L'ESPRIT DU CHRISTIANISME: OU, SERMON Sur le IX. de S. Luc v. 55, 56.

PRONONCE à WESTMUNSTER devant l'Ho­norable CHAMBRE des COMMUNES, Le 5/15 Novembre, 1678.

Par JEAN TILLOTSON, Docteur en Theologie, Doyen de Cantorbery, & l'un des Chappelains Ordinaires de sa MAJESTE Britannique.

Traduit de l'Anglois, Par J. B. de ROSEMOND.

[depiction of globe]

A LONDRES, Chés R. Bentley & M. Magnes en Russel-street, proche de la place du Commun-Jardin, 1679.

Le Mercredy 6/16 Novembre, 1678.

Ordonné,

QUE les remerciemens de cette Chambre (du P [...]rle­ment) seront faits au Docteur Tillotson Doyen de Cantorbery, pour le Sermon qu'il prononca hyer devant cette Chambre, à S. Marguerite de Westmunster, & qu'il sera prié de faire imprimer son Sermon.

Et Monsieur l'Orateur est requis par la Chambre de luy faire les Complimens de la Chambre & de luy tesmoigner le desir qu'a la Chambre qu'il fasse imprimer son Sermon.

Guill. Goldesborough, Clerc de la Chambre des Communes.

AU LECTEUR.

JE donne au Publie une Traduction, dont le succés est fort incertain: J'y ay trouvé d'asses grandes difficultés, non que le sens naturel & aisé du Texte, ne fust facile à tourner; ce n'apas esté là mon grand embarras: J'avois deux sortes de personnes à satisfaire, les Anglois, & les Francois: Les premiers ne se mettent pas en peine, qu'un Sermon ait ce grand Brillant, & cette cadence de mots, sans lesquels il nous paroi­stroit rampant, pour ne pas dire, sans goust. Ils cherchent du solide, & s'arrestent moins à la maniere dedire les choses, qu'aux choses mesmes: Desorte que pour les satisfaire, il falloit une Traduction qui suivist l'original pas à pas & mot à mot.

Les François au contraire veulent quelque chose qui les touche, il semble que les mouvemens de leurs ames dependent, de celuy des-paroles, de leur force, de leur emphase, & de leur energie; en un mot ils prefereroi­ent une Paraphrase touchante, à une Traduction trop plate, quoy que plus exacte.

J'ay taché de satisfaire & les uns & les autres: Je n'ose me flatter d'y avoir reussi par moy mesme; mais j'espere que la Sainteté de la matiere, la bonté des choses qui y sont dites, la Reputation de l'Autheur, & le dessein que j'ay eu de contenter, la curiosité des personnes qui souhaittoient de pouvoir lire cet admirable Sermon dans [Page] une Langue, qui leur fust un peu plus naturelle & plus intelligible; j'espere, dis-je que toutes ces choses con­courront ensemble à faire gouster avec joye les beau­tés de ce Sermon, & engageront les Lecteurs à pardon­ner en mesme temps au Traducteur les fautes, qu'il pour­roit avoir faites: Sur tout puisque, quelque imparfait que soit ce present, il est tousjours d'un prix extraordi­naire.

Quoi qu'il en soit, j'espere que Dieu le rendra utilc aux bonnes ames: & je l'en prie de tout mon coeur.

SERMON

Sur le IX. de S. Luc v. 55 & 56.

55. Mais Jesus se retournant les tança disant, vous ne savés de quel esprit vous estes.

56. Car le fils de l'homme n'est point venu pour faire perir les ames des hommes, mais pour les Sauver.

ENTRE toutes les choses qui rendent la Religion Chrestienne recommenda­ble, & qui luy attirent justement l'ap­probation des hommes, il n'y en a point, qui soit plus capable de faire im­pression sur des personnes raisonnables, que sa bonté interieure. Ses miracles sont les preuves exterieures, & les marques authentiques de sa verité, & de sa Divinité. Mais la morale de sa do­ctrine & de ses preceptes, si conforme à la droite raison, & aux plus sages Ideés des hommes; si capable de con­duire nostre nature à sa perfection, & d'appaiser nos esprits bouillans & emportés: Cette morale, qui s'ac­corde si bien avec l'advantage & les interests du Genre Humain, & qui est si propre à procurer aux hommes la Paix, & la Concorde: Cette morale, dis-je, est ce dont nôtre Religion triomphe, comme de ce qu'elle a de plus glorieux & de plus excellent, en un mot, comme de ce [Page 2] qui est, pour ainsi dire, la Couronne de ses perfections. Les miracles nous reveillent, & nous frappent d'estonne­ment, & par une evidence sensible, & à laquelle on ne peut resister, ils renversent les prejugés, dont l'Infidelité nous aveugle. Mais la bonté a des charmes secrets, qui se rendent maitres des coeurs des hommes par une douce violence, & dont l'operation imperceptible, à la veritè, mais neant-moins effective & reelle, attire nostre estime & nostre amour. Et certes il ne se peut rien trouver de plus propre à la solemnitè de ce jour, qu'un discours sur ce sujet, qui tend directement à corriger cet esprit peu Chrestien, & ce zele aveugle, qui ont esté la cause de tous les troubles, & de tous les desordres, dans lesquels nous nous sommes trouvés, & comme l'Astre dominant, dont les influences ont eu tant de pouvoir sur cette horri­ble Tragedie, que l'on avoit resolu de jouer il y a pres de 80 ans en un jour pareil a celuy cy.

Mais afin que nous comprenions mieux la raison que Jesus Christ a eue de censurer ses disciples, il est necessaire d'examiner quelle fut l'occasion de ce zele violent & furi­eux, auquel ils se laissoient emporter: la voicy. Jesus Christ alloit de Galilee à Jerusalem, & devant passer par une Bourgade de Samarie, Il envoya des messagers de­vant luy pour luy preparer logis: mais les gens du lieu ne le voulurent point recevoir, parce qu'il alloit à Jeru­salem; la raison de ce refus estoit la difference de Religi­on, qui separoit alors les Juifs & les Samaritains, dela quelle je ne vous eclaircirai qu'en peu de mots.

Ces Samaritains tiroient leur origine d'une Colonie d'Assyriens, qui fut plantée dans Samarie par Salmanas­sar, au temps de la Captivité des dix Tribus, comme nous le remarquons au Livre des Roys. Ils estoient Pay­ens, & adoroient leurs propres Idoles: mais enfin estans [Page 3] fort incommodés par des Lions, qui faisoient des ravages considerables parmi eux, ils crurent que pour remedier à ce malheur, Il falloit se faire instruire dans le service du Dieu d'Israel, esperans par ce moyen d'appaiser la colere du Dieu du Pays; & ainsi ils adorerent le Dieu d'Israel conjointement avec leurs Idoles, comme nous le voyons au mesme livre des Roys, ou il est dit qu' ils craignoient l'Eternel, & qu'ils servoient a leurs Dieux.

Mais aprés que la Tribu de Juda fut retournée de la Cap­tivité de Babylone, & que le Temple de Jerusalem eut esté rebasti, tous les Juifs s'obligerent par une aillance solem­nelle de quitter leurs femmes Payennes. Neantmoins un Prestre Juif nommé Manasses, qui avoit espousé la fille d'un certain Sanballat Samaritain, ne pouvant se resou­dre a la quitter; Ce Samaritain persuada ses compatrio­tes de bastir sur le mont Gerizim, qui estoit près de Sa­marie, un Temple opposé à celuy de Jerusalem, & ce Temple ayant esté basti, le gendre de Sanballat en fut fait sacrificateur.

Ce nouveau Temple fit naistre entre les Juifs & les Sa­maritains des disputes considerables, qui avec le temps degenererent en une haine si violente, qu'ils ne pouvoient pas mesmes se resoudre à observer les loix de la Civilité les uns avec les autres; & c'est là la raison pour laquelle les Samaritains ne voulurent pas recevoir nostre Seigneur, parce qu'ils remarquerent qu'il alloit adorer à Jerusa­lem.

A cette Incivilité que l'on faisoit à Jesus Christ, deux de ses disciples, Jacques & Jean prennent aussi tost feu, & par une zele bien intentionné pour l'honneur de leur Maitre, pour la gloire du vray Dieu, & pour celle de Je­rusalem qui estoit le veritable lieu ou il devoit estre adore, Ils ne songent qu'a destruire ces Ennemis de [Page 4] Dieu, de son Christ, & de la veritable Religion, ces He­retiques, & ces Schismatiques, car c'est ainsi qu'ils s'ap­pelloient entr'eux; & dans cette veue, ils prient Jesus Christ de leur permettre de faire descendre le feu du Ciel pour les consumer; comme fit Elie dans une pareille occa­sion, & dans un lieu qui n'estoit pa fort estoigné de Sa­marie: & il y a beaucoup d'apparence qu'estans près du Lieu, ou le Prophete avoit fait ce miracle, les Disciples en prirent occasion de faire cette demande à leur Maitre.

Jesus Christ les voyant dans cet emportement, malgré toutes les raisons qu'ils pouvoient alleguer pour justifier leur Passion, & quoy qu'ils se couvrissent de l'Exemple d'Elie, ne laisse pas pourtant de les en reprendre, & de blasmer ce Caractere; & il se sert pour cet effet de termes, qui expriment tout à la sois & de la donceur, & de la seve­rité. Vous ne favés, leur dit il, de quel esprit vous estes quant à vous. Car le fils de l'homme n'est pas venu pour faire perir les ames des hommes, mais pour les Sauver.

Grotius remarque que ces deux excellentes sentences sont omises dans un manuscript qui se trouve en Angle­terre: Je ne sais quel est le manuscript dont il parle, mais s'il est du temps que le Papisme estoit dans son plus haut lustre, il n'est pas surprenant, que quelques copistes zelés, que ce passage choquoit, l'ayent retranché de l'E­vangile, se persuadans que nostre Sauveur n'avoit garde de dire une chose, aussi directement contraire à la Pratique de ces temps, & à la Doctrine, qui estoit alors en vogue: mais graces à Dieu, cet admirable Passage s'est conservé jusques icy, & nous nous en pouvons servir le plus à propos du monde en cette occasion.

Vous ne savés de quel esprit vous estes. C'est à peu près comme s'il leur disoit, vous faites profession d'estre mes Disciples, mais savés vous, quel est l'esprit qui vous [Page 5] conduit à present, & qui agit en vous? assurement ce n'est pas celuy que ma Doctrine a dessein de former au dedans de vous: Car cet Esprit que je veux vous inspi­rei, n'est pas un esprit furieux, un esprit de persecution & de destruction, mais c'est un esprit de Douceur, de de­bonnaireté, & de salut; un esprit qui a toute la tendresse imaginable pour la vie & pour les interests des hommes; quand mesme ils sercient nos plus grands Ennemis. Vous devés considerer que vous n'estes pas à present sous la rude & severe dispensation de la Loy, mais que vous estes sous le gouvernement doux & paisible de l'Evangile, sous lequel l'Esprit d'Elie mesme, quoy que ce Prophete fusten son temps un homme trespieux, ne seroit pas recevable.

Dieu permit & souffrit son action, dans un temps au­quel la Religion n'estoit que dans ses commencemens & estoit encore imparfaite; mais sous l'Evangile cette a­ction seroit intolerable. Car cet Evangile n'a pour but que de procurer un amour, une concorde, & une bonne volonté universelle, & sous sa dispensation, il n'y apoint de difference de Religion, point de pretexte de zele pour la gloue de Dieu, ou pour celle de Christ, qui puisse excu­ser ou justifier cet esprit d'emportement & de cruauté, de vengeance & de destruction.

Car le sils de l'homme n'est point venu pour faire perir les ames des homines, mais pour les Sauver. Il est vray que Jesus Christ dit en un autre endroit qu'il est venu non pour mettre la Paix, mais l'Epeé. Mais nous ne de­vons pas entendre ces paroles de la fin naturelle de sa Religion; cet effet luy est accidentel, & cela n'arrive que par la malice & par la perversité des hommes: au lieu qu'icy il parle de la veritable intention, & du veritable but de sa venue au monde. Il est venu, non pour tuer & pour destruire, mais pour la Garrison des Natu [...] [Page 6] pour sauver & pour racheter le Genre Humain, non seulement de l'ire a venir, mais mesme d'une grande par­tie des maux & des miseres de cette vie. Il est venu pour abaisser & pour corriger cette fierté, cette rage, & cette cruauté dont les hommes sont possedés, & qu'ils exer­cent les uns contre les autres. Il est venu pour refrener & pour dompter cet esprit furieux & que l'on ne peut ap­paiser, qui cause tant de troubles dans le monde, & est l'origine de la plus part des malheurs & des desordres qui y arrivent. Enfin il est venu pour establir icy bas une Religion, dont le but est de procurer aux hommes non seulement le Salut Eternel, mais la Paix & la seureté tem­porelle, & de faire leur joye, leur consolation & leur fe­licité en cette vic.

Ces paroles ainsi exposées nous fournissent cette re­marque, Qu'un Esprit qui ne respire que la vengeance, que la cruauté, & que la destruction, est directement opposé au dessein, & an caractere de l'Evangile, & qu'on ne le peut excuser sous pretexte de zele pour la gloire de Dieu, ou pour celle de la Religion.

En traittant ce sujet je renfermerai mon discours dans ces 3 Points.

Premierement, Je ferai voir la contrarieté & l'opposi­tion de cet esprit au veritable esprit, & au dessein de la Religion Chrestienne.

Secondement, Je montrerai que le pretexte de la gloire de Dieu, & du zele pour la Religion ne le peut justifier en aucune maniere.

Et enfin, Je ferai l'Application de ce discours, à l'oc­casion de ce jour.

I. Je dois faire voir l'opposition de cet esprit au verittable esprit, & au dessein de la Religion Chrestienne, qu'il est di­rectement contraire aux preceptes Essentiels & fondamen­taux [Page 7] de l'Evangile, & qu'il l'est aux modeles & aux grands exemples que nôtre Religion nous fournit, & qui nous ont esté laissés par Jesus Christ & par les fideles de l'Eglise Primitive.

1. Cet esprit que nôtre Seigneur condamne icy dans ses Disciples, est directement opposé aux preceptes Essenti­els & fondamentaux de l'Evangile, qui nous ordonnent d'aimer l'un l'autre, d'aimer tous les hommes, mesme nos ennemis, & qui sont si éloignés de nous permettre de per­secuter ceux qui nous haissent, qu'ils nous defendent de hair ceux qui nous persecutent. Ils nous recommandent d'estre misericordieux, comme nostre Pere qui est ès Cieux est misericordieux, d'estre bons & benins, supportans l'un l'autre, & pardonnans les uns aux autres, si l'un a que relle contre l'autre, comme Dieu nous a pardonné pour l'Amour de Jesus Christ; Et de revestir comme les eslûs de Dieu les en­trailes de misericorde, de Douceur, & de Patience, de pour chasser la Paix avec tous les hommes, & de leur montrer toute debonnaireté. Mais si tous les Chrestiens sont obli­gés à estre de ce Caractere, les Pasteurs & les Gouver­neurs de l'Eglise y sont encore plus particulierement en­gagés. Le serviteur de l'Eternel ne doit point estre conten­tieux, mais doux à tous les hommes, propre à instruire, en­seignant en douceur, ceux qui sont contraires, si par adven­ture Dieu leur donnera repentance pour recognoitre la verité. A ces preceptes, & à plusieurs autres que je pourrois ad­jouter, il n'y a rien de plus directement opposé que ces cruautés, & ces persecutions inhumaines, ces trahi­sons, & ces conspirations, ces massacres sanglans, cette barbare Inquisition, & cette Sainte Ligue, rien, dis-je, ne leur est plus contraire que toutes ces choses insti [...]ées pour l'extirpation de ceux qui sont d'une differente Religi­on. Cette malheureuse doctrine bien loin d' instru [...] [Page 8] douceur ceux qui ne la recognoissent pas, veut les converti [...] par les tourmens & par le feu, & les instruit comme Ge­deon fit les hommes de Succoth avec des ronces & des E­pines, au lieu d'attendre leur repentance, & de tacher de les tirer des pieges du diable, elle ne fait que les y engager plus profondement, & les precipiter plus promptement dans l'enfer. Certes c'est là contrevenir manifestement & visiblement aux preceptes de l'Evangile, ou jamais on n'y a contrevenu.

2. En second Lieu cet esprit est directement opposé aux modeles & aux grands Exemples, que notre Religion nous fournit, & qui nous ont este laissés par Jesus Christ, & par les fideles de l'Eglise primitive. Les Prophetes avoient predit de notre Sauveur qu'il seroit le Prince de Paix, & qu'une de ses plus grandes occupations icy bas seroit d'establir la Paix au Ciel & en la Terre, de reconci­lier les hommes avec Dieu, & de les reconcilier eux mesmes les uns avec les autres, d'enleuer toutes ces se­mences de division & d'animosité qui se trouvent dans le monde, d'ameiner à une union & à une concorde amia­ble ceux qui seroient les plus éloignés dans leur humeur, & dans leurs interests, & de faire que l'Agneau & le Loup habi­teroient ensemble, & qu'il n'y auroit plus qui detruis [...]s [...] on qui devorast en la Sainte montagne de Dieu; c'est a dire que cet esprit de cruauté & de destruction, qui regnoit alors dans le monde seroit entierement banni de toutes les societés Chrestiennes.

Aussi conformément à ces predictions, les Anges chan­terent à la naissance du Sauveur du Monde cet Hymne Celeste, Gloire soit à Dieu ès lieux tres hauts, en Terre Paix, enuers les hommes bonne volonté. Et lors qu'il a paru sur la Terre, sa vie, & ses manieres ont este douces & paisibles, accompagnées de bonté, & de Charité. [Page 9] son principal soin estoit de faire du bien a tous, de cher­cher & de sauver ce qui estoit perdu. Il est venu faisant du bien aux hommes, soit à l'egard de leurs corps, soit à l'egard de leurs ames, & ses miracles bien loin d'avoir pour but la destruction du Genre Humain, ont esté ope­rés par un principe de charité, & pour le Salut, ou pour la guerison des peuples. S'il eust voulu se servir de sa puissance surnaturelle & divine, il eust aisément pû con­fondre ses ennemis, il eust pû lancer ses foudres sur les Infideles, & leur envoyer la mort & la destruction: en un mot il eust pû faire ce que son pretendu Vicaire a fait depuis contre ceux qu'il nomme Heretiques; mais comme son intention estoit, que sa Religion fust establie par des voyes douces & humaines, & que les hommes fussent attirés à sa profession par des liens d'Amour & par des Cordeaux d'Humanité, par des moyens dous & paisi­bles, & par la force de la raison & de la persuasion, il n'a pas donné le moindre Exemple d'un Emportement, ou d'une rage Religieuse contre ceux qui meprisoient sa doctrine: elle estoit proposée aux hommes pour leur ad­vantage, & s'ils la rejettoient, c'estoit à leurs propres risques: Mais l'Autheur de cette Religion n'y a voulu engager personne par des peines temporelles: Il ne s'est serui d'aucune violence pour faire des Proselytes, seule­ment il disoit, Si quelcun veut estre mon disciple, si quel­cun veut venir apres moy; & lors que ses Apôtres estoi­ent près de l'abandonner, il n'établit point un Tribunal d' Inquisition, pour les martyriser, & pour les punir de leur apostasie, il leur dit seulement, voulés vous vous en aller.

Aussi l'Eglise Chrestienne a suivi pendant plusi­eurs siecles ce bien heureux exemple. Le langage des Saints Peres estoit alors, que la Loy Christienne ne s'esta­blissoit point & ne se vengecit point par le fer; alors le [Page 10] stile des Conciles estoit qu' il ne falloit violenter personne pour luy faire recevoir la foy. Lex nova non se vindicat ul­tore gladio. Nemini ad credendum vim inferre.

II. Mais je viens maintenant a mon second point, dans lequel je dois montrer, Que le Pretexte de la gloire de Dieu, & du zele pour la Religion ne peut justifier en au­cune maniere un Esprit, tel que celuy qui dominoit dans les Apotres. Si cet esprit peut jamais estre excusable, il le deuroit estre dans l'occasion de notre texte, ou toutes les circonstances qui le pourroient justifier, se rencontrent le plus advantageusement. Ceux sur lesquels les Disci­ples vouloient faire descendre le feu du Ciel, estoient des Heretiques & des Schismatiques, qui s'estoient separés de la veritable Eglise; ils avoient fait un affront sensible à la propre personne de Jesus Christ: la gloire de Dieu, l'honneur de la Religion qu'il avoit establie dans le monde, & celuy de Jerusalem qu'il avoit choisie pour le lieu ou il vouloit estre adoré, y estoient également inte­resses. Certes s'il est jamais permis de se laisser empor­ter à ce zele violent, il le devoit estre dans cette occasion. Cependant malgré toutes ces circonstances advantageu­ses, Jesus Christ trouve à propos de tançer & de con­damner cet esprit, vous ne savés de quel esprit vous estes, & il en donne une raison, qui doit detourner les hommes de ce Caractere, quelque differente que puisse estre leur Religion. Car le fils de l'homme, dit il, n'est pas venu pour faire perir les ames des hommes, mais pour les Sauver.

Et que peut alleguer l'Eglise de Rome, pour justifier la cruanté, qu'elle exerce sur les hommes à cause de la Religion, que les Disciples n'eussent pû alleguer pour eux mesmes avec beaucoup plus de justice? Que peut elle dire contre ceux qui sont les objets de sa Persecution & de sa Tyrannie, que l'on n'eust pû dire contre les Sa­maritains? [Page 11] Si elle exerce cette rigueur par un effet du zele qu'elle a pour la verité, pour la gloire de Dieu, pour l'honneur de Jesus Christ, & pour celuy de la veritable Religion, n'estoit ce pas dans cette mesme disposition que les Disciples souhaittoient de faire descendre le feu du Ciel pour exterminer les Samaritains? Si Rome se per­suade, que ceux qu'elle persecuté, sont des Heretiques, & des Schismatiques, pour lesquels il ne peut y avoir de trop grands supplices, c'est sous les mesmes veues, & sur de meilleurs fondemens, que les Apotres consideroi­ent les Samaritains: Mais il y a icy une difference qui di­stingue les Disciples de Jesus Christ de ceux de l'Eglise Romaine, qui est que l'ignorance pouvoit excuser les premiers, au lieu que ceux cy ne s'en peuvent couvrir: aussi Jesus Christ fait luy mesme l'apologie de ses Disci­ples, Vous ne savés de quel esprit vous estes. Ils avoient esté elevés dans la Religion des Juifs, qui estoit assés in­dulgente pour un temperamment de cette nature; ils pouvoient se couvrir d'un exemple illustre, & enfin ils n'estoient pas encore parfaitement instruits des mysteres de la Religion Chrestienne. Mais dans l'Eglise de Rome, quoy qu'il en puisse estre à l'egard des particuliers, il est constant qu' à l'egard du corps de cette Eglise, & de ses Gouverneurs, cette ignorance est volontaire & affectée, & par consequent inexcusable. Car la Religion Chre­stienne, qu'ils font profession de suivre & d'embrasser, enseigne le contraire aussi manifestement & aussi visible­ment, qu'aucune autre chose; & il n'est pas plus clair dans le nouveau Testament, que Jesus Christ est mort pour les Pecheurs, qu'il l'estque les Chrestiens ne doi­vent point setuer les uns les autres, pour ne pas croire quelques articles de la Religion revelée, beaucoup moins pour ne pas croire des articles, qui ne sont que des Inven­tions [Page 12] d'hommes, que l'on veut faire passer pour des Do­ctrines de Jesus Christ.

Vous avés entendu quelle sorte d'Esprit notre Sauveur condamne en ses disciples. C'estoit un Esprit furieux, & qui recherchoit la destruction des autres; un Esprit entierement contraire à la Bonté & à la Charité, qui doi­vent estre le Caractere perpetuel des Chrestiens; mais on peut dire pour adoucir & pour diminuer leur faute, qu'ils n'ont point eux mesmes fait de violence aux autres, ils s'en sont remis à la justice de Dieu, & eussent sans doute esté bien aise, qu'il eust pris le soin de faire éclater sa severité sur leurs ennemis, en envoyant le feu du Ciel pour les consumer.

Mais il y a dans le monde un esprit incomparablement pire que celuy là: un esprit, dis-je, qui n'est pas seule­ment contraire aux Loix & à la Doctrine du Christia­nisme, mais qui est tout à fait opposé aux principes les plus communs de la Religion naturelle, & mesme à ceux de l'humanité: Un Esprit qui incite ceux qu'il inspire, qui les incite, dis-je, à planter la Religion par toutes les plus mechans moyens qui se puissent imaginer; par la fausseté & par la perfidie, par des trahisons & par des Conspirations secretes, ou par des Seditions & par des Rebellions publiques; par des Inquisitions, ou par des Massacres, par la deposition & par le meurtre des Roys, par le feu & par l'Epeé, par la ruine des Provinces & des Royaumes que l'on transfere aux estrangers, & en un mot par la dissolution de tous les liens de la societé hu­maine, & par le renversement de l'ordre & de la paix uni­verselle; comme si tout le monde estoit pour eux, sans qu'il y eust non seulement d'autres Chrestiens, mais mesme d'autres hommes, à peu prés de la mesme mani­ere que Babylon le disoit autrefois par une excés d'orgueil, [Page 13] Je suis, & il n'y a point d'autre que moy; Comme si le Di­eu que les Chrestiens adorent, estoit un Dieu non d'ordre & de paix, mais de confusion, ou comme si celuy que nous appellons le Pere des miserecordes, prenoit plaisir à la cruauté, & ne pouvoit recevoir de sacrifice qui luy fust plus agreable qu'un massacre; ou enfin comme s'il ne pouvoit faire un plus grand honneur à ses Prestres, que de les est­ablir Juges dans un tribunal d'inquisition; a fin d'y inven­ter & d'y ordonner des supplices, pour des personnes qui le plus souvent sont & plus justes & plus innocentes que'ux.

Certes deguiser ainsi Dieu & la Religion, & les repre­senter d'une toute autre maniere qu'ils ne sont en eux mesmes, c'est les depouiller de leur Majesté & de leur gloire. Car s'il en vray, que sans la bontè il n'y a point de Majestè, separer de Dieu la bonté & la misericorde, & la compassion & la Charité de la Religion, c'est faire des deux choses du monde les meilleures, de Dieu & de la Religion, des choses entierement inutiles.

Ah! que les Ideés que les Payens s'estoint formeés de la nature Divine estoient bien plus justes, que ne le sont celles lá. Ils la consideroient comme estant si bienfais an­te & si utile, au Genre humain, qu'il sembloit presque, pour me servir des paroles d'un illustre Romain, que les Dieux Immortels avoient este faits pour le bien & pour l'ad­vantage des Hommes. Et pour ce qui est de la Religion, ils l'ont tousjours regardeé comme le plus grand lien de la societé humaine, & comme la Base de la verité, de la fidelité, & de la justice, qui se trouvent dans le monde. Mais lors que la Religion supplanté la justice morale & enseigne aux hommes les choses du monde les plus absur­des, à mentir pour la verité, à tuer les gens pour l'Amour de Dieu; quand elle ne sert qu'à estre un lien de conspi­ration, qu'à aigrir les hommes, & à leur inspirer plus de fierté qu'ils n'en ont naturellement, q'uà les rendre enfan [Page 14] d'Ire dix fois plus qu'ils ne l'estoient auparavant, alors elle perd sa nature, & cesse d'estre Religion. Car que peut on dire d'advantage de l'Atheisme & de l'Infidelité; & à quoy, Je vous prie, peut estre bonne la Religion, si ce n'est à reformer les moeurs, & les dispositions corrompues des hommes, & à les de tourner de la violence, & de la cru­auté, de la fausseté & des trahisons, des seditions, & des rebellions? Il seroit bien plus advantageux, qu'il n'y eust point de Religion revelée, & que la nature humaine fust abandonnée à la conduitte de ses propres principes, & de ses inclinations, qui sont bien plus douces, & qui tendent beaucoup plus à la paix, & à la felicité de la societé hu­maine: il seroit, dis-je, bien plus advantageux de n'avoir point de Religion, que d'en avoir une qui inspire aux hommes une fureur aussi barbare, qui les pousse à com­mettre des cruautés aussi inhumaines, & qui est continu­ellement occupée à renverser les gouvernemens, & a ruiner la prosperité du Genre Humain; en un mot, une Reli­gion qui fournit aux hommes pour l'advancer, des moyens aussi directement contraires à la nature & à la fin de toutes les Religions.

Tout cecy bien consideré, il paroitra que c'est une maniere de raisonner assés conuainquante, que de montrer que le resultat & la consequence de ces Principes & de cette suite de propositions, est une absurdité grossiere & palpable. Supposons par exemple, que le Papisme est la ve­ritable Religion: Il s'ensuivra que la Doctrine de l'extir­pation des Heretiques, & de la justice de la deposition des Roys, & du renversement des gouvernemens, est la do­ctrine de la veritable Religion, comme elle est en effet celle de Rome. En ce cas, jé ne m'amuserai point à de­battre les particularités, mais si engros & en general il est evident qu'une telle Religion est aussi mechante ou pire [Page 15] que l'Infidelité ou l'Irreligion, c'est une preuve, ou plus­tost une demonstration pour des personnes bien senseés, que cette Religion n'est pas la veritable Religion, & qu'elle ne peut estre de Dieu.

Certes les Philosophes Payens enseignoient une Religi­on bien meilleure que celle là. Tous leurs liures, tous leurs écrits ne nous fournissent pas le moindre principe de trahison, ou de Rebellion: On n'y trouve rien qui appuye ou qui justifie un assassinat ou un massacre, qui permette de trahir son pays, ou de couper la gorge a son prochain, parce qu'il est d'une Religion differente de la notre Jeledis quoy quà regret & avec honte, parce que t'out le Christianisme y est en quelque façon interesse, qu'un Panoetius, un Antipater, un Diogenes le Stoicien, un Ciceron, un Plutarque, un Seneque, ont esté des ca­suistes plus honnestes, & plus Chrestiens, que ne le sont les Jesuites, ou la plus part des casuistes des autres ordres de l'Eglise Romaine.

III. Je viens a present à mon 3 & dernier point, c'est a dire, à l'Application de ce discours.

Premierement que jamais la Religion ne souffre pour ces fautes, & pour ces desordres qui viennent effective­ment de l'Ignorance, & d'un manque de Religion: Car fi sous couleur, & sous pretexte de Religion, on execute de manuaises actions, ce n'est pas que la Religion ne soit bonne; les choses du monde les meilleures sont sujettes à estre cor­rompues, & à estre employeés a demauvais usages, & or­dinairement leur corruption est tres dangereuse: a peupres comme les vins les plus forts fournissent le meilleur vinai­gre. Si la Lumiere qui est en vous, dit Jesus Christ, de­vient Tenebres, combien grandes sont ces Tenebres.

2. Eloignons nous de cette Eglise qui soutient & qui admet cet esprit peu Chrestien que notre Sauveur con­damne [Page 16] en ses Disciples qui enseigne des Doctrines conforme sa principe, & qui protege les actions qui s'y rapportent; il n'est pas necessaire de vous dire que c'est de l'Eglise Ro­maine, que je parle, vous savés tous qu'elle enseigne ces Doctrines; Que l'on doit extirper les Heretiques (c'est a dire tos ceuxqui different d'elle dans les matieres de la foy) par le fer & par le feu. Ce qui fut arreté au iij & iv Concile Lateran, ou tous les Chrestiens sont estroittement charges d'y faire tous leurs efforts, & de s'y appliquer, autant qu'ils desirent estre estimes & reputés fideles. Après cette Doctrine vient celle qui soutient la justice de la Deposition des Roys, & du pouvoir d'absoudre les sujets du serment de fidelité; doctrine qui non seulement a esté Universellement crue, mais mesme a esté mise en Pratique par les Papes pendant plusieurs siecles. Il est vray qu'elle n'a pas estè tous jours egalement receue qu'on ne l'apas professée de mesme en tout temps, & tout à la fois; mais quoi qu'il en soit, il est constant, que c'est une doctrine de l'Eglise Romaine, & que si on n'a pas tous jours jugé a propos d'en faire une profession ouverte, on l'a fort souvent mise en execution. C'est une espece de machine que l'on peut monter ou demonter, selon que l'occasion le requiert, & que l'on garde a peu près comme on faisoit l'Epée de Go­liath dans le Sanctuaire, en sorte que le grand Prestre la peut prester en des occasions extraordinaires.

Et pour ce qui regarde des Pratiques & des Executions conformes a ces Doctrines, je n'en cher cheray point d'autre Exemple que l'horrible & sanglant dessein de ce jour; Ce mystere d'Iniquité, qui avoit esté caché pendant des siecles & des generations, ce ches-d'oeuvre de me­chanceté, que les yeux n'avoient jamais veu, que les oreilles n'avoient jamais entendu, & qui n'estoit encore jamais monté au coeur de l'homme; Cet attentat, dis-je, [Page 17] egalement barbare & prodigieux dans sa substance & dans ses circonstances, & si surprenant que les Histoires de tous les temps passés ne nous fournissent rien de pareil.

Nos adversaires, car ils ont eux mesmes pris cette qualité sans que nous leur en ayons donné sujet, ont presque eu l'Impudence denier une chose de fait aussi cer­taine que celle la. Mais qu'il seroit à souhaitter que par de nouvelles conspirations autant ou plus horribles que la premiere, ils n'eussent pas pris soin de confirmer eux mesmes par des exemples & par des témoignages, les raisons que l'on avoit de les accuser. Mais je n'anticipe­rai point sur ce qui sera plus propre pour un autre jour, me contentant de me renfermer dans les limites du sujet que me fournit celuicy.

Je n'abuserai point de votre patience, en vous faisant un recit exact de toutes les circonstances de cette noire conspiration, & de la maniere secrete & admirable, dont elle fut decouverte-qui-a esté telle que Bellarmin luy mesme recognoist que cela n'a pû se faire sans miracle. Rendons graces a Dieu, de ce qu'elle a esté si heureuse­ment decouverte & rompue, & esperons que la bonté mise­ricordieuse de ce mesme Dieu, qui nous a delivrés, & qui a tous-jours protegé son peuple, quelque indigne qu'il se soit rendu de cette protection, decouvrira encore les nouve­aux desseins de nos ennemis. Qu'estre boiteux & estro­pié comme l'estoit Ignace Loyola le fondateur de l'ordre des Jesuites, soit l'Eternel partage de cet ordre, & comme une fatalité attachée à leurs entreprises & à leurs conspi­rations damnables.

Je remarquerai seulement icy, qu'a pres que cette tra­hison eut esté decouverte, ses autheurs temoignerent plus de chagrin de ce qu'elle avoit manqué, qu'ils ne [Page 18] tesmoignerent estre conuaincus qu'elle estoit contraire a la Loy de Dieu. Le Chevalier Everhard Digbi, dont j'ay à present les propres Lettres, & les papiers entre mes mains, estant arresté, & sachant fort bien qu'il fal­loit mourir, appelloit sa cause la bonne cause, & fut dans un estonnement extraordinaire de ce que contre ce qu'il avoit esperé, elle avoit esté censurée par des Catholiques, & par des Ecclesiastiques, & condamnée comme un grand peché. Permettés moy, dit il, de vous témoigner qu'elle est ma douleur de voir condamner ce dont jay tous-jours crû que les Catholiques auroient d'autres pensées. Cependant il conclud cette Lettre en ces termes, avec quelle joye ne mourrois-je pas, si je pouvois faire quelque chose, pour une cause que j'aime plus que ma vie. Et dans une autre Let­tre il dit, qu'il eust bien pû alleguer quelque chose pour adoucir la haine que devoir inspirer cette action, en ce qu'elle engageoit dans une mesme ruine ceux de leur communion, Je n'ose pas dit il, prendre la voye que je pourrois pour faire paroitre cette action moins odieuse, aux Catholiques, car on en eust en mesme temps sauvé plusieurs qui à present seroient plus en estat de leur nuire que de les Servir, je ne crois pas qu'il y en eust eu trois de perdus, qui eussent valu la peine d'estre sauvés. Et pour ceux qui de­voient estre enveloppés dans cette destruction, il n'a ja­mais parû qu'il en ait eu le moindre repentir; il semble au contraire qu'il ait regardé tous ses doubtes comme des temptations, & il conjure ses amys deprier pour luy, sur ce qu'il n'a pas asses fortement combatu les temptations, de puis que ce dessein avoit esté entrepris.

Bon Dieu! se peut il qu'une chose qui porte le tiltre de Religion, soit capable de depouiller ainsi les gens de toute humanité, & de transformer les hommes dont les [Page 19] inclinations sont naturellement douces & civiles, de les transformer, dis-je, en des Tigres & des Ours? Comment se peut il qu'un zele pretendu pour Ta gloire puisse pousser les hommes à Te deshonorer si cruellement? Il y en a qui croyent, & avec assés de fondement, que le Pape est l'Antechrist: je ne me hazarderai point à advancer quelque chose sur un ar­ticle qui ne m'est pas trop connu: Je ne suis pas seur que ce soit luy qui est particulierement designé par ce nom, mais quoy qu'il en soit, je deffie l'Ante­christ luy mesme, quel qu'il puisse estre, & en quel­que temps qu'il puisse venir, de faire pis, que font la Pape & sa faction.

Mais il faut me souvenir de mon Texte, & me donner de garde d'Imiter cet esprit que nostre Seig­neur condamne, de l'imiter, dis-je, pendant que je le combats; & en effet il semble qu'il y ait peu de charité de dire la verité dans ces matieres, & de rapporter nuement ce qu'ils n'ont pas eu honte de faire: il n'est pas necessaire, & mesme il n'est pas possible d'aggraver ces choses, elles ne sont que trop horribles, considerées simplement en elles mesmes, & rapportées dans les expressions les plus douces.

Je ne pretends pas que l'on s'imagine que j'aye dessein de rejetter le crime & la faute de ces sortes d'enterprises sur tous les particuliers qui sont, ou qui ont esté dans la Communion de Rome; mais j'en accuse leur Doctrine & leurs principes; j'en ac­cuse les Chefs de leur Eglise, & ceux qui sont char­gés du Gouvernement & de l'Instruction de cette Eglise; ces gens, dis-je, qui ordinairement sont les inventeurs de ces maudits desseins, ou qui prote­gent [Page 20] ceux qui les inventent; qui sont les instrumens de leur execution, ou qui applaudissent a ceux que les executent.

Je sais qu'il y a eu des personnes particulieres, qui ont vecu & qui sont mortes dans la Communion de Rome, desquelles la Pieté & la Charité ont esté éclatantes. Un Erasme, un Pere Paul, un de Thou, & plusieurs autres ont, pour en parler veritablement, ont eu plus de probité que les principes de cette Religion n'en inspirent ou n'en permettent. Mais d'un autre costè si l'on considere que generalle­ment presque tous les Papistes d'Irlande ont eu part à ce massacre, qui doit estre encore recent dans notre memoire, on aura de la peine à determiner combien il faut de degrés d'Innocence & de bon na­turel, ou de froideur & d'indifference dans la Reli­gion, pour contrebalancer la fureur d'un zele aveu­gle, ou d'une conscience mal conduite.

Je ne doute point que les Papistes ne soient faits comme les autres hommes. La nature ne leur a pas donné à tous un temperamment egalement cru­el & sauvage, mais leur Religion le leur a inspirè: au lieu que le veritable Christianisme est non seule­ment la meilleure Religion du monde, mais aussi celle qui a le plus de naturel: & autant que chaque E­glise s'éloigne de ce naturel doux, & devient cruelle & barbare, autant degenere-t-elle du Christianisme. Je suis contraint de le dire, persuade toutesfois qu'il est vray, que plusieurs Papistes eussent esté d'Excellens hommes & de bonnes ames, si leur Re­ligion ne les en eust empechés; si la Doctrine & les Principes de leur Eglise, n'avoient corrompu leurs [Page 21] dispositions & leurs inclinations naturelles, ou plu­tost ne les en avoient entierement depouillés.

Je ne dis point cecy pour vous aigrir, mes illustres Compatriotes qui estes le Boulevard de nostre Religion, ou pour vous porter à des severités peu necessaires, peu raisonnables, & peu Chrestiennes contre vos adversaires. Non ne leur rendons point la pareille; ne faisons jamais pour nôtre Religion la moindre chose, qui soit contraire à ses principes. Mais ceque je vous dis n'est que pour vous reveiller, & pour vous exhorter à donner ordre, que si leurs Prestres insi­nuent tous-jours ces principes pernicieux, dans l'es prit du peuple, du moins ils n'ayent jamais le pou­voir de les mettre en prattique. Nous savons par experience que depuis la reformation, ils ont tous­jours esté occupés à miner les fondemens de nostre Paix & de notre Religion; & cependant Dieu en est temoin, nous avons esté si éloignés d'estre alterés de leur sang, que si jamais nous leur avons ou sou­haité ou procuré le moindre trouble, la necessité de nous mettre à couvert, j'ose ajouter le soin de leur propre conservation, nous y a obligés.

Dieu soit beni, de ce que nous pouvons fournir tant d'exemples de l'humanité, de la Generosité, & du na­turel Chrestien des Protestans, & Principalement de ceux d'Angleterre. Apres la mort de la Reyne Marie, lors que la Religion fut restablie en ce Royaume, l'Eveque Bonner, n'onobstant toutes les cruautés & toutes les Barbaries qu'il avoir exerceés, eut la per­mission de viure & de mourir tranquillement parmi nous: Et aprés la trahison de ce jour, & mesmes à pre­sent aprés une conspiration aussi barbare que celle [Page 22] qui vient d'estre decouverte, quoy qu'on y fust excité en mille manieres, quoy que l'assassinat horrible d'un Juge de Paix, qui estoit un parfaitement honeste hom­me & un Magistrat éclairé, & qui avoit agi pu­issament dans l'examen de cette Affaire, y sollicitast; aprés tout cela neantmoins, & no nobstant l'Insolence insupportable & continuelle de leur maniere d'agir; dans cette occasion, dis-je, on n'a fait non seulement nulle violence, mais mesme nulle incivilité, dumoins qui soit venue à ma cognoissance. Plust à Dieu qu'ils voulussent faire quelque reflexion sur cette difference qui se trouve entre notre Religion & la leur; & ex­aminer la quelle des deux repond le mieux à cette sa­gesse qui est d'enhaut, qui est douce, plaisible, & pleine de misericorde. Jés pere que dans cette occasion Dieu ouvrira les yeux de plusieurs d'entreux, pour leur faire re-cognoistre, que cette Religion ne peut pas estre la veritable, qui inspire aux hommes des senti­ment aussi barbares. Je l'espere de la misericorde de Dieu, & je l'en prie de tout mon coeur.

Je finis: Si je me suis laisse transporter sur ce sujet au dela de mon temperament ordinaire, je me flatte que l'occasion de ce jour & les circonstances de ce temps me serviront d'excuse. Je me suis exprimé, ce me semble au ec assés de justice, & sans une seve­rité deraisonable & outreé sur ces principes, & sur ces pratiques horribles: mais en mesme temps je ne puis que je ne m'abandonne à la pitié & à la tendresse pour ces pauvres ames, que ces principes detestables ont mal­heureusement Seduites & en lacées. Et je puis dire ce qu' un grand homme disoit autres fois de soy mesme, La Nature & mon temperamment m'inspirent de la ten­dresse [Page 23] & de la compassion: un zele ardent pour ma Religion & l'interest que je prends à la prosperité de ma patrie, m'ont peut estre rendu un peu severe; mais jamais ni mon temperament ni le Caractere de ma nation, ni le Genie des Protestans, c'est à dire, de la-veritable Religion, ne me permettront d'estre cruel. Me natura misericordem. Patria severum, Crudelem, nec Patria, nec natura esse voluit.

Pour ce qui regarde l'advenir, prenons courage en l'Eternel notre Dieu: remettons luy en bien faisant, & notre cause, & la garde de nos ames. Et aprés Dieu, laissons à la prudence & à la sagesse de notre grand Monarque, & des deux Chambres de son Parlement, laissons leur le soin de prendre des mesures si justes, & si seures, pour l'establissement de nôtre paix & de nôtre tranquillité, que toutes les conspirations se­cretes, ni tous les attentats publics de ces enfans de violence, ne soient capables de troubler ni l'estat de la Religion, ni celuy du gouvernement: souve nons nous de ces Paroles de David, Le mechant machine contre le juste, & griu ce les dents contre luy, le Seig­neur se rira de luy, car il a veu que son jour approche. Les mechans ont dessgainé leur l'Epee, & ont bandé leur arc pour abattre l'affligé & le souffreteux, & pour massacrer ceux qui cheminent droit, mais leur epée entrera dans leur propre coeur, & leurs arcs se­ront rompus, Ps. 37. v. 12, 13, 14, 15.

Ouy après ce que Dieu a fait jusques icy pour nous, apres ce qu'il a commencé de faire en nostre faveur, nous pouvons prendre courage contre les en­nemis de nostre Religion qui se sont alliés contre [Page 24] nous: nous pouvons, dis-je, prendre courage dans les paroles du Prophete, vous, peuples alliés vous & soyéz froissés, & prestès l'oreille vous tous quiestes de pais lointain. Equipés vous & soyés froissés, equippés vous & soyés froissés: prenés conseil & il sera dissipè, dites la parole, & elle n'aura point d'Esset. CAR DIEU EST AVEC NOUS.

Que reste-t-il donc à present que de rendre a Dieu nos actions de graces, & nos tres humbles remer­ciemens, de ce qu'il nous a fait la faveur inestimable de nous appeller à la profession de saverité, de ce qu'il nous a miraculeusement delivrés en un jour pa­reil à celui cy, & de ce que depuis peu il a permis que nous ayons decouvert cette horrible & barbare conspiration, qui s'estoit faite contre notre Prince, contre notre Paix, & contre notre Religion.

A luy donc, à ce Dieu misericordieux & pitoyable, qui est notre bouclier, notre Rocher, & notre puis­sant Liberateur, qui nous a retirés de la Terre d'E­gypte, & de la maison de servitude, & qui nous a delivrès de la Tyrannie & de la Superstition du Pa­pisme, c'est à dire, d'un joug que ni nos Peres, ni nous, n'avons pû porter.

Qui nous a de temps en temps preservès des desseins sanglans & impitoyables des mechans, qui a rendu inutiles & sans effet les entreprises & les machinations, les artifices & les conseils dangereux, de ces gens pi­res que les Payens.

Qui dans un jour pareil à celuy ci a delivrè no­tre Roy, & nos Princes, notre Noblesse, & les chefs de nos tribus, les Gouverneurs de notre Eglise, [Page 25] & les juges du pays, de cette épouvantable destru­ction qui estoit preste à les engloutir.

Qui encore a present ameine en lumiere & en E­vidence les choses cachées des Tenebres, & qui jusques icy a preservé & conservé notre Religion, & nos inte­rests Civils, malgrè les attentats detestables & con­tinuels de nos adversaires. A ce grand Dieu, qui a fait des choses si merveilleuses pour nous, & qui nous a sauvés par sa puissance, qui nous a delivrés jus­ques icy, qui nous delivre encore à present, & qui, comme nous l'esperons, nous delivrera à l'advenir, Soit honneur & gloire, louange & action de graces, de siecle en siecle, & de generation en generation. Amen.

FIN.

Fautes à Corriger.

LA planche de lá seconde feuille ayant esté rompue avant que les fautes de lá seconde epreuve ayent esté corrigées, celles cy y sont demeures,

Pag. 13. l. 14. en lisés est. p. 16. l. 2. sa lisés ce. ib. l. 6. tos lisés tous.

Ledit R. Bentley a chés luy les Livres suivans.
  • La Sainte Bible.
  • Le Nouveau Testament.
  • La Liturgie d' Angleterre.
  • Les Pseaumes de David.
  • La Pratique des Vertus Chrestiennes.
  • L'Histoire des Juifs de Josephe par d' Andilly.

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