ETAT PRESENT DE DANEMARC, Par lequel On voit le fort & le foible de cette Couronne.
CHAPITRE I.
SI nous considerons l'étenduë des païs qui sont soùmis au Roi de Danemarc, il peut être regardé comme l'un des plus grands Princes de l'Europe; mais si nous les considerons par rapport à eux mêmes, & que nous ayons égard à l'utilité & aux avantages qu'on en [Page 2] doit tirer, on pourra comparer ce Prince avec le Roi de Portugal ou peut-être même le trouver moins puissant.
Ses titres sont, Roi de Danemarc & de Nortwege, des Goths & des Vandales, Duc de Sleswick & de Holstein, Stormarie, Ditmarse, Comte d'Oldenburg & de Delmenhorst. Tous ces titres sont bons & solides, car il possede en effect tous ces païs ou en tout ou en partie, si on en excepte toutefois celui des Goths & des Vandales, que le Roi de Suede prend aussi, & que la Couronne de Danemarc a retenu depuis qu'elle a été Maitresse de la Suede, comme nos Rois d'Angleterre retienent celui de Rois de France.
Mon dessein est de vous informer de l'état present de ce Royaume, & de ne rien avancer que je ne tienne de personnes dignes de foi, où que je ne sçache certainement, & par experience être tres veritable.
Depuis la derniere guerre entre Charles Gustave Roi de Suede & Frederic III. qui sinit par un Traité de Paix en l'année 1660. le Danemarc a été forcé de mettre bas les armes, avec la perté de toutes les Provinces [Page 3] qui sont au dela de la Mer Baltique. Ces Provinces sont celles de Schonen, d'Halland & de Bleking, & sont demeurées à la Suede nonobstant tous les frequens efforts que le Danemarc a fait pour les recouvrer. Ces trois Provinces, principalement celle de Schonen sont les meilleures qui appartinssent au Danemarc, & c'est pour cela que les Danois les regrettent & qu'ils les regardent d'un oeil d'envie. On rapporte aussi que pour ce sujet ils ont fait murer les fenêtres du Château de Cronenburg qui sont tournées du côté de Schonen, afin qu'un tel objet ne leur fut un continuel creve-coeur.
Le Danemarc reduit dans les bornes où il est à present, est environné de tous cotez de la Mer, excepté cet endroit qu'une petite langue de terre joint avec le Holstein. Il est borné du côté de l'Occident & du Nord-West par la Mer d'Allemagne; du còté du Nord, & du Nord-Est par l'entrée dans la Mer Baltique appellée le Détroit; du côté de l'Orient par la Mer Baltique; & du côté du midi par la Riviere Eyder, qui ayant sa source fort proche de la Mer vers l'Orient, prend son cours du côté de l'Occident, [Page 4] & se jette dans l'Ocean à Toningen qui est une ville forte, & qui appartient au Duc de Holstein Gottorp; de sorte que si l'on tiroit un Canal d'environ trois milles depuis cette Riviere jusques a Kiel, cette Prés qu'Ile seroit une Ile parfaite.
Je renferme dans ces bornes le Duché de Sleswic comme faisant partie du Danemarc; mais non pas le Duché de Holstein, parce que celui là étoit un fief de cette Couronne, & que celui-ci en est un de l'Empire. Tout le Danemarc donc comprenant ses Iles selon les bornes que je lui ai donné s'étend entre les degrés 54. 45. & 58. 15. de latitude seprentrionale; sa largeur n'est pas proportionnée, mais en lui donnant toute l'étendue qu'il peut avoir, il aura un tiers moins que le Royaume d'Irlande.
La Nortwege qui est située au Nord du Danemarc, & qui en est separée par cette Mer qu'on appelle ordinairement Categate, est une Province vaste & sterile, pleine de montagnes & couverte de sapins; elle s'étend depuis le 39. degré de latitude septentrionale jusques au 71. mais elle est fort étroite eu regard à sa longueur. L'Ocean la borne au couchant, & au [Page 5] Nord; la Suede & les Pais qui lui appartiennent à l'Orient; & la Mer qui la separe du Danemarc au Midi. La Mer y est si profonde tout le long de ses côtes qu'il n'y a point de moüilliage pour les Vaisseaux; & c'est pour cela que ces côtes sont estimées les plus dangereuses qu'il y ait en Europe, où l'on échoue pendant la nuit & durant la tempète; car s'il arrive que dans ce tems-là le Vaisseau s'enfonce, il n'y a pas moyen de se sauver, parce qu'il regne tout le long de cette còte des rochers fort élevez, au pied desquels ou trouve 200. brasses d'eau.
Le Holstein qui renferme les petites Provinces de Ditmorsen & Stormaren, est borné du côté du Nord par le Duché de Sleswic. Au Sud-Est par le Duché de Saxe Lawenbourg; Au Sud-West par l'Elbe; & le reste est baigné par l'Occean & la Mer Baltique. Il est situé entre le 54. & 55. degré de latitude septentrionale.
Oldenburg & Delmenhorst, sont deux Provinces dans l'Allemagne qui se touchent, & qui sont derachées de tous les autres Païs du Roi de Danemarc: l'Elbe & le Weser, & le Duché de Breme se trouvent entre ces [Page 6] deux Comtez & le Holstein. Elles sont bornées par le Weser du còté du Nord-Est; par l'Oostfrise & le Comté d'Embden du côté du couchant; & par une partie de l'Evêché de Munster du côté du Midi. Ce n'est qu'un petit territoire qui a de diametre environ 35. milles d'Angleterre, & dont le centre est au 53. degré & demi de latitude.
Les autres Païs qui dependent du Roi de Danemarc, & dont il n'est point fait mention dans ses titres, sont les Iles de Fero, de Shetland, & l'Islande dans l'Ocean septentrional: S. Thomas une des Caribes dans les Indes Occidentales, un Fort sur la côre de Guinée appellé Christiansbourg, & un autre dans les Indes Orientales nommé Tranquebar. Il a aussi un Peage à Elfleet sur le Weser.
Cela peut servir en général pour sçavoir quels sont les Pais qui appartiennent au Danemarc. On voit qu'ils ont un grand inconvenient qui est qu'ils sont extremement separez les uns des autres; car il est certain qu'un Etat qui touche aux Terres de plusieurs autres Princes est soible, & exposé à de grands dangers, & que [Page 7] pour l'en guarantir il est besoin d'une depense plus qu'ordinaire, comme aussi de beaucoup de prudence pour le conserver en son entier. Et c'est à cela principalement qu'on doit attribuer les conquêtes que le Roi de Suede a faites sur le Danemarc.
CHAPITRE II. Du Danemarc en particulier, & de l'Ile de Zeland.
COmme c'est ici le plus considerable Païs, & même la quatriéme partie de tout ce qui appartient au Danemarc, je vous en ferai un recit plus particulier que des autres. Je sçai qu'il y a des Autheurs qui nous ont donné la Genealogie, & la succession de ses Rois, qu'ils ont parle de ses noms anciens, de ses habitans, & de leurs conquêtes &c. Pour moi je veux seulement vous donner un Etat de ce Royaume tel qu'il est à present, & ne m'engager dans l'Histoire ancienne, ou dans la Geographie qu'autant qu'il sera necessaire pour l'intelligence de l'Etat present de ce Royaume.
[Page 8]Le Danemarc donc, ainsi proprement appellé, consiste en plusieurs Iles qui sont dans la Mer Baltique, & en cette partie du Continent que l'on appelle aujourd'hui Jutland: je traitterai à part du Duché de Sleswic, que j'ai compté dans le Chapitre predent comme une de ses parties, parce qu'il est partagé entre le Roi & le Duc de Holstein Gottorp. Le Jutland est la Province la plus étendue & la plus fertile; mais les Iles sont plus considerables, si l'on regarde leur situation, principalement l'Ile de Zeland, parceque Copenhague la capitale du Danemarc y est située, & que le fameux passage du S und se trouve entre cette Ile, & la Province de Schonen, où dans l'endroit le plus étroit est la Ville d'Elseneur: c'est pourquoi je commencerai par leur description, & premierement par celle de Zeland. Cette Ile est presque de figure ronde & peut avoir de circuit environ 180. milles d'Angleterre; je ne sçaurois la loüer pour sa fertilité, car en aucun endroit, il n'y croît point de grain, si on en excepte le seigle qui à la verité y vient en abondance, & dont on fait la plùpart du pain. Il y a peu de prairies, & cependant il n'y [Page 9] ma [...]que pa [...] de bon foin; la plus grand part de leurs herbes, qui sont courtes, douces, & de bonne odeur, croissent sur les bords des champs, ou sur quelques petits coms écartez de terre marecageuse. Il n'y a point de Rivieres, ni même une douzaine de ruisseaux qui puissent faire tourner un moulin. Les Lacs qui y sont en grand nombre & fort poissonneux suppléent à ce defaut. L'air y est astez bon, principalement aux environs de Copenhague, ce qui provient des brouillards qui y sont frequents, & de la situation basse de ces lieux; toutefois cette maladie qu'on appelle en Angleterre le froid du poulmon y est fort rare, ce que j'attribuë à leur feu qui est tres pur, puisqu'ils ne brûlent que du bois de Hestre, qui est le seul arbre propre à la charpante, qui y soit en abondance La quatriéme partie de cette Ile ou environ, n'est que foret ouvertes de tous côtés pour les plaisirs & la chasse du Roi; mais à la ruine, & au dommage des pauvres païsans; car les cerfs, les sangliers, & les chevreuls &c. que personne n'oseroit toucher, comme si c'étoient des choses sacrées, gatent tout, & [Page 10] leur font perdre l'esperance d'une bonne recolte.
La veüe de l'Ile est agreable en plusicurs endroits, par le varieté des collines, des bois, & des lacs. Quant aux ports de Mer celui de Copenhague qui est le meilleur, repare le manque qu'il y en a, non seulement dans cette Ile, mais encore dans toutes les autres, où il y en a fort peu, que je sçache, où un Vaisseau de 200. tonneaux puisse entrer. Et ce manque de bons ports n'est pas d'un grand prejudice, parce qu'il n'y a pas dans cette Ile des denrées en assez grande abondance pour être transportées. Lorsque l'année est bonne, ce qui arrivé quand il regne une grande humidité, car la [...]erre étant sablonneuse elle demande des pluyes frequentes, il y a un peu plus de seigle qu'à l'ordinaire. Il m'a été dit qu'il y a environ quarante ans que dix ou douze barques Hollandoises trouvoient leurs charges, toutes les années à Kiog, qui étoit une Ville florissante en ce tems là, & éloignée de Copenhague de 20. milles d'Angleterre, mais on a reconnu enfin que les grains de ce quartier là pouvoient à peine suffire à nourrir ses habitans, non [Page 11] que le nombre en fut augmenté, mais parce qu'à present on negligeoit plus la culture des terres qu'on ne faisoit autrefois, lorsque le pauvre peuple étoit moins accablé de chargez & d'impots onereux.
Le betail est généralement petit & maigre; on le garde enfermé sept ou huit mois de l'année, où on le nourrit en partie du foin, & en partie du marc de grains des brasseurs, de racines, de mechantes herbes, & de mechants fruits que les proprietaires ont pû ramaster. Pendant l'Eté la chair de leurs boeufs est bonne & succulente; mais celle de mouton y a été rare jusques à present, & même aujourd'hui les moutons n'y sont pas communs, car on n'est pas accoutumé à les châtrer; & c'est pourquoi on les mange quand ils sont encore agneaux.
Le peuple en général, par tout le Danemarc vit fort miserablement, les bourgeois & les habitans des Villes se nourrissent de pain de seigle, de chair salée, de morüe, du lard & d'un fromage si mechant que les Inspecteurs de nos marchez en Angleterre feroient jetter si la même coûtume de fouler aux pieds, ou d'envoyer aux prisonniers tous les vivres, qu'ils jugent [Page 12] n'ètre pas bons, avoit lieu en Danemarc comme elle a en Angleterre. Ces inspecteurs vuideroient apparemment les marchez, s'ils ne les trouvoient pas mieux pourvùs qu'en Danemarc, & laisseroient fort peu de chose, ou à l'acheteur ou au vendeur, Les païsans vivent de racines * White-meats, & de pain de seigle; mangent rarement du poisson frais & presque jamais de la viande à moins que ce ne soit dans un jour de fète extraordinaire, comme la veille de la S. Martin, car ce jour-là chaque famille en Danemarc, se rejouit, & mange à son soupé une oye rotie.
Il n'y a ici que deux Saisons l'Hyver & l'Eté comme dans tout le Danemarc, les deux autres Saisons le Printems & l'Automne qui sont les plus agreables, n'y sont pas connües; il n'y a jamais de Printems & rarement d'Automne: on passe incontinent du chaud au froid & du froid au chaud. Durant les trois mois de Juin, Juillet & Aoüt, les chaleurs sont plus grandes qu'en Angleterre & fort, étoufantes pendant la nuit; mais c'est une chaleur sombre, & le peuple aperçoit quelques vapeurs epaisses entre le soleil & lui. Pendant les [Page 13] trois mois on est fort incommodé à Copenhague des mouches, & on est contraint de les faire mourir avec de l'eau empoisonnée; j'ay vû dans des cuisines, & dans des chambres que l'on a oté des bassins où étoit cette eau des boisseaux entiers de mo [...]ches mortes.
La Mer Baltique proche de cette Ville n'est pas poissonneuse, & je n'ay jamais connu une Viile maritime de cette importance, si mal pourveüe de poisson, soit que la cause, commeje le crois, en doive être attribuée à ce que la Mer n'est pas assez salée, car la salure de cette Mer doit être estimée plûtôt aprété que sel, soit que le peuple ne soit pas assez habile à le prendre. Ce qu'il y a de plus considerable dans cette Ile & même dans tout le Danemarc, est la Ville de Copenhague & le passage du Sund. Je commencerai par cette Ville, parce qu'aprez que j'en aurai fait la description, j'aurai peu de chose à dire des autres Villes qui sont sous la Domination du Roi de Danemarc, car il n'y en a point d'autre qui lui appartienne qui soit meilleure que S. Albans en Angleterre.
Copenhague n'est pas une Ville ancienne, [Page 14] ni fort grande, elle l'est à peu prez autant que Bristol; mais chaque jour on en augmente les batimens, quoi qu'il y ait plusieurs choses qui en decouragent. Les Fortifications enferment plus de terres, que de batimens, dont il y en a un grand nombre de mechants qu'on abattra sans doute, quand elle deviendra plus riche. Sa situation est la meilleure qu'il y ait au monde pour le Commerce, à cause de la bonté de son port, tellement que Copenhague seroit sans difficulté, si elle étoit libre, l'étape de tout la trafic de la Mer Baltique. Le port est enfermé par les remparts de la Ville, l'entrée en est si étroite qu'un seul Vaisseau y peut passer à la fois, & on a le soin de la fermer toutes les nuits avec une bonne chaine; une Citadelle d'un côté, & un Fort bien fourni de canons de l'autre en defendent l'accés. On decharge dans le port les Vaisseaux du Roi, chacun y a sa place marquée; une Galerie de bois environne l'endroit où est la Flotte, & tous les Vaisseaux y sont rangés de telle maniere qu'on les peut voir de prés, aussi aisement & commodement que s'ils étoient sur le sec. [Page 15] Ce Port est assez grand pour contenir Soo. voiles à l'abri du vent & des ennemis. La rade est trés bonne & trés seure, un grand banc de sable, sur la pointe duquel flottent toújours une couple de balises pour guider les Vaisseaux qui sortent ou qui entrent la defend contre les vagues de la Mer. Les Marées ne sont pas ici à craindre, il y a toujours une hauteur d'eau assez grande; mais à la verité selon le côté d'où le vent souftle, & qu'il pousse les slots dedans ou dehors la Mer Baltique, il y a quelquefois des courants, mais qui ne sont ni frequents, ni dangereux; en un mot ce Port peut être compté en toute maniere pour un des meilleurs qu'il y ait au monde.
La Ville est forte, située sur un lieu uni & mareéageux, n'ayant aucune élevation qui la commande; l'air y est mauvais à cause de la puanteur des Canaux qu'on a creusez au travers de la Ville. Les Ouvrages ne sont que de terre & de gazon, faits selon les regles de la Fortification moderne, & assez bien entretenus. Les Maisons dans la Ville comme par tout ailleurs, sont généralement fort chétives, n'étant que de miserables trous, & l'espace qui est entre la charpente [Page 16] est rempli de briques. C'est une chose remarquable, que tous les Bâtimens publics comme le Change, l'Arsenal &c. ont été batis par le Roi Chrêtien IV, Grand-Pere du Roi d'apresent, qui a été un Prince vaillant quoi que malheureux; qui a plus fait avec de petits revenus que tous les Princes qui lui ont succedé, & cela dans le tems que la Monarchie n'étoit ni héréditaire, ni absolüe. Ce Prince avoit accoûtumé de dire qu'il sçavoit que les bourses de ses sujets seroient toûjours ouvertes pour ses necessités, & pour celles du Royaume, & qu'il aimoit donc mi [...]ux qu'ils fussent ses Caissiers que son Grand Thresorier qui pourroit le tromper, Quoi qu'il ait fait faire tous les plus beaux Batimens de cette Ville, néanmoins il a oublié, ou peut-être differa-t'il de faire bâtir un Palais pour lui & pour ses Successeurs, & aucun Prince ne l'a entrepris depuis, quoi qu'asseurement on ne trouve dans aucun Royaume plus d'occàsions que dans celui-ci. Le Palais où le Roi demeure est le plus mechant & le plus mal bâti qu'il y ait au monde, eu égard à la situation, la bassesse & l'incommodité; & au [...]ant que le Port est admirable pour [Page 17] sa bonté, autant le Palais l'est pour sa laideur, s'il m'est permis de parler ainsi. La plûpart des Gentils-hommes, comme son Excellence Guldenlew, le Grand Amiral Juël, avec beaucoup d'autres sont mieux logés que toute la Famille Royalle; toutefois pour reparer cela, Sa Majesté a proche de soi une belle écurie de chevaux, & un grand, & beau Jardin, avec une Maison appellée Rosenburg, un peu éloignée du Palais, à l'autre bout de la Ville.
CHAPITRE III. Du Detroit du Sund.
CE passage, ou ce detroit appellé le Sund, qui est en si grande reputation dans le Nord, est entre l'lle de Zeland & Schonen. Du côté du Danemarc là où il est le plus étroit, il y a la Ville d'Elseneur & la forte citadelle de Cronenburg, proche de la quelle il y a une rade passable. Du côté de la Suede il y a la Ville de Helsinburg avec un château demoli, duquel il reste encore une tour qui peut tenir [Page 18] une demi douzaine de gros canons pour rendre le salut aux Vaisseaux de guerre qui passent par là.
Tous les Vaisseaux qui trasiquent dans la Mer Baltique passent & repassent entre ces deux châteaux; tellement que ce détroit aprés celui de Gibraltar est le plus important & le plus frequenté qu'il y ait en Europe. La perte de la Province de Schonen quoi que considerable, à regarder l'étendüe & la fertilité du Païs, l'est beaucoup plus sil'on considere l'importance de ce grand passage; car quoi que les Danois par le Traité de paix, en ayent expressement retenu le droit, & qu'ils reçoivent le peage de tous les Vaisseaux qui y passent, excepté de ceux de Suede, toutefois ils ne croyent pas que leur droit soit si asseuré qu'ils le soùhaiteroient; car n'étant pas maîtres des terres qui sont des deux côtés, ils peuvent avoir le droit, mais non pas le pouvoir de le maintenir dans l'occasion; & il semble que s'ils en jouissent à present ce n'est que par un effet de leur bonne conduite; la Suede qui est leur plus puissant voisin, étant capable de se prévaloir à leur préjudice, de la premiere occasion qui lui en sera donnée.
[Page 19]Ce droit, que tous les Vaisseaux, qui passent par le Sund payent, étant trés considerable, & ayant donné occasion pendant ces dernieres années, à plusieurs querelles qui ne sont pas encore finies, j'ai crû que je ne devois pas oublier de mettre ici ce que j'ay appris de son établissement & de son origine, aprés en avoir fait une recherche aussi exacte qu'il se peut, & m'en être informé des personnes les plus agées, & les plus éclairées que j'aye rencontré.
Le recit le plus fidelle, c'est qu'il fut mis au commencement, du consentement de ceux qui trafiquoient dans la Mer Baltique, lesquels voulurent bien donner quelque chose pour chaque Vaisseau qui passoit, pour l'entretien des feux qu'il y avoit en quelques endroits de la côte, qui servoient aux Mâtelots à se conduire durant la nuit. Bien-tôt aprés le passage du Sund fat plus pratiqué que le grand Belt, qui dans peu de tems fut abandonné & negligé, tant à cause de la grande commodité de ces feux qui éclairoient les Vaisseaux qui venoient, ou qui passoient dans la Mer Baltique, qu'à cause de l'accord qui fut fait, qu'aucun Vaisseau ne passeroit [Page 20] par un autre endroit, afin que tous payassent leur portion; n'étant pas raisonnable que les Vaisseaux, qui éviteroient de payer pout l'entretien de ces feux, en passant par un autre chemin, s'en servissent pendant les nuits obscures & orageuses de l'hiver. De plus si cette maniere d'éviter le payement de ce droit, étoit une fois approuvée, le revenu en auroit été si petit, vû le peu que chaque Vaisseau devoit payer, qu'il n'auroit pas été suffisant à entretenir ces feux; & les Danois ne vouloient pas que ce fut seulement pour l'usage de leurs propres Vaisseaux marchands, attendu qu'ils en avoient si peu, que ce seroit faire une dépense inutile & perdre son tems, que de les vouloir allumer pour eux seuls.
Mais n'y ayant eu aucune regle certaine ou traité fixe, par lequel on put se gouverner sur les differentes charges des Vaisseaux, apartenans à tant de differentes Nations, les Danois commencerent dans la suite du tems à en devenir les maitres, & à exiger plus ou moins suivant la force ou la foiblesse de ceux avec qui ils avoient à faire; ou suivant l'amitié ou la mes-intelligence qui regnoient [Page 21] entre les Danois, les Princes & les Etats auxquels ces Vaisseaux appartenoient; c'est pourquoi l'Empereur Charles Quint pour fixer ce droit, conclut un Traité avec le Roi de Danemarc, qui fut signé a Spire sur le Rhin, & ce fut en faveur de ses sujets des Pais Bas, qui faisoient un grand trafic dans la Mer Baltique; & il fut convenu, comme si c'étoit une doüane dans le Sund, que chaque Vaisseau de 200. tonneaux & au dessous, payeroit deux nobles à la Rose pour son entrée, & sa sortie de la Mer Baltique; & ceux qui seroient au dessus de 200. tonneaux, trois nobles à la Rose.
Cer accord subsista jasques au tems, que les Provinces Unies seco [...]erent le joug de l'Espagne, & alors les Danois se prevalant des guarres, firent monter leur droit à un prix exorbitant, les troubles ne donnant pas le loisir aux Hollandois de penser aux moyens de s'en relever.
Cependant, environ l'année 1600. ils se joignirent avec la Ville de Lubeck, pour s'opposer au droit excessif que l'on avoit exigé de leurs Vaisseaux; tellement que les Hollandois [Page 22] depuis ce tems-sa payent plus ou moins, selon que la fortune leur est favorable ou contraire, mais generalement parlant ils payent peu.
Le premier Traité qui fut fait entre le Danemarc & les Provinces Unies, comme Souverains, touchant ce droit fut en l'année 1647. & ils s'obligerent de payer une certaine somme pour chaque Vaisseau; ce Traité devoit durer quarante ans; & si dans le tems qu'il seroit expiré, ï n'y avoit point d'autre nouveau Traité, celui de Spire auroit lieu.
Ce Traité de l'année 1647. expira l'année 1687. & les Danois convinrent de faire un traité pour interim, jusques à ce que tous les differen [...] qu'ils avoient avec eux sur cela, & sur d'autres matieres, pussent se regler [...] loisir, & se terminer par un Traité qui fut plus durable & plus solennel.
Ce Traité pour interim, qui n'étoit que pour quatre ans, expira l'année 1691. si bien qu'aucun nouveau Traité n'ayant pas été fait depuis ce tems-là, il est evident que le seul ancien Traité de Spire demeure dans sa force.
Les Traitez des Anglois avec le Danemarc, sont fondez sur ceux qui [Page 23] sont entre les Hollandois, & ce Royaume & ils y ont rapport; avec cette convention, que nous seronstraitez tanquam gens amicissima, excepté la Suede dont les Vaisseaux ne payent rien.
Tellement qu'à present tant les Anglois que les Hollandois, peuvent faire des nouveaux traitez sur ce ci, & sur d'autres affaires de commerce, à moins que les patties ne convienent que le Traité de Spire, demeurera à l'avenir dans sa force.
Par cette courte deduction, de l'origine de cette imposition, l'on void combien le titre, sur lequel le Roi de Danemarc fonde son droit d'exiger un peage au Sund est leger; qui d'une contribution volontaire, que les marchants s'engagerent de payer pour leur propre commodité, & dont le Roi de Danemarc étoit seulement le Thresorier & le Depositaire, a pretendu la faire monter à une imposition onereuse, comme aussi à une sorte de reconnoissance servile de sa souveraineté sur ces Mers; l'on void encore par là que les guérres dans lesquelles les Hollandois étoient engagez avec l'Espagne lui firent prendre ses avantages; le Roi [Page 24] Jaques premier, y contribua encore au prejudice des Anglois & favorisa les Danois à cause de son mariage avec une sille de cette Couronne; & à l'exemple des Hollandois & des Anglois, tous les autres petits Etats s'y soùmirent. On ne sçauroit concevoir que cela soit arrivé autrement, puisqu'il est tres connu, que le passage du Sund n'est pas le seul qui va dans la Mer Baltique, y en ayant deux autres appellés le grand & le petit Belt; & que le grand Belt est si commode & si large, que durant les dernieres guerres, toute la flote Hollandoise y passa & continua d'y passer durant quatre ou cinq mois de suite; on n'ignore pas encore, que les Danois ne sont pas si puissants sur Mer, qu'ils puissent obliger les Anglois & les Hollandois, de choisir le passage qu'il leur plaira; de plus la largeur du Sund dans l'endroit le plus étroit est de quatre mille d'Angleterre, & par tout l'eau est assez profon le, tellement que si les chateaux ne pouvoient pas commander sur le Canal quand il étoit maitre des deux côtés, encore moins a present qu'il n'est maitre que d'un seul côté. Il est don [...] évident que cette pretendue souveraineté est tres chimerique, [Page 25] n'estant fondée que sur la rupture d'un accord, comme aussi sur la negligence de quelques Princes qui y étoient interessés, au grand prejudice du commerce. Les Espagnols pouroient avec plus de droit pretendre détre Maitres absolus du Detroit de Gibraltar où il n'y a qu'un seul passage; ou la Suede qui tient à present un des Chasteaux qui sont sur le detroit du Sund, pourroit aussi demander un droit sur tous les vaisseaux, puis que tous deux sont assez capables de defendre leurs pretensions.
Pour un plus grand eclaircissement sur cette matiere & pour montrer comme il s'accorde avec le recit que j'ay dêja donné, j'ay crû qu'il estoit à propos de mettre dans cet endroit [...]a copie d'une lettre d'une personne fort éclairée sur ces matieres, du 31. de Mars 1691.
Les droits du Sund étoient autrefois un noble à la rose pour chaque vaisseau chargé; mais pendant ces cent dernieres annéé, quelques uns disent, depuis que Jacques Roy d'Ecosse parvint à la Couronne d'Angleterre [Page 26] & qu'il serma les yeux sur cela, que les Roys de Danemarc qui tenoient les terres qui sont de l'un & de l'autre côté, commencerent de mettre d'impots sur les Marchandises & d'augmenter les anciens droits que ceux de Lubec qui étoient alors les plus puissans refuserent de payer.
L'année 1640 le Roy fit imprimer un livre ou tarif touchant la taxe des marchandises, dont j'ay un exemplaire suivant lequel un vaisteau de cent lest ou de 200. tonneaux, ce qui est la même chose payoit comme il s'en suit. Pour 100 lest de sel portés dans la mer Baltique 300 Rixdales, pour les vaisseaux & petites charges de sel 34. Rixdales & 24. sols; & pour 100 lest de ségle venant de la mer Baltique 150 Rixdales, pour les vaisseaux & les petites charges comme cy dessus 34 Rixdales & 24. sols. Tellement que les fraix d'un vaisseau ainsi chargé avec sa cargaison pour entrer & sortir étoient 519 Rixdales.
Sur cela les Hollandois suent un Traité d'alliance avec la Suede qui en l'année 1643 attaqua le Danemarc du côté de l'Allemagne, & les Hollandois luy prêterent des vaisseaux; alors le [Page 27] Roy fit imprimer un autre tarif plus favorable touchant les droits que devoient payer les marchandises, par le quel il demandoit pour 100 lest de sel d'Espagne 200 Rixdales; pour 100 lest de ségle 75 Rixdales, pour les charges des vais [...]eaux qui entroient & qui sortoient comme cy dessus 69 Rixdales, le tout montant 244 Rixdales; mais ceci ne fut pas fait assés àe temps ni les taxes ne furent pas assés basses. Les Hollandois par leurs Traités avec le Danemarc de l'année 1646 ou environ, les fixerent à ce prix, les 100 lest de Sel à 50 Rixdales, les 100 lest de ségle à 50 Rixdales, les vaisseaux & les autres petites charges à rien; pour tout, chaque vaisseau fue taxé à 100 Rixdales. Et le Danemarc pour avoir ha [...]ssé precipitament ces droits, a perdu plusieurs pais en Suede. Mais pour repondre plus positivement à ce que vous demandés, c'estoit en ce temps la, c'est à dire environ l'année 1640 que les droits du Sund réndoient par an depuis 240000 Rixdales jusques à 300000; mais depuis l'année 1645 ils n'ont pas rendu dans aucun temps plus de 150000 Rixdales, & même ils n'ont jamais tant rendu excepté durant la guerre avec la [Page 28] Suede, quand tout payoit sans exception. Je [...] me souviens que dans la derniere guerre, ces droits ne rendirent que 148000 Rixdales; mais avant cette guerre & même depuis (les Vaisseaux des Suedois affranchissant toutes les marchandises qu'ils portent, & leurs marchandises qui sont dans d'autres Vaisseaux étans exemptes des droits) ils n'ont pas rendu plus de 80000 Rixdales par an; & la derniere année ils ne monterent pas à plus de 70000 Rixdales.
La Cour de Danemarc n'est pas à blâmer d'étre beaucoup jalouse de ce droit, & de regarder avec chagrin les breches que l'on fait à cette pretenduë souveraineté, car plus un titre est foible plus est-on soigneux de s'en conserver la possession, & il est autant de l'interest des Anglois & des Hollandois que de la Suede, qu'il soit bien établi tant pour favoriser le commerce de son propre Païs que pour affoiblir les revenus de son voisin; l'on ne peut pas dire que les Anglois & les Hollandois cedent jamais entierement ce point; car quoi qu'ils convienent de payer un petit droit sur les marchandises, toutefois ils n'aprouveront pas que l'on foûille on que [Page 29] l'on arrete leur Vaisseaux. Les Danois sont obligés à present de croire les Maitres des Vaisseaux sur la qualité & la quantité de leurs charges, & ils pensent qu'il est de la prudence de n'en pas faire un plus grand examen à moins que nous ne devinsions leurs Ennemis, & que nous ne voulussions examiner plus avant l'origine de ce doit, & éplucher les moyens qu'ils employent à le maintenir; car tant que les Anglois & les Hollandois payeront ce droit, tous les autres petits Princes & Etats le feront sans murmure; mais si une fois nous rompons la chaîne, tous les autres la secoueront pareillement.
CHAPITE IV. Des autres Iles & du Iutland.
LEs plus considerables Iles aprés celle de Zeeland sont Fionie, Laland, Langeland, Falster, Mone, Samsoë, Arroë, Bornholm & Amak, sans compter plusieurs autres de moindre consequence.
L'Ile de Fionie est la premiere aprés Zeeland, soit que l'on considere la grandeur on la bonté de son terroir. [Page 30] Il y a abondance de grains, & de porceaus, beaucoup des lacs & des bois. La capitale est Odensée, bien située qui a été autrefois une Ville florissante, mais à present elle est dechue de sa beauté. Cet Ile ne produit rien que les marchants puissent transporter, excepté quelque peu des chevaux; les habitans consument ordinairement leurs denrées. C'est un des principaux Gouvernemens: le Gouverneur à present est Mr. Winterselt.
Laland est une petite Ile, mais fertile produisant toute sorte de grains en abondance & particulierement du froment dont elle fournit la Ville de Copenhague & tous les Païs du Danemarc où il est rare. Les Hollandois y achetent toutes les années, & transportent de là une grande quantité de grains. C'est a [...]ssi un gouvernement ayant sous sa jurisdiction plusieurs autres petite Iles. Le Gouverneur est Mr. Geugh qui autrefois a eu des Emplois publics & qui a residé long-tems en Angleterre.
Falster, Langeland & Mone sou [...] des Iles fertiles; des deux premieres on transporte toutes les années des grains. Arroë & Alsen abondens en anis, dont ils assaisonent leurs [Page 31] viandes & qu'ils melent avec leur pain. Bornholm, Samsoë avec les autres Iles nourrissent du betail & fournissent des grains pour l'usage des habitans. Mais Amack merite principalement qu'on en parle. Cette petite Ile est joignant Copenhague de laquelle elle est separée par un petit bras de mer que l'on passe sur un pont levis, elle surpasse en fertilité tous les païs du Danemarc. Cette Ile fut donnée, il y a déja plusieurs années, à des families de Northolland qui s'établirent là pour faire du beurre & de fromage pour la Cour; lears descendans retienent encore l'habit, le langage & les coûtumes de leurs Predecesseurs avec leur propreté & leur industrie; ils ne veulent pas s'allier avec les Danois, mais ils se marient avec ceux de leur nation. Autrefois on leur a voit accordé de grands privileges, dont quelques uns subsistent aujourd'hui, & les autres leur ont été ôtés; & il est à craindre que peu à peu ils ne soient traités comme les autres sujets. Cette Ile d'Amack par l'industrie de ce peuple laborieux est comme le jardin potager de Copenhague; tous les jours de marché elle fournit en abondance toute sorte de racines [Page 32] & d'herbes, sans compter le beurre, & le laict, elle a aussi une grande quantité de grains & de foin; tout ce que cette Ille produit est meilleur que ce qu'on trouve par tout ailleurs dans le Royaume.
Le Jutland, qui est une partie de la Chersonese Cimbrique est le païs du Danemarc le plus étendu & peut étre les deux tiers de tout le Royaume. Il est divisé en quatre principaux Gouvernements. Les Gouverneurs sont à present le Comte de Frize, le grand Marechal Speckhan, Monsieur Edmund Schiel qui est Envoyé extraordinaire du Roy de Danemarc proche Sa Ma [...]esté, &c.
C'est un païs fertile, abondant principalement en betail. Il manque des ports de mer du côté de l'Occean, cela n'empeche pas que les Hollandois ne tirent toutes les années une grande quantité de vaches & de beaufs maigres, qu'ils transportent dans le riche pais de Hollande, où dans peu ils devienent extraordinairement gras; par ce Commerce ils font un grand gain. Les chevaux & les porceauxy sont excellents & en grand nombre. Il donne des grains suffissamment pour l'entretien des habitans. Le terroir est tres [Page 33] fertile le long des côtes; le dedans est plein de bruyeres, des lacs & de bois. Eu un mot c'est le plus beau pais, dont le Roy de Danemarc soit maître, & il ya apparence que ce sera celuy qui dechaira le dernier par ce qu'il est le plus éloigné de Copenhague procul à Iove, procul à Fulmine. Ceci, devant étre observé que dans les Monarchies bornées & limitées il est avantageux pour les sujets d'étre proche de la Ville Capitale puis qu'il n'y a que les Provinces éloignées qui sont moins riches & plus sujetes à étre foulées; mais dans les Royaumes où le pouvoir est absolu il arrive tout le contraire.
CHAPITRE. V. Des autres Païs appartenants au Roy de Danemarc.
LE Duché de Sleswick generalement parlant est un tres bon païs; sa belle situation, qui est entre l'Occean, & la mer Baltique, le rend tres considerable pour le commerce, quoique les danrées propres à étre transportées n'y soient pas en grande [Page 34] quantité. Il foutnit à ses voisins quelque peu de grains, de betail, des chevaux, du bois pour le feu outre ce que les habitans en gardent pour eux. Il est partagé entre le Roy & le Duc de Holstein. La principale ville, qui a donné son nom à ce Duché, appartient au Duc de Holstein qui fait sa residence tout proche dans son palais de Gottorp; c'est une des plus belles situations qu'on puisse voir dans le Nord de l'Europe. Il est situé dans une Ile, environné d'un grand & beau lac que la Riviere Sley fait, dont les bords sont entourés de beaux bois; Peau en est tres claire, elle est pleine de poissons; elle porte des batiments de petit port qui vont & vienent de la mer Baltique où elle se [...]ette. Les jardins sont grands, coupés avec beaucoup de frais, & d'art sur le penchant d'une colline de l'autre côté du Lac, & on y void des fontaines, des eaux, des parterres & des allées aussi bien ordonnées que la pluspart des plus fameux jardins de l'Italie. Tout contre ces jardins il y a un grand & magnifique parc ou plûtôt une forest pleine de Daims, de Sangliers & de toute sorte de gibier, percée par des belles allées.
Ce lieu souffr [...]t beaucoup durant les [Page 35] malheurs de son maître; on ne laissa pas seulement tomber en ruine la plus part de ces beaux endroits, mais encore on les gata & abatit de dessein formé; & comme d'autres disent par ordre: Depuis le retablissement du Duc on les a reparé & remis dans leur premier état. Entre tant de choses de prix il n'y a rien de plus beau à voir que la Bibliotheque, qui est un amas tres curieux de Livres que plusieurs Ducs on fait depuis long-temps. Je l'ay veüe, l'année 1692 avec toutes les raretés de ce lieu, dans un bon état. Le Holstein est partagé entre plusieurs Branches de cette Famille, dont tous les descendans s'appellent Ducs de Holstein; & selon la coûtume Allemande, le cadet aussi bien que l'ainé prend le titre de Prince: il n'y a seulement que les Chefs & ceux qui sont parvenus à l'age viril qui soient distingués par le nom des places où ils font leur residence, qu'ils joignent à leur titre comme le Duc de Holstein Ploen, de Holstein Gunderburg, de Holstein Norburg &c. Les cadets de chaqu'une de ces Branches se contentent de porter le titre de Prince jusques à ce quils possedent des terres dont le nom alors est joint à leur titre. Mais le Roy de Danemarc, [Page 36] marc, qui est aussi Duc de Holstein & le Duc de Holstein Gottorp en possedent la plus grande partie & l'un & l'autre le tienent comme fief de l'Empire.
Icy, aussi bien qu'à Sleswick la jurisdiction, & les droits de ces deux Princes sont fort entre-melés; tellement que le peuple connoit à peine de qui il est sujet depuis qu'il prête souvent serment de fidelité à l'un & à l'auare & qu'il leur paye de impots. Dans quelques villes & b [...]illiages tant le Roy que le Due choisissent les Magistrats annüels & en partagent les revenus; dans d'autres ils les font tour à tour: Si bien que dans la moindre querelle qui arrivé entre ces deux Princes, le pauvre peuple est divisé d'une maniere étrange, & se trouve dans une tres miserable condition: car leur inclination les porte à prendre les interests du Prince, qui étant le plus foible, trouve son avantage à les biens traiter; mais leur crainte fait qu'ils paroissent embrasser ceux du Roy comme le plus fort quoique plus absolu.
Ce Païs est fort fertile & agreable; tres bien situé pour le commerce, étant entre deux mers, ayant l'avantage du voisinage de l'Elbe & de la [Page 37] Ville de Hambourg, qui étant libre & des plus riches épand une grande portion de ses richesses sur les terroirs de ces Princes qui la touchent. La prosperité de ce péuple, & la fertilité de ce Païs qui est éloigné de la Ville Capitale d'une journée ou de plus, fait assés connoître qu'elle vient de ce qu'il est éloigné de l'endroit d'où part ce pouvoir arbitraire. Les habitans du Holstein disent que leur Païs ressemble à l'Angleterre dans la varieté des collines, des prairies, des bois, des rivieres & des champs; comme aussi ils se vantent que nous tirons deux nôtre origine & que les peuples de cet endroit appellé Anglois s'habituerent dans nôtre Ile, & qu'ils Iuy donnerent le nom d'Angleterre. Quand les Danois voyagent ils se disent du Holstein, pensant qu'il leur est plus honorable d'être nés dans l'Empire qu'ailleurs.
Les Provinces de Stormarie & Ditmarshie sont proche de la Riviere d'Elbe, la plus grand part du Païs est bas & riche, le terroir estant gras & en plusieurs endroits ressamblant à la Hollande tant dans sa fertilité que dans la maniere de cultiver la terre. Ces Païs ont cet avantage d'avoir dans leur voisinage Hambourg & la Riviere avec [Page 38] l'Ocean; quoique souvente-fois il se troave un voisin dangereüx, & qu'il inonde la plus grand part du Païs, nonobstant les cha [...]ssées, & les digues qu'on a élevé pour l'arreter.
On doit observer comme un grand defaut que le Roy de Danemarc n'a pas dans tous ses Etats une Riviere qui puisse porter de Vaisseaux d'un pott considerable, ear je ne compre pas la Riviere Eyder, à mo [...]ns que vous ne comptiés l'Elbe que l'on doit plûtôt mettre au nombre de celles qui sont sur les frontieres, que de croire que ce soit une chose qui lui appartiene; toutefois il a taché, & tache encore d'y établir une Doüane à Glaestad, esperant que prenant ses avantages sur les necessitez de l'Empire durant cette guerre où l'on fait des grands frais, il pourra l'engager à cette doüane contre toutes considerations: mais les Princes voifins, les Anglois & les Hollandois, & encore moins Hambourg consentiront-ils à cette innovation si prejudiciable à leurs interests & à leur negoce.
Oldenbourg pour la plus grand part est un Païs plat & marecageux; beaucoup exposé aux inondations de l'Ocean; les chaussées qui devroient le [Page 39] contenir dans ses bornes, n'étant pas bien entretenües. Il abonde en betail, & a une bonne race de chevaux, qu'on recherche beaucoup pour les carrosses à cause de leur poil qui est Isabelle. Ils ont generalement l'oeil mauvais & la corne tendre, ils ne peuvent supporter un travail long & penible. La Ville d'Oldenburg est passable, & son Chateau est hors d'etat de pouvoir étre reparé. A la mort du Prince Antoine qui a été le dernier, cette Comté a été annexée à la Couronne de Danemarc. Delmenshorst est un Païs plus élevé & plein de bois; l'un & l'autre se touchent, & on les traite plus doucement à cause de leur eloignement d'avec les autres Païs. On ne sauroi [...]dire que peu de chose de la Norvegue, elle est divisée en deux grandes Provinces septentrionale, & meredionale; dont un petit Païs appellé Yempterland appartenant autrefois au Roy de Danemarc est maintenant entre les mains de la Suede. Son Excellence Goldenlew (qui est le titre ordinaire que les Danois lui donnent) en est Viceroy.
Il est sous divisé en quatre principaux gouvernemens, sçavoir de Dronthem, de Bergen, de Christiania & de Larwick. Les Gouverneurs [Page 40] sont le jeune Guldenlew fils naturel du Roy & Monsieur Stocfleet dernier Envoyé extraordinaire du Roy de Danemarc proche celuy de Suede &c. C'est un Païs trés stirile ne donnant ni assés de grains ni assés de betail pour l'entretien des habitants, quoi qu'ils soient en petit nombre, par raport à l'ete n due du Pais. Il ya des mines d'argent; mais c'est une question de sçavoir si l'on y trouveroit son compte a y faire travailler. Ce qu'elle produit propre à étre transporté, sont des bois de charpente de toute sorte, principalement de sapin, des Morruës, des Mats de Navires & du fer, de tout cela il y en a une quantité que toutes les années les Anglois & les Hollandois achetent en argent comptant.
La Norwegue surpasse les autres Païs du Danemarc en ce qu'il donne des denrées pour étre transportées, ce qu'aucun des autres ne fait en quantité. Les habitans sont hardis, laborieux & sinceres; ils sont estimés par les autres, & s'estiment plus que les Danois, qu'ils appellent par reproche Jutes. L'Island & Feroë sont des mechantes Iles dans l'Occean septentrionnal. Les grains ne [Page 41] croissent pas, ni dans l'une ni dans l'autre, mais elles ont beaucoup de betail. Il n'est pas permis aux habitans de trafiquer qu'avec les Danois; ils sont grands joüeurs des échets. C'est une chose digne de la recherche des curieux, de connoitre comment un jeu qui demande tant d'application, & qui est si difficile a pù aller si loin dans le Nord & y devenir si commun.
Les Contoirs que le Roy de Danemarc a aux Indes Orientales & Occidentales, & dans la Guinée sont estimés de fort petite consideration. Cependant j'ai vû plusieurs Vaisseaux venant des Indes Orientale richement chargés, & depuis peu l'on a établi une compagnie des Indes Orientales, dont la plûpart des membres sont de gens de qualite. Mais dans son tems ce sera une recherche digne de ces Royaumes & de ces Etats, dont l'interest est, de conserver dans l'esprit des Indiens & des Persaus une bonne opinion du commerce des Européens, si la charge de ces Vaisseaux dont je viens de parler est le produit legitime di negoce, ou s'il a été acquis par d'autres voyes.
Ce que j'ai dit touchant la situation, l'étendüe & la nature des Païs, [Page 42] domaines apartenant au Roy de Danemarc est plus que suffisant; ce qui revient en general á ceci est qu'ils sont fort étendus, separés, entremelez avec d'autres, ne produisant qu'une mediocre quantité des choses necessaires pour les habitans & fort peu pour les marchands, & qu'il n'y a aucune manufacture si l'on en excepte quelques martinets où l'on travaille le fer. On connoitra si ces defauts dans un Païs bien situé & passablement fertile vienent ou de la nature ou par accident quand j'aurai traité de la forme du gouvernement, du naturel, des coùtumes & des manieres des gens du Païs, mais parce que les dernieres dependent en quelque maniere du premier, je commencerai par la.
CHAPITRE VI. De la forme du Gouvernement.
L'Ancienne forme du Gouvernement étoit le même que celle que le Goths & les Vandales établirent dans une bonne partie de l'Europe où ils porterent leurs conquêtes, & que l'ou a retenu en Angleterre jusques à present. [Page 43] On dit des Romains qu'ils recompenserent assez le peuples qu'ils soûmirent, de la perte de leur liberté, en ce qu'ils les tiroient d'une vie barbare pour les amener à une vie plus tranquille & plus douce, & qu'ils introduisoient parmi eux les arts, l'erudition le commerce & la politesse; Je ne scay si certe maniere de raisonner n'est pas plûtôt fondée sur un brillant apparent que sur la verité; mais on peut dire avec plus de raison que toute l'Europe est beaucoup redevable à ces peuples d'avoir introduit ou retabli la maniere de Gouvernement la plus excellente qu'ils y ait dans le monde. C'est aux anciens habitans de ces Païs & des autres Provinces voisines que nous devons l'origine de Parlements qui étoient ancienement fi communs mais que l'on a perdu dans ces derniers temps excepté en Pologne, dans la grande Bretagne & en Irlande.
Le Danemarc aussi a été iusques en l'année 32 gouverné par un Roy choisi par le peuple, même dans leur élection les Païlaus avoient leur voix; ce que le Roy Waldemar III. confesse dans cette belle response qu'il fit au Nonce du Pape qui pretendoit avoir sur luy une grande authorité Naturam [Page 44] habemus à Deo, Regnum à subditis, Divitias à parentibus, Religionem à Remana Ecclesia, quam si nobis invides renuntiamus per presentes. Dans cette veüc les Etats étant assemblés ils devoient choisir pour leur Prince celuy qui leur paroissoir étre de bonne mine, vaillant, juste, humain, affable, defenseur des Loix, Protecteur du peuple, prudent & orné toutes les vertus propres au Gouvernement; nean moins ils avoient égard à la famille du dernier Roy; car si dans la famille on en trouvoit un qui eut ces qualités ou qu'on creut qu'il les avoit, ils pensoient que c'estoit de leur reconnoissence de le preferer à tout autre pour l'élever à cette haute dignité; & ils le faisoient d'aurant pius volontiers, quand ils pouvoient chosir l'ainè plûtôt qu'un decadets, tant á cause de sa naissance, quand les qualités étoient égales, qu à cause que sa condition pouvoit le mettre hors des atteintes de la tentation, & de la convoitise, & qu'elle le rendoit fort capable d'en supporter le poids. Mais si aprés ce choix ils trouvoient qu'ils s'étoient trompés & qu'ils avoient élevé à cettedignité un cruel, un vitieux, un Tyran, un convoiteux ou un prodigue, souventefois ils le deposoient, quelquefois [Page 45] ils le bannissoient, & la plus part du temps ils le faisoient mourir; & cela se faisoit en le faisant repondre devant une assemblée qui répresentoit le peuple; ou s'il étoit devenu trop puissant par des pratiques illicites comme en formant des partis, en levant des foldats, & en faisant des alliances pour se soutenir lois qu'il voudroit ôtet au peuple ses droits, & que l'on ne deut pas par ces raisons contester avec lui selon les Lois, ils les tuoient sans autre ceremonie, comme étant la voye la plus sûre & ils mettoient en sa place un meilleur Prince; Souventefois c'étoit son plus proche parent, quelquefois celui qui avoit entrepris ou de le chasser ou de le tuer; d'autrefois un particulier dont la reputation étoit tres bonne, & qui peut être ne pensoit à rien moins qu'à une telle élevation.
C'étoit une des Lois fondamentales de convoquer souvent des Parlements; où l'on traitoit de tout ce qui regardoit le Gouvernement, où l'on faisoit des bonnes Lois, où l'on examinoit tout ce qui regardoit la paix & la guerte, les alliances, le maniement des grands emplois, les contracts de mariages de la famille Royalle &c.
[Page 46]L'imposition des Taxes ou la [...] mande d'un don gratuit étoient p [...] rement des choses accidentelles; [...] ne payoit aucun impôt ni on ne [...] voit aucun argent sur le peuple à mo [...] que ce ne fut pour soutenir une gue [...] necessaire avec le consentement & l' [...] vis de la nation, ou pour augmen [...] la dot d'une Princesse; en ce te [...] la les revenus du Roy consistoi [...] seulement dans les ventes de ses te res & de ses Domaines, dans ses hara [...] dans ses forets, cans ses fermes &c Les droits sur les marchandises [...] tant qu'un impôt érabli dans ce te [...] & dans ces quartiers; tellement qu [...] vivoit de ses revenus comme un [...] nos gentilshommes d'aujourd hai, [...] il ne mang [...]oit point la sueur de [...] pauvres sujets.
Son occupation étóit de faire ren [...] la justice selon les lois; même souvente la faire lui même; de veiller pour le bi [...] de son peuple, de commander lui mém en tems de guerresesarmées, d'avanc [...] la Religion, les arts & le sçavoir c'étoit aussi autant de son interest qu [...] de son devoir d'étre de bonne intelligence avec la noblesse, & de prend [...] soin que le peuple vescut dans l'abondance & dans la prosperité.
[Page 47]Voilà quelle étoit l'ancienne forme de Gouvernement qu'il y avoit dans ce Royaume qui continua avec fort peu de changement (excepté que le pouvoir de la noblesse s'étoit un peu accrû) jusques en l'année 32 quand tout d'un coup la face des affaires changea; si bien que depuis les Rois ont été & sont encore absolus, n'étant rien resté de l'ancienne liberté au peuple, toutes les assemblées & les Parlements ayant été entierement abolis, même le nom de liberté ayant été entierement oublié comme si jamais on n'en avoit ouï parler, étant à present le premier & le principal article dans les Loix du Danemarc que le Roy a le privilege d'expliquer la loi, même de l'alterer & de la changer, s'ille troave bon.
Il est aisé à chacun de vior les consequences de cette Loi, qui sont les impots frequens & ordinairement excessifs, même en tems de paix, ne considerant pas s'il en est besoin; si bien quele Royaume en plusieurs endroits est decheu de trois quarts, & c'est encore pire proche de la Capitale que dans les Provinces éloignées. La pauvreté dans la noblesse qui cause necessa [...]rement une grande misere aux Païsans, la partialité dans la distribution [Page 48] de la justice quand cela regarde les favoris, & plusieurs autres maux, dont je parlerai ci-aprés sont les effets ordinaires d'un gouvernement absolu & arbitraire tant ici que dans les autres Païs, où il prevaut.
Et parce qu'il est étrange de voir qu'un peuple libre & riche (car autresois il étoit tel) qu'il aye, di-je, pú étre porté à se departir entierement de sa liberté, j'ai crû que ce seroit fort à propos de vous dire de quelle maniere ce changement & cette revolution se sont fait; ce que je sçai non seulement pour l'avoir vû, mais encore pour l'avoir ouï dire à ceux qui y ont le plus contribué.
CHAPITRE VII Comment le Royaume de Danemarc est devenu hereditaire & absolu.
A Prés que la Paix fut concluë entre les deux Couronnes du Nord, l'année 1660, le Danemarc donna ses soins & beaucoup de tems à remedier à quelques desordres, dont la guerre avoit été l'occasion. Ce Royaume avoit été trop violemment [Page 49] ébranlé par cette tempête pour que l'agitation en eut entierement cesse; l'armée ne fut pas d'abord licentiée, à cause du manque d'argent pour payer les arerages; ce qui rendit les Soldats si insolens qu'ils maltraitoient les Bourgeois & les Païsans qui étoient déja ruinés par les miseres de la guerre Les Nobles quoique Seigneurs & maïtres éroient meconteus & le Clergé n'étoit pas dans l'état qu'il soûhairoit.
Pour remedier à tous ces abus & pour remertre les affaires en bon ordre, le Roy crût qu'il falloit chercher de l'argent pour payer l'armée & la licentier; dans cette veüe il ordonna une assemblée des trois Etats sçavoir de la noblesse, du clerge, & du peuple à Copenhague; elle se tint environ le commencement d'Octobre. Apres quelques jours de session (durant les quels la Noblesse suivant la pratique ordinaire examinoit comment [...]on pourroit lever les sommes sur le peuple sans la moindre intention d'en payer quelque chose) il survint plusieurs disputes & il y eut quelques paroles aigres entre eux & les Communes. D'un côté la Noblesse vouloit maintenir ses anciens Privileges de ne payer rien par voye de taxe, mais seulement par une [Page 50] contribution volontaire; & elle se montra trop ferme dans un temps que le Païs étoit épuisé, & que les richesses étoient entre leurs mains; cela leur parut encore une occasion favorable, non seulement pour se venger mais encore pour augmenter leurs Privileges au prejudice du clergé & du peuple, en mettant sur eux à leur plaisir des impôts qu'ils ne voudroient pas toucher du bout de leurs doigts. D'un autre côté le Clergé pour avoir Soutenu les interests de son Païs & les Bourgois pour avoir defendu vigoureusement leur ville, crurent qu'ils ponvoient pretendre justement à des nouveaux bien-faits & étre considerés au moins comme bons sujets d'un Etat qu'eux mêmes avoient defendu si vaillemment. Ils les faisoient souvenir des grandes promesses qu'on leur avoit faites, quand ils devoient executer des entrep [...]ses dangereuses, & avec quel succés ils les avoient achevées; qu'ils avoient sauvé par là d'un joug étranger non seulement la Ville de Copenhague, mais encore tout le Royaume, toute la f [...]mille Royalle, même ces Nobles qui à present les maltraitoient; pour cet effet ils croioient fort raisonable que l'argent fut levé fur tout le monde, & que [Page 51] la noblesse qui tenoit tuotes les terres payat au moins sa portion, puis qu'elle avoit le moins souffert dans ce malheur public, aussi bien que moins fait pour en empêcher le progrés.
Cette maniere de raisonner depleue fort aux Nobles & produisit plus d'emportement & plus de reponses choquantes de part & d'autre. Ensin un des principaux Senateurs appellé Otto Crage se leva, & dit tout en colere au President de la ville, que le peuple ne connoissoit pas les Privileges de la Noblesse, qui de tout temps à été exempte des Taxes & qu'il ne connoissoit pas sa propre condition qui étoit d'être esclave; tellement que le meilleur moyen étoit de demeurer dans ses propres bornes & de consentir à ce quise pratiquoit anciennement, ce qu'ils étoient resolus de maintenir. Ce mot Esclave mit en confusion tous les Bourgeois & tout le Clerge & remplit la salle d'un grand bruit; c [...]oue Nanson president de la vil'e & orateur des Communes apercevant & [...]ro [...]vaune occasion propre à exec [...]ter un dessein que luy & l'Evêque avoiont concerté (quoique foiblement) se leva en colere de son siege, & dit en jurant que le peuple n'étoit pas Esclave & qu'il ne vouvoudroit [Page 52] pas à l'avenir étre appellé ainsi par les Nobles à qui ils en donneroient bein tôt des preuves à leur depens; & sur cela rompaut l'Assemblée en desordre & sortant de la salle, il fut suivi par tout le Clergé & les Bourgois; les Nobles étants restés seuls, pour consulter entre eux à loisir se separerent quelques temps aprés pour s'assembler dans une maison particuliere proche la Cour. En même temps le peuple étant irrité au dernier point, & resolu d'executer ses menaces marcha deux à deux un Ecclesiastique, & un du peuple, depuis la grande salle jusques à celle des brasseurs qui étoit l'endroit le plus propre qu'ils pussent [...]rouver pour s'assembler separement des Nobles, l'Evéque de Copenhague & le President de la ville étant à leur [...]ete. Ils crurent qu'il étoit necessaire de chercher promptament les meilleurs moyens d'arretel l'orgueil insuportable de la Noblesse & d'ameliorer leur propre condition: [...]pres plusieurs debats, ils conclurent du'ils devoient aller voir le Roy, & [...]uy off [...]ir leurs suffrages & leur aide pour le rendre absolu, comme aussi pour faire que la Couronne fut heriditaire dans sa famille, laquelle jusques là avoit été élective. [Page 53] Qu'ils se promettoient que le Roy leur auroit une si grande obligation pour ce service, qu'il leur accorderoit & confirmeroit tels Privileges qui les metroient an dessus d'esclaves. Quils sçavoient qu'il avoient été jusques icy extremement bridés par la Noblesse; & qu'a [...] present [...] ils connoissoient leur propre force, (depuis qu'ils avoient les armes à la main & les soldats pour eux) pour executerce qu'ils voudroient entreprendre; qu'au pis aller, ils prendroient un maître à la place de plusieurs & qu'ils supporteroient mieux le travail que leur impos [...]ro [...]t [...] Roy que celui deses inferie [...]r [...]; [...] que si leur condition n'étoit pas mei [...]e, au moins ce leur seroit une [...]o [...]fo [...]a d'avoir plusieurs compagnons; outre la satisfaction de se vanger de ceux qui jusques icy ne les ont pas s [...] lement maltraités, mais encore tout nouvellement insultes. Qu'ils connoissoient le Roy & qu'ils l'out vu supporter avec une patience & une constance tout-a-fait admirable tous ses malheurs; qu'ils étoient persuadés que c'étoit un Prince vaillant, qui a souvent exposé sa personne pour le public, & que pour cet effet ils jugeoient qu'ils ne pouroient jamais assés faire pour [Page 54] lui temoigner leur reconnoissance qui est la seule chose que le peupie puisse faire lors qu'il a recû quelque faveur de son Prince.
A peine cela fut-il proposé qu'il fut accepté, il n'y eut que le temps qui n'etoit pas propre, car il étoit presque nuit, qui fit quel'on en difera l'execution, mais l'ont prit toutes les mesures pour le lendemain. Le Clerge fut celui qui fit plus d'intrigues dans ce changement de Gouvernement; car ayant été tenu fort bas par la Noblesse il vouloit n'avoir point d'autre superieur que le Roy, dont il s'engageoit de maintenir le pouvoir par celui qu'il avoit sur la conscience de peuple, & attendoit avec raison que le Roy lui accorderoit une pareille faveur avec un plus ample pouvoir, que celui qu'ils avoit, puis qu'il leur étoit beaucoup obligé du sien propre; & qu'a l'avenir leurs services seroient reciproques, puisque l'un avoit en son pouvoir la force & l'autre le lien de la Religion. Ce Contract à subsisté jusques à present à l'avantage de l'un & de l'autre parti.
Pendant tout ce temps là la Cour n'ignoroit pas tout ce qui se passoit; elle ne manquoit pas d'espions pour donner [Page 55] connoissance du mecontentement du peuple. Hannibal Seestede, homme rusé s'il y en eut un étoit le premier Ministre; & l'Eveque Swan avec Nanson Orateur des Communes étoient ses crearures: ils avoient autrefois formé en secret le dessein qui étoit sur le point d'éclater, quoy qu'ils n'eussent pas esperé de se promettre un si grand succés. Toute la nuit se passa en brigues & en mesages; on devoit entretenir la colere du peuple dans le même état; on devoit encore faire que la resolution que l'on avoit prise la nuit precedente ne se relentit point & que l'on continuat jusques au lendemain dans la méme resolution. La Reine qui étoit une femme d'intrigue & de grand courage, y travailla beaucoup en toute maniere, quand le Roy put étre difficilement porté à y consentir, soit que ce fut à cause de l'incertitude de l'evenement, ou bien par un sentiment d'horreur, de poursuivre un pouvoir absolu sur un peuple libre. Et quand il declara qu'à laverité il consentiroit que la souveraineté fut conservée dans sa famille pourvû que ce fur par un consentement general; mais que ce n'étoit pas son desir de devenir absolu; & que ce n'étoit pas même [Page 56] le bien du Royaume; qu'il étoit assuré qu'il ne feroit pas un mauvais usage d'un pouvoir qui n'est point limité; mais que personne ne savoit pas quels Successeurs il auroit; qu'ainsi il étoit également dangereux pour eux de donner, que pour luy de recevoir une authorité dont on pourroit abuser un jour à l'entiere ruine de la nation.
Mais la Reine qui étoit plus ambitieuse, qui souhaitoit qu'il demeura en repos, & qui vouloit travailler pour lui, rejetta ces reflexions soit qu'elles fussent vrayes ou apparentes, soit que la pieté ou la foiblesse du Roy les fit naitre, en luy disant que le dessein étoit bien pris & qu'il avoit eu un esfet assés heureux; qu'il ne falloit pas arreter sa bonne fortune ni celle de sa famille; enfin elle gagna tant sur luy qu'il parut consentir avec crainte, à ce que l'on desiroit le plus, ayant cependant laissé par cette repugnance apparente un moyen de se reconcilier avec le peuple en cas que l'affaire ne reussit pas.
Pendant tout ce temps là les Nobles soit qu'ils eussent peu ou point du tout connoissance du dessein du peuple, qu'ils avoient coutume depuis [Page 57] long-temps mepriser & de tyranniser, & qui ne croyoient pas qu'aucun mal leur peut venir de là, ne faisoient aucun cas de leur menaces ni de leur personnes, & ils s'imaginoient qu'ils s'en repentiroient le lendemain & qu'ils viendroient à un accomodement en consentant à tout ce que l'on leur demanderoit; mais le dessein étoit plus secret qu'ils ne supposoient; car non seulement le premier Ministre, mais encore quelques membres de leur corps qui avoient de l'emploi à la Cour, y étoient engagés. Le manque de precaution & de courage dans l'occasion, attira tout à coup sur eux ce malheur, tellement qu'excepté deux ou trois qui prirent plus de soupcon qu'à l'ordinaire & qui previrent ce qui pouvoit arriver, & qui aussi cette nuit même sortirent hors de la ville, tous les autres furent sans aucune crainte de danger jusques au moment que le mal étoit sans remede.
Schack Gouverneur de la ville fut gagné par la Cour, afin qu'il favorita ce dessein, ce qu'il effectua mais non pas avec tant de bassesse que les autres; car quand le Roy à la premiere nouvelle de la resolution du peuple, [Page 58] promit ouvertement qu'il les declareroit tous libres pour reconnoissance d'abord que la chose seroit en son pouvoir & que le peuple vouloit se reposer sur sa bonté & sur l'accomplissement de sa promesse y étant porté par le Clergé qui disoit que ce seroit une chose tout-a-fait mal-honete d'exiger d'un Roy autre seureté que sa parole, toutefois Schack pressa beaucoup le peuple pour qu'il insista à demander cette promesse signée de la main du Roy & à s'assurer de la recompense pour un present si considerable que celui qu'ils alloient faire, puis qu'ils avoient une si belle occasion entre leurs mains. Mais toutes ces raisons furent inutiles; ils étoient en humeur de donner, & resolus de le faire genereusement, se reposant sur le Roy pour accomplir sa promesse; de quoy du depuis, quoique trop tard, ils se sont souvent repentis.
Le lendemain au matin les Nobles s'assemblerent dans la chambre du Parlement, & les deux autres corps à la salle des Brasseurs; la resolution des Communes ne peut pas étre si bien tenüe secrete que quelque vent n'en vint en même temps aux oreilles des Nobles; mais à peïne eurent-ils le loisir [Page 59] de considerer ce que l'on devoit faire dans cette occasion, qu'on leur vint dire que les Communes venoient vers eux; car l'Evêque & le President firent si bien leur parti & les presserent d'executer ce qui avoit été resolu le jour d'auparavant, qu'on jugea qu'on perdoit le temps qu'on n'employoit pas pour l'execution; & qu'on tombat d'accord d'aller au Parlement & de communique aux Seigneurs leur dessein, de demander leur consentement pour une chose si necessaire au bien du Royaume. Ils marcherent deux à deux par les rües avec gravité & dans un grand silence, pendant que le menu peuple par des cris redoublés applaudisoit ce qu'ils alloient faire; & dans cet état ils arriverent à la maison où la Noblesse étoit assemblée qui eut à peine assés de temps pour les recevoir.
Le President Nanson sit une courte harangue mettant en avant qu'ils avoient consideré l'état de la Nation & qu'ils avoient trouvé que le seul remede aux maux qui la travailloient, étoit de rendre la Couronne hereditaire & de donner au Roy plus de pouvoir qu'il n'avoit eu auparavant, que c'étoit la resolution que les Communes & le Clergé avoient pris; que s'ils y [Page 60] vouloient donner leur consentement ils étoient prets de les accompagner jusques auprés du Roi pour luy donner un pouvoir & une authorité absolüe; que s'ils ne vouloient pas y consentir ils y iroient eux mêmes & qu'on le fairoit sans eux; qu'il étoit necessaire de leur donner sur cela une response prompte, par ce qu'ils avoient de ja fait avertir le Roy qu'ils y alloient, & que sa Majesté les attendoit dans la salle, c'est pourquoi ils desiroient d'étre informes en peu de mots de ce qu'ils étoient resolus de faire.
Une proposition si impreveüe & la maniere de la communiquer surprit generalement les Seigneurs; il falloit voit ceux qui peu des jours auparavant s'estoient montrés si fiers, devenir en un moment complaisants, & decouvrir leur crainte par leurs paroles & par leurs contenances comme ils avoient fait autrefois leur arrogance. Ils ne virent pas le mal que lors qu'il étoit inevitable; on ne leur donnoit pas le loisir de consulter; c'étoit une chose dangereuse de refuser leur consentement ou de le diferer. C'étoit un chagrin insuportable de renoncer au pouvoir qui les charmoit tant & de mettre sur leur col un joug si pesant: [Page 61] mais ils voioient qu'ils ne seroient pas long-temps maitres. Les Communes étoient armées, l'armée & le Clergé étoient contre eux; & ils counurent trop tard que ce qu'ils avoient consideré seulement, que comme l'effort d'un multitude inconstante & écervellée, étoit conduït par des têtes plus sages & soutenu par des recompenses de la Cour, possible même par quelques uns de leur corps; ils se soupçonoient les uns les autres personne ne sçavoit si son voisin n'estoit pas dans la conspiration contre la liberté publique. Il est aisé de s'imaginer de quelles pensées chagrines ils furent tout à coup travaillés ils ne s'attendoient pas à un coup si terrible: maïs il falloit donner promptement une response. Celui qui pensoit à la faire n'osoit pas; car ils étoient assemblés dans une Ville fortifiée, éloignés de leur Païs (où ils avoient gouverné comme des petits Princes) & en la puissance de ceux qui pouvoient & qui voudroient asseurement se vanger s'ils paroissoient des-obeissans. Le meilleur expedient étoit de paroitre consentir à ce qu'ils ne pouvoientarreter. Ils respondirent qu'ils approuvoient la proposition que les Communes [Page 62] leur avoit fait, mais que la maniere demandoit des formalités requises; que dans une affaire de si grande importance il falloit auparavant deliberer; qu'ils ne pourroient que prendre en mauvaise part, si les Communes arretoient une resolution de si grande consequence sans le moindre avis de la Noblesse, qui étoit le premier état du Royaume; qu'ils aspiroient aussi à cette honneur de donner au Roy & à sa posterité un present si important, mais qu'ils souhaitoient qu'on proceda dans cet affaire avec la solemnité & la gravité qu'il demendoit; qu'il n'étoit pas raisonable qu'une chose de si grand poid deut avoir la moindre apparance d'un rumulte, ni qu'il parut quelle avoit été faite plûrôt par force que par un choix libre. La conclusion de tout cela fut qu'ils esperoient que les Communes en difereroient pour qu'elque temps l'execution, & qu'en même temps ils consulteroient avec eux, jusques à ce que l'affaire eut été faite par ordre & d'un consentement unanime comme aussi à leur avantage reciproque.
Le President le refusa avec emportement & repondit que c'étoient des defaites pour gagner temps, que les Seigneurs pouvoient étre dans un état à [Page 63] rendre inutiles les intentions des Communes; que l'affaire étoit déja arretée, que la resolution en étoit prise; qu'ils n'étoient pas venus pour examiner, mais pour mettre en execution; qu'ils étoient prets si les Nobles vouloient se joindre à éux; que s'ils ne vouloient pas ils feroient ce que l'on devroit faire; & qu'ils ne doutoient pas que Sa Majesté n'en profitât.
Pendant ces disputes les Seigneurs, deputerent un de leur corps en secret pour informer le Roy, que les Communes étoient à present à leur chambre & qu'elles avoient fait des propositions hors des formes mais qui étoient telles qu'ils y donneroient plûtôt leurs consentement que d'y étre contraires. Qu'ils étoient prets de se joindre à elles pour offrir la Couronne hereditaire à Sa Majesté & aux mâles de sa famille; mais qu'ils souhaitoient qu'on proceda de la maniere que meritoit un affaire de cétte consequence, sçavoir par des conferences & des deliberations, afin qu'il parut que c'étoit plûtôt un effet de leur juste sentiment pour la valeur & la conduite de Sa Majesté, qu'une émotion subite d'une assemblée tumultueuse.
Le Roy repondit avec une grande [Page 64] douceur comme si cela ne le touchoi [...] pas, qu'il leur étoit bien obligé pour leur dessein envers lui & la famille Royalle; qu'il esperoit que ce qu'ils étoient sur le point de faire tendroi [...] au bien de la Nation; mais qu'il ne lui seroit pas tant agreable s'il n'y avoit que les males qui heritassent la Couro [...] ronne, que si on la donnoit sans limitation; que c'e n'étoit pas chose nouvelle que des femmes eussent gouverne en Danemarc, & que leur gouvernement n'avoit pas été malheureux dans les Royaumes voisins; qu'ils devoient considerer que puisque c'étoit un present qu'ils vouloient faire, il ne vouloit pas le leur prescrire, mais qu'il ne pouvoit pas l'accepter à moins qu'il ne fut plus general.
En même temps les Communes devinrent impatientes; la réponce qu'on leur donna ne les satisfaisoit point, & les Seigneurs n'étoient pas encore entierement resolus d'y consentir ni même ils n'étoient pas prêts à les y accompagne par ce qu'ils ne sçavoient pas quel succés auroient eu ceux de leur corps, qu'ils avoient envoyé pour sonder quelle étoit l'intention de la Cour. Ce pourquoi le Clergé & les Bourgeou [...] ayant à leur tête l'Evêque & le President [Page 65] allerent au palais; le premier Ministre vint à leur rencontre & les conduisit dans la salle d'Audiance où peu de temps aprés le Roy vint. L'Evêque fit un long discours, s'étendit fort au long, sur les loüanges du Roy, & sur les raisons pour les quelles ils étoient venus lui rendre leurs respects, & finit en lui offrant au nom des deux corps qui étoient les plus puissans & les plus nombreux la Couronne heriditaire dans sa maison & un pouvoir absolu, avec leurs bources en cas que quelqu'un voulut arrêter un dessein si loüable & si necessaire pour le bien du païs. Le Roi leur respondit en peu de mots, Qu'il les remercioit, & qu'en cas qu'un consentement general confirma leur bonne volonté il accepteroit le present qu'ils lui faisoient; mais que le consentement des Seigneurs étoit necessaire dont il s'assuroit, puis qu'ils avoient le temps de le lui offrir avec les formalités necessaires; qu'il assuroit les Communes de sa protection Royalle; qu'il n'oublieroit pas leur affection, qu'il les delivreroit de leurs maux; qu'il avanceroit ses sujets qui s'étoient comportés si vaillanment, & qui lui avoient rendu de si bons offices. Il finit par cet avis de continuer leur [Page 66] session jusques à ce que les matieres eussent eré mises en leur perfection & qu'il peut recevoir lent present avecles solemnités convenables; & sur celai les renvoya.
Mais pendant tout ce temps là les Seigneurs furent dans des grands troubles; ils voyoient que les Communes étoient allées voir le Roy sans eux; ceux de leur corps qu'ils avoient depeché au Roy rapportoient que le [...] proposition de rendre la couronne heriditaire pour les mâles n'avoit pasé [...] bien receûe par ce qu'il avoit en veu [...] un plus grand avantage; qu'on ne regardoit leur offre que comme venam des personnes qui n'auroient rien donné s'ils l'avoient pû faire; qu'o [...] croyoit qu'ils pretendoient qu'on leur eût de l'obligation en donnant une partie, quand il n'étoit pas en leur pouvoir d'empecher qu'on n'eut le tout Dans cette irresolution ils se separerent; & depuis ils s'assemblerent su [...] une autre occasion à midi, & jugere [...] de considerer en ce temps là comme [...] il falloit proceder dans une affaire [...] delicate.
Monsieur le Senateur Schele un de [...] principaux du païs devoit étre enterie avec grande pompe l'aprés midi; soa [Page 67] corps avoit demeuré quelques mois sous un lit de pa [...]ade, & suivant la coutume tous les Seigneurs qui étoient à la ville devoient assister à ses obseques; on choisit le temps auquel le Parlement devoit s'assembler, pour faire cette ceremonie, parce qu'alors tous les Nobles étoient ensemble; & on prepara un Magnifique diner suivant ce que l'on pratique en des pareilles occasions: au milieu du repas un officier vint dans la Chambre & quelques emissaires des principaux, qui rapporterent que les portes de la ville étoient fermées & qu'on en avoit porté les clefs à la Cour. Car le Roy ayant été informé par le Gouverneur que deux ou trois Senateurs s'étoient sauveés secretement la nuit precedente, & commeil avoit resolu de n'en laisser échaper aucun des filets, qu'ils n'eussent fini cette affaire, il donna ordre le matin au Gouverneur de fermer les portes & de ne laisser entrer ni sortir personne sans un ordre. Le Gouverneur envoya un billet au Major de la ville pour le mettre en executïon; qui d'abord qu'il l'eut recû, il vint à la maison où ils étoient assemblés & le mit sur la table entre les Senateurs. Cette terrible nouvelle que l'officier portoit fut d'abord dite [Page 68] tout bas à toute la Compagnie, qui s'adressa à lui pour connoitre le dessein d'un procedé si peu accoutum [...] dans le temps d'une assemblée generale; ils lui demanderent qu'elle étoi [...] leur destinée, s'ils devoient étre massacrés ou ce qu'on vouloit faire d'eux [...] le Major de la ville répondit doucement, qu'il n'y avoit aucun danger pour eux, qu'un Roy aussi bon que S. M. ne prendroit pas des mesures si violentes contre eux; quoy qu'à la verité il eut donné lui meme ordre de fermer les portes; & que personne ne sortit hors de la ville sans permission, mais que cet ordre ne devoit pas les detourner & les empêcher de finir les ceremonies & de poursuivre les affaires publiques aussibien que les particulieres. Il ne falloit que la confirmation de cet officier pour ren verser tous les desseins des Nobles; la crainte de perdre leur vie leur ôta toutes les pensées de leur liberté. Ils depêcherent d'abord des personnes tant â la Cour qu'aux Communes pour leur faire scavoir qu'ils étoient disposés à condescendre à ce qu'on leur avoit proposé & les assurer qu'ils étoient prets de consentir à tout ce qu'on leur pourroit demander.
[Page 69]Mais le Roy, qui jusques icy avoit si bien commence & joué le jeu, resolut de le poursuivre jusques au bout, & ne voulut point soufrir qu'on ouvrit les portes, avant qu'on eût arreté toutes les ceremonies de l'instalation & qu'on ne luy eut fait homage en due forme; c'est pourquoy il leur ordonna de rester jusques à ce qu'ils luy eussent prête serment de fidelité & qu'ils se fussent depouillés de tout le droit, aussi bien que du pouvoir en la presence du peuple & de l'armée, afin qu'ils ne fissent naitre à l'avenir quelques desordres.
On employa trois jours pour preparer toutes les choses necessaires pour cette heure fatale, dans laquelle ils devoient faire dans les formes un acte de resignation de leur liberté; on dressa des échafaus dans la place devant le chateau & on les para de tapisseries; les Soldats & les Bourgeois eurent ordre de paroitre en armes chacun sous ses officiers: & le 27. d'Octobre au matin quand tout fut prêt le Roy, la Reine, & toute la famille Royalle monterent sur un theatre dressé dans ce dessein, & s'étant placés dans des chaises de parade sous des dais de velous ils recûrent publiquement l'hommage [Page 70] de tons les Senateurs, de la Noblesse, du Clergé & des Communes; & le firent en se mettant à genous Le serment qu'ils étoient obligés [...] faire étoit conceu en ces termes.
Moy A. B. promeis & declare (que) je serai franc & fidele à V. M. comme [...] mon tres bon Roy & Seigneur comme au aà toute la famille Royalle; que je fermes efforts pour avancer en toute chose [...] pouvoir de V. Majesté, & que de tomon pouvoir je vous defendrai de teperil & malheur; & que je servirai fidelement vôtre Majesté, comme un homme d'honneur & un subjet le doit fai [...] ainsi Dieu me soit propice.
Ils furent tous contrains de prononcer tout haut ce serment, & quelques personnes de qualité qui étoient malades ou qui en faisoient semblant [...] furent portées dans des chaises. Entre tant de gens Gersdorf un des priecipaux Senateurs fut le seul qui ouvr [...] la bouche en faveur de leur libert [...] expirante & qui dit qu'il esperoit & qu'l croyoit que S. M. n'avoit en ve [...] que le bien de son peuple, qu'il nel [...] gouverneroit pas à la maniere d [...] Turcs; mais qu'il souhaitoit que s [...] successeurs suivissent l'exemple qui S. M. leur mettroit indubitablement [Page 71] devant les yeux, & qu'ils se servissent de ce pouvoir sans bornes pour le bien & non pas pour la ruine de leurs subjets. Aucun de tous les autres ne dit pas un mot & ne parut pas même murmurer le moins du monde de ce qu'on avoir fait; & cecy est remarquable qu'entre tant de grands hommes, qui peu de jours auparavant paroissoient avoir un coeur digne de leur naissance & de leur qualité, il n'y en eut aucun qui aye eut le courage durant les trois derniers jours de s'opposer en quelque maniere ou par remontrance ou autrement à ce quel'on alloit faire. Et j ay oui dire à des personnes fort éclairées & qui étoient alors prés du Roy que si les Nobles avoient eu tant sort peu de courage à defendre leurs privileges, le Roy n'auroit pas poussé sa pointe si loin que de souhaiter un pouvoir arbitraire; car il étoit dans des doutes continuels touchant l'evenement, & commençoit à chanceler dans ses resolutions: tellement qu'ils perdirent leur liberté faute de paroître.
Ceux qui avoient fait homage allerent du Theatre au Parlement, où les Nobles furent tous appellez chacun par leur nom, & on leur commenda de [Page 72] signer la Declaration cy-dessus mentiouée, ce qu'ils firent.
Ainsi cette grande affaire fut finie; & dans quatre jours le Royaume de Danemarc passa d'un état peu different de l'Aristocratique à un Monarchique. Les Communes ont du depuis experimenté que le joug d'un Prince absolu pour foible qu'il soit est toùjours plus pesant que celui de plusieurs Nobles. La seule consolation qu'on leur a laissé est de voir leurs premiers Tyrans dans une plus miserable condition qu'eux mêmes; pendant que tous les citoyens de Copenhague ont obtenu par là ce vain privilege de porter l'épée; si bien qu'à present il n'y a aucun savetier ou barbier qui sorte sans la porter au côté quelque pauvre qu'il soit. Le Clerge qui ne fait jamais des marchés qu'il ne lui soient avantageus, est le seul qui y a gagné; & il est toùjours plus avancé par la Cour comme étant le premier qui la élevée à cette puissance & qui retient le peuple dansla servitude en préchant l'obeissance passive.
Il étoit juste que la Cour recompença les principaux aureurs de ce changement; c'est pourquoi nonobstant le manque general d'argent Annibal Seestede [Page 73] eut un prefent de 200000. Ecus. L'Evêque Swan fut fait archevêque & eut 30000. Ecus. Le President Nanson 20000 Ecus. Le peuple eut la seule gloire d'avoir forgé ses chaines & d'obeir sans reserve, & c'est un bonheur qu'aucun Anglois, à ce que je crois, ne leur envie.
CHAPITRE VIII. L'Etat, les Coutumes & le Natuturel du peuple.
TOutes ces choses dependent tellement de la nature & du changement du Gouvernement, qu'on voit aisement qu'il faut que la condition presente de ces peuples soit tres malheureuse, au moins il paroit ainsi à un Anglois qui le voit mieux peut-étre que ceux qui le souffrent: car la servitude, comme une maladie devient si familiere qu'elle ne paroit pas étre ni un fardeau ni une maladie; elle produit une sorte de paresse & defaut de courage qui mêt les hommes hors d'esperence & de crainte: elle abat l'ambition & les inclinations turbulentes aussi bien que les bonnes qui engendrent [Page 74] la liberté; & donne au lieu de la liberté une sorte de plaisir triste d'étre sans soin & sans sentiment.
Autrefois & même depuis le dernier changement arrivé dans le Gouvernement, la grande & la petite Noblesse (car il n'y a point icy de distinction) vivoient dans une grande abondance & dans un grand bonheur; leurs maisons dans les Provinces étoient spatieases & magnifiques; ellesy recevoient genereusement les étrangers parce quelles avoient tout en abondance. Les Nobles vivoient pour la plûpart chés eux & depensoient leurs revenus avec leurs voisins & leurs fermiers de qui ils étoient considerés & respectés comme des petits Princes. Dans le temps de la convocation des Etats ce qui arrivoit une foisl'an, ils alloient visiter le Roy avec un train aussi grand que le sien, ils mangeoient souvent avec lui; & dans les contestations sur les affaires publiques leurs sufrages étoient d'un grand poids & l'emportoient ordinairement: car les Communes consentoient volontiers qu'ils les reglastent par ce quelles dependoient d'eux. Dans la suite d [...] temps cet excés de pouvoir comme vous avés veu rendit la pluspartd'eu [...] insolents, ce qui fut la premiere occasion [Page 75] de leur cheute & de la perte de la liberté de tout le païs. Tellement qu'à present ils sont plongés dans une condition tres basse, & que tous les jours ils diminuent tant en nombre qu'en pouvoir; leurs biens payent à peine les taxes qu'on y a mises ce qui fait qu'ils oppriment leurs pauvres fermiers afin qu'ils gagnent quelque chose de plus pour leur propre subsistance. Même quelques gentils-hommes d'honneur qui avoient autrefois de grands biens m'ont asseuré qu'ils ont offert de livrer au Roy des grands Domaines qu'ils avoient dans l'Ile de Zeeland plûtôt que d'en payer les taxes; ce qu'on ne voulut pas accepter quoi qu'ils l'en pressassent extremement. Et sur la raison que j'en demandai on me dit que les biens de ces gentils-hommes qui avoient faith cette offre étants dans d'autres endroits où les revenus montoient à plus que la taxe, devoient payer la taxe pour quelque autre bien appartenant aux mêmes personnes en cas que celuy ci ne le put; si bien qu'on a vû quelques gens dire avec une grand joye que le Roy avoit été si genereux & si bon que de leur ôter leur bien.
Par ce moyen & par plusieurs autres, beaucoup des anciennes familles [Page 76] sont tombées en decadence; leurs maisons de Campagne qui étoient comme des palais étant ruinées ils sont forcés de vivre chetivement & obscurement dans quelque coin; à moins que leur bonne fortune ne leur procure à la Cour quelque employ ou civil ou militaire, qui est la seule chose qu'ils ambitionent le plus. Cela étant à la verité trés necessaire pour asseurer à leur famille quelque entretien passable & pour les mettre à l'abri des vexations & des injustices des Collecteurs. Les Emplois civils sont en petit nombre & de peu de revenu, comme il arrive dans un pauvre païs gouverné par une armée, tellement qu'il y en a peu qui ayent de quoi vivre par ce moyen; & que le plus grand nombre soufre patiemment chez soi la pauvreté; où'en peu de temps leur esprit & leur bien vient si petit qu'à peine à leur discours, ou à leur air pourroit-on croire qu'ils soient gentils hommes.
Dans ce païs les richesses & la valeur étoient autrefois les seuls titres de Noblesse; ils ne prenoient aucun degré ni aucunes lettres du Roy. Mais dans ces dernieres années on a donné quelque petits titres de Baron & de Comte aux favoris pour suppléer au [Page 77] manque de richesses; par ces titres ils n'ont pas les mèmes privileges que les nôtres ont en Angleterre mais ils se contentent d'un petit air vain qui les distingue du commun. Il n'y en a pas à ce que je crois plus de quinze ou de vingt. Ceux cy sont tels, qu'ils sont fort accommodés de biens & sont même obligés asin de se conserver, de frequenter la Cour comme aussi tous ceux qui ont dessein de vivre & d'avoir du pain à manger.
C'est la seule Noblesse avec titre qui a la liberte de faire son Testament & de disposer de quelque partie de ses biens contre les Lois, pourvû que le Testament durant la vie du Testateur ait été approuvé & signé du Roy & alors il est bon & valable.
Il est fort inutile de dire qu'icy il n'y a personne qui vende on achete de terres; car là où le bien est à charge il y a peu d'acheteurs, aussi je ne me souvien pas qu'on ait aliené pour de l'argent, durant quej'y ay demeuré, quelques terres, excepté quelques biens que la Reine acheta, & elle donna 16000 Ecus de ce qui trente ans auparavant avoit été estimé 60000 Ecus. A la verité il y a quelques personnes qui prenent des terres du Roy pour l'argent [Page 78] qu'ils ont preté à la Couronne, & entre ceux là j'ay oui dire à Monsieur Texera riche juif de Hambourg, & à Monsieur Marseilles Marchand Hollandois qui s'étoit autrefois établi à Copenhague, qu'ils furent forcés de prendre des terres ou de perdre ce qui leur étoit dù & qui montoit à quelques cents mille Ecus. Cependent ces terres quoique de grande étendue & fertiles leur rendoient si peu à cause des taxes, qu'ils les cederoient volontiers, comme on m'a dit, pour la quatriéme partie du principal.
Quoy qu'il en soit si quelqu'un avoit le dessein d'aller demeurer eu un autre endroit & qu'il trouva quelqu'un qui voulut acheter son bien, la Loi est que la troisieme partie de l'argent reviendra au Roy; & à la verité si les Lois n'étoient pas severes contre l'alienation des biens il est à croire que les Possesseurs, à la premiere occasion, quitteroient le païs.
Le Roy s'attribue le pouvoir de marier les heritiers & les heritieres de quelque consideration, comme on le pratique en France non qu'il y ait quelque Loi sur ce sujet mais sur peine de sa disgrace.
Les Emplois Militaires sont autant [Page 79] recherchés par la Noblesse du païs que les Civils, par la même raison que la Pretrise l'étoit entre les Juifs & cela pour avoir du pain. Car c'est un seur moyen de trouver de soldats aussi long-temps qu'il y aura des gens dans le Royaume d'imiter le Roy de France dans ce qu'il prarique, & de rendre comme luy la Noblesse pauvre & le Negoce sans aucun profit & honneur; par ce moyen les gens de qualité & la moitie de la nation se mettant dans la servitude s'employeront à mettre les autres dans les fers.
Cependant en Danemarc ceux du païs sont moins estimés que les étrangers & sont plus éloignés des emplois, soit à cause que la Cour croit quelle peut mieux se confier aux étrangers dont elle fait la fortune qu'à ceux qui descendent de ceux dont elle a ruiné leur fortune, ou bien qu'elle croye que leur courage s'est affoibli avec leur bien & leur liberté, ce qui se voit clairement dans le commun du peuple ou pour quelque autre raison; quoy qu'il en soit c'est une chose certaine que les charges tant militaires que civiles sont plûtôt données aux étrangers qu'aux gens du païs. On remarque aussi que dans les emplois on prefere [Page 80] les personnes de mediocre fortune & de mediocre naissance à ceux d'une plus relevée, tellement qu'on voit dans les emplois les plus lucratifs & les plus honorables des gens qui ont été autrefois valets; & ceux ci font mieux executer la volonté & le bon plaisir du pouvoir arbitraire, aussi leur fait-on des grandes caresses. De plus dans l'avancement de telles personnes il y a encore un autre avantage, qui est qu'aprés qu'ils se sont enrichis par extorsion & qu'ils ont succé le sang du peuple & que l'on crie contre eux, la Cour peut facilement presser ces sangsües en jettant le blame sur eux sans s'exposer au me contentement de la Noblesse & d'une vingtaine de personnes qui sont leurs parens & alliés. La difficulté qu'il y a de se procurer un entretien consolant & le peu de seureté qu'il y a de jouir de ce que l'on a amassé par industrie sont la cause de la prodigalité non seulement de la Noblesse, qui est un peu plus aisée mais encore des Bourgeois & des Païsans; ils sçavent qu'ils ne vivent que du jour la journée, aussi dés qu'ils ont gagné quelque chose ils le depencent. Ils vivent aujourd hui comme dit le Poëte sans sçavoir que ce qu'ils ont à présent, leur peut étre ôté demain. C'est [Page 81] pourquoy la depence en Carosses, en trains, en habits &c. n'est pas plus commune ni plus excessive à raison des revenus, en aucun endroit qu'icy. L'epargue est souventefois non seulement la cause, mais encore une marque de richesses; plus un riche a, plus il tache d'acquerir des biens & d'augmenter son fond. Mais icy le Courtisan n'achete pas des terres; il mêt son argent sur la banque d'Amsterdam ou d'Hambourg; le Gentil-homme depence d'abord sur luy ou pour ses plaisirs tout ce qu'il a gagné de peur qu'il a de passer pour riche, ou qu'on ne lui ôte par des taxes, avant qu'il l'ait beu ou mangè. Le marchand & le bourgeois font le méme & ne subsistent que par le credit, icy il y a peu de gens riches de 100000 Rixdales. Dés aussitòt que le Païsan a gagné une Rixdale il la depence le plutot qu'il peut en brandevin, à moins que so [...] maitre dont il est esclave ne le vienne à sçavoir & qu'il ne la lui ore ainsi.
Les villes & villages marchands, si l'on en excepte Copenhague dont la situation & le port l'enrichit un peu malgré ce mauvais usage, sont tombés [Page 82] en decadence. Les Bourgs qui autrefois prêtoient dans des occasions extraordinaires des grosses sommes au Roy & qui fournissoient les Hollandois tous les ans de dix à douze vaisseaux chargés de grains, ne peuvent pas à present lever 100 Rixdales, ni charger un petit vaisseau de seigle comme on le peut prouver par Kiog, petite ville maritime, qui du temps de Chrêtien IV. levoit pour le service du Roy dans vingt & quatre jours 200000 Rixdales; cependant j'ay oui dire que dans la derniere taxe les Collecteurs furent contrains de prendre de cette ville comme aussi des autres en la place de l'argent, des vieux li [...]s de plume, des bois de lit, des pots de cuivre, de la vaisselle d'étain, des chaises de bois, ce qu'ils ôterent de force à ceux qui ne pouvoient pas payer, & on les priva de tout ce qui est necessaire pour l'usage de la vie.
On a taché d'introduire quelques manufactures non pas tant dans la veile de faire du bien au public que d'enrichir quelques courtisans & quelques gens de grande qualité qui en sont les entrepreneurs & qui esperent d'y faire des grands profits. Les principales sont celles de la soye & des verres a boire [Page 83] mais en fort peu de remps elles sont venües à rien. Car c'est une regle trés seure que les métiers ne sont pas poussés dans les endroits où il n'y a pas des recompenses & du profit, & où ce que l'on possede n'est pas a couvert, & où ensin le credit des sujets est autant petit que leurs richesses sont incertaines.
Si c'est là la condition du Gentilhomme & du Bourgeois, quelle peut étre celle du pauvre Païsan? dans la Zéeland ils sont aussi esclaves que les Negres dans les Barbades, mais avec cette difference que leur nourriture n'est pas si bonne, Ni eux ni leur posterité ne peuvent pas quitter la terre à laquelle ils apartienent. Les Gentilshommes comptent leurs richesses par la quantité de Païsans comme nous icy par la quantité du betail, & plus ils en ont plus ils sont riches. En cas de vente ils sont vendus comme appartenans au franc fief justement comme nous faisons des arbres propres à la charpante. On ne compte pas icy par nombre d'argent mais par nombre de Païsans qui appartienent au proprietaire avec tout ce qu'ils ont. Le corps des riches Paisans qui est puissant en Angleterre n'est pas connu en Danemarc; [Page 84] mais ces pauvres esclaves aprés qu'ils ont fait tous leurs efforts à lever les taxes du Roy, doivent donner le surplus aux maìtres des terres qui sont aussi pauvres qu'eux. Si un de ses pauvres miserables se fait connoitre laborieux, s'il tache de vivre un peu mieux que ses camarades, & s'il a reparésa metairie en la rendant plus commode, plus agreable ou plus belle, on le fait passer de cette ferme dans un autre de pourveüe de tout & miserable, afin que son maitre avare ait plus de rente, en plaçant un autre dans la terre qui a été ainsi ameliorée, tellement que dans quelques années il y aura icy apparemment peu ou point du tout de maiteries, quand celles qui sont deja baties seront tombées par l'age ou par la negligence.
Le quartier & la paye du soldat est un autre Grief. Ceux qui sçavent qu'elle incommodité c'est d'étre toùjours tourmenté par un insolent locataire qui domine partout où il demeure conviendront d'abord que c'est un malheur insuportable. Et quoyque ce Païs ait de la disposition à étre bien peuplé les femmes étants extremement fecondes ce quel'on prouve par la grande quantité de peuples qui sortirent autrefois de [Page 85] ces quartiers & qui coururent toute l'Europe. Cependant il est à present mediocrement peuplé; car les chagrins de l'esprit, la mauvaise nourriture & la pauvreté sont des grands obstacles à la generation. Autrefois les Païsans vivoient tres heureux; il y avoit peu de familles qui n'eussent une ou deux grandes pieces de vaisselle d'argent sans compter les cuillers d'argent, les bagues d'or & quelques autres jouets d'enfant d'argent, ce qu'ils aiment encore aujourd'hui passionnement, (& quand ils ont quelque argent ils le depencent en des telles choses parce qu'ils n'osent pas le garder, l'inclination de depencer étant à present si generale), mais aujourd'hui c'est une chose rare de trouver dans la maison d'un Paisan quelque chose faite d'argent, ou à la verité quelque autre utensile de valeur, à moins que ce ne soit des lits de plumes qui sont ici tres bons, & en plus grande quantité qu'en aucun autre endroit que j'aye vù; ils s'en servent non seulement pour y dormir dessus, mais encore pour se couvrir.
Entre toutes les charges qu'on a mises sur les pauvres Païsans, celle-ci me paroit la plus grande, qui est l'obligation où ils sont de fournir des chevaux & [Page 86] des chariots au Roy, à toute la famille Royalle & à toute leur suite, & pour leur bagage quand il va faire quelque voyage ou dans le Jutland ou dans le Holstein, ou l'Ile de Zéeland, même quand il ne va qu'à Fredericsbourg & à Yagersburg. Alors tous les Païsans qui sont proche la route ou dans ce territoire sont avertis d'attendre avec leurs chevaux & leurs chariots, dans des certains endroits où ils se relevent les uns & les autres, & c'est toûjours à leurs propres frais pour les hommes & pour la nourriture des chevaux durant deux ou trois jours; sans qu'on aye egard à la saison qui est ordinairement celle de la moisson ou sans prendre le tems le plus commode à ces pauvres miserables. Je les ay souvent vù avec cent chariots attendant l'arrivée de la Cour & deplorant leur mauvaise fortune, & d'abord que le Roy & ses carrosses sont arrivés avec ceux des autres personnes de qualité on les attelé de fix ou huit chevaux (car ils ne sont pas plus hauts que des veaux), & chaque laquais prend un Païsan & un chariot pour son propre usage, & alors si le pauvre Païsan ne consent à tout & ne le souffre patiemment sans repliquer [Page 87] un mot, il est battu & maltraité, ce qui m'a souvent fait compassion. Ce n'est pas seulement quand le Roy lui même voyage que les Païsans sont dans ce trouble, c'est encore quand quelque personne de qualité ou quelque Officier doit faire un voyage, & qu'il a eu ordre du Roy.
L'Apoplexie, & le mal caduc sont ici des maladies épidimiques, on passe à peine par les ruës de Copenhague sans en voir quelqu'un couché sur le ventre ayant l'ecume à la bouche, & une troupe des gens autour tous étonnés. Je ne sçai à quoi l'attribuer à moins que ce ne soit à la mauvaise nourriture du commun qui est generalement de viande salée, de morües & de choses semblables. Les apoplexies entre les personnes de qualité viennent souvent de l'excés de boire & du mécontentement. Car il est ordinaire ici de voir de gens morts d'une maladie qu'ils appellent Ilacht qui est une apoplexie qui vient du mecontentement & du trouble d'esprit. Mais en recompense il y en a peu ou point du tout qui soient tourmentés de la toux, des fluxions, de la consomption & de semblables maladies du poulmon; tellement qu'au milieu de l'hiver dans les [Page 88] Eglises qui sont pleines, on n'entene aucun bruit qui interrompe l'attention qu'on doit au predicateur. Pour moi je croi que leur poiles, & leur feu qui est du bois d'hestre sont la cause qu'ils sont exempts de telles maladies & que nôtre charbon les cause parmi nous a Londre; quoi que l'ingenieux Chevalier William Petty soit d'un autre sentiment. Car à tous autres égards soit de l'air ou de la situation, nous avons l'avantage sur eux.
La table des gens de qualité est trés bien couverte. Cependant je ne puis pas loüer leur bonne chere; parce que la viande est generalement maigre & de mauvais goùt (si l'on en excepte le beuf & le veau) particulierement les oiseaux privés; la maniere de les engraisser n'est pas connuë de plus de deux ou trois, qui l'ont apris d'un Poulalier Anglois qui s'est habitué à Copenhague; le mouton y est tres rare, & ordinairement mauvais; on mange difficilement les canards sauvages, & jamais les pluviers. Il n'y a pas ici des phesans, des becaces, des lapins ou des betes fauves; il y a bien des dains, mais c'est le gibier du Roy, & on n'en trouveroit pas pour de l'argent. Les lievres sont [Page 89] bons, & le lard est excellent. De tems en tems on trouve bien un chevreüil au marché, mais il est ordinairement maigre. Le poisson de mer est rare & mauvais, celui de Riviere en repare le defaut, car il y a ici les meilleures carpes, perches & écrevices qu'on puisse trouver ailleurs. On ne doit pas attendre du Nort des fruits extraordinaires, cependant les gens de qualité qui sont fort addonnés au jardinage en ont des passables; & la plûpart sont si curieux qu'ils ont de bonne heure des melons, des raisins, des peches, & de toute sorte de salades bien conditionnées. Le beurre est tres bon, mais le formage est tout-à-fait mauvais. En general leur maniere de faire la cuisine plairoit difficilement à un Anglois.
Ils sont fort addonnés au boire; les liqueurs qui sont le plus en vogue parmi les gens de qualité sont le vin du Rhin, le brandevin de ce [...]ise & tous les vins de France. Les hommes l'aiment passionnement, & le beau sexe ne le ref [...]se pas. Ceux du menu peuple qui ont de quoi se divertir, le font avec de mauvaise bierre & du brandevin de Danemarc fait avec l'orge.
[Page 90]Les Geutils hommes & les Officiers sont fort propres en habits faits à la mode de France; mais les habits d'hiver des Dames sont faits à la mode Danoise, & ils siend bien. Les Bourgeois, les valets, & même les Païsans sont propres, ils aiment de changer de linge blanc qui est ici à fort bon marché, car les femmes employent tout leur loisir à filer. Tout le peuple a un peu de vanité, car l'orgueil & la pauvreté se tienent souven: compagnie l'un à l'autie.
Leurs mariages sont ordinairement precedés d'un contract, ils demeurent quelquefois trois ou quatre ans, & même plus de comparoitre devant le ministre & d'en faire les nôces, souvent les promis se connoissent avant qu'on aye fait ces formalités. La Noblesse donne une dot aux filles, mais les Bourgeois & les Païsans, s'ils ont les moyens ne leur donnent que les habits, que quelques meubles & un grand repas, & rien plus avant leur mort.
La Noblesse fait grand cas des enterremens superbes & des tombeaux magnifiques; on garde ordinairement le corps d'une personne de qualité plusieurs années dans une voute ou [Page 91] dans le choeur de quelque Eglise jusques à ce qu'une occasion de celebrer les funerailles se soit presentée; les plus pauvres sont mis dans des caisses épaisses; & dans les Villes en chaque paroisse, il y a environ une douzaine de gens qui portent le deuil, qui sont obligés de les porter & de les suivre jusques au tombeau. Le commun du peuple a peu d'esprit, & n'est pas guerrier comme autrefois; il est enclin à tromper, il soup çonne toûjours qu'un autre a dessein de le tromper, c'est pourquoy il s'ecarte à regret du chemin qu'il a accoutumé de tenir; si vous lui offrés beaucoup de l'argent pour une chose qui ne se vend pas ordinairement, il refusera de la donner parce qu'il soupçonne que dans un tel achat vous y voyez quelque profit qu'il espere de decouvrir bien qu'il lui soit inconnu. Je me souviens d'une histoire, dont je vai vous faire le recit qui vous faira connoitre le naturel du commun peuple mieux qu'aucune description.
Ayant vû un grand troupeau d'oisons dans des champs proche de la Ville, j'envoyai en acheter quelques unes, mais les Païsans n'ayant pas accoutumé de les manger que quand [Page 92] elles sont grosses & vielles, on ne par jamais les porter à en vendre une, quoi que l'on leur offrit pour une oison le double de ce que l'on donne, quand elles sont grosses. Ils demanderent ce que nous voulions acheter d'eux, ce que nous en voulions faire &c. Ca [...] on ne put jamais les persuader que quelqu'un fut si fou que d'en manger lors qu'elles êtoient jeunes. Une semaine aprés, une vielle femme à qui on avoit offert de l'argent pour une douzaine vint & en porta quatre à vendre, disant quelle ne s'étoit pas bien portée, ni que ses oyes n'étoient pas venues grosses depuis qu'elle avoit refusé de les vendre à un bon prix; que le milan en avoit tué la nuit precedente huit, & que les quatre qui restoient étoient à mon service. Ainsi la superstition de cette vielle femme me procura le moyen de manger pour la premiere fois des oisons en Danemarc. Mais aprés qu'ils sçeurent que nous les engraissions & que nons les tuions pou [...] les manger, ils nous en fournirent autant que nous en voulumes. Les jours de marché ils vous demanderont autant de la viande puante que de la freche, & de la megre que de la grasse, si c'est de la même espece. C'est un moyen [Page 93] seur de ne pas avoir ce que vous voulés acheter & qu'ils souhaitent de vendre si vous faites semblant de l'estimer & si vous le demandés avec importunité. Cecy n'est pas seulement particulier au commun peuple.
Je n'ay jamais vû qu'ils soient, propres à imiter ce qu'on a inventé dans d'autres Païs; & pour l'invention il n'y en a eu aucun depuis le fameux Tiche brahe; on voit icy peu ou point du tout des livres ecrits; il n'y en a que quelques uns de religion faits par les Ecclesiastiques. Durant les trois ans que j'ay demeuré icy on n'a fait que quelques chansons & quelques airs. Les divertissemens sont fort rares; & depuis ce fatal Opera où plusieurs centaines de personnes perirent il y a quatre ans dans le palais de la Reine Douairiere ils se contentent de courir le Mardi Gras au jeu de l'oye, & dans l'hyver de prendre le divettissement des traineaux couverts de peaux & de fourrures. La Cour & tout le peuple aiment avec passion ce divertissement. Peut-étre on croira que c'est une petite remarque si je fais observer que personne ne va en traineau avant que le Roy & la Cour ayent commencé; que le Roy passe [Page 94] le premier le nouveau pont, & que les horologes de Copenhague ne sonnent pas les heures avant celui de la Cour.
Il est fort difficile aux étrangers de trouver en Danemarc des endroits commodes pour y loger & pour y manger; même à Copenhague il y a peu de maisons de particuliers où on y loge; & dans les cabarets on doit se contenter de manger & de boire dans une chambre commune, où d'autres peuvent entrer & faire le même à une autre table, à moins que l'on ne venille plus que l'ordinaire.
Le langage est fort des-agreable & ressemble fort à l'Irlandeis dans ses tous plaintifs: le Roy, la Cour, la Noblesse & plusieurs des Bourgeois se servent de l'Allemand daus leurs discours ordinaires, & du François lors qu'ils parlent aux étrangers.
Les mots d'une syll [...]be sont les mêmes que dans l'Anglois, & sans doute nous les tenons des Dauois, & les avons gardés depuis qu'ils se rendirent maîtres de l'Angleterre.
CHAPITRE. IX. Du Revenu du Roy de Danemarc.
LE revenu du Roy de Danemarc provient de trois chefs; le premier des Taxes & imposts levés sur ses sujets; le segond des Coûtumes payées par les Etrangers; le troisieme des rentes qu'il t [...]e de son propre bien des terres qui apratiennent à la Couronne & des confiscations. Nous traiterons d'un chacun à part.
Les Taxes qui sont payées par ses propres sujets, sont en certains cas fixées, en d'autres elles sont arbitraires; quand je mêts de la distinction ce n'est pas pour faire entendre que le pouvoir du Roy foit limité en aucune maniere; mais seulement pour faire voir, qu'il suit en de certaines Taxes les regles qu'il a lui même établies; en toutes les autres il change souvent,
De la premiere sor [...]e sont premierement les coûtumes, ou droits d'entrée & de sortie; en segond lieu l'Excise, que l'on apelle communement la Consomption, qui est sur le ráabac, le vin, le sel, le blé, &c. & sur toutes [Page 96] sortes de choses que l'on peut manger ou boire, & que l'on porte dans les villes qui dependent du Roy de Danemarc. Ce sont là les grandes Taxes, dont la derniere est assez sévére. En 3. lieu de cette même sorte de Taxes il y en a de petites, comme celle qui est sur les mariages par laquelle tous ceux qui se marient, payent pour la Licence selon leur qualité; cela raporte un assés joli revenu, & se monte en certaines rencontres à trente ou quarante Rixdales pour châque licence. En quatrieme, lieu, une Taxe surle papier marqué sur lequel toutes les obligations, les contracts, les copies d'actes de Justice, Privileges, Passeports, &c. doivent étre écrits autrement ils seroient de nulle valeur. Cette Taxe là est fort ïncommode puis qu'il y a de cette sorte de papier, dont la feüille coûte plusieurs Rixdales. En 5. lieu les Taxes pour avoir permission de moudre, de brasser, & de plusieurs autres choses dont je parleray cy aprés. Mais celle cy & leurs pareilles sont certaines, c'est à dire chacun sçait ce qu'il doit payer, selon une ordonnance qui est à present en usage, qui toutefois peut étre changée selon le bon plaisir du Roy. La seconde sorte de [Page 97] Taxes est sur les terres, que l'on ne compte pas par acres mais par fermes: assavoir, tant pour chaque quantité de terre sur la quelle on poura semer, un tonneau de blé dur, par le blé dur on entent le froment & le seigle; & selon la fertilité de la terre, la saison de l'année, les moyens du propriétaire, chaque ferme est taxée, ou plus ou moins, mais rarement moins.
En second lieu la Taxe par tête qu'on leve quelque fois deux fois par an, & on l'impose selon les moyens de la personne dont il s'agit, elle n'est pas fixée comme ailleurs, où tout le monde de quelque rang que l'on soit paye également.
En troisieme lieu, la Taxe pour les Fortifications, qui est un argent levé pour ou sous pretexte de faire des Fortifications, pour la defence du Royaume &c.
En 4. lieu la Taxe du Mariage, qui est quand la fille du Roy de Danemarc doit étre mariée, dont la dot n'est communement que 100000 Ecus; mais sous ce pretexte on se sert de l'occasion pour en lever d'avantage.
En 5. lieu, la Taxe sur les métiers, par laquelle chaque Artisan est taxé [Page 98] pour la liberté d exercer son métier, selon ce que l'on juge qu'il gagne. Et de plus il est obligé de donner aux soldats un logement chez luy.
En sixieme lieu, la Rente pour les fonds, de toutes les maisons qui sont dans Copenhague & dans toutes les villes de Danemarc les quelles sont taxées par le Roy comme il lut plaît, selon la valeur de la maison, les moiens de celui à qui elle apartient, ou selon la somme qu'il a dessein de lever alors.
Dans le Holstein & dans le Duché de Sleswick les terres sont taxées par charües, châque charüe payant tant par mois.
Pour commencer par la premiere sorte de Taxe dont les prix sont connus & fixés, il seroit necessaire en parlant des Coûtumes & des Excises, de copier le livre entier des impôts mais je crains d'étre ennuyeux; neanmoins afin de n'oublier rien de ce qui est de quelque importance, & pour vous donner une idée qui vous fasse juger du reste; pour mesurer Hercules par son pied, j'insereray quelques particularités, desquelles pour en juger juste, on ne doit pas toûjours regarder seulement à la quantité, ou à la rareté de l'argent qu'il y a dans le Païs, mais aussi à la [Page 99] bonté de la marchandise; par exemple quand je parle d'un boeuf gras, il ne faut pas s'imaginer, que je pense qu'il soit tel que ceux que l'on vend dans nos marchés en Angleterre, mais plûtôt comme ceux que vous voyés qui vienent du Païs de Galles ou d'Eccosse & ainsi des autres choses qui concernent la Taxe apellée la Consomption, & on doit compter qu'une Rixdale, vû la disette d'argent, va à plus de trois écus chez nous.
Droits d' Entrée.
Rd: | Sols. | |
de Barres de fer payent d'entreé | 02 | 00 |
Fer travaillé | 05 | 16 |
Cuivre | 00 | 32 |
Fil d'archal d'unc sorte. | 15 | 00 |
Fil d'archal d'autre sorte. | 20 | 00 |
Vessaille d'étain. | 15 | 00 |
Etain en lingor. | 00 | 18 |
Plomb. | 00 | 12 |
Cent livres pésant d'acier | 00 | 24 |
une livre vif argent. | 00 | 02 |
une aune de drap de quelque prix qu'il soit | 00 | 08 |
une aûne de soye creûe | 00 | 12 |
un chapeau. | 00 | 32 |
une piece de 20 aûnes de gros drap que l'on apelle Kersey | 01 | 08 |
[...]2 paires de bas d'estame | 01 | 00 |
50 aûnes de ruban uni | 00 | 24 |
24 aûnes de ruban avec or & argent | 00 | 1; |
12 paires de gans | 00 | 24 |
une veste brochée | 00 | 12 |
un autre veste | 01 | 05 |
un cheval | 01 | 32 |
une douzaine de couteaux | 00 | 33 |
une charge de charbon | 00 | 15 |
100 citrons. | 00 | 08 |
Capres | 00 | 40 |
Raisins de Corinte. | 01 | 02 |
Raisins | 00 | 33 |
Canelle | 06 | 00 |
Confitures | 04 | 08 |
Liege | 03 | 00 |
Muscade | 04 | 08 |
Cire a cacheter | 04 | 08 |
Coûtume ou Toll. | Consomptiec [...] ou Excise. | |||
Rd. | Sols. | Rd. | Sols. | |
Un baril de suis | 03 | 00 | 01 | 16 |
u [...]e livre de tabac en feüilles | 00 | 00½ | 00 | 03 |
une livre de tabac roulé, ou à prendre par se nez. | 00 | 04 | 00 | 03 |
Rd. | Sols. | Rd. | Sols. | |
un muy d'orge | 00 | 20 | outre la consomption. | |
un muy de toute sorte de farine | 00 | 26 | ||
un barii de boeuf salé | 0 [...] | 05 | ||
une rame de papier | 00 | 05 | ||
un baril de b [...]uire | 03 | 00 | 00 | 32 |
une livre de fromage poids de navire | 03 | 00 | 00 | 14 |
une Lest de seld Espagne | 15 | 00 | 00 | 36 |
une Lest de sel de France | 08 | 00 | 00 | 36 |
une Lest de sel de Lunebourg | 24 | 00 | 00 | 36 |
un muy de vin de France | 06 | 32 | 05 | 00 |
un muy de vinaigre | 04 | 32 | 03 | 00 |
un Ahm de vin du Rhin, de Canaries, & d'autres vins forts. | 08 | 00 | 06 | 00 |
un Ahm d'eau de vie de France ou du Rhin. | 10 | 32 | 03 | 16 |
un muy de cydre | 04 | 32 | 02 | 16 |
un baril de harans salez | 01 | 32 | 00 | 04 |
de Saumon | 01 | 32 | 00 | 12 |
de Biere | 02 | 00 | 00 | 32 |
un Lispond de plume | 02 | 12 | 00 | 02 |
Excise on Consomption | ||
Rd. | Sols. | |
un boeuf qui entre dans la ville paye | 01 | 16 |
mais à Copenhague | 02 | 00 |
un veau à Copenhague | 00 | 16 |
partout ailleurs | 00 | 08 |
une brebis, un cochon, ou une chevre | 00 | 06 |
un chevreüil, | 00 | 32 |
un Cochon de lait | 00 | 01 |
un lievre | 00 | 04 |
un dindon | 00 | 03 |
un oye | 00 | 0½ |
une couple de pigeons | 00 | 0½ |
de canards | 00 | 02 |
de perdrix | 00 | 04 |
de merles & grives | 00 | 01 |
20 oeufs | 00 | 00 [...] |
20 anguilles séches, braimes & autres. | 00 | 02 |
20 brochetons secs. | 00 | 01 |
un Saumon | 00 | 06 |
une cruchée de [...]ait | 00 | 02 |
un baril de vian de salée, | 01 | 00 |
ou de tripes qui viennent par terre à Copenhague. | 01 | 00 |
Dans les autres villes | 00 | 32 |
La même chose par mer à Copenhague | 00 | 32 |
Excise on Consomption | ||
Rd. | Sols. | |
dans les autres villes | 00 | 24 |
la moitie d'un cochon salé ou fumé | 00 | 02 |
un baril de langues | 01 | 00 |
un baril de miel | 00 | 24 |
un baril de pois & féves | 00 | 08 |
de panets & de naveaux | 00 | 0½ |
un boisseau de noix | 00 | 02 |
une bote d'ognions | 00 | 01 2/1 |
un baril de houblon | 00 | 06 |
un Firkin de savon | 00 | 12 |
de graine de moutarde | 00 | 04 |
de graine de lin & de chanvre | 00 | 0 |
une charge de cheval, de foin entrant dans la porte | 00 | 02 |
une charge de cheval de charbon | 00 | 04 |
de paille | 00 | 04 |
de choux verds | 00 | 01 |
de tourbes ou de bois par terre | 00 | 01 |
de bois de hestre par mer | 00 | 04 |
de petites buches | 00 | 02 |
de bouleau | 00 | 01 |
d'ecorce d'arbres | 00 | 02 |
Les planches, les ais de chesne & de hestre, payent un par [Page 104] cent, par lest selon la charge du navire. | ||
un mât de navire de 28 paumes de long paye | 30 | 00 |
de 21 paumes | 11 | 00 |
de 13 paumes | 00 | 24 |
entre douze & 8 paumes par douzaines | 02 | 24 |
au dessous de 5 paumes par douzaines | 00 | 12 |
[...]e reste à proportion |
Consomption ou Excize. | ||
Rd. | Sols. | |
une peau de daim sans étre aprétée | 00 | 02 |
aprétée | 00 | 04 |
dix peaux de veau | 00 | 02 |
dix peaux de brebis | 00 | 01 |
un cuir de boeuf | 00 | 02 |
tanné | 00 | 04 |
dix cuirs d'Angleterre | 00 | 24 |
un baril de seigle moulu pour faire du pain, paye au Roy pour la mouture | 00 | 16 |
moulu pour faire du Brandevin | 00 | 32 |
un baril de froment moulu en fine farine | 00 | 40 |
un baril de malte pour un brasseur | 00 | 32 |
Consomption ou Excize. | ||
Rd. | Sols. | |
pour la maison d'un particulier | 01 | 00 |
d'avoine à faire du grueau | 00 | 08 |
Une Rixdale vaut un pen moins qu'un Ecu d'Angleterre; un Sol est plus qu'un Sol d'Angleterre & 48 Sols font une Rixdale.
Une Lispound signifie vingt livres pesant.
Une aûne de Danemarc est un tiers moindre que la nôtre ou environ.
Il y a des moulins publics affermez par le Roy à de certaines personnes où tous les habitans de Copenhague sont obligés de moudre, sous peine d'amande, & de payer le droit dont nous avons parlé pour la mouture; aucun particulier ni Brasseurs n'ayant permission de moudre, sa propre Malte * ni de cuire son propre pain.
Il n'est pas necessaire de parler d'avantage de la Taxe pour les licences du mariage, on de celle du papier marqué, puis que j'en ay de ia fait mention. Celle de la seconde sorte, assavoir sur les terres, sur les Maisons, & [Page 106] de celle par tête & de l'argent de Fortification qui haustent & rabaissent on n'en sçauroit faire le compte juste; quoy qu'il en soit je tächeray de les calculer, lors que j'assembleray le Total du Revenu suivant ce qu'il a riporté dans ces dernieres années, lequel étoit asses haat, comme aussi selon ce qu'elles raportent à present, ou qu'aparemment elles reporteront à l'avenir.
Il y a quelques années, depuis les dernieres guerres avec la Suede, que le Roy fit estimer & enregistrer toutes les maisons dans les Villes & Bourgs de ses Etats, & fit aussi mesurer toutes les terres de la Campagne, afin de mieux proportioner les Taxes quand il en youdroit lever; celles cy sont à present sur pié & on les leve selon les biens & les revenus d'un chaqu'un, quoi que je pense que quand même il y auroit guerre, ou quel qu'autre necessité pressaute, ses spiets ne pouroient, porter un plus pésant fardeat: car à la Campagne, la Noblesse & le païsan sont presque ruinez. Dans les Villes & Bourgs les maisons payent par an 4. par cent pour la Taxe du fond, le fond étant apretié à la même valeur que si on le vouloit acheter; il est apretis par des Commissaires nommés po [...] [Page 107] cet effet selon la quantité de terre ou la commodite du lien: d'avantage, á autant de cent Rixdales que la maisou est estimée, autant les habitans sont obligés de loge [...] de Soldats. Telement qu'un marchant de vin du Rhin [...] & qui n'est pas des plus riches) à Copenhague a qui on a estimé le fond de sa maison à neus ceens Rixdales, doit payer pour sa Taxe 36. Rixdales & loger neuf soldats sur le compte de s [...] [...]son, & trois d'avantage sur le co [...]te de son trafic, On observe le même proportion envers tous les a [...]t [...]es. Pour ce qui est des maisons & du trafic, il y a d'ordinar eicy tous les ans une Taxe par tète, & si par has [...] il n'y [...]u a point dans une année, on la double la suivante; la plus basse est selon les proportions survantes, un Bourgeois que l'on estr [...]e riche de huit on dix m [...]les Rixdales en paye 4. pour sa personne, quarre pour sa semme & deux pour chaqu un de ses enfans, pour chaque s [...]rviteur ou domestique une, pour chaque cheval une; un cabaretier [...] me [...]e pa [...]e pour sa personne une Rixdale, une pour sa semme, pour cháque enfant 24 Sols, & pour cháque do nessique 16. Sols.
Il y a envison deux ans qu'd y avoit [Page 108] une Taxe par tête plus haute qu'à l'ordinaire, & alors on observoit cette proportion. Un fermier de la coûtume payoit pour sa personne vingt quatre Rixdales, pour sa femme 16. pour sa servante deux, & une pour les autres domestiques; un bourgeois que l'on estimoit riche de six ou huit mille Rixdales payoit pour sa personne six Rixdales, pour sa femme 4. pour chaque enfant 2. & une pour chaque domestique & ainsi des autres selon leurs moyens differens.
La fortification Schatt, est une Taxe, dont on se souviendra long-tems; iors qu'on la leva en 1691 on se servit de ces regles pour la faire payer. Tous les domestiques du Roy payoient 20. par cent des gages qu'ils recoivent annuellement. Tous les officiers de l'armée à commencer par les Capitaines & ainsi au dessus payoient 30. par cent de leur paye, quoi qu'on eût ac coutumé de les exempter de pareilles Taxes. La Noblesse & les gentils-hommes payoient à proportion de leurs rangs & de leurs biens. Les plus hauts comme le Comte de Guldenleew &c. payoient de puis sept cents jusqu'à mille Rixdales chacun, les bourgeois étoient Taxés selon leurs moyens [Page 109] differens. Les plus riches payoient, depuis cent jusqu'à quatre cens Rixdales chacun: les mediocres marchants ayant vaillant six ou huit mille Rixdales en payoient 40. Un Apothicaire 66. Un marchand de vin 55. Les communs bourgeois huit ou dix chacun; les plus pauvres une ou deux & ainsi des autres. Cette Taxe là raporta autant qu'un autre apellée Kriegs-Sture que l'on imposa au commencement de la guerre, & elle monta à environ sept cens mille Rixdales en tout; mais il est trés certain que le peuple ne peut pas la payer à present, & par consequent elle sera de beaucoup plus basse.
Lors que l'on parla de marier, la fille unique du Roy au present Electeur de Saxe on avoit eu intention de lever la Taxe du Mariage, & on l'auroit effectivement levée en cas que le mariage eüt reüssi: mais à present on ne parle plus ni de l'un ni de l'autre, encore qu'il n'y ait aucun Royaume en Europe qui puisse se vanter, d'avoir une Princesse qui ait autant de merite.
Par tout cecy je ne doute point qu'un lecteur Anglois n'ait du degoût pour la Relation que je lui ai donnée des [Page 110] Taxes imposees sur les subjets du Roy de Danemarc; mais cela le doit beaucoup satisfaire, lors qu'il fera reflexion que par les bons reglements qui sont dans son Païs & par la prudence & la valeur de nótre Roy (encore que nous possedions dix fois plus d'avantages naturels que les Danois, ce qui nous rend aussi dix fois plus riches) nous ne payons pas pour tout cela pour entreteni. la plus juste, & la plus necessaire guerre qui ait jamais été [...]aite, la troisieme partie a proportion de ce que les sujets du Roy de Danemarc payentdans une profonde paix. Pax servier u [...]us gravior est, quam liberis bellum. Tacit. lib. An. 10.
Le second chef d'où procede la plus considerable partie du revenu du Roy, est la coútume ou la Taxe que payent les Etrangers. Ceux cy payent quelque chose d'avantage pour les marchandises qu'ils transportent que les gens du Païs ou bourgeois, & payent encore le droit d'auerage dedans les Ports.
Les Danois quand ils vont d'un de leurs propres ports dans un autre, payent quatre Sols par lest, & dix Sols des ports etrangers, au lieu que les navires etrangers en payent douze, mais ce qui est de plus grande importance au Roy c'est la Taxe (que payent [Page 111] les Etrangers, excepté les Suedois, pour le passage du Sund) & les coûtumes de Norvegue. J'ay dans un autre endroit, donné un ample recit de l'origine & du progrés de cette Taxe avec la copie d'une lettre, qui donne le calcul du revenu qui en procede à present; ainsi il ne sera pas besoin que je re [...]ete ce que j'ay de ja dit, je dirai seulement en general quelle est bien abaissée de ce quelle étoi [...] du temps de la derniers guerre lors que tout ce qui passoit payoit. Elle revenoit alors à 143000. Rixdales par an; dans les années 1690, & 1691. elle ne menta pas à beaucoup plus de 65000 Rixdales, par où nous pouvons juger quelle a la mine de continuer. Cela appartient aux menus plaisirs du Roy, & ne passe pas par les mains du Thresorier.
Les revenus de Norvegue proviennent principalement des dismes, du bois & du goudron, ou poisson & de l'huile, & des droits qu'ils en payent, ce qui étant acheté & transporté par les marchands etrangers, les sommes qui en reviennent dans les coffres du Roy leur restent deues.
Il est vray qu'il y à des Mines d'argent & de fer, &, une de cuivre, mais elles sont de peu de valeur; l'Excise [Page 112] & les autres Taxes sur les habitans sont de même qu'en Danemarc, lesquelles les habitans de Norvegue sont plus capables de payer à cause de leur trafic avec les Etrangers, quoy qu'il soit considerablement diminué depuis leur derniere querelle avec les Hollandois, qui la dessus abandonnerent le commerce qu'ils avoient avec eux & l'ont transféré pour quelque tems en Suede. Ces differens ont été à la verité ajustez du depuis, mais il est difficile de le remettre entierement dans son premier état quand une fois il a pris un autre cours. Les Danois croyent que ni les Anglois ni les Hollandois ne peuvent abandonner le trafic de Norvegue à cause des Provisions navales qu'ils en tirent; mais si on se servoit bien à propos de nos plantages dans l'Amerique peut être seroient ils trompez.
Il ne sera pas hors de saison de faire icy mentiou, quoi qu'il soit en quelque maniere éloigné du sujet que nous traitons, que justement auparavant la guerre d'apresent avec la France, les vaisseaux marchands apartenans à tous les Etats du Roy de Danemarc, se montoient selon le calcul que l'on en a fait à environ quatre cens, outre les petites barques qui apportoient du [Page 113] bois, &c. parce que leur nombre, avoit diminué presque des deux tiers dépuis trente ans. Mais à present depuis que le trafic de l'Europe a été en quelque façon entre les mains des Princes neutres, il ne peut pas étre autrement que le nombre n'en soit considerablement augmenté depuis quatre ans, quoi qu'il ne vienne pas encore à ce qu'il a été autrefois. Pour finir l'article de la Norvegue, qui est divisée en Provinces Meridionales & Septentrionales; le revenu des premieres se monte par an à environ cinq ou six cents mille Rixdales. Et celui des dernieres entre deux ou trois cens mille, ainfi le tout peut se monter communibus annis à 800000. Rixdales. Le compte le plus exact que je sache que l'on ait fait des navires marchands Anglois, Hollandois, & François qui trafiquent en ce Pais en temps de paix, est celui-cy. D'Anglois, il en passoit au Sund par an, environ trois cents; de Hollandois, depuis mille jusqu'à onze cents, de François, depuis dix jusqu'à douze navires. Et de même à proportion, en Norvegue. Par où on peut aisement juger que le trafic de France ne doit pas entrer en paralelle avec celui d'Angleterre & de Hollande, non [Page 114] plus que l'Amitié; puisque le Roy de Danemarc doit une si grande partie de son revenu au deux derniers & si peu au premier.
La troisieme & la moins considerable partie du revenu, provient des rentes des terres qui appartienent à la Couronne, & des biens confisquez; les derniers sont entre les mains du Roy, ou par confiscation pour haute trahison, ou autres crimes; ou à cause des debtes, & pour n'avoir pas satisfait au payement des Taxes. Et on doit supposer quelles croitront tous les jours à proportion de la pauvreté du Païs; puisque comme j'ai de-ja dit, plusieurs seroient bien a [...]ses de remettre plûtôt leurs biens entre les mains du Roy que de payer les Taxes qui leur sont ïmposées. Mais nonobstant cette adition de terres, le Roy est si loin d'en étre plus riche, qu'au contraire il en est plus pauvre; car dés lors que le Roy devient proprietaire des terres d'un particulier, tout aussi tôt les grandes peines & les grands soins que l'on avoit pris autrefois à les cultiver & à les faire raporter autant que l'on pouvoit, cessent. Et elles devienent presque desertes par la negligence on le peu de courage des fermiers. d'Ordinaire [Page 115] elles devienent une forest, & contribuent à son divertissement mais luy aportent peu de revenu, & les maisons tombent en decadence.
Il en est de même des Palais Royaux, dont il y a beaucoup dans les terres qui apartienent a la Couronne & peu d'entre'ux, excepté Fridericksburg qui soient en état pour y loger, c'est pourquoi il est fort difficile de faire un juste calcul du revenu qui en revient par an; & ce qui en provient va presque tout au profit des Courtisans qui ont le gouvernement des maisons Royalles & qui sont les Super intendants de ses Pares, Forèts, & fermes, aussi bien que le service des Païsans & des Fermiers. Ainsi je croi que je compterois plùtòt trop que trop pèu, si j'en faisois monter le revenu annuel à 200000 Rixdales.
Je tâchai de sçavoir d'une personne exacte & intelligente à combien la Monnoye courante de ce Royaume se pouroit à peu prés monter, & elle me répondit en ces termes. Il est fort difficile de faire un calcul exact, de la monnoie courante de ces Royaumes, mais je suis assuré quelle se monte à peu & même pas à la centiéme partie d'Angleterre, car excepté peu de gens, il ny a [Page 116] personne qui ait d'argent comptant, les marchands par les mains de qui il passe étant generalement des gens, sans fond endetez par dessus la tète à leurs Creanniers à Amsterdam, & à Hambourg ne le reçoivent pas plûtôt qu'ils le paient. De plus l'argent comptant de la nation s'en va autant que les Officiers de l' Armée qui sont etrangers en peuvent épargner de leur paye, ainsi il est transporté dans d'autres Païs; aussi bien que par ce que les Ministres d'Etat peuvent ramasser, car on observe qu'aucun, ou fort peu d'entr'eux achettent des terres, mais qu'ils placent leur argent dans les Banques d'Amsterdam & d'Hambourg; d'avantage parce que le change emporte, car ce Païs icy consume plus de denrées étrangeres, que des siennes propres. Et tout cela me fait croire, qu'il y a icy fort peu d'argent comptant, & que la plus grande partie de celle qui court parmi le peuple etant d' Airain, cela est cuase qu'on ne la transporte pas ailleurs, comme aussi celle d'argent à cause qu'elle est melée de cuivre.
De tout cecy je conclus, qu'il est moralement impossible que ces Taxes & impôts puissent continuer. Le fardeau en est de-ja si pésant que les habitans ont plus tôt raison de soûhaiter [Page 117] d'étre conquis que de deffendre leurs Païs, parce qu'ils ont peu du leur à perdre, & que probablement ils peuvent par là gagner au change, puis qu'il est presque impossible qu'il leur arrive pis. Apa [...]amment on s'en aperçoit à la Cour, c'est pourquoi on compte sur une armée composée d'Etrangers; voici l'inventaire du revenu.
- Rixdales.
- Doüane du passage du Sund
- 65000
- Tout le reste des Taxes de Danemarc affermées à
- 16500
- La Consumption ou l'Excise de Copenhague affermée à
- 140000
- La Consomption dans le reste du Danemarc
- 140000
- Petites Taxes en Danemarc
- 100000
- Taxe par tête, la Taxe de
- 1000000
- Fortification, Taxe sur les
- 1000000
- fonds, Taxe sur le blé dur,
- 1000000
- Tout le revenu de Norvege
- 700000
- Le revenu du Roy & des terres de la Couronne
- 200000
- Island affermé à
- 27000
- Oldenbourg & Delmerhorst
- 80000
- Doùane sur le Weser
- 5000
- Feroe Groenlande &c.
- 0
- en tout 2622000 Rixdales.
Il faut observer que la Taxe par tête [Page 118] & celle de Fortification ne sont jamais levées dans une même année, ainsi il faut rabatre de cette somme environ 400000 Rixdales au lieu d'une de ces Taxes, & alors le total de tout le revenu du Roy de Danemarc se montera par an à environ deux millions deux cents vingt & deux mille Rixdales.
CHAPITRE X. De l'Armée, de la Flotte, & des Forteresses.
A Yant achevé touchant le revenu, je viens en premier lieu à montrer à quoy & comment on depence ces sommes là: & il est certain que la levée de cet argent là n'est pas plus à charge au peuple, que la raison pour laquelle il est levé. Assavoir pour entretenir une grande armée sur pied tellement que le peuple contribüe à sa propre misere, & les bources des sujets sont épuisées pour les mettre en esclavage. Ainsi le Roy de France contraint les riches villes qu'il prend à bâtir des Citadelles à leurs frais pour les tenir en bride; & c'est ce maître [Page 119] de l'art de Regner, comme ses flateurs l'apellent, qui a'apris à la Cour de Danemarc aussi bien qu'aux autres Princes & Etats de l'Europe, le pernicieux secret de rendre une partie du peuple le fleau, & la bride des autres, ce qui à l'avenir ne finira que par une desolation generalle.
Le Roy de Danemarc n'a été que le trop bon éleve d'un tel maître, & s'est éforcé d'exceder même son Original, dont il s'aperçoit bien aujourdhui à ses depens, en levant plus d'hommes que son Païs n'en peut entretenir. Les soldats sont, je ne sçay par quelle politique trompeuse, estimez les richesses des Rois du Nort, & des Princes Allemans, car quand ils font entr'eux comparaison de leurs richesses, ils ne se servent pas de l'ancienne metode de calculer, ils ne parlent point de la fertilité ou de l'etendüe du terroir, du trafic, de l'industrie, de la quantité ou des Richesses, ou du peuple, mais seulement j'ay tant de Cavalerie, & tant d'Infanterie. Pour la subsistance desquels ils sont forcez, aprés qu'ils ont entierement mangé leurs sujets, de se servir de cent cruels & injustes moyens pour ruiner leurs Voisins. Et quand ils ne peuvent pas accomplir [Page 120] un si mechant projet de la maniere qu'ils le soühaittent, ils sont alors contraints de fomenter des querelles entre de plus puissants Princes pour avoir une meilleure occasion de vendre aux uns & aux autres les Forces qu'ils ne peuvent entretenir eux mèmes; tellement qu à present les soldats sont devenus aussi vendables que les autres marchandises, comme les brebis & les boeufs, & on les regarde à peu prés de même quand ils sont vendus; car pourvû que les officiers soient satis [...]aits de l'Acheteur, en leur donnant la liberté de piller dans leurs marches les laborieux & pauvres Païsants, ou s'il leur promêt un bon quartier d'Hyver avec permission de frauder leurs propres gens de leur paye, les soldats vont à la boucherie à l'exemple des bêtes, sans y étre portés par aucun sentiment d'amour pour la Patrie, la Religion ou la liberté, mais simplement par la crainte d'étre pendus pour desertion. Cette pernicieuse coûtume des Princes d'estimer les soldats comme leurs seules veritables richesses a commencé, & a été établié par le Roy de France, & est enfin devenüe generalle, par le soin qu'il a pris de cultiver ce sentiment [Page 121] dans l'esprit des Princes Allemans desquels il voit que les pauvres Païs seront bien tôt ruinez par ce moien; c'est à quoy il vise principalement, & il a mis les affaires à un tel point que la guerre & la destruction sont devenües absolument indispensables: car comme les gens qui amassent des tresors croient n'en avoir jamais assez, ainsi ceux qui regardent les soldats comme leurs richesses, ne cessent jamais d'en accroitre le nombre jusqu'à ce qu'ils sont forcez pour les faire fubsister, ou d'en venir aux mains avec leurs voisins, ou de faire naitre des animositez entre les autres Princes pour trouver le moyen d'étre employez & d'en recevoir de l'argent en s'interessant dans leurs querelles; quelle sera la fin de cela Dieu le sçait, & est le seul qui puisse prevenir les malheurs apparents dont nous sommes menacez assavoir la misere universelle & le saccagement de l'Europe. Car puisque cela est pratiqué si generalement; nous ne voyons aucun de ces Rois ou Princes quoyque doûés d'un esprit plus paisible & plus pacifique que les autres, qui ose comm [...] cer à mettre bas les armes, [...] crainte que ses voisins armez qu [...] [...] [...]a [...] [Page 122] se de leurs besoins, sont toûjours auguet pour trouver l'occasion de romber sur celuy qui peut faire le moins de resistance, ne l'attaquent & n'envahissent ses Etats. Et ce n'est pas la une des moindres miseres que la France ait imposées à toute la terre aiant reduit tous les Princes & toutes les Republiques qui y sont à faire ce méchant choix, assavoir ou de se soûmettre à un joug étranger insuportable, ou a noufir chez eux des viperes pour devorer leur propres entrailles. Mais les consequences de ces injustes pratiques ont été plus pernicieuses au Danemarc qu'à la France qui lui a servi d'exemple, le crapaut peut imiter le beuf & s'enfler, mais il crevera plût [...]t que de devenir aussi gros que lui; l'un est dans le chemin de s'agrandir par sa Tyrannie, mais l'autre n'ayant pas bien fait le calcul de ses forces qui ne sont en rien proportionnées à son ambition n'a jamais jusqu'icy prosperé en aucune chose qu'il ait entrepris sur ses voisins. Hambourg est enco [...]e à l'heure qu'il est une ville franche, & le Duc de Holstein est fetabli dans ses Etats: aulieu que Schonen, Halland, Bleking & Yempterland demeurent en la possession des Suedois qui en prenan [...] [Page 123] les armes pour leur propre deffence, ont eu le bonheur de se vanger de l'injure qu'on leur avoit faite, & les Danois sont contraints d'aquiescer à la perte de leur meilleures Provinces sans aucune esperence raisonnable de les jamais recouvrer.
Liste de la Cavalerie & de l'Infanterie qui est au service du Roy de Danemarc, & qui apartenoit particulierement au Danemarc, au Holstein, & à Oldenbourg.
- Hommes
- Le Regiment des Guardes Danoises consistant en six Compagnies 75 hommes à chacune, Lieutenant General Pless Colonel, avec tous les Officiers, en tout
- 500
- Le Regiment des Guardes de Holstein, consistant en neuf Compagnies, à 50 hommes par Compagnie avoc les Officiers, Col. Bass. en tout
- 450
- Le Regiment du Colonel Berensdorf néuf Compagnies.
- 450
- Colonel Iean Rantzaw, neuf Compagnies
- 450
- Colonel Rave neuf Compagnies
- 450
- Colonel Swanwedle neuf Compagnies
- 450
- Colonel Bassum neuf Compagnies
- 450
- Colonel Nemerfon neuf Compagnies
- 450
- Colonel Hulst neuf Companies
- 450
- Colonel Sturk neuf Compagnies
- 450
- Colonel Otto Rantzaw neuf Compagnies
- 450
- Colonel Gant neuf Compagnies.
- 450
- en tout 5450.
- hommes
- *Baron Liondale Colonel
- 500
- Colonel Bée
- 500
- Colonel Habercas
- 500
- en tout 1500
- hommes
- *Le Regiment des guardes de Monsieur le Duc de Wirtemberg Colonel
- 1400
- Le Regiment de la Reine, Colonel Passau
- 1200
- Le Regiment du Prince Royal, Colonel Crage
- 1200
- Le Regiment du Prince George, Comte Alefeldt Colonel
- 1100
- Le Regiment du Prince Chrêtien, Brigadier Elemberg Colonel
- 1000
- Le Regiment de Zealand, Colonel Tramp
- 1200
- Le Regiment de Funen, Colonel Browne
- 1100
- Le Regiment du Lieutenant General Schachs'
- 1800
- Le Regiment de Lamsdorf
- 1200
- Le Regiment de Curlandois, Colonel Pottcamer
- 1000
- Le Regiment de la Marine Colonel Gersdorf
- 1000
- Le Regiment d'Oldembourg Colonel Bieulo
- 2000
- en tout 15200
[Page 126]Il faut sçavoir qu'en vertu du Traité sait avec l'Empereur, on a envoyé depuis peu en Hongrie une partie des Regiments ci devant mentionnés commandez par Colonel Rantzaw Assavoir.
Un Bataillon du Regiment du Lieutenant General Schach.
Un Bataillon du Regiment du Colonel Pottcamer.
Un Regiment de Cavalerie, ôté à ee dernier Colonel, & donné à un certain Colonel Wyer.
Le Regiment de Dragons du Colonel Bée, qui peut étre rabatu en faisant l'adition du Total.
Fusiliers, Canoniers, & Bombardiers en Danemarc, Norvegue, & en Holstein &c.
en tout 1800 hommes
l'Infanterie. 17000 hommes.
- Un Regiment de Cavalerie consistant en neuf Compagnies, commandé par Colonel Rechle.
- 456 hommes.
- Uu Regiment de Dragons Commandé par Colonel Mar echal
- 800
- [Page 127]Le Regiment de Bergen Colonel Ed. Keu
- 1200
- Le Regiment d' Aggerhuy Colonel Housman
- 1000
- Le Regiment de Smaland Brigadier Tristaw
- 1000
- Le Regiment d'Upland, Colonel Brockenhuisen.
- 1000
- Le Regiment d'Westland, Col. 1000 Arnauld.
- 1100
- Le Regiment de Drontheim Col. Schuts.
- 1200
- Deux nouveaux Regiments, l'un commandé par Colonel Bunemberg, & l'autre par,,,,
- 2000
- Un Regiment de Marine.
- 600
- Deux Compagnies franches commendées par Dromheim.
- 200
- En tout
- 9300
- Troupes de reserve.
- 5000
Ces reserves sont celles qui ne reçoivent point de paye en tems de Paix, mais sont comme nos milices; on leur donne seulement des habits une fois en deux ans, elles sont obligées de s'assembler, & de faire l'Exercice tous les Dimanches s'il fait beau tems.
Tellement que les Forces de terre [Page 128] du Roy de Danemarc consistant en Cavallerie & Dragons dans le Dannemarc & dans le Holstein &c.
- Hommes,
- Se montent à
- 6950
- Infanterie dans les mêmes lieux
- 17000
- Cavallerie & Infanterie en Norwegue, en y rensermant les Troupes de reserve se montent à
- 14300
- en tout
- 36506
Mais si vous ôtez les Troupes de reserve avec environ deux mille cinq cents hommes, qui furent en voyez en Hongrie, le tout se montera (outre les Oficiers d'Infanterie à 32006 hommes.
Ce qu'on apelloit un grand regiment d'Infanterie, avant que les bataillons en fussent tirez pour aller au service du Roy d'Angleterre consistoit en 19 Compagnies, ils seront de même quand ces forces là retourneront en Danemarc. Il y en avoit beaucoup d'avauvantage dans les Gardes.
La Paye d'un de ces grands Regiments d'Infanterie se monte à 90000 Rixdales par an, de cette maniere.
Rd. | S. | |
La Paye d'un Capitaine par mois est | 20 | 00 |
Deux Lieutenants un chacun | 22 | 00 |
- Trois Serg: Un Fourier paye 4 Rd. à chacun 18.32.
- Trois Serg: Un Fourier paye 32 S. en tout 18.32.
Chacun | 11 | 00 |
Deux Charpentiers 3. Rd. 8. f. chacun | 44-16. | |
Dix Gefreiders 3. Rd. 8. f. chacun | 44-16. | |
Deux Tambours 3. Rd. 8. f. chacun | 44-16. | |
88. Soldats à 2 Rd. 32 fols chacun | 234-32 | |
350 | 32 |
Pour dix-neuf Compagnies | 6662 | 32 |
Les Grenadiers ont la moitié d'une R d. plus que les autres Soldats | 54 | 24 |
Cela fait par mois | 6717 | 08 |
Et par an | 80606 | 00 |
Rd. | Sr. | |
Chaque Capitaine a par moisses recrües 8. Rd. qui pour neuf Compagnies se monte à | 1824 | 00 |
Le Colonel a plus de paye par mois que ses Capitaines. 30 Rd. | & dans un an 1680 00 | |
Deux Lieutenans | ||
Colonels par mois 40 [Page 130] Rd. | ||
Deux Majors par mois ont plus 20 Rd. | & dans un an 1680 00 | |
Et les cinq Enseignes du Regiment. 50 | & dans un an 1680 00 | |
en tour par mois 140. | ||
en tout | 84110 | 00 |
Le reste des 90 mille Rixdales s'en va pour les autres Officiers comme l'Auditeur, le Marechal de Logis, le Chirurgien, en poudre, Balles & autres depences necessairies
Le simple Soldat ne reçoit que 17. sols par semaine, re reste s'en va en pain, en logement, & en habits qu'on leur donne de trois en trois ans depuis les pieds jusqu'à la tête, assavoir des souliers, des bas, des haudechauses, une chemise, & une cravate, il leur est permis de travailler où ils sont en quartier, mais alors pendant certe permission leurs Officiers reçoivent tout le benefice de leur paye.
Quant à l'Infanterie les Officiers & les soldars sont la plus part étrangers, de tous pais les quels on a choisis ou qui sont venus là par hasard, assavoir des Allemans, Polonois, Courlandois, [Page 131] Hollandois, Suedois, Ecossois, Irlandois, & de tems en tems quelques Matelots Anglois, qu'ils ont enivré aprés un long voyage, & les ont porté (par belles promesses) étant sous-à prendre l'argent du Roy.
Les Habirans naturels du pais, par leur temperamment abatu ne sont pas propres à servir de soldats; & qui plus est, leurs Hôtes dont ils sont les esclaves les peuvent empêcher d'entrer au service du Roy, & les redemander s'ils s'y engageoient, comme on l'a vû souvent pratiquer, pour éviter la misere chez eux & pour changer un esclavage pour un autre.
Les Officiers de Cavalerie ne reçoivent pas plus de paye en tems de Paix que ceux d'Infanterie; les Cavaliers qui sont d'ordinaire les naturels du païs, sont tous maintenus par le Païsan qui est obligé de leur donner à boire, à manger & le logement aussibien qu'a leurs chevaux &c. Et avec cela la valeur de six chelins sterling par mois, dont la moitié va au Colonel pour la remonte.
Les Dragons sont un peu en meilleur état parce qu'ils ne sont pas obligez d'entretenir de chevaux excepté en tems de guerre, outre qu'en Holstein [Page 132] ils ont plus de paye qu'en Danemarc.
En Norvegue les Forces côutent beaucoup plus que par tout ailleurs, car excepté la paye des Officiers, & les habits des Soldats on ne depence pas beaucoup d'argent, chaque Soldat ayant quartier franc chez tous les Païsans; on doit remarquer que les Officiers de l'armée sont pour la plus part en arrerages de quatorze ou dixhuit mois de paye, tellement que la meilleure partie de leur subsistance vient de l'argent des Soldats.
Les noms des Officiers Generaux.
- Le Comte Wedel Marechal.
- Le Comte de Guldenlew Viceroy de Norvegue.
- Le duc de Wirtemberg.
- Le Commandant Schach.
- Monsieur Plessen de la Cavalerie.
- Monsieur Dumeny.
- Monsr: de Carmailon.
- Monsr: de Maspac de la Cavalerie.
- Le Maitre de l'Artillerie est Colonel Monck.
- [Page 133]En voilà assez touchant les forces de tetre, je m'en vai parler ensuite des Maritimes.
Les noms des Amiraux sont.
- Amiral General Mr. Juel.
- Vice-Amiral Bielk.
- Vice-Amiral Spaan.
- Vice-Amiral Gedde.
- Contre-Amiral Hoppe.
- Contre-Amiral van Stucken.
Il y a trois mille matelots entrenus & payés regulierement, qui ne vont point en mer qu'en temps de guerre, mais on leur alloüe quelque petit argent & toûjours par semaine une petite provision de viande sallée, de Poisson sec, de farine & de grüau & on leur donne cela hors des magazins publics pour leur subsistance, & celle de leurs familles; outre cela ils ont plusieurs rües avec de petites maisons comme des Baraques regulierement bâties pour eux, par le Roy Chrêtien IV. à l'entrée de Copenhague au dedans des Ouvrages, où ils ne payent point de loüage, & où ils laissent leurs femmes & leurs enfans quand ils vont en mer. Leur affaire entemps de Paix est de travailler à la Holme. Qui est [Page 134] une grande Cour avec des chantiers pour bâtir les navires vis-à vis du Palais Royal à Copenhague; là on les employe tour à tour à tous les rudes travaux qui regardent la construction des navires, à remüer le Canon, les Ancres, les Cables & à remuer le bois de Charpente; & cette fatigue est estimée si grande que les plus grands Criminels sont d'ordinaire condannez à travailler à cette Holme pour tant d'années, ou pour toute leur vie selon la nature du crime une fois par an generalement, afin de les exercer à l'equipage de quelques navires de guerre & de leurs Canons &c. Et on les tire hors du Port pour faire voile de côté ou d'autre depuis là & Elsignor pendant trois ou quatre semaines ou plus long-temps selon que le vent favorable regne. La paye de ces matelots en argent n'est que 8. Rixdales par an à chacun, & toute petite qu'elle est on la paye si mal, que souvent ils se sont mutinés depuis ces derniers années, faute de la reçevoir, & ont même assiégé le Roy dans son Palais jusqu'à ce qu'on a [...]t puni exemplairement les principaux Mutins; on leur doit ordinairement une demie année d'arrerages & souvent d'avantage, ce qu'ils supportent d'aumieux [Page 135] quils ont leur subsistance de provisions par semaine encore que cela soit fort peu, pour ceux patticulierement qui ont beaucoup d'enfans à nourir.
Les meilleurs matelots que le Roy de Danemarc ait sont les Norvegiens, mais la plus part sont dans le service des Hollandois, & ont leurs familles établies en Hollande, d'où il y a fort peu d'aparence qu'ils revienent jamais, excepté que les Hollandois les traitent plus mal ou que lés Danois en agissent mieux qu'ils n'ont fait jusqu' icy, car les provisions navalles des Danois sont d'ordinaire fort mauvaises.
Tous les Officiers de la flotte reçoivent regulierement la paye en temps de paix comme en temps de guerre, ce qui sait qu'ils sont moins enclins à piller que ceux qui se servent du temps court qu'ils ont à étre en Comission pour s'enrichir aussi vite qu'ils peuvent.
Liste de la Flotte du Roy de Danemarc.
Navires. | Canons | Hommes |
Le Christianus Quintus | 100 | 650 |
Navires | Canons | Hommes |
Le Prince Frederick | 84 | 600 |
L'Elephant | 84 | 600 |
Les trois Couronnes | 84 | 600 |
Le Lion de Norvegue | 84 | 600 |
Le Prince George | 82 | 600 |
Le Prince Cour | 82 | 590 |
Le Mercure | 76 | 510 |
Le Mars | 76 | 500 |
Les trois Lions | 70 | 490 |
Le Plongeon | 70 | 490 |
La Charlote Amelie | 68 | 480 |
L'Anne Sophie | 66 | 470 |
Le Cigne | 66 | 470 |
Le Chrêtien IV. | 64 | 430 |
Le Frederik III. | 56 | 400 |
Le Guldenlew | 56 | 390 |
Le Christiania | 58 | 390 |
L'Oldenbourg | 56 | 360 |
Le Lintworm | 49 | 330 |
Le Sleswick | 42 | 300 |
Le Fero | 54 | 380 |
L'Ange | 52 | 300 |
Le Delmenhorst | 50 | 300 |
Le Faucon de Suede | 48 | 250 |
Le Neptune | 46 | 220 |
Le Trident | 44 | 210 |
Le Sauteur | 42 | 200 |
Le Hummer | 34 | 160 |
La Sirene Danoise | 30 | 140 |
Le Dragon | 28 | 140 |
Navires | Canons | Hommes |
Le Faucon Blarce | 26 | 120 |
Petits Vaisseaux & Galiottes. | ||
Le Tigre. | ||
L'Elefant neuf un Yacht. | ||
Le Phoenix Gallere. | ||
La Pucelle. | ||
Le Pacan. | ||
Le petit Elephant un Yacht. | ||
Le Swermer. | ||
Le Singe. | ||
Il n'y a point de Brulots. | ||
En tout 32. Navires, 1927. Canons, & 12670. Hommes. |
On a jamais mis en mer cette Flotte ainsi equipée, mais c'est le calcul que les Danois font de leurs Forces matimes, tant-y-a voilà ce qu'ils disent qu'ils peuvent mettre en mer en cas de necessité.
Quelques uns de ces plus grands Navires tirent plus d'eau à la Poupe qu'au devant de cinq ou 6. pieds.
Ce qui marque que la quille n'est pas droite; leurs mâts ne sont pas generalement si hauts que les nôtres & paroissent plus pésants, je les crois plus propres pour la mer Baltique que pour l'Occean, si nous en exceptous les navires qui croisent & quelques vaisseaux [Page 138] qui servent de convoi à leurs Navires Marchans fretez pour France, Espagne & Portugal.
Forteresses apartenantes au Roy de Danemarc.
Dans Bornbolm Ile tres fertile dans la mer Baltique, qui est de toutes celles qui appartienent au Roy de Danemarc la plus proche de Suede, il y a deux Forts; l'un est un vieux Château, l'autre est une citadelle fortifiée à la moderne, & qui commande le chemin de l'Ile apellée Roena. Elle fut finie en l'an 1689, elle a de bons Bastions & des ouvrages de dehors.
Christian's Oye environ sept milles d'Angleterre au Nort de Bornbolm, étant un nombre de petites Iles qui renferment un bon havre pour 30 Vaisseaux, la plus grande qui est en forme de croissant est bien fortifiée.
Dans l'Ile appellé Mune, à Stege qui est une petite Ville il y a un vieux Château de peu de defence où il y a garnison.
Dans Laland ce qui paroît étre un peu fort, est la Ville de Naxkew, & un vieux Château apellé Allholm; [Page 139] mais qui n'est d'aucune defence.
En Zéeland premierement la Ville de Copenhague est bien fortifieé, mais les ouvrages sont de gazon, en second lieu le Chateau de Crone [...]berg proche d'Elsingor qui est presque achevé est facé de briques, cet un lieu bien fortifié mais irregulierement. En troisieme lieu Corsoer, qui est une petite Fortification de gazon vis a vis de Funen.
Dans Funen la Ville de Nyburg est assez bien fortifiée du côté de la mer, mais du côté de la terre les ouvrages en sont ruinez.
Dans le Holstein il y a premierement Gluestad, Ville tres bien fortifiée sur la Riviere d'Elbe qui a cause qu'elle est voisine de Hambourg est bien entretenüe; en second lieu Cremp Ville à environ trois milles d'Angleterre de celle-ci, proche la riviere Stoer n'est pas bien reparé; en troisieme lieu Hiltar Scance dessus une Ile environ à douze milles d'Angleterre de Hambourg: en quatriéme lieu Rendsbourg sur la Frontiere, entre Holstein & Sleswick sur la Riviere Eider, on augmente à present cette place & on travaille à facer de briques les Boulevars & les ouvrages de dehors. [Page 140] Ce sera une fortification royalle, & la place la plus considerable que le Roy de Danemarc ait tant pour sa force que pour sa situation. En cinquieme lieu Christians Priza ou Fredericks Ort, car elle a deux noms située à l'entrée du havre de la Ville de Kiel sur la Mer Baltique, elle est commandée par une Montagne, qui n'en est éloignée que de cent douze Roods, & chaque Rood contient douze arpens & demi.
En Iutland, il y a premierement Fredericia Ville fort bien fortifiée, étant le passage du petit Belt. Secondement Hall. petite forteresse au Nort de l'entrée de la Riviere qui va à Alburg. 30. à Flat strand vingt milles d'Angleterre au midi de la pointe de Scagen, il y a Schance qui est un petit fort pour la defence du havre.
Au midi du Cap du Nort de Lapland il y a un Fort avec six bastions apellé Wardhuys. Et en Norwegue il y a premierement Drontheim Ville gardée du côté de la Mer par un fort château apellé Monkholm, où Monsieur Griffenfelt est à present en prison gardé étroitement, & du côté de la terre par une forte citadelle; en second lieu Bergen Place tres forte du [Page 141] còté de la mer, & environnée de hautes montagnes qui la rendent inaccessible par terre, c'étoit là que la Flote Hollandoise des Indes Orientales se mit à couvert, quand la Flotte Angloise commandée par le Comte de Sandwich l'attaqua sans reüssite. Les Danois avoient donné leur parole qu'ils la livreroient entre leurs mains, mais quelques presents faits à tems par les Hollandois à la Cour, prevalu rent, ce qui fut cause de leur salut & de nôtre infortune. en 4. lieu il y a Christiana la Capitale de Norwegue qui a une forte Citadelle. En 5. lieu Larwick qui est fort legerement fortifiée; en 6. lieu Frederickstad, place qui a de bons ouvrages mais mal fondée. En 7. lieu le Chateau de Wingar qui est un passage sur les Frontieres de Norwegue; en 8. lieu Frederick's Hall place bien fortifiée, mais trop commandée par une montagne qui n'en est qu'à cent * Roods. En 9. lieu un Fort à Flerkero proche de la Ville de Christiansand.
Dans les Indes Orientales le Roy a une petite forteresse apellée Franquebar sur les côtes de Coromandel. [Page 142] En Guinée un autre apellée Christiansburg, & une troisieme dans l'Ile de St. Thomas en Amerique laqu'elle commande les bons ports de ce Païs là & où les navires se retnent pendant la saison des ouragans.
On peut aisement juger qu'une te'le Armée & une telle flotte, avec tant de Porteresses ne peuvent étre entretenües comme il faut sans avoir bonne bource. Le dernier Chapitre donne un compte exact du Revenu. Et par là vous pouvés juger des depences de la Guerre, il y en a encore beaucoup d'autres outre celles-cy, comme l'entretien de la Cour, des enfans du Roy, des Ministres d'Etat &c. Je laisse à ceux qui sçavent bien l'Arithmetique de juger si le Revenu est proportionné à la depence & s'il suffiroit sans le secours de l'argent étranger.
CHAPITRE XI. De la Cour.
SOus ce chef, je comprens le Roy, la Reine, la famille Royalle, les Ministres d'Etat, les Chevaliers de l'Ordre de l'Elephant & de Dannebrug avec les auties Principaux Officiers de [Page 143] la Cour. Ch [...]êtien V. à present Roy de Danemarc est d'une mediocre taille, plùtôt maigre que corpulent, neanmoins bien proportionné, & d'une complexion robuste, il a le temt sanguin, & porte [...]ne peruq [...]e no [...]re, les traits du bas du visage ressemblent un peu [...] ceux de Charles II Roy d'Angleterre. Ila été d'un temperamment capable de souffrir toutes de fatiques jusques à ce que dans ces dernieres années ayant eü quelques accez de Goutte il crût qu'il vaudroit mieux s'abstenir d'exercices capables d'alterer sa santé, particulierement dans un tems de paix où il n'y avoit point de necessité pressente qui l'engagea à se fatiguer quoyque s'il étoit necessaire il le feroit encore fort aisement. Il a commencé à regner en l'an quarante six de son age le 15. d'Avril 1692. Il porte ordinairement un habit fort modeste mais fort propre, il ne porte presque jamais de chapeau n'y de gans lors qu'il est en Cour, mais bien une bonne epée ceinte à son côté.
Pour ce qui est de son naturel c'est un Prince doux, bon, affable & moderé si vous considerés l'humeur du Païs, il n'est point adonné au Luxe, au boire, ni au manger, & depuis ces [Page 244] dernieres années il a fait fort peu de debauches. Il n'a pas eû beaucoup de Maitresses, & celles qu'il a ûes il les a aimées long-temps. Il a de la Religion autant qu'un Prince en doit avoir, sans étre prevenu à l'egard de son Clergé quoi qu'il semble que les Ecclesiastiques l'adorent; de lui même il aime la justice & la moderation, mais il se laisse souvent gouverner par ceux qui sont auprés de lui, à qui il laisse la conduite entiere des affaires, par ce qu'il ne les aime pas, n'y n'en a pas le genie. Il parle peu excepté à ses Ministres ou plus grands fovoris, neanmoins il ordonne à des gens d'entretenir les étrangers. Et quelquefois par un souris obligeant les enhardit de s'aprocher de lui. Il parle trois langues outre la sienne propre, le haut & bas Alleman & la Françoise, & s'en sert aisement quand il est necessaire; il n'a pas été élevé dans les Sciences, mais il prent pourtant beaucoup de plaisir à la Geographie, & on ne lui fait jamais plus de plaisir que quand on lui aporte quelques Cartes Geographiques nouvelles, ou le plan de quelque place forte. Il est vaillant & intrepide dont il a souvent donné des marques dans les dernieres guerres de Suede, mais il [Page 145] se repose de la plus grande partie de la condu [...]te de son armée sur ses Generaux, ne se fiant pas à son propre genie soit dans l'action ou dans les Negotiations; quoique selon toutes les aparances la grandeur de son courage dans l'un, & sa sincerité dans l'autre produiroient de meilleurs effets, s'il se sioit plus à lui même & moins aux autres. Enfin c'est un Prince fort doux & debonaire, plûtôt aimé que respecté de son peuple, quisçait que si l'etat present de son Gouvernement, étoit accompagné d'un Prince qui sust severe cela seroit tout-a-sait insuportable. Il porte au bas de ses armes & au tour de son chifre cette Devise. Pietate & Iustitia. Et ses sujets croyent effectivement qu'il n'a point d'autre inclination que celle de conserver ces deux choses, & que tous les maux qu'ils souffrent ne viennent que de ses Ministres. C'est pourquoy ses sujets se plaignent plûtôt de la permission qu'il donne que de ce qu'il fait lui même, & attribuent tous leurs malheurs à la facilité de son temperamment, & au malheureux établissement des Loix, qu'il ne reforme point par les avantages qu'il à reçûs de son education.
La Reine, qui s'appelle Charlotte [Page 146] Amelie, est une Princesse qui merite qu'on en fasse mention avec tout l'honneur & le respect possible quand même elle ne seroit pas de la haute qualité dont elle est. Elle est blonde & de belle taille, son tein est flegmatique & sanguin, & encore qu'elle soit dans la 41. année de son age, elle est toûjours belle, sa demarche est fort engageante, elle est de plus affable & libre, ses grandes perfections lui gagnent le coeur de ses sujets, encore que sa Religion soit differente de la leur, & ferment la bouche aux Luteriens Bigots, qui pouroient étre assez hardis que de s'ecrier contre elle, si sa vie irreprochable ne la métoit pas au dessus de leur malice. Ils ont attenté plusieurs fois à la dégouter de la Religion Calviniste, mais elle les a jusqu'icy frustrez de leurs esperances & ne la pas seulement suivie elle même mais aussi protegé la petite Eglise Françoise Protestante, (qu'elle a par sa bonté fondée, fait subsister & entretenüe par sa liberalité) contre tous les assauts que des personnes d'authorité avoient attenté contre elle. Et elle reussit avec succez, par une prudente complaisance qu'elle a pour le Roy dans les choses [Page 147] indiferentes, allant souvent avec lui au service & aux sermons des Lutheriens; ne montrant pas seulement par là la bonne opinion qu'elle a pour le service public qui a été établi mais cela est aussi cause qu'elle va plus librement toutes les aprés midi entendre les Ministres François dans son Eglise. Elle est le Refuge ordinaire des personnes qui sont dans l'adversité qui en s'aprochant d'elle, ne manquent jamais d'obtenir ce qu'ils demandent. Elle n'est pas de difficile accez; elle previent souvent ceux qui sont dans la necessité & fait des charitez devant qu'on l'en ait recherchée. Enfin elle est soeur du Land-Grave de Hesse-Cassel d'apresent, soeur digne d'un tel frere & de l'illustre famille dont elle est sortie.
Le Roy de Danemarc a cinq enfans, quatre Princes, & une Princesse, le Prince Frederik qui est l'ainé qui est aussi apellé le Prince Royal a environ 20. ans; Il seroit à soûhaiter que son education eût été plus conforme à sa qualité, car son premier Gouverneur étant un peu Pedant, luy avoit inspiré une certaine maniere d'agir contrainte, à quoy plusieurs qui ont accoutumé de juger par les aparences [Page 148] externes, donnoient une mauvaise explication en l'apellant orgeüil & vanité. Le Prince Chrêtien son segond fils a environ dix huit ans & est d'un temperament plus vif & plus affable qué son frere ainé, il est aussi plus grand & plus robuste; il aime beaucoup la chasse & à monter à l'Academie, il ne soûpire aprés autre chose qu'à se voir & se montrer dans le monde. Le Prince Charles qui est le troisieme à environ neuf ans, & le quatrieme qui est le Prince Guillaume environ six: le premier de ces deux là est un enfant fort avancé & qui promēt beaucoup, le dernier ne bouge encore de la chambre de la nourice, tellement que l'on n'en peut rien dire. La Princesse..... a environ seize ans dont la beauté parfaite, le doux tenperament & [...]a belle education rendent sans pareille; Ile a été accordée à l'Electeur de Saxe son propie cousin germain, mais quelques affaires secretes ont enpêché le Mariage de s'accomplir.
Le Roy outre ceux-cy a eû deux Fis naturels de Madame Mote Fille d'un Bourgeois de Copenhague, qu'il a faite Comtesse de Samsoe qui est une Ile qu'il lui a donnée, de plus, selon [Page 149] que l'on raporte pour certain, il luy envoye tous les samedi au soir mille Rixdales, Messieurs ses jeunes enfans sont fort beaux & promettent beaucoup; l'ainé est en France dans le service où il a un Regiment de Cavalerie, il se nomme le Jeune Guldenlew, pour le distinguer de l'ainé qui est Viceroy de Norvegue, le Roy lui donne le revenu du Bureau de la Poste. Ce nom de Guldenlew est aproprié aux Fils naturels des Rois. Je ne sçay pas s'il [...]a commen [...]é par le present Viceroy de Norvegue, mais il'y a apparence qu'on le conservera toûjours, car un Jeune Guldenlew est aussi necessaire à l'ornement de la Cour, qu'un heritier de la Couronne.
Le segond sils du Roy de la Comtesse de Sunsoe est destiné pour la mer, & pour cela il a été envoyé dans plusieurs Voyages sur un Navire de Guerre, sous le gouvernement d'unc personne en qui on se fie, afin de le rendre capable d'étre un jour Amiral General.
Sa Haute Excellence, le Comte de Guldenlew Viceroy de Norvegue & frere naturel du Roy sera mieux place icy pour en parler, comme étant de la famille Royalle que quand nous viendrons [Page 150] à parler des Ministres. Car encore qu'il en soit un, neantmoins il ne se soucie pas de s'embarquer fort avant dans les affaires publiques, s'étant autrefois brulé les doits dans quelque rencontre. Il se croit plus sage de joüir plûtôt de ses divertissemens, & de la faveur du Roy, qu'il possede à present entierement. Son Pere le Roy Frederic l'aimoit tant qu'il pensa un jour le faire Roy de Norvegue, dont on s'est souvenu à sa perse, ce qui l'oblige de se comporter, avec une grande exactitude, sous un Gouvernement aussi arbitraire que celui-ci. Il est agé d'environ cinquante & six ans, il a été un des plus beaux & continue toûjours à étre, un des Gentils hommes le mieux fait que jamais le Danemarc ait produit, ayant ajoûté à ses perfections naturelles tous les avantages de ses Voyages & la connoissance du beau monde. Il est homme de plaisir, & entent á rafiner sur toutes choses, son Palais, ses Jardins, & ses Festins surpassent de beaucoup tout ce qui se peut trouver dans le Royaume. Il a été autrefois Ambassadeur extraordinaire de la part de son pere Frederic auprés du Roy Charles II. qui conçeut une telle estime pour lui, [Page 151] qu'il le fit compagnon de ses plaisirs, & il marque tant de gratitude des bontez qu'il a reçeües de ce Prince, qu'à peine jamais prononcé-t-il son nom sans se sentir fort touché.
Il parle un pen Anglois, & est fort obligeant à tous ceux de ce païs là en reconnoissance des grandes civilités qu'il y a reçües. Pour ce qui est de la pompe & de la magnificence, la Cour du Roy de Dannemarc peut à peine étre apellée Royalle, le luxe & l'extravagance des Cours les plus meridionalles de l'Europe, n'ayant pas atteint si loin dans le Nort non plus que leur richesses. A la verité depuis que les Danois ont eu une si bonne correspondance avec la France, leur conduite, s'est un peu plus rafinée qu'elle n'étoit. Ils affectent les modes de France, d'avoir des Domestiques François, aussi bien que des Officiers, dont ils ont un Lieutenant General & un Major General, qui sont sortis de France pour s'étre batus en düel; ou cela est effectivement vrai, ou tout au moins le pretexte de ceux qui cherchent de l'emploi dans les Païs étrangers, exprés pour faire les affaires de la France, dont ils [Page 152] cultivent toûjours adroitement l'interêt, quoi qu'il semble qu'ils soient disgraciez du Roy.
Il ne paroît aucune marque de Majesté dans cette Cour, quelque solemnelle que soit l'occasion excepté celles que l'on voit à la guerre, tout ce que peut fournir une Armée sur pié, comme guardes à pié & à cheval Trabans qui sont comme nos mangeurs de boeuf roti, Timbales, Tambours & Trompettes &c. sont tous les jours en usage comme dans un Camp. Mais des marques de Paix assavoir l'epée de l'Etat, des Herauts, des Masses, des Bources da Chancelier, ne sont point connües.
Le Roy dine avec la Reine, ses enfans & ses parens, ses premiers Ministres & Officiers Generaux de l'armée, jusqu'à ce que la table ronde soit pleine. La Mareschausée invite qui elle veut à díner avec le Roy, & parle quelque fois à l'un, quelque fois à l'autre, afin que chacun ait sa part de cet honneur. Un page en livrée prie Dieu devant & aprés le repas. Car on ne sçait ici ce que c'est qu'un Chapelain, ni dans aucune des Cours étrangeres qui sont Protestantes, excepté dans la chaire. Il y a [Page 153] une table bien garnie, mais les mêts y sont aptetés à leur mode. La viande que le Roy aime le mieux est une longe de veau rotie, & sa boisson du vin de Rhin, dont on remplit un grand gobelet d'argent, que l'on mêt sur l'assiette d'un chacun, & qui sert d'ordinaire ponr tout le repas. Ceux qui servent, sont un ou deux Gentils-hommes, & les autres sont des Domestiques avec la livrée; la ceremonie de se mettre à genous devant le Roy n'est point en ufage. Les Timbales & les Trompettes qui sont rangées dans un endroit spacieux au devant du palais, proclament à haute voix l'instant qu'il se mêt à table; le Dimanche est son jour de jeune, & à son exemple il devient celui des Courtisans.
Le tems de faire sa Cour, où ceux qui ont quelques affaires peuvent le plus aisement avoir audience, est toûjours une heure devant diner, & quelque fois devant souper; dans ce tems là enfans du Roy, les Ministres étrangers & Domestiques, les Officiers de l'armee & de la maison du Roy, paroissent dans l'antichambre, ou dans la chambre du lit. Ces gens la composent la Cour, laqu'elle [Page 154] souvent ne se monte qu'à vingt ou trente personnes.
Les Officiers de la maison du Roy sont le Marechal qui regle les affaires de la famille royalle, & qui avertitle Roy quand le diner ou le souper est prêt; le Controlleur de la cuisine qui mêt les plats sur la table, comme aussi le Maître de l'Artillerie; le grand Ecuier du Roy, des etalons & des Jumens, dont le Roy a beaucoup & de fort bons particulierement une certaine race qu'il estime le plus qui sont d'un roüan clair ayant la tête, la queüe & le crin noir. Mais on se forme une meilleure idée de la grandeur & du revenu de ces charges là, en les comparant plûtôt à celles des officiers de quelques uns de nos Seigneurs Anglois, qu'à celles de Whitehall.
Le maïtre des Ceremonies est obligé par son Employ à étre assiduement à la Cour.
Mais le Principal Favory du Roy est Monsr. Knute Mecklebourgeois & seul Gentil-homme de sa Cbambre, il a été toûjours elevé avec le Roy comme son confident & compagnon de ses plaisirs; c'est un homme de bon naturel & fort civilil ne par le aucune langue que la sienne propre & se mêle [Page 155] fort peu des affaires publiques, neanmoins quand il entreprend d'obtenir quelque chose du Roy il n'a pas de la peine de reüssir. Il y a plusieurs Grooms de la chambre du lit au dessous de lui. La Reine a plusieurs Gentils-hommes, fils de personnes de la meilleure qualité & 8. filles d'honneur qui la servent.
Les Ministres de sa Majesté Danoise sont premierement Mr. de Guldenlew qui preside dans le conseil, & dans toutes les autres commissions où on l'emploie conjointement avec les autres Ministres, mais les affaires comme je l'ay dé-ja dit n'etant pas son talent, ou au moins ne les aimant pas, les autres conseillers d'Etat ne le content parmi eux qu'à cause du respect qu'ils doivent à sa qualité. En segond lieu le Comte de Reventlau, grand maître des Chasses, qui est la Charge la plus profitable que le Roy puisse donner aprés la Vice-Royauté de Norvegue. Il est né dans le Holstein & on le considere comme le premier Ministre, c'est pourquoy tous les Ministres Etrangers s'adressent à luy, & il n'est pas faché qu'on lui donne ce tître, quoi que dans quelques occasions ïl ne veüille pas le recevoir. Il est fort affable, [Page 156] civil & d'un accez fort aisé; c'est un homme qui aime le plaisir, & le beau sexe aussi bien que Monsieur de Guldenlew, ses talens & son sçavoir sont fort mediocres, quoique par une diligente application aux affaires il ait depuis peu beaucoup pronté, tellement qu'il parôit remplir assez dignement le poste où son Maître la placé; il est agé de quarante & trois ans ou environ, le teint frais, & d'un temperament robuste. Il n'a jamais eü grande inclination pour les François, (étant persuadé que la decadence des affaires de son Païs & le peu de gloire de son Maître, ve [...]oient de leurs conseils & de leurs pratiques,) jusqu'à ce que dans ces deux dernieres années son interêt particulier la reconcilié avec cette Cour. Le profit qu'aporte le Trafic de France (pendant la guerre) où il a une tres grande part, tant par plusieurs navires qui lui appartienent en propre, que par la protection qu'il donne à ceux qui l'entretiennent. Cela disje lui a fait considerer que c'est l'avantage de son Maître aussi bien que le sien d'entretenir une bonne correspondance avec la France, d'autre côté les Anglois qui lui font beaucoup de dommages en preuant & confisquant [Page 157] plusieurs navires où il avoit part, ont entierement perdu ses bonnes graces. Neanmoins aprés tout, on croit que s'il se pouvoit procurer par quelque autre voye aussi bien qu'à son Maîtres les mêmes avantages qu'ils possedent, ses inclinations le porteroient plus tôt à accepter la bien veillance de la Cour d'Angleterre que de celle de France, mais les malheureuses circonstances de la conjoncture presente rendent l'affaire presque impossible.
En troisieme lieu le Baron Iuel, qui est le plus jeune frere de l'Amiral General est Danois de nation, & agé de soixante ans ou environ; il est fort corpulent & d'une couleur Flegmatique, il est plus à son aise qu'aucun qu'il y ait a la Cour; il doit cela à son temperament qui est extremement épargnant. Les Danois le considerent comme un des plus rusés d'entr'eux, qui sous le masque d'une simplicité contrefaite, couvre beaucoup de finesse; Il parle peu, fort doucement, & est trés civil. On croit qu'il voit avec regret la misere ou son Païs est reduit, parce qu'il est un des chefs de la plus ancienne Noblesse, & de ceux qui ont perdu par la revolution qui s'est faite dans le Gouvernement; [Page 158] son avis est pourtant necessaire où il y a si peu de bonnes têtes, c'est pourquoi il est employé dans les affaires les plus difficiles les qu'elles il gouverne avec beaucoup de dexterité & de succez.
En quatrieme lieu, Monsieur Ehrenschild Alleman de nation, & autrefois Secretaire de Monsieur Terlon Ambassadeur de France en cette Cour, ce qui lui a donné jusqu'a present des inclinations Françoises. Le Roy l'a anobli & lui a donné le nom de Ehrenschild au lieu de celui de Beerman qu'il avoit autrefois. Il est agé d'environ soixante & cing ans, d'une complexion fort foible, c'est pourquoi il demeure d'ordinaire à Hambourg, sous pretexte que cet air là est necessaire à sa santé, mais dans la verité ce n'est que pour menager les affaires du Roy dans cette ville, où il y a toüjours quelque faction qui y doit étre entretenüe par quelque Ministre de qualité qui y fasse residence. D'avantage cette ville étant située commodement pour la correspondance que l'on doit avoir avec l'Allemagne, il peut prendre de plus prés garde aux actions des Princes voisins, aussi bien qu'au menagement du Trafic qui se fait avec la France [Page 159] pendant la Guerre, c'est pourquoi on a jugé à propos d'entretenir là une personne d'esprit. Ce Monsieur Ehernschild a été élevé dans les etudes à la maniere d'Allemagne, & il entent parfaitement bien les negotiations des affaires, qui est ce à quoy il a été toûjours employé. On le regarde comme un homme fort rusé, mais non pas d'une integrité entiére, il affecte de trouver des difficultés & est fort adroit à faire trainer une affaire en longueur. Les Ministres Etranger l'appellent Pater difficultatum & disent qu'il a un secret particulier, pour trouver Nodum in Scirpo. C'est pourquoi ils ne se soucient pas d'avoir à faire avec lui, parce qu'il aime trop à argumenter, & à chercher plûtôt des sophismes que la verité dans la decision des affaires; vous ne pouvés jamais lui faire dire, telle chose est, encore quelle paroisse aussi claire que le soleil, mais cela peut étre, par là se reservant toûjours quelque échapatoire. Il fait un tresor de son argent, où le mêt à la Banque de Hambourg ou d'Amsterdam, n'ayant point de veüe de s'etablir avec sa famille en Danemarc; & c'est la maxime la plus suivie des plus eclairés de ce Royaume, comme il paroît [Page 560] en ce qu'il y en a trés peu parmi eux qui achettent du fond.
En cinquieme lieu, Monsieur Plessen gentil homme Mecklebourgeois qui autrefois menageoit le Revenu du Prince George en Danemarc il est à present Controlleur des Finances à la place de Monsieur Brandt que l'on en a depuis peu demis. L'Etat de la depence & des Finances étoit extremement broüillé & le Roy devoit quelques millions d'Ecus, quand il a entrepris cette tache difficile de redresser toutes choses, ce que l'on croit generalement qu'il fera, autant qu'il se poura faire. Et il étoit temps de s'attacher serieusement à retablir les affaires, car le credit du Roy tant à Hambourg qu ailleurs étoit absolument perdu, par le defaut du payement des lettres de change. Il est agé de quarante six ans ou environ, d'un tempérament melancolique & d'une complexion foible, il est estimé avoir le jugement bon, & de s'entendre bien dans les affaires du monde, quoique les maladies le rendent d'une humeur assez particuliere. Il par le cinq ou six langues, & entre-autres l'Angloise. Il paroît avoir plütöt les inclinations Angloises que Françoises aussi bien parce qu'il fait un grand fond [Page 161] sur le Prince George, que parce qu'il est assuré que c'est plus l'interest de son Maître de garder des mesures avec l'Angleterre & la Hollande, qu'avec la France; il paroît étre des-interessé & a de grands biens dont la plus grande partie est en argent comptant. Enfin c'est un homme d'affaire, & paroît étre plus droit dans ses manieres d'agir que plusieurs des autres.
Ces cinq personnes composent tout le Conseil privé du Roy, quatre d'entr'eux resident toüjours en Cour, & le cinquieme à Hambourg sur l'aduis duquel les autres quatre pour la plus part du temps reglent leurs deliberations. Le Roy dans son conseil decide de toutes les affaires, il mêt en deliberation tous les Traitez de Paix & de Guerre, des Alliances, des Taxes, des Fortifications & du Trafic, &c. sans qu'aucune personne intervienne, excepté les Secretaires d'Etat, que lon regarde icy plùtôt comme des Officiers servans & assistants, que comme des Principaux Conseillers. Il y a quatre de ces Secrétaires là qui ne sont pas Secrétaires d'Etat, dans le même sens que les nôtres le sont en Angleterre, c'est à dire premiers Ministres, mais portent la plume & ont le maniément des [Page 162] affaires qui regardent leurs Provinces en particulier. Le premier Secretaire pour les affaires de Danemarc est à present Monsieur ......; le second pour les affaires de Norvegue est Monsieur Mot [...] Frere de la Comtesse de Samso. Maîtresse du Roy; le troisieme pour les affaires étrangéres est Monsieur Iessen; & le quatrieme qui est le Secretaire des guerres est Monsieur Harboe. Quand il s'agit dans le conseil de quelque affaire qui regarde les Provinces de leur jurisdiction; celui qui en a le menagement doit y étre, mais Monsieur Iessen ne manque jamais par ce qu'il y a toûjours quelque chose qui concerne les affaires étrangeres & le temps auquel d'ordinaire le Conseil s'assemble étant le landemain que la poste arrive, son employ est de lire toutes les lettres & d'y faire ses remarques. Cela rend sa charge plus considerable que celle des autres Secretaires, & le fait entrer dans les secrets du Cabinet, qu'il menage presque tout seul.
Il a aussi la liberté de dire ses sentiments, & comme il parle bien latin cela joint avec son employ lui donne droit de faire tous les Traités avec les Ministres étrangers, c'est pourquoi il est toûjours un des Commissaires qui [Page 163] sont nommés pour traiter avec eux, & à qui ils doivent necessairement s'adresser aussi bien qu'au premier Ministre, qui le souffre & se conduit presque en toutes choses par ce Secretaire. Il est agé d'environ quarante ans, il est d'une conduite fort honnête, & affecte trop l'humilité, il parle cinq ou six langues fort bien ce qui est quelquefois un avantage à ceux qui ont des affaires avec lui; il n'a qu'une mediocre reputation d'étre sincere & habille, neanmoins il a une telle routine des affaires publiques, qu'il se rend toûjours necessaire, d'autant plus qu'ils n'ont personne qui soit plus capable pour étre mis en sa place. Il est gendre de Monsieur Ehrenschild qui le gouverne, & qui a comme lui les mêmes inclinations pour la France, cette Alliance le soutient beaucoup dans sa fortune, tandis que son beau pere vit. Mais quand il n'auroit autre chose, sa diligence dans son employ, lui assurera toüjours son poste aussi bien que la faveur de son Prince, pourvû neanmoins qu'il s'entretienne bien avec le premier Ministre, comme il a fait jusqu'a present, & qu'il agisse de concert avec lui.
Les divertissemens ordinaires de la [Page 164] Cour sont des voyages de plaisir que l'on fait une fois par an à Sleswick ou en Holstein, soit pour faire la reveüe des troupes, ou pour visiter les fortifications de Rentsburg, comme aussi quelques petits Voyages en Laland ou ailleurs deça & delà à la Campagne. Cela ne se fait pas aux frais de la Thresorerie, parce que les Paisans fournissent de chevaux & de Chariots pour voyager, qu'ils doivent aussi conduite eux mêmes, & étre prêts à rendre toutes sortes de services tous les Etés. Pendants six semaines la Cour se retire à Iagersburg qui est une petite maison de Chasse située sur un petit Lac à quatre mille d'Angleterre de Copenhague & proche de la mer, pendant cinq ou six semaines d'avantage elle reside à Friderisbourg, la principale maison de Campagne du Roy de Danemarc environ à 20. mille d'Angleterre de Copenhague, elle fùt commencée par Chrêtien IV., & achevée par Frederic III. Pere du Roy d'apres [...]nt. Cest là la maison dont les Danois se vantent tant, & dont ils disent tant de merveilles eu egart à la quantité d'argent qu'elle a coùté a bàtir. Elle est située au milieu d'un lac; les fondements en sont dans l'eau, ce [Page 165] qui aparemment a causé tant de depence, on entre dedans par dessus plusieurs Ponts Leuis. Cette situation dans un Païs si humide & aussi froit que cetui-ci ne peut étre approuvée de ceux qui s'y connoissent, particulierement y ayant auteur de ce lac plusieurs petits côteaux environnez de jolis bocages, qui auroient été un meilleur endroit pour la perspective & pour la santé. Mais c'est la fantaisie de tout ce Royaume, de bâtir au milieu des lacs, ce què l'on pratiquoit, je croy, autre fois pour étre plus seurement logé. Ce Palais est bien loin détre magnifique, nonobstant tout l'argent qu'il a coûté, au contraire il a été bâti par un fort mauvais Architecte. Premierement les Chambres sont fort basses, les apartements mal disposez, & la belle Chapelle de beaucoup trop longue pour sa largeur, une gallerie regne tout au tour, qui a une des plus mauvaises entrées qu'on se soit pû imaginer; enfin il s'en faut beaucoup qu'elle soit si belle que beaucoup de Maisons de nos personnes de qualité en Angleterre.
Cependant elle est estimée par les Danois pour étre la nonpareille. A la verité il y a un fort beau Parc tout [Page 166] au tour bien rempli de Daims, orné de beaux Etangs, & de quantité d'arbres fort hauts, un bain fort bon, & autres embellissemens de la Campagne, tellement qu'on la peut preferer à toutes les autres maisons Royalles, qui excepté ces deux dernieres, dontj'ai parlé sont presque toutes en ruine, celle du fort de Cronenburg proche d'Elsignor & celle de Coldigen dans Jutland avec plusieurs autres, n'étant presque pas habitables même pour quinze jours en Eté.
La Cour passe le tems à courre le cerf à Frideriksburg, car il y a fort peu de bêtes sauvages en Danemarc. Pendant ce divertissement le Roy donne beaucoup de liberté à ses domestiques & à ses Ministres qui d'ordinaire l'accompagnent par tout ou il va, tellement qu'il semble qu'il s'est tout-a-fait demis de sa Majesté. Ils mangent & boivent ensemble, & le dernier va quelque fois à l'excés aprés avoir chaffé tout le jour, le rendé vous aprés le repas est dans la cave au vin. Apres diner environ entre cinq & six heures ou tient les assises de la chasse dans la grande cour devant le Palais. Le C [...]rf est coupé en deux, par un des valets qui sont tous habillez [Page 167] de rouge ayant leur grands cors de chasse autour du col, & là on le coupe avec grande ceremonie, tandis que les chiens courants attendent avec beaucoup de bruit & d'impatience celui de la compagnie qui a le plus la mine de donner quelque chose au valet des chiens lequel est prié de faire essai, & on lui presente le pied du Cerf. Alors on fait une proclamation qui contient que si quelqu'un peut informer le Roy (qui est juge souverain aussi bien qu'executeur de la sentence) de quelque faute commise ce jour là contre les loix de la chasse, qu'il se leve & qu'il accuse. Alors l'accusé est mené proche du cerf par deux gentils-hommes, on le fait agenouiller entre les cornes, & baisser la tête en sorte qu'il ait le deriere en l'air, puis on leve le derriere de son justaucorps qui pouroit recevoir les coups. Alors vient sa Majesté, qui avec une longue baguette donne au criminel quelques coups sur les fesses, & en même tems les valets de chasse avec leurs cors & le hurlement éfroyable des chiens, procla [...]ent la justice du Roy & la punition du criminel. Toute la Scene donne beaucoup de divertissement à [Page 168] la Reine, aux Dames, & aux autres spectateurs qui y sont presents & qui se tiennent en Cercle autour de la place d'execution. Cela est reïteré autant de fois qu'il y a de Delinquents, qui aprés avoir été châtiez se levent & donnent des marques de leur obeissance, se vantant d'avoir été magniquement foüettez. Quand tout cela est sini, les chiens ont permission de manger le Cerf
Dans une autre saison la chasse au Cigne est le divertissement de la Cour, les Cignes sauvages hantent une certaine petite Ile peu éloignée de Copenhague, & y éclosent leurs petits. Environ le tems que les jeunes sont aussi grands que les vieux, devant que leurs plumes soient devenues assez grandes pour pouvoir voler, le Roy, la Reine, les Dames & le reste de la Cour vont les voir tüer, les Ministres étrangers sont d'ordinaire invitez à ce divertissement, on donne à chaque personne de qualité une Galliote, & quand ils viennent proche du lieu où est la chasse ils environnent la place & renferment une grande quantité de jeunes Cignes qu'ils tuent à coups de fusil, quelque fois jusqu'à mille qui sont aportez à la Cour à qui appartient le [Page 169] duvet, la chair n'étant pas bonne à manger. Le Mardi gras le Roy, la Reine, la famille Royalle, les Ministres du lieu & étrangers, & les personnes dont nous avons ci-devant fait mention & qui composent la Cour, s'habillent comme les Païsans de Nort-Hollande avec des guertres, des vestes courtes, & de gros bonnets ronds de laine bleüe. Les Dames ont de jupes bleües & d'etranges sortes de coifures &c. Dans cet équipage ils montent dans leurs chariots un homme devant & une femme derriere qu'ils menent eux mêmes, & s'en vont à un Village à la Campagne apellé Amak qui est à environ trois mille d'Angleterre de la Ville; là ils dancent au son des musettes, & de mauvais violons, on leur aporte aprés un diner de Village qu'ils mangent sur des assiettes de terre & de bois, avec des cuillers de même &c. & ayant passé le jour dans ces divertissemens où ils sont tous égaux & où l'on ne sçait ce que c'est que de Majesté ni de Q [...]alité, le soir ils s'en retournent, & sont regalez de la Comedie & d'un souper magnifique par le Comte de Guldenlew, & passent le reste de la nuit à dancer [Page 170] dans les mémes habits qu'ils ont porté tout le jour.
Tous les hivers aussi tôt que la neige est assez gelée pour pouvoir porter les Danois prenent beaucoup de plaisir à aller sur des trainaux; le Roy & la Cour donnent exemple aux autres, en faisant plusieurs fois en grande pompe le tour de la Ville avec des Timbales & des Trompetes; les Chevaux qui tirent le traineau sont richement caparaçonnez & leurs harnois sont ornés de clochettes pour avertir le monde de se retirer. Aprés que la Cour s'est long-tems protnenée & divertie, les Bourgeois & autres courent dans les ruës toute la nuit, envelopez d'une grande robe fourée, avec chacun une femme dans leurs traineaux ce qu'ils estiment un grand divertissement.
En voyageant de Fridericksburg à Yagersburg & à plusieurs autres lieux proche de Copenhague, il y a deux grands chemins, le pren [...]ier est la route commune qui est d'ordinaire fort mauvaise, l'autre est le grand chemin du Roy tres beau & uni qui n'est que pour la Cour en particulier, & pour ceux qu'elle veut favoriser en leur donnant une clef pour ouvrir [Page 171] toutes les portes qu'on rencontre.
Il ne sera pas hors de propos de vous dire dans ce Chapitre touchant la Cour, qu'il y a deux Ordres de Chevalerie en Danemarc assavoir celui de l'Elephant & celui de Dannebrug, le premier est fort honorable, ceux qui en sont revetus sont de la plus haute qualité ou d'un merite extraordinaire; la marque par ou on les distingue est un Elephant enrichi de diamans portant un chateau sur son dos, pendu à un ruban bleu tabizé, que l'on porte comme le S. George en Angleterre. Le dernier est une recompence honoraire que l'on donne à ceux d'une moindre qualité & aux Nobles. Leur marque est un ruban blanc avec des lisieres rouges qu'ils portent sur l'epaule, au contraire des autres, avec une petite croix enrichie de diamans qui y pend, & sur le devant du justaucorps ils ont une broderie en Etoille, avec cette devize Pictate & Iusticia. Ils disent que l'Ordre de l'Elephant a été institué par le Roy Chrêtien I. aux nopces de son fils. Il y a environ deux cents & dix ans.
- [Page 172] Le Roy Grand Maître, & Souverain de l'Ordre.
- Le Prince Royal.
- Le Prince Christien.
- Le Prince Charles.
- Le Prince George.
- Le Roy de Suede.
- L'Electeur de Brandebourg.
- L'Electeur de Saxe.
- Le Viceroy de Norvegue Guldenlew.
- Le Duc de Holstein.
- Le Duc Holstein son Frere.
- Le Land-Grave de Hesse.
- Le Comte Rantzaw de Bredenberg.
- Le Duc de Holstein Ploen.
- Le Duc de Holstein Norburg.
- Le Duc de Holstein Brieg.
- Le Land-Grave de Hesse Hombourg.
- Le Mark-grave d' Ansoach.
- Le Mark-grave de Bade Durlach.
- Le Duc de West frize.
- Le Duc de Saxe Cobourg.
- Le Prince Frederick de Saxe.
- Le Duc de Wirtenberg.
- Le Marechal Comte Wedd,
- [Page 173] Le Comte de Réventlau.
- Le Comte d' Alefeldt.
- L'Amiral General Iuel.
- Iustin Hoeg sous Viceroy de Norvegue.
- Godtske de Bu [...]kvalt, Gentilhomme de Holstein.
- Monsieur de Gingle Comte d' Athlone.
Ils pretendent que l'Ordre de Dannebrug est plus ancien, & racontent plusieurs fables touchant son origine. Assavoir qu'un certain Roy nommé Dan decendu du Ciel vit une croix blanche avec des bords rouges, & la dessus inst [...]tua l'Ordre, & lui donna ce nom composé de Dan & de Brug qui signifie Peinture; les Chevaliers de cet Ordre sont presque aussi frequens icy, que les Baronnets chez nous, c'est pourquoy je n'insererai point icy leurs noms.
Les ordres suivants, touchant le rang & la preséance ont été publiés en Danois & en François l'an 1680. Mais la plus part des Charges ci-aprés mentionées sont à present vacantes.
Ordonnance sur les Rangs du Royaume de Danemarc.
- Les enfans naturels des Rois.
- 1. Le Grand Chancelier.
- 2. Le Grand Tres [...]orier dit Schatz Meistier.
- 3. Le Grand Connétable de Norvegue.
- 4. Le Grand Maréchal de Camp.
- 5. Le General Amiral.
- 6. Les Comtes qui sont Conseillers Privez.
- 7. Les Chevaliers de l'Elephant qui sont Conseillers Privez, ou qui tienent méme rang avec eux.
- 8. Les autres Connétables.
- 9. Le Vice-Chancelier.
- 10. Le Vice-Trésorier.
- 11. Les Vices-Connétables.
- 12. Les autres Conseillers Privez.
- 1. Le Grand Maître de l' Artillerie.
- 2. Le Grand Maréchal Lieutenant.
- 3. Le General Amiral Lieutenant.
- 4. Les Generaux de Cavalerie & d'Infanterie.
- 5. Les Generaux Lieutenans de Cavalerie & d'Infanterie.
- [Page 175]1. Les Comtes qui sont faits Comtes ou naturalisés par le Roy.
- 2. Les Barons qui sont faits Barons ou naturalisez par le Roy & ensuite les Chevaliers de Hannebrog ou Cordo [...]s Blancs.
- 1. Le Grand Maréchal dela Cour.
- 2. Le premier Secretaire Privé & d'Etat.
- 3. Le Premier Gentil-homme de la Chambre.
- 4. Le Grand Maître des Ecuries.
- 5. Le Grand Veneur.
- 6. Le Grand Echanson.
- 1. Les Conseillers d'Etat.
- 2. Les Conseillers de la Iustice.
- 3. Les Commandeurs des Diocezes & le Trésorier.
- 1. Les Generaux Majors, les Amiraux, le General Commissaire de l' Armée, les Colonels des Gardes du Corps ou Trabans.
- 2. Les Brigadiers.
- 3. Le Maréchal de la Cour.
- 1. Les Conseillers de la Chancelerie les [Page 176] Envovez Extraordinaires du Roy, & le Maître de Ceremonie.
- 2. Les Conseillers de la Chambre des Comptes, le Procureur General.
- 3. Les Conseillers de Guerre.
- 4. Les Conseillers du Commerce.
- 1. Le sur-Intendant de Zeelande.
- 2. Le Consesseur du Roy.
- 3. Le Recteurde l' Accademie, l'année qu'il est Recteur, le President de la Ville de Copenhague.
- 1. Les Colonels des Regimens des Gardes à Cheval & à P [...]é, les Vice-Amiraux, les Colonels de l'Artillerie.
- 2. Les autres Colonels de Cavalerie ou d' Infanterie.
- 3. Les Lieutenans Colonels des Gardes du Corps ou Trabans, & aprés eux les Bailifs.
- 1. Les Gentils-hommes de la Chambre du Roy, & de la Reine.
- 2. Le Maître de l'Ecurie.
- 3. Le Veneur du Roy.
- 4. Le Secretaire de la Chambre du Roy.
- 5. Le Secretaire de la Milice.
- 6. Le Grand Payeur.
- 1. Les Assesseurs de la haute Iustice, les [Page 177] Conseillers d' Assistance en Norvegue & les sur-Intendans des autres Provinces.
- 2. Les Iuges Provinciaux.
- 1. Les Generaux Auditeurs, les Maîtres Generaux des quartiers.
- 2. Les Lieutenans Colonels, Schout-by-nachts & Majors des Gardes du Corps ou Trabans.
- 1. Les Assesseurs de la Chancelerie & de la Iustice de la Cour de Norvegue.
- 2. Les Assesseurs du Consistoire, les Bourguemêtres de Copenhague & le Medecin du Roy.
- 3. Les Assesseurs de la Chambre des Comptes, & aprés eux les Commissaires des Provinces.
- 4. Les Assesseurs du College de Guerre.
- 5. Les Assesseurs du College de l' Amirauté.
- 6. Les Assesseurs du College du Commerce.
- 1. Les Maîtres de Cuisine, les Gentils-hommes de la Cour, les Generaux Ajudans, les Majors, les Capitaines des Gardes à Cheval, les Capitaines Commandeurs des Vaisseaux.
- [Page]1. Les Secrétaires de la Chancelerie, & de la Iustice.
- 2. Le Secrétaire de la Chambre des Comptes.
- 3. Le Secrétaire du College de Guerre.
- 4. Le Secrétaire de l'Amirautê.
- 5. Le Secrétaire du Commerce.
Il y a à observer que quand plusieurs charges sont nommées ensemble, & qu'elles ne sont pas distinguées, ils prendront le rang entr'eux selon qu'ils sont premiers en charge.
Les Ministres du Roy qui possedent quelques charges qui ne sont pas nommées dans cette ordonnance retiendront le même rang qu'ils ont eü jusqu'icy, & ceux à qui le Roy a dé-ja donné ou donnera le rang de Conseiller Privé joüiront du même rang que s'ils l'étoient effectivement.
Ceux qui possedent effectivement quelques charges auront le rang avant ceux qui en ont seulement le titre, & ne font point de fonction.
Ceux que le Roy dipence de ne plus exercer leurs charges retiendront pour tant le même rang qu'ils avoient en exerçant leurs charges, & si quelqu'un [Page 179] prend une autre charge de moindre rang que sa premiere n'étoit, il retiendra pourtant le rang de la premiere.
Les Femmes se regleront ainsi, qu'aprés les Contesses suivront les Gouvernantes & Demoiselles de la Chambre & de la Cour pendant qu'elles sont en service; aprez elles les femmes des Conseillers Privez & qui tiennent rang avec eux; en suite les Baronnesses & autres femmes selon la condition de leurs maris, tant de leur vivant, qu'aprés leur mort, pendant qu'elles demeurent veuves.
La Noblesse qui n'a point de charge, & les Capitaines de Cavalerie & d'Infanterie & autres Personnes Ecclesiastiques & Seculieres garderont le pas entre eux comme ils ont fait auparavant.
Sur quoy tous auront à se regler sous peine de la perte de la faveur Royalle, & si quel qu'un contre toute esperance se trouve de sa propre authorité fai [...]e quelque chose contre certe ordonnance payera tout aussi-tôt qu'il sera convaincu d'un tel crime l'amande de mille Rixdales. Et outre cela il sera pour suivi par le General Fiscal du Roy, comme violateur des ordres Royaux fait à Copenhague le 31. Decemb. 1680.
CHAPITRE XII. De la Disposition & de l'Inclinaclination du Roy de Danemarc envers ses Voisins.
LEs Royaumes & Etats qui sont Frontieres du Roy de Danemarc du còté du Nord & du Nord-est, sont les terres qui appartienent à la Suede; du còté du Sud, le Duc de Holstein, partie de Sleswick & le Holstein, la ville de Hambourg, & le Duché de Breme; du còté de l'Ouest & Sud-Ouest, l'Angleterre & l'Ecosse, qui en sont separées par la grande Mer Oceanne; du còté du Sud-Est le Duché de Saxe Lawenbourg, de Meklenbourg & de Lunebourg; les terres de Brandebourg n'en sont pas non plus fort éloignées.
On peut dire en general, qu'entre le Roy de Danemarc & ses voisins il regne toûjours quelque jalousie & méfiance qui souvent éclatent par des hostilités dont les plus proches ressentent plus frequemment les effets que les plus éloignés, suivant les occasions & les sujets de vangence qui les excitent
l'Interposition d'un vaste Ocean a [Page 181] jusqui-ci tenu les Danois en assés bons termes avec l'Angleterre & l'Ecosse, & le commerce qu'ils ont avec ces deux Royaumes leur est fort avantageux; leurs forces maritimes ne sont point capables de nous faire tête non plus qu'a nos alliés, sans quoi ils auroient eu grande envie de s'approprier seuls le droit de la pêche de la balaine en Groenlande, pretendant qu'ils avoient decouvert les premiers ce Païs là, & que par consequent il leur apartenoit. Depuis la guerre que nous avons à present avec la France, & nôtre etroite union avec les Hollandois, ils se sont montrés extremement jaloux de notre Puissance sur mer dans la crainte que nous ne nous rendissions maitres du negoce de tout le monde, c'est pourquoy lorsque l'occasion s'est présentée ils out ambrassé le parti de la France, autant qu'ils l'ont osé, & lui ont même fourni des provisions navalles & les autres choses dont elle avoit besoin; & pour cet effet encore qu'ils ayent besoin d'argent à peine les peut on persuader de prêter, ou d'envoier quelques Troupes aux Confederés, ainsi on ne doir point dourer, que pour contrebalancer nôtre pouvoir, sur mer aussi bien que pours assurer la [Page 182] liberté du Commerce qui leur aporte tant de profit, qu'ils ne fassent leur possible pour nous nuire & quils ne joüent quelque mauvais tour qui nous humilie tellement, que cela leur fasse perdre la peur qu'ils ont que nous nous rendions maîtres de l'Ocean. Pour cet effet ils ont depuis peu contracté une alliance plus étroite avec la Suede pour assurer mutuellement leur commerce, que les animosités naturelles qui etoient entre ces deux Couronnes avoient interrompu. Car la necessité absolüe où ils sont à present de tenir dans les bornes nôtre armée navalle, qui devient plus formidable de jour en jour par nôtre union avec les Hollandois, les a fait agir avec plus de concert que lors que la haine regnoit parmi eux, mais leur mes-intelligence recommencera aussi-tôt qu'ils ne nous craindront plus. Car le Roy de Suede est le voisin le plus puissant, le plus proche, & le plus à craindre que les Danois ayent autour d'eux, son domaine s'érend présque jusques aux portes de Copenhague, tellement que de la chambre où est le lit du Roy de Danemarc on peut voir ses terres, particulierement depuis que les Danois ont perda trois de leur meilleures Provinces, du [Page 183] l'autre côte de la mer Baltique; de sorte que le ressentiment que ceux-cy ont des injures & du tort qu'on leur a fait autrefois, d'un autre côté l'aprehension qu'ils ont que par la grandeur de la Suede il ne leur arrive plus de mal qu'au paravant, outre cela la crainte que les suedois ont d'étre enviés & hais a cause de leurs acquisitions, & de les perdre, au cas que le Danois & devinssent plus puissants, sont des obstacles, in surmontables, qui s'opposent à une ferme amitié entre ces deux Couronnes. L'ancienne querelle, tout comme une playe, s'est guerie mais seulement superficiellement car il reste toûjours quelque venin au fond, quoique le tort, que nous faisons à tous deux egalement, en interrompant leur commerce aye beaucoup avancé leur mutuelle reconciliation, & même plus que l'on n'auroit jamais crû. Mais lors qu'il nous plaira de contracter amitie avec l'un & en excepter l'autre, ce pretendu lien se rompra fort aisement & pût étre se dissoudra-t-il entierement.
L'alliance qui est entte le Roy de Danemarc, par son mariage avec sa soeur, est bien éloignée de contribuer à aucune bonne intelligence entr'eux. [Page 184] Le Roy de Suede quoique Prince trés vertueux, à cause de tout ce que nous avons cy devaut dit, témoigne beaucoup d'indiference & de froideur à la Reine, quoi qu'elle soit une des Princesses du monde qui a le plus de merite; il croit même avoir raison de ne s'allier jamais avec le Danemarc par aucun Mariage. C'est pourquoi il a mieux aimé marier la Princesse sa fille avec le jeune Duc de Holstein Gottorp dont les Etats sont presque ruinez & depeuplez qu'avec le Prince Royal de Danemarc. Car n'aiant qu'une fille que s'il venoit à mourir, lais seroit à cette Princesse le droit à la Couronne, il croit en avoir agi prudement de n'avoir pas hazardé par untel mariage à faire, qu'un jour les Danois devinssent maîtres absolus des deux Royaumes.
La bonne ou mauvaise intelligence, que ces deux Couronnes, mais principalement le Danamarc, ont avec leurs autres voi sins, & le reste des Princes Allemans est fondée sur leurs jalousies mutuelles. Et c'est à cause de cela Principalement que l'animosité est si grande, entre cette Couronne & les Princes de Lunebourg, avec qui au contraire la Suede a toujours entretenu [Page 185] une bonne correspondance afin qu'en cas que l'on fit quelque entreprise sur ses terres dans le Cercle de la basse Saxe, ou en Pomeranie (que les autres Princes d'Allemagne regardent de mauvais oeuil) il puisse s'assurer l'assistance d'une famille si puissante contre les attaques des Danois ou des Brandebourgeois; c'est pour cela que le voisinage des Princes de Lunebourg sera toùjours supect & facheux au Danemarc, lequel tâchera par toutes sortes de moyens d'empêcher que cette famille n'accroisse ses Etats, & n'augmente sa puissance. Ainsi on ne doit pas suposer que le Roy de Danemarc, se consie tellement au Duc de Zell, qu'il veuille tâcher de lui mettre entre les mains la posséssion du Duché de Saxe Lawembourg qui est la frontiere de Holstein; ni qu'il aprouve ce que la Diete de l'Empire a determiné à l'egard du neuviéme Electorat, qu'elle a conferé au Duc de Hannovre.
D'autre côté on croit que la Suede, afin de tenir d'avantage en bride le Danemarc, soutiendra la maison de Lunebourg & lui aidera à conserver ce qu'elle a acquis, & qu'elle prendra aussi ouvertement son parti, [Page 186] dans ce qui regarde l'affaire de l'Electorat; pour ce qui est des diferents du Duc de Saxe Lawembourg elle ne s'en mêlera que secretement, a cause de l'invalidité du droit que cette famille pretend sur ce Duché, dont elle ne poura soûtenir le titre qu'autant de tems qu'elle le deffendra ou par force ou par finesse.
Les Princes de Lunebourg ont jusqu'ici secondé les intentions des Suedois, en s'étant declarez protecteurs de la Ville de Hambourg, que le Roy de Danemarc a toûjours regardée d'un oeuil de convoitise, & dont il a souvent entrepris de se rendre maître. Les pretentions qu'il y a comme faisant partie du Duché de Holstein sont assez bien fondées, mais les efforts qu'il a faits pour s'en rendre maître, n'ont eu jusqu'ici aucun succez. Il fait fortifier tous les jours sa nouvelle Ville d'Altena qu'il a fait bàtir justement dessous ses murailles, afin de la rendre un jour capable de lui faire tête, & de la tenir en bride. Et effectivement cette riche Ville a beaucoup de raison de ragarder d'un oeuil de jalousie un tel voisin, dont la principale ambition & le principal but est de iui ravir sa liberté, & [Page 187] de s'en rendre maître. Mais le Duc de Zell, dont les Etats sont fort proches, a toûjours quelque troupes postées assez prés pour prevenir & rompre les desseins que le Roy de Danemarc pouroit avoir sur cetre Ville [...], c'est pourquoy elle fait grand cas de ces Princes, & leur donne beaucoup de marques de respect, les regardans comme ses meilleurs Protecteurs. Elle s'entretient aussi autant qu'il est possible une bonne correspondance avec les autres Princes d'Allemagne. Et eux de leur part témoignent beaucoup de zele à concourir à la consérvation de ses franchises dans la crainte que si elle étoit reduite sous l'obeissance des Danois, cela les priveroit de toutes les commoditez qu'ils en tirent tant à l'egard du trafic de la plus part de l'Allemagne que de ce qu'étant située sur l'Elbe, elle leur est s'il faut ainsi dire plus à main, & le principal magazin où ils retirent tous leurs effers, d'autre côté ils empêcheront tant qu'ils pouront le Roy de Danemarc d'ajoùter une si superbe Ville à ses conquêtes, sçachans bien que les Danois qui sont pour l'ordinaire fort méchants voisins, lors mème qu'ils sont foibles, deviendroient insuportables [Page 188] si leurs forces étoient proportionnées à leurs inclinations.
Le Brandebourg, non plus ne souhaite pas que cette Ville, ni celle de Lubec, soient jamais gouvernées par un seul maître, au contraire ils s'eforceront de tout leur pouvoir à empêcher que qui que ce soit n'attente rien contre leur liberté quoi qu'on conte, l'Electeur de Brandebourg pour étre le plus ferme Allié du Roy de Danemarc; il est certain que l'interèt commun qu'ils ont à prevenir l'accroissement du pouvoir de la Suede, (dont ils sont tous deux jalous & qu'ils craignent beaucoup) unit ces deux Princes plus fortement qu'aucun lien de consanguinité n'auroit jamais pü faire. La Prusse Ducale, & cette partie de la Pomeranie qui apartient à l'Electeur de Brandebourg est exposée aux entreprises de la Suede, & le moindre transport de Troupes de Suede qui viendroient du côté de la mer Baltique, donneroit de terribles alarmes à tout le voisinage. Ils ne peuvent pas oublier l'etrange succez qu'eurent les armes triomphantes de Gustave Adolphe, ni ce que la Suede a attrapé dans ces dernieres guerres, & on ne peut leur ôter de l'esprit qu'il y a toûjours quelque sujet de craindre, [Page 189] que cette Nation ne fasse encore quelque entreprise sur eux, ayant beaucoup de soldats, & étant gouvernez par un jeune Roy actif, diligent & oeconome; ainsi comme j'ai dit auparavant le danger où ils sont tous deux, les fait concourir d'une étrange maniere dans le dessein de tenir la Suede dans ses propres limites, quoi qu'en d'autres affaires il puisse ariver des differens entr'eux; comme par exemple on le peut voir, dans l'affaire de l'Ile St. Thomas, ou les Brandebourgeois s'eforcerent de contraindre les Danois à retablir le Duc de Holstein Gottorp dans son païs; ce que sa Majesté Britannique a si heureusement accompli, dans la premiere année de son avenement à la Couronne.
Le Duc de Gottorp, que j'ai exprés placé le dernier de tous les Princes qui bornent le Danemarc afin que j'eusse occasion de parler plus amplement de ce qui le touche, est parent fort proche du Roy de Danemarc, tant de consenguinité, que par alliance. Ils sont de la même fam [...]lle que ceux d'Oldenbourg: le Grand Pere du Duc d'apresent a refusé d'étre fait Roy de Danemarc & s'en [Page 190] est demis en faveur du Grand Pere du Roy d'aujourd'hui, de qui l'election fur par lui recommandée au peuple. Ce Duc a épousé la soeur du Roy, dont il luy est né un Prince qui promet beaucoup; ses Etats sont mêlez avec les siens en Sleswick & en Holstein, ce qui lui est fort incommode & qui l'inquiete beaucoup; sçachant bien que l'ambition n'a point de bornes, particulierement quand elle est soutenüe d'un pouvoir capable d'opprimer ceux qui ne s'y peuvent que foiblement opposer; le Roy eut la pensée poussé par son propre interêt, (ce qui d'ordinaire opere plus que la raison à l'egard de la plus part des Princes) de se rendre maitre de tout le païs, mais le Duc s'en étant aperçû, & deplus étant persuadé, que l'on se serviroit de la premiere occasion qui se presenteroit pour le déposseder; afin donc de se mettre à couvert de ce côté-là, il contracta une amit [...]é aussi érroite qu'il lui fut possible avec le Roy de Suede son beau frere, comme étant un Prince qui par plusieurs raisons étoit obligé de s'opposer à la prosperité des Danois; neanmoins cette alliance n'alla pas plus loin, & le Duc n'avoit jamais [Page 191] eu intention de s'en servir autrement, que comme d'une barriere, pour le deffendre, car la reputation & le nom de cet allié eut peut-étre pû le gua [...]entir de l'oppression de son ennemi [...]ttendu que de luy même il étoit trop foible pour faire tête au Roy de Danemarc, & le secours de Suede trop eloigné, pour le pouvoir met [...]re à couvert de quelque soudaine irruption à quoi il étoit to [...]jours expose; mais considerant qu'un tems viendroit auquel cette alliance lui seroit beaucoup plus avantagease, (ainsi qu'il a paru par l'experience) pour cet effet elle a été fort soigneusement entretenue de la part du Duc de Holstein, aussie bien que de celle du Roy de Suede qui dés lors crut que ce un seroit un grand avantage, de le maintenir dans tous ses droits & privilege, dans la veue que par la il causeroit un grand prejudice a son ennemi, étant comme une épine piquante au pied du Roy de Danemarc, & une des plus grandes mortifications qui lui puissent arriver; qui apresent au lieu de parent & de frere par le mauvais traitement qu'il en a reçù est devenu son ennemi irreconciliable lequel nonobstant l'état present des affaires ne se peut fier en lui [Page 192] non plus qu'il ne veut pas qu'il s'y fie. Afin de vous donner une plus claire intelligence de tout ceci il ne sera pas hors de propos de vous faire dans un autre Chapitre, un recit en abrege de ce qui s'est passé dans tout le cours de cette affaire là.
CHAPITRE XIII. De la maniere dont on a depossedé le Duc de Holstein Gottorp, & de son retablissement.
LEs affaires entre le Roy & le Duc étant dans l'etat dont nous avons parlé ci-devant, c'est à dire l'ambition & les raison [...] d'Etat, conduisant les desseins de l'un. La crainte & la forblesse se nouvant de l'autre côté; la haine enfin & la méfiance régnant parmi les deux. Il semble qu'il ne manquoit plus que l'occasion favorarable [...] de mettre en pratique ce que les Danois avoient depuis si long-tems projeté. Ce qui enfin arriva en l'année 1675.
A l'egart de plusieurs differens qui étoient à ajoster entre le Roy de Danemarc & le Duc de Holstein, les [Page 193] pretentions qu'ils avoient tous deux à la succession des païs d'Oldembourg & Delmenhorst étoient les plus grands, ce qui fur enfin laissé à la mediation de la Cour Imperialle.
Mais dans le tems que celle-ci y travailloit, il y ent plusieurs rendez-vous entre les Ministres de Danemarc & ceux de Gottorp, pour pacifier à l'amiable cette affaire là, & tous les autres differents qu'ils avoient entr'eux. Le Roy principalement paroissoit y être le plus porté & témoignoit étre dans la resolution de vivre avec le Duc dans une parfaite union & bonne corespondence, mais il n'en agissoit ainsi que pour le mieux amuser, & l'entretenir dans la securité & dans la persuasion que ses inclinations étoient sinceres. Quelque fois on proposoit un équivalent pour le rendre seul possesseur de ses païs, & quelque fois on écoutoit les propositions qui étoient faites de sa part, même il sembloit que pour accommoder toute l'affaire, il ne restoit plus qu'à mettre au net les articles & les faire ratifier; d'autrefois il s'élevoit de nouvelles disputes touchant les impôts des Duchez de Sleswick & de Holstein dont le Roy se vouloit aproprier la plus grande partie, à proportion de la quantité de troupes qu'il y [Page 194] entretenoit, pour la defence du païs; d'autre côté le Duc insistoit à les demander, disant que le revenu des Taxes devoit étre également partagé, & que si le Roy y entretenoit plus de Troupes qu'il n'etoit necessaire, cela ne devoit en rien prejudicier au droit qu'il avoit à la moitié du revenu, particulierement parce que les entreprises du Roy, avoient toutes été mises en éfet sans son consentement & sans les lui avoir prealablement communiquées, sans l'agréement même des Etats du Duché de Holstein, ce que l'on devoit avoir sait selon les anciens Traitez; maison ne les avoir observez où negligez que selon la circonstance des affaires sur lesqu'elles les Danois veilloient attentivement dans le tems même qu'ils traitoient avec le Duc. Car la Suede qui avoit pris le parti de la France contre l'Empire, étoit alors engagée dans une guerre avec l'Electeur de Brandebourg, & les Danois qui avoient depuis longtems resolu de rompre avec la Suede croioit qu'il n'y avoit point de tems plus propre que celui-ci pour se vanger des anciens outrages qu'ils en avoient reçû, & pour se remettre en possessions des Provinces qu'ils avoient perdües. Mais considerant le Duc de [Page 195] Holstein comme un ami du Roy de Suede, & le principal obstacle à leurs desseins, ils n'osoient faire marcher leurs Troupes hors du Païs, qu'ils n'eussent auparavant tellement accommodé leurs affaires, qu'ils fussent en état de ne le pas craindre.
Il étoit necessaire de sçavoir dissimuler parfaitement, pour pouvoir mettre en execution ce qu'ils avoient machiné contre la Suede & la Maison de Gottorp, & ils agirent si adroitement que l'Ambassadeur de Suede quï demeuroit alors à Copenhague, & quï y étoit en voyé pour negotier le mariage du Roy son Maître avec la sille du Roy de Danemarc n'en sçavoit rien, ne lui témoignant rien moins que beaucoup de caresses, & de grandes marques d'amitie. Dans ce même temps là le premier Ministre de Danemarc écrivit fort obligemment au Resident du Duc de Holstein qui demeuroit alors à Hambourg, qu'il étoit prêt d'aller à sa rencontre à moitié chemin, & de joindre ses efforts aux siens pour tàcher d'ajuster tous les differens, & d'etablir une ferme corespondence entre leurs Maîtres, qui étoit, à ce qu'il lui disoit, la chose du monde qu'il desiroit le plus; d'avantage il ajoûtoit, [Page 196] que quand deux personnes bien intentionnées s'assembloient pour ajuster des differens, elles pouvoient finir en peu d'heures, ce que l'on avoit commencé sans réussite dépuis plusieurs années, & enfin le conjuroit de faire en sorte qu'ils se pussent voir. Le Roi lui même déclara souvent aux Ministres du Duc touchant cette affaire, qu'il reconnoitroit toüjours les grandes obligations qu'il leur auroit s'ils pouvoient reussir à les accommoder le Duc & lui.
C'est la coûtume du Roi de Danemarc de faire tous les ans un voyage en Holstein, où aprés avoir assemblé ses troupes il les fait passer en reveüe, cela ne se fait pas seulement pour le divertissement ou pour voir si elles sont en bon état, mais aussi pour accoûtumer les Princes voisins à une telle pratique, afin que quand ils verront que cela se fait pendant plusieurs années sans aucune mauvaise consequence, ou sans qu'on attente rien contr'eux, ils en prennent moins d'ombrage, & qu'alors ne se tenant pas sur leurs gardes il les puisse surprendre quand il en aura le dessein. Environ ce temps-là le Roy commença son voyage dans la veûe d'executer ses projets; & afin d'entretenir le Duc dans l'amusement, il [Page 197] lui écrivit des lettres fort obligeantes, le priant de ne se mettre en peine de rien, puis qu'il n'avoit en cela point d'autre dessein que de faire ce qu'il avoit fait autrefois dans de pareils voyages, excepté que ce fùt pour decider entierement à leur satisfaction reciproque tous les differens qu'ils avoient entr'eux. De telles assurances signées de la main du Roy plurent tellement au Duc, qu'il vint en personne à la rencontre de sa Majesté accompagné de l'Evêque de Lubec son frere, & de plusieurs autres personnes de qualité, & le regala fort magnifiquement à une de ses maisons qui étoit sur la route proche de son Palais de Gottorp. Le Roy alors le caressant beaucoup le pria instamment de le venir voir à Rendsbourg (qui est une ville fortifiée à environ quatorze miles d'Angleterre de Gottorp) où fort proche de là on avoit nommé le Rendé-vous des Troupes. A la fin de cet splendide repas, ou beut plusieurs fois à la prosperité du nouvel accommodement avec tant de sincerité, comme il paroissoit, que le bon Duc croyoit effectivement qu'il ne devoit nullement douter de la realité de l'affaire. C'est pourquoy il ordonna à son principal [Page 198] Ministre d'acompagner le Roy & ses Ministres jusqu'à Rendsbourg; où ils mirent les affaires sur un si bon pied qu'on ne doutoit point que tousleurs differens ne fussent bientôt terminez. Là dessus le Duc en voya à Rendsbourg trois de ses Principaux Conseillers d'Etat, qui avec une commission signée de sa main avoient pouvoir de traiter & de conclure; trois des Conseillers du Roy s'assemblerent avec eux & confererent ensemble. L'affaire qui étoit sur le tapis concernoit principalement l'échange de quelques Terres pour les Pais d'Oldembourg & Delmerhorst, mais dans cette conference les Commissaires du Roy prirent occasion de renouveller le débat que l'on avoit eu touchant le partage des Taxes, dont comme je l'ay dé-ja dit cy devant, le Roy pretendoit avoir la plus grande partie. Ce qui deplut & surprit un peu les Commissaires du Duc, lesqu'els jugerent que cela étoit forteloigné de l'affaire dont il étoit alors question, & par consequent ne voulurent pas écouter des propositions d'une telle nature.
Dans ce même temps-la, & pendant cette conference les Principaux Ministres de Danemarc écriviren [...] au Duc [Page 199] de Holstein Gottorp, que le Roy croioit qu'il etoit necessaire pour leurs communs interêts, qu'il lui plut de venir à Rendsbourg, pour y conferer avec S.M. & qu'enfin elle étoit toute prête a conclure le l'raité; que la presence de deux parents si proches contribueroit sans doute plus qu'aucune autre-chose à moyennet un prompt accommodement a l'amiable. Le Duc, tant parce qu'il avoit dé-ja été invité auparavant, que par cette reiteration d'honnetetés, & pour témoigner l'empressement qu'il avoit de conclure une paix se resolut de faire cette visite, & premierement il envoya un de ses Gentils-hommes pour faire sçavoir ses intentions à sa Majesté, & lui demander permission de l'aller voir: le Roy repondit que lui & ses Ministres seroient parfaitement bien venus, & meme tous ceux qu'il luy plairoit d'amener avec lui. Là dessus le Duc dans la persuasion, que tout ce que le Roy lui avoit fait dire étoit sincere, entreprit son voyage le vingt cinquieme de [...]uin accompagné de ses Principaux Ministres & de plusieurs autres personnes de qualité. A son arrivée à Rendsbourg, on le recût au bruit de tout le Cano [...] de la Forteresse & auec toutes le [Page 200] demonstrations de joye imaginables.
Le lendemain, étant le vingt-sixieme de Juin de l'année mil six cents soixante & quinze, & qui fut un jour bien fatal pour ce malheureux Prince & pour sa famille, il ariva un exprés en poste avec des lettres qui aprenoient la nouvelle de la grande défaite des Suedois à Fehr-Berlin par l'Electeur de Brandebourg, & qui étoit ce que les Oanois attendoient & soûhaitoient ardemment; mais à peine se pouvoientils promettre que cette entreprise eût si bien reüssi selon leurs attentes, ni que cela fut arrivé si à propos dans la conjoncture du tems où ils étoient. Ils croioient que le Ciel même favorisoit leurs desseins, & pour ne point perdie de tems, on donna tout aussi töt ordre de fermer les portes de la Ville, d'assembler un Conseil de guerre, d'envoyer des Soldats deçà & delà pour se saisir des Villes & des Forteresses du Duc; ces ordres furent à l'instant executez, on désarma la compagnie de ses guardes & on le fit lui même prisonnier dans son apartement. Le diner qu'il croioit manger avec le Roy lui fut aporté dans sa chambre par des Oficiers & des Soldats, qui le veilloient de si prés qu'à peine pouvoit-il remuer. Le [Page 201] pauvre Duc se recriant en même tems & se plaignant du mauvais traitement qu'on lui faisoit, dit qu'il étoit un Prince souverain de l'Empire, independant d'aucune autre puissance; qu'il étoit parent fort proche, beau frere, & même un convié du Roy; que c'étoit violer les loix de la justice, de confederation, de l'amitié & de l'hospitalité; que le Roy ne luy avoit pas tenu sa parole; que c'étoit une perfidie inouie. Neanmoins tout cela étoit en vain, & il ne restoit point d'autre remede au Duc que celui de suporter son infortune avec patience; l'affaire étoit commencée, il falloit l'achever & qu'il lui arriva plus de malheurs qui ne lui en étoit déja arrivé.
Car étant ainsi enprisonné, on envoya aussi-tôt chercher ses Ministres à qui on dit, qu'à present le Traité étoit achevé, que le Roy étoit le Maître, & que tout se feroit selon sa volonté; que pour cet effet il alloit prendre possession de tout le pais du Duc, & mettre des garnisons dans toutes ses places fortes, dont il étoit necessaire de s'assurer, par ce qu'il avoit dessein de conduire son armée ailleurs contre les Suedois; que la famille de Gottorp avoit toûjours eu de mauvaises inclinations [Page 102] pour le Roy, ce qu'il avoit reconnu depuis long-tems. Que cependant si le Duc vouloit volontairement renoncer à ses droits & pretentions, peut étre pouroit-on porter sa Majesté à l [...]i donner à Copenhague la valeur de cent cinquante mille Rixdalles pour le dedommager.
Malgré l'extreme malheur où le Duc se voyoit reduit, il ne vouloit pourtant pas consentir à des conditions si dures. Mais il offrit (puisque les affaires ne pouvoient aller autrement) de ceder à sa Majesté les Taxes dont il étoit question, sans pourtant prejudicier à son droit, & lui fit dire qu'il s'en pouvoit servir comme bon lui sembleroit; de plus qu'il consentoit que le Roy mit moitie de la garnison dans la forte place de Tonninguen, pourvû que tous ceux qui seroient dedans, prêtassent serment de fidelité au Roy & à lui, jusqu'à ce qu'un tems vint, où l'e [...]at des affaires changeât pour étre retabli dans la paisible possession de cette place. Que si le Roy vouloit se rendre maître absolu de son Pais, il seroit contraint de ceder à la force, mais neanmoins qu'il esperoit, que son droit demeureroit inalienable. Etqu'il prioit que le lieu où il demeuroit, assavoir [Page 103] Gottorp, que ni l'art ni la nature n'avoient pas rendu assez fort pour étre à redouter, lui fut laissé libre; & en dernier lieu qu'il plùt au Roy de lui accorder & aux siens la liberté de disposer d'eux mêmes comme ils le jugeroient à propos.
Les Danois repondirent que ces offres & ces demandes n'étoient que des bagatelles, que le Roy s'en alloit proceder à l'execution de sa volonté & de son bon plaisir par la force des armes; que jamais le Duc ni aucun des siens, ne seroient mis en liberté qu'il n'eût signé un papier qui contenoit un ordre au Commandant de Tonninguen, de remettre la Ville entre les mains du Roy, à quoy le Duc par desespoir & pour sauver sa vie consentit par force. Et certe Forteresse, son Canon & ses Magazins furent remis entre les mains de l'Officier que le Roy y avoit envoyé.
Les choses étant dans cet état le Duc s'en alla à Gottorp. La Duchesse qui tout ce tems ici avoit demeuré à Copenhague, & qui à ce qu'on croit consentoit à toutes les injustices que l'on faisoit à son mari & à sa famille, lui fut renvoyée; mais lui étoit en effet toûjours prisonnier, car on avoit placé des gardes à toutes les avenûes, & tous les [Page 204] jours on lui proposoit de nouveau quelques conditions desavantageuses, & on lui presentoit des articles qu'il étoit forcé de signer, l'un desqu'els étoit une renonciation à la souveraineté & independance du Duché de Sleswick. Enfin étant fatigué par tant de violences, sans savoir si elles finiroient jamais, il songea à se sauver, tellement qu'un jour il se servit de cet avantage, qui étoit d'accompagner la Duchesse qui devoit se rendre auprés de la Reine Douariere de Danemarc sa mere, qui l'avoit envoyée prier de la venir voir; tellement que par le moyen de quelques fidelles domestiques, il avoit des relais de chevaux, qui l'atendoient de lieu en lieu sur la route. Aprés l'avoir accompagnée quelques heures de chemin, il prit congé d'elle, puis faisant mine de chasser, il poussa son cheval, & s'en fuït aussi vite qu'il put du côté de Hambourg.
Tout aussi tôt on donna l'allarme en publiant la fuite du Duc, on depêcha plusieurs cavaliers aprés lui, mais afin de les éviter, il n'avoit pas pris le droit chemin, mais la route de Kiel: ainsi aprés l'avoir échapé belle, il arriva heureusement où il s'étoit proposé d'aller. Cela chagrina extremement [Page 205] le Roy, qui se servit de toute sortes de moyens pour le reprendre, à cause que Hambourg étant une ville fort peuplée il étoit à craindre que le bruit de la barbarie, & de la cruauté qu'il avoit exercée envers lui ne se repandit par toute l'Europe. Mais le Duc qui par l'experience de ses malheurs passez avoit apris à ne se fier plus à son ennemi, aussi-tôt qu'il se fût rendu à Hambourg il protesta solemnellement contre tout ce à quoy il avoit été forcé de donner son consentement, lors qu'il étoit retenu à Rendsbourg. Il declara de plus, qu'il étoit aussi disposé que jamais à en venir à un accommodement à l'amiable de tous les differens qui étoient entre lui & le Roy asin de prevenir la ruine de ses sujets, & tous les autres malheurs qui les menaçoient, pourvû que le Roy voulût reformer les choses qui faisoient le sujet de ses plaintes. On fît si peu de cas de cette protestation, qu'au lieu de l'écouter, le Roy ordonna qu'on demolit la forteresse de Tonninguen, fit sequestrer le Duché de Sleswick, annulla le serment de fidelité que les Magistrats & les sujets avoient prêté au Duc, & on les obligea de le prêter au Roy; il ordonna aussi que les revenus du Duc fussent aportés dans sa [Page 206] Tresorerie, que l'on continueroit à tenir Garnison dans ses places & dans sa maison. Et qu'enfin si le Duc n'acceptoit pas toutes les conditions que le Roy luy proposoit à l'egard de ce hef il seroit à jamais annexé à la Couronne de Danemarc.
Pour publier plus promptement ces nouveaux ordres, on fit aficher des declarations dans toutes les places publiques & dans toutes les villes dependantes du Daché. Le Duc de sa part en publioit d'autres contre cette usurpation, protestant solemnellement contre tout ce qui avoit été fait; & pour conclusion, il commandoit & exhortoit tous les Etats de son Duché & tous ses autres sujets de continuer à étre fermes dans la fidelité & l'obeissance qu'ils ne devoient qu'à leur legitime Prince.
Mais le Roy qui avoit resolu de ne garder plus de mesures avec lui, & qui ne se soucioit pas de l'état auquel il entretenoit ce Pais là, ne sçachant pas combien de temps il en jouïroit, fît payer de grandes contributions à tous les pauvres sujets, même jusquà la valeur de plusieurs millions d'or, sans songer qu'il ruinoit entierement une des florissantes Provinces qu'il y eût [Page 207] dans le Cercle de la Basse Saxe, ô tant par là tout moyen aux sujets du Duc de contribuer en aueune maniere à la subsistance de leur Maître qui demeura tout ce temps-là à Hambourg dans un état peu conforme à sa qualité. Ce fût pour lors qu'il envoya son fils dans les Pais étrangers, pour implorer l'assistance de tous les Princes d'Allemagne. Lors qu'il alloit pour travailler à cela, je le rencontrai par hasard aux Cours de Hannover, & de Wolfenbuttel. Il s'adressa aussi à la Couronne d'Angleterre comme guarantie de la paix du Nort, & fît imprimer en Anglois une relation de son déplorable état, qui contenoit en general toutes les particularités que nous avons cy devant mentionnées. Mais tout cela ne servit de rien, le Duc n'en fût pas moins dans la souffrance, quoy qu'il en appellât à ceux qui auroient dù s'interester dans sa querelle & prendre son parti. Enfin le Roy de Suede commença tout de bon à prendre sa cause en main, & ce Prince ayant reduit les affaïres de son Royaume à un état qui lui fournissoit les moyens de se ressentir des iniures qu'on avoit faites à son proche parent, menaça les Danois de leur faire la g [...]erre, [Page 208] si l'on refusoit de faire promptement restitution de ses Etats; pout cet effet il mît sa flotte en mer en l'année mil six cens quatre vingt neuf dans le dessein de mettre en execution ces menaces; ce qu'il pouvoit d'autant mieux faire pour lors que le principal apui des Danois, assavoir le Roy de France, étoit dans ce temps là attaqué par les forces des Confederés, & l'Angleterre par l'avenement de sa Majesté à la Couronne étoit devenue principale partie dans une si juste guerre; tellement qu'il y avoit aparence que la France avoit assés à faire en defendant son propre Païs. Outre cela sa Majesté Britannique étant devenue guarantie de la Paix du Nort, se croioit obligée de la maintenir; & pour cet effet elle donna les instructions necessaires à son Envoyé extraordinaire qui fut depêché à la Cour de Danemarc, pour porter cette Couronne à un accommodement, afin de prevenir par là l'effusion de sang. Ces remontrances firent l'effet sur l'esprit du Roy de Danemarc que l'on s'étoit proposé, & il ceda enfin à la necessité où il étoit reduit par l'état de ses affaires, & aux sollicitations de l'Electeur de Brandebourg qui avec les autres Princes pressoit [Page 209] le rétablissement du Duc & avoit envoyé ses Ministres au congrés pour moyenner un accommodement, & pour proposer un projet sur ce sujet, non pas tant par l affection qu'il portoit à la famille de Gottorp, mais plûtôt parce qu'il craignoit que le Roy de Suede ne fit passer ses forces de l'autre côté de la Mer Baltique, ce qui sans doute auroit donné de grands ombrages à tout le voisinage & en particulier au Brandebourg. Ainsi les Danois consentirent à contre coeur à rendre ce qu'ils avoient si injustement detenu l'espace de plus de treize ans aprés avoir levé des sommes immenses dans le Païs. Dans la partie du Duché de Sleswick qui apartenoit au Duc, il y avoit vingt huit mille charües qui étoient Taxées à payer chacune quatre Ecus par mois, outre une grande quantité d'extortions par le moyen desqu'elles les bources des Ministres de Danemarc étoient remplies & les revenus partagés entr'eux. Les Flottes Danoise & Suedoise furent environ quinze jours en mersans qu'il se passat aucune action. Dabort aprés que le Duc fût retabli & que l'accommodement fût publié (& cela sans lui faire reparation des dommages qu'il avoit souferts.) Les deux [Page 210] Flottes rentrerent dans les ports, & le Duc se retira à Gottorp qu'il trouva dans un état pitoiable en comparaison de ce qu'il étoit auparavant. Messieurs les Etats Generaux furent le principal mobile qui fit conclure le Traité, par le moyen de Mr. Heemskerk leur Ministre; & sa Majesté e [...] beaucoup de part à la gloire d'avoir retabli un Prince oprimé lequel aprés avoir été si long-temps depossedé, avoit été comme proscript & sans esperance de rentrer dans ses Etats.
La premiere année de son Regne, elle a maintenu l'honneur de la Couronne d'Angleterre qui étoit engagée à soutenir les interêts de ce Prince; elle a assuré la Paix du Nort, & par là elle s'est procuré l'assistance de ces deux Couronnes pour humilier l'ennemi commun. Ce qui est en effet arrivé, car les Danois ont envoyé, selon le Traité conclu, sept mille soldats qui sont encore aujourdhuy au service de sa Majesté; & les Suedois sont en liberté de laisser au service des Hollandois autant de Troupes, qu'ils étoient autrefois convenus, & qu'ils auroient été contraints de rapeller s'ils eussent eü guerre avec les Danois.
CHAPITRE XIV. Des Interéts du Roy de Danemarc par raport aux autres Princes.
EN traitant des Interêts du Roy de Danemarc eu egard aux autres Princes & Etats qui ne sont point ses Frontieres, & les intentions qu'il a pour eux il ne sera pas necessaire d'observer exactement l'ordre & le rang que ces Princes tienent dans le monde, c'est pourquoy je parle [...]ai d'eux indiferemment selon qu'ils se rencontreront.
Le Roy de Danemarc est obligé d'entretenir toujours exterieurement, une bonne correspondence avec l'Empereur, étant lui même un Prince de l'Empire comme Duc de Holstein; outre qu'il est souvent en son pouvoir de lui faire beaucoup du bien o [...] du mal selon les occasions. Le Roy de Danemarc soùhaitte passionnement d'etablit un droit de Passage à Gluestad sur la Riviere d'Elbe, & quoy que le Consentement de l'Empereur ne fit pas que cette entreprise fut mieux fondée vu qu'il y a plusieurs autres Princes qui sont interessez au commerce de Hambourg [Page 212] à qui un pareil impòt porteroit du prejudice, neanmoins ce seroit faire un grand coup pour lui s'il en pouvoit venir about, mais il faut cependant que cette affaire demeure toùjours dans le même état; c'est pourquoy il menage cependant sa Majesté Imperialle & quand ses Ministres demandent quelque chose il envoye (par des raisons d'importance) de ses troupes servir en Hongrie contre les Turcs; malgré tout cela, il regarde de mauvais oeil la puissance de la maison d'Autriche & son accroissement lui fait des grands ombrages eû egart à ses conquêtes, étant jalous comme presque tous les autres Princes d'Allemagne le sont de la grandeur de cette famille, de peur qu'elle n'oprime un jour la liberté de l'Allemagne, & ne fasse la ruine de leurs Etats, c'est pourquoy le Roy de Danemarc n'est pas faché, que les François, ou les Turcs remportent quelques avantages sur l'Empire. On la souvent entendu se plaindre de la negligence & de l'indifference que la Cour Imperialle faisoit paroître à son égart, & de ce qu'elle prenoit le parti de la Suede, ce qui est la cause que l'Empereur a dépuis peu envoyé un de ses Ministres [Page 213] en qualité de Resident à Copenhague aussi bien qu'à Stockholm, & du depuis il semble qu'il soit plus content. Mais au fond on doit suposer, que le Roy de Danemarc n'est pas un des veritables amis de l'Empereur, parce qu'il a toûjours dans le pensée que sa Majesté Imperialle favorise des interêts oposez aux siens, en tolerant la Maison de Lunebourg dans la possession illegitime du Duché de Saxe Lawembourg, & en donnant la dignité Electoralle à cette famille, ce que le Roy de Danemarc ne ratifiera jamais, mais plûtôt s'y opposera de toutes ses forces.
Le Roy de Danemarc traite à present le Roy de Pologne indiferemment d'ami ou d'ennemi, n'y ayant presque aujourd'hui aucune correspondence entre lui & cette Couronne. Neanmoins il aime mieux vivre en amitie avec ce Prince par ce qu'un jour il peut lui rendre des grands services contre les Suedois. Et c'est pour cette même raison que l'Electeur de Brandebourg qui dans cette affaire là a les mêmes interêts que le Roy de Danemarc entretient une bonne intelligence avec la Pologne, & même fait resider ordinairement un de ses Ministres en qualité d'Envoyé à Warsovie. De [Page 214] plus le Port de Dantzie est sort commode à tous ceux qui trafiquent dans la Mer Baltique, & les Danois aportent du blé de ce païs-là aussi bien que beaucoup d'autres marchandises. Ils conservent aussi toujours une bonne intelligence avec toutes les autres petites Villes situées sur les côtes.
Le Roy vit [...]ans une si bonne amitie avec le Duc de Courlande qu'il lui a permis de lever des Troupes dans son pais, dont un nommé Potcamer frere du premier Ministre de ce Duc est Gouverneur. Les soldats de ce Païs là sont plus propres à la fatigue qu'aucune autre nation qu'il y aitau monde, quoi qu'ils fe nourissent de fort peu de chose.
C'est plus l'interêt du Danemarc d'avoir une bonne correspondence avec les Hollandois qu'avec aucun autre Prince de l'Europe, a cause du grand revenu que lui raporte le negoce de ce pais-la, & du droit qu'ils payent au passage du Sund; de plus parce qu'en cas de differents avec la Suede, ou dans quelque autre occasion pressante, le Roy de Danemarc peut faire fonds sur le secours des Hollandois, qui sont toujours prêts & capbles de le proteger, comme [Page 215] on l'a vû par l'experience dans les dernieres guerres entre les Couronnes du Nort. Car les Hollandois ne soufriront jamais que ces Royaumes soient plus puissans l'un que l'autre, a cause des interêts qu'ils ont au commerce de la Mer Baltique, mais au contraire ils prendront beaucoup de soin d'assister le plus foible & de lui envoyer le secours dont il aura besoin, par ce que la commodité de leur situation & les forces prodigieuses qu'ils ont par mer leur en peuvent fournir les moyens mieux qu'à qui ce soit. Toutes ces considerations n'empèchent pas qu'il n'arrive souvent des demélés entre les Hollandois & les Danois, & l'amitié que ces derniers ont pour les premiers est fort chancelante & fort froide, particulierement depuis cette derniere guerre avec la France, & l'accord que les Provinces Unies ont fait avec l'Angleterre pour interrompre & empêcher le commerce qu'ils ont avec ce Royaume la; car outre qu'une Monarchie Despotique ne sçauroit par plusieurs raisons aimer une Republique, les Danois portent envie au grand commerce des Hollandois, & ne peuvent souffrir que des Marchands, comme ils les apellent, [Page 216] ayent assés de puissance pour faire la loi à aucune tête couronnée. Quoi qu'il en soit, le Roy de Danemac seroit fàché que la Hollande succombât sous le poids des armes puissantes de ses ennemis, au contraire il feroit les derniers efforts pour s'y oposer, quoi que peut étre il ne le fit qu'avant que les affaires ne fussent reduites à une telle extremité qu'il lui fut impossible de donner aux Hollandois un prompt secours.
Le Roy de Danemarc aime l'alliance de la France & entretient une plus étroite correspondence avec cette Couronne qu'avec aucune autre, quoi qu'il soit tres certain, que les maximes qu'il a aprises de cette puissance, & la pratique qu'il en a fait, ont été la principale cause du mauvais état auquel son Royaume est à present reduit. Mais le Roy de France par ses flateries, par de grandes promesses, & par un peu d'argent donné à propos a trouvé le moyen d'amuser cette Cour, & de la faire agir comme il lui plaît, malgré les malheurs, les mauvais succez & la misere universelle qui ont suivi ses pernicieuses metodes. Il y a ici une si grande quantité d'Emissaires de la Cour de France, que rien ne plait si la mode n'en vient pas, soit à l'egart des habits [Page 217] de la discipline militaire ou de la politique; & il est certain, qu'on ne se pouvoit pas servir d'une meilleure dans un gouvernement arbitraire, pourvû qu'on prenne soin de s'en servir proportionement à la force du dessein que l'on s'est proposé. Mais faute d'avoir bien consideré cecy il a été fatal au Danemarc; ce Monarque a apris de la France que les Soldats sont les plus grandes & même les seules richesses des Princes, & cela a fait qu'il en a levé un si grand nombre qu'il ne sçait plus qu'en faire, excepté qu'il ne cherche querelle à ses voisins pour les occuper, ce qu'il fait fort souvent pour favoriser les interêts de la France, quoique enfin cela tourne à sa perte. Desorte que le Danemarc ressemble, en cela à un Monstre, qui est tout tête & sans Corps, tous Soldats & sans sujets. Et quand la Paix generalle viendra à se conclure parmiles Princes de l'Europe, & que tous les étrangers pouront trafiquer librement il est sur que cela ruinera tous les avantages que ce Païs là possede à present. Je ne vois pas ce que deviendront les affaires publiques dans ce Païs icy, car lors que l'on donnera congé aux Soldats, qui sont pour la plus part étrangers ils [...] [Page 216] [...] [Page 217] [Page 218] s'en retourneront chacun dans son Païs, & par là le revenu du Royaume sera reduit à rien par le manque de peuple & par la pauvreté; c'est pourquoy on ne sçauroit apeller cela autrement que folie, de dire que le moindre & le plus pauvre Royaume de l'Europe tache d'imiter avec succez le plus riche, le plus grand, & le plus peuplé de tous, & de se regler sur lui, comme s'il n'y avoit point de difference entre Roy & Roy. J'ay oüi parler de quelque chose d'à peu prés semblable de la peti [...]e Republique de St. Marin en Italie qui ne consiste qu'en une petite ville en y comprenant les Montagnes qui sont autour, dont à peine les voyageurs prenent-ils la moindre connoissance; qui quand elle écrit à la Republique de Venize, ce qui ne lui arrive pas souvent elle l'apelle Nôtre Soeur avec autant de gravité & d'orgueil que si elle lui étoit égale en grandeur, en richesses ou en pouvoir. Mais la vanité de ces pauvres ltaliens ne va pas plus loin que leurs parcles, & ne fait mal à personne.
Mais les raisons qui font que c'est l'interêt du Danemarc de s'entretenir bien avec la France sont assez fortes; premierement parce qu'il regarde cette [Page 219] Couronne, comme étant un contrepoids à la grandeur de l'Empereur & a la maison d'Autriche, dont tous les Princes d'Allemagne, comme jel'ay dé ja dit regardent d'un oeuil de jalousie la Puissance. Sa derniere acquisition de la Couronne de Hongrie, les autres conquêtes qu'il a faites sur le Turc, la probabilité qu'il y a que les Païs de l'obeissance du Roy d'Espagne tomberont un jour à quelques unes de ses branches, le souvenir du terrible ravage que l'Empereur Charle-quint & ses successeurs firent dans les Etats des Princes d'Allemagne, lors qu'elle possedoit tous ces avantages, toutes ces choses dis-je font que les Danois aussi bien que les autres Princes font de serienses reflexions sur ce qui peut ariver cy aprés, si la France étoit reduite dans un état trop bas: La seconde raison est, qu'ils sçavent qu'il n'y a aucune autre armée navalle capable de contester l'Empire de l'Ocean aux Anglois & aux Hollandois que celle là, & ils sont fort aises de tenir la question indeterminée entr'eux touchant cet Empire, afin que leur Negoce soit libre, & qu'ils puissent avoir part au Trafic qui se fait dans le monde, qui à ce qu'ils pénsent, seroit fort mediocre, si cette [Page 220] affaire étoit une fois decidée à nôtre avantage. Une troisieme raison, & qui est ce me semble la plus forte est les subsides que le Roy de Danemarc tire de temps en temps de la France, un peu d'argent comptant donné bien à propos à des gens qui en ont besoin, a des charmes aux quels on ne peut aisement resister; & cecy a été de la Politique de France, d'engager cette Couronne à entreprendre plus qu'elle ne peut sous pretexte qu'elle ne regardoit qu'à sa grandeur, au lieu que ce n'a été qu'à son avantage qu'elle visoit, étant assurée qu'apres l'avoir ruinée avec son Païs, elle pouroit l'acheter à bon marché, quand elle voudroit. Neanmoins quand le tresor de France sera une fois épuisé, & que quelqu'un en offrira d'avantage, cette espece de Politique non seulement sera inutile aux François, mais aussi tournera à leur desavantage.
Le Roy de Danemarc vit d'une maniere indiferente avec les Roys d'Espagne & de Portugal; leurs Etats sont si éloignés & ont si peu d'affaires les uns avec les autres, qu'il se presente fort peu souvent d'occasion de faire entr'eux ou alliance ou la guerre: neanmoins [Page 221] les Danois ont quelque sorte de Negoce, comme de sel & de vin avec les sujets de ces deux Couronnes, & durant cette guerre, ils tirent un grand avantage de leur neutralité en transportant dans leurs Vaisseaux les marchandises des François, Anglois & Hollandois d'un port dans un autre. Ils ont aussi à la verité quelques pretentions sur les Espagnols, pour des arrerages de subsides qui leur sont deus dés le temps que le Danois prirent le parti des Confederés contre la France, dans les premieres guerres; mais ils desesperent de jamais les obte nir, excepté qu'il n'arivât quelque accident imprevû qui leur fît payer cette debte, dont je croy qu'ils n'ont jamais ajusté les comptes entr'eux.
Le Roy de Danemarc a toûjours entretenu une fort bonne correspondence avec le feu Electeur de Saxe. Cet Electeur ayant épouséne des Soeurs du Roy, cette alliance produisoit d'aussi grands effects qu'on pût jamais soûhaiter; de telle maniere qu'il se forma une resolution d'unir les deux familles encore plus proche, par un mariage entre le present Electeur, (alors Prince) & la Princesse fille unique du [Page 222] Roy; cela alla si avant qu'il y eut un contract passé, & que les presens ordinaires en de tels mariages furent mutuellement donnez; lors que tout d'un coup le vieux Electeur mourut l'année passée comme il conduisoit l'armée vers le Rhin contre les François pour la cause commune de l'Europe. La mort de ce Prince entre autres changemens produisit cetui cy, assavoir que son Successeur le present Electeur, étant par là devenu maître de lui même, & ayant autrefois passionement aimé une autre Dame, qui est à present Electrice, refusa d'accomplir son mariage avec la fille du Roy de Danemarc sa cousine germaine &envoya les presents qu'on lui avoit fait, lors que le contract se fît.
Cette action déplût beaucoup au Roy & à la Reine & à toute la Cour de Danemark, neanmoins il n'y avoit point d'autre remede que la patience, l'Electeur étoit trop éloigné pour craindre quelque chose du chagrin du Roy & il resolut de suivre sa propre inclination dans le choix d'une femme, en depit de ce que le monde en pouroit dire, pour ce faire il rechercha [Page 223] tout aussi-tôt, & se maria à sa fantaisie, laissant les Danois libres de digerer cet affront comme ils pouroient, ce qu'à peine oublieront ils de longtemps. Tellement qu'on croit que cet ancien noeud d'amitié, qui étoit entre le Roy & la famille de l'Electeur de Saxe est par là extremement diminué, neanmoins les choses n'en sont pas venües assez avant, pour pouvoir le rompre entierement, les excuses que l'Electeur a faites de cette action ayant été reçeües comme une espece de satisfaction.
Le Roy de Danemarc vit en bonne amitié avec l'Evêque de Munster à cause qu'il est le plus proche voisin du Paîs d'Oldembourg & de Delmenhorst, & pour la plus part du temps il entretient un Resident en cette Cour. Il entretient la même intelligence avec les autres Princes d'Allemagne, particulierement avec le Land-Grave de Hesse-Cassel qui est frere de la Reine, de qui il est extremement aymé.
Le Roy de Danemarc a un Frere assavoir.
[Page 224]Le Prince George né en l'année mil six-cents cinquante trois, & marié à son Altesse Royalle la Princesse Anne, Soeur de la Reine d'Angleterre.
Et quatre Soeurs assavoir.
Anna Sophia, veûve du dernier Electeur de Saxe.
Frederica AEmilia, Femme du Duc de Holstein.
Guillimetta Ernestina, veúve du Palatin du Rhin.
Ulrica Eleonora Sabina, la defunte Reine de Suede.
CHAPITRE XV. Des Loix & des Cours de Iustice. &c.
IL y a quelques naturalistes qui observent, qu'il n'y a point de plante ny d'insecte dans le monde, quelque veneneux qu'ils soyent qui ne renferment quelque chose de bon & d'utile à l'homme, si on s'en sert à propos: on peut dire tout de même qu'on poura [Page 225] aprendre bien de choses necessaires & qui peuvent servir à l'avantage du genre humain, en lisant cette Relation du Danemarc, pourvû que les choses soient prises du bon sens, & envisagées, du bon côté.
Jusqu'icy nous y avons à la verité trouvé plusieurs choses qu'il faut éviter & fort peu à imiter, mais à present que je m'en vai parler des loix de Danemarc il faut absolument que je commence par leur rendre ce temoignage qui est que pour la iustice, la brieveté & la neteté elles surpassent toutes celles que je connois dans le monde. Elles sont toutes fondées sur l'equité & ne sont contenües que dans un petit volume in quarto écrit dans le language du Païs, avec tant de simplicité & de neteré qu'il n'y a personne, quisçache lire & écrire quelque ignorant qu'il soit, qui ne s'en puisse servir, les citer dans sa propre cause & en former son plaidoyé sans avoir besoin de Conseillers ni d'Avocats.
On ne trouve point icy de cette chicane, qui ruine, ou fait la fortune des Playdeurs en Angleterre. On n'a besoin que de fort peu d'Avocats pour plaider les causes de ceux qui ont des procez, & outre qu'ils ne reglent pas [Page 226] eux mêmes leurs droits, ils ne sont pas exhorbitans; il n'y a point de procés de quelque importance qu'ils soyent que l'on puisse trainer en longeur plus d'un an & un mois, puisque quand même on apelleroit de la sentence d'une Cour à une autre, on peur en avoir une definitive dans cet intervalle de tems pourvû qu'on veuille poursuivre soigneusement son procez.
L'on pouroit repondre à cela que le manque d'argent qui est fort rare en Danemarc, est peut étre la principale raison de ce qu'il y a si peu de procez & si peu d'Avocats. Cela en est la veritable cause, & peut étre que cette consideration a porté le Roy à établir de si bonnes Loix. Car puis qu'il avoit resolu de vuider la bource de ses sujets, & d'en tirer tous les avantages qu'il pouroit, il n'étoit pas de son interêt de permettre aux autres d'en faire de même & de partager le profit avec lui. Quoi qu'il en soit c'est une chose constante qu'un tel reglement ne seroit pas seulement à souhaiter, mais même rendroit à jamais heureux un païs riche. Et cet exemple du Danemarc nous montre clairement [Page 227] qu'on pouroit fort bien le pratiquer ailleurs.
Mais pour revenir à nôtre discours il est à remarquer qu'en Danemarc pour les procez qu'un homme peut avoir contre un autre, il y a trois Cours qui ont chacune le pouvoir de donner sentence definitive, & qui peuvent condamner ou absoudre les parties. Neanmoins on peut apeller de la plus basse à la plus haute, & si le Juge de la plus basse varie de gayeté de coeur de la loy positive, la partie à laque'elle il a fait, tort, obtient des dommages sur le Juge & sur son adverse partie: Ici on ne peut transferer une action d'une Cour dans une autre, ou il faut que les parties recommencent leur procedures tout de nouveau; mais par la voye ordinaire de proceder, ils peuvent apeller de la plus basse à la plus haute.
Voici les trois Cours. Premierement dans les Villes & Bourgs il y a la Cour de Byfoghts. Il y en a une autre à la Campagne qui répond à celle ci qu'on apelle la Cour de Herreds Fougds. De celle-la on peut apeller à celle du Landstag qui est la principale Cour de la Province.
En troisieme lieu de celle-là on peut apeller à celle qu'on apelle le High-right, [Page 228] & qui est à Copenhague, où le Roy lui même prend quelques fois séance, & qui est toûjours composée de la premiere Noblesse du Royaume. A la verité les Juges dans les deux Cours, dont nous avons parlé ci-devant sont établis par lettres patentes de sa Majesté, seulement Durante Bene placito. Mais en cas de malversation ils peuvent étre punis, & condamnez à faire reparation aux parties, aux quelles ils ont fait tort ou injustice.
La Ville de Copenhague a ce privilege en particulier, que les sentences qui se donnent de la Cour du Byfoghts au lieu de passer par la Cour de la Province, doivent étre aportées aux Bourguemêtres & au commun Conseil, & de là passer à la plus haute Cour, qui ressemble en ceci à nôtre grande Cour de la Chancellerie; c'est que s'il arive quelque affaire ou qu'il y ait quelque chose en dispute qu'on ne puisse decider par le defaut d'article positif dans la loy touchant ce fait, (ce qui arive fort rarement) elle est déterminée par le Roy, ou par ceux qui sont avec lui qui sont comme les gardes de sa conscience. Tout cela [...]roit fort bien, si ce n'est que le premier article de leurs loix reserve au [Page 229] Roy le pouvoir de les expliquer & de les changer quand il lui plait.
Quant à ce qui regarde le revenu. La Chambre des Rentes en Danemarc ressemble à nôtre Cour de l'Echiquier, où on a aussi étab [...]i un Thrésorier General; il y a aussi une Cour composée de quelques uns des membres de cette Chambre des Rentes, de ceux de l' Amirauté, & du Coll [...]g [...] du Commerce, devant qui les marchands, dont on a saisi les effets pour n'avoir pas payé la Doüane, peuvent apeller. Les sentences qui se donnent dans les Cours subalternes, sont quelquefois partialles, mais fort rarement, par l'aprehension que l'on a d'étre récherché par les Juges de la Cour souveraine, qui prennent fort grand soin de rendre justice. Je connoissois un Juge lors que j'étois en Danemarc qui eut bien de la peine à éviter d'être mis a l'amande, pour avoir donné sentence mal à propos contre un Marchand Anglois; mais qui fut tout aussi-tôt cassé.
A la verité tandis que Monsieur Griffenfeld & Monsieur Wibbe étoient Chanceliers, le bruit couroit sous main, que les sentences de la Cour souveraine n'étoient pas tout-à-fait données [Page 230] selon la rigeur de la Loy, mais à present cela arrive fort rarement, excepté quand un Courtisan ou un Favori y est interessé, alors dans de pareilles rencontres, ou dans les affaires où il y va de l'interêt du Roy, on ne peut s'attendre à aucune justice, particulierement si c'est dans un procez où il s'agisse d'argent.
Le salaire des Juges est fort peu de chose, il se paye de l'argent de la Tresorerie, & ne peut étre apellé Taxe. Le Byfogd a de revenu environ cent Rixdalles par an, & se paye de ses propres mainssur les amandes des deliquans. A la Campagne les Herredfogds n'ont de revenu, que la rente que l'on doit au Roy pour une ferme qui est estimée à dix tonnaux de seigle outre cela il reçoit de celui qui accuse & de l'accusé la somme de dix sols pour chaque sentence; & dans les Villes & Bourgs le Byfogd ou juge a une fois d'avantage. De plus les parties qui sont en procez, sont obligées de payer au Clerc du Greffier une certaine somme pour chaque fe [...]ille de papier, où tout le procez est écritau large, & où toutes les Procedures de chaque partie, soit verballes ou par écrit, sont couchées, & sur la fin, l'original de la sentence. A la [Page 231] Cour du Byfogds & du Landstag, les juges cittent les Loix dans la sentence, & ajoütent les raisons sur les quelles leur jugement est fondé; mais dans celle qui est apellée le High Right, on né donne aucune raison, ou si on en donne cela arrive rarement. Et afin qu'aucun Greffier ait l'occasion de voler ou de tromper les Clients en remplissant par de gros caracteres plus de papier qu'il ne faut, on a limité le nombre des feüilles, tellement que personne n'est obligé de payer au dela du nombre limité. Chaqu'un a la liberté de plaider sa propre cause quand il lui plait. Neanmoins c'est l'ordre du Roy, que les Magistrats ayent soin de se pour voir d'un ou de plusieurs Avocats, dontils connoissent le merite, pour plaider les causes des pauvres gens, & de ceux qui ne peuvent pas plaider eux mèmes; enfin on peut plaider l'un contre l'autre à peu de frais puis qu'un Playdeur peut obtenir sentence dans les trois Cours, dont il y en a une definitive pour cinquante Rixdalles qui sont moins de dix livres Sterling d'Angleterre, excepté que la somme qui est en question soit fort considerable, ou qu'il y ait plus de témoignages qu'a [Page 232] l'ordinaire, qui étant tous écrits sur du papier marqué, coùtent davantage; ces loix sont si exped [...]tives & si équitables, que tous les Marchants & les étrangers les estiment beaucoup, & particulierement ceux, qui sont forcés d'y avoir recours. Il ne faut pas croire, que le peu d'argent eu'il en coûte à plaider, encourage à la chicane ceux qui ayment les procés, car les loix ont pourveu elles mêmes au mal qu [...]en pouroit ariver, & arrachent s'il faut ainsi dire jusqu'à la racine, toute l'humeur litigieuse des Chicaneurs. Elles sont si claires & si aisées q [...]'une personne malicieuse ne trouve jamais son compte à intenter des procés: an contiaire elle y trouve toutes les traverses qu'on pouroit lui soûhaiter.
Dans les affaires criminelles, on observe la Justice exactement & fort severement. On n'a jamais entendu que personne ait été trouvée coupable du c [...]ne de leze Majesté, le Gouvernement a pris des r [...]cines si profondes sur les fondemens où il est à present, que personne n'oseroit seulement remuer la langue pour y trouver quelque chose à redire. Il n'y a poin [...] de Rogneurs de Monnoye, ny de faux Monoyeurs, il n'y a point de voleurs de [Page 233] grands chemins, ni d'autres sçcelerats qui forcent les Maisons pendant la nuit ce qui est un grand avantage, parmi la quantité de malheurs qui arrivent sous un gouvernement despotique, & ce que j'ay aussi remarqué en France, dont nous ne joü [...]ssons point dans noôtre Païs, Puet étre à cause que ces Princes étant Maîtres absolus de la bource de leurs sujets en prennent soin aussi particulierement que d'eux mêmes, c'est pourquoy ils employent toutes sortes de moyens pour empêcher, que personne ne les trompe ou les vole, par la même raison qu'on tüe les Belettes qui mangent les pigeons dans un Coulombier, c'est-à-dire, afin qu'ils en puissent eux mêmes tirer le profit. Les Crimes capitaux que l'on commêt le plus souvent sont le meurtre & le vol On punit les Criminels en leur tranchant la tête d'un seul coup de sabre, ce qui se fait fort adroitement: le Boureau, quoy qu'infame par sa Charge, tellement que personne ne veut marcher avec lui dans les rùes, est pour l'ordinaire fort à son aise; il a d'autres moyens pour gagner de l'argent qui lui sont fort avantageux, & que personne n'oseroit entreprendre que lui, comme de vuider les [Page 234] lieux secrets, d'ôter de de dans les rûes ou des écuries les chiens ou les chevaux morts. Car il n'y a point de valet en Danemarc qui voulût pourquoy que ce soit toucher à aucune de ces choses là, & le boureau à une certaine somme qui lui est taxée pour ces sortes d'affaires, & qu'il fait faire par un de ses vallets apellé le Backer.
Les Avocats ne sont pas élevés comme en Angleterre dans des societés publiques, comme dans nos Colleges de Juris-Consultes ou de la Chancellerie, aussi ne prennent ils point la qualité d'Avocats, ou de Docteurs és loix, mais commencent à suivre leur profession quand il leur plaît, selon leurs propres inclinations ou leur capacité.
Outre les trois Cours ordinaires dont nous avons fait mention, il y a des Commissaires de l'Amirauté, qu'ils apellent la Cour de l'Amirauté, où les affaires de la marine s'agitent, comme ce qui regarde les prises, les naufrages & les disputes qui survienent entre les Armateurs &c.
Il y a aussi une Chancellerie qui consiste en un cerrain nombre de Greffiers qui écrivent & publient tous les Ordres du Roy, Envoys, les Adjournements, copient les Ecrits, dressent en [Page 235] latin les minutes des Alliances & des Traités avec les Cours étrangeres selon les directions qui leur sont données. Enfin ils étoient autrefois sous le Gouvernement d'un homme qu'on apelloit Chancelier, mais depuis la mort de Monsieur Vibbe, cet employ n'a point été rempli, & cela ne ressemble point à nos Charges de Grand Chancelier d' Angleterre. Les Greffiers de ce Bureau ont de petits gages du Roy, outre que pour chaque adjournement donné par devant la principale Cour, & pour chaque ordre qu'ils publient ils ont une certaine somme, qu'ils pattagent entr'eux.
Il y a un Officier public à Copenhague apellé le Maître de Police dont la fonction est de tenir en bon ordre toures les affaires qui regardent la Ville. Il doit prendre garde, que les marchands vendent de bonnes marchandises, & qu'ils ne se mélent point du Negoce les uns des autres, il doit accommoder les differens qui pouroient survenir entr'eux sur ce sujet. Il doit prendre soin de tenir en bon état les maisons publiques, les ponts levis, & les canaux; il doit faire paver & netoyer les rües, & en faire ôter tout ce qui pourroit embarasser, & faire [Page 236] du desordre. Il doit prendre garde, qu'on n'y aporte point des Marchandises defendües & de contrebande, qu'il y ait toûjours assez de pain & de farine, & qu'on le vende à un prix raisonnable, & que tout soit prêt pour aider à éteindre le feu en cas d'embrasement &c.
Effectivement ces ordres là sont fort bons & bien executés, premierement il y a des Compagnies nommées pour faire la Ronde & pour éteindre le feu, & personne, excepté eux n'ose en aprocher que jusqu'à une certaine distance, de peur que sous pretexte de secours on ne pille. Les Ramonneurs de Cheminées sont obligez de tenir un regître de toutes les cheminées qu'ils netoyent afin qu'en cas d'accident, ceux chez qui le feu prend, par leur negligence ou par leur avarice soient responsables des dommages qui en arivent.
On n'oseroit porter icy de Torches ny de flambeaux dans les rües à cause de la grande quantité de bois de sapin dont on se sert à batir, & des grands vents qui y regnent; au lieu de cela tout le monde (même à la Cour) se sert de grandes lanternes rondes qu'on porte au bout d'un bâton; le [Page 237] Maître de Police régle ce que ceux qui voyagent dans des Chariots doivent donner, & punit ceux qui veulent exiger d'avantage que l'ordre qu'il a établi, si quelqu'un s'en plaint. Il punit aussi ceux qui voyagent sans permission dans le grand chemin qui est particulier au Roy, & qui portent des fusils pour tuer en cachette des cerfs, des lievres, ou autres sortes de Gibier lors que la chasse est defendüe. Il prend soin de supprimer les excés, le libertinage & le deréglement des soldats, qui n'ont pas permission d'aller dans les rües quand on a batu la retraite, & en general de tout ce qui regarde le repos & le bon ordre.
Entre les bons réglemens qui sont en Danemarc je regarde celui que les Apotiquaires observent, comme un des principaux. Car personne n'a permission d'exercer cette profession, à moins que d'étre aprouvé par le College de Medecine, & confirmé par le Roy lui même. On n'en soufre que deux dans la ville de Copenhague & un dans châque autre ville considerable. Les Magistrats accompagnez des Docteurs en Medecine visitent leurs boutiques & leurs drogues, deux ou trois fois par an & celles qui [Page 238] sont ou vieilles ou mauvaises on les prend, & on les jette sur le fumier hors la ville. Le prix de toutes ces drogues est fixé, tellement qu'on peut, sans crainte d'étre trompé, envoyer même un enfant chercher quelque chofe dans la boutique d'un Apotiquaire & il ne s'y vend rien que de fort bon, & à fort juste prix. Tout s'y vend argent comptant, neanmoins ils enregistrent tout ce qu'ils vendent à qui, & par l'ordonnance de quel medecin. Tellement que les malheurs qui arivent par le poison, soit par accident ou de bonne volonté, sont fort peu frequens; mais s'il arive quelque chose de semblable il est aisement découvert, & promptement puni.
Ce païs icy est divisé en plusieurs Jurisdictions ou Gouvernemens, apellez Stifts ou Ampts qui sont en tout sept; dont il y en a quatre en Jutland, les autres trois sont dans les Iles: chacun de ceux-cy est encore soudivisé, en trois plus petites Jurisdictions, apellées Ampts. Le Stifts-Ampts-Man ou Gouverneur du Païs, est d'ordinaire une personne d'une qualité distinguée, & leurs charges répondent à celles de Lieutenants de Roy de nos Provinces en Angleterre, ou plûtôt a [Page 239] celles des Intendans en France. L'Ampt-man ou Lieutenant Gouverneur d'un canton, ou d'un balliage est toûjours un Gentil-homme, mais de moindre qualité & qui a moins de bien que le Stifts-Ampts-Man. Il demeure dans la principale ville de sa jurisdiction & prend soin de toutes les affaires qui regardent le public: comme du bon ordre dans le logement des soldats, d'ordonner de leur marches, de lever le revenu du Roy, de donner des ordres aux Païsans lors qu'ils sont employez à travailler pour le public, ou à racommoder les grands chemins quand le Roy va en voyage; où ils agissent eux mêmes, ou font agir leurs officiers subalternes qui sont comme nos Baillifs ou Connetables. Ces emplois sont pour la plus part, à vie & à la nomination du Roy, & sont les principales recompences de ceux qui les ont bien meritées. Celui qui a servi long-temps & fidellement en qualité d'Ambassadeur ou d'Envoyé dans les Cours étrangeres, ou dans quelque autre employ considerable dans la Police, est d'ordinaire recompencé, (lors qu'il y en a de vacantes) de la charge de Stifts-Ampts-Man de sa Province: pourveu qu'il [Page 240] y ait assez de bien, & de credit pour répondre à cet employ. Les Gentils-hommes de la Chambre du Roy & les autres officiers de la Cour lors qu'ils se marient, ou qu'ils se retirent de la Cour, sont recompensés de la charge d' Ampts, & alors ils s'en vont vivre chez eux, & cela pourvû qu'ils ayent servi long-temps & qu'ils soient dans les bonnes graces du Roy.
Il leur paye à chacun une certaine somme par an, des deniers de la Tresorerie. Il donné à un Stifts-Ampts-Man mille Ecus par an, & quatre cents à un Ampts-Man. Les principaux avantages qu'ils ont de ces Emplois sont ceux cy. Premierement ils sont plus considérés, & mieux dans les bonnes graces de la Cour que les autres. Ils se tirent mieux d'affaire lors qu'il y a une Taxe generalle, & peuvent souvent trouver les moyens d'en décharger leur propre Jurisdiction en les rejettant sur les autres, & de plus la Cour n'aime pas à entendre les plaintes qu'on pouroit faire contr'eux. En second lieu, on les craint & on les honore extremement chez eux, & ils ont le privilége de dominer sur les Païsans, & de controller leurs inferieurs, à moins qu'ils [Page 241] ne le fassent trop grossierement, ou demesurement.
Avant que j'acheve ce Chapitre, je croi qu'il ne sera pas mal à propos de vous dire qu'il n'y a en Danemarc, ni Seditions, ni Mutineries, ni Libelles contre le gouvernement, au contraire toutle monde aime, ou pouroit aimer extremement le Roy, malgré les mauvais traitements & la dureté dont il les traite, & la servitude sous laquelle ils gemissent. Et je croi que la principale raison de cela est l'egalité des Taxes & la maniere de les imposer.
Ceux qui ne le sçavent pas par experience ne peuvent s'imaginer quelle consolation il y a dans la soufrance lors qu'on voit qu'il y en a d'autres qui soufrent aussi, pourveu que les habitans soient traitez comme leurs voisins ils ne disent mot. Ce qui chagrine ceux qui sont oppressez dans la plus part des Païs (particulierement le commun peuple, qui d'ordinaire porte envie à tout le monde) est de voir leurs Provinces, leurs paroisses ou leurs maisons étré plus taxées à proportion que celles de leurs voisins, & ils ont raison d'étre mal satisfaits de cela, parce qu'il appovrit tout-a-fait ceux qui sont plus chargez de taxes que les autres. Cela ne diminûe [Page 242] pas le fond que les sujets possedent lors qu'on régle à un prix égal & moderé toutes les marchandises & autres choses nécessaires, qui se vendent dans un païs. Mais lors qu'on pille sur les uns, & qu'on laisse les autres dans la prosperité, cela les rend avides de profiter de la necessité où est le pauvre peuple.
C'est la marque certaine d'un mauvais Gouvernement, lors qu'il y a beaucoup de Loix. Mais aussi ce n'est pas la marque d'un bon, lors qu'il y en a peu, comme on le peut voir dans ce que j'ai dit du Danemarc.
Quoi qu'il en soit, je compare l'avantage qu'on a d'avoir peu de loix & bonnes à un grain de consolation, pour adoucir un monde d'amertumes: neanmoins cela les rend capables de suporter plus patiemment les maux qu'ils endurent.
CHAPITRE XVI. Touchant l'état de la Religion, le Clergé & l'Education.
QUand l'Eglize Romaine devint si intolerable par sa corruption à [Page 243] plusieurs nations de l'Europe, & qu'on vit qu'il étoit necessaire d'une reformation generalle, le Danemarc parmi le reste des païs du Nort, (où les Prétres avoient plus fait de ravage & où ils avoient plus aisement trompé les peuples que dans les Meridionaux) secoüa ce joug, & au lieu de la Religion Catholique Romaine, embrassa la doctrine & les opinions de Martin Luther. Le Roy Frederik premier, il y a environ cent cinquante ans, l'embrassa aussi, & l'etablit si generalement dans ses Etats que jusques aujourd'hui on n'y professe point d'autre Religion que la Lutherienne, excepté la petite Eglize Reformée, composée de François Refugiez que la Reine a fait batir elle même à Copenhague, & une Chapelle Papiste à Glucstad qu'on tolere depuis dixans, & que l'on a donnéé à quelques familles Papistes qui demeurent dans ce païs-là qui est la premiere qui y ait été depuis la Reformation; cette grande union touchant la croyance dans les païs du Nord, (car c'est la même en Suede comme en Danemarc (vient de la sincerité des Princes qui y commencerent la Reformation. Car on doit croire qu'ils le firent par des sentimens veritablement [Page 244] religieux, & que par cette raison ils commencerent à travailler à la conversion generalle de tous leurs sujets en se servant de moyens convenables pour y reüssir. Au lieu qu'en Angleterre & ailleurs les raisons d'Etat, & d'autres certaines veües y ont eu aussi grande part que le salut de l'ame & la conviction des consciences. Enfin la Reformation ne s'y est établie qu'a demi, acanse de l'incertitude de la croyance de nos Princes qui tentôt en couragoient ou supportoient le parti nonconformiste, selon qu'ils étoient menez pour leurs interêts. Le grand avantage qu'a un Prince, dont les sujets sont tous d'une religion, se voit en Danemarc, où il n'y a ni factions ni disputes touchant la Religion qui pour l'ordinaire se voyent dans les autres gouvernemens.
En Danemarc tout le monde est d'un même sentiment à l'egard du salut, & en ce qui touche le devoir envers leur Souverain. Cela coupe pié au libertinage, empêche plusieurs de se rebeller & de se mutiner, qui autrement ne demanderoient pas mieux & qui le feroient avec assez juste raison, puis qu'ils gemissent sous un joug si pesant. Tandis que les Ecclesiastiques [Page 245] dependront entierement de la Couronne, & que le peuple sera entierement gouverné par eux, en ce qui regarde la conscience, comme ils sont ici; le Prince sera aussi absolu qu'il lui plaira sans courir aucun risque du côté de ses sujets. Aprés avoir bien consideré les avantages que cela raporte, on verra que les Ecclesiastiques sont ici extremement favorisez, & qu'ils ont la liberté entiere d'étre aussi bigots qu'il leur plait. Ce qu'a la verité ils sont au plu [...] haut degré, n'ayant aucune charité pour ceux qui leur different en croiance excepté l'Eglise Anglicane qui est la seule dont ils parlent en bons termes, & dont ils disent souvent qu'il n'y a aucune difference essentielle entre-elle & la leur, & qu'ils souhaiteroient qu'on put faire & achever quelque projet qui pût les reünir. Non pas que leur dessein soit de reduire leurs Ecclesiastiques dans un état plus bas qu'ils ne sont, mais ils auroient envie de les élever à la grandeur & aux richesses des nôtres, qui sont les principales vertus qu'ils admirent en nous. Ils ont rejetté les opinions de Rome touchant la supremacie du Pape & quelques autres points. Mais ils voudroient bien retenir la pompe de [Page 246] cette Eglise, & c'est en cela qu'ils nous applaudissent de ce que nous l'imitons de si prés. En sorte que jesuis assuré que la Doctrine de la consubstantiation ne seroit point une matiere de dispute si les Princes croioient que cette reunion valut la peine d'y travailler. D'autre côté ils haissent les Calvinistes autant que les Papistes, & la raison qu'ils en donnent est parce qu'ils sont contre le gouvernement Despotique, & qu'ils croient qu'on peut sans peché si opposer.
Neanmoins quoique la Cour flatte le Clergé; ils ne sont point reçeus dans aucune affaire civille & ne se melent point du tout du gouvernement: aussi n'ont-ils aucune affaire à la Cour ou dans des autres occasions publiques. La chaire est leur seule occupation; là ils ont toute liberté, on leur permêt non seulement d'y reprendre les vices mais même les personnes de qualité en les nommant par leur nom: ce que personne ne trouve mauvais, sçachant que chaqu'un doit faire la fonction de sa charge.
Le commun peuple les admire à cause de cette hardiesse, & la subsistance des Ministres, pour l'ordinaire dans les Villes & dans les Bourgs depend de la bonne volonté du public. [Page 247] Ils ont soin de cultiver l'affection des peuples, qu'ils entretiennent dans le respect par le moyen de la confession qu'ils pratiquent toutes les fois qu'ils doivent communier, & ce que tous ceux qui veulent recevoir le Sacrement doivent faire: ce qui est une des choses qu'ils ont retenu de l'Eglise Romaine, aussi bien que les Crucifix & plusieurs autres ceremonies.
Il y a six Super-Intendants en Danemarc qui sont fort aises d'étre apellez Evêques & Meseigneurs, assavoir un en Zéelant, un à Funen, & quatre en Jutland. Il y en a aussi quatre en Norwegue. Ceux-ci n'ont point de biens Temporels, ils ne tiennent point de Cour Ecclesiastique, ils n'ont point de Cathedralle, de Prebandes, de Chanoines, de Doyens, ni de sous-Doyens, mais sont seulement primi inter pares. Ils tienent un rang au dessus de tout le petit Clergé de la Province, & ils ont inspection sur leurs doctrines & sur leurs manieres de vivre: l'Evêque de Copenhague a environ deux milles Rixdales de revenu par an. Les autres Evêques de Danemarc en ont environ quinze mille entr'eux, & ceux de Norwegue environ mille. On leur alloüe à chacun deux ou trois Paroisses. [Page 248] Ils sont habillés comme les autres Ministres. C'est à dire, ils portent une robe noire plissée, avec des manches courtes, une grande Fraize empesée au tour du col, & un bonnet avec des petits bords comme sont ceux de nos maitres aux arts, excepté que le leur est rond & le nôtre quaré. La plus part d'entr'eux entendent l'Anglois, & comme ils le confessent eux mêmes, ils tirent le meilleur de leur Theologie des autheurs de cette nation là. Il y en a beaucoup qui ont etudié à Oxfort qui sont plus estimez que les autres. Ils prêchent fort souvent & ne lisent jamais leurs sermons, mais les recitent avec beaucoup de chaleur & de zele. Ils observent les jours de fêtes & les jours de jeunes aussi solemnellement que les jours de Dimanche; & à Copenhague on ferme les portes de la Ville pendant le sermon tellement que personne ne peut entrer n'y sortir, la populace frequente souvent les Eglises qui sont plus decenment entretenües, plus proprement & mieux ornées que les nôtres. Desorte qu'elles paroissent aussi pleines de faste que celles des Papistes.
Ils aiment extremement les orgues [Page 249] & ils en ont beaucoup de tres bonnes, & de fort bons organistes qui joüent toûjours environ une demie heure devant & aprés le service. Le Danemarc à autrefois produit des hommes fort sçavans comme le fameux Mathematicien, Ticho Brahe, Bartholines pour la Medecien, & Borichius pour l'Anatomie. Ils sont tous morts depuis peu, & ont laissé des grands biens qu'ils ont donné à l'Université de Copenhague. Mais à present, le sçavoir y est fort mediocre, neanmoins leurs Ecclesiastiques parlent ordinairement mieux latin que les nôtres. Il ne s'imprime que fort peu de livres, & entre ceux là paroissent quelques mauvais traités de controverse contre les Papistes ou les Calvinistes. Les belles lettres sont icy fort rares & on aura de la peine a [...]les y introduire jusqu'à ce que les personnes de qualité marquent y avoir plus d'inclination. On dit que la necessité est la mere de l'industrie, ce qui peut étre vray dans de certaines occasions, mais je suis assuré qu'une trop grande nécessité diminüe l'esprit & même l'abatârdit entierement, d'autant plus que les gens de ce Païs icy n'ont aucun genie, & les manieres que les [Page 250] étrangers y aportent ne valent pas la peine d'être imitées.
Il n'y a dans tout le Royaume qu'une Université qui est à Copenhague & qui n'est pas de grande importance, leurs Colleges n'ont que de fort petits revenus, & ne sont pas comparables aux moindres des nôtres pour la beauté des batiments. Les Etudians portent des habits noirs & demeurent par-cy par là dans la ville comme ceux de Leide, il y a quelques Professeurs qui demeurent dans les Colleges, mais fort peu. Une fois par an, assavoir le jour de la naissance du Roy ils representent une espece de Tragicomedie. Le Roy les y honore de sa presence, & le Recteur Magnifique luy fait une harangue en Latin, qui est pleine de flaterie aussi dégoutante, que si c'étoit quelque Jesuite flateur qui harangua Louis le Grand. De periode en periode, quelques en fans de Choeur chantent assez mal d'assez mauvais vers, & ainsi finit la Comedie.
Il y avoit du tems du Pere de ce Roy icy une Université à Sora qui est une ville assez agréablement située à environ quarante mille de Copenhague, où les Colleges & les commodités [Page 251] pour les Etudians, excedoient de beaucoup ceux de cetre ville. Mais le Roy a eû affaire de leur rentes, tellement qu'elle est à present ruinée & est devenüe une petite Ecole, où on enseigne les principes de la Grammaire.
Les soins qu'on a pour les pauvres sont peu considerables; autrefois il y avoit quelques Hopitaux épars ça & là a la Compagne, mais à present le revenu de la pluspart ont été employez à d'autres usages qui ne sont point pour le bien du public.
Pour finir, je n'ay jamais connu aucun Païs où les esprits du peuple soient plus d'une même trempe, & où les habitans s'accommodent si bien dans leur humeur; vous ne trouverez personne icy qui ait des talens extraordinaires, ou qui excelle dans le sçavoir ou dans les métiers. Vous ny verrés point d'Entousiastes, de gens fols, d'Idiots, ny de Fantasques mais il regne parmi eux une certaine égalité d'intelligence fort particuliere, tout le monde suit la toute du sens commun, qui ne manque ny n'abonde parmi eux, & ils ne se détournent ny à droite ny à gauche; j'ajoûteray seulement cette remarque à leur lo [...]ange que [Page 252] generalement le commun peuple, sçait lire & écrire.
LA CONCLUSION.
C'est une erreur generalement receüe parmi nous, que de toutes les Sectes Chrêtiennes le Papisme est la seule qui soit propre à introduire la servitude dans un Etat, de sorte qu'on croit que le Papisme & la servitude sont deux choses inseparables. Mais sans pretendre toucher aux avantages que le Papisme a sur les autres Religions, & dont plusieurs Monarques se sont servi heureusement pour établir la servitude, je dirai hardiment que les autres Sectes & particulierement la Lutherienne ont reüssi dans ce dessein aussi efficacement que le Papisme ait jamais fait. A la verité on confesse que le Papisme est tres propre à introduire la servitude; mais on nie que la servitude ne puisse pas s'introduire sans le Papisme. Car si l'on prend la peine de considerer les Païs où la Religion Protestante est seule dominante, & qui n'ont perdu leur liberté que depuis [Page 253] qu'ils ont quitté leur Religion pour en embrasser une meilleure, on sera convaincu que ce n'est pas le Papisme qui detruit la liberté & par consequent tout le bonheur de quelque peuple que ce soit, mais plûtôt la doctrine qui en seigne une obeissance aveugle pour ses Souverains. Certes je suis persuadé que plusieurs personnes sont convaincües que les efforts que Jaques second a fait pour introduire le Papisme dans l'Angleterre sont cause que nôtre liberté n'a pas été entierement engloutie: on s'apperçoit bien que sous son Regne les uns par un vil interêt & une lacheté honteuse, les autres par un relachement de moeurs, une paresse, & une ignorance extreme concouroient à jetter la Nation dans l'esclavage; & à peine se seroit-on vigoureusement opposé à un si pernicieux dessein, si le Roy n'avoit pas touché à la Religion; & je soutiens que si la servitude avoit été une fois introduite on l'auroit beaucoup plus facilement maintenüe que du temps du Papisme; parce que la soumission que le Clergé & les Moines ont pour le Saint Siege & la dependance où ils sont pour Rome cause souvent opposition d'interêt, & diminüe cette entiere obeissance que les [Page 254] sujets doivent à leur Prince; obeissance que l'Eglise Romaine exalte aussi souvent que les Princes agissent selon ses mouvements & ses interêts, & qu'elle ravale toutes les fois qu'ils s'en écartent & qu'ils lui deplaisent. L'Angleterre nous fournit des exemples de cette verité, car du temps du Papisme il y a eu des Evêques & des Abbés plus zelés defenseurs des libertés du peuple qu'aucun Laïque: je ne determinerai pas si c'étoit par un bon principe ou non: mais ils ont pris de là occasion d'exciter des troubles & des guerres; & parmi ces desordres les libertés du peuple (dont le Roy & les gens d'Eglise tachoient à l'envi de se rendre maîtres) ont demeuré en leur entier sans qu'on y ait touché. Mais en Danemarc aussi bien que dans les autres Païs Protestans du Nord, l'entiere & absolüe soumission que le Clergé a pour les ordres du Prince, sans jamais s'y opposer sous pretexte de l'autorité d'un superieur dans l'spirituel comme parmi les Papistes; la Doctrine receüe d'une obeissance aveugle à la volonte du Souverain, l'autorité que les Ecclesiatiques ont sur le peuple font qu'il semble que la servitude y est mieux établie qu'elle ne l'est en France, comme en effet elle [Page 255] y est mieux mise en pratique, car les sujets du Roy de France sont beaucoup mieux traités qu'en Danemarc; en France il y a à Paris aussi bien que dans d'autres grandes villes des Parlements, quoy qu'ils ne s'assemblent à autre fin que pour verifier les Edits du Roy. En France il y a des Provinces où on demande un don gratuit dans les formes, il y a apparence qu'on ne peut pas le tefuser. En France il y a des recompenses pour perfectionner les Sciences & les Arts, pour établir des Manufactures &c. ce qui tend au bien & à l'avantage du peuple. De plus nous voyons par experience que le Roy a souvent des grands demelés avec la Cont de Rome, & que lors que le pouvoir du Pape y est fort abattu & presque reduit à rien, le Clergé qui y maintient le sien peut produire de si grandes divisions & de si grands troubles que du choc de ces deux pierres il peut en sortir quelques étincelles favorables à la liberté du peuple. Mais dans les Pais dont je vous ay parlà il n'y a aucune esperance d'une telle resource; tout est au pouvoir du Prince, le temporel & le spitituel, les biens & la conscience, l'ame & le corps, l'armée & les Prêtres, deux [Page 256] moyens trés seurs pour affermir son autorité. Car le Prince qui a l'un de'ces deux moyens a sa disposition peut difficilement faillir; moins encore celui de qui l'un & l'autre dependent, & quelque mal qu'il traite ses sujets il n'a rien à craindre d'eux.
Plusieurs Auteurs nous ont parlé du Gouvernement rigide & despotique des Turcs, & nous en rapporterons quelques particularités pour les comparer avec ce qui se pratique en Danemarc.
Les Turcs dans tous les Païs qu'ils ont inondés sont les Maitres des Chrêtiens, & par une espece de droit barbare à la verité ils peuvent les maltraiter; cependant ils ne les persecutent jamais sur le fait de la conscience; ils les laissent dans leurs maisons-cultiver leurs propres terres sans les inquieter, pourvü que toutes les années ils payent un carack pour le tribut seulement en temps de paix, car pendant la guerre ils en sont exempts, & j'ay appris par un Ministre de l'Empereur que ce tribut dans la Hongrie, l'Esclavonie, la Servie, & la Bosnie ne montoit qu'a dix Ecus ou environ pour une famille ordinaire. Il est vrai que dans toute la Turquie toutes les terres appartienent [Page 257] en propre au Grand Seigneur, mais je laisse à juger au Lecteur s'il ne vaut pas mieux étre un fermier en faisant une petite rente que de porter le nom de proprietaire sans un entretien consolent, & en un mot sans étre maitre de rien.
On regarde l'enlevement des enfans des pauvres Chrêtiens d'entre les mains de leurs parens comme une chose fort dure, quoi que ce soit pour le profit & l'avantage de ces enfans. Mais mettant à part la Religion, c'est un mal moins cruel d'arracher du sein des peres leurs enfans mâles & femelles dans la veüe de les bien entretenir, que de leur laisser cette charge accablante, aprés leur avoir ôté tous les moyens de les nourrir & de les élever.
Les Pais qui sont sous la domination du Turc offrent tant d'avantages pour le profit & le plaisir, que l'on peut dire qu'ils surpassent infiniment tous ceux des Païs du Nord que nous connoissons; la proximité du soleil, la fertilité du terroir, la douceur du Climat & la situation qui lui procurent mille autres avantages en sont les veritables causes. Dans la Turquie les potts sont toûjours ouverts, si on excepte quelqu'uns de [Page 258] la Mer Noire qui sont fermés par les glaces durant trois ou quatre mois de l'année; en Turquie les fruits, les viandes, les grains & les herbes ont une plus grande vertu qu'ils n'ont en Danemarc. En Turquie le vin y est bon par excellence & en abondance; l'eau y est tres salubre & agreable, au lieu qu'en Danemarc le vin y est rare, & l'eau trés mauvaise. En un mot dans quelques Païs de l'Europe où la Religion Chrêtienne domine sous un climat moins heureux que celui de Turquie, on y voit plus des inconveniens du gouvernement du Turc qu'en Turquie même. D'ailleurs on doit considerer que les Turcs naturels riches & commodes vivent tres bien, & d'une maniere agreable, & qu'il n'y a que leurs esclaves qui soient traités de la maniere, dont j'ai parlé ci dessus.
Si l'on demande s'il y a apparence que les choses demeureront en Danemarc dans le même état où elles sonr à present; quoi qu'il n'y aït rien où on puisse plus facilement se tromper, qu'en portant son jugement sur un avenir toûjours incertain, je ne ferai pas toutesois difficulté de repondre à cette question en peu de mots.
Il y a quatre raisons qui fonr croire [Page 259] que le Gouvernement ne peut pas longtems subsister en Danemarc dans l'état où il est.
La premiere est l'amour naturel de la liberté qui se trouve mieux empreint dans le coeur des peuples du Nord que dans celui des autres nations. Que peuvent attendre de moins des descendans des anciens Goths & Wan [...]ales qui ont établi la liberté en tant de Païs, que de secoüer un joug pesant que leurs an cêtres n'ont pû porter, mais sur tout depuis qu'il est devenu si accablant que les chaines de leurs voisins ne sont rien en comparaison des leurs.
La seconde consiste en ce qu'il y a peu de tems qu'il est arrivé du changement dans leur condition; car comme il n'y a que trente deux ans que cela est arrivé, & que plusieurs personnes mêmes qui sont encore en vie se ressouvienent des jours de leur liberté, & que dans leurs discours familiers qu'ils ont avec leurs enfans & leurs amis, ils comparent l'état present avec le passé & regrettent la perte d'un si grand bien on peut croire que le Gouvernement n'étant pas encor bien enraciné & établi, on peut croire dis je que ceux qui se trouvent si accablés penseront aux moyens de changer d'état & de condition,
[Page 260]La troisieme c'est le voisinage de la Suede qui a toûjours ses yeux sur le Danemarc, & dont le Roy a une forte passion de devenir le seul Manarque du Nord, & le maitre de la Mer Baltique. Aujourd'hui que le fardeau qui accable les Danois est si pesant, on croiroit que dans l'esperance de mieux étre ils souhetairoient plùtôt de se ranger du côté de celui qui les attaqueroit, que de se defendre, parce qu'ils n'ont rien à perdre & qu'ils croyent qu'il est impossible que leur condition sut pire.
La quatrieme c'est le nombre des esfans du Roy; car y ayant quatre Princes, ce seroit une chose rare que l'union & la concorde se maintint dans la famille Royalle, principalement depuis que selon les apparences le plus jeune n'aura qu'un fort petit appanage; desorte que cela donnera lieu à des querelles & à des disputes qui peut étre s'éleveront un jour & qui serviront aux peuples à recouvrer leur ancienne liberté.
Mais d'un autre côté il y a des raisons qui ne sont pas moins fortes qui nous portent à croire le contraire. Car premierement l'amour de la liberté semble étre entierement éteint dans le Nord; & il paroit encore qu'une [Page 261] obeissance aveugle qui a pris sa place soit un grand obstacle aux changemens. De plus un peuple qui est sans action, dont le coeur est accablé de tristesse, & abatu par les malheurs qui l'environnent & qui lui sont devenus familiers, & qui enfin prefere la vie malheureuse qu'il traine à tous ces evenements qui pourroient arriver de quelques troubles, ne peut pas penser à recouvrer sa liberté,
En second lieu la nouveauté du changement dans le Gouvernement n'a fait aucune impression sur le peuple; car le Roy a pris un tel soin d'abaisser les plus anciennes & les plus riches familles en élevant d'autres, a abattu si fort le courage du peuple, & lui a ôté toutes les commodités dans l'espace de trente deux ans, que je crois que les Danois aiment mieux à present la servitude que la liberté, & qu'ils la refuseroient si elle leur étoit offerte, comme firent autrefois les anciens peuples de Capadoce, pour reprendre leurs chaines. Peut étre qu'ils souhaiteroient bien qu'elles fussent moins pesantes, mais ils ne pouroient pas vivre sans elles. S'il y en a un ou deux entre tant de milles d'un sentiment contraire, ils n'osent pas seulement [Page 262] le dire à l'oreille de leurs propres enfans, & ils ne seroient pas même écoutés avec patience s'ils le faisoient.
En troisieme lieu la conformité dans la Religion & dans les opinions avec l'authorité des Ministres, semble avoir coupé la racine aux seditions d'où il pouroit venir quelque changement.
En quatrieme lieu une armée qui est toüjours sur pié composée pour la plus grand part d'étrangers qui ne font aucun cas des gens du païs, & qui n'ont pas en veue leur bien & leur avantage, ce qui semble avoir été le dessein de la Cour quand on leva & entretint une telle armée peut arreter les desseins du peuple, & cette armée dans la suite du temps est devenüe le peuple c'est à dire qu'elle a été seule digne des soins & de l'affection du Roy & le peuple indigne de toute chose, de sorte que l'on ne doit pas craindre qu'aucun dessein qui tende à un changement vienne de leur part.
En cinquieme lieu la Suede ne traitant pas mieux ses sujets, les Danois ne doivent pas attendre de ce côté un grand avantage d'un changement. De plus il y a une si grande haine entre ces deux nations à cause des domages [Page 263] qu'ils se sont si souvent mutuellement faits, qu'on croit comme impossible que les Danois qui la plus part du temps ont attaqué les Suedois, & qui aussi ont soufert beaucoup de dommages puissent jamais le leur pardonner. Plusieurs pe [...]sones judicieuses sont de ce sentiment, que quand le Roy de Suede trouveroit les moyens de sur monter toutes ces difficultés, il ne pourroit pas étoufer les mecontentements qu'il a élevés chés lui & quî causeroient une crüelle guerre intestine; ils croyent encore que c'est de l'interêt de la plus part des autres Princes de l'Europe de conserver les Danois sous la puissance de leur propre Roy, & d'empêcher que la Suede ne devienne pas plus puissante, ni qu'elle augmente son Royaume, & asseurement cela est un obstacle si grand qu'on ne peut pas franchir; ainsi le Danemarc n'a rien à craindre de ce côté là.
Enfin ces jalousies qui regnent ordinairement dans les familles des Princes ne sont pas si communes ni si funestes en Allemagne qu'ailleurs. Le Roy de Danemarc est luy même un Prince Allemand, & il y a apparence qu'il cherchera les moyens de contenter [Page 264] les cadets ou en les poussant aux armes ce qui est la voye ordinaire, ou en leur assignant des appanages dans des endroits qui ne soient pas sujets à des disputes; de plus ce n'est pas une chose rare en Allemagne de voir des Princes se contenter d'un mediocre revenu sans que l'ambition fasse naitre dans leur ame du mecontentement à cause du peu de bien; & s'il y a quelque guerre en Europe ils y courent pour s'avancer & pour acquerir de la reputation. Que ne fairions nous pas pour la place d'un des generaux qui meurent dans la guerre presente.
C'est pourquoy il paroit quel'on ne doit pas attendre de là aucun trouble qui puisse alterer la forme du Gouvernement. Et par toutes ces raisons je conclu que l'Etat present est fixé & que le peuple pourra peut étre changer de maître avec grand peine mais non pas de condition.