Apôtre prouve la facilité de la justification Evange­lique par un passage tiré du 30. chap. du Deu­ter. où Moïse dit: Ce commandement que je te commande aujour d'hui, n'est point trop haut pour toi, il n'est point trop loin, mais cette parole est fort prés de toi en ta bouche & en ton coeur pour la faire. Ne dis donc point en ton coeur, qui montera au ciel, ou qui de­scendra dans l'abyme? Il y a deux difficultez à cette preuve. La premiere est, sçavoir, si l'Apôtre cite ce passage dans le même sens, dans lequel il avoit été dit par Moìse? Ce qui semble n'étre pas, parce que Moïse parle là de la facilité des commandemens de la Loi, & ici l'Apôtre parle de la facilité des commandemens de l'Evangile. C'est pour­quoy la plûpart des interpretes veulent que ces paroles de Moïse soient citées purement par allusion. Mais comme nous n'en de­vons venir là qu'à la derniere extremité, & que quand on ne peut faire autrement? j'ai­merois mieux dire que Moïse, quand il préche la facilité de la Loi, ne regarde pas [Page 89]l'alliance legale precisement par elle mê­me, mais conjointement avec l'Evangile, & le relâchement Evangelique qui y étoit mêlé. Car il est certain que l'oeconomie Mosaïque étoit composée en partie de l'al­liance de la nature, & de l'alliance de gra­ce, & c'est avec ce temperament que Moïse prêche la facilité de la loi; Autrement il ne seroit pas vrai que l'alliance legale consi­derée precisement en ce qu'elle a tiré de l'alliance de la nature, fût une chose facile à accomplir. Car au contraire elle est tres­difficile, & même impossible à l'homme charnel. C'est donc par rapport à ce qu'il y a d'Evangelique dans l'oeconomie de Moï­se, que les commandemens de cette oeco­nomie sont aisez; & par consequent l'Apô­tre ne s'éloigne point du but & du sens de Moïse, quand il prouve la facilité de l'E­vangile par ces mots du Deuteronome.

L'autre difficulté de cette preuve, c'est de sçavoir ce que veulent dire ces paroles: ne dis point en ton coeur, qui mentera au Ciel? cela est ramener Christ d'enhaut; ou, qui des­cendra en l'Abîme? cela est ramener Christ des morts. Sur quoi il faut remarquer que ces paroles, ne dis point en ton coeur, qui montera au Ciel, ou qui descendra dans l'A­bîme? étoient des façons de parler prover­biales entre les Juifs, qui signifioient qu'on ne devoit point regarder une chose comme difficile. Comme qui diroit: ne vous ima­ginez [Page 90]point qu'il faille monter aux Cieux, ou qu'il faille descendre dans des abîmes, pour faire ce que je vous commande. Je ne vous demande rien que d'aisé. L'Apôtre Saint Pauly a ajoûté du sien de ces paroles, cela est ramener Christ des morts, prenant occasion des mots de monter, & de descendre. qui sont dans ces façons de parler proverbia­les. Ne dis point en ton coeur, qui montera au Ciel? cela est ramener Christ d'enhaut; c'est à dire, ne vous imaginez pas que la pa­role Evangelique soit quelque chose de si difficile; car quand même il faudroit mon­ter aux Cieux, pour cette justification E­vangelique, l'Evangile a celui qui y est monté; & parler ainsi, qui est-ce qui mon­tera au Ciel? avec un esprit d'incredulité, comme si cela étoit impossible à l'Evangile, c'est nier que Jesus Christ soit monié en haut. Ne dites point semblablement, qui descendra dans l'ahîme? car dire cela avec un esprit d'incredulité, c'est nier que Jesus Christ soit tombé dans l'abîme de la mort. Tellement que s'il est necessaire pour la ju­stification Evangelique, que quelqu'un descende dans-l'abîme, l'Evangile nous fournit celui qui y est descendu pour cet ef­fet. L'Apôtre conclud cette preuve de la facilité de la justification Evangelique par la foi, par un passage tiré d'Esaïe. Car l'E­criture dit, quiconque croit enlui ne sera point confus; ce qui signifie selon l'Apôtre, que [Page 91]tous ceux qui croiront en Jesus Christ seront sauvez; & c'est ce qu'il prouve dans le ver­set 12. & les suivans, sçavoir, que tous les Croyans seront sauvez indifferemment tant Juifs que Grecs, & cela par rapport à la ma­tiere de la rejection des Juifs, & de la voca­tion des Gentils. Pour établir l'une & l'autre, aprés avoir dit dans le v 12. Il n'y a point de difference du Juif & du Grec, il n'y a qu'un mê­me Seigneur de tous qui est riche en envers tous ceux qui l'invoquent: dans le v. 13. il prouve par un passage de Joël ce qu'il venoit de poser dans le v. precedent, que tous ceux qui invo­queroient le nom du Seigneur seroient sau­vez. Orde ce qu'il venoit d'établir la ge­neralité du salut pour tous ceux qui croiro­ient & l'invoqueroient, il prouve dans le verset 14. & suivans, la necessité de la pre­dication de l'Evangile à tous les Gentils; & il la próuve par un argument que les Logi­ciens appellent Sorites, Comment donc invo­queront-ils celui auquel ils n'ont point crû? Comment croiront-ils en celui du quel ils n'ont point ouï parler? & comment orront-ils, sans qu'il y ait quelqu'un qui leur prêehe? & com­ment prêchera-t-on, sinon qu'il y en ait qui so­ient envoyez? C'est ainsi que nôtre Version a tourné. Mais pour rendre le sens de l'A­pôtre clair, il ne faut pas tourner en termes d'Indicatif, mais en terme d'Optatif, Com­ment invoqueroient-ils celui auquel ils n'au­roient point crû? & comment croiroient-ils en [Page 92]celui duquel ils n'auroient point ouï parler? &c. Car voici le sens de tout le passage: Tous ceux qui croiront & invoqueront le Seigneur Dieu seront sauvez. Je dis tous, en comprenant les Gentils; ce qui fait voir clairement que nous autres Apôtres sornmes bien fondez à prêcher aux Gentils. Car puisqu'ils doivent être sauvez en croyant en Dieu, & en l'invoquant: comment pour­roient-ils l'invoquer, s'ils ne croyoient en lui? & comment croiroient-ils en lui, s'ils n'oyoient parler de lui? & comment enten­droient-ils parler de lui, s'ils n'avoient quel­qu'un qui leur prêchât? comment enfin leur prêcheroit-on, s'il n'y avoit des gens qui leur fussent envoyez pour prêcher? De l'un à l'autre il s'ensuit que les Apôtres ont été veritablement envoyez aux Gentils, & qu'ils n'ont point entrepris de leur prêcher sans une Mission de Dieu. La conclusion de ce raisonnement dévroit se rencontrer dans le v. 16. Mais elle se trouve dans le v. 17. Tel­lement qu'il y a ici ce qu'on appelle une Me­tathese, & ces parolesdu v. 17. La foi est de l'o­uïe, & l'ouïe estde la parole de Dieu, doivent ô­tre mises en la place du v. 16. & c'est une suite de ce que l'Apôtre a dit, qu'afin que les Gen­tils pûssent croire, il faloit qu'il y eût des gens qui leur prêchassent la Parole, car la foi, est de l'ouïe, c'est à dire, on ne sçauroit croire qu'on n'oye; & l'ouïe est de la parole de Dieu, c'est à dire, qu'on ne sçauroit ouïr, à moins qu'il n'y ait quelqu'un qui prêche la Parole.

Aprés ce raisonnement, l'Apôtre se fait une objection qu'on doit reprendre au verset 16. en le joignant avec le 18. Il avoit dit, que selon l'intention du S. Esprit, & selon les oracles des Prophetes, l'Evangile devoit être prêché à tous les Gentils. Là-dessus on lui pouvoit dire, qu'étoit-il besoin que l'Evan­gile fût prêché à tous les Gentils? car selon vous, la predication, n'est nécessaire que pour produire la foi: Or tous les Gentils n'ont point crû, & n'etoient point destinez à croire, Il n'étoit donc pas necessaire que l'Evangile fût prêché à tous ces gens-là. C'est ce que l'Apôtre veut dire dans le verset 16. Mais tous n'ont pas obeï à l'Evangile; car Esaie dit: Seigneur, qui a crû à nôtre Predi­cation? Paroles que les Interpretes ordinai­res estiment être dites par l'Apôtre, par rapport aux Juifs, mais qui certainement regardent les Gentils. Saint Paul répond à cette difficulté dans le verset 18. mais je de­mande, ne l'ont-ils point ouï, c'est à dire, il est vrai que les Gentils n'ont pas crû à l'Evan­gile, mais tous l'ont ouï, c'est leur faute s'ils n'ont pas voulu croire. Ceux qui ont crû que dans ces paroles l'Apôtre parle de la predication qui se fait par la voix de la Natu­re, se sont fort trompez. Le pretexte de leur erreur est dans les paroles que l'Apôtre tire du Pseaume 19. leur son est allé par toute la Terre, qui dans leur sens litteral expri­ment effectivement le langage des creatures, [Page 94]& la predication des Cieux. Mais l'Apôtre­ou bien ne les cite que par allusion, ou bien, selon le sentiment des Peres, il y avoit un sens mystique dans ce Ps. 19. caché sous le sens litteral; & ce sens mystique regardoit la predication de l'Evangile,

Tout ce que nous venons de voir depuis le verset 11. prouve la vocation des Gentils, & là-dessus l'Apôtre S. Paul demande aux Juifs à qui cette vocation étoit si fort en scandale, s'ils n'avoient donc jamais ouï parler de cette vocation future des Gentils? C'est ce qu'il veut dire au verset 19. Mais je demande, Israël ne l'a-t-il point connu? Ce­la ne veut pas dire, comme on l'interprete ordinairement, Israël n'a-t-il point ouï par­ler de l'Evangile, aussi bien que les Gentils? Cela signifie: Israël n'a-t-il point connu, ou n'a-t-il point dû connoître que les Gen­tils devoient être un jour appellez? Il ré­pond, qu'oüi; & le prouve par un autre pas­sage formel de Moïse, & par un autre d'E­saïe qui ne l'est pas moins. Dans l'un & dans l'autre, Dieu prédit la vocation des Gentils. Enfin parce que la rejection des Juifs étoit inseparablement liée dans l'ordre des decrets de Dieu, avec la vocation des Gentils, dans le verset 21. & dernier, l'A­pôtre ajoûte un passage tiré du même Esaïe, qui prouve la rejection & l'endurcissement des Juifs. Voilà l'interpretation de ce dixié­me chapitre, qui pour le sens, & pour les [Page 95]liaisons est peut-être le plus difficile de toute l'Ecriture.

Dans l'onziéme chapitre, l'Apôtre ache­ve & poursuit cette matiere de la rejection des Juifs. Il se fait une grande difficulté la­dessus, qui revient à ceci: Comment est-il possible que Dieu ait rejetté un peuple qu'il avoit élû & distingué par tant de privileges? L'Apôtre répond à cela: Il n'est pas vrai que Dieu ait absolument re­jetté ce peuple. Et là dessus, pour prou­ver que le peuple des Juifs n'étoit pas ab­solument rejetté, il dit deux choses; la premiere regarde le present, & l'au­tre l'avenir. Sur. le present il dit qu'en­core que l'incredulité de la nation Juive fût bien universelle, cependant elle ne l'étoit pas à tel point qu'il n'y eût eu un nombre considerable de Juifs qui avoit embrassé l'E­vangile. Il y a, dit-il, au temps present un ré­sidu selon l'élection de grace. Il compare co residu à celui qui étoit demeuré de reste dans les dix Tribus, quand Elie se plaignoit, qu'il étoit demeuré lui seul, & Dieu lui ré­pondit, qu'il se trompoit, & qu'il y avoit un residu de sept mi'le hommes. C'est l'a­bregé des cinq premiers versets. Le sixiéme est une parenthese, où à propos de ce qu'il avoit dit que Dieu s'étoit reservé quelques Juifs par l'élection de grace, il traite de l'é­lection gratuite, & montre que Dieu ne choifit point les hommes à cause de leurs [Page 96]oeuvres. Si c'est par grace, ce n'est plus par oeuvres &c. Dans le verset 7. il reprend sa matiere, & prouve que hors ce petit residu de Juifs que Dieu s'étoit reservez, tous les autres avoient été abandonnez à l'endurcis­sement. Il le prouve, dis-je, par des passages tirez d'Esaïe, & du Livre des Pseaumes, & ces preuves sont contenuës dans les 8.9 & 10 versets. L'autre chose que l'Apôtre établit pour prouver que les Juifs n'ont pas été to­talement rejettez, c'est qu'ils devoient ê­tre un jour rappellez, & rentrer dans l'al­liance de grace. C'est le sens du verset 11. Mais je demande; ont-ils choppé pour trébu­cher? ainsi n'avienne; c'est à dire, sont-ils tombez pour ne se relever jamais? A insi tré­bucher signifie ici une chûte mortelle, dont on ne revient point. A cette question l'A­pôtre répond, que non, que la chûte des Juifs n'est point sans retour: qu'elle n'a été permise de Dieu qu'afin de donner lieu à la vocation des Gentils, & que cette rejection des Juifs à temps est la cause de la vocation des Gentils; parce que les Juifs étant incre­dules, & Dieu ne pouvant pas être sans E­glise, il a falu necessairement que Dieu ap­pellât d'autres gens en la place de ceux qui refusoient de le suivre. C'est le méme sens que celui de la parabole des Nôces, dans la­quelle le Seigneur Iesus Christ fait appeller les mendians, parce que les invitez ne vou­loient pas venir, afin que le lieu des nôces [Page 97]c'est à dire, l'Eglise, fût rempli. C'est la matiere des versets 11.12.13. & 14. dans lesquels l'Apôtre fait aussi une Apostrophe aux Gentils, pour leur apprendre les raisons pourquoi il parloit si avantagousement d'eux. La premiere étoit afin de rendre son Ministere honorable, & la seconde afin de provoquer les Juifs à jalousie & les sauver. Dans le v. 15. l'Apôtre nous apprend que quand le retour des Juifs se fera, alors l'E­glise recevra un considerable avantage, le­quel il appelle vie d'entre les morts, c'est à dire, resurrection. Quelle sera leur recep­tion, si non vie d'entre les morts? Or je ne doute pas que cette resurrection ne soit abso­lument la même que celle dont parle Saint Jean au 20. de l'Apocalypse, qui est appel­lée, la résurrection premiere. Par là est si­gnifié cet admirable état dans lequel se trou­vera l'Eglise, quand ces trois grands évene­mens seront arrivez, le rappel des Juifs; la conversion du reste des Gentils, que l'Apô­tre appelle ici pleromalon Ethnon la pleni­tude des Gentils; & le troisiéme la chûte de Babel. Alors l'Eglise sera dans l'état le plus resplendissant où elle puisse être durant le re­gne de la Grace. Cet état durera mille ans; & c'est ce que le S. Esprit dans le même lieu de l'Apocalypse appelle, le regne de mille ans durant lequel Satan sera lié,

L'Apôtre prouve cette These importante du rappel des Juifs, depuis le seiziéme ver­set [Page 98]jusqu'à la fin du Chapitre; & sa princi­pale preuve est tirée de l'Alliance faite avec les Patriarches, & des promesses que Dieu leur avoit données, qui sont inviolables. En regardant à ces Patriarches il dit: Si les premices sont saintes, aussi est la masse; & si la racine est sainte, aussi sont les branches. C'est à dire, si les Patriarches, Abraham, Isaac, & Jacob, qui sont les premices & les racines de cette Nation, sont saints & consa­crez à Dieu: aussi certes les branches qui sortent de cette tige sont consacrées à Dieu, & il est impossible qu'elles soient absolu­ment rejettées. En suite, depuis le verset 17. jusqu'au 24. inclusivement, il apprend aux Gentils qu'ils ne devoient pas conclurre une rejection generale de la Nation des Juifs, à cause de l'incredulité presente de cette Na­tion; & que d'autre part ils ne devoient point vivre dans une si grande confiance, comme si eux Gentils avoient été appellez de Dieu d'une vocation irrevocable, Il leur fait voir que les Juifs qui étoient retranchez pour un temps de l'Alliance, seroient rap­pellez, & que les Gentils pourroient bien eux-même être retranchez, s'ils venoient à tomber dans une incredulité semblable à cel­le où étoient les Juifs. C'est le sens de cette belle allegorie de l'Olivier dont les branches naturelles ont été retranchées, & les bran­ches de l'Olivier sauvage entées en leur place, lesquelles branches entées pourront [Page 99]bien être retranchées, & les branches natu­relles remises sur leur premier tronc. Ce tronc c'est la famille d'Abraham; les bran­ches naturelles qui ont été coupées à cause de leur incredulité, ce sont les Juifs; les bran­ches de l'Olivier sauvage, ce sont les Gen­tils. Ce qui nous apprend, pour le remar­quer en passant, qu'Abraham est toûjours consideré comme le Chef & la Tige de l'E­glise, tant des Gentils que des Juifs. Saint Paul aprés avoir traité la matiére en termes figurez, l'explique en termes propres de­puis le verset 25. jusqu'au 33. C'est-là qu'il dit, qu'endurcissement est avenu à Is­raël enpartie, c'est à dire, pour un temps, jusqu'à ce que la plenitude des Gentils soit entrée. Ce qui signifie que toutes les Na­tions Payennes seront premierement con­verties à Jesus Christ, & qu'en suite les Juifs ne pouvant pas résister à un si grand torrent de contradiction, & ayant honte de se voir seuls ennemis de Jesus Christ, ils se rangeront sous ses enseignes. L'Apôtre prouve ce rappel des Juifs par des passages ti­rez d'Esaïe & de Jeremie; & ensuite par une raison: & la raison c'est que les dons & la vocation de Dieu sont sans repentance. Il faut entendre par ces dons & par cette voca­tion de Dieu la vocation des Patriarches A­braham, Isaac, & Iacob, qui ne se peut révoquer, ni à leur égard, ni à l'égard de leur posterité. Tellement qu'il faut que [Page 100]tôt ou tard la promesse qui a été faite s'ac­complisse. Dans les trois versets suivants qui sont le 30.31. & 32. l'Apôtre explique pourquoi Dieu a permis d'une part que les Gentils eussent été si long-temps étrangers des Alliances; & de l'autre, pourquoi il veut permettre que les Iuifs tombent dans un pareil état, où ont été si long-tems les Gentils. C'est dit-il, que Dieu les a tous enclos sous rebellion, afin qu'il fit misericorde à tous. C'est à dire, qu'il a permis que tous les hommes tant Iuifs que Gentils tombas­sent dans un état qui leur fit sentir leur né­ant, afin qu'ils fussent convaincus qu'ils ne peuvent être sauvez que par sa misericor­de. Le reste du Chapitre depuis le 33. jusqu'à la fin, contient une exclamation sur les matiéres qu'il a traitées dans les trois Chapitres précédens, de la rejection des Iuifs; de la vocation des Gentils; de la li­berté de l'élection de Dieu & de la nature de cette élection, qui est purement gratuite, des raisonspour lesquelles Dieu avoit si long­tems negligé les Gentils; de celles qu'il a d'a­bandonner un peuple qu'il a si long-temps chéri. Matieres qui sont effectivement les plus inconcevables & les plus impenetrables de la doctrine Chrêtienne. Ici finit la partie Polemique & Didactique de cette Epître, & par consequent ce qu'il y a de difficile. Les cinq derniers Chapitres ne contiennent que des preceptes de morale generaux & parti­culiers, [Page 101]& des directions sur la maniere dont on se devoit conduire à l'égard de ces Chrê­tiens infirmes d'entre les Juifs, qui conser­voient un amour excessif ponr les ceremo­nies Legales. C'est pourquoi nous fini­rons ici l'Ouverture de l'Epître aux Ro­mains, croyant que cela peut suffire pour en donner l'intelligence. Non qu'il ne reste encore diverses difficultez sur divers Tex­tes, mais dont on peut sortir aisement; parce que quand on sçait une fois le but d'un Auteur, & qu'on possede bien la suite de ses preuves: on ne peut pas trouver dans le reste un grand embarras.

FIN.

ECLAIRCISSEMENS Sur la precedente OUVERTURE DE L'EPISTRE AUX ROMAINS.

LA mer & la terre qui tiennent é­logné l'Auteur d'un petit livre, intitulé, l'Ouverture de l'Epítre aux Romains, n'a pas empêché qu'enfin les murmures qui se sont élevés contre ce livre & le grand bruit qu'on en a fait ne soit parvenu jusqu'à lui. Il n'est point en état de dire, que s'il eût pre­vû de semblables suites de cet ouvrage, il ne l'auroit pas rendu public. Car ce n'est point lui qui l'a publié, il n'a eu aucune part à cette impression, comme il sçait à peu prés comment le monde est fait il n'avoit aucun dessein d'exposer à ses caprices, cette pro­duction toute innocente qu'il la conçoive. Il n'en avoit pas même conservé dans son cabinet aucune copie. Au moins celle qu'il [Page 104]avoit gardée fort longtems s'étoit perduë, & il n'y songeoit plus, c'est donc avec la der­niere surprise qu'il a vû qu'on avoit rendu publiques ses pensées sur l'Epître aux Ro­mains; & cela sur une copie pleine de fautes, écrite par quelque écolier, & qui n'étoit point du tout en état pour la forme de faire honneur à son Auteur. Il a souffert cela comme un mal qu'il ne pouvoit empêcher, & il se console dans la consideration que le scandale qu'on en prend est un scandale in­juste & malpris. Il a pourtant été surpris de ce qu'on s'est si fort récrié là-dessus, & il ne peut comprendre pourquoi les Theo­logiens de Hollande qui voyent tous les jours courir devant leurs yeux sans s'émou­voir le moins du monde, mille livrets qui ruinent la religion & la pieté, ont fait tant de bruit d'un livret, dans lequel on espere faire voir, qu'il n'y a pas une seule propo­sition qui doive être le moins du monde suspecte. L'allarme a été telle, qu'un grand homme s'est cru obligé, à ce que l'on dit, de se defendre, sur ce quelques-uns de ses ouvrages se trouvent imprimés en mê­me volume que cette ouverture de l'Epître aux Romains: Parce qu'il arrive quelque­fois que les innocens sont envelopés avec les coupables, pour s'être trouvés en même compagnie.

Il n'y a guere d'heresie dont on n'accuse & le livret, & l'auteur, il est Papiste, il est [Page 105]Pelagien, il est Arminien, il ruine la pure doctrine de la grace & de la justification. Il établit la justification par les oeuvres, il dé­truit la justification par la foi, il renverse toute l'oeconomie de l'Epître aux Romains. Enfin il fait tout, il est tout; Et cependant il n'est rien de tout ce qu'on dit. Il n'est ni Pelagien, ni Semipelagien, ni Arminien, ni méme Universaliste. Il tient pour les Canons du Synode de Dordrecht, pris dans leur plus grande rigueur. Et voici sa confession de bonne foi sur la matiere de la grace.

1. Il croit que Dieu de toute eternité a fait un decret d'élection & de reprobation, par lesquels il a separé les hommes en deux classes; l'une d'élûs, & l'autre de reprouvez. Et que cette élection & reprobation ont eu pour objet l'homme tombé & naissant en pe­ché originel.

2. Que cette élection & reprobation se sont faites sans aucune prevision d'oeuvres bonnes ou mauvaises: que la foi n'est pas la cause de l'élection, mais que l'élection est cause de la foi; que Dieu n'a point élû les hommes à cause qu'il prevoyoit le bon usa­ge qu'ils feroient de la grace par leur libre arbitre; Mais qu'il les a élûs afin de leur donner la grace efficace, prevenante, vi­ctorieuse & irresistible, par laquelle ils fe­roient un bon usage de leur volonté & de toutes leurs autres facultez.

[Page 106] 3. Comme il donne à Dieu un droit & u­ne puissance sans bornes pour disposer du sort des creatures, il met aussi la creature dans une telle dépendance du Createur, que sans lui elle est un vrai neant; qu'elle n'est que pour lui, qu'elle n'est que par lui, qu'elle n'est rien sans lui, & que ce qu'elle est, elle l'est par rapport à Dieu, com­me une ombre n'est ce qu'elle est, que par rapport au corps, dans la dépendance abso­luë duquel elle est.

4. Il croit que Dieu qui a destiné les hommes à la gloire par son élection eter­nelle, comme à la fin, leur prepare les moyens pour les conduire à cette fin: Et que le premier & le principal de ces moyens, c'est le don & l'envoi de son fils au monde. Or comme les moyens n'ont rapport qu'à ceux ausquels la fin est destinée, il juge qu'il n'est pas de la sagesse de Dieu de donner son Fils à la mort pour des hommes reprouvez, qu'il ne veut pas conduire à la vie eternelle. C'est pourquoi il croit que Jesus-Christ n'est mort que pour les predestinez.

5. Il est tres-persuadé que Dieu seul ap­pelle efficacement dans le temps, ceux qu'il a élûs dans l'eternité. Et qu'il les appelle non seulement par sa parole & par la predi­cation, mais par une operation de son es­prit, qui fait sentir au pecheur les plaisirs prevenans, qui sont d'une absoluë necessité pour attirer les volontez.

[Page 107] 6. Cette grace ne se donne en façon du monde aux dispositions de l'homme. Car s'il y a des dispositions à la justification dans l'homme, c'est Dieu qui les fait. Les oeu­vres que l'homme fait par le secours de la grace sont bonnes: mais elles ne sont point du tout meritoires de la justification, ni de la vie eternelle, ni même de l'augmenta­tion de la grace.

7. Il n'y a aucune creature au monde quelque pure & sainte qu'elle soit, sans en excepter les Anges, qui puisse meriter de Dieu en aucun état. C'est pourquoi afin que quelqu'un pût meriter de Dieu le sa­lut & la rémission des pechez, il a falu fai­re une creature qui fut Dieu; car Dieu seul peut meriter de Dieu.

8. Ainsi la justification dans quelque sens qu'on la prenne est absolument gratuite, par grace & non point par oeuvres. La foi & la repentance sont d'une necessité absoluë dans l'ordre de la grace pour recevoir la justifica­tion & la remission des pechez. Car la ju­stification dans le sens du barreau, n'est rien autre chose que l'absolution, & l'absolu­tion n'est rien autre chose que la remission des pechez. Remission que Dieu promet à la repentance comme à la foy: Amandez­vous & vous convertissez, & vos pechez vous seront pardonnez. Mais cette foi & cette repentance ne concourent point du tout à la justification comme causes. La [Page 108]foi & la repentance conjointement y con­courent comme conditions; La foi en par­ticulier y concourt comme instrument; car c'est elle qui applique à l'ame les promesses de l'Evangile, qui les reçoit comme une main, & qui ainsi justifie le pecheur. La repentance y concourt comme une condi­tion preliminaire d'une necessité absoluë. Car la coulpe consistant dans la relation qui est entre la souïllure inherente dans l'ame, & le châtiment dû en vertu de la justice di­vine: cette coulpe ou cette relation à la pei­ne ne peut cesser; que l'ame n'ait cessé d'être dans la souïllure, c'est à dire, que Dieu ne fait point cesser la sujettion à la pei­ne dans laquelle est le pecheur, que quand le pecheur s'est sincerement converti à Dieu: quoi que sa conversion ne soit pas encore parfaite.

9. L'Auteur croit que la foi justifiante pour étre justifiante, doit être accompagnée des mouvemens de charité & d'esperance; & cela precedemment à la justification & absolution du pecheur: mais il ne regarde pas ces premiers mouvemens de charité & d'esperance comme les causes de la justifica­tion non plus que la foi. C'en sont des con­ditions seulement.

10. De plus ces actes de foi & d'esperan­ce qui accompagnent le premier acte de la foi justifiante, ne partent point encore des habitudes de foi, d'esperance & de chari­té. [Page 109]Car les habitudes ne se donnent qu'à ceux qui sont déja justifiez & reçus en gra­ce. Mais ces premiers actes de foi, d'es­perance & de charité, sont produits par le Saint Esprit, par la grace actuelle; Et ser­vent de dispositions à l'introduction des ver­tus chrêtiennes & habituelles à la foi, la charité & l'esperance.

C'est là la foi de l'Auteur de l'Ouverture de l'Epître aux Romains. Si l'on trouve là de­dans des heresies, il les abandonne à la cen­sure, & même au feu, pour peu qu'on le juge à propos. Y a-t-il quelque chose dans le petit livre dont il s'agit, qui soit opposé à cette Theologie, que je pense être celle de l'Evangile, de Saint Paul, de Saint Augu­stin, & de toutes les Eglises Reformées? On est prêt à prouver que non; & à se dé­fendre là-dessus contre toutes sortes d'accu­sateurs. Voyons donc quels sont les cri­mes qu'on impute à ce pauvre petit livre. 1. Il établit pour état de la controverse entre Saint Paul & ses adversaires, la que­stion, sçavoir, si l'on devoit chercher son salut dans l'alliance Evangelique, ou dans l'observation de l'alliance Mosaïque. C'est un grand crime, car cela est nouveau à ce que l'on pretend. 2. Il prend le mot de justifier dans un sens favorable à l'école Romaine. Car il veut que dans cette dispute, ce mot signifie, mettre en possession de toute la ju­stice Evangelique, qui consiste dans le re­nouvellement [Page 110]interieur, aussi bien que dans la remission des pechez. 3. Il donne au mot de foi un sens tout heterodoxe, le pre­nant ici pour l'Evangile, qui est l'objet de la foi. 4. Par les oeuvres de la loi, il en­tend la loi des oeuvres ou l'alliance legale, 5. Il fait entrer dans la justification les bonnes oeuvres aussi bien que la foi. 6. Il nie que le mot d'Election dans l'Ecriture, se prenne pour l'élection eternelle: Selon ces Mes­sieurs, c'est nier la predestination & l'éle­ction. 7. Il nous enleve toutes les preuves que nous tirons de l'Epître aux Romains pour combatre les Papistes, & pour établir la justification gratuite par la foi sans les oeu­vres. 8. Il ruine toute l'économie de l'E­pître aux Romains. 9. Et enfin il rend inutiles, & mêmes ridicules tous les tra­vaux des grands hommes, & tous les com­mentaires qui ont été faits sur cette Epître. Assurement la pluspart de ces articles sont intolerables. Mais il faut voir sur quoi sont fondées ces accusations.

Le premier crime du livret, c'est de po­ser mal l'état de la question entre Saint Paul, & ceux avec lesquels il dispute. Il faut donc sçavoir contre qui il dispute. Assure­ment Saint Paul ne jettoit pas des paroles en l'air & contre des fantômes. Cette Epître est un de ces écrits qu'on appelle polemi­ques. On voit évidemment qu'il refute, qu'il répond, qu'il prouve, qu'il se fait [Page 111]des difficultez, qu'il les leve, qu'il presse des heretiques par la raison, par l'Ecritu­re & par l'autorité. En un mot il fait tout ce qu'on fait, quand on veut persuader des contredisans, & convaincre des adversai­res. Or je suppose & je soûtiens que les adversaires contre lesquels l'Apôtre agit, doivent avoir été vivans, agissans & par­lans. Je sçai bien que les Apôtres avoyent l'esprit de prophetie, & qu'ils pouvoient deviner quels seroient les heretiques qui troubleroient la paix de l'Eglise, & altere­roient la saine doctrine. Mais je nie qu'ils ayent formé des disputes regulieres, lon­gues, & poussées en veuë de combatre les ennemis futurs & encore à naître. J'ose dire qu'il n'est rien de plus ridicule que de dire que l'Apôtre Saint Paul ait conçû une dispute dans toutes les formes, pour refuter les erreurs que les Scholastiques devoient in­troduire dans la matiere de la justification huit ou neuf cens ans aprés; & qu'il ait ne­gligé des affaires plus prochaines & beau­coup plus importantes. Pourquoi n'a-t-il pas fait une dispute reguliere, pour refuter les Arriens qui devoient nier la divinité du Fils? Pourquoi n'a-t-il pas combatu l'i­dolatrie Payenne, qui devoit étre rappellée dans l'Eglise par les Grecs & par les Latins? Pourquoi n'a-t-il pas fait une dispute pour combatre le sacrifice de la Messe? Et qu'est­ce que cela veut dire, qu'il ait passé sur neuf [Page 112]ou dix siecles, & sur cent heresies impor­tantes, pour s'attacher à une seule heresie qui devoit naître dans les derniers temps? Qu'on nous donne un seul exemple, que les Apôtres ayent disputé contre des hereti­ques qui n'étoient pas encore nés. Saint* Paul dispute regulierement contre des he­retiques qui nioient la resurrection. Ces heretiques étoient-ils à naître? n'ensei­gnoient-ils pas, & ne vivoient-ils pas du temps de Saint Paul? l'Apôtre ne parle t-il pas de gens vivans.** Comment disent quelques-uns d'entre vous, qu'il n'y a point de resurrection des morts? C'est donc u­ne chose indubitable qu'il faut que les ad­versaires contre lesquels Saint Paul a com­posé l'Epître aux Romains, celle aux Gala­tes, celle aux Hebreux, sussent vivans & enseignans.

Or où prendrons-nous ces adversaires? ou bien il faut qu'ils soient d'entre les Gen­tils, ou bien d'entre les Juifs, ou bien d'en­tre les Chrêtiens. Les Payens ont-ils pû entrer en dispute avec Saint Paul sur la que­stion, sçavoir si l'homme étoit justifie par les oeuvres, ou par la foi? Y avoit-il quel­que chose dans la Theologie Payenne qui engageât les Prêtres Payens, à soûtenir que l'homme devoit obtenir la remission de ses pechez, par le merite de ses oeuvres, & non par l'efficace de sa foi? Je ne croi pas [Page 113]que quelqu'un ose dire cela, que les Payens eussent quelque interêt à faire procez à Saint Paul là-dessus. C'êtoit donc peut-être en­tre les Chrêtiens, qu'il se trouva des gens qui disoient, que l'homme doit étre absous de ses crimes par le merite de ses oeuvres, & non par l'essicace de la foi seule. C'est à di­re, qú'il se trouva des Docteurs qui raison­noient sur la matiere de la justification, à peu prés comme on en a raisonne depuis sept ou huit cens ans. S'il y a eu de tels Docteurs dans l'Eglise Chrêtienne naissante, cer­tainement ils ont dû faire quelque figure dans le monde, & pour leur nombre & pour leur poids. Car il n'y a pas d'apparence que Saint Paul se fut tant agité contre des gens qu'on auroit pû appeller des tenebrions, des gens sans sçavoir, sans distinction, sans nombre, & sans appui. Si ces ennemis de la justification gratuite ont été considera­bles, qu'on nous les trouve dans l'histoire de l'Eglise. Nous y trouvons tres-bien les heretiques qui nioient la resurrection, con­tre lesquels Saint Paul a disputé. C'étoient des Payens faux-convertis, contre lesquels ont disputé Tertullien, Athenagore, & presque tous les Peres des trois premiers sie­cles. Nous y trouvons les Cerinthiens, & autres heretiques, qui nioient la divinité du Seigneur Jesus Christ; lesquels Saint Jean a eu certainement en veuë quand il a com­posé son Evangile. Nous y trouvons les [Page 114]Gnostiques, qui disoient que l'homme é­toit sauvé sans les oeuvres, par la seule foi, & que tout étoit permis à l'homme spiri­tuel, contre lesquels a disputé Saint Jaques dans son Epître. Qu'on nous trouve donc ces certains heretiques, qui nioient qu'on dust étre justifié par la seule foi, & qui vouloient qu'on associât à la foi les oeuvres dans les moyens de la justification. C'est ce que je défie tous nos Savans de découvrir dans l'Antiquité. Il ne reste donc que les Juifs, contre lesquels l'Apôtre pût disputer dans son Epître aux Romains & dans celle aux Galates. En effet c'étoient-là ses grands adversaires; il les trouvoit par tout, & par tout ils le croisoient & mettoient obsta­cle à sa predication. Il ne faut point de science dans l'histoire de l'Eglise pour sça­voir cela, il n'y a qu'à lire le livre des Actes des Apôtres. C'est contre eux qu'il dispu­te presque dans toutes ses Epîtres, dans celle-ci, dans celle aux Galates, dans cel­le aux Colossiens, dans celle aux Hebreux. Dés le commencement de l'Epître aux Ro­mains,* il fait voir à qui il en veut. Pour­tant, ô homme, qui juges d'autrui, tu és sans excuse, &c. Voici tu és surnommé Juif, & te repose du tout en la loi, & te glorifie en Dieu. Et si ce pouvoit étre une chose douteuse, j'en apporterois cent preu­ves. Mais avant que de s'en donner la pei­ne, [Page 115]il faut voir s'il se trouvera quelqu'un assez hardi pour la nier. Saint Paul a donc à faire avec des Juifs: Or quels Juifs? Ce n'est pas avec le peuple, car on sçait bien que le peuple n'est point autheur des controver­ses. C'est avec les Docteurs. Il n'y en a­voit que de deux sortes, Pharisiens & Sad­duciens. Car c'étoient là les deux seules sectes qui parussent dans le Judaïsme. Il y en avoit une troisiéme qu'on appelloit des Esseens. Mais c'étoient des gens solitaires, retirez, & qui ne paroissoient pas. C'est pourquoi il ne paroît pas que Jesus-Christ & fes Apôtres ayent eu des affaires contre eux. Quelques Interpretes croyent qu'il les a eu en veuë dans le second chapitre de l'Epître aux Colossiens, quand il parle de la vaine philosophie de ces gens, qui disoient, ne mange, ne goûte, ne touche point, & qui vou­loient introduire le service des Anges. Quand cela seroit, certainement ce n'est pas contre eux qu'il dispute dans cette Epître aux Ro­mains: ce n'est pas non plus contre les Sad­duciens. Car contre ces impies, c'eûst été perdre le temps que de disputer de la manie­re de la justification. Il eût falu les con­vaincre de l'immortalité de l'ame, de l'e­xistence des esprits, des peines & des récom­penses eternelles lesquelles ils nioient. C'é­toient là des affaires importantes, & qu'il eût falu vuider avant tout. Il est donc plus clair que le jour, que les gens ausquels l'A­pôtre [Page 116]oppose tant de raisons & de preuves, ce sont les Pharisiens: Ces certains zela­teurs de la loi, qui alloient prêchant par tout, qu'il faloit étre circoncis, qu'il fa­loit observer la loi de Moïse, qu'il faloit garder toutes ses ceremonies, que cette al­liance que Dieu avoit donnée à Moïse, étoit une alliance eternelle & qui ne devoit ja­mais prendre fin. Et au contraire Saint Paul prêchoit par tout, que la loi étoit un ministere de mort & de condamnation; qu'elle n'avoit point été donnée pour justi­fier les hommes, mais comme un pedago­gue pour les amener à Jesus-Christ; que la loi avoit été introduite pour étre une ombre, & pour nous representer le corps des graces qui sont dans Jesus Christ: que si quelqu'un vouloit étre circoncis & obser­ver la loi de Moïse, Jesus Christ ne lui pro­fiteroit de rien. Voilà ce qui faisoit crier les seditieux contre Saint Paul,* qu'il en­seignoit un chacun, contre le peuple, contre la loi, & contre le temple. Si quelqu'un est d'humeur de nier cela, sçavoir que Saint Paul dans cette Epître aux Romains, dispu­te contre les Juifs Pharisiens; je déclare que je ne veux pas disputer contre lui. Car il n'y auroit aucune seureté à se prendre à un tel homme, puisqu'il seroit capable de nier que le Soleil soit chaud & lumineux, & de dire que le blanc est noir, & le noir blanc.

Voici donc à mon avis, un point gagné. C'est que Saint Paul disputoit contre les Pharisiens. Or presentement voyons qu'el­le pouvoit étre la controverse avec ces gens­là. Selon la supposition de nos censeurs, il doit avoir eu en veuë de prouver contre les Pharisiens, que l'homme doit étre ju­stifié par la foi seule, c'est à dire, par le seul acte de la foi, sans que les bonnes oeu­vres de charité, de repentance, de pieté, de devotion & de misericorde, ayent eu part à cette oeuvre de nôtre justification de­vant Dieu, que comme des suites & des ef­fets. Mais je vous prie, à quel propos auroit-il entrepris de prouver cette these contre des gens entre lesquels jamais cette question n'a été agitée? Y a-t-il quelqu'un qui nous puisse prouver que les Pharisiens ayent été en dispute ou entr'eux, ou avec Saint Paul touchant la justification par l'acte de la foi, ou par la jonction des bonnes oeu­vres avec la foi? Tout le monde tombe d'accord, que les Juifs qu'on appelle aujour­d'hui Traditionnaires, par opposition aux Caraïtes, sont les successeurs des Pharisiens & des zelateurs de la loi, & que leurs écrits ne sont que les commentaires de la Theolo­gie des anciens Pharisiens. Mais paroit-il par le Talmud ou par les autres livres des Juifs, qu'il y ait jamais eu aucune dispute dans leur Theologie, sur cette question; sçavoir si l'homme est justifié par la foi ou [Page 118]par les oeuvres. C'est une controverse qui pouvoit avoir lieu dans la Theologie de l'ancien Testament aussi bien que dans celle du nouveau. Car sous l'oeconomie legale aussi bien que sous l'Evangile, il y avoit foi & oeuvres. Dieu commandoit que l'on crût à ses paroles, aussi bien comme il or­donnoit que l'on obeïst à ses commande­mens. La foi fut alloüée à justice, c'est à dire, à justification, au Patriarche Abra­ham. Les Juifs lifoient cela dans leur loi. Le Prophete Esaye dit, Si vous ne croyez, vous ne serez point affermis. Et le Prophete Habacuc, que le juste vivra de sa foi. Les Juifs pouvoient donc déja disputer entr'eux sur cela. Mais y a-t-il quelque trace qu'ils l'ayent fait, & qu'ils ayent eu aucune con­troverse là-dessus? Je pose en fait qu'il n'en est rien; & de là je conclus, que ç'au­roit été un égarement à Saint Paul de leur aller prouver une verité, sur laquelle ils n'avoient jamais émû aucune question dans leur Theológie.

Mais il paroît, dira-t-on, que les Phari­siens étoient grands justiciaires, & qu'ils donnoient infiniment à leurs oeuvres & à leur sainteté; je l'avouë. Jesus-Christ in­troduit un Pharisien, disant à Dieu, Je te rens graces, que je ne suis point comme les autres hommes, je jeûne deux fois la semai­ne, je donne de mes biens aux pauvres, &c. Ces gens disoient, n'approche pas de moi, car [Page 119]je suis saint. Et ils croyoient se sauver beaucoup moins par les oeuvres d'une solide pieté & d'une veritable misericorde, que par de certaines observances volontaires qu'ils s'étoient imposées. Que faloit-il faire pour combatre l'orgueil de ces gens-là? Il faloit leur representer le neant de l'hom­me, la grandeur de Dieu, l'imperfection des bonnes oeuvres, la rigueur de la justice divine, la vanité de leurs observances, la necessité de l'humilité chrêtienne, la grace de Dieu qui seule nous peut sauver, l'inu­tilité de ces traditions humaines, dans l'ob­servation desquelles ils mettoient toute leur esperance. Et en effet c'est là la ma­tiere des sermons de Jesus-Christ contre les Pharisiens. C'est ce que Saint Paul presse fortement en disputant contr'eux dans tou­tes ses Epîtres. Mais que feroit à cela cet­te dispute, qu'il faut étre justifié par la ver­tu de la foi seule, & non par les bonnes oeu­vres? Je sçai bien qu'on l'y peut ramener, & dire, si la foi seule nous justifie, sans que la charité & les bonnes oeuvres evan­geliques entrent dans les causes de la justifi­cation, on ne peut donc pas à plus forte raison étre justifié par l'observation des ce­remonies, ni par des jeûnes, ni par l'exa­ctitude à payer les disines, & à s'aquitter des autres devoirs prescrits par la loi. Mais c'est un détour; & il ne faloit pas faire son principal & son tout dans une dispute d'un [Page 120]argument, qui n'est proprement qu'une preuve indirecte. Si pour combatre les Pharisiens, & la haute opinion qu'ils avoient du prix de leurs oeuvres; la bonne & la principale voye étoit de leur faire voir, qu'en general l'homme ne peut étre justifié par aucune espece d'oeuvres, pourquoi le Seigneur Jesus-Christ ne s'en est-il pas servi? pourquoi a t-il laissé à Saint Paul la gloire de cette invention? pourquoi n'a t-il pas prouvé à ces Pharisiens, que toute l'opi­nion qu'ils avoient de leur justice étoit vai­ne, parce qu'il faloit étre justifié par la seule foi? Il s'est seulement occupé à leur prouver que leurs oeuvres ne valoient rien, que leur interieur étoit corrompu, qu'ils étoient des hypocrites, que toutes leurs traditions étoient vaines, & que Dieu ne leur tenoit aucun compte de l'observation de ces commandemens de leur façon. N'est­il pas clair par la differente maniere dont Jesus-Christ & Saint Paul ont combatu les Pharisiens & les Docteurs de la loi, qu'ils n'ont pas eu en veuë la même question, ni la même chose? Ce n'est pas que Saint Paul dans ses disputes ne perce aussi l'enflu­re du Pharisaïsme, & qu'il ne combate la superbe opinion de ceux qui vouloient étre sauvez par le merite de leurs oeuvres. Mais ce n'est point cela precisement qu'il veut dire, quand il établit que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la [Page 121]loi. Mais pourquoi se donner tant de peine à chercher l'état de la controverse qui étoit entre les Juifs Pharisiens & Saint Paul, puis­que cela nous est si expressement marqué dans l'histoire de l'établissement de l'Evan­gile?* Or quelques-uns qui étoient descen­dus de Judée, enseignoient les Freres; di­sant, si vous n'étes circoncis selon l'usa­ge de Moyse, vous ne pouvez étre sauvez. Qu'entendent-ils par la circoncision, sans la­quelle on ne peut étre sauvé? L'observation de toute la loi, comme il paroît par ce qui suit.** Mais quelques-uns de la secte des Pharisiens qui ont crû, se sont levez disant, qu'il les faut circoncir, & leur commander de garder la loi. Qu'arrive t-il là-dessus? C'est qu'ily eut grand débat & dispute de Paul & de Barnabé contr'eux. *** Et il fut or don­né que Paul & Barnabé, & quelques autres d'entr'eux monteroient en Jerusalem vers les Apôtres & les Anciens pour cette QUES­TION. Observez bien; voici la question qui est entre Saint Paul & ses adversaires, sçavoir, Si pour étre sauvez, conjointement avec l'Evangile & la foi en Jesus-Christ, il faloit observer la circoncision, & garder la loi de Moïse. Cela est extrait mot à mot de l'histoire. Les Adversaires de Saint Paul ne sont point de purs Juifs qui rejettassent l'Evangile, ce sont des Pharisiens qui ont crû. Ils ne nioient donc pas que l'on ne dût [Page 122]étre sauvé par l'Evangile & par la doctrine de la foi, mais ils disoient qu'on devoit aussi observer la loi de Moïse pour étre sauvé: C'est pourquoi Saint Paul dans son Epître aux Romains & dans celle aux Galates, ne dispute pas contr'eux, comme s'ils eussent nié qu'on dût étre justifié par l'Evangile, mais il prouve seulement contr'eux, qu'on doit étre justifié & sauvé par l'Evangile seul, & par la seule alliance de Jesus-Christ, & non par celle de Moïse.

Ayant trouvé l'état de la question entre Saint Paul & ses adversaires, si precis & si bien marqué, est-il juste d'en aller chercher un autre, dont l'histoire sacrée ne dit pas un seul mot? Qu'on me fasse voir qu'en consequence de cette premiere controverse il en soit né une autre, sur les vertus qui concourent comme causes & conditions de la justification. Sçavoir si c'est par la foi, ou par la charité, ou par quelques bonnes oeuvres.

Mais dira-t-on, quoi que l'histoire Sain­te ne dise rien de la naissance de cette nou­velle controverse, elle paroît assez par la dispute même, puisqu'il est clair que Saint Paul y combat des gens qui disoient, que l'homme doit étre justifié par les bonnes oeuvres, & non par la seule vertu de la foi. Je répons que c'est la question; que c'est prouver une chose par elle-même. Je nie qu'il paroisse, que Saint Paul ait en veuë [Page 123]d'autres adversaires & une autre controver­se que celle qui se trouve dans le chapitre quinziéme du livre des Actes. Je soûtiens enfin qu'au contraire, pour peu que l'on fasse attention à cette dispute, on y voit clairement que l'Apôtre y a en veuë ces faux Apôtres qui disoient, qu'il faloit join­dre l'observation de la loi Mosaïque avec la foien Jesus-Christ pour étre sauvez.

C'est dans cette veuë que Saint Paul dit dans le fort de sa dispute sur la justification par la seule foi. Il est vray que la circonci­sion est profitable si tu gardes la loi, mais si tu és transgresseur de la loi, ta circoncision de­vient prepuce. Si donc le prepuce garde les ordonnances de la loi, son prepuce ne lui sera­t-il point reputé pour circoncision. Il est clair que ces paroles & les suivantes jusqu'à la sin du chapitre, ont leur rapport à ces gens du 15. des Actes, qui disoient, Si vous n'étes circoncis selon l'usage de Moïse, vous ne pou­vez étre sauvez.

C'est dans la même veuë que Saint Paul en commençant le chapitre troisiéme, dit, Quel est donc l'avantage du Juif? ou quel est le profit de la circoncision? grand en toute ma­niere. Car il est clair que c'est pour répon­dre à ces ennemis qui vantoient la necessité de la loi de Moyse, & qui accusoient Saint Paul d'anéantir tous les avantages du peuple Juif, en niant la necessité de l'observation de ses loix pour le salut.

Dans le 21. verset du même chapitre, Saint Paul dit, Maintenant la justice de Dieu est manifestée sans loi, étant à icelle rendu té­moignage par la loi & les Prophetes. Je ne sçay si on peut nier que le sens de ces paroles ne soit, que la maniere dont Dieu justifie les hommes sans la loi de Moyse a été manifestée & mise en lumiere par l'Evangile, auquel E­vangile la loi elle-même & les Prophetes ren­dent témoignage. Or cette proposition ne contient-elle pas évidemment l'état de la controverse, precisement comme il est rap­porté par Saint Luc au quinziéme chapitre du livre des Actes, sçavoir si pour étre sauvé & justifié, il étoit necessaire de join­dre à l'Evangile l'observation de la loi de Moyse?

Dans le quatriéme chapitre il dit, Cette déclaration de la beatitude est-elle seulement en la circoncision, ou aussi au prepuce. Car nous disons que la foi a été allouée à justice à Abraham? Comment donc lui a-t-elle été alloüée? a-ce été lui étant déja circoncis, ou durant le prepuce. Je soûtiens qu'il faut étre aveuglé par les prejugez, pour ne pas voir que Saint Paul combat ici ceux qui di­soient:* Si vous n'étes circoncis selon l'usage de Moyse, vous ne pouvez étre sauvez. Si vous ne suivez la loi de Moyse, Dieu ne vous sçauroit alloüer vôtre foi à justice; c'est pourquoi à la foi en Jesus-Christ, il faut [Page 125]joindre l'observation de la loi de Moyse. Et au contraire Saint Panl leur dit, Non; la circoncision n'est point necessaire pour ren­dre salutaire la foi en Jesus-Christ & l'allian­ce de grace. Car Abraham a été justifié, & sa foi lui a été imputée à justice avant qu'il fut circoncis, & long-temps avant l'éta­blissement de l'oeconomie Mosaïque. Si Saint Paul combat ici la doctrine que les Pharisiens enseignoient dans le quinziéme chapitre des Actes, c'est donc là qu'il faut aller chercher l'état de la question, & non pas dans une nouvelle pretenduë controver­se. Ce n'est point par la loi, dit encore Saint Paul, que la promesse est arrivée à Abraham, ou à sa semence, &c. car si ceux qui sont de la loi sont heritiers, la foi est aneantie. Est-il possible que quelqu'un puisse nier qu'ici la loi, ne signifie l'alliance Mosaïque? de mê­me quand il dit dans le chapitre troisiéme, au verset 30. Aneantissons-nous donc la loi par la foi? La loi clairement signifie l'al­liance Mosaïque. Dans le cinquiéme cha­pitre versets 13. & 20. Jusqu'à la loi le peché étoit au monde. La loi est intervenuë afin que le peché abond ât. Dans tout le chapitre septiéme, où la loi revient si souvent; Nous sommes morts à la loi, nous sommes délivrez de la loi. Dans tous ces passagas & plusieurs autres semblables qui reviennent presque à chaque verset dans l'Epître aux Romains & dans celle aux Galates, on ne peut nier que [Page 126]la loi ne signifie l'alliance Mosaïque. Or à quoi bon S. Paul parle-t-il tant & si souvent de la loi en general & de l'alliance Mosaïque, s'il ne s'agit que de sçavoir, si les bonnes oeuvres entrent dans l'affaire de la justifica­tion, ou si c'est la vertu de la foi toute seule? N'est-il pas évident que la loi & l'alliance le­gale ne paroissent si souvent dans cette dispu­te, que parce que c'étoit precisement la que­stion dont il s'agissoit; sçavoir si les hom­mes pouvoient etre justifiez par l'alliance de Moyse, ou par celle de Jesus-Christ.

L'Epitre aux Galates est certainement un abbregé de celle de l'Epître aux Romains. Saint Paul y dispute contre les mêmes adver­saires, il y a en veuë la même question. Et là il dit en entrant dans cette dispute:* Si la justice est par la loi, Christ donc est mort pour neant. C'est à dire, si les hommes sont justifiez par l'alliance legale & Mosaïque, c'est en croyant que Jesus-Christ est mort pour seel­ler une nouvelle alliance. Voila precisement l'état de la question; sçavoir si les hommes doivent étre justifiés par la loi ou par l'Evan­gile. C'est sur cela que doit rouler toute la dispute, ou c'est un égarement continuel. Quand il conclut,** Or que par la loi nul ne soit justifié devant Dieu, il est évident. Cela ne signifie-t-il pas, que nul n'est justi­fié par l'alliance Mosaïque & legale? Or c'est là ce que Saint Paul veut prouver dans [Page 127]toute cette dispute; donc l'état de la que­stion est, sçavoir, si l'on peut étre justifié par l'alliance de Moyse ou par celle de Jesus-Christ.

Que peut-on de plus formel pour faire connoître l'état de la question que ceci.* Voici donc ce que je dis quant à i'alliance qui auparavant a été confirmée de Dieu en Christ, que la loi qui est venuë quatre cent & trente ans aprés, ne la peut enfreindre pour abolir la promesse. Il est clair par ces paroles, que l'Apôtre n'oppose point vertu à vertu, oeu­vre à oeuvre, la foi à la charité, aux aumô­nes, &c. mais alliance à alliance; & qu'ainsi la question n'est pas, sçavoir, si on doit étre justifié par la vertu de la foi opposée aux au­tres vertus; mais si on doit étre justifié par l'alliance de grace & de Jesus-Christ oppo­sée à celle de Moyse. Par consequent le sens de ces paroles, nous sommes justifiez par foi sans les oeuvres de la loi, doit étre, nous sommes justifiez par l'Evangile & par l'al­liance de grace, & non par l'allianee des oeu­vres, qui est celle de Moyse.

** Car si l'heritage est de la loi, il n'est plus par la promesse. Voici encore l'état de la question, sçavoir si l'heritage eternel se doit aquerir par l'alliance légale, ou par la promesse, c'est à dire, par cette alliance qui avoit été promise à Abraham en Jesus-Christ.*** Aquoisert donc la loi? elle a èté [Page 128]ajoûtée à cause des transgressions. A quoi sert cette oeconomie legale de Moyse, si ce n'est point par elle que les hommes doivent étre justifiez? C'étoit donc là la question, si les hommes devoient étre justifiez par l'al­liance, & par l'oeconomie legale.

* Si la loi avoit été donnée pour pouvoir vivisier, vrayement la justice seroit de la loi.

Voici encore precisement l'état de la que­stion. Sçavoir si l'alliance legale avoit été destinée à vivifier, à donner la grace & la gloire. L'Apôtre le nie, & soûtient que la justice & le salut n'est pas de l'alliance Mo­saïque. C'étoit donc cela dont il s'agissoit entre les Pharisiens & lui.

** Or devant que la foi vint, nous étions gardez sous la loi, &c. & ainsi la loi a été nô­tre pedagogue pour nous amener à Jesus-Christ. On ne sçauroit nier qu'ici la loi ne signifie toute l'oeconomie Mosaïque. Mais que fait-elle ici cette oeconomie Mosaïque? C'est qu'on accusoit l'Apôtre Saint Paul de faire la loi de Moyse de nul usage. Il répond que cela n'est pas vrai, que l'usage de cette alliance n'étoit pas de justifier, que cepen­dant elle n'étoit pas sans usage, puisqu'elle servoit à nous amener à Jesus-Christ. A quoi bon cela, s'il ne s'agit que de sçavoir seulement si la justification dépend unique­ment de la foi, & non des autres bonnes oeuvres?

L'Apôtre en parlant de ces faux Apôtres qui seduisoieut les Galates, dit,* Ils sont jaloux de vous, mais non pas de bonne sorte, mais ils vous veulent exclurre, afin que vous soyez jaloux d'eux. C'étoient indubitable­ment ces faux Docteurs dont il est parlé dans le chapitre quinziéme des Actes, qui étoient jaloux de la gloire de Saint Paul, & de ce grand nombre de convertis qu'il avoit fait, & qui vouloient lui arracher ses Disciples. Que vouloient persuader ces faux Apôtres? Saint Paul le fait connoître dans ces paroles qui suivent,** Dites-moi, vous qui voulez étre sous la loi, n'oyez-vous pas la loi. C'étoit donc là leur but de ramener les hommes sous la loi: de leur persuader que sans la loi on ne pouvoit étre sauvé. C'étoit donc aussi ce que Saint Paul leur disputoit, & c'étoit l'état de leur controverse; & non, si on devoit étre justifié par la vertu de la foi, ou par les autres vertus. Voici donc déja deux choses que je croi tres-certaines & tres-évidentes. 1. La premiere que les adversaires de Saint Paul sont les Juifs, zelateurs de la loi. 2. La seconde que la question qui s'agitoit en­tr'eux étoit precisement, sçavoir si pour étre sauvé, il étoit nécessaire de joindre l'observation de la loi Mosaïque à la foi en Jesus-Christ: ou autrement si le salut & la justification se devoient obtenir par l'allian­ce de Moyse, ou par l'Evangile de Jesus-Christ. [Page 130]C'est une verité qu'on ne combatra pas long-tems: on aura beau s'agiter, on en viendra là quoi qu'on fasse. Car c'est une de ces choses qui sont d'une évidence à n'y pou­voir resister. Il faut gagner le terrain pied a­prés pied. Voilà deux pieds que nous avons gagnés. L'un nous est un dégré pour monter à l'autre. Car si les adversaires que Saint Paul combat sont les zelateurs de la loi, il n'a pû avoir d'autre controverse avec eux, que celle qui regardoit l'efficace des alliances en general, opposées l'une à l'autre. Et ces deux pieds gagnez, nous en feront gagner un troisiéme, & nous apprendrons en quel sens il faut prendre le terme de justifier dans la dispute de Saint Paul; si c'est uniquement dans le sens du barreau, ou dans un sens mix­te, qui enferme & la remission des pechez, & la santification. L'un des grands crimes qu'on fait au petit livret, c'est d'avoir pris le dernier parti, & d'enseigner que la justi­fication signifie toute la justice Evangelique.

Premierement, l'auteur du livret dit là­dessus, que quand il seroit maître & sou­verain arbitre de la destinée & de la signi­fication des termes, il n'y changeroit rien à cet égard, il trouve fort bon que dans l'école on ait distingué la justification de la sanctification. Il croit qu'on ne sçauroit s'exprimer avec trop de distinction & d'exa­ctitude. Il est même persuadé qu'on ne sçauroit commodement traitter cette ma­tiere [Page 131]sans parler ainsi, parce qu'il y a des choses qui sont attribuées, & qui convien­nent à la justification, lesquelles ne convien­nent pas à la sanctification. Par exemple, il croit que les temporaires, ont une espece de sanctification, vera non ficta, comme l'appelle Saint Augustin: Mais qu'ils ne sont point du tout participans de la justifi­cation & de l'adoption, parce que se sont des dons de Dieu sans repentance, & qui ne se revoquent jamais. Il est souvent non seulement permis, mais necessaire pour la clarté des disputes, ou de faire de nouveaux termes, ou de prendre les termes de l'Ecri­ture dans un sens nouveau: Les mots d'hy­postase, ou de personne, de Sacrement, de Trinité, en font foi. Ainsi l'auteur en parlant de la justification, n'en parle jamais qu'au sens du barreau, & n'a nullement dessein d'introduire un autre usage.

Secondement, l'auteur dit qu'il ne sçait pas, dequoi l'on s'avise de lui faire une grande affaire sur la signification d'un mot, puisque dans le fonds il convient absolu­ment de la chose. Ce n'a jamais été la coû­tume de ceux qui cherchent la paix & la ve­rité. Sur tout dans l'affaire dont il s'agit tous les Theologiens Protestans se sont de­clarés & ont dit qu'ils ne vouloient point fonder le procés qu'on fait à l'Eglise Ro­maine ni à nul autre sur un mot. Nous ne sommes pas, disoit Chemnice, si broüillons [Page 132] * & si ennemis de la concorde que'nous voulus­sions chercher matiere à querelle dans des mots, quand dans le fonds en convient de la chose. Car encore que la pluspart du tems les Peres prenent le mot de justifier pour le renouvellemeut par lequel les oeuvres de justice sont produites en nous par le Saint Esprit, nous ne leur faisons pas un procés, quand ils enseignent bien & commodement selon l'E­criture, comment l'homme est reconcilié à Dieu, reçoit la remission des pechés, & est reçû à la vie eternelle.

Il est bon d'observer en passant ce que dit Chemnice, c'est que les Peres Latins ont toûjours pris dans leurs écrits le mot de ju­stificare, dans le sens de son origine selon la grammaire pour justum facere, faire juste, particulierement c'est l'usage perpetuel de Saint Augustin. Il n'est donc pas raisonna­ble de faire procés aux modernes sur la si­gnification d'un mot pris dans le même sens où l'ont pris les anciens.

En troisieme lieu l'auteur prie les hon­nestes gens de se souvenir, qu'on n'a point fait le procés à ceux d'entre les Protestans, qui ont pris ce mot de justifier pour faire & rendre juste. Ainsi là pris Martinus Bor­rheus autrefois Professeur en Theologie dans l'université de Bâle.** Saint Paul, dit­il, [Page 133] sur l'affaire de nôtre justification, quand il dit ceux qu'il a justifiés il les a aussi glorifiés comprend toutes les choses qui regardent nô­tre reconciliation avec Dieu, & celles qui sont necessaires pour le renouvellement lequel nous rend propres à obtenir la gloire: comme sont la foi, la justice, Jesus-Christ, & le don de la justice qui nous est conferée par Jesus Christ, par lequel nous sommes renouvellés pour accomplir la justification que la Loi de­mande. Pareillement nous voulons aussi en­tendre par ce terme, tout ce qui est necessaire pour recouvrer la justice & l'innocence. En­tre les Protestans de la Confession d'Aus­bourg, Brentius tres-celebre Theologien à pris les mots de justifier & de justification dans ce sens: tout le monde en tombe d'ac­cord & personne ne lui en fait un procés. Au contraire Gerard fait son Apologie.* Ja n'advienne, dit-il, que pour cela nous le soupçonnions de favoriser l'erreur des Papistes touchant la justification. A cause qu'il à pris le terme de justification dans son sens le plus étendu en suivant la composition Latine du mot.

En quatriéme lieu l'auteur souhaite qu'on se souvienne que les plus equitables, & peut-être les plus éclairés des Docteurs Reformés, avoüent que le mot de justifier dans les écrits de Saint Paul, & dans la dis­pute [Page 134]même de la justification, se prend quelquefois pour rendre justes, & non pour declarer justes. Zanchius dans son com­mentaire sur l'Epître aux Ephesians, chap. 2. v. 4. dans le lieu commun de la justifica­tion joint au commentaire, aprés avoir donné au mot de justifier la signification de déclarer justes & d'absoudre, adjoûte. L'au­tre signification du mot est que l'homme d'in­juste est rendu juste; comme être sanctifié c'est de profane être rendu Saint. Et c'est en ce sens que Saint Paul l'a pris quand il a dit, telles choses étiés vous autrefois, mais vous en avés été lavés, vous en avés été sanctifiés, vous en avés été justifiés au nom de nôtre Sei­gneur Jesus-Christ, & par l'esprit de nôtre Dieu. Cependant ce n'est pas là, le passage où il y a le plus de necessité de prendre le mot de justifier, dans le sens de faire justes. Antoine Thysius, autrefois Professeur en Theologie à Leyden, dit la même chose.* Nous ne nions pas, qu'à cause de l'étroite liaison la justification ne renferme la justifi­cation, comme dans le 8. des Romains v. 30. Ceux qu'il a justifiés il les a aussi glorifiés, & au chap. 3. de l'Epître à Tite v. 7. Dieu nous a sauvés par le lavement de regeneration & du renouvellement du Saint Esprit, lequel il a répandu abondamment sur nous par Jesus-Christ [Page 135]nôtre Sauveur, afin qu'étant justifiés par sa grace, nous soyons heritiers selon l'espe­rance de la vie eternelle. Theodore de Beze sur ce dernier passage de l'Epître à Tite, dans ses grandes notes, dit aussi: Je prends le mot de justification dans un sens large, en sorte qu'il comprend tout ce que nous recevons par Jesus Christ, tant par imputation, que par l'efficace de l'esprit qui nous sanctifie. A­fin que vous soyés parfaits: c'est à dire par­faits & entiers en lui. C'est aussi en ce sens que se prend ce mot dans le verset 30. du chap. 8. de l'Epître aux Romains. Chamier en trait­tant cette matiere disoit, nous ne sommes pas assés peu sçavans dans la signification des termes pour ignorer, ni assés chicaneurs pour nier que les termes de sanctification & de justification font échange de leurs significa­tions. Nous sçavons bien aussi que les Saints sont principalement ainsi appellés, parce qu'ils recoivent la remission de leurs pechés par Jesus Christ. Enfin Calvin lui même dans ses Commentaires sur les Epitres aux Romains & à Tite, avouë qu'il n'y a nul inconvenient à donner au terme de justifier la signification de rendre juste, dans les pas­sages du 8. chap. v. 30. de l'Epître aux Ro­mains, & dans celui du 3. chap. de l'Epître à Tite v. 7. A ceci je souhaite qu'on adjoûte les passages cités dans le livret de l'ouverture de l'Epitre aux Romains, où le mot de ju­stifier ne se peut prendre au sens du barreau; [Page 136]comme celui de Daniel, ceux qui en auront justifié plusieurs reluiront comme des étoilles. Celui de l'Ecclesiastique, n'attens point à la mort à étra justifié, & celui de l'Apocalypse, que celui qui est juste soit justifié de plus en plus. Et sur tout cela je souhaite qu'on fasse reflexion; s'il est juste de faire une af­faire à une moderne, d'avoir donné au mot de justifier, un sens qui de l'aveu de tout le monde se rencontre quelquefois dans l'E­criture; un sens dont on avoüe que S. Paul s'est servi en divers endroits sur la matiere de la justification, un sens enfin qui est ce­lui de tous les Peres Latins.

La derniere chose que j'ay à dire là-des­sus, c'est que de quelque sentiment qu'a­yent été les Theologiens anciens & moder­nes sur la signification du mot de justifier dans les disputes de Saint Paul, je ne sçau­rois lui donner un autre sens que celui que lui donne l'auteur de l'ouverture de l'Epître aux Romains. Et je pense qu'ayant démon­tré que le veritable état de la question étoit, sçavoir si les hommes étoient ou devoient être sauvés par l'alliance Mosaïque, ou par l'alliance de Jesus Christ, il n'est plus possi­ble de lui donner un autre sens. Car quoi s'agissoit-il simplement entre les Pharisiens, & Saint Paul du moyen par lequel on peut­être declaré juste devant Dieu; & de la voye par laquelle on pouvoit recevoir la remis­sion des pechés? Les Pharisiens ne croyo­yent [Page 137]pas quasi avoir besoin de remission des pechés tant ils étoient enflés de la haute opi­nion de leur justice. Ainsi ce n'étoit pas de cela dont principalement ils disputoient, ils cherchoient en quoi consistoit la viaie justice qui est agreable à Dieu: si c'est dans l'obeïssance à la Loi Mosaïque ou dans l'o­beïssance à la Loi de Jesus Christ. Nous a­vons trouvé l'état de la question dans ces paroles du quinziéme des actes, si vous n'é­tes circoncis, & si vous n'observés la Loi, vous ne pouvés être sauvés. Les termes sauver & justifier, sont ici entierement équivalens. C'est pourquoi comme pour être sauvé il faut l'une & l'autre, & la remission des pe­chés & le renouvellement par la grace, je ne comprens pas comment on peut nier que le terme de justifier dans la veüe de Saint Paul ne r'enferme, & la remission des pe­chés, & la regeneration. Et c'est pour­quoi dans le passage de l'Epître à Tite, qui a plusieurs fois été cité ci-dessus, la justifica­tion est attribuée au Saint Esprit, & elle est confonduë avec la regeneration. Je ne comprens pas non plus comment on peut nier que le mot de justice, que Saint Paul employe presque toûjours dans l'Epître aux Romains pour la justification, ne signifie toute la justice Evangelique. L'auteur de l'ouverture en a cité deux passages. Chap. 1.17. La justice de Dieu se revele tout à plein de foi en foi. Chap. 3.21. La justice de Dieu [Page 138]est manifestée sans loi, &c. vers. 22. voire la justice de Dieu qui est par la foi en Jesus Christ, envers tous & sur tous les croyans. En voici encore d'autres, chap. 4.3. A­braham a cru & il lui a été alloüé à justice. Chap. 5.17. Beaucoup plû ô ceux qui recoi­vent l'abondance de grace, & du don de ju­stice regneront en vie par un seul. Vers. 18. Par une seule justice nous justifiant le don est venu sur tous les hommes. Chap. 8.4. Afin que la justice de la loi sût accomplie en nous. Chap 10.3. Ne connoissant point la justice de Dieu, & cherchant d'établir leur propre ju­stice, ils ne se sont point rangés à la justice de Dieu. Vers. 6. Mais la justice qui est par la foi dit ainsi, ne dis point en ton coeur, &c. vers. 10. De coeur on croit à justice. Gal. 3. v. 21. Si la loi eût été donnée pour vivifier la justice seroit de la loi. Qui peut nier, dis-je, que dans tous ces passages la justice, ne signi­fie toute cette justice evangelique & salu­taire de laquelle les hommes sont mis en possession par l'alliance de grace? Qui peut nier que par cette justice ne soit entendu pre­cisement, ce que l'Apôtre designe par celui de justification? Si donc par le mot de justice, est entenduë toute la justice evangelique, il est clair qu'il faudra r'enfermer aussi toute cette justice sous le nom de justification, puisque ce sont deux termes synonymes dans la Theologie de Saint Paul. Or cer­tainement la justice evangelique & salutaire [Page 139]de l'alliance de grace comprend ces deux parties, & la remission des pechés & le re­nouvellement spirituel.

Dans ce dernier passage cité de l'Epître aux Galates, si la loi eût été donnée pour vi­vifier, la justice seroit de la loi, quelqu'un peut-il ne pas sentir que vivifier signifie ju­stifier, & que c'est comme si l'Apôtre avoit dit, si la loi eût été donnée pour justifier, la justification seroit de la Loi. Si vivifier & ju­stifier dans la Theologie de l'Apôtre sont la même chose, il faut bien que la justifica­tion comprene la regeneration. Car c'est proprement ce que signifie le terme de vivi­fier. Je n'ay plus rien à adjoûter aux preu­ves que l'auteur de l'ouverture, &c. a pro­duites pour prouver le vrai sens du mot de justifier. Je pretends que ce qu'il en a dit, & ce qu'on vient de dire met la chose dans une telle evidence qu'aucun esprit n'y resi­stera, quand il voudia écouter la verité sans consulter les prejugés que donne une longue habitude à croire autrement.

Il faut presentement voir quel est le sens du terme de foi dans la dispute de Saint Paul; D'un consentement fort unanime, tous les Interpretes veulent que cela signifie & l'ha­bitude & les actes de la vertu chrêtienne, qui est ainsi nommée. Mais l'Auteur de l'Ou­verture, pretend que par là Saint Paul en­tend l'objet de cette vertu, c'est à dire, l'E­vangile & l'alliance de grace; sans exclurre [Page 140]pourtant, mais au contraire en r'enfermant & l'habitude & les actes de cette vertu chré­tienne, qu'on appelle foi. Car son sens est que nous sommes justifiez par la foi. C'est à dire, par l'alliance de grace, presentée par Jesus-Christ, & embrassée par une foi pure & sincere. La verité a cela de commode, c'est qu'elle se soûtient par tout, & c'est là son principal caractere. Nôtre explication de l'Epître aux Romains a cet avantage, si l'on nous accorde un seul point qu'on ne sçauroit nous refuser, nous avons tout le reste: si on nous avouë que les adversaires contre lesquels Saint Paul dispute, sont les Juifs zelateurs de la loi: il faut qu'on nous avouë que l'état de la question étoit, sça­voir si pour étre sauvé, il faloit observer la loi de Moyse, ou s'en tenir simplement à la loi de Jesus-Christ. Si l'on nous avouë que c'étoit là l'état de la question; on ne sçau­roit plus raisonnablement nous nier que ju­stifier, dans cette dispute, ne soit mettre en possession de toute la justice Evangelique, tant imputée qu'inherente. Et si on nous avouë ces trois choses, il ne sera pas possi­ble de nier que la foi ne signifie toute l'al­liance de grace. Car ce n'étoit nullement une question entre les zelateurs de la loi & les Apôtres, sçavoir si l'homme étoit justi­fié par l'acte de la foi, ou par les actes des au­tres vertus chrêtiennes. Mais la question étoit, sçavoir si l'on devoit étre justifié par [Page 141]l'alliance legale, ou par l'alliance de Jesus-Christ. Au reste, ce que l'Auteur de l'Ouverture a dit là dessus, me paroît si plein, quoi que tres abbregé, que je n'ai rien à ajoûter. Je prie seulement les Lecteurs d'y faire attention & de ne se point laisser épouvanter par ces grands mots d'explica­tion nouvelle.

J'en dis de même de la signification de ces mots, les oeuvres de la loi, que l'Auteur interprete par la loi des oeuvres, ou par l'al­liance legale. Je n'ay rien à ajoûter à ce qu'en a dit l'Auteur de l'Ouverture, quoi qu'il en ait tres peu dit. Mais en verité je trouve cela d'une si grande évidence, que selon ma pensée, personne n'y fera jamais d'attention serieuse, sans en demeurer d'ac­cord. Et je prie seulement qu'on prenne garde à ceci, qu'il n'y a que cinq ou six pas­sages où l'Apôtre employe cette phrase, les oeuvres de la loi. Et par tout ailleurs dans cette dispute de la justification, il employe les termes de loi des oeuvres, & de loi sim­plement. Chap. 2. vers 12. Tous ceux qui auront peché sans la loi, periront aussi sans la loi. 17. Tu és surnommé Iuif, & te reposes du tout en la loi. 23. Toi qui te glorifie en la loi, deshonores-tu Dieu par la transgression de la loi. Chap. 3. v. 19. Or sçavons-nous que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi. 20. Par la loi est donnée connoissance du peché. 21. Maintenant la [Page 142]justice de Dieu est manifestée sans loi. 21. Où est donc la vantance? elle est bannie. 26. Par quelle loi, est-ce par la loi des oeuvres? 30. A­neantissons-nous la loi par la foi? Chap. 4. v. 13. La promesse n'est point avenuë par la loi à Abraham, mais par la justice de la foi. 14. Car si ceux qui sont de la loi sont heritiers, la foi est aneantie. 15. Vû que la loi engendre ire. 16. Afin que la promesse soit assurée à toute la semence, non seulement à celle qui est de la loi: mais aussi à celle qui est de la foi d'Abraham. Chap. 5. v. 13. Or jusqu'à la loi le peché étoit au monde. 20. Or la loi est intervenuë afin que le peché abondât. Chap. 6. v. 14. Pecherons-nous donc parce que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grace? 15. Le peché n'aura pas de domination sur vous, parce que vous n'étes plus sous la loi: la loi a la domination sur la personne tout le temps qu'elle est en vie. Chap. 7. v. 1. Ainsi, mes Freres, vous étes aussi morts à la loi par le corps de Christ. 4. Mais maintenant nous sommes délivrés de la loi, étant morts à celle en laquelle nous étions retenus. 7. Que di­rons-nous donc, la loi est-elle peché? Ainsi n'advienne. 8. Sans loi le peché est mort, quand j'étois sans loi je vivois. 9. La loi est donc sainte, & le commandement est saint. 12. Ce qui étoit impossible à la loi, d'autant qu'elle étoit foible en la chair, &c. Chap. 8. v. 3. Christ est la fin de la loi en justice à tout croyant. Chap. 10. v. 4.5. Moyse décrit [Page 143]ainsi la justice qui est par la loi. Galat. ch. 2. v. 19. Par la loi je suis mort à la loi, afin que je vive à Dieu. 21. Si la justice est par la loi, Christ donc est mort pour neant. Chap. 3. v. 11. Or que par la loi nul ne soit justifié, il est clair. 12. Mais la loi n'est pas de la foi. 13. Christ nous a rachetez de la malediction de la loi. 17. La loi qui est venuë 430. ans aprés, ne peut enfreindre la promesse. 18. Si l'heritage est de la loi, il n'est plus de la promesse, à quoi sert donc la loi? 19. Elle a été ajoûtée à cause des transgressions. 21. La loi a-t-elle été ajoûtée contre les promesses de Dieu? si la loi avoit été donnée pour pouvoir vivisier, vrayement la justice seroit de la loi. 23. De­vant que la foi vint, nous étions gardés sous la loi. 24. La loi a été nôtre pedagogue pour nous amener à Christ. Chap. 4. v. 5. Dieu a envoyé son Fils fait de femme, &c. afin qu'il rachet ât ceux qui étoient sous la loi. 21. Di­tes-moi, vous qui voulez étre sous la loi, n'entendez-vous point la loi?

Il n'y a personne qui ne doive reconnoî­tre que dans tous ces passages, la loi signifie l'alliance legale entiere; & que tous tendent à prouver, que l'homme ne sçauroit étre justifié par l'alliance legale. Si le dessein de Saint Paul est de prouver, que l'homme ne doit pas étre justifié par les actes des autres vertus chrêtiennes, mais uniquement par l'acte de la foi; à quoi bon faire revenir si souvent la loi? Il devoit se servir to ûjours [Page 144]du terme d'oeuvres simplement. Car la loi & l'alliance de la loi ne faisoient rien à sa question. Pourquoi ne se servir que rare­ment de ces termes, les oeuvres de la loi, & presque toûjours employer la loi, simple­ment. Il est donc clair qu'étre justifié, sans loi, & étre justifié, sans les oeuvres de la loi, dans la Theologie de Saint Paul est la même chose. Il faut savoir seulement lequel est le plus raisonnable, ou d'expliquer trente ou quarante passages par cinq ou six, ou d'expliquer ces cinq ou six par les quarante. Je ne sçai si on peut trouver de la difficulté à cela. En expliquant ces cinq ou six passa­ges où il est parlé des oeuvres de la loi, par la loi des oeuvres, on ne fait aucune espece de violence, & on y suppose seulement une petite metathese, ou si l'on ne veut pas de metathese, on la peut laisser, car nous n'en avons pas besoin. Puisque l'alliance legale peut également bien étre appellée, la loi des oeuvres, & les oeuvres de la loi. C'est la loi des oeuvres, car c'est l'alliance qui demande les oeuvres, & qui dit, Fais ces choses & tu vivras. Ce sont les oeuvres de la loi; car cette alliance est toute composée d'oeuvres, d'observances, de ceremonies, de prati­ques, & de choses qui tombent toutes sous l'action. Au reste comme la loi des oeuvres, & les oeuvres de la loi, signifient l'alliance qui commande les oeuvres comme condi­tion; la foi, la loi de la foi doit pareille­ment [Page 145]signifier l'alliance dans laquelle la foi est la condition sous laquelle on obtient le salut. Ainsi il n'y a rien plus naturel que d'expliquer la conclusion de Saint Paul de cette maniere: Nous sommes justifiés & sauvés par l'alliance de la grace & de la foi, & non par l'alliance des oeuvres. Voila de quelle maniere l'auteur se justifie sur les ar­ticles dont il convient. Voici ce qu'il a à dire sur ceux dont il ne convient pas.

La premiere accusation que l'on fait à l'auteur dont il ne convienne pas, c'est que par cette nouvelle maniere d'interpreter l'Epître aux Romains, il enleve aux Prote­stans tous les passages, dont-ils se servent contre les Papistes pour prouver la justifica­tion gratuite sans oeuvres & sans merite. Car si, être justifié par foi sans les oeuvres de la Loi, signifie simplement être sauvé par l'al­liance Evangelique & non par l'alliance le­gale, cela ne signifiera plus que nous som­mes justifiés gratuitement par la foi sans oeu­vres & sans merite. Ainsi nous avons perdu par cette methode toute l'Epître aux Ro­mains & celle aux Galates. J'aimerois tout autant dire, que nous avons perdu l'Epître aux Hebreux contre le sacrifice de la Messe, parce que le but de cette Epître n'est pas de prouver, que le corps de Jesus Christ n'est pas offert dans l'eucharistie en sacrifice propitia­toire pour les vivans & pour les morts. Ce­pendant nous croyons & nous avons raison [Page 146]de croire qu'on y trouve des argumens con­tre le sacrifice de la Messe, ausquels il n'y a pas de réponse. Si nous ne trouvions des preuves pour decider nos controverses au­jourd'hui, que dans les livres & dans les au­teurs anciens qui ont écrit dans la veuë de ces mêmes controverses, nous n'aurions au­cunes preuves tirées de l'antiquité; car il est certain que nos controverses d'aujourd'hui n'étoient point nées dans l'Eglise Apostoli­que. Les Apôtres n'ont écrit nulle part en veuë d'établir l'absence réelle contre la pre­sence réelle du corps de Jesus Christ dans l'Eucharistie. Nous ne laissons pourtant pas de trouver des preuves invincibles de cette absence réelle dans l'Ecriture. Les Ecrivains sacrés écrivant dans un autre but, ont dit des choses qui font voir des verités qu'ils n'avoient pas directement en veuë. Sur tout quand les controverses d'alors se sont rencontrées avoir quelque rapport avec celles d'aujourd'hui, la pluspart des choses qui ont été dites pour terminer celles-là, servent à decider celles-ci. Par exemple ce n'étoit point une controverse née dans le tems des Apôtres, s'il faloit observer le ca­rême, établir des jours de jeûnes fixés, faire consister le jeûne en distinction de vian­des, & la plus grande partie de la Reli­gion en observances externes & purement corporelles. Neantmoins nous tirons des écrits des Apôtres, des preuves tres-solides [Page 147]contre ces observances superstitieuses. Nous alleguons ce que Saint Paul dit, que nul ne vous condamne en manger & en boire, qu'il faut manger indifferemment de tout ce qui se vend à la boucherie, que le Royaume de Dieu n'est ni viande, ni bruvage, mais justice & paix, que celui qui ne mange que des herbes n'en est pas plus agreable au Seigneur. Qu'il ne faut avoir aucun égard à ceux qui nous disent, ne mange, ne goûte, ne touche point qui sont toutes choses perissables par l'usage. Que ce sont des doctrines d'hommes qui ont seulement une apparence de sapience, de de­votion volontaire & d'humilité d'esprit. Que l'exercice corporel est profitable à peu de chose, mais que la pieté seule a les promesses de la vie presente, & de celle qu'il est à venir, qu'il ne faut point observer les mois, les jours & les années. On sent bien que toutes ces choses ont été dites contre les superstitieux obser­vateurs des ceremonies Judaïques; s'ensuit il que cela ne vaille rien pour faire le procés aux superstitions du Papisme?

Il y a de certaines erreurs differentes qui se détruisent par des principes communs. Telle est l'erreur que l'Apôtre combattoit dans les zélateurs de la Loi, touchant l'ob­servation de la Loi Mosaïque, & la question si on pouvoit être sauvé par cette alliance, & telle est l'erreur des justificiaires d'aujour­d'hui, qui pretendent être justifiés & sau­vés par leurs oeuvres. Ces deux erreurs [Page 148]sont détruites par un principe commun. Et ce principe commun c'est la justification gratuite, & le salut gratuit par le merite de Jesus Christ. Si nous sommes sauvés par la grace & par le merite du Seigneur Jesus Christ, nous ne sommes plus sauvés par l'alliance legale; la raison en est evidente. C'est que cette oeconomie dans laquelle en­troit l'alliance de la nature ne faisoit & n'of­froit point de grace que par rapport à Jesus Christ. Elle disoit fais, opere, acheve, l'accomplissement de la Loi. Autrement tu seras maudit, si tu ne perseveres dans tous les articles de la Loi pour les faire. Ce même principe détruit aussi l'erreur des ju­sticiaires, car si nous sommes sauvés suffi­samment & abondamment par la grace & par le merite de Jesus Christ, nous n'avons plus besoin de nôtre propre merite, & du prix de nos propres oeuvres. Puisque ce principe commun détruisoit, & l'erreur des anciens Pharisiens, & celle des Pharisiens modernes, quoique ces erreurs ne soient pas absolument les mêmes, il ne faut pas s'étonner, si nous trouvons tant de choses dans les disputes de Saint Paul propres pour les nôtres. La verité est que le Papis­me est un Judaïsme ressuscité, aussi bien qu'un Paganisme renouvellé, de sorte qu'on n'a pu combattre le Judaïsme, sans détruire le Papisme. Et qu'on le remarque bien, tout ce que Saint Paul a dit contre les Juifs, [Page 149]nous est aujourd'hui d'usage contre les Pa­pistes: Les Juifs vouloient être sauvés par l'observation de leur Loi. Ils avoient des merites de surérogation, des conseils de perfection, ils croioient pouvoir faire plus que la Loi n'ordonnoit, ils dismoient jus­qu'aux herbes de leurs Jardins pour enche­rir sur le precepte des dismes. Et ils croioient que tout cela étoit de grand me­rite; ils faisoient consister la religion en observances & en pratiques externes. C'est precisement tout ce que fait le Papisme au­jourd'hui.

Il est donc certain que ce changement dans l'état de la question, n'empêche pas que toute l'Epître aux Romains & celle aux Galates ne soient admirables pour prouver le salut gratuit, & la justification gratuite. Par exemple ce qu'il dit,* que la justice de Dieu qui est par la foi en Jesus Christ envers tous &. sur tous les croians à été manifestée, parce que nous sommes justifiés gratuitement par la grace d'icelui, par la redemption qui est en Jesus Christ. Cela est dit dans la veuë de prouver aux zelateurs de la Loi que nous sommes sauvés, en embrassant par foi Je­sus Christ, sa Loi & son Evangile. Mais cela en est-il moins propre à prouver, que ce n'est nullement par le merite & par la dignité de nos oeuvres que nous sommes [Page 150]justifiés? Quand il adjoûte, où est donc la vantance? Elle est bannie: cela sert à con­damner les zelateurs de la Loi qui se van­toient de leur exactitude à observer la Loi de Moyse dans tous ses points, & qui vou­loient être justifiés par là: mais cela n'est pas moins bon à condamner le Pharisaïsme d'aujourd'hui. Car par là Saint Paul ex­clut evidemment, tout ce qui pourroit donner lieu à l'homme de se glorifier de ses forces & de son merite; & ainsi le Pelagia­nisme & le Pharisaïsme du Papisme y est condamné. Particulierement adjoûtant que la vantance est bannie: non par la Loi des oeuvres, mais par la Loi de la foi, il fait voir clairement que l'Evangile exclut toute vantance qu'on pourroit fonder sur ses oeu­vres.

Il dit,a Nous concluons que l'homme est justifié par foi sans les oeuvres de la loi. b Nous sçavons que l'homme n'est point justifié par les oeuvres de la loi, mais seule­ment par la foi de Jesus-Christ. Nous a­vons crû en Jesus-Christ, afin que nous fussions justifiez par la foi de Christ, & non point par les oeuvres de la loi, parce que nulle chair ne sera justisiée par les oeuvres de la loi. Cela est dit, je l'avouë, premie­rement contre les Juifs zelateurs, qui vou­loient étre sauvez par l'observation de leur [Page 151]alliance Mosaïque. Mais cela n'en est pas moins fort pour combatre tous ceux qui voudroient étre justifiez par le merite de leurs oeuvres. Car je voudrois bien sça­voir, si les oeuvres & l'observation des commandemens dans l'oeconomie Mosaï­que n'ont pas la vertu de sauver; pourquoi ils l'auroient, & la devroient avoir dans u­ne autre oeconomie? L'Apôtre dit aux Galates, chap. 3. vers. 10. Tous ceux qui sont des oeuvres de la loi, sont sous maledi­ction. Car il est écrit, maudit est quicon­que n'est permanent en toutes les choses qui sont écrites au livre de la loi, pour les fai­re. La preuve est solide & concluante con­tre les Juifs zelateurs, qui vouloient étre sauvez par l'observation de leur loi Mosai­que. Car puisque cette loi ne promettoit la justification qu'à ceux qui obeïroient en tout, & qu'au contraire elle prononçoit malediction sur celui qui manqueroit en un seul point; Nul homme n'étant capable d'obeïr en tout, il est clair qu'elle laissoit reposer tous les hommes sous la maledi­ction, & ne pouvoit justifier personne. Cela est tres-solide dans la veuë principale de Saint Paul, qui étoit de prouver, qu'on ne pouvoit étre sauvé par l'oeconomie lega­le. Mais cela l'est-il moins dans l'applica­tion que nous enfaisons? Et n'est-ce pas un principe qui porte sa verité par tout, sça­voir qu'on ne peut étre justifié & sauvé par [Page 152]ses oeuvres, à moins que les oeuvres ne soient parfaites, & que l'homme ne soit défaillant en rien. Áinsi sous l'Evangile, comme sous la loi, tout homme qui vou­dra subsister devant Dieu par ses oeuvres, doit obeïr exactement à la loi, & n'ômettre aucune bonne oeuvre.

Saint Paul prouve par l'exemple d'Abra­ham, qu'il n'a pas été justifié par ses oeu­vres. Certes si Abraham a été justifié par ses oeuvres, il a dequci se vanter, mais non pas envers Dieu. Car que dit l'Ecriture; Abraham a crû à Dieu, & il lui a été al­l [...]üé à justice. Or à celui qui oeuvre, le loyer ne lui est pas alleiié pour grace, mais pour chose deuë. Il importe peu pour le but de Saint Paul, que par les oeuvres d'A­braham, il entende celles qui ont été faites avant la vocation de Dieu, ou aprés. Les premieres paroles du chapitre nous ont dé­terminé à croire, que cela se doit entendre des oeuvres faites avant que Dieu l'eût ap­pellé à sa connoissance; parce que nous tournons ainsi ces paroles: Quoi donc! dirons-nous que nôtre Pere Abraham a trouvé grace selon la chair? Eten ce sens, cela va tres-bien au but de Saint Paul, qui est de prouver, que l'on n'est point justifié & sauvé, ni par la vertu de l'alliance lega­le, ni dans l'état de la nature. Car dans le premier chapitre de cette Epître, il avoit prouvé, que l'on n'est point justifié dans [Page 153]l'état de la nature sans loi. Dans le second & le troisiéme chapitre il avoit prouvé, qu'on n'est pas justifié sous l'alliance legale, mais uniquement par l'alliance de Jesus-Christ. Il prouve maintenant cela même par l'exemple d'Abraham. 1. Qu'il n'a point été justifié par les oeuvres qu'il a fai­tes, étant encore en la chair. 2. Ni par celles qu'il a faites dans la circoncision; par­ce qu'il a été justifié lors que la promesse lui a été donnée, & qu'il a crû à cette promesse; c'est à dire, entre ces deux états, celui de la chair, & celui de la circoncision: aprés avoir été appellé à la connoissance de Dieu, mais long-temps devant que d'avoir receu le commandement de se circoncire.

Si cela est bon pour prouver ce que S. Paul avoit alors en veuë, cela ne l'est pas moins pour prouverice quenous voulonsétablir au­jourd'hui. Car si Abraham n'a pû étre justi­fié par ses bonnes oeuvres faites avant sa voca­tion, pourquoi les hommes seroient-ils justifiez par les bonnes oeuvres qu'ils fero­ient avec la grace? C'est une distinction vaine & sans fondement, que celle des Papi­stes, qui disent, que les bonnes oeuvres faites avant la grace ne meritent rien, mais qu'el­les sont meritoires aprés la grace. Au con­traire, si les bonnes oeuvres pouvoient me­riter, ce seroit quand elles partent de nôtre fonds, & de nos propres forces naturelles, mais quand elles viennent de la grace de [Page 154]Dieu qui les fait en nous, ou qui nous aide à les faire; il est clair que par cela méme, el­les perdent tout leur merite, par rapport à Dieu, puis qu'elles deviennent les oeuvres de Dieu aussi bìen que les nôtres. Ainsi ce qu'Abraham n'a pû étre justifié par les bon­nes oeuvres qu'il a faites sans le secours de la grace, prouve qu'à plus forte raison au­jourd'hui on ne sçauroit étre justifié par des oeuvres, dont tout le prix & l'effet dépend de la grace.

Mais il y a bien plus, c'est que Saint Paul prouve qu'Abraham, même aprés la voca­tion celeste a été justifié par l'alliance evan­gelique. C'est à dire par une alliance pure­ment gratuite; car il prouve que ce que Moyse dit, que la foi du Patriarche lui fut imputée a justice, exclut le merite, parce que cette phrase imputer à justice, signifie une beatitude & une justice sans oeuvres. Cela est bon pour l'Apôtre contre les Juiss zela­teurs de la loi. Car si Abraham à été justi­fié gratuitement sans oeuvres, sa justifica­tion ne doit point être attribuée à l'al­liance Mosaïque qui est toute d'oeuvres, de preceptes & d'observances, tant de com­mandemens moraux que de ceremoniels. Mais cela même est tres-bon contre ceux qui aujourd'hui voudroient être justifiés par le merite de leurs oeuvres. Car cette façon de parler imputer à justice, n'a point changé de signification depuis Saint Paul. [Page 155]Alors cela signifioit être justifié gratuite­ment sans oeuvres, & c'est la voye par la­quelle encore aujourd'hui les hommes sont justifiés, sçavoir par imputation de leur foi à justice, donc ils sont justifiés par pure grace, sans aucun merite de leurs oeuvres.

Adjoûtés à cela que quel que soit l'état de la controverse de Saint Paul avec ses adver­saires, il prouve dans toute cette dispute que nous sommes sauvés par pure grace, si c'est par grace, ce n'est plus par oeuvres, autre­ment grace n'est plus grace. Ma is si c'est par oeuvre ce n'est plus par grace, autrement l'oeu­vre n'est plus oeuvre. C'est pour quoi le mot de grace revient, si souvent dans cette dis­pute. Cela étoit entierement propre au but de l'Apôtre, pour prouver aux Juifs qu'ils ne devoient pas chercher leur salut dans l'alliance de la nature qui faisoit partie de l'oeconomie de la loi: parce que cette al­liance ne parle point de grace, & veut une exacte obeïssance. Mais cela n'est pas moins bon pour prouver aujourd'hui, qu'on ne peut-être sauvé & justifié par le merite de ses oeuvres. Car le merite & la grace sont aujourd'hui autant irreconciliables, & au­tant en opposition que jamais. C'est pour­quoi un auteur moderne à bien fait d'appel­ler un pieux galimathias le langage de ceux qui disent, la grace de Diou fait nos merites. Car c'est tout de même que si on disoit, les tenebres font la lumiere. Si c'est [Page 156]grace ce n'est plus merite, & si c'est merite ce n'est plus grace. Ce sont-là ce me sem­ble les principales preuves que l'on tire de la dispute de Saint Paul contre les Pharisiens pour la justification gratuite. Mais je ne voi pas que l'auteur de l'ouverture, les ait le moins du monde affoiblies en soûtenant que le but de Saint Paul est de prouver, qu'on ne peut-être sauvé par l'alliance Mosaïque, mais par l'alliance de Jesus Christ. Au reste cette justification gratuite est si clairement établie dans tous les autres écrits de S. Paul, qu'on se pourroit passer de la moitié des preuves sur la matiere.* Il nous a sauvés, dit-il, non point par oeuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa misericorde par le lavement de regeneration, & le renou­vellement du Saint Esprit. ** Vous étes sau­vés par grace, par la foi, & cela non point de vous. C'est le don de Dieu, non point par oeu­vres, afin que nul ne se glorifie. C'est la même chose qu'il avoit déja dite dans le sixiéme chapitre de l'Epître aux Romains. Les gages du peché c'est la mort, mais le don de Dieu c'est la vie eternelle.

On ne s'est pas contenté d'accuser l'auteur de l'ouverture, d'avoir affoibli les preuves qui établissent la justification gratuite sans oeuvres, on pretend que lui même à ruiné cette justification gratuite, en faisant en­trer [Page 157]les oeuvres, entre les causes de la justi­fication. Cet auteur se peut rendre le té­moignage d'être l'un des plus ardens parti­sans de la grace purement gratuite. Non seulement le terme de merite lui est insup­portable, mais tout ce qui approche de cet­te idée. Car toute sa Theologie tend uni­quement à aneantir absolument la creature devant le createur. Mais qu'a-t'il dit qui puisse donner lieu à ce soupçon? Il a dit ce que disent universellement tous les Theo­logiens bien sensés. C'est que selon l'Ecri­ture Sainte, la foi, la repentance, & le desir d'une nouvelle vie, sont d'une abso­luë & d'une égale necessité pour recevoir la remission des pechés ou la justification. Car pour ceux qu'on accuse d'enseigner que les hommes sont justifiés de toute eternité, où méme dans le tems avant les premiers mouvemens de repentance, on leur fait grace de passer au prés d'eux sans les tou­cher, & l'on n'y doit avoir aucun égard: Le moins qu'on puisse dire de tels sentimens, c'est qu'ils sont scandaleux. Calvin a dit, que la remission des pechés ne nous est jamais accordée sans repentance. Rivet disoit;* on ne doit point croire, que l'on puisse obtenir la remission des pechés avant la repentance, &c. Aussi l'actuelle remission des pechés n'a point été arrestée de Dieu que sous la condition [Page 158]de la repentance precedente, il est donc faux, que selon nôtre doctrine la foi de la remission des pechés doive preceder la repentance. L'au­teur de l'ouverture n'a rien voulu dire autre chose. La repentance contient ces trois mouvemens, 1. Douleur d'avoir offensé Dieu par un principe d'amour, car nous n'admettons pas comme salutaire, l'attri­tion des Scholastiques qui est une douleur sans amour. 2. Un desir serieux de mieux faire a l'avenir, & undessein formé de re­noncer au peché. 3. Et enfin une espe­rance de la misericorde de Dieu, & de la re­mission des pechés. Là dedans il y a pre­mierement des actes d'amour de Dieu, se­condement des actes d'humilité & d'humi­liation devant Dieu: En troisiéme lieu des actes d'esperance. Or ces actes sont des bonnes oeuvres. Ces actes doivent prece­der la justification: donc certaines bonnes oeuvres outre celle de la foi doivent pre­ceder la justification. Il faut étre de bien méchante humeur pour trouver à redire à cela. Mais outre la méchante humeur il faut aussi ignorer, que c'est-là le sentiment commun des Reformés. Et afin qu'on n'en doute pas, j'aime mieux rapporter ce sentiment commun par les pa­roles d'autrui que par les miennes.* Quand [Page 159]nous disons que la foi seule justifie, nous n'entendons pas que le seul acte de la foi, pre­cisement consideré entant qu'il est distingué & opposé aux actes d'amour, d'esperance & de repentance, soit la condition que la nou­velle alliance, ou l'Evangile demande, afin que nous recevions la remission des pechés, & soyons absous à cause de Jesus-Christ. Car l'esperance du pardon, l'amour de Dieu, la douleur d'avoir peché, le dessein d'une nou­velle vie & en un mot tous les actes requis pour une veritable & serieuse conversion, sont aussi necessaires & entierement requis comme des preallables pour estre receu en grace de Dieu, & pour estre regardé de lui comme justifié. Et même cette foy vive & operante parcharité, laquelle nous disons avoir seule la vertu de ju­stifer, renferme en soy toutes ces choses. Et comme l'Ecriture Sainte dit souvent que par la foy nous avons la remission de nos pechés ainsi elle n'enseigne ni moins souvent, ni moins ex­pressement que la repentante & l'entiere con­version du pecheur a Dieu, est une condition sans laquelle on ne peut obtenir de Dieu la re­mission des pechés, & qui n'est pas moins exi­gée comme devant la préceder, que la foi: en­core que cette condition ne fasse, ni ne merite la remission. * C'est ce que signifient les paroles de Salomon, qui cache ses pechés ne prosperera point, mais qui les confesse & les delaisse rece­vra [Page 160]misericorde. a Et ce que dit Jesus-Christ en S. Luc, si vous ne vous amendés vous peri­rés tous semblablement. C'est pourquoi S. Pierre exhorte les Juifs de cette maniere; Re­pentés vous & que chacun de vous soit b bap­tizé au nom de Jesus-Christ en remission de ses pechés. c Repentés vous & vous convertissés, afin que vos pechés soyent effacés. Je ne sçay s'il y a quelques Reformés qui voulussent parler autrement. Au reste l'Autheur, sans esprit de politique, puis qu'il n'avoit au­cun dessein de paroître en public, a pris tou­tes les mesures pour se mettre à labri des soupsçons. 1. Il avouë que la foy dans l'af­faire de la justification, a une plus grande effi­cace que les autres vertus Chrêtiennes, parce qu' outre qu'elle est une condition egale­ment avec elle, elle a de plus l'operation d'un instrument qui embrasse & qui appli­que à l'ame les promesses de Jesus-Christ. 2. De plus l'autheur a pris le so in de distin­guer les bonnes oeuvres qui procedent de la justice habituelle, de celles qui ne sont que des effets de la grace actuelle. Et il decla­re que selon lui les bonnes oeuvres du pre­mier ordre, ne sont pas les causes ou les con­ditions de la justification; au contraire que c'en sont les suites ou les effets. Les bon­nes oeuvres qui precedent la justification [Page 161]sont seulement les premiers movemens in­ternes qui viennent de la grace actuelle & prevenante. Au reste ces bonnes oeuvres visibles comme les actes de pieté, de mise­ricorde, de mortification de soi-même, de renoncement au monde, d'au mône, &c. ne doivent point preceder la justification, car les bonnes oeuvres ne se font que par celui qui est déja justifié. Et c'est de ces oeuvres qu'on a toûjours entendu cette celebre ma­xime de S. Augustin, Bona opera non prae­cedunt justificandum, sed sequuntur justifi­eatum. Jamais personne n'a voulu ex­clurre par là les premiers actes d'amour, des­perance, d'humilité & de repentance qui doivent preceder la remission & la justica­tion.

LES DEUX accusations precedentes ont attiré sur l'Autheur quelque soupsçon de Papisme & d'erreur Scholastique sur la ju­stification. En voicy une troisieme qui le fait tomber dans le soupsçon de Pelagianis­me & d'Arminianisme, c'est qu'il a dit que les mots d'élection, d'élus & d'elire dans l'é­criture, ne signifient pas le decret eternel par lequel Dieu a choisi avant tous les temps certains hommes de la masse du genre hu­main, pour leur donner la grace & la gloire; par opposition au reste des hommes qu'il a reprouvés. Sur tout, on s'est scandalizé de ce qu'il dit, que ce n'est pas de l'election eter­nelle dont il est parlé dans le neufiéme cha­pitre [Page 162]de cette Epistre.

Premierement il declare là-dessus com­me il a déja fait sur le mot de justifier & de justification qu'il n'a pas dessein de rien changer dans l'usage des termes de l'école Chrêtienne & resormée. Il trouve fort bon que l'élection signifie un decret eternel de Dieu pour le salut de ses enfans, opposé à cet acte que nous appellons reprobation, s'il avoit à êcrire sur la matiere, il ne parleroit pas autrement. Pour se rendre intelligible il faut parler selon l'usage, or les disputes de l'école ont leur usage aussi bien que le lan­gage du monde. De plus il est certain qu'il n'y a aucune espece d'abus dans cet usage, & qu'il est tres-commode d'appeller ele­ction, le decret eternel de Dieu fait pour le salut des fideles.

Mais pour des termes & pour la signifi­cation quon attache aux termes, il ne faut faire procés à personne, moyennant qu'on soit d'accord de la chose. En voici une preuve bien evidente dans la même matiere. C'est qu'il n'y a rien si different que les si­gnifications qu'on attache a ces mots de Predestinez, de Predestination, d'élire & d'é­lection dans les écoles: Quelques uns pren­nent le mot de Predestination pour destina­tion de la grace: les autres pour la destina­tion de la gloire: les autres voulent que la predestination ne se prene que pour le bien, les autres l'estendent au mal, & veulent que [Page 163]la predestination se dise des elus & des reprou­vés: que ce soit ce decret eternel par iequel Dieu a choisi les uns & reprouvé les autres. C'est là le sens auquel l'a pris S. Augustin; c'est l'usage de tous ceux qui s'appellent ses disciples dans l'Eglise Romaine: c'est l'usage enfin de la pluspart des Theologiens Refor­més, & même du Synode de Dordrecht. Il est pourtant evident & certain, que jamais le mot de predestination ne se trouve pris en mauvaise part pour la reprobation, dans l'écriture. Ce n'est donc pas toujours un crime de prendre dans l'école des termes au­trement que dans l'écriture. De même l'Election; les uns entendent par là le choix que Dieu a fait de certains hommes pour leur donner la gloire. Les autres ne signi­fient par ce terme que le decret de donner la grace. Je croy que ni les uns ni les autres n'ont pas pretendu déterminer precisement en quel sens l'écriture prend les mots de pre­destination, & d'election. Seulement ils ont attaché aux termes, l'usage qui leur paroissoit le plus commode dans la dispute. Il ne s'agit donc pas du fonds de la question car l'autheur de la question soustient avec au tant de precision qu'aucun autre, que Dieu de toute eternité a fait un decret purement gratuit, sans prevision d'oeuvres, pour procurer le salut a une partie du genre hu­main.

Je souhaite qu'on observe en second lieu [Page 164]qu'on ne fait aucun prejudice à l'Ecriture, non plus qu'à l'analogie de la foy, en souste­nant que l'Election dans son style signifie le choix gratuit & libre que Dieu fait dans le temps de certaines personnes, pour leur donner la grace & les conduire à la gloire.

Parce qu'il suffit à l'Ecriture d'avoir un terme ou deux pour signifier le decret eter­nel fait pour le salut des hommes, elle a celuy de proorismos, predesinition, ou pre­destination. Elle a celuy de prothesis, pro­position, dessein, intention. N'est ce pas assez; & que luy sert d'avoir encore dans le même sens & pour même chose le mot ec­loge, election? Non seulement on ne fait pas de tort à l'Ecriture en donnant au mot d'Election le sens que luy donne l'Autheur de l'ouverture, on luy fait du bien. On luy donne un terme qu'elle n'auroit pas sans cela & qui luy est absolument necessaire Qu'on me dise un peu comment elle appelle, l'execution de ce decret eternel par lequel Dieu avoit ordonné avant tous les temps de donner la foy & la grace a ses enfans. Elle ne l'appelle point justification, comme on pourroit pretendre. La justification n'est point l'acte par lequel Dieu separe l'élû du reprouvé: Car elle ne vient qu'aprés la se­paration. Dieu premierement separe l'élû du reprouvé par le don de la foy & de la gra­ce prevenante, & puis il le justifie. On dira peut être que cela s'appelle vocation. [Page 165]Je l'avouë, l'Apôtre S. Paul appelie ainsi quelquefois cet acte par lequel Dieu dans le temps convertit les hommes par une grace efficace. Entr'autres dans ce celebre passa­ge: Ceux qu'il a predestinés il les a aussi ap­pelés; ceux qu'il a appellés il les aussi justifiés, Et ceux qu'il a justifiés il les a aussi glorifiés. Il est clair que cet acte que est entre la prede­stination, & la justification ne peut-être que celuy de la conversion par la grace effi­cace. Mais premierement cet mot est equi­voque, & par consequent il en faut un autre qui soit propre. Les mots d'appeller, & de vocation peuvent aussi bien signifier une vo­cation generale, inefficace & sans conver­sion, comme une vocation, qui fait la conver­sion. Et en effet, c'est en ce sens qu'il se prend presque tousiours, comme, il y a beau­coup d'appellés mais peu d'élus. On sent bien qu'icy le mot appellés ne signifie qu'une vocation inefficace. Et c'est pourquoi quand l'Apôtre s'en sert, il y ajouste ordi­nairement, selon le propos arresté, appellés selon le propos arresté. C'est à dire selon le decret de predestination. Secondement, ce mot ne met dans l'espritqu'une action exter­ne, appeller, ne signifie qu'une invitation simple, & de là les Pelagiens pourroient bien prendre avantage pour leur dogme, & dire que la conversion se fait par voye de pu­re invitation & de simple persuasion. En­fin le terme de vocation n'exprime pas assés la souveraine liberté, & ce caractere de [Page 166] gratuit qui se trouve dans le choix que Dieu fait de certains hommes, pour leur donner la grace, sans avoir égard à leurs oeuvres & à leurs dispositions precedentes. Au con­traire il semble insinuer que Dieu ne faisant qu'appeller les hommes à sa connoissance, ce sont eux qui se determinent & qui se choisissent eux mêmes pour aller à Dieu.

Mais le terme d'election n'a point toutes ces incommodités, premierement il n'est point equivoque & ne se prend jamais pour l'action de Dieu sur les reprouvés; & ne se peut prendre en ce sens, car on ne sçauroit jamais appeller election, l'action par la­quelle Dieu appelle d'une maniere generale tous les hommes, puisque ce mot signifie clairement preference, & separation du ge­neral. Secondement ce terme d'election emporte necessairement en soy une action interne. Car on ne dira jamais que Dieu choisit, & elit les hommes, si tant est qu'il ne fait que leur adresser une vocation externe & generale à tous, tant à ceux qui doivent suivre qu'à ceux qui doivent resi­ster. Choix & election suppose toûjours une action de separation. Or cette action de se­paration ne peut-être une action externe, car ce qu'il ya d'externe dans la vocation est commun à tous. Ainsi pour accomplir & executer un choix, il faut necessairement que Dieu agisse interieurement dans l'un, & n'agisse pas dans l'autre. Enfin le terme d'e­lection exprime parfaitement le gratuit [Page 167]& la liberté qui est dans la conversion par laquelle Dieu attire les hommes à Dieu. Car cette conversion se faisant par ele­ction, il faut que ce soit par l'electi­on de Dieu, qui prend les hommes, ou par l'election des hommes qui prennent Dieu. Ce n'est point par cette derniere e­lection que l'homme est converti à Dieu, car jamais l'Ecriture n'appelle cela election de l'homme. Mais tousiours election sim­plement, on election de Dieu. C'est donc l'election & le choix de Dieu. Si l'hom­me choisissoit Dieu par son libre arbi­tre, ce ne seroit pas Dieu qui choisiroit, ce seroit l'homme. Et l'election de Dieu ne seroit pas proprement une election, parce qu'elle ne seroit pas gratuite; car toute electi­on signifie une libre preference de l'un à l'autre. Or si les hommes prevenoyent Dieu il n'y auroit rien d'étonnant que Dieu les preferast. Et Cette preference ne seroit point libre. Je conclus donc que cette acti­on par laquelle Dieu aprés avoit fait addres­ser une invitation generale à tous les pê­cheurs, choisit quelques-uns d'entr'eux dans le temps, pour donner la grace preve­vante, est assés importante dans l'oeuvre du salut pour avoir son terme particulier, & qu'entre tous les termes celuy d'election, est le plus propre qu'on auroit pu choisir.

Mais enfin pour decider cet article, je soû­tiens que jamais homme non prevenu, ne doutera que ce ne soit là le vray sens auquel [Page 168]l'Ecriture prend le mot d'elus & d'élection quand il aura examiné avec attention tous les endroits où ces mots sont employés: fai­sons une courte reveuë de tous ces endroits.

Si nous remontons un peu haut & que nous cherchions l'usage du vieu Testament, nous trouverons que selon l'usage du mot bachar, qui signifie élire, & de bachour qui signifie élu, ces mots ne se prennent jamais pour un choix fait dés l'eternité, mais toû­jours pour un choix fait dans le tems. Mais comme je pense que ce ne peut pas être une affaire contestée, ce seroit perdre son tems que de la prouver. On avouë pareillement que dans le Nouveau Testament élire, élus & élection se prennent pour un choix fait dans le tems, & beaucoup plus souvent qu'autrement. En ce sens il est dit de Jesus Christ,* qu'il appella ses Disciples, & en élut douze qu'il nomma aussi Apôtres. ** Qu'il avoit donné mandement aux Apotres par le Saint Esprit, lesquels il avoit élus Et dans le méme chapitre du Livre des Actes, les Disciples voulant substituer un Apôtre à la place de Judas, ils en presenterent deux, & dirent en priant, vers. 24. Seigneur qui connois les coeurs de tous, montre lequel des deux tu as élu. Je ne sçai s'il peut'venir dans l'esprit de quelqu'un que là il soit parlé d'une election eternelle. C'est pourquoi quand l'Apôtre Saint Paul est appellé, [Page 169] vaisseau d'élection ou instrument d'elite. Je ne pense pas qu'on puisse douter qu'il ne soit ap­pellé ainsi par rapport à ce que Dieu l'avoit separé dans le temps pour aller prescher l'E­vangile aux Gentils, & c'est cela mesme que S. Paul dit de luy mesme dans la Preface de l'Epistre aux Romains; Mis à part pour an­noncer l'Evangile de Dieu. Ces passages où il est parlé de l'election des Disciples pour estre Apostres, mettent aussi hors de doute le sens de ces paroles de Jesus Christ;* Ce n'est pas vous qui m'avés élu, mais c'est moy qui vous ai élus du monde. Et ces autres du chap. 5. du méme Evangile vers. 70. Ne vous ai-je pas élus vous douze & l'un de vous est Diable? Et encore ces autres du treiziéme chap. v. 18. Je ne parle point de vous tous, car je sçais ceux que j'ay élus. Car il est clair qu'il fait allusion dans ces divers lieux à ce qu'il avoit fait quand il est dit de luy: Et il en élut douze qu'il nomma aussi Apôtres. Au méme sens il est dit, que les Fréres élurent Estienne, Personnage plein de foy, & six autres avec luy pour les premiers Diacres. Je ne pense pas non plus qu'on puisse douter que ce ne soit au méme sens que S. Pierre disoit au 15. des Actes, vers. 7. Vous savés que dés long tems Dieu a élu d'entre nous que les Gentils oüissent par ma bouche la parole de l'Evangile. Et dans le méme chapitre. Et il sembla bon aux An­ciens [Page 170]& à toute l'Eglise d'envoyer en Antioche gens élus d'entr'eux. vers. 25. Nous avons esté d'avis d'envoyer vers vous des personnages que nous avons élus. Je ne crois pas non plus qu'on fasse difficulté de nous passer pour la signification commune ces textes du 17. ch. de l'Epistre aux Cor. Dieu a élu les choses folles de ce monde, &c. & Dieu a élu les cho­ses viles de ce monde. En un mot il est certain que le mot de choisir & d'élire dans leur na­turelle signification, ne signifient qu'un acte de separation, qui se fait dans le tems. Or pour tirer un mot de sa naturelle signifi­cation, pour le transporter à une autre qui luy est tout-à-fait estrangere, il faut avoir de bons garans & de bonnes preuves. Ainsi l'on ne doit pas donner aux mots d'élire & d'élection, une signification qui signifie de­cret eternel, sans y estre obligé par la neces­sité du bon sens qu'on doit conserver: telle­ment que si l'on peut conserver à l'Ecriture un sens juste, orthodoxe & conforme à l'a­nalogie de la foy, en conservant aux mots d'élire & d'élection leur signification natu­relle, on m'avoüera que cela sera beaucoup plus raisonnable. Or c'est cela que nous allons voir, que dans tous les lieux où l'on pretend qu'il est parlé d'élection, il est beau­coup plus commode de l'entendre de cette separation que Dieu fait par sa grace efficace & par son Esprit, dans le tems, & quand il appelle ses Enfans du milieu du monde. Mais [Page 171]avant cela je souhaite qu'on observe que dans tous les termes qui signifient un acte de Dieu dés l'eternité, il y a toûjours au de­vant une particule qui emporte préexistence, comme dans proorismos, predestination; prothesis, predetermination; proncia, pro­vidence; prognosis, preconnoissance. Il fau­droit donc que selon cette forme l'élection eternelle fut appellée proékoge [...], préelec­tion. Ce qui ne se trouve jamais. Mais voyons les passages: Un des plus notables c'est celuy du chap. 24. de S. Matthieu vers. 22. & celuy qui luy est parallele, du 13. de S. Marc; que les jours d'affliction ont esté abregez à cause des élus. Ou comme il y a dans S. Marc, v. 20. à cause des élus qu'il a élus. Et dans le mesme lieu, vers. 22. Jesus Christ dit, que de faux Christs, & faux Prophetes viendront, qui feront des signes & des miracles pour seduire les élus, s'il estoit possible. Souvenons-nous de ces deux principes que nous avons posez: 1. L'un qui est confessé, que les mots choisir & élire signifient naturellement & ordinairement une separation qui se fait dans le tems. 2. Le second, qui est une maxime du bon sens; qu'on ne doit pas transporter un mot de sa signification naturelle à une autre qui luy est estrangere, que pour sauver à l'Ecriture quelque absurdité apparente. Or je vous prie pour sauver le sens de ces passages, qu'elle necessité y a-t-il d'ôter au mot d'élus la si­gnification [Page 172]naturelle? Quelle affaire a icy le decret eternel de l'élection? Et y a-t-il rien plus commode que d'entendre icy que les jours d'affliction ont esté abbregés à cau­se des enfans que Dieu s'étoit choisis & sepa­rés actuellement de la masse des hommes, par la grace & la vocation efficace, & que les faux Prophetes feront des signes pour sedui­re ceux à qui Dieu a donné la grace de se con­vertir sincerement.

Le Seigneur dans le 20. chap. de S. Matth. pour conclusion de la parabole des ouvriers, que le Pere de famille avoit envoyé travail­ler à sa vigne, dit; Il y a beaucoup d'appel­lez & peu d'élus: Il est plus clair que le jour que le mot d'élus, est opposé à celuy d'ap­pellés, comme signifians des choses contem­poraines, & qu'ainsi comme la vocation se fait dans le tems, aussi se fait l'election. Et par consequent comme la vocation signifie l'invitation generale qui s'adresse à tous les hommes, l'élection signifie cette separation que Dieu fait par son Esprit entre ceux qui sont appellés,

Je poursuis par l'Epistre aux Romains, où certainement il est parlé de l'election au salut & à la vie. S. Paul dit,a qui est-ce qui intentera accusation contre les elus de Dieu, Dieu est celuy qui justifie. Y a t'il quelque ombre de necessité, d'oster au mot d'élus sa signification natur elle pour luy en [Page 173]donner une estrangere? ce sens n'est-il pas bon? mais n'est-il pas infiniment meilleur de dire, qui est ce qui accusera les hommes que Dieu a separés du reste du genre humain par sa grace efficace & ausquels il a donné la foy & la veritable conversion? que fait l'ele­ction eternelle aprés tout, prise en elle mê­me pour empêcher qu'on ne puisse accuser un homme? Saul persecutant l'Eglise n'é­toit-il pas elu dans le sens de l'ecole; cepen­dant il étoit tres possible & tres juste d'inten­ter accusation contre lui dans cet état? N'est-il pas clair qu'icy les elus & les justi­fiés c'est la même chose? qui intentera accu­sution contre les elus, Dieu est celuy qui ju­stifie?

a Devant que les enfants fussent nés & qu'ils eussent fait ni bien ni mal, afin que le propos arresté selon l'élection de Dieu demeu­rast &c. il fut dit le plus grand servira au moindre. C'est là un des passages où l'on trouve le plus de necessité d'entendre par l'election un decret eternel. Cependant il n'y en a aucune. Premierement il faut sçavoir, qu'il n'est point seur que là il s'agisse de l'e­lection & de la reprobation par rapport à la vie & à la mort eternelle; ou pour mieux di­re il est tres-certain qu'il ne s'agit pas de cela dans cet endroit. Car sans determiner si Esau estoit reprouvé ou ne l'estoit pas à l'egard de la vie eternelle; il est clair qu'il ne s'agit icy [Page 174]que d'une reprobation & d'une election par rapport à l'avantage d'être le Pere du Messie & le Patriarche de la Nation Sainte. Esau fur reprouvé, à cet egard Jacob fut élu. Afin que le propos arrestè selon l'election de Dieu demeurât. C'est à dire, demeurât ferme. Certainement icy le propos arresté, prothesis, signifie le decret eternel de Dieu. Si l'election qui suit signifie aussi le même decret eternel, voyez quel sens! Afin que le decret eternel selon le decret eternel demeurât. On doit avoir ce respect pour les Escrivains sacrez, de les faire parler raisonnablement & intelligi­blement. Or certainement cela n'est ni rai­sonnable ni intelligible. Mais l'expression est tres-juste & tres-intelligible si vous l'ex­pliqués ainsi. Asin que le decret eternel confor­me à l'election que Dieu devoit faire dans le tems demeurât ferme & ne fût point changé, il fut dit le plus grand servira au moindre. Il me semble que ce sont-là des lumieres, qu'il ne faut que monstrer pour les faire voir.

Dans le chapitre onziéme Saint Paul parle trois fois d'élus & d'élection. vers. 5. Ainsi aussiau tems present il y a du residu selon l'é­lection de grace. vers. 7. Ce qu'Israël est a­prés à chercher il ne l'a point obtenu, mais l'élection l'a obtenu, & les autres ont été en­durcis. Dans ces deux passages l'élection signifie le choix & la separation par la grace pour la vie eternelle, & le sens est que la re­jection [Page 175]des Juifs dans le tems d'alors, n'étoit pas si generale, que Dieu n'eût separé un bon nombre d'entr'eux pour leur donner son salut & sa grace. Il y a du residu selon l'élection de grace. Dieu s'est mis à part un nombre de Juifs par cette élection gratuite; par ce choix fondé dans sa seule misericorde, par lequel il a converti quelques Juifs à la foi. Tout de même qu'autrefois il s'étoit reservé sept mille hommes du milieu de la revolte generale des dix tribus. L'élection l'a obtenu & les autres ont été endurcis. Ceux qu'il a pluà Dieu d'appeller efficacement en leur donnant la grace victorieuse de la cupi­dité ont obtenu la justification, mais le reste des Juifs ont été abandonnés à leur dureté. Il me semble que là dedans, il n'y a vestige aucun de decret eternel, & qu'il y nuiroit bien loin d'y servir. Il y a un troisiéme passage dans ce chapitre qui parle encore d'élection, mais c'est dans un autre sens. v. 28. Ils sont certes ennemis quant à l'Evan­gile à cause de vous. Mais ils sont bien aimés quant à l'élection, à cause des Peres. Il ne parle plus là de l'élection des particuliers, c'est de la nation entiere des Juifs. Il predit leur rappel, & declare que cette nation ne peut-étre reprouvée pour jamais, parce que les dons & la vocation de Dieu sont sans re­pentance. Dieu aiant autrefois choisi ce peuple pour son peuple, il ne peut le rejet­ter absolument, aujourd'hui ils sont enne­mis [Page 176]de l'Evangile. Mais cependant, c'est la nation bien aimée, quant à l'élection, à cause des Peres. C'est à dire, à cause du choix que Dieu a fait de leurs Peres pour ê­tre son peuple. Precisement au sens que Saint Paul disoit:* Le Dieu de ce peuple Israël à élu nos Peres, & a haussé ce peuple du tems qu'ils demeuroient au pais d'Egypte. Je ne croi pas qu'il y ait personne qui trouve de la necessité a interpreter ce dernier passa­ge d'une élection eternelle. Et par conse­quent il n'y en pas non plus d'interpreter le passage precedent d'une autre élection que celle que Dieu a faite dans le tems de la fa­mille des Patriarches. Il y a encore un en­droit dans l'Epître au Romains, où il est parlé d'élus. C'est dans les salutations du chap. 16. v. 13. Salués Rufus élu au Sei­gneur. Elu pourroit bien signifier là, pre­cieux & excellent, comme en plusieurs au­tres lieux. Mais si l'on veut y laisser le sens de choix & de separation, cela ne peut si­gnifier une separation faite dés l'eternité, c'est un tiltre de même signification que celui qui est donné à Perside dans le verset precedent, salués Perside la bien aimée. Au même sens Saint Jean addresse une Lettre à la Dame éluë. C'est à dire excellente, bien aimée de Dieu, à laquelle il a donné des dons qui la distinguent & la separent du commun.

Dans l'Epître aux Ephesiens, nous trou­vons ce passage qui semble avoir determiné les Theologiens à prendre l'élection pour un decret eternel. Chap. 1.4. Selon qu'il nous avoit élus en lui devant la fondation du monde. Je pourrois me contenter de ce qui en a été dit dans l'ouverture, mais si on ne veut pas cela, je consens fort volontiers qu'ici l'élection, signifie le decret de l'éle­ction. Mais pourquoi? Parce que cè ter­me qui ne signifie pas cela naturellement est determiné à cette signification, parce qui est adjoûté devant la fondation du monde. Le mot de créer ne signifie point naturelle­ment un decret eternel: Mais cependant si le Saint Esprit disoit, comme il le pourroit bien dire, que Dieu nous a creés à bonnes oeu­vres dés devant la fondation du monde, il faudroit par le terme de créer entendre un decret eternel: & celà à cause de l'addition, devant la fondation du monde.

Dans l'Epître aux Colossiens Saint Paul dit, chap. 2. v. 12. Soyés donc comme élus de Dieu, Saints & bien aimés, revestus des entrailles de misericorde. Il n'y a personne qui ne sente qu'il n'est nullement besoin de remonter jusqu'à l'eternité pour bien expli­quer ce passage. Et que le sens est bien en­tier, si on le paraphrase ainsi, soyés donc comme gens à qui Dieu a donné sa grace, & qu'il a separés du commun des hommes par l'esprit de conversion, Saints & bien-aimés, [Page 178]&c. Ou plûtôt ces trois termes, élus, Saints & bien-aimés. Sont trois termes Synony­mes, qui signifient la même chose sous trois idées differentes. Elus, parce qu'il vous à separés du reste des hommes: Saints, parce qu'ils vous à separés des autres, en vous donnant la vraye sainteté: Bien-aimés, parce qu'en ce failant il vous à donné une marque de son amour infini.

Saint Paul dit aux Thessaloniciens, qu'il sçait leur élection.* Sçachans Freres, bien-aimés, vôtre élection, car nôtre predi­cation de l'Evangile, n'a point été entre vous seulement en parole, mais aussi en vertu. Croit-on que l'Apôtre monte ici, jusqu'au decret de la predestination, & qu'il ait des­sein de dire, que les Thessaloniciens sont du nombre des predestinés? En verité il est beaucoup plus naturel de dire, que Saint Paul étoit assuré que les Thessaloniciens a­voient reçû cet esprit de grace & d'adoption, qui separe les fideles predestinés de ceux qui ne le sont pas. Je sçai vôtre élection. Je sçai que vous étes veritablement convertis, car nôtre predication entre vous a été pleine de vertu & d'efficace.

L'Apôtre dans la premiere à Timothée parle d'Anges élus, chap. 5.21. Je t'adju­re devant Dieu & le Seigneur Jesus Christ & les Anges élus. C'est à dire les Anges con­firmés [Page 179]en grace par cette élection que Dieu en fit dans le tems de la revolte des demons. Cela suffit sans remonter à l'éternité. Il est à remarquer que l'élection en matiere de sa­lut, signifie toûjours un choix purement gratuit, sans merite & sans aucune cause de la part de la creature. Je remarque cela en cet endroit, afin qu'on voye que la perseve­rance des bons Anges ne fut point un fruit de leur liberté seulement, mais du choix & du don de Dieu. Dans la seconde Epître au même Timothée l'Apôtre dit, chap. 2.10. pour cette cause souffre-je toutes choses pour l'amour des élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut qui est en Jesus Christ, avec la gloire eternelle. Il est clair qu'il n'y a non plus ici aucune raison d'ôter au mot d'élus, sa signification naturelle pour lui en donner une étrangere, Saint Paul dit, qu'il souffre pour l'amour des élus, c'est à dire pour l'e­dification de ceux que Dieu avoit appellés efficacement & convertis au Christianis­me.

Dans le premier verset de l'Epître à Tite l'Apôtre dit: Paul serviteur de Dieu & A­pôtre de Jesus Christ, selon la foi des élus & la connoissance de la verité qui est selon pieté. La foi n'appartient pas toûjours en propre aux élus, c'est à dire aux predestinés. Car il y a bien des predestinés qui n'ont pas en­core la foi, ou parce qu'ils ne sont pas en­core nés, ou parce qu'ils ne sont pas encore [Page 180]convertis. Mais la foi appartient propre­ment aux élus en nôtre sens, c'est à dire à ceux que Dieu a choisis actuellement & se­parés de la corruption du monde par une grace efficace. La foi n'appartient qu'à eux, & elleleur appartient toûjours & ne­cessairement. Ainsi c'est leur proprium quarto modo.

Absolument dans le même sens, Saint Pierre écrivant aux fideles espars, leur dit,* aux étrangers qui étes espars, &c. Elus se­lon la providence de Dieu le Pere, en sancti­fication a'esprit à l'obeïssance, &c. Nous voions ici la providence, c'est à dire le de­cret eternel de Dieu. Les fideles sont, é­lùs selon la providence, selon le decret eter­nel. Cela est violent, si par élire on en­tend aussi un decret eternel: élu dés l'eter­nité par le decret eternel. Mais il n'est rien de plus naturel, que d'entendre qu'ils ont été choisis dans le tems, & separés des incre­dules selon le decret eternel de la providence de Dieu. Dans le second chapitre Saint Pierre cite ces paroles d'Esaye, vers 6. Voi­ci je mets en Sion la maistresse pierre du coin, eleuë & precieuse. Personne n'a de difficul­té là-dessus, & ne va chercher là dedans un decret eternel. Car il est clair, que cela signifie une pierre choisie, excellente & precieuse. Il n'y a pas de doute, que [Page 181]l'Apôtre ne continuë à prendre ce mot au même sens, quand il adjoûte peu aprés, vous étes la generation éluë. C'est à dire une nation choisie, excellente, & que Dieu s'est renduë precieuse par l'effusion de sa grace, & par ses dons: en tout cela il n'y a pas de decret eternel.

Enfin le mot d'eleus se trouve une seule fois dans l'Apocalypse. Ceux cy combat­tront contre l'agneau: mais l'agneau les vain­cra, d'autant qu'il est le Seigneur des Seigneurs & le Roy des Roys, & av ec luy sont les elus, & les fideles. L'arrangement dans lequel sont ces trois mots ap pellés, elus, & fideles font bien voir ceque signifie le mot d'elus: si cela signifie un decret eternel, il faloit le placer devant appellés; comme S. Paul a placé le terme de predestinés. Ceux qu'il a predesti­nés il les a aussi appellés. Il est donc clair que par les appellés sont designés ceux que Dieu a invités à la conversion par la revela­tion de sa verité. Les elus sont ceux en qui il a rendu cette vocation efficace par son es­prit; & les fideles sont ceux qui en conse­quence de cette action par laquelle Dieu les separe des autres hommes, reçoivent le don de la foy. En effet ce font là les trois degrés par lesquels il amene les hommes à l'état d'adop­tion. Il les invite & leur donne sa connoissan­ce, il les convertit & leur donne son esprit. Et enfin il leur donne le don de la foy, par [Page 182]lequel ils entrent dans sa famille.

Ce sont là tous les passages dans lesquels les mots d'élire, d'élection, & d'êlus se trou­vent. Je me suis étendu sur cet article non que je croye que l'affaire soit fort importan­te. Car que l'on prene par tout l'election pour un decret eternel de Dieu, la theologie Orthodoxe n'en recevra pas le moindre pre­judice. Mais l'Autheur de l'ouverture de­mande, qu'on luy fasse la même justice, & qu'on reconnoisse qu'à prendre le terme d'é­lection pour cette action par laquelle Dieu separe dans le temps les predestinés d'avec les reprouvés, en leur donnant la grace effi­cace, la saine theologie n'en peut recevoir aucun mal.

On s'est imaginé que cela favorisoit l'Ar­minianisme. Mais en quoy & comment? Les Arminiens ne prennent point le mot d'é­lection, au même sens & ne le peuvent pren­dre; car ils ne reconnoissent point cette action par laquelle Dieu separe les hommes les uns des autres par une grace singuliere & de distinction. Ils veulent que Dieu tout au plus donne aux hommes une grace generale, & que les hommes se distinguent eux mê­mes par un bon usage de leur libre arbitre. Hammond qui est un de ceux qui a le plus travaillé à rendre l'Ecriture Arminienne, par l'élection de Dieu entend cette action & cet­te volonté divine par laquelle certains Juifs convertis avoyent esté destinés de Dieu pour [Page 183]échaper à cette grande tribulation qui devoit tomber sur la nation des Juifs par la ruine de Jerusalem & du Temple. Episcopius veut que dans le chap. 9. de l'Epître aux Romains il ne s'agisse point du tout de la vocation au salut, & du choix que Dieu fait des hom­mes qu'il veut sauver, par opposition aux hommes qu'il veut abandonner: mais seu­lement de la rejection des Juifs par opposi­tion aux gentils qui étoient alors preferés. Ce qui n'est point du tout le sentiment de l'autheur de l'ouverture.

Il s'en exprime assés clairement; Et montre qu'à la verité l'occasion par laquelle S. Paul entre dans cette matiere est celle de la rejection des Juifs. Pour la justifier il a recours à ce souverain droit de Dieu sur les creatures, selon lequel il fait des hommes tout ce que bon luy semble, sans avoir égard à leurs dispositions precedentes. Il prouve ensuite ce souverain droit. 1. Par l'exem­ple d'Esau & de Jacob, dont l'un fut pris & l'autre rejetté uniquement par la volonté de Dieu & sans égard à leurs oeuvres. 2. Par les paroles de Dieu à Moyse qui dit, J'au­ray compassion de qui j'auray compassion: pa­roles qui signifient que Dieu fait misericor­de à qui il veut, seulement parce qu'il le veut. 3. Par l'exemple de Pharao que Dieu choi­sit pour le faire un exemple de ses jugemens, uniquement par ce qu'il le voulut ainsi. 4. Et enfin par l'exemple d'un potier qui [Page 184]d'une même masse fait des vaisseaux à hon­neur & à deshonneur, sans autre raison que son pouvoir souverain sur son argille. Et c'est proprement en cet endroit que se trouve le decret de la predestination absoluë & gra­tuite dans ces paroles. 22. Qu'est ce, si Dieu en voulant manifester sa colere; c'est à dire sa justice; & donner à connoître sa puissance; c'est à dire le souverain pouvoir qu'il a sur les creatures; a toleré en grande patience ces vaisseaux d'ire preparés à la perdi­tion. Et pour donner à connoître la richesse de sa gloire dans les vaisseaux de misericorde, lesquels il a preparés à la gloire.

L'Apôtre prouve donc proprement deux choses pour montrer le droit que Dieu a eu de rejetter les Juifs. La premiere que dans le temps il fait misericorde a qui il veut, il en­durcit qui il veut sans oeuvres & par un choix libre: & cela seul prouve invinciblement l'élection gratuite de toute eternité. Car tous ceux qui sçavent ce que c'est que Syste­me & qu'Hypothese; sçavent bien aussi qu'il est impossible de concevoir Dieu distri­buant ses dons dans le temps sans avoir égard aux oeuvres & aux dispositions de ceux qu'il veut convertir, qu'on ne le conçoive aussi comme decretant dés l'eternité de donner la grace sans prevision d'oeuvres. C'est donc là une preuve indirecte de l'election gratuite eternelle. Mais en second lieu l'Apôtre avance & établit la predestination [Page 185]absoluë sans oeuvres directement & ouverte­ment dans les versets 22 & 23. dont nous venons de citer les paroles.

Ainsi il n'est point vray que l'Autheur de l'ouverture arrache de ce chapitre toutes les preuves que les Orthodoxes en tirent contre les Arminiens pour la predestination abso­luë. Il n'est pas même vray, que l'on de­robe aux superlapsaires les preuves qu'ils pretendent tirer d'icy pour leur hypothese. Car on laisse entierement dans leur entier ces paroles: Le potier d'une même masse peut faire des vaisseaux à honneur & à deshonneur &c. Et ce qui suit. Et on ne determine point dans l'ouverture, de quelle masse cela se doit entendre. Si c'est de la masse des hommes creables comme ils parlent, ou si c'est de la masse des hommes corrompus. Il est vray que dans l'ouverture on lisoit ces paroles. Mais nostre interpretation enleve aux superlapsaires les preuves qu'ils preten­doyent tirer de ce chapitre, &c. Mais si cela n'est pas vray: C'est une de ces choses qui échapent aux autheurs quand ils meditent pour la premiere fois. Et si l'escrit avoit passé par les mains de son autheur devant que de paroître au public, il auroit corrigé cela comme on le trouve corrigé dans cette seconde edition. Car il a voulu dire sim­plement, qu'en prenant le mot d'Election dans son vray sens & comme l'Ecriture le prend, les superlapsaires n'y peuvent trou­ver [Page 186]aucune preuve pour leur hypothese; parce que cela ne signifie plus que Dieu choisisse les hommes d'une masse qui est dans sa prevision; mais d'une masse qui est actuellement devànt ses yeux. Et par con­sequent qui n'est pas simplement creabilis, mais, actu creata, lapsa & existens.

Il ne reste que deux accusations contre l'ouverture de l'Epìtre aux Romains qui sont plûtôt deux coups tirés en l'air, que deux objections bien formées. La premie­re de ces deux dernieres accusations c'est que cette nouvelle explication ruine tous les commentaires, les rend inutiles, & même ridicules. A Dieu ne plaise qu'on ait eu la moindre intention de rendre inutiles les travaux de tous les grands hommes qui ont travaillé sur cet Epître. Est-ce donc que l'on n'a rien entendu, si l'on n'a tout entendu? où sont le commentateurs qui ayent rencontré par tout? Et apres tout je voudrois bien sçavoir quel mal fait aux commentaires la nouvelle lumiere qu'on verse sur cette Epître? Cela empê­che-t-il que les commentateurs n'ayent fort bien rencontré quand ils ont dit que dans le premier chapitre S. Paul travaille a y con­vaincre les Gentils tels qu'ils sont sous la condamnation de la mort eternelle, & qu'ils ne sçauroyent estre sauvés qu'en embrassant Jesus-Christ & son Evangile? les commen­tateurs sont en dispute entr'eux scavoir si [Page 187]dés le commencement du second chapitre il commence à parler aux Juifs, ou s'il conti­nuë à parler aux gentils. Mais quoy qu'il en soit tous les interpretes conviennent qu'il continuë à convaincre & le Juif & le Grec, qu'ils ne sçauroyent être justifiés que par Je­sus-Christ & par la foy en son Evangile. L'ouverture touche-t'elle à cela & le con­tre-dit elle?

Dans le troisiéme chapitre les commen­tateurs ont vû, que l'Apôtre continuë à presser le Juif par sa propre Loi, qu'il ne peut-être justifié, ni sauvé par la Loi de Moise & par leurs oeuvres. L'ouverture v'a t'elle contre ce sentiment? Le quatrié­me chapitre prouve par un exemple ce que les trois precedens avoient prouvé par rai­son & par autorité, c'est que l'homme n'est pas justifié par les oeuvres faites sous la na­ture & sous la Loi, l'exemple que Saint Paul apporte, c'est celui d'Abraham. Je ne comprens pas comment on fait tort là-dessus aux autres commentateurs; car les lumie­res qu'ils ont apportées là-dessus demeurent dans leur entier: sur tout on a suivi celle de feu de Launai. Le cinquiéme chapitre contient une antithese de la maniere dont la justice de Jesus Christ se répand sur les fi­deles, & de la maniere dont le peché d'A­dam se répand sur ses enfans. Il n'y a point de commentateur qui n'ait écrit sur ce cha­pitre dans cette veüe, & on ne s'est en rien [Page 188]écarté des pensées des plus habiles & des plus celebres. On a vû dans ce septiéme chapitre, comme les plus habiles interpre­tes, sur tout des modernes, une vive descrip­tion de l'homme sous la Loi, qui connoît son devoir, & qui ne le sçauroit faire, par­ce que les forces lui manquent. Et au con­traire dans le huitiéme, on voit tous les mouvemens de l'homme sous la grace, & qui n'est plus sous la Loi; on ne pretend pas avoir donné sur tout cela de nouvelles lu­mieres, ni rendre tous les commentaires inutiles. Les trois chapitres suivans par­lent de la rejection des Juifs, de leur incre­dulité & de leur rappel. Il y a dans ces cha­pitres des difficultés & de grands embarras. On a profité des travaux des autres Theolo­giens, où ils ont paru courts on a essayé d'y subvenir par quelques conjectures. Mais on convient du fonds & de la pluspart des choses avec eux. Est-ce là rendre leurs tra­vaux inutiles?

Ah! mais, dit-on, c'est aneantir tous leurs travaux que de supposer qu'ils n'ont pas entendu l'état de la controverse. Je ré­pons que quand-il seroit vrai, qu'ils n'au­roient pas tout à fait bien penetré dans l'état de la controverse, leurs travaux ne seroient pas inutiles pour cela. Ils peuvent avoir bien entendu chacune des pieces de cette E­pître, & n'avoir pas tout à fait bien com­pris la liaison qu'elles ont entr'elles. Mais [Page 189]de plus je nie qu'absolument parlant ils n'ayent pas bien entendu la controverse. Car dans le fonds ce que dit l'ouverture, & ce que disent les autres interpretes revient à la même chose. Tous conviennent que Saint Paul combattoit les Pharisiens justi­ciaires; tous par les oeuvres de la Loi, en­tendent les oeuvres que la loi commandoit tant morales que ceremonielles. Tous soû­tiennent que Saint Paul veut prouver qu'on ne pouvoit être justifié par l'observation de ces oeuvres que la loi commandoit. Et l'ouverture dit qu'il veut prouver, que l'on ne peut-être justifié par l'alliance legale, autrement par la Loi de Moyse. Pour moi je ne voi pas cette grande difference qui peut-être entre ces deux états de la question, entre les oeuvres de la Loi de Moyse, & la Loi de Moyse qui consistoit en oeuvres, & en observation de preceptes tant ceremo­niels que moraux.

Enfin pour derniere accusation on dit que l'ouverture ruine toute l'oeconomie de l'Epistre aux Romains. Ceux qui disent cela ne sçavent ce que c'est que l'oeconomie d'un ouvrage. Ruiner l'oeconomie d'un livre ou d'une dispute, c'est en separer tou­tes ses parties, en arracher l'ordre, la metho­de & les liaisons & les obscurcir de telles ma­nieres qu'on ne les voit plus. Or je laisse à juger à tous les connoisseurs si l'ouverture fait cela à l'égard de l'Epistre aux Romains. [Page 190]Aucontraire on peut dire qu'elle découvrela methode de cette Epistre. Et au lieu que la plus part des gens n'y voyent que confusion, elle fait voir qu'il ne fut jamais fait d'écrit plus methodique. Car il est precisement se­lon l'ordre de ceux qui écrivent au jour­d'huy avec le plus de methode. L'ouvertu­re fait voir que S. Paul d'abord pose & prou­ve sa these, sçavoir que l'homme ne peut étre justifié ni par l'alliance de la nature, ni par l'oeconomie de la loy mosaïque. C'est ce qu'il fait par raisons & par authorités dans les trois premiers chapitres. La bonne methode veut qu'aprés avoir prouvé une verité par des preuves de droit, on la prouve par des preuves de fait. C'est aussi ce que fait S. Paul dans lequatriéme chapitre; ou dans l'exemple d'Abraham il trouve des preuves de fait, qu'on ne sçauroit étre justifié autre­ment que par l'Evangile, & non par l'allian­ce de la nature ou par la loy de Moyse. En­fin la methode la plus exacte veut qu'aprés a­voir prouvé une verité, on réponde à toutes les difficultés qu'on peut faire à l'encontre. C'est precisement ce que fait S. Paul selon l'ouverture. Car dans tous les chapitres suivans, depuis le cinquiéme inclusivement jusqu'au douziéme, il répond à cinq grandes difficultés que l'on faisoit contre cette these. L'homme est justifié gratuitement par l'Evan­gile & par la foy en Jesus-Christ. L'ouver­ture découvre ces difficultés & fait voir [Page 191]comme S. Paul y répond. J'espere que ceux qui liront ces éclaircissemens sans pre­jugé ne seront plus si fort en colere.

Pour conclusion j'adjoûterai, que si l'on veut entrer dans cette explication de l'Epî­tre aux Romains, on ne sera plus en peine comment la reconcilier avec celle de Saint Jaques. Il ne faudra plus suer comme ont fait tant d'interpretes pour deviner, com­ment dans le sens de Saint Paul, on peut-ê­tre justifié par la seule foi sans les oeuvres, & que cependant selon Saint Jaques, la foi sans les oeuvres ne justifie pas. La foi dans les Epîtres de Saint Paul, signifie l'al­liance evangelique entiere. C'est à dire, Jesus Christ & ses graces avec les conditions qui y sont ann [...]xées, & qui sont requises de la part de l'homme. La foi dans l'Epî­tre de Saint Jaques, se prend pour la foi seule distincte & separée du reste de l'allian­ce de grace. Il est donc vrai dans le sens de Saint Paul, que nous sommes justifiés par la seule foi, sans les oeuvres de la loi. C'est à dire, que nous sommes justifiés par la seule alliance evangelique, sans la loi des oeuvres & sans l'alliance legale. Et il ne laisse pas d'être vrai dans le sens de Saint Jaques, que nous sommes justifiés & par la foi & par les oeuvres, parce que l'un & l'autre, & Saint Paul & Saint Jaques, prenent le terme de justifier pour être mis en possession de la ju­stice salutaire. Or il est certain que nous [Page 192]sommes mis en possession de cette justice sa­lutaire non par la seule vertu de la foy, mais par les autres vertus chrêtiennes. Car la justice evangelique & salutaire consiste en deux choses, la remission des pechés & la sanctification. La remission des pechés s'obtient par la foy & par les premiers actes de charité & de repentance. La santifica­tion consiste formellement dans les habitu­des de toutes les vertus chrêtiennes, lesquel­le se fortifient par les bonnes oeuvres que l'ê­cole appelle les actes des vertus chrêtiennes. Il faut donc remarquer que S. Jacques & S. Paul prenent bien le terme de justifier dans le même sens, mais ils prenent le mot de foy dans un sens different. C'est pour­quoy ils peuvent dire des choses apparem­ment opposées, sans pourtant se contredire. Car chacun sçait que quand on ne s'accorde pas dans la signification des termes, on dit des choses toutes differentes quoi que l'on se serve des mêmes termes. Et l'on peut dire les mêmes choses quoi qu'on se serve de dif­ferens mots.

FIN.

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