ETAT PRESENT DE DANEMARC Par lequel on voit le fort, & le foible de cette COURONNE, AVEC DES REMARQUES Trés utiles, sur son Gouver­nement despotique, & la conduite qu'elle tient aujourd'hui.

Pauci prudentiâ, honesta ab deterioribus, utilia ab noxiis discernunt; plures aliorum eventis docentur. Tacit. lib. 4. Ann.

Vincit amor Patriae .... Virg.

Traduit de l'Anglois.

A LONDRE, Chez THOMAS FULLER. 1694.

PREFACE.

LA santé & la liberté sont sans doute, les plus grandes be­nedictions naturelles, que le genre humain puisse posseder. Je dis naturelles, parceque quand l'homme se trouve dans un autre état, ce n'est que par un pur acci­dent, & cela provient d'une nature forcée, depravée & perverse; neanmoins quand on possede ces grands biens, c'est alors que fort souvent on les estime le moins; ils sont de la même nature, que les avantages que l'on tire de l'air & du soleil, ausquels, parce qu'ils sont si frequens, ceux qui les possedent à peine ont-ils le moindre égard.

Mais comme un Italien, qui passe tout un hiver en Groenlande [Page] s'apercevra bientôr de la grande misere qu'il endure, faute des benignes influences de cette glo­rieuse planette, lors qu'il se com­parera à ceux de son pays natal. Ainsi celui qui connoît par ex­perience, les maux d'une maladie languissante, ou la perte de sa li­berté concevra d'abord une veri­table estime, pour ce qu'il a au­trefois à peine crû digne de sa re­cherche.

On aquiert cette experience ou par les accidents, qui arrivent à soy-même, ou en faisant des ob­servations sur l'état des autres; la premiere est le commun guide de tous les hommes en general, qui d'ordinaire ne prenent garde qu'à eux-mêmes, & qui comme S. Tho­mas ne croyent rien à moins qu'ils n'ajoûtent le toucher à la veüe. Il en est ainsi par exemple à l'égard de la santé corporelle, nous trou­vons que ceux qui l'ont toûjours possedée, & qui y sont accoutumez [Page] à peine connoissent la misere d'un état contraire, ce qui les rend né­gligens à éviter ces excés qui leur peuvent causer de grandes maladies: les tristes exemples, que nous voyons tous les jours de mi­serables Debauchez affligez de ma­ladies cruelles, n'étant pas suffi­sans pour les arracher de leurs in­fames débauches. Mais la secon­de sorte d'experience, est celle qui instruit, & s'il m'est permis de parler ainsi, la Maitresse des per­sonnes sages; car les gens prudens ne manqueront pas de tirer du prosit des accidents qui arrivent aux autres, tant en leur santé qu'en leur liberté, en ēvitant les occasions qui les attirent; & c'est là un des grands avantages de la societé, qui est que nous pou­vons non seulement profiter du bonheur, mais aussi du malheur d'autrui.

Dans un corps politique, ou dans une societé, la perte de la [Page] liberté est une maladie, comme la perte de la santé en une personne en particulier; & comme le meil­leur moyen pour bien connoître la nature d'un mal, est de consi­derer ses accidens sur divers pa­tiens, puis qu'il peut proceder de differentes causes; ainsi on aper­çoit mieux les desordres d'une societé, lors que nous en consi­derons la nature & les effets chez nos voisins: c'est pourquoi les voyages sont aussi necessaires à une personne qui a envie de rendre service à sa Patrie, que la prati­que dans les maladies des hommes l'est pour faire un habile Mede­cin. Car encore-qu'une person­ne puisse voir trop souvent la mi­sere de plusieurs malades, sans sortir de son paîs, néanmoins (puisque c'est le bon plaisir de la Providence) il faut que celui qui veut connoître par experience ce que c'est que la perte de la Liber­té publique, sorte de ces Royau­mes. [Page] Celui qui voyage, sous un climat, & dans un païs infe­cté de cette contagion (& certes il y en a peu qui en soient exempts) ne voit pas seulement, mais en quelque maniere, ressent les maux qu'elle cause par l'incom­modité qu'il y a à vivre en bonne intelligence avecles gens du païs; & cela est assez pour lui faire d'au­ [...]ant mieux goûter, aprés son re­tour (lequel nous suposons dé­pendra de lui) l'aise, & la liberté dont il peut joüir sous la constitu­tion des loix: & de plus il peut fai­re un bon usage de l'experience qu'il a acquise à si bon marché. Mais on ne peut pas passer pour un tems dans un corps mal sain, comme on peut voyager dans un païs qui gemit sous l'esclavage, avec esperance de sortir aussi faci­lement de l'un que de l'autre. Ainsi vous voyez que c'est un grand avantage mais rare, d'a­prendre ce que vaut la santé sans [Page] avoir été malade; & on peut ai­sement connoî [...]re ce que vaut la li­berté en voyageant quelque tems dans un pais, où on ne peut pas en jouïr.

Et aucune Nation dans le mon­de ne le peut faire fi commode­ment comme les Anglois, étant évident qu'ils sont plus à leur aise, & possedent de plus grands biens, qu'auoun autre peuple de l'Eu­rope; ainsi généralement parlant, il n'y a personne qui soit en état de faire une grosse dépense, ni qui se puisse proposer de recüeillir de plus grands avantages de leurs vo­yages qu'eux, & néanmoins qui le pratiquent le moins.

Dans d'autres païs, peut-être quelques Princes, ou les person­nes de la premiere qualité, sont assez riches pour faire la dépense d'un long voyage; mais ceux de la mediocre n'oseroient s'y haz [...]r­der: & encore d'ordinaire ce sont des gens de guerre, qui ont d'au­tres [Page] viûës, que de s'instruire de ce qui se passe dans le monde; ou quelques-uns à qui il est arrivé quelque malheureux accident, qui choisissent un païs étranger pour leur refuge, & qui ont trop leur propre misere en tête, pour s'amuser à observer autrui. D'au­tre part, nous voyons souvent que cette même maniere d'agir dans nôtre Royaume (ayant toûjours été tenus dans l'esclavage) ob­scurcit, ou abatardit tellement leur raison, que cela les rend incapa­bles de juger de quoi que soit équitablement); car il n'est pas seulement possible, mais fort com­mun de voir des gens qui s'endur­cissent, & s'il faut ainsi dire, s'ac­coûtument tellement à l'esclava­ge, qu'ils perdent non seulement le goût de la liberté, mais même aiment à se voir captifs; il en est de même de certains Hypocon­driaques qui prennent beaucoup de plaisir, & rient de leurs maladies.

[Page]Mais en Angleterre, il y a beaucoup de Gentilshommes, dont les biens sont assez considera­bles, pour fournir aux dépenses d'un voyage qu'ils peuvent faire eux-mêmes, ou envoyer celui de leurs enfans, dans lequel ils re­connoissent le jugement le plus solide, voyager pour 4. ou 5. ans, qui est un tems assez considerable, pour aprendre à vivre dans le mon­de, & les rendre capables de faire des observations, qui puissent un jour les rendre utiles à leur Patrie; en quoi faisant ils peuvent chacun en particulier mieux avancer leurs fortunes, que quand ils auroient encofré l'argent qu'ils ont dépen­cé, en les gardant chez eux au logis.

Jusqu'ici la methode, que nous avons généralement observée, en envoyant voyager nos jeunes gens, n'a pas pû répondre à ces fins, dont nous avons parlé. Au con­traire elle nous a été si nuisible que c'est un grand bonheur, de [Page] ce que ce n'a pas été la mode de voyager. Nous les envoyons étant enfans, & on nous les ramene grands garçons, qui n'ont profité de la dépense, que leurs parens ont faite pour eux, que proportioné­ment à leur âge: la meilleure cho­se qu'ils ont aquise, est quelque langue étrangere, & souvent quelque mode affectée & ridicu­le, ou quelque maladie sale, que quelquefois ils ne gagnent qu'en changeant de Religion; & outre cela l'ostentation, le luxe, & la liberté au vice des Cours despoti­ques, où ils ont sejourné, les at­tire dans un aquiescement à cette sorte de maniere de vivre, comme des idiots qui donnent leur pain pour un morceau de verre luisant; ils préferent un esclavage poli, à une liberté moins rafinée, dont ils peuvent joüir chez eux, & s'é­crient contre leurs anciens Com­patriotes, de ce qu'ils ne veulent pas réformer leurs manieres de vi­vre, [Page] & suivre les modes qu'ils ont aportées des païs étrangers. Ainsi quand nous recommandons les voyages, ce sont ceux que l'on entreprend, lors qu'on con­noit parfaitement son propre païs qu'on peut comparer avec les au­tres, & par là supléer à ce qui y défaut, & mettre une veritable valeur à ce en quoi il excelle. Lors que les voyageurs se sçavent ser­vir de ces avantages, ils devienent necessaires, & propres à rendre service au Public, en contribuant tous les jours à faire valoir nôtre Gouvernement, quoi qu'il soit déja sans doute un des meilleurs du monde.

Car il seroit aussi ridicule de s'i­maginer, qu'il ne nous est pas necessaire de voyager, & d'apren­dre quelque chose des autres, peut­être à cause que nous avons déja des loix & des coûtumes meilleu­res, que celles des Etrangers, comme il le seroit de ne tranfiquer [Page] hors du Royaume, parce que nous demeurons dans une des plus abondantes parties du monde.

Mais comme nos Marchands transportent des païs steriles, beaucoup de choses qui nous sont nécessaires, qui ne croissent point dans le nôtre. Ains si on prenoït le même soin de nous fournirde re­cits exacts & veritables des con­stitutions, maniéres. & état des autres nations, nous trouverions sans doute, plusieurs choses qui nous serviroient beaucoup, les­quelles, parce que nous ne les connoissons pas, nous empêchent de connoître que nous en avons besoin. Les Atheniens, les Spar­tes, & les Romains, n'ont pas méprisé de suivre cette méthode; ils ont fait de grandes dépenses pour acquetir la connoissance des loix des autres Nations, pour par là rendre les leurs plus accomplies: & nous sçavons qu'ils en ont tiré bien du profit, n'y ayant presque [Page] point de Gouverneur qui pour mal établi qu'il soit, n'ait cepen­dant quelque bonne coûtume. Nous trouvons des ordres admira­bles en Danemarc, & nous lisons qu'il y en a de fort bons en Ameri­que, même parini les Sauvages, qui pourroient servir de modele aux Européens les plus civilisez.

Car, encore que nôtre Gou­vernement, soit dés à pre sent trop parfait, pour recevoir aucun amandement; neanmoins les meilleurs moyens, qui peu­vent conduire à la paisible con­servation de son état present, sont bien dignes de la considera­tion de tous les Anglois: & à pei­ne les peut-on trouver dans le sie­cle où nous sommes; puisque du tems jadis les plus grands Politi­ques les trouvoient fort difficiles, même presque impraticables. Il est vrai, que ou le bon heur, où la sa­gesse de nos Ancêtres ont excepté jusqu'ici ces Royaumes de cette [Page] maxime générale; quoi que nous sachions tous combien de tempê­tes horribles (qui ne menaçoient rien moins que de naufrage) ont agité la Nef de nôtre Republique; les perpetuelles contestations en­tre les Rois & le Peuple, (tandis que ceux là tâchoient d'acquerir un pouvoir plus grand qu'il ne leur étoit également dû, & les autres à conserver, ou racheter la liberté qui leur apartenoit) ont été autant de vagues qui l'ont tou­jours entretenue flotante; telle­ment que tout ce que nous pou­vions pretendre, & esperer de la derniere revolution (qui nous a tant coûté, quoi que nous ne l'a­yons pas achetée trop cher) n'é­toit autre chose, que de nous voir dans l'état où nous étions au para­vant, & qu'il seroit rendu à un chacun son propre bien. La réüssi­te peut être appellée un coup de bonheur, & c'est tout ce que l'on en peut dire. Mais, quoi! est-il [Page] indispensablement necessaire de voir souvent du sang repandu pour conserver nôtre établisse­ment? Ne nous est-il pas possible d'anéantir, & faire trouver faux les discours des Etrangers, qui nous objectent qu'il faut absolu­ment, ou que nos Rois ayent trop, ou trop peu de pouvoir, & que par consequent nous ne pouvons nous attendre d'avoir jamais de paix ni assurée ni durable? Re­tiendrons-nous pour jamais le mauvais caractere qu'ils nous donnent d'être la Nation du mon­de la plus changeante, & la plus inconstante? lequel nous ne me­ritons pourtant pas-plus, que l'Angleterre merite d'être appel­lée, (comme elle l'est si souvent par des fous d'Etrangers, De Ro­yaume des Diables. Il me semble, que ce seroit un bien inestimable, & trés digne de nôtre recherche, de pouvoir trouver un moyen pour conserver nôtre Republique [Page] dans son état libre & legal, sans qu'il soit necessaire d'une, ou deux guerres civiles dans chaque siecle; dût-on l'aller chercher jusques dans les coins les plus éloignez de toute la terre.

Outre cela, la connoissance de l'état present des Nations qui nous sont voisines, (laquelle s'aquiert le mieux en voyageant) est plus absolument necessaire aux per­sonnes de qualité Angloise qu'à aucune autre, puisque d'ordinaire elles deviennent, s'il faut ainsi dire, partie du Gouvernement, lors qu'elles sont faites Membres du Parlement, où fort souvent les af­faires étrangeres y sont agitées, & pressent plus que jamais.

Ce n'est pas un des moindres avantages que Sa Majesté nous ait procurez à son avenement à la Couronne, que de nous faire fai­re plus belle figure dans le monde, que nous ne faisions autrefois; nous avons plus d'alliances avec [Page] les Etrangers, nous sommes de­venus les chefs, de quelque chose davantage, que d'une Ligue Prote­stante, nous avons beaucoup plus de droit de nous mêler des affaires de l'Europe, que nous ne pou­vions pretendre d'avoir dans les Regnes précédens. Car c'est une reflexion veritable, quoi que tri­ste, que nos autres derniers Rois, nous ont à moitié ruinez, & nous ont tenu aussi court qu'ils ont pû; & faisoient que nous nous regar­dions comme des gens proscripts dans le monde de tous côtez, to­to divisos orbe Britannos. Et ef­fectivement ils nous avoient telle­ment fait retirer du monde qu'à peine nous regardoit-on. Nous avions fort peu souvent permis­sion de jetter les yeux plus loin, que sur la France ou sur la Hollan­de, & alors on veilloit sur nous encore fort soigneusement. Mais à present les choses sont changées, nous avons un Prince qui nous a [Page] retablis dans nôtre état naturel; presque toute la terre a les yeux sur nous, & se regle sur nos Con­seils; & nous trouvons tous les jours occasion de nous informer des forces, & des interêts des Prin­ces de l'Europe. Et peut-être une des plus grandes raisons qui fait que nous ne tirons pas un meilleur avantage du gránd poste que nous tenons, & que nous n'y maintenons pas nôtre caracte­re avec plus d'éclat, c'est à cau­se que nous n'avons pas été assez bien élevez, & que nous avons trop long-tems été renfermez chez nous, lors que nous aurions dû être à nous instruire des affaires du monde dans les païs étrangers.

Nous avons depuis peu acheté trop cher, l'experience de cette verité, pour n'en être pas sensi­bles. Il n'y a pas fort long-tems, que rien n'étoit plus générale­ment crû (même par des gens bien sensez) que le pouvoir de [Page] l'Angleterre étoit indubitable­ment si bien établi sur mer, qu'au­cune force étrangere ne le pouvoit ébranler; que la valeur des An­glois, & leur maniere de comba­tre, surpassoient celles des autres Nations, que par consequent on ne devoit rien tant souhaitter, qu'une guerre avec la France. Quelqu'un auroit-il eu assez peu d'égard à sa reputation, pour dans ce tems-là, avoir parlé des Fran­çois comme de gens qui auroient pû vaincre les forces unies de l'Angleterre & de la Hollande; ou qui eût dit que nous nous ver­rions un jour insultez sur nos pro­pres còtes, nôtre trafic perilleux par leurs incursions, & que nous serions tous les ans dans l'apre­hension d'être envahis ou conquis par les François. Une personne qui se seroit hazardée de parler ain­si pouvoit s'atendre de passer effe­ctivement, ou pour voyageur, ou pour un homme de mauvais [Page] naturel, & qui auroit peu consi­deré ce que c'est que la force irre­sistible du Bras Anglois. Mais l'experience que nous avons dans ces derniers tems, nous fait con­noître que nous nous sommes trompez; nos Peres & nos Ancê­tres, nous ont à la verité dit ces choses lors qu'elles étoient vrayes; c'étoit quand nos Habitans & nos Communautez s'exerçoient à ti­rer de l'arc & à manier le bâton à deux bouts, & d'autres instru­mens alors en usage; en quoi ils excelloient pur dessus tout le monde. Mais nous nous sommes trop long-tems repûs de la repu­tation qu'ils acquicent alors, nous avons fierement negligé, & mépri­sé nôtre voisin, & Ennemi formi­dable, lors qu'il augmentoit ses forces, tandisque nous au contrai­re, étant encouragez de propos de­liberé par nos derniers Gouver­neurs, nous épuisions les nôtres.

Les Ecclesiastiques de presque [Page] toutes sortes de Religions, les­quels il faut avoüer, entendent mieux à suivre leurs propres inte­rêts, que qui quece soit au monde, quoi qu'ils soient généralement parlant des gens dont la fonction les oblige à la suite des études, & à une vie sedentaire) n'ont pas négligé de tirer de leurs voyages les avantages qui leur étoient né­cessaires, pour les faire parvenir à des établissemens, & profitables & honorables. Ces gens-là, qui par la conversation qu'ils ont avec les Livres, fait qu'ils sont plus sçavants queles autres, ont trou­vé leur compte à envoyer quel­ques-uns des plus judicieux Mem­bres de leurs Confrairies, acquerit du sçavoir & de l'experience dans les plus éloignées parties du mon­de. A la verité le Collége de pro­paganda fide avoit été établi sous le pretexte de Religion servile, comme les Mandians; mais nous sçavons que ces fondateurs ne sont [Page] esclaves de la Religion, qu'au­tant qu'elle leur aporte du profit, aussi n'étoit-ce pas tant le zéle de la conversion, qui les faisoit agir, comme celui d'augmenter leurs revenus, & s'instruire dans la con­duite des affaires d'Etat aussi bien que des Ecclesiastiques. Les Je­suites ont aporté plusieurs maxi­mes, aussi bien que des sommes d'argent fort considerables, d'aussi loin que de la Chine & du Japon, & par là ont tellement augmenté leur sçavoir, qu'ils surpassent la finesse, & attrapent leurs amis chez eux; & je suis assuré, qu'en imitant leurs exemples en ceci, nous ne courrons jamais risque de passer pour insensez. Ces gens­là (dont la ferme attache à la tyrannie la plus recherchée se voit clairement, par les efforts qu'ils font sans relâche, à soutenir les interêts de la France, comme ils faisoient autrefois ceux de la Mai­son d'Autriche lors qu'elle étoit [Page] dans sa splendeur) se sont, par leurs artifices, rendus maîtres de l'éducation de la Jeunesse dans tous les Etats Papistes. On a con­fié la même chose aux Ministres Lutheriens (qui dependent en­tierement de leurs Rois, & de leurs Princes) dans tous les Pays qui observent la confession d'Aus­bourg; ils envoyent aussi de côté & d'autre dans les Pais étrangers ceux de leurs jeunes Etudians qui promettent le plus, dont on ren­contre plusieurs à Oxford, à Cam­brige, & même à Paris: l'usage qu'ils tirent de leurs voyages, n'é­tant pas seulement pour augmen­ter leurs lumieres dans les scien­ces, mais pour aprendre des me­thodes necessaires pour plaire à leurs Souverains aux depens des franchises des Peuples. Dans les siecles passez lors que les Eccle­siastiques vivoient d [...] une vie scan­daleuse & dans l'ignorance, ils n'étoient point estionez du com­mun [Page] peuple, & par consequent n'avoient pas tant de pouvoir de malfaire: mais depuis que par la reformation des moeurs, & la connoissance du monde ils ont recouvré leur reputation, & qu'ils possedent principalement les sciences, qui ont été renduës à l'Europe, ils ont obtenu un plus grand pouvoir sur les esprits, sur les opinions, & sur les actions de leurs disciples, & ont mis en vogue une doctrine per­nicieuse qu'ils ont fait reussir avec tout le succez qu'ils en pouvoient eux mêmes esperer. Mais le même Voyage fournira le meilleur an­tidote contre ce poison, & mon­trera à un honnête homme, qui en fait bon usage, & qui s'en sert à propos, comment peu à peu l'Esclavage depuis deux cens ans s'est glissé en Europe; pres­que tous les Païs tant Protestans que Papistes ayant enquelque ma­niere entierement perdu le pre­cieux [Page] joyau de la liberté. On ne peut attribuer cela, à rien de plus probable, qu'à la peine qu'ils ont prise à captiver les esprits des peuples, comme un preparatif pour aprés captiver leurs corps. Car puis que les Princes Etran­gers croient qu'il est de leur inte­rêt, que leurs sujets leurs obeissent sans reserve, & que tous les Prê­tres qui dependent du Prince, sont obligez pour l'amour de lui même à avancer ce qu'ils croient lui être avantageux, il est évident que l'education de la jeunesse, sur quoi la liberté publique est principale­ment fondée a entierement été mise entre les mains de gens qui font leur principale affaire de la perver­tir. Et il faut qu'ils le fassent à moins qu'ils ne soient traitres à leur parti, & que le caractere de Prêtre ne fasse place à celui de bons Patriotes.

Il faut avoüer que dans leurs Ecôles, & dans leurs Universitez, ils se servent d'admirables regles, [Page] pour parvenir aux Langues & aux Sciences, avec plus de succez que nulle autre part. On remarque parti­culierement que la jeunesse qui a été élevée parmi les Jesuites, excelle sur toutes les autres qui ont été instrui­tes ailleurs, quoi que de capacité égale, & que ce ne soit simplement qu'une même maniere de les dresser & de les instruire dans la connois­sance des mots & du langage (dont il est fort peu souvent besoin,) com­me si leur intention étoit seulement de faire de leurs Etudians autant de maitres d'Ecôles. Au lieu qu'ils laissent en arriere & passent legere­ment par dessus les plus inpor­tantes matieres de l'éducation (dont on a besoin à tous momens), com­me les bons principes, la morale, le progrés dans la raison, l'amour de la justice, le prix inestimable de la liberté, & le respect que l'on doit à sa patrie & à ses loix. A la verité ils n'oublient pas de leur recommander souvent ce [Page] qu'ils apellent la Reine des Vertus. Assavoir la soumission à leurs Su­perieurs, & une obeissance en­tierement aveugle, à leur autho­rité, sans qu'ils sachent jusques à à quel degré il faut qu'elle aille; mais plûtôt leurs enseignans qu'el­le ne doit point étre bornée. Ainsi les esprits des hommes, sont dés le commencement endurcis à la servitude, & sont privez de sça­voir veritablement ce que c'est qu'une liberté qui leur apar­tient de droit, & il y en a fort peu (tant il est difficile d'aban­donner les prejugez que l'on a reçus dans son éducation) qui s'en aperçoivent jusqu'à ce qu'ils vien­nent dans un age meur, ou qu'ils ayent oublié, par la frequentation des bonnes compagnies, & dans leurs Voyages ces pernicieuses Doctrines passives, qu'ils avoient succéesdans les Ecôles & dans les Universitez: mais presque tous ont le malheur de porter ces opi­nions [Page] d'esclaves avec eux jusques dans le tombeau.

Si dans ces Païs ici, lors qu'ils étoient libres, on avoit donné le gouvernement de la jeunesse à des Philosophes plûtôt qu'à des Pré­tres, elle se seroit selon toutes les aparences preservée elle même jusquà present du joug de la servi­tude, au lieu que non seulement ils le soufrent mais aussi ils y don­nent leur consentement. Tantum religio potuit.

Les Grecs & les Romains éta­blirent leurs Academies à un autre dessein. Toute l'education de leur jeunesse ne tendoit qu'à la rendre utile autant qu'ils pouvoient à la so­cieté dans laquelle ils vivoient. Là étoient élevez les jeunes gens à l'exercice & au travail pour les acoûtumer à une vie agissante, il n'y avoit point alors de vice plus infame que l'oisiveté, n'y d'hom­me plus contemptible, que celui qui montroit quelque paresse, ou [Page] negligeoit à faire tout le bien qui étoit en son pouvoir; & les lec­tures publiques de tous leurs Phi­losophes ne servoient que pour les y animer. Ils leur recomman­doient par dessus toutes choses, le respect qu'ils devoient à leur Patrie, la conservation des loix & de la liberté publique. Leurs interets étant de prêcher la mo­rale des vertus, comme la gran­deur du courage, la Temperan­ce, la Justice & le mépris de la mort &c, quelques fois ils se sont servis de tromperies pieuses, comme en leur prometant quils iroient dans les Champs Elizées, & l'assurance qu'ils leur donnoient d'un bonheur futur, s'ils mou­roient pour la cause de leur Pa­trie, & trompoient ainsi leurs audi­teurs, par l'esperance qu'ils leur donnoient de la grandeur. De là sont procedez tous les nobles caracteres dont leurs histoires sont [Page] remplies. C'étoit de là que l'on regardoit à bon droit leurs Philoso­phes comme les soutiens & les ap­puis de l'Etat, parce quils en depen­doient entierement. Et comme ils avoient le même interêt, ils s'e­puisoient eux mêmes pour avancer le bien public, de telle maniere qu'il se trouvoit souvent, que le bonheur de la Republique ne du­roit que jusquà leur mort.

Ceux qui se sont mêlez en ce temps icy de nous faire élever, n'ont pas eu tant à coeur le bien du public, car nôtre education (comme je l'ay desja montré) a été pour la plus part entre les mains de gens, qui avoient un interêt bien dife­rent; c'est pourquoy il ne faut pas s'étonner si comme le reste du mon­de ils ont suivi leur propre pen­chant, & dirigé leurs principaux desseins vers l'avancement de leur fortune. La bonne éducation, aussi bien que les Vayages, est un bon Antidote contre la peste de la [Page] Tyrannie. Les livres que les an­ciens nous ont laissez, (d'où com­me des fontaines nous tirons, tout ce que nous ne sçavons pas) sont pleins de doctrine, de sen­tences & d'Exemples, qui nous exhortent à la conservation & au retablissement de la liberté publi­que, qu'autrefois on estimoit plus que la vie. Les Heros si celebres dont ils parlent, sont pour la plus part des gens qui ont detruit ou chassé les Tyrans: Et encore que Brutus soit decrié par les gens sça­vans de nôtre temps, il étoit alors estimé, comme le veritable pa­tron & le modelle de la vertu la plus recherchée. Tel étoit Caton d'Vtique & plusieurs autres du mê­me caracteré; de plus une person­ne qui est versée dans la lecture des bons livres, trouvera d'autant mieux, que ce que ces grands hommes ont pratiqué touchant cela, est fondé sur la raison, la justice & la verité, & est unanime­ment [Page] approuvé par les gens pru­dens que le monde a produits suc­cessivement. Au lieu de livres qui instruisent le jugement, on donne à la jeunesse ceux dont on se sert d'ordinaire aux Ecôles dans les païs Etrangers, où i'on recherche plus l'elegance du stile Grec ou Latin que la matiere, dont ils traitent. Ainsi ceux qui traitent un peu hardiment de la liberté publi­que ne sont leus que fort peu souvent, & quand on les lit c'est plustôt par hasard, ou par curiosité, que par le bon caractere que les maîtres en donnent. Les Grecs & les Ro­mains, n'envoyoient pas leurs jeu­nes gens si long-temps aux Aca­demies & aux leçons des Philo­sophes, pour aprendre les Langues Etrangeres; il n'en étoit pas alors comme il en est à present parmi nous, où le caractére d'un homme sçavant, est de bien parler; où celuy qui est bien versé dans les [Page] termes subtils & exfoncez des Ecô­les passe pour un tres habille Philosophe; par là il semble que nous ayons tellement chan­gé la veritable idée du sçavoir, qu'un homme peut étre esti­mé tres docte, & neanmoins étre comme un zero dans le mon­de. Ils ne les y envoyoient pas non plus, pour aprendre le Grec & le Latin qui etoient leurs lan­gues maternelles (qui est ce que nous recherchons avec tant d'ap­plication pendant plusieurs années, non pas comme étant des achemi­nemens à nous ouvrir l'esprit, mais comme, si elles renfermoient quelque vertu secrete.) C'étoit pour aprendre à parler, quand, comment, & judicieusement, c'étoit pour leur aprendre à en agir en honnêtes gens, à subjuguer les passions, à avoir en veüe le bien public, à mepriser la mort, les tourments & les reproches; à mepriser les richesses, les faveurs [Page] des Princes, aussi bien que leur colere lors qu'ils se tiennent dans leur devoir. La maniere d'élever ainsi la jeuneste, a produit des gens d'un autre caractere, qu'il n'en paroît à present sur le, Theatre, du monde. Tels que nous som­mes, il ne faut pas que nous espe­rions jamais de les imiter, jus­qu'à ce que la même maniere d'in­stitution vienne à la mode, ce qui n'arivera jamais dans les pais qui sont sous l'esclavage, tandis­que les Ecclesiastiques qui ont un interêt opposé, auront non seulement l'education de la jeunes­se entre les mains, mais aussi la conscience des vieilles gens.

Les Prêtres pour parvenir à leurs fins, & dans l'esperance d'y trou­ver leur compte, ont forgé ces Do­ctrines obscures d'Obeissance pas­sive & de jus divinum, qui ensei­gnent que le peuple, do it rendre une obeissance absolue à un Gou­vernement limité. Qu'il doit se [Page] prosterner en terre & adorer l'oeu­vre de ses propres mains, comme si elle étoit tombée du Ciel, avec plusieurs autres pareils dogmes aussi profitables, dont je ne doute pas que plusieurs à present n'a­yent honte, encore qu'ils croyent qu'il est au dessous d'eux d'a­voüer, qu'ils ont mal fait. Il faut sçavoir que cette vi­sion de jus divinum des Rois & des Princes, n'avoit jamais été connüe dans ces Païs septen­trionnaux, jusques dans ces der­niers siecles de captivité; même dans l'Orient encor qu'ils adorent leurs Rois comme des Dieux, neanmoins ils n'ont jamais crû, qu'ils reçus­sent le droit de regner immedia­tement du Ciel. Le seul exemple dans l'Ecriture, sur le quel on in­siste tant, (assavoir le Reigne de Saul sur les Juifs, & la descrip­tion que Samuel fait, lors quil leur donne le caractere d'un Roy; il leur dit, bien ce qu'il seroit, [Page] mais non pas ce qu'il pouroit le­gitimement étre) ne prouve rien, ou s'il prouve quelque chose, c'est justement le contraire de ce qu'on s'est imaginé. Car outre, qu'il y a plusieurs raports de fait, qui ne sont pas condamnés dans le vieux Testament, lesquels il nous est non seulement permis, mais më­me defendu d'imiter. Quiconque lira d'un bout à l'autre l'Histoire de Saul & de son successeur, y trouvera des arguments plus forts contre le jus divinum & l'obeis­sence passive, que pour la soûtenir; mais nous n'en parlerons pas, cela étant d'un discours de trop d'éten­düe pour une Preface; outre que des plumes meilleures que la nôtre en ont deja traité.

Toute l'Europe, s'il faut ainsi dire a été un païs libre, excepté de­puis fort peu de temps, tellement que dans l'Orient les Européens étoient distinguez, & le sont en­core par le nom de Francs. Au [...] [Page] [...] [Page] [...] [Page] [...] [Page] [...] [Page] [...] [Page] [Page] commencement, de petits terri­toires, de petites assemblées choi­sissoient des hommes vaillants & sages pour étre leur Capitaines, & leur juges les deposoient, quand ils vouloient en cas de mal-ver­sation. Ces Capitaines, lors quils faisoient bien leur devoir & fidel­lement) étoient les originaux de nos Rois & de nos Princes, qui au commencement, & même pour un long-temps, étoient par tout, électifs. Selon leurs inclinations Martialles, ou même selon celle du peuple qu'ils gouvernoient (ou par vangeance, ou par ambition, ou pour decharger le pais de fai­neans,) ils declaroient la guerre à leurs voisins; tellement que quel­quefois, de petites Principautez que leurs pais étoient, ils devenoient des grands Royaumes. L'Espagne toute seule il n'y a que fort peu de temps, en contenoit-douze, & il n'y en avoit pas moins que sept dans une partie de nôtre Ile, qui au com­mencement [Page] n'étoient que de petites Seigneuries distinguées; l'Italie qui autrefois contenoit plusieurs petites Republiques, a été enfin engloutie par les Empereurs, les Papes, les Rois d'Espagne, les Ducs de Florence & plusieurs au­tres petis Tirans.

On doit remarquer, que c'est en Italie que l'on a jusqu'aujourd'hui mieux conservé l'encien état de l'Europe, malgré le tort que l'on y a fait à la liberté du peuple; il peut y en avoir une raison, c'est que les Republiques (dont il y en a plus dans cette langue de terre que dans tout le reste de l'Europe) tiennent leurs Ecclesiastiques dans le de­voir, & se servent de cet entende­ment naturel que la providence & & un climat heureux leur ont donné pour tenir en bride ceux, que s'ils avoient le pouvoir tiendroient en bride toute la terre.

Tout le monde doit sçavoir, quels étoient les grands droits, du [Page] peuple, même depuis fort peu de tems dans les Royaumes Electifs de Suede & de Danemarc; com­bien l'Allemagne étoit libre plus qu'aucun autre endroit de l'Eu­rope, jusqu'à ce qu'enfin elle a été gouverneé par des Capitaines, qui avec le tems sont devenus Princes & Electeurs; par des Evê­ques qui ont une authorité tempo­relle, dont ils peuvent remercier Charles le Grand (Prince fort bi­got) aussi bien que leurs épées de la chair & de l'esprit.

Si on objecte que les Princes ont acquis le droit d'être absolus, & ar­bitraires lors que les sujets ont cedé leurs libertez, il y a des gens dans le monde qui se hasar­deront de repondre, que l'on ne peut suposer qu'aucun peuple à moins qu'il ne soit hors du sens, ou guidé par les tumultes & par la peur, ait jamais donné à personne un pouvoir absolu, non plus que ses propres franchises & libertez & [Page] celles de sa posterité aprés soi; de plus ils ajoûteront qu'une telle donation, doit étre regardée aussi nulle, que si un Enfaut ou un fou donnoit le bien de son pere à autrui; que le peuple ne peut pas plus se defaire de ses privilegez, que les Rois se peuvent defaire de leurs Conronnes: que rien de ce qui se fait, même par ceux qui re­presentent le corps du peuple, qui puis aprés feroit tort & porteroit prejudice au general, ne doit pas é­tre obligatoire, parce que plusieurs choses, qui dans le tems que l'on faisoit ces loix là, étant bonnes & profitables, peuvent étre deve­nües aprés toutes contraires; & qu'aussi-tôt qu'une loi a la moin­dre aparence de devenir pernicieu­se à tout le corps qui la faite, ou à ceux qui lui succedent, ils doi­vent l'annuler, ce qui certaine­ment arriveroit dans un païs accou­tumé d'avoir des libres & fre­quentes assemblées des Etats. [Page] Que si ces assemblées sont inter­rompües, ou corrompües par voyes indirectes, alors les loix par leur qualité de loi, determinent d'el­les mêmes en tout ce qui les re­garde, étant suposé que ceux qui representent le peuple l'eus­sent voulu annuller, s'il leur avoit été permis de s'assembler, & d'en agir librement. Au reste, les actes d'un Parlement general, quoi que libre, n'ont pas toûjours la vertu de forcer, puisqu'ils sont sujets à des fautes aussi bien que les par­ticuliers; mais bien ceux qui par une succession éternelle de Parle­ments, peuvent quand il leur plait, faire confirmer, changer, ou annuler les loix.

Ceci semblera dur à bien des gens; mais neanmoins nous som­mes assurez, que quiquonque en­treprend de détruire, & diminuer le droit du peuple touchant la dis­pensation de la Couronne, detruit en même tems le droit que leurs [Page] Majestez y peuvent pretendre; c'est pourquoi il est a present tems ou jamais de les soutenir, & de les defendre tous deux, malgré la collusion de ceux qui osent agir sous main, & se flattent de re­cevoir du profit de cette revolu­tion, à laquelle ils n'ont en rien contribué, mais que le peuple avec l'assistance de Dieu s'est procu­rée lui même, quoi qu'il ne veüil­le pas aprofondir trop avant dans le misteres de la cause premiere, ni consentir, a l'equité du fait, mais plûtôt eviter l'argument avec pre­caution; & si par hasard il est proposé, le mâcher s'il faut ainsi dire à bouche close, comme l'âne fit le chardon, ce qui fit rire un certain Philosophe, quoi que cela ne lui fust jamais arrivé en sa vie; aussi cette maniere d'agir ex­citeroit plûtôt la risée, & la co­lére des gens d'esprit qui aiment les privileges legitimes de leur pa­trie, que si on en usoit autrement; [Page] car personne n'est forcé de tombe: dans de grandes absurditez, ni de faire de plus terribles beveües dans la Theologie, daus la poti­tique, & dans le bon sens, qui ceux qui voudroient reconcilie: l'interêt present, à leurs vieille maximes qu'ils cherissent taut.. res est ridicula & nimis jocosa Catull. Mais benit soit Dieu, nè­tre nation est prosque d [...]b [...]rée, di cette erreur grossiere touchant li Doctrine de l'esclavage, malgré l [...] efforts de ceux qui voudroient l'en­tretenir & la fomenter, comm un feu couvert de cendres chau­des, tout prêt de s'enflame à la premiere occasion.

Le Gouvernement de la Russ [...] & de la Moscovie est aussi Tyran­nique qu'il y en ait dans les Monar­chies les plus meridionales. Le Prêtres ont beaucoup contribué er ce pais là à le rendre tel, & à l' [...] entretenir, afin de garder le peuple dans un temperamment propre [Page] à l'obeissance. Il n'est permis à personne de voyager, sous peine de la mort, excepté ceux qui ont un congé special dont il y en a fort peu; aussi ne rencoutre t'on aucu­ne personne de qualité de cette na­tion dans les païs étrangers, ex­cepté des Envoyés, de Ambassa­deurs ou autres Ministres p [...]blics & leur Domestiques. La raison de cette defence si severe, est des peur que tels voyageurs ne goutassent, la liberté des autres nations & qu'ils ne fussent tentés, & ne souhaitas sent qu'il en fut de même chez eux, ce qui pouroit être le sujet de beaucoup d'innovations dans l'Etat. Les mê­mes raisons qui engagent les Ty­rans à défendre les voyages, de­vroient encourager les peuples des païs libres à voyager, afin d'apren­dre les moyen [...] de conserver, ce qui se pouroit dificilement recouvrer, si une fois il étoit perdu. Car la Ty­rannie d'ordinaire se glisse par degré dans un Etat, (selon un sça­vant [Page] homme) comme une fievre hectique que l'on peut au com­mencement guerir facilement, mais à peine la peut-on connoître, & lors qu'on la connoît, & que l'on s'en apperçoit, elle devient incu­rable.

Pour decouvrir les Symptomes de cette pernicieuse maladie, aussi bien que pour prevenir les tristes effets qui la suivent, lors quel­le est venüe à son plus haut de gré; il n'y a point de meilleur moyen, ny qui coûte moins, que de voyager, tant il est vray qu'il est de plus grande importan­ce de conserver un établissement bien fondé, que d'en fortifier un foible encore que ce soit une sçience fort avantageuse.

Dans nos Universités qui sont sans question, les meilleures du monde, soit que nous conside­rions leurs revenus, leurs bâti­ments, ou leur Science, il y a des Societez établiés pour voya­ger; [Page] ce qui dans un pais ou l'in­terêt du Clergé, est pareil à celuy du peuple, bien loin de porter pre­judice à leurs libertez legales, tend plûtôt à leur conservation. Car les gens de mérite, qui sont em­ploiez dans les voïages, peuvent aporter dans leur Patrie des nobles connoissances de la liberté, & faire d'admirables remarques sur un Etat qui est sous l'esclavage, ce qui etant préché dans la chaire & traité avec energie par les argumens d'habilles Theologiens, renverse­ra sans doute ces opinions serviles, qui depuis peu ont été trop favo­risées de l'authorité divine, pres­que à la ruine d'un peuple li­bre.

Je n'ay pas dessein de faire icy reflexion, sur les Ordinati qui d'ordinaire ont le gouvernement de nôtre jeunesse, nous avons vû plusieurs d'entr'eux, qui ont don­né des marques d'une education plus libre, & à qui les Etudes ont [Page] été fort avantageuses. Et personne ne doute que les principaux Po­stes de la Robe, n'ont jamais été plus dignement remplis qu'à present. Je plains seulement leurs constitutions & leurs regle­ments, car tandis que l [...] credit bri­gue d'un côté, la probité & la bon­ne soy de l'autre, (lors qu'une per­sonne peut faire sa fortune en ou­bliant ce qu'elle do it à sa Patrie, elle tachera toujours d'atraper quelque chose tandis qu'il la se [...]) on peut a p [...]ine esperer de resister à de tel­les tentations, à moins que l'on ne soit do [...]é de plus d'integrité & d'honneur que le reste des hom­mes. Et puis qu'ils continuent toûjours su [...] le même pié, il faut s'attendre à la même chose, ou qu'ils inventeront tous les jours des doctrines aussi pernicieuses; au lieu que s'ils étoient une fois mis sur le même pié que les Phi­losophes d'autrefois, si la bonne foi & le devoir qu'on doit à sa [Page] patrie, devenoient leur propre interêt, & le seul moyen qu'ils eussent de prosperer & de s'en­richir, nous le verrions bien­tôt changer de main, & l'esprit de ces philosophes revivre en eux.

Nos Universitez paroissent aussi mal reglées dans ce qui regarde le sçavoir, que dans ce qui concer­ne la politique. L'on ne nous y ap­prend que d'ordonnances faites par ceux qui n'y entendoient rien, & qui avoient un sçavoir beaucoup diferent de celui que l'on a apre­sent. Il me semble qu'il est aussi ridicule de prendre des structions pour les sçiences d'aujourd'hui tou­chant la maniere d'enseigner du tems auquel ces ordonnances fu­rent composées, que si celui qui voudroit paroitre à la Cour bien habillé faisoit faire ses habits com­me ceux qu'on portoit du tems [Page] d'Henri VIII. Mais ceci est d'u­ne pire consequence, car les prejugez & les fausses idées, la fermeté dans les opinions, l'hu­meur contentieuse, & les disputes qui naissent de la vieille philoso­phie, aussi bien que la bassesse d'esprit qui ne peut souffrir de con­tradiction, & qui universellement se contracte par une vie Monasti­que, requierent un long tems pour s'en defaire & jusques à ce que tout cela soit effacé par la conversa­tion des gens sages dans les païs étrangers, la science d'un homme ne fait que le rendre plus inutile à la societé.

J'ose en apeller à l'experience que nous en avons pour sçavoir si ces excellents hommes qui dans ces derniers tems ont été poussez dans l'Eglize, (les meilleurs The­ologiens que jamais on ait vûs en Angleterre) ne sont pas pour [Page] la plus part des gens qui ont beaucoup conversé dans le monde, & que s'ils n'ont pas tous voyagé hors du Royaume, ils ont au moins passé la plus grande partie de leur vie dans Londres, cet abregé du monde, où ils ont apris ce que c'est que de la liberté aussi bien que les autres vertus chrétiennes. La difference qu'il y a entr'eux & ceux d'un temperam­ment opiniatre, causé par leur éducation Monastique peut étre dicernée de tout le monde, & fait que l'on ne doute point que ceux qui ont le plus vû, de quelque profession qu'ils soient sont d'or­dinaire de bonne foi, vertueux, & plus propres pour la societé hu­maine; ceux-ci ont de meilleures idées du public, ils pesent les senti­ments devant que si attacher, abon­dent plus en charité, discernent plus clairement le juste & l'in­juste, [Page] entendent mieux les loix de leur païs aussi bien que les avan­tages & la fragilité de la nature humaine, & en tout cela ils surpas­sent de beaucoup les plus zelez & les plus sçavans Religieux qui ayent jamais été elevez dans la Cellule, lesquels nous apellons Bigots, & qui sont opiniatres dans leurs sen­timens, purement à cause qu'ils y sont accoutumez & qu'ils ont honte qu'on les croye capables d'étre trompez. On observe que les gens de Loi qui par leur maniere d'edu­cation ont toûjours à faire dans le monde, & qui ont commerce avec toutes sortes de personnes, chérissent la liberté, parce que la connoissance qu'ils ont de la pra­tique Ancienne, & des justes ti­tres que le peuple a à ses priviléges (parce qu'ils voyent cela tous les jours dans leurs lectures) les rend moins scrupuleux de commettre ce [Page] que quelques Theologiens apellent mal a propos un peché, en ceux qui s'eforcent de les conserver, ou de les recouvrer; C'est pourquoi les beveües de quelques Messieurs de cette profession sont moins ex­cusables; car il faut que j'avoüe entre autres choses que cette devise A Deo Rex, a Rege Lex, où le droit divin du pouvoir arbitraire & im­pie des Tirans est si fortement soutenu, a souvent donné occasion à des réflexions, qui n'étoient pas en faveur de ceux qui s'en ser­voient.

Ainsi vous voyez comme j'ai parlé de la maniere que l'on doit necessairement observer dans l'e­ducation d'une personne de qua­lité tant au commencement qu'à la fin pour qu'elle soit utile à sa patrie, ce que je supose devoir étre sa principale fin: & je ne doute point que si nos jeunes gens, étoient [Page] élevez dans les Ecoles à entendre les pensées & les sentimens des Au­theurs qu'on leur fait lire, aussi bien que la Sintaxe des mots, que si on prenoit autant de soin à leur in­culquer les bonnes maximes, & à leur recommander les nobles ca­racteres dont les anciens historiens sont si remplis, que l'on en prend à leur imprimer dans l'esprit les re­gles de la Grammaire, & la deli­catesse de la phrase; que si dans nos Universitez on prenoit un grand soin de leur donner une erudition noble & genereuse; que si aprés cela on les instruisoit tous les jours dans la loix & dans les affaires qui regardent leur patrie; que si dans les conversation on les élevoit en la connoissance des choses uti­les, & qu'alors on les envoyât voyager lors qu'ils commencent à étre posez, & que la chaleur de la jeunesse est passée, & leurs juge­mens [Page] assez meurs pour faire de bon­nes observations: je dis que sans difficulté en suivant cette methode un mediocre genie pouroit deve­nir une merveille, & revenir chez lui bien instruit des Loix des au­tres Gouvernemens, ce qui le rendroit plus resolu à maintenir les siennes.

Pour connoître l'avantage d'un gouvernement libre, en compa­raison d'un autre qui ne l'est pas, on n'a besoin d'autre chose que de le considerer de prés, la diffe­rence se peut voir ecrite sur les vi­sages des peuples de l'un & de l'au­tre, aussi bien que dans leur ma­niere de vivre; & lors qu'on ne voit rien que misere dans les Païs les plus fertiles, où on est sujet à un pouvoir Arbitraire, & qu'au contraire on ne voit rien que ga­yeté & abondance sur les visages de ceux qui ont conservé leur li­berté [Page] & leurs privileges il n'y a plus rien à dire, & personne ne sera pas long-temps à connoître, celuy qu'il doit choisir. Cette observation est si commune qu'il n'est pas difficile à un voyageur de la faire: c'est une raison assez suffisante pour inviter nôtre No­blesse à voyager.

On devroit montrer à un An­glois la misere des parties du mon­de qui sont dans l'Esclavage, pour lui faire d'autant mieux cherir le bonheur dont il jouït dans son Païs; comme les Spartes expo­soient leurs Esclaves lors qu'ils étoient yvres à la veüe de leurs en­fans, pour leur faire aimer la so­briété.

Mais ce n'est pas dans les Cours les plus polies, ni dans les pays les plus agreables, comme la France, l'Italie, & l'Espagne, où on peut tirer le plus grand avanta­ge [Page] de ces observations; la ma­niere de vivre, la purete de l'air, la delicatesse du boire & du man­ger, la magnificence des Bati­ments, la beauté des jardins, le pompeux équipage des grands Seigneurs, deguisent l'esclavage de ces païs là. Et comme cela rend les maux des habitans un peu plus suportables, ils les derobent à la veüe d'un voyageur & l'empêchent de considerer les calamitez qui accompagnent tant de splendeur & tant de benedictions naturelles; ou de faire reflexion combien plus heureux seroit l'état de ces gens là s'ils étoient mieux traitez. Mais, dans les Royaumes & les Provin­ces du Nort on ne voit présque rien qui détourne l'ésprit, ny qui l'empêche de contempler l'esclava­ge, avec toutes ses couleurs; & puis­que pour cette raison peu de nô­tre Noblesse est tentée de voya­ger [Page] dans ces païs, & que nous n'en avons presque aucune rela­tion, quoyque nous ayons sou­vent à faire avec eux; jay crû qu'il ne seroit pas inutile àu public, de publier la suivante Relation de Danemarc, laquelle j'ay pris soin de receüillir sur le lieu mê­me avec toute l'exactitude possible & avec toute la bonne-foy & im­partialité imaginable, ce qui peut epargner la depence du voyage aux Curieux.

Ce Royaume a souvent cu le malheur d'étre gouverné par les conseils de la France. Lorsque Mr. Algernoon Sidney étoit Am­bassadeur en cette Cour, Mon­sieur Terlon Ambassadeur de France eut la hardiesse de dechirer du livre des divises qui est dans la Bibliotheque du Roy ces deux vers que Monsr. Sydney (selon la liberté qu'ont tous les Etrangers y avoit écrit.

[Page]
. . . . . Manus haec inimica Tyrannis
Ense petit placidam sub libertate quietem

quoy que Monsr. Terlon n'en­tendit pas un mot de latin, quel­qu'un luy dit ce que signifioit cette sentence, laqu'elle il prit pour un libelle contre le Gouver­nement de France, & contre celui qui alloit étre établi en Danemarc moyenant son assi­stance & en suivant son exem­ple.

Pour conclure, un Anglois qui considere attentivement ces choses trouvera par experience, qu'à pre­sant l'étude generalle des Prin­ces Souverains de toute la terre est d'aprendre l'art de la Guerre, & les moyens de tenir en sujetion [Page] leur propre Païs, que les Arts de la paix, par où l'acroissement & la prosperité de leurs sujets pou­roient étre avancés sont entiere­ment negligés ou froidement & peu souvent mis en usage; d'avantage il sera persuadé qu'il a grand rai­son de benir la providence de ce qu'elle la fait naître & de ce qu'elle le conserve libre: Il trouvera que c'est un devoir qu'il doit à sa pa­trie de s'assurer de cet inestimable bonheur & de le conferer à la po­sterité; il trouvera que pour s'en acquiter, la chose la plus necessai­re est de donner une bonne e­ducation à la jeunesse, de con­server nôtre forme de gouver­nement, de le maintenir sur sa baze naturelle, qui est l'ori­ginal du Contract. Tous au­tres fondements sont faux, absur­des, derogent au Gouverne­ment & detruisent absolument [Page] les privileges legitimes de la nation Angloise.

Salus populi suprema lex esto.

TABLE DES CHAPITRES, Contenus dans cet Ouvrage.

CHAP. I. Des Païs apar­tenants au Roy de Dane­marc & de leur situation
pag. 1
Chap. II. Du Danemarc en par­ticulier, & de l'Ile de Zée­land.
p. 7
Chap. III. Du Detroit du Sund.
p. 17
Chap. IV. Des autres Iles & du Iutland.
p. 29
Chap. V. Des autres Païs apar­tenants au Roy de Danemarc.
p. 33
[Page]Chap. VI. De la forme du Gou­vernement.
p. 43
Chap. VII. Comment le Royau­me de Danemarc est devenu hereditaire & absolu.
p 49
Chap. VIII. L' Etat, les Cou­tumes, & le naturel du peu­ple.
p. 72
Chap. IX. Du Revenu du Roy de Danemarc.
p. 95
Chap. X. De l' Armée, de la Flotte, & des Forteresses.
p. 119
Chap. XI. De la Cour.
p. 143
Chap. XII. De la disposition & de l'inclination du Roi de Danemarc envers ses Voisins.
p. 180
Chap. XIII. De la maniere dont on a depossedé le Duc de Holstein Gottorp & de son Re­tablissement.
p. 192
[Page]Chap. XIV. Des Interêts du Roy de Danemarc par raport aux autres Princes.
p. 211
Chap. XV. Des Loix & des Cours de Iustice. &c.
p. 224
Chap. XVI. Touchant l'état de la Religion, le Clergé & l' Education.
p. 242
Chap. XVII. La Conclusion.
p. 252

ETAT PRESENT DE DANEMARC, Par lequel On voit le fort & le foible de cette Couronne.

CHAPITRE I.

SI nous considerons l'éten­duë des païs qui sont soù­mis au Roi de Dane­marc, il peut être regar­dé comme l'un des plus grands Princes de l'Europe; mais si nous les considerons par rapport à eux mêmes, & que nous ayons égard à l'utilité & aux avantages qu'on en [Page 2] doit tirer, on pourra comparer ce Prince avec le Roi de Portugal ou peut-être même le trouver moins puissant.

Ses titres sont, Roi de Danemarc & de Nortwege, des Goths & des Van­dales, Duc de Sleswick & de Hol­stein, Stormarie, Ditmarse, Com­te d'Oldenburg & de Delmenhorst. Tous ces titres sont bons & solides, car il possede en effect tous ces païs ou en tout ou en partie, si on en excepte toutefois celui des Goths & des Van­dales, que le Roi de Suede prend aussi, & que la Couronne de Dane­marc a retenu depuis qu'elle a été Maitresse de la Suede, comme nos Rois d'Angleterre retienent celui de Rois de France.

Mon dessein est de vous informer de l'état present de ce Royaume, & de ne rien avancer que je ne tienne de personnes dignes de foi, où que je ne sçache certainement, & par ex­perience être tres veritable.

Depuis la derniere guerre entre Charles Gustave Roi de Suede & Frederic III. qui sinit par un Traité de Paix en l'année 1660. le Dane­marc a été forcé de mettre bas les ar­mes, avec la perté de toutes les Pro­vinces [Page 3] qui sont au dela de la Mer Bal­tique. Ces Provinces sont celles de Schonen, d'Halland & de Bleking, & sont demeurées à la Suede nonob­stant tous les frequens efforts que le Danemarc a fait pour les recouvrer. Ces trois Provinces, principalement celle de Schonen sont les meilleures qui appartinssent au Danemarc, & c'est pour cela que les Danois les re­grettent & qu'ils les regardent d'un oeil d'envie. On rapporte aussi que pour ce sujet ils ont fait murer les fe­nêtres du Château de Cronenburg qui sont tournées du côté de Schonen, afin qu'un tel objet ne leur fut un con­tinuel creve-coeur.

Le Danemarc reduit dans les bor­nes où il est à present, est environné de tous cotez de la Mer, excepté cet endroit qu'une petite langue de terre joint avec le Holstein. Il est borné du côté de l'Occident & du Nord-West par la Mer d'Allemagne; du còté du Nord, & du Nord-Est par l'entrée dans la Mer Baltique appellée le Dé­troit; du côté de l'Orient par la Mer Baltique; & du côté du midi par la Riviere Eyder, qui ayant sa source fort proche de la Mer vers l'Orient, prend son cours du côté de l'Occi­dent, [Page 4] & se jette dans l'Ocean à To­ningen qui est une ville forte, & qui appartient au Duc de Holstein Got­torp; de sorte que si l'on tiroit un Canal d'environ trois milles depuis cette Riviere jusques a Kiel, cette Prés qu'Ile seroit une Ile parfaite.

Je renferme dans ces bornes le Du­ché de Sleswic comme faisant partie du Danemarc; mais non pas le Du­ché de Holstein, parce que celui là étoit un fief de cette Couronne, & que celui-ci en est un de l'Empire. Tout le Danemarc donc comprenant ses Iles selon les bornes que je lui ai donné s'étend entre les degrés 54. 45. & 58. 15. de latitude seprentrionale; sa largeur n'est pas proportionnée, mais en lui donnant toute l'étendue qu'il peut avoir, il aura un tiers moins que le Royaume d'Irlande.

La Nortwege qui est située au Nord du Danemarc, & qui en est separée par cette Mer qu'on appelle ordinai­rement Categate, est une Province vaste & sterile, pleine de montagnes & couverte de sapins; elle s'étend depuis le 39. degré de latitude septen­trionale jusques au 71. mais elle est fort étroite eu regard à sa longueur. L'Ocean la borne au couchant, & au [Page 5] Nord; la Suede & les Pais qui lui ap­partiennent à l'Orient; & la Mer qui la separe du Danemarc au Midi. La Mer y est si profonde tout le long de ses côtes qu'il n'y a point de moüil­liage pour les Vaisseaux; & c'est pour cela que ces côtes sont estimées les plus dangereuses qu'il y ait en Eu­rope, où l'on échoue pendant la nuit & durant la tempète; car s'il arrive que dans ce tems-là le Vaisseau s'en­fonce, il n'y a pas moyen de se sau­ver, parce qu'il regne tout le long de cette còte des rochers fort élevez, au pied desquels ou trouve 200. brasses d'eau.

Le Holstein qui renferme les peti­tes Provinces de Ditmorsen & Stor­maren, est borné du côté du Nord par le Duché de Sleswic. Au Sud-Est par le Duché de Saxe Lawenbourg; Au Sud-West par l'Elbe; & le reste est baigné par l'Occean & la Mer Balti­que. Il est situé entre le 54. & 55. degré de latitude septentrionale.

Oldenburg & Delmenhorst, sont deux Provinces dans l'Allemagne qui se touchent, & qui sont derachées de tous les autres Païs du Roi de Dane­marc: l'Elbe & le Weser, & le Du­ché de Breme se trouvent entre ces [Page 6] deux Comtez & le Holstein. Elles sont bornées par le Weser du còté du Nord-Est; par l'Oostfrise & le Comté d'Embden du côté du couchant; & par une partie de l'Evêché de Mun­ster du côté du Midi. Ce n'est qu'un petit territoire qui a de diametre en­viron 35. milles d'Angleterre, & dont le centre est au 53. degré & de­mi de latitude.

Les autres Païs qui dependent du Roi de Danemarc, & dont il n'est point fait mention dans ses titres, sont les Iles de Fero, de Shetland, & l'Is­lande dans l'Ocean septentrional: S. Thomas une des Caribes dans les Indes Occidentales, un Fort sur la côre de Guinée appellé Christians­bourg, & un autre dans les Indes Orientales nommé Tranquebar. Il a aussi un Peage à Elfleet sur le We­ser.

Cela peut servir en général pour sçavoir quels sont les Pais qui appar­tiennent au Danemarc. On voit qu'ils ont un grand inconvenient qui est qu'ils sont extremement separez les uns des autres; car il est certain qu'un Etat qui touche aux Terres de plu­sieurs autres Princes est soible, & ex­posé à de grands dangers, & que [Page 7] pour l'en guarantir il est besoin d'une depense plus qu'ordinaire, comme aussi de beaucoup de prudence pour le conserver en son entier. Et c'est à ce­la principalement qu'on doit attri­buer les conquêtes que le Roi de Sue­de a faites sur le Danemarc.

CHAPITRE II. Du Danemarc en particulier, & de l'Ile de Zeland.

COmme c'est ici le plus considera­ble Païs, & même la quatrié­me partie de tout ce qui appartient au Danemarc, je vous en ferai un recit plus particulier que des autres. Je sçai qu'il y a des Autheurs qui nous ont donné la Genealogie, & la suc­cession de ses Rois, qu'ils ont parle de ses noms anciens, de ses habitans, & de leurs conquêtes &c. Pour moi je veux seulement vous donner un Etat de ce Royaume tel qu'il est à present, & ne m'engager dans l'His­toire ancienne, ou dans la Geogra­phie qu'autant qu'il sera necessaire pour l'intelligence de l'Etat present de ce Royaume.

[Page 8]Le Danemarc donc, ainsi propre­ment appellé, consiste en plusieurs Iles qui sont dans la Mer Baltique, & en cette partie du Continent que l'on appelle aujourd'hui Jutland: je traitterai à part du Duché de Sleswic, que j'ai compté dans le Chapitre pre­dent comme une de ses parties, par­ce qu'il est partagé entre le Roi & le Duc de Holstein Gottorp. Le Jut­land est la Province la plus étendue & la plus fertile; mais les Iles sont plus considerables, si l'on regarde leur si­tuation, principalement l'Ile de Ze­land, parceque Copenhague la capi­tale du Danemarc y est située, & que le fameux passage du S und se trouve entre cette Ile, & la Province de Scho­nen, où dans l'endroit le plus étroit est la Ville d'Elseneur: c'est pour­quoi je commencerai par leur descrip­tion, & premierement par celle de Zeland. Cette Ile est presque de fi­gure ronde & peut avoir de circuit en­viron 180. milles d'Angleterre; je ne sçaurois la loüer pour sa fertilité, car en aucun endroit, il n'y croît point de grain, si on en excepte le seigle qui à la verité y vient en abondance, & dont on fait la plùpart du pain. Il y a peu de prairies, & cependant il n'y [Page 9] ma [...]que pa [...] de bon foin; la plus grand part de leurs herbes, qui sont courtes, douces, & de bonne odeur, croissent sur les bords des champs, ou sur quelques petits coms écartez de terre marecageuse. Il n'y a point de Rivieres, ni même une douzaine de ruisseaux qui puissent faire tourner un moulin. Les Lacs qui y sont en grand nombre & fort poissonneux suppléent à ce defaut. L'air y est astez bon, prin­cipalement aux environs de Copen­hague, ce qui provient des brouil­lards qui y sont frequents, & de la si­tuation basse de ces lieux; toutefois cette maladie qu'on appelle en Angle­terre le froid du poulmon y est fort rare, ce que j'attribuë à leur feu qui est tres pur, puisqu'ils ne brûlent que du bois de Hestre, qui est le seul ar­bre propre à la charpante, qui y soit en abondance La quatriéme partie de cette Ile ou environ, n'est que fo­ret ouvertes de tous côtés pour les plaisirs & la chasse du Roi; mais à la ruine, & au dommage des pauvres paï­sans; car les cerfs, les sangliers, & les chevreuls &c. que personne n'o­seroit toucher, comme si c'étoient des choses sacrées, gatent tout, & [Page 10] leur font perdre l'esperance d'une bonne recolte.

La veüe de l'Ile est agreable en plu­sicurs endroits, par le varieté des colli­nes, des bois, & des lacs. Quant aux ports de Mer celui de Copenhague qui est le meilleur, repare le manque qu'il y en a, non seulement dans cette Ile, mais encore dans toutes les autres, où il y en a fort peu, que je sçache, où un Vaisseau de 200. tonneaux puisse entrer. Et ce manque de bons ports n'est pas d'un grand prejudice, par­ce qu'il n'y a pas dans cette Ile des denrées en assez grande abondance pour être transportées. Lorsque l'an­née est bonne, ce qui arrivé quand il regne une grande humidité, car la [...]erre étant sablonneuse elle demande des pluyes frequentes, il y a un peu plus de seigle qu'à l'ordinaire. Il m'a été dit qu'il y a environ quarante ans que dix ou douze barques Hollandoi­ses trouvoient leurs charges, toutes les années à Kiog, qui étoit une Ville florissante en ce tems là, & éloignée de Copenhague de 20. milles d'Angle­terre, mais on a reconnu enfin que les grains de ce quartier là pouvoient à peine suffire à nourrir ses habitans, non [Page 11] que le nombre en fut augmenté, mais parce qu'à present on negligeoit plus la culture des terres qu'on ne faisoit autrefois, lorsque le pauvre peuple étoit moins accablé de chargez & d'impots onereux.

Le betail est généralement petit & maigre; on le garde enfermé sept ou huit mois de l'année, où on le nour­rit en partie du foin, & en partie du marc de grains des brasseurs, de raci­nes, de mechantes herbes, & de me­chants fruits que les proprietaires ont pû ramaster. Pendant l'Eté la chair de leurs boeufs est bonne & succulen­te; mais celle de mouton y a été ra­re jusques à present, & même aujour­d'hui les moutons n'y sont pas com­muns, car on n'est pas accoutumé à les châtrer; & c'est pourquoi on les mange quand ils sont encore agneaux.

Le peuple en général, par tout le Danemarc vit fort miserablement, les bourgeois & les habitans des Vil­les se nourrissent de pain de seigle, de chair salée, de morüe, du lard & d'un fromage si mechant que les In­specteurs de nos marchez en Angleterre feroient jetter si la même coûtume de fouler aux pieds, ou d'envoyer aux pri­sonniers tous les vivres, qu'ils jugent [Page 12] n'ètre pas bons, avoit lieu en Dane­marc comme elle a en Angleterre. Ces inspecteurs vuideroient apparem­ment les marchez, s'ils ne les trou­voient pas mieux pourvùs qu'en Da­nemarc, & laisseroient fort peu de chose, ou à l'acheteur ou au vendeur, Les païsans vivent de racines * White-meats, & de pain de seigle; mangent rarement du poisson frais & presque jamais de la viande à moins que ce ne soit dans un jour de fète extraordinai­re, comme la veille de la S. Martin, car ce jour-là chaque famille en Da­nemarc, se rejouit, & mange à son soupé une oye rotie.

Il n'y a ici que deux Saisons l'Hyver & l'Eté comme dans tout le Dane­marc, les deux autres Saisons le Prin­tems & l'Automne qui sont les plus agreables, n'y sont pas connües; il n'y a jamais de Printems & rarement d'Automne: on passe incontinent du chaud au froid & du froid au chaud. Durant les trois mois de Juin, Juil­let & Aoüt, les chaleurs sont plus grandes qu'en Angleterre & fort, étoufantes pendant la nuit; mais c'est une chaleur sombre, & le peuple aperçoit quelques vapeurs epaisses entre le soleil & lui. Pendant les [Page 13] trois mois on est fort incommodé à Copenhague des mouches, & on est contraint de les faire mourir avec de l'eau empoisonnée; j'ay vû dans des cuisines, & dans des chambres que l'on a oté des bassins où étoit cette eau des boisseaux entiers de mo [...]ches mor­tes.

La Mer Baltique proche de cette Ville n'est pas poissonneuse, & je n'ay jamais connu une Viile maritime de cette importance, si mal pourveüe de poisson, soit que la cause, com­meje le crois, en doive être attribuée à ce que la Mer n'est pas assez salée, car la salure de cette Mer doit être estimée plûtôt aprété que sel, soit que le peuple ne soit pas assez habile à le prendre. Ce qu'il y a de plus considerable dans cette Ile & mê­me dans tout le Danemarc, est la Ville de Copenhague & le passage du Sund. Je commencerai par cette Ville, parce qu'aprez que j'en aurai fait la description, j'aurai peu de chose à dire des autres Villes qui sont sous la Domination du Roi de Dane­marc, car il n'y en a point d'autre qui lui appartienne qui soit meil­leure que S. Albans en Angleterre.

Copenhague n'est pas une Ville an­cienne, [Page 14] ni fort grande, elle l'est à peu prez autant que Bristol; mais chaque jour on en augmente les bati­mens, quoi qu'il y ait plusieurs cho­ses qui en decouragent. Les Fortifi­cations enferment plus de terres, que de batimens, dont il y en a un grand nombre de mechants qu'on abattra sans doute, quand elle deviendra plus riche. Sa situation est la meilleure qu'il y ait au monde pour le Com­merce, à cause de la bonté de son port, tellement que Copenhague se­roit sans difficulté, si elle étoit libre, l'étape de tout la trafic de la Mer Bal­tique. Le port est enfermé par les remparts de la Ville, l'entrée en est si étroite qu'un seul Vaisseau y peut passer à la fois, & on a le soin de la fermer toutes les nuits avec une bonne chaine; une Citadelle d'un côté, & un Fort bien fourni de canons de l'au­tre en defendent l'accés. On decharge dans le port les Vaisseaux du Roi, cha­cun y a sa place marquée; une Galerie de bois environne l'endroit où est la Flotte, & tous les Vaisseaux y sont rangés de telle maniere qu'on les peut voir de prés, aussi aisement & com­modement que s'ils étoient sur le sec. [Page 15] Ce Port est assez grand pour contenir Soo. voiles à l'abri du vent & des en­nemis. La rade est trés bonne & trés seure, un grand banc de sable, sur la pointe duquel flottent toújours une couple de balises pour guider les Vaisseaux qui sortent ou qui entrent la defend contre les vagues de la Mer. Les Marées ne sont pas ici à craindre, il y a toujours une hauteur d'eau assez grande; mais à la verité selon le côté d'où le vent souftle, & qu'il pousse les slots dedans ou dehors la Mer Balti­que, il y a quelquefois des courants, mais qui ne sont ni frequents, ni dan­gereux; en un mot ce Port peut être compté en toute maniere pour un des meilleurs qu'il y ait au monde.

La Ville est forte, située sur un lieu uni & mareéageux, n'ayant au­cune élevation qui la commande; l'air y est mauvais à cause de la puan­teur des Canaux qu'on a creusez au tra­vers de la Ville. Les Ouvrages ne sont que de terre & de gazon, faits selon les regles de la Fortification moderne, & assez bien entretenus. Les Maisons dans la Ville comme par tout ailleurs, sont généralement fort chétives, n'étant que de miserables trous, & l'espace qui est entre la char­pente [Page 16] est rempli de briques. C'est une chose remarquable, que tous les Bâtimens publics comme le Change, l'Arsenal &c. ont été batis par le Roi Chrêtien IV, Grand-Pere du Roi d'apresent, qui a été un Prince vail­lant quoi que malheureux; qui a plus fait avec de petits revenus que tous les Princes qui lui ont succedé, & ce­la dans le tems que la Monarchie n'étoit ni héréditaire, ni absolüe. Ce Prince avoit accoûtumé de dire qu'il sçavoit que les bourses de ses sujets seroient toûjours ouvertes pour ses neces­sités, & pour celles du Royaume, & qu'il aimoit donc mi [...]ux qu'ils fussent ses Caissiers que son Grand Thresorier qui pourroit le tromper, Quoi qu'il ait fait faire tous les plus beaux Batimens de cette Ville, néanmoins il a oublié, ou peut-être differa-t'il de faire bâtir un Palais pour lui & pour ses Successeurs, & aucun Prince ne l'a entrepris de­puis, quoi qu'asseurement on ne trouve dans aucun Royaume plus d'oc­càsions que dans celui-ci. Le Palais où le Roi demeure est le plus me­chant & le plus mal bâti qu'il y ait au monde, eu égard à la situation, la bassesse & l'incommodité; & au­ [...]ant que le Port est admirable pour [Page 17] sa bonté, autant le Palais l'est pour sa laideur, s'il m'est permis de parler ainsi. La plûpart des Gentils-hom­mes, comme son Excellence Gulden­lew, le Grand Amiral Juël, avec beaucoup d'autres sont mieux logés que toute la Famille Royalle; toute­fois pour reparer cela, Sa Majesté a proche de soi une belle écurie de che­vaux, & un grand, & beau Jardin, avec une Maison appellée Rosenburg, un peu éloignée du Palais, à l'autre bout de la Ville.

CHAPITRE III. Du Detroit du Sund.

CE passage, ou ce detroit appellé le Sund, qui est en si grande repu­tation dans le Nord, est entre l'lle de Zeland & Schonen. Du côté du Da­nemarc là où il est le plus étroit, il y a la Ville d'Elseneur & la forte cita­delle de Cronenburg, proche de la quelle il y a une rade passable. Du côté de la Suede il y a la Ville de Helsin­burg avec un château demoli, duquel il reste encore une tour qui peut tenir [Page 18] une demi douzaine de gros canons pour rendre le salut aux Vaisseaux de guerre qui passent par là.

Tous les Vaisseaux qui trasiquent dans la Mer Baltique passent & repas­sent entre ces deux châteaux; telle­ment que ce détroit aprés celui de Gi­braltar est le plus important & le plus frequenté qu'il y ait en Europe. La perte de la Province de Schonen quoi que considerable, à regarder l'étendüe & la fertilité du Païs, l'est beaucoup plus sil'on considere l'importance de ce grand passage; car quoi que les Da­nois par le Traité de paix, en ayent expressement retenu le droit, & qu'ils reçoivent le peage de tous les Vaisseaux qui y passent, excepté de ceux de Suede, toutefois ils ne croyent pas que leur droit soit si asseu­ré qu'ils le soùhaiteroient; car n'étant pas maîtres des terres qui sont des deux côtés, ils peuvent avoir le droit, mais non pas le pouvoir de le mainte­nir dans l'occasion; & il semble que s'ils en jouissent à present ce n'est que par un effet de leur bonne conduite; la Suede qui est leur plus puissant voi­sin, étant capable de se prévaloir à leur préjudice, de la premiere occa­sion qui lui en sera donnée.

[Page 19]Ce droit, que tous les Vaisseaux, qui passent par le Sund payent, étant trés considerable, & ayant donné occasion pendant ces dernieres an­nées, à plusieurs querelles qui ne sont pas encore finies, j'ai crû que je ne devois pas oublier de mettre ici ce que j'ay appris de son établisse­ment & de son origine, aprés en avoir fait une recherche aussi exacte qu'il se peut, & m'en être informé des per­sonnes les plus agées, & les plus éclai­rées que j'aye rencontré.

Le recit le plus fidelle, c'est qu'il fut mis au commencement, du con­sentement de ceux qui trafiquoient dans la Mer Baltique, lesquels voulu­rent bien donner quelque chose pour chaque Vaisseau qui passoit, pour l'en­tretien des feux qu'il y avoit en quel­ques endroits de la côte, qui servoient aux Mâtelots à se conduire durant la nuit. Bien-tôt aprés le passage du Sund fat plus pratiqué que le grand Belt, qui dans peu de tems fut aban­donné & negligé, tant à cause de la grande commodité de ces feux qui éclairoient les Vaisseaux qui venoient, ou qui passoient dans la Mer Balti­que, qu'à cause de l'accord qui fut fait, qu'aucun Vaisseau ne passeroit [Page 20] par un autre endroit, afin que tous payassent leur portion; n'étant pas raisonnable que les Vaisseaux, qui éviteroient de payer pout l'entretien de ces feux, en passant par un autre chemin, s'en servissent pendant les nuits obscures & orageuses de l'hiver. De plus si cette maniere d'éviter le payement de ce droit, étoit une fois approuvée, le revenu en auroit été si petit, vû le peu que chaque Vaisseau devoit payer, qu'il n'auroit pas été suffisant à entretenir ces feux; & les Danois ne vouloient pas que ce fut seulement pour l'usage de leurs pro­pres Vaisseaux marchands, attendu qu'ils en avoient si peu, que ce seroit faire une dépense inutile & perdre son tems, que de les vouloir allumer pour eux seuls.

Mais n'y ayant eu aucune regle cer­taine ou traité fixe, par lequel on put se gouverner sur les differentes charges des Vaisseaux, apartenans à tant de differentes Nations, les Da­nois commencerent dans la suite du tems à en devenir les maitres, & à exiger plus ou moins suivant la force ou la foiblesse de ceux avec qui ils avoient à faire; ou suivant l'amitié ou la mes-intelligence qui regnoient [Page 21] entre les Danois, les Princes & les Etats auxquels ces Vaisseaux apparte­noient; c'est pourquoi l'Empereur Charles Quint pour fixer ce droit, conclut un Traité avec le Roi de Da­nemarc, qui fut signé a Spire sur le Rhin, & ce fut en faveur de ses sujets des Pais Bas, qui faisoient un grand trafic dans la Mer Baltique; & il fut convenu, comme si c'étoit une doüa­ne dans le Sund, que chaque Vaisseau de 200. tonneaux & au dessous, payeroit deux nobles à la Rose pour son entrée, & sa sortie de la Mer Bal­tique; & ceux qui seroient au dessus de 200. tonneaux, trois nobles à la Rose.

Cer accord subsista jasques au tems, que les Provinces Unies seco [...]erent le joug de l'Espagne, & alors les Da­nois se prevalant des guarres, firent monter leur droit à un prix exorbi­tant, les troubles ne donnant pas le loisir aux Hollandois de penser aux moyens de s'en relever.

Cependant, environ l'année 1600. ils se joignirent avec la Ville de Lu­beck, pour s'opposer au droit exces­sif que l'on avoit exigé de leurs Vais­seaux; tellement que les Hollandois [Page 22] depuis ce tems-sa payent plus ou moins, selon que la fortune leur est favorable ou contraire, mais genera­lement parlant ils payent peu.

Le premier Traité qui fut fait en­tre le Danemarc & les Provinces Unies, comme Souverains, touchant ce droit fut en l'année 1647. & ils s'obligerent de payer une certaine somme pour chaque Vaisseau; ce Traité devoit durer quarante ans; & si dans le tems qu'il seroit expiré, ï n'y avoit point d'autre nouveau Trai­té, celui de Spire auroit lieu.

Ce Traité de l'année 1647. expira l'année 1687. & les Danois convin­rent de faire un traité pour interim, jusques à ce que tous les differen [...] qu'ils avoient avec eux sur cela, & sur d'autres matieres, pussent se regler [...] loisir, & se terminer par un Traité qui fut plus durable & plus solennel.

Ce Traité pour interim, qui n'é­toit que pour quatre ans, expira l'an­née 1691. si bien qu'aucun nouveau Traité n'ayant pas été fait depuis ce tems-là, il est evident que le seul an­cien Traité de Spire demeure dans sa force.

Les Traitez des Anglois avec le Danemarc, sont fondez sur ceux qui [Page 23] sont entre les Hollandois, & ce Royaume & ils y ont rapport; avec cette convention, que nous serons­traitez tanquam gens amicissima, ex­cepté la Suede dont les Vaisseaux ne payent rien.

Tellement qu'à present tant les Anglois que les Hollandois, peu­vent faire des nouveaux traitez sur ce ci, & sur d'autres affaires de commer­ce, à moins que les patties ne con­vienent que le Traité de Spire, de­meurera à l'avenir dans sa force.

Par cette courte deduction, de l'o­rigine de cette imposition, l'on void combien le titre, sur lequel le Roi de Danemarc fonde son droit d'exi­ger un peage au Sund est leger; qui d'une contribution volontaire, que les marchants s'engagerent de payer pour leur propre commodité, & dont le Roi de Danemarc étoit seu­lement le Thresorier & le Depo­sitaire, a pretendu la faire monter à une imposition onereuse, com­me aussi à une sorte de reconnoissan­ce servile de sa souveraineté sur ces Mers; l'on void encore par là que les guérres dans lesquelles les Hollandois étoient engagez avec l'Espagne lui fi­rent prendre ses avantages; le Roi [Page 24] Jaques premier, y contribua encore au prejudice des Anglois & favorisa les Danois à cause de son mariage avec une sille de cette Couronne; & à l'ex­emple des Hollandois & des Anglois, tous les autres petits Etats s'y soùmi­rent. On ne sçauroit concevoir que cela soit arrivé autrement, puisqu'il est tres connu, que le passage du Sund n'est pas le seul qui va dans la Mer Baltique, y en ayant deux autres ap­pellés le grand & le petit Belt; & que le grand Belt est si commode & si lar­ge, que durant les dernieres guerres, toute la flote Hollandoise y passa & continua d'y passer durant quatre ou cinq mois de suite; on n'ignore pas encore, que les Danois ne sont pas si puissants sur Mer, qu'ils puissent obli­ger les Anglois & les Hollandois, de choisir le passage qu'il leur plaira; de plus la largeur du Sund dans l'en­droit le plus étroit est de quatre mille d'Angleterre, & par tout l'eau est assez profon le, tellement que si les chateaux ne pouvoient pas comman­der sur le Canal quand il étoit maitre des deux côtés, encore moins a pre­sent qu'il n'est maitre que d'un seul côté. Il est don [...] évident que cette pretendue souveraineté est tres chi­merique, [Page 25] n'estant fondée que sur la rupture d'un accord, comme aussi sur la negligence de quelques Princes qui y étoient interessés, au grand prejudi­ce du commerce. Les Espagnols pou­roient avec plus de droit pretendre dé­tre Maitres absolus du Detroit de Gi­braltar où il n'y a qu'un seul passage; ou la Suede qui tient à present un des Chasteaux qui sont sur le detroit du Sund, pourroit aussi demander un droit sur tous les vaisseaux, puis que tous deux sont assez capables de defendre leurs pretensions.

Pour un plus grand eclaircissement sur cette matiere & pour montrer com­me il s'accorde avec le recit que j'ay dêja donné, j'ay crû qu'il estoit à pro­pos de mettre dans cet endroit [...]a co­pie d'une lettre d'une personne fort éclairée sur ces matieres, du 31. de Mars 1691.

MONSIEUR,

Les droits du Sund étoient autre­fois un noble à la rose pour chaque vaisseau chargé; mais pendant ces cent dernieres annéé, quelques uns disent, depuis que Jacques Roy d'E­cosse parvint à la Couronne d'Angle­terre [Page 26] & qu'il serma les yeux sur cela, que les Roys de Danemarc qui te­noient les terres qui sont de l'un & de l'autre côté, commencerent de met­tre d'impots sur les Marchandises & d'augmenter les anciens droits que ceux de Lubec qui étoient alors les plus puissans refuserent de payer.

L'année 1640 le Roy fit impri­mer un livre ou tarif touchant la taxe des marchandises, dont j'ay un ex­emplaire suivant lequel un vaisteau de cent lest ou de 200. tonneaux, ce qui est la même chose payoit comme il s'en suit. Pour 100 lest de sel por­tés dans la mer Baltique 300 Rixda­les, pour les vaisseaux & petites charges de sel 34. Rixdales & 24. sols; & pour 100 lest de ségle ve­nant de la mer Baltique 150 Rix­dales, pour les vaisseaux & les petites charges comme cy dessus 34 Rixda­les & 24. sols. Tellement que les fraix d'un vaisseau ainsi chargé avec sa car­gaison pour entrer & sortir étoient 519 Rixdales.

Sur cela les Hollandois suent un Traité d'alliance avec la Suede qui en l'année 1643 attaqua le Danemarc du côté de l'Allemagne, & les Hollandois luy prêterent des vaisseaux; alors le [Page 27] Roy fit imprimer un autre tarif plus favorable touchant les droits que de­voient payer les marchandises, par le quel il demandoit pour 100 lest de sel d'Espagne 200 Rixdales; pour 100 lest de ségle 75 Rixdales, pour les charges des vais [...]eaux qui entroient & qui sortoient comme cy dessus 69 Rixdales, le tout montant 244 Rix­dales; mais ceci ne fut pas fait assés àe temps ni les taxes ne furent pas assés basses. Les Hollandois par leurs Trai­tés avec le Danemarc de l'année 1646 ou environ, les fixerent à ce prix, les 100 lest de Sel à 50 Rixdales, les 100 lest de ségle à 50 Rixdales, les vais­seaux & les autres petites charges à rien; pour tout, chaque vaisseau fue taxé à 100 Rixdales. Et le Danemarc pour avoir ha [...]ssé precipitament ces droits, a perdu plusieurs pais en Suede. Mais pour repondre plus positive­ment à ce que vous demandés, c'estoit en ce temps la, c'est à dire environ l'année 1640 que les droits du Sund réndoient par an depuis 240000 Rix­dales jusques à 300000; mais depuis l'année 1645 ils n'ont pas rendu dans aucun temps plus de 150000 Rixda­les, & même ils n'ont jamais tant ren­du excepté durant la guerre avec la [Page 28] Suede, quand tout payoit sans ex­ception. Je [...] me souviens que dans la derniere guerre, ces droits ne rendi­rent que 148000 Rixdales; mais avant cette guerre & même depuis (les Vaisseaux des Suedois affranchissant toutes les marchandises qu'ils portent, & leurs marchandises qui sont dans d'autres Vaisseaux étans exemptes des droits) ils n'ont pas rendu plus de 80000 Rixdales par an; & la der­niere année ils ne monterent pas à plus de 70000 Rixdales.

La Cour de Danemarc n'est pas à blâmer d'étre beaucoup jalouse de ce droit, & de regarder avec chagrin les breches que l'on fait à cette preten­duë souveraineté, car plus un titre est foible plus est-on soigneux de s'en con­server la possession, & il est autant de l'interest des Anglois & des Hol­landois que de la Suede, qu'il soit bien établi tant pour favoriser le com­merce de son propre Païs que pour affoiblir les revenus de son voisin; l'on ne peut pas dire que les Anglois & les Hollandois cedent jamais entiere­ment ce point; car quoi qu'ils con­vienent de payer un petit droit sur les marchandises, toutefois ils n'a­prouveront pas que l'on foûille on que [Page 29] l'on arrete leur Vaisseaux. Les Danois sont obligés à present de croire les Maitres des Vaisseaux sur la qua­lité & la quantité de leurs charges, & ils pensent qu'il est de la prudence de n'en pas faire un plus grand examen à moins que nous ne devinsions leurs Ennemis, & que nous ne voulus­sions examiner plus avant l'origine de ce doit, & éplucher les moyens qu'ils employent à le maintenir; car tant que les Anglois & les Hollandois paye­ront ce droit, tous les autres petits Princes & Etats le feront sans mur­mure; mais si une fois nous rom­pons la chaîne, tous les autres la se­coueront pareillement.

CHAPITE IV. Des autres Iles & du Iutland.

LEs plus considerables Iles aprés celle de Zeeland sont Fionie, Laland, Langeland, Falster, Mone, Samsoë, Arroë, Bornholm & Amak, sans compter plusieurs autres de moin­dre consequence.

L'Ile de Fionie est la premiere aprés Zeeland, soit que l'on considere la grandeur on la bonté de son terroir. [Page 30] Il y a abondance de grains, & de por­ceaus, beaucoup des lacs & des bois. La capitale est Odensée, bien située qui a été autrefois une Ville floris­sante, mais à present elle est dechue de sa beauté. Cet Ile ne produit rien que les marchants puissent transpor­ter, excepté quelque peu des chevaux; les habitans consument ordinairement leurs denrées. C'est un des principaux Gouvernemens: le Gouverneur à pre­sent est Mr. Winterselt.

Laland est une petite Ile, mais fer­tile produisant toute sorte de grains en abondance & particulierement du froment dont elle fournit la Ville de Copenhague & tous les Païs du Dane­marc où il est rare. Les Hollandois y achetent toutes les années, & trans­portent de là une grande quantité de grains. C'est a [...]ssi un gouvernement ayant sous sa jurisdiction plusieurs au­tres petite Iles. Le Gouverneur est Mr. Geugh qui autrefois a eu des Em­plois publics & qui a residé long-tems en Angleterre.

Falster, Langeland & Mone sou [...] des Iles fertiles; des deux premieres on transporte toutes les années des grains. Arroë & Alsen abondens en anis, dont ils assaisonent leurs [Page 31] viandes & qu'ils melent avec leur pain. Bornholm, Samsoë avec les autres Iles nourrissent du betail & fournissent des grains pour l'usage des habitans. Mais Amack merite prin­cipalement qu'on en parle. Cette petite Ile est joignant Copenhague de laquelle elle est separée par un petit bras de mer que l'on passe sur un pont levis, elle surpasse en fertilité tous les païs du Danemarc. Cette Ile fut donnée, il y a déja plusieurs années, à des families de Northolland qui s'é­tablirent là pour faire du beurre & de fromage pour la Cour; lears descen­dans retienent encore l'habit, le lan­gage & les coûtumes de leurs Prede­cesseurs avec leur propreté & leur in­dustrie; ils ne veulent pas s'allier avec les Danois, mais ils se marient avec ceux de leur nation. Autrefois on leur a voit accordé de grands privile­ges, dont quelques uns subsistent au­jourd'hui, & les autres leur ont été ôtés; & il est à craindre que peu à peu ils ne soient traités comme les autres sujets. Cette Ile d'Amack par l'in­dustrie de ce peuple laborieux est com­me le jardin potager de Copenhague; tous les jours de marché elle fournit en abondance toute sorte de racines [Page 32] & d'herbes, sans compter le beurre, & le laict, elle a aussi une grande quantité de grains & de foin; tout ce que cette Ille produit est meilleur que ce qu'on trouve par tout ailleurs dans le Royaume.

Le Jutland, qui est une partie de la Chersonese Cimbrique est le païs du Danemarc le plus étendu & peut étre les deux tiers de tout le Royaume. Il est divisé en quatre principaux Gouver­nements. Les Gouverneurs sont à present le Comte de Frize, le grand Marechal Speckhan, Monsieur Ed­mund Schiel qui est Envoyé extraor­dinaire du Roy de Danemarc proche Sa Ma [...]esté, &c.

C'est un païs fertile, abondant prin­cipalement en betail. Il manque des ports de mer du côté de l'Occean, ce­la n'empeche pas que les Hollandois ne tirent toutes les années une grande quantité de vaches & de beaufs maigres, qu'ils transportent dans le riche pais de Hollande, où dans peu ils devienent extraordinairement gras; par ce Com­merce ils font un grand gain. Les chevaux & les porceauxy sont excel­lents & en grand nombre. Il donne des grains suffissamment pour l'entre­tien des habitans. Le terroir est tres [Page 33] fertile le long des côtes; le dedans est plein de bruyeres, des lacs & de bois. Eu un mot c'est le plus beau pais, dont le Roy de Danemarc soit maître, & il ya apparence que ce sera celuy qui dechai­ra le dernier par ce qu'il est le plus éloi­gné de Copenhague procul à Iove, procul à Fulmine. Ceci, devant étre observé que dans les Monarchies bor­nées & limitées il est avantageux pour les sujets d'étre proche de la Ville Ca­pitale puis qu'il n'y a que les Provinces éloignées qui sont moins riches & plus sujetes à étre foulées; mais dans les Ro­yaumes où le pouvoir est absolu il arrive tout le contraire.

CHAPITRE. V. Des autres Païs appartenants au Roy de Danemarc.

LE Duché de Sleswick generale­ment parlant est un tres bon païs; sa belle situation, qui est entre l'Oc­cean, & la mer Baltique, le rend tres considerable pour le commerce, quoique les danrées propres à étre transportées n'y soient pas en grande [Page 34] quantité. Il foutnit à ses voisins quel­que peu de grains, de betail, des che­vaux, du bois pour le feu outre ce que les habitans en gardent pour eux. Il est partagé entre le Roy & le Duc de Hol­stein. La principale ville, qui a don­né son nom à ce Duché, appartient au Duc de Holstein qui fait sa residence tout proche dans son palais de Got­torp; c'est une des plus belles situa­tions qu'on puisse voir dans le Nord de l'Europe. Il est situé dans une Ile, environné d'un grand & beau lac que la Riviere Sley fait, dont les bords sont entourés de beaux bois; Peau en est tres claire, elle est pleine de poissons; elle porte des batiments de petit port qui vont & vienent de la mer Baltique où elle se [...]ette. Les jardins sont grands, coupés avec beaucoup de frais, & d'art sur le penchant d'une colline de l'autre côté du Lac, & on y void des fontaines, des eaux, des parterres & des allées aussi bien ordonnées que la pluspart des plus fameux jardins de l'I­talie. Tout contre ces jardins il y a un grand & magnifique parc ou plûtôt une forest pleine de Daims, de San­gliers & de toute sorte de gibier, per­cée par des belles allées.

Ce lieu souffr [...]t beaucoup durant les [Page 35] malheurs de son maître; on ne laissa pas seulement tomber en ruine la plus part de ces beaux endroits, mais enco­re on les gata & abatit de dessein formé; & comme d'autres disent par ordre: Depuis le retablissement du Duc on les a reparé & remis dans leur premier état. Entre tant de choses de prix il n'y a rien de plus beau à voir que la Bibliotheque, qui est un amas tres cu­rieux de Livres que plusieurs Ducs on fait depuis long-temps. Je l'ay veüe, l'année 1692 avec toutes les raretés de ce lieu, dans un bon état. Le Holstein est partagé entre plusieurs Branches de cette Famille, dont tous les descen­dans s'appellent Ducs de Holstein; & selon la coûtume Allemande, le ca­det aussi bien que l'ainé prend le titre de Prince: il n'y a seulement que les Chefs & ceux qui sont parvenus à l'age viril qui soient distingués par le nom des places où ils font leur residen­ce, qu'ils joignent à leur titre comme le Duc de Holstein Ploen, de Holstein Gunderburg, de Holstein Norburg &c. Les cadets de chaqu'une de ces Bran­ches se contentent de porter le titre de Prince jusques à ce quils possedent des terres dont le nom alors est joint à leur titre. Mais le Roy de Dane­marc, [Page 36] marc, qui est aussi Duc de Holstein & le Duc de Holstein Gottorp en pos­sedent la plus grande partie & l'un & l'autre le tienent comme fief de l'Em­pire.

Icy, aussi bien qu'à Sleswick la juris­diction, & les droits de ces deux Princes sont fort entre-melés; telle­ment que le peuple connoit à peine de qui il est sujet depuis qu'il prête sou­vent serment de fidelité à l'un & à l'au­are & qu'il leur paye de impots. Dans quelques villes & b [...]illiages tant le Roy que le Due choisissent les Magistrats annüels & en partagent les revenus; dans d'autres ils les font tour à tour: Si bien que dans la moindre querelle qui arrivé entre ces deux Princes, le pauvre peuple est divisé d'une maniere étrange, & se trouve dans une tres mi­serable condition: car leur inclination les porte à prendre les interests du Prince, qui étant le plus foible, trou­ve son avantage à les biens traiter; mais leur crainte fait qu'ils paroissent embrasser ceux du Roy comme le plus fort quoique plus absolu.

Ce Païs est fort fertile & agreable; tres bien situé pour le commerce, étant entre deux mers, ayant l'avan­tage du voisinage de l'Elbe & de la [Page 37] Ville de Hambourg, qui étant libre & des plus riches épand une grande por­tion de ses richesses sur les terroirs de ces Princes qui la touchent. La pros­perité de ce péuple, & la fertilité de ce Païs qui est éloigné de la Ville Capita­le d'une journée ou de plus, fait assés connoître qu'elle vient de ce qu'il est éloigné de l'endroit d'où part ce pou­voir arbitraire. Les habitans du Hol­stein disent que leur Païs ressemble à l'Angleterre dans la varieté des colli­nes, des prairies, des bois, des rivie­res & des champs; comme aussi ils se vantent que nous tirons deux nôtre origine & que les peuples de cet en­droit appellé Anglois s'habituerent dans nôtre Ile, & qu'ils Iuy donnerent le nom d'Angleterre. Quand les Danois voyagent ils se disent du Holstein, pensant qu'il leur est plus honorable d'être nés dans l'Empire qu'ailleurs.

Les Provinces de Stormarie & Dit­marshie sont proche de la Riviere d'El­be, la plus grand part du Païs est bas & riche, le terroir estant gras & en plusieurs endroits ressamblant à la Hol­lande tant dans sa fertilité que dans la maniere de cultiver la terre. Ces Païs ont cet avantage d'avoir dans leur voi­sinage Hambourg & la Riviere avec [Page 38] l'Ocean; quoique souvente-fois il se troave un voisin dangereüx, & qu'il inonde la plus grand part du Païs, nonobstant les cha [...]ssées, & les digues qu'on a élevé pour l'arreter.

On doit observer comme un grand defaut que le Roy de Danemarc n'a pas dans tous ses Etats une Riviere qui puisse porter de Vaisseaux d'un pott considerable, ear je ne compre pas la Riviere Eyder, à mo [...]ns que vous ne comptiés l'Elbe que l'on doit plûtôt mettre au nombre de celles qui sont sur les frontieres, que de croire que ce soit une chose qui lui appartiene; toutefois il a taché, & tache encore d'y établir une Doüane à Glaestad, esperant que prenant ses avantages sur les necessitez de l'Empire durant cette guerre où l'on fait des grands frais, il pourra l'engager à cette doüane contre toutes considerations: mais les Princes voifins, les Anglois & les Hol­landois, & encore moins Hambourg consentiront-ils à cette innovation si prejudiciable à leurs interests & à leur negoce.

Oldenbourg pour la plus grand part est un Païs plat & marecageux; beau­coup exposé aux inondations de l'O­cean; les chaussées qui devroient le [Page 39] contenir dans ses bornes, n'étant pas bien entretenües. Il abonde en be­tail, & a une bonne race de chevaux, qu'on recherche beaucoup pour les car­rosses à cause de leur poil qui est Isa­belle. Ils ont generalement l'oeil mau­vais & la corne tendre, ils ne peuvent supporter un travail long & penible. La Ville d'Oldenburg est passable, & son Chateau est hors d'etat de pouvoir étre reparé. A la mort du Prince An­toine qui a été le dernier, cette Comté a été annexée à la Couronne de Dane­marc. Delmenshorst est un Païs plus élevé & plein de bois; l'un & l'autre se touchent, & on les traite plus douce­ment à cause de leur eloignement d'avec les autres Païs. On ne sauroi [...]dire que peu de chose de la Norvegue, elle est di­visée en deux grandes Provinces septen­trionale, & meredionale; dont un petit Païs appellé Yempterland appartenant autrefois au Roy de Danemarc est maintenant entre les mains de la Sue­de. Son Excellence Goldenlew (qui est le titre ordinaire que les Danois lui donnent) en est Viceroy.

Il est sous divisé en quatre princi­paux gouvernemens, sçavoir de Dronthem, de Bergen, de Christia­nia & de Larwick. Les Gouverneurs [Page 40] sont le jeune Guldenlew fils naturel du Roy & Monsieur Stocfleet dernier Envoyé extraordinaire du Roy de Da­nemarc proche celuy de Suede &c. C'est un Païs trés stirile ne donnant ni assés de grains ni assés de betail pour l'entretien des habitants, quoi qu'ils soient en petit nombre, par ra­port à l'ete n due du Pais. Il ya des mines d'argent; mais c'est une question de sçavoir si l'on y trouveroit son compte a y faire travailler. Ce qu'elle produit propre à étre transporté, sont des bois de charpente de toute sorte, principalement de sapin, des Mor­ruës, des Mats de Navires & du fer, de tout cela il y en a une quantité que toutes les années les Anglois & les Hollandois achetent en argent comptant.

La Norwegue surpasse les autres Païs du Danemarc en ce qu'il donne des denrées pour étre transportées, ce qu'aucun des autres ne fait en quantité. Les habitans sont hardis, laborieux & sinceres; ils sont esti­més par les autres, & s'estiment plus que les Danois, qu'ils appellent par reproche Jutes. L'Island & Feroë sont des mechantes Iles dans l'Oc­cean septentrionnal. Les grains ne [Page 41] croissent pas, ni dans l'une ni dans l'autre, mais elles ont beaucoup de be­tail. Il n'est pas permis aux habitans de trafiquer qu'avec les Danois; ils sont grands joüeurs des échets. C'est une chose digne de la recherche des curieux, de connoitre comment un jeu qui demande tant d'application, & qui est si difficile a pù aller si loin dans le Nord & y devenir si commun.

Les Contoirs que le Roy de Da­nemarc a aux Indes Orientales & Occidentales, & dans la Guinée sont estimés de fort petite conside­ration. Cependant j'ai vû plusieurs Vaisseaux venant des Indes Orienta­le richement chargés, & depuis peu l'on a établi une compagnie des In­des Orientales, dont la plûpart des membres sont de gens de qualite. Mais dans son tems ce sera une re­cherche digne de ces Royaumes & de ces Etats, dont l'interest est, de conserver dans l'esprit des Indiens & des Persaus une bonne opinion du commerce des Européens, si la charge de ces Vaisseaux dont je viens de par­ler est le produit legitime di negoce, ou s'il a été acquis par d'autres voyes.

Ce que j'ai dit touchant la situa­tion, l'étendüe & la nature des Païs, [Page 42] domaines apartenant au Roy de Da­nemarc est plus que suffisant; ce qui revient en general á ceci est qu'ils sont fort étendus, separés, entremelez avec d'autres, ne produisant qu'une me­diocre quantité des choses necessaires pour les habitans & fort peu pour les marchands, & qu'il n'y a aucune manufacture si l'on en excepte quel­ques martinets où l'on travaille le fer. On connoitra si ces defauts dans un Païs bien situé & passablement fertile vienent ou de la nature ou par ac­cident quand j'aurai traité de la forme du gouvernement, du naturel, des coùtumes & des manieres des gens du Païs, mais parce que les dernieres dependent en quelque maniere du pre­mier, je commencerai par la.

CHAPITRE VI. De la forme du Gouvernement.

L'Ancienne forme du Gouvernement étoit le même que celle que le Goths & les Vandales établirent dans une bonne partie de l'Europe où ils porterent leurs conquêtes, & que l'ou a retenu en Angleterre jusques à pre­sent. [Page 43] On dit des Romains qu'ils re­compenserent assez le peuples qu'ils soûmirent, de la perte de leur liberté, en ce qu'ils les tiroient d'une vie bar­bare pour les amener à une vie plus tranquille & plus douce, & qu'ils intro­duisoient parmi eux les arts, l'erudi­tion le commerce & la politesse; Je ne scay si certe maniere de raisonner n'est pas plûtôt fondée sur un brillant apparent que sur la verité; mais on peut dire avec plus de raison que toute l'Eu­rope est beaucoup redevable à ces peu­ples d'avoir introduit ou retabli la maniere de Gouvernement la plus ex­cellente qu'ils y ait dans le monde. C'est aux anciens habitans de ces Païs & des autres Provinces voisines que nous devons l'origine de Parlements qui étoient ancienement fi communs mais que l'on a perdu dans ces derniers temps excepté en Pologne, dans la gran­de Bretagne & en Irlande.

Le Danemarc aussi a été iusques en l'année 32 gouverné par un Roy choi­si par le peuple, même dans leur éle­ction les Païlaus avoient leur voix; ce que le Roy Waldemar III. confes­se dans cette belle response qu'il fit au Nonce du Pape qui pretendoit avoir sur luy une grande authorité Naturam [Page 44] habemus à Deo, Regnum à subditis, Divitias à parentibus, Religionem à Re­mana Ecclesia, quam si nobis invides re­nuntiamus per presentes. Dans cette veüc les Etats étant assemblés ils de­voient choisir pour leur Prince celuy qui leur paroissoir étre de bonne mine, vaillant, juste, humain, affable, de­fenseur des Loix, Protecteur du peuple, prudent & orné toutes les vertus pro­pres au Gouvernement; nean moins ils avoient égard à la famille du dernier Roy; car si dans la famille on en trou­voit un qui eut ces qualités ou qu'on creut qu'il les avoit, ils pensoient que c'estoit de leur reconnoissence de le preferer à tout autre pour l'élever à cette haute dignité; & ils le faisoient d'aurant pius volontiers, quand ils pou­voient chosir l'ainè plûtôt qu'un de­cadets, tant á cause de sa naissance, quand les qualités étoient égales, qu à cause que sa condition pouvoit le met­tre hors des atteintes de la tentation, & de la convoitise, & qu'elle le rendoit fort capable d'en supporter le poids. Mais si aprés ce choix ils trouvoient qu'ils s'étoient trompés & qu'ils avoient élevé à cettedignité un cruel, un vitieux, un Tyran, un convoiteux ou un prodi­gue, souventefois ils le deposoient, quel­quefois [Page 45] ils le bannissoient, & la plus part du temps ils le faisoient mourir; & cela se faisoit en le faisant repondre de­vant une assemblée qui répresentoit le peuple; ou s'il étoit devenu trop puis­sant par des pratiques illicites comme en formant des partis, en levant des foldats, & en faisant des alliances pour se soutenir lois qu'il voudroit ôtet au peuple ses droits, & que l'on ne deut pas par ces raisons contester avec lui selon les Lois, ils les tuoient sans autre ceremonie, comme étant la voye la plus sûre & ils mettoient en sa place un meilleur Prince; Souvente­fois c'étoit son plus proche parent, quelquefois celui qui avoit entrepris ou de le chasser ou de le tuer; d'autrefois un particulier dont la reputation étoit tres bonne, & qui peut être ne pensoit à rien moins qu'à une telle éleva­tion.

C'étoit une des Lois fondamentales de convoquer souvent des Parlements; où l'on traitoit de tout ce qui regar­doit le Gouvernement, où l'on faisoit des bonnes Lois, où l'on examinoit tout ce qui regardoit la paix & la guer­te, les alliances, le maniement des grands emplois, les contracts de maria­ges de la famille Royalle &c.

[Page 46]L'imposition des Taxes ou la [...] ­mande d'un don gratuit étoient p [...] rement des choses accidentelles; [...] ne payoit aucun impôt ni on ne [...] voit aucun argent sur le peuple à mo [...] que ce ne fut pour soutenir une gue [...] necessaire avec le consentement & l' [...] vis de la nation, ou pour augmen [...] la dot d'une Princesse; en ce te [...] la les revenus du Roy consistoi [...] seulement dans les ventes de ses te res & de ses Domaines, dans ses hara [...] dans ses forets, cans ses fermes &c Les droits sur les marchandises [...] tant qu'un impôt érabli dans ce te [...] & dans ces quartiers; tellement qu [...] vivoit de ses revenus comme un [...] nos gentilshommes d'aujourd hai, [...] il ne mang [...]oit point la sueur de [...] pauvres sujets.

Son occupation étóit de faire ren [...] la justice selon les lois; même souvente la faire lui même; de veiller pour le bi [...] de son peuple, de commander lui mém en tems de guerresesarmées, d'avanc [...] la Religion, les arts & le sçavoir c'étoit aussi autant de son interest qu [...] de son devoir d'étre de bonne intelligence avec la noblesse, & de prend [...] soin que le peuple vescut dans l'abon­dance & dans la prosperité.

[Page 47]Voilà quelle étoit l'ancienne forme de Gouvernement qu'il y avoit dans ce Royaume qui continua avec fort peu de changement (excepté que le pouvoir de la noblesse s'étoit un peu accrû) jusques en l'année 32 quand tout d'un coup la face des affaires changea; si bien que depuis les Rois ont été & sont encore absolus, n'étant rien resté de l'ancienne liberté au peuple, toutes les assemblées & les Parlements ayant été entierement abolis, même le nom de liberté ayant été entierement oublié comme si jamais on n'en avoit ouï par­ler, étant à present le premier & le principal article dans les Loix du Da­nemarc que le Roy a le privilege d'ex­pliquer la loi, même de l'alterer & de la changer, s'ille troave bon.

Il est aisé à chacun de vior les con­sequences de cette Loi, qui sont les impots frequens & ordinairement ex­cessifs, même en tems de paix, ne considerant pas s'il en est besoin; si bien quele Royaume en plusieurs en­droits est decheu de trois quarts, & c'est encore pire proche de la Capita­le que dans les Provinces éloignées. La pauvreté dans la noblesse qui cause necessa [...]rement une grande misere aux Païsans, la partialité dans la distribu­tion [Page 48] de la justice quand cela regarde les favoris, & plusieurs autres maux, dont je parlerai ci-aprés sont les effets ordinaires d'un gouvernement absolu & arbitraire tant ici que dans les au­tres Païs, où il prevaut.

Et parce qu'il est étrange de voir qu'un peuple libre & riche (car au­tresois il étoit tel) qu'il aye, di-je, pú étre porté à se departir entiere­ment de sa liberté, j'ai crû que ce seroit fort à propos de vous dire de quelle maniere ce changement & cette revolution se sont fait; ce que je sçai non seulement pour l'avoir vû, mais encore pour l'avoir ouï dire à ceux qui y ont le plus contribué.

CHAPITRE VII Comment le Royaume de Danemarc est devenu hereditaire & absolu.

A Prés que la Paix fut concluë en­tre les deux Couronnes du Nord, l'année 1660, le Danemarc donna ses soins & beaucoup de tems à re­medier à quelques desordres, dont la guerre avoit été l'occasion. Ce Royaume avoit été trop violemment [Page 49] ébranlé par cette tempête pour que l'agitation en eut entierement cesse; l'armée ne fut pas d'abord licentiée, à cause du manque d'argent pour payer les arerages; ce qui rendit les Soldats si insolens qu'ils maltraitoient les Bour­geois & les Païsans qui étoient déja ruinés par les miseres de la guerre Les Nobles quoique Seigneurs & maïtres éroient meconteus & le Clergé n'étoit pas dans l'état qu'il soûhairoit.

Pour remedier à tous ces abus & pour remertre les affaires en bon ordre, le Roy crût qu'il falloit chercher de l'argent pour payer l'armée & la licen­tier; dans cette veüe il ordonna une assemblée des trois Etats sçavoir de la noblesse, du clerge, & du peuple à Copenhague; elle se tint environ le commencement d'Octobre. Apres quelques jours de session (durant les quels la Noblesse suivant la pratique ordinaire examinoit comment [...]on pourroit lever les sommes sur le peu­ple sans la moindre intention d'en payer quelque chose) il survint plusieurs dis­putes & il y eut quelques paroles aigres entre eux & les Communes. D'un côté la Noblesse vouloit maintenir ses anciens Privileges de ne payer rien par voye de taxe, mais seulement par une [Page 50] contribution volontaire; & elle se montra trop ferme dans un temps que le Païs étoit épuisé, & que les riches­ses étoient entre leurs mains; cela leur parut encore une occasion fa­vorable, non seulement pour se venger mais encore pour augmenter leurs Privileges au prejudice du clergé & du peuple, en mettant sur eux à leur plaisir des impôts qu'ils ne voudroient pas toucher du bout de leurs doigts. D'un autre côté le Clergé pour avoir Soutenu les interests de son Païs & les Bourgois pour avoir defendu vigoureusement leur ville, crurent qu'ils ponvoient pretendre justement à des nouveaux bien-faits & étre considerés au moins comme bons sujets d'un Etat qu'eux mêmes avoient defendu si vaillemment. Ils les faisoient souvenir des grandes promesses qu'on leur avoit faites, quand ils devoient executer des entrep [...]ses dangereuses, & avec quel succés ils les avoient achevées; qu'ils avoient sauvé par là d'un joug étranger non seule­ment la Ville de Copenhague, mais en­core tout le Royaume, toute la f [...]mil­le Royalle, même ces Nobles qui à pre­sent les maltraitoient; pour cet effet ils croioient fort raisonable que l'ar­gent fut levé fur tout le monde, & que [Page 51] la noblesse qui tenoit tuotes les terres payat au moins sa portion, puis qu'el­le avoit le moins souffert dans ce mal­heur public, aussi bien que moins fait pour en empêcher le progrés.

Cette maniere de raisonner depleue fort aux Nobles & produisit plus d'em­portement & plus de reponses cho­quantes de part & d'autre. Ensin un des principaux Senateurs appellé Otto Crage se leva, & dit tout en colere au President de la ville, que le peuple ne connoissoit pas les Privileges de la No­blesse, qui de tout temps à été exempte des Taxes & qu'il ne connoissoit pas sa propre condition qui étoit d'être escla­ve; tellement que le meilleur moyen étoit de demeurer dans ses propres bornes & de consentir à ce quise pra­tiquoit anciennement, ce qu'ils étoient resolus de maintenir. Ce mot Esclave mit en confusion tous les Bourgeois & tout le Clerge & remplit la salle d'un grand bruit; c [...]oue Nanson president de la vil'e & orateur des Communes apercevant & [...]ro [...]vaune occasion propre à exec [...]ter un dessein que luy & l'Evêque avoiont concerté (quoique foiblement) se leva en colere de son siege, & dit en jurant que le peuple n'étoit pas Esclave & qu'il ne vou­voudroit [Page 52] pas à l'avenir étre appellé ainsi par les Nobles à qui ils en donne­roient bein tôt des preuves à leur de­pens; & sur cela rompaut l'Assem­blée en desordre & sortant de la salle, il fut suivi par tout le Clergé & les Bour­gois; les Nobles étants restés seuls, pour consulter entre eux à loisir se separe­rent quelques temps aprés pour s'as­sembler dans une maison particuliere proche la Cour. En même temps le peuple étant irrité au dernier point, & resolu d'executer ses menaces mar­cha deux à deux un Ecclesiastique, & un du peuple, depuis la grande salle jusques à celle des brasseurs qui étoit l'endroit le plus propre qu'ils pussent [...]rouver pour s'assembler separement des Nobles, l'Evéque de Copenhague & le President de la ville étant à leur [...]ete. Ils crurent qu'il étoit necessaire de chercher promptament les meil­leurs moyens d'arretel l'orgueil insu­portable de la Noblesse & d'ameliorer leur propre condition: [...]pres plusieurs debats, ils conclurent du'ils devoient aller voir le Roy, & [...]uy off [...]ir leurs suffrages & leur aide pour le rendre ab­solu, comme aussi pour faire que la Cou­ronne fut heriditaire dans sa famille, laquelle jusques là avoit été élective. [Page 53] Qu'ils se promettoient que le Roy leur auroit une si grande obligation pour ce service, qu'il leur accorderoit & con­firmeroit tels Privileges qui les me­troient an dessus d'esclaves. Quils sça­voient qu'il avoient été jusques icy ex­tremement bridés par la Noblesse; & qu'a [...] present [...] ils connoissoient leur propre force, (depuis qu'ils avoient les armes à la main & les soldats pour eux) pour executerce qu'ils voudroient entreprendre; qu'au pis aller, ils pren­droient un maître à la place de plu­sieurs & qu'ils supporteroient mieux le travail que leur impos [...]ro [...]t [...] Roy que celui deses inferie [...]r [...]; [...] que si leur condition n'étoit pas mei [...]e, au moins ce leur seroit une [...]o [...]fo [...]a d'avoir plusieurs compagnons; outre la satisfaction de se vanger de ceux qui jusques icy ne les ont pas s [...] ­lement maltraités, mais encore tout nouvellement insultes. Qu'ils con­noissoient le Roy & qu'ils l'out vu supporter avec une patience & une constance tout-a-fait admirable tous ses malheurs; qu'ils étoient persuadés que c'étoit un Prince vaillant, qui a sou­vent exposé sa personne pour le public, & que pour cet effet ils jugeoient qu'ils ne pouroient jamais assés faire pour [Page 54] lui temoigner leur reconnoissance qui est la seule chose que le peupie puisse faire lors qu'il a recû quelque faveur de son Prince.

A peine cela fut-il proposé qu'il fut accepté, il n'y eut que le temps qui n'e­toit pas propre, car il étoit presque nuit, qui fit quel'on en difera l'execu­tion, mais l'ont prit toutes les mesures pour le lendemain. Le Clerge fut ce­lui qui fit plus d'intrigues dans ce changement de Gouvernement; car ayant été tenu fort bas par la Noblesse il vouloit n'avoir point d'autre superieur que le Roy, dont il s'engageoit de maintenir le pouvoir par celui qu'il avoit sur la conscience de peuple, & at­tendoit avec raison que le Roy lui ac­corderoit une pareille faveur avec un plus ample pouvoir, que celui qu'ils avoit, puis qu'il leur étoit beaucoup obligé du sien propre; & qu'a l'avenir leurs services seroient reciproques, puis­que l'un avoit en son pouvoir la force & l'autre le lien de la Religion. Ce Contract à subsisté jusques à present à l'avantage de l'un & de l'autre par­ti.

Pendant tout ce temps là la Cour n'i­gnoroit pas tout ce qui se passoit; elle ne manquoit pas d'espions pour donner [Page 55] connoissance du mecontentement du peuple. Hannibal Seestede, homme rusé s'il y en eut un étoit le premier Ministre; & l'Eveque Swan avec Nanson Orateur des Communes étoient ses crearures: ils avoient autrefois formé en secret le dessein qui étoit sur le point d'éclater, quoy qu'ils n'eus­sent pas esperé de se promettre un si grand succés. Toute la nuit se passa en brigues & en mesages; on devoit entretenir la colere du peuple dans le même état; on devoit encore faire que la resolution que l'on avoit prise la nuit precedente ne se relentit point & que l'on continuat jusques au lende­main dans la méme resolution. La Reine qui étoit une femme d'intrigue & de grand courage, y travailla beau­coup en toute maniere, quand le Roy put étre difficilement porté à y consen­tir, soit que ce fut à cause de l'incerti­tude de l'evenement, ou bien par un sentiment d'horreur, de poursuivre un pouvoir absolu sur un peuple libre. Et quand il declara qu'à laverité il con­sentiroit que la souveraineté fut conser­vée dans sa famille pourvû que ce fur par un consentement general; mais que ce n'étoit pas son desir de devenir absolu; & que ce n'étoit pas même [Page 56] le bien du Royaume; qu'il étoit as­suré qu'il ne feroit pas un mauvais usage d'un pouvoir qui n'est point li­mité; mais que personne ne savoit pas quels Successeurs il auroit; qu'ain­si il étoit également dangereux pour eux de donner, que pour luy de re­cevoir une authorité dont on pour­roit abuser un jour à l'entiere ruine de la nation.

Mais la Reine qui étoit plus am­bitieuse, qui souhaitoit qu'il demeu­ra en repos, & qui vouloit travailler pour lui, rejetta ces reflexions soit qu'elles fussent vrayes ou apparentes, soit que la pieté ou la foiblesse du Roy les fit naitre, en luy disant que le dessein étoit bien pris & qu'il avoit eu un esfet assés heureux; qu'il ne falloit pas arreter sa bonne for­tune ni celle de sa famille; enfin el­le gagna tant sur luy qu'il parut con­sentir avec crainte, à ce que l'on de­siroit le plus, ayant cependant laissé par cette repugnance apparente un moyen de se reconcilier avec le peu­ple en cas que l'affaire ne reussit pas.

Pendant tout ce temps là les No­bles soit qu'ils eussent peu ou point du tout connoissance du dessein du peuple, qu'ils avoient coutume de­puis [Page 57] long-temps mepriser & de ty­ranniser, & qui ne croyoient pas qu'au­cun mal leur peut venir de là, ne faisoient aucun cas de leur menaces ni de leur personnes, & ils s'ima­ginoient qu'ils s'en repentiroient le lendemain & qu'ils viendroient à un accomodement en consentant à tout ce que l'on leur demanderoit; mais le dessein étoit plus secret qu'ils ne supposoient; car non seulement le premier Ministre, mais encore quel­ques membres de leur corps qui avoient de l'emploi à la Cour, y étoient en­gagés. Le manque de precaution & de courage dans l'occasion, attira tout à coup sur eux ce malheur, tel­lement qu'excepté deux ou trois qui prirent plus de soupcon qu'à l'ordi­naire & qui previrent ce qui pouvoit arriver, & qui aussi cette nuit même sortirent hors de la ville, tous les au­tres furent sans aucune crainte de dan­ger jusques au moment que le mal étoit sans remede.

Schack Gouverneur de la ville fut gagné par la Cour, afin qu'il favorita ce dessein, ce qu'il effectua mais non pas avec tant de bassesse que les au­tres; car quand le Roy à la premiere nouvelle de la resolution du peuple, [Page 58] promit ouvertement qu'il les declare­roit tous libres pour reconnoissance d'abord que la chose seroit en son pou­voir & que le peuple vouloit se repo­ser sur sa bonté & sur l'accomplisse­ment de sa promesse y étant porté par le Clergé qui disoit que ce se­roit une chose tout-a-fait mal-honete d'exiger d'un Roy autre seureté que sa parole, toutefois Schack pressa beau­coup le peuple pour qu'il insista à de­mander cette promesse signée de la main du Roy & à s'assurer de la recompense pour un present si considerable que ce­lui qu'ils alloient faire, puis qu'ils a­voient une si belle occasion entre leurs mains. Mais toutes ces raisons furent inutiles; ils étoient en humeur de donner, & resolus de le faire genereuse­ment, se reposant sur le Roy pour ac­complir sa promesse; de quoy du de­puis, quoique trop tard, ils se sont souvent repentis.

Le lendemain au matin les Nobles s'assemblerent dans la chambre du Par­lement, & les deux autres corps à la salle des Brasseurs; la resolution des Communes ne peut pas étre si bien te­nüe secrete que quelque vent n'en vint en même temps aux oreilles des Nobles; mais à peïne eurent-ils le loi­sir [Page 59] de considerer ce que l'on devoit fai­re dans cette occasion, qu'on leur vint dire que les Communes venoient vers eux; car l'Evêque & le President firent si bien leur parti & les presserent d'exe­cuter ce qui avoit été resolu le jour d'auparavant, qu'on jugea qu'on perdoit le temps qu'on n'employoit pas pour l'execution; & qu'on tombat d'accord d'aller au Parlement & de communi­que aux Seigneurs leur dessein, de de­mander leur consentement pour une chose si necessaire au bien du Royau­me. Ils marcherent deux à deux par les rües avec gravité & dans un grand silence, pendant que le menu peuple par des cris redoublés applaudisoit ce qu'ils alloient faire; & dans cet état ils arri­verent à la maison où la Noblesse é­toit assemblée qui eut à peine assés de temps pour les recevoir.

Le President Nanson sit une courte harangue mettant en avant qu'ils a­voient consideré l'état de la Nation & qu'ils avoient trouvé que le seul reme­de aux maux qui la travailloient, étoit de rendre la Couronne hereditaire & de donner au Roy plus de pouvoir qu'il n'avoit eu auparavant, que c'é­toit la resolution que les Communes & le Clergé avoient pris; que s'ils y [Page 60] vouloient donner leur consentement ils étoient prets de les accompagner jusques auprés du Roi pour luy don­ner un pouvoir & une authorité ab­solüe; que s'ils ne vouloient pas y con­sentir ils y iroient eux mêmes & qu'on le fairoit sans eux; qu'il étoit neces­saire de leur donner sur cela une re­sponse prompte, par ce qu'ils avoient de ja fait avertir le Roy qu'ils y alloient, & que sa Majesté les attendoit dans la salle, c'est pourquoi ils desiroient d'é­tre informes en peu de mots de ce qu'ils étoient resolus de faire.

Une proposition si impreveüe & la maniere de la communiquer surprit ge­neralement les Seigneurs; il falloit voit ceux qui peu des jours auparavant s'e­stoient montrés si fiers, devenir en un moment complaisants, & decouvrir leur crainte par leurs paroles & par leurs contenances comme ils avoient fait autrefois leur arrogance. Ils ne virent pas le mal que lors qu'il étoit inevitable; on ne leur donnoit pas le loisir de consulter; c'étoit une chose dangereuse de refuser leur con­sentement ou de le diferer. C'étoit un chagrin insuportable de renoncer au pouvoir qui les charmoit tant & de mettre sur leur col un joug si pesant: [Page 61] mais ils voioient qu'ils ne seroient pas long-temps maitres. Les Communes étoient armées, l'armée & le Clergé étoient contre eux; & ils counurent trop tard que ce qu'ils avoient consi­deré seulement, que comme l'effort d'un multitude inconstante & écervel­lée, étoit conduït par des têtes plus sages & soutenu par des recompenses de la Cour, possible même par quel­ques uns de leur corps; ils se soupço­noient les uns les autres personne ne sçavoit si son voisin n'estoit pas dans la conspiration contre la liberté publique. Il est aisé de s'imaginer de quelles pensées chagrines ils furent tout à coup travaillés ils ne s'atten­doient pas à un coup si terrible: maïs il falloit donner promptement une response. Celui qui pensoit à la faire n'osoit pas; car ils étoient assemblés dans une Ville fortifiée, éloignés de leur Païs (où ils avoient gouverné com­me des petits Princes) & en la puis­sance de ceux qui pouvoient & qui voudroient asseurement se vanger s'ils paroissoient des-obeissans. Le meilleur expedient étoit de paroitre consentir à ce qu'ils ne pouvoientarre­ter. Ils respondirent qu'ils approu­voient la proposition que les Commu­nes [Page 62] leur avoit fait, mais que la manie­re demandoit des formalités requises; que dans une affaire de si grande im­portance il falloit auparavant deliberer; qu'ils ne pourroient que prendre en mauvaise part, si les Communes arre­toient une resolution de si grande con­sequence sans le moindre avis de la Noblesse, qui étoit le premier état du Royaume; qu'ils aspiroient aussi à cette honneur de donner au Roy & à sa po­sterité un present si important, mais qu'ils souhaitoient qu'on proceda dans cet affaire avec la solemnité & la gra­vité qu'il demendoit; qu'il n'étoit pas raisonable qu'une chose de si grand poid deut avoir la moindre apparance d'un rumulte, ni qu'il parut quelle avoit été faite plûrôt par force que par un choix libre. La conclusion de tout cela fut qu'ils esperoient que les Communes en difereroient pour qu'elque temps l'exe­cution, & qu'en même temps ils con­sulteroient avec eux, jusques à ce que l'affaire eut été faite par ordre & d'un consentement unanime comme aussi à leur avantage reciproque.

Le President le refusa avec emporte­ment & repondit que c'étoient des de­faites pour gagner temps, que les Sei­gneurs pouvoient étre dans un état à [Page 63] rendre inutiles les intentions des Com­munes; que l'affaire étoit déja arretée, que la resolution en étoit prise; qu'ils n'étoient pas venus pour examiner, mais pour mettre en execution; qu'ils é­toient prets si les Nobles vouloient se joindre à éux; que s'ils ne vouloient pas ils feroient ce que l'on devroit fai­re; & qu'ils ne doutoient pas que Sa Majesté n'en profitât.

Pendant ces disputes les Seigneurs, deputerent un de leur corps en secret pour informer le Roy, que les Com­munes étoient à present à leur cham­bre & qu'elles avoient fait des proposi­tions hors des formes mais qui étoient telles qu'ils y donneroient plûtôt leurs consentement que d'y étre contraires. Qu'ils étoient prets de se joindre à elles pour offrir la Couronne hereditai­re à Sa Majesté & aux mâles de sa fa­mille; mais qu'ils souhaitoient qu'on proceda de la maniere que meritoit un affaire de cétte consequence, sçavoir par des conferences & des delibera­tions, afin qu'il parut que c'étoit plû­tôt un effet de leur juste sentiment pour la valeur & la conduite de Sa Majesté, qu'une émotion subite d'une assemblée tumultueuse.

Le Roy repondit avec une grande [Page 64] douceur comme si cela ne le touchoi [...] pas, qu'il leur étoit bien obligé pour leur dessein envers lui & la famille Royalle; qu'il esperoit que ce qu'ils étoient sur le point de faire tendroi [...] au bien de la Nation; mais qu'il ne lui seroit pas tant agreable s'il n'y avoit que les males qui heritassent la Couro [...] ­ronne, que si on la donnoit sans limi­tation; que c'e n'étoit pas chose nou­velle que des femmes eussent gouverne en Danemarc, & que leur gouverne­ment n'avoit pas été malheureux dans les Royaumes voisins; qu'ils devoient considerer que puisque c'étoit un pre­sent qu'ils vouloient faire, il ne vou­loit pas le leur prescrire, mais qu'il ne pouvoit pas l'accepter à moins qu'il ne fut plus general.

En même temps les Communes de­vinrent impatientes; la réponce qu'on leur donna ne les satisfaisoit point, & les Seigneurs n'étoient pas encore entiere­ment resolus d'y consentir ni même ils n'étoient pas prêts à les y accompagne par ce qu'ils ne sçavoient pas quel suc­cés auroient eu ceux de leur corps, qu'ils avoient envoyé pour sonder quelle étoit l'intention de la Cour. Ce pourquoi le Clergé & les Bourgeou [...] ayant à leur tête l'Evêque & le Presi­dent [Page 65] allerent au palais; le premier Ministre vint à leur rencontre & les conduisit dans la salle d'Audiance où peu de temps aprés le Roy vint. L'E­vêque fit un long discours, s'étendit fort au long, sur les loüanges du Roy, & sur les raisons pour les quelles ils étoient venus lui rendre leurs respects, & finit en lui offrant au nom des deux corps qui étoient les plus puissans & les plus nombreux la Couronne heriditaire dans sa maison & un pouvoir absolu, avec leurs bources en cas que quel­qu'un voulut arrêter un dessein si loüa­ble & si necessaire pour le bien du païs. Le Roi leur respondit en peu de mots, Qu'il les remercioit, & qu'en cas qu'un consentement general confirma leur bonne volonté il accepteroit le present qu'ils lui faisoient; mais que le consentement des Seigneurs étoit ne­cessaire dont il s'assuroit, puis qu'ils avoient le temps de le lui offrir avec les formalités necessaires; qu'il assuroit les Communes de sa protection Royal­le; qu'il n'oublieroit pas leur affection, qu'il les delivreroit de leurs maux; qu'il avanceroit ses sujets qui s'étoient comportés si vaillanment, & qui lui avoient rendu de si bons offices. Il finit par cet avis de continuer leur [Page 66] session jusques à ce que les matieres eussent eré mises en leur perfection & qu'il peut recevoir lent present avecles solemnités convenables; & sur celai les renvoya.

Mais pendant tout ce temps là les Seigneurs furent dans des grands trou­bles; ils voyoient que les Communes étoient allées voir le Roy sans eux; ceux de leur corps qu'ils avoient de­peché au Roy rapportoient que le [...] proposition de rendre la couronne he­riditaire pour les mâles n'avoit pasé [...] bien receûe par ce qu'il avoit en veu [...] un plus grand avantage; qu'on ne re­gardoit leur offre que comme venam des personnes qui n'auroient rien don­né s'ils l'avoient pû faire; qu'o [...] croyoit qu'ils pretendoient qu'on leur eût de l'obligation en donnant une partie, quand il n'étoit pas en leur pou­voir d'empecher qu'on n'eut le tout Dans cette irresolution ils se separe­rent; & depuis ils s'assemblerent su [...] une autre occasion à midi, & jugere [...] de considerer en ce temps là comme [...] il falloit proceder dans une affaire [...] delicate.

Monsieur le Senateur Schele un de [...] principaux du païs devoit étre enterie avec grande pompe l'aprés midi; soa [Page 67] corps avoit demeuré quelques mois sous un lit de pa [...]ade, & suivant la cou­tume tous les Seigneurs qui étoient à la ville devoient assister à ses obseques; on choisit le temps auquel le Parlement devoit s'assembler, pour faire cette ceremonie, parce qu'alors tous les Nobles étoient ensemble; & on pre­para un Magnifique diner suivant ce que l'on pratique en des pareilles occasions: au milieu du repas un officier vint dans la Chambre & quelques emissaires des principaux, qui rapporterent que les portes de la ville étoient fermées & qu'on en avoit porté les clefs à la Cour. Car le Roy ayant été informé par le Gouverneur que deux ou trois Senateurs s'étoient sauveés secretement la nuit precedente, & commeil avoit resolu de n'en laisser échaper aucun des filets, qu'ils n'eussent fini cette af­faire, il donna ordre le matin au Gou­verneur de fermer les portes & de ne laisser entrer ni sortir personne sans un ordre. Le Gouverneur envoya un bil­let au Major de la ville pour le mettre en executïon; qui d'abord qu'il l'eut recû, il vint à la maison où ils étoient assemblés & le mit sur la table entre les Senateurs. Cette terrible nouvelle que l'officier portoit fut d'abord dite [Page 68] tout bas à toute la Compagnie, qui s'adressa à lui pour connoitre le des­sein d'un procedé si peu accoutum [...] dans le temps d'une assemblée genera­le; ils lui demanderent qu'elle étoi [...] leur destinée, s'ils devoient étre massa­crés ou ce qu'on vouloit faire d'eux [...] le Major de la ville répondit douce­ment, qu'il n'y avoit aucun danger pour eux, qu'un Roy aussi bon que S. M. ne prendroit pas des mesures si violentes contre eux; quoy qu'à la ve­rité il eut donné lui meme ordre de fermer les portes; & que personne ne sortit hors de la ville sans permission, mais que cet ordre ne devoit pas les de­tourner & les empêcher de finir les ceremonies & de poursuivre les affai­res publiques aussibien que les particu­lieres. Il ne falloit que la confirma­tion de cet officier pour ren verser tous les desseins des Nobles; la crainte de perdre leur vie leur ôta toutes les pen­sées de leur liberté. Ils depêcherent d'abord des personnes tant â la Cour qu'aux Communes pour leur faire sca­voir qu'ils étoient disposés à conde­scendre à ce qu'on leur avoit proposé & les assurer qu'ils étoient prets de con­sentir à tout ce qu'on leur pourroit de­mander.

[Page 69]Mais le Roy, qui jusques icy avoit si bien commence & joué le jeu, re­solut de le poursuivre jusques au bout, & ne voulut point soufrir qu'on ou­vrit les portes, avant qu'on eût arreté toutes les ceremonies de l'instalation & qu'on ne luy eut fait homage en due forme; c'est pourquoy il leur ordonna de rester jusques à ce qu'ils luy eussent prête serment de fidelité & qu'ils se fus­sent depouillés de tout le droit, aussi bien que du pouvoir en la presence du peuple & de l'armée, afin qu'ils ne fissent naitre à l'avenir quelques desor­dres.

On employa trois jours pour prepa­rer toutes les choses necessaires pour cette heure fatale, dans laquelle ils de­voient faire dans les formes un acte de resignation de leur liberté; on dressa des échafaus dans la place devant le chateau & on les para de tapisseries; les Soldats & les Bourgeois eurent or­dre de paroitre en armes chacun sous ses officiers: & le 27. d'Octobre au matin quand tout fut prêt le Roy, la Reine, & toute la famille Royalle mon­terent sur un theatre dressé dans ce dessein, & s'étant placés dans des chaises de parade sous des dais de ve­lous ils recûrent publiquement l'hom­mage [Page 70] de tons les Senateurs, de la No­blesse, du Clergé & des Communes; & le firent en se mettant à genous Le serment qu'ils étoient obligés [...] faire étoit conceu en ces termes.

Moy A. B. promeis & declare (que) je serai franc & fidele à V. M. comme [...] mon tres bon Roy & Seigneur comme au aà toute la famille Royalle; que je fer­mes efforts pour avancer en toute chose [...] pouvoir de V. Majesté, & que de to­mon pouvoir je vous defendrai de te­peril & malheur; & que je servirai fi­delement vôtre Majesté, comme un hom­me d'honneur & un subjet le doit fai [...] ainsi Dieu me soit propice.

Ils furent tous contrains de pronon­cer tout haut ce serment, & quelques personnes de qualité qui étoient ma­lades ou qui en faisoient semblant [...] furent portées dans des chaises. En­tre tant de gens Gersdorf un des prie­cipaux Senateurs fut le seul qui ouvr [...] la bouche en faveur de leur libert [...] expirante & qui dit qu'il esperoit & qu'l croyoit que S. M. n'avoit en ve [...] que le bien de son peuple, qu'il nel [...] gouverneroit pas à la maniere d [...] Turcs; mais qu'il souhaitoit que s [...] successeurs suivissent l'exemple qui S. M. leur mettroit indubitablement [Page 71] devant les yeux, & qu'ils se servissent de ce pouvoir sans bornes pour le bien & non pas pour la ruine de leurs sub­jets. Aucun de tous les autres ne dit pas un mot & ne parut pas même murmurer le moins du monde de ce qu'on avoir fait; & cecy est remar­quable qu'entre tant de grands hom­mes, qui peu de jours auparavant pa­roissoient avoir un coeur digne de leur naissance & de leur qualité, il n'y en eut aucun qui aye eut le courage du­rant les trois derniers jours de s'oppo­ser en quelque maniere ou par re­montrance ou autrement à ce quel'on alloit faire. Et j ay oui dire à des per­sonnes fort éclairées & qui étoient alors prés du Roy que si les Nobles avoient eu tant sort peu de courage à defendre leurs privileges, le Roy n'au­roit pas poussé sa pointe si loin que de souhaiter un pouvoir arbitraire; car il étoit dans des doutes continuels touchant l'evenement, & commen­çoit à chanceler dans ses resolutions: tellement qu'ils perdirent leur liberté faute de paroître.

Ceux qui avoient fait homage alle­rent du Theatre au Parlement, où les Nobles furent tous appellez chacun par leur nom, & on leur commenda de [Page 72] signer la Declaration cy-dessus mentio­uée, ce qu'ils firent.

Ainsi cette grande affaire fut finie; & dans quatre jours le Royaume de Danemarc passa d'un état peu different de l'Aristocratique à un Monarchique. Les Communes ont du depuis experi­menté que le joug d'un Prince absolu pour foible qu'il soit est toùjours plus pesant que celui de plusieurs Nobles. La seule consolation qu'on leur a laissé est de voir leurs premiers Tyrans dans une plus miserable condition qu'eux mêmes; pendant que tous les citoyens de Copenhague ont obtenu par là ce vain privilege de porter l'épée; si bien qu'à present il n'y a aucun savetier ou barbier qui sorte sans la porter au cô­té quelque pauvre qu'il soit. Le Clerge qui ne fait jamais des marchés qu'il ne lui soient avantageus, est le seul qui y a gagné; & il est toùjours plus avancé par la Cour comme étant le premier qui la élevée à cette puis­sance & qui retient le peuple dansla servitude en préchant l'obeissance pas­sive.

Il étoit juste que la Cour recompen­ça les principaux aureurs de ce chan­gement; c'est pourquoi nonobstant le manque general d'argent Annibal See­stede [Page 73] eut un prefent de 200000. Ecus. L'Evêque Swan fut fait archevêque & eut 30000. Ecus. Le President Nan­son 20000 Ecus. Le peuple eut la seule gloire d'avoir forgé ses chaines & d'o­beir sans reserve, & c'est un bonheur qu'aucun Anglois, à ce que je crois, ne leur envie.

CHAPITRE VIII. L'Etat, les Coutumes & le Natu­turel du peuple.

TOutes ces choses dependent telle­ment de la nature & du change­ment du Gouvernement, qu'on voit ai­sement qu'il faut que la condition pre­sente de ces peuples soit tres malheu­reuse, au moins il paroit ainsi à un An­glois qui le voit mieux peut-étre que ceux qui le souffrent: car la servitude, comme une maladie devient si fami­liere qu'elle ne paroit pas étre ni un fardeau ni une maladie; elle produit une sorte de paresse & defaut de cou­rage qui mêt les hommes hors d'espe­rence & de crainte: elle abat l'am­bition & les inclinations turbulentes aussi bien que les bonnes qui engen­drent [Page 74] la liberté; & donne au lieu de la liberté une sorte de plaisir triste d'étre sans soin & sans sentiment.

Autrefois & même depuis le dernier changement arrivé dans le Gouverne­ment, la grande & la petite Noblesse (car il n'y a point icy de distinction) vivoient dans une grande abondance & dans un grand bonheur; leurs maisons dans les Provinces étoient spatieases & magnifiques; ellesy recevoient ge­nereusement les étrangers parce quelles avoient tout en abondance. Les Nobles vivoient pour la plûpart chés eux & de­pensoient leurs revenus avec leurs voi­sins & leurs fermiers de qui ils étoient considerés & respectés comme des pe­tits Princes. Dans le temps de la con­vocation des Etats ce qui arrivoit une foisl'an, ils alloient visiter le Roy avec un train aussi grand que le sien, ils mangeoient souvent avec lui; & dans les contestations sur les affaires publi­ques leurs sufrages étoient d'un grand poids & l'emportoient ordinairement: car les Communes consentoient volon­tiers qu'ils les reglastent par ce quelles dependoient d'eux. Dans la suite d [...] temps cet excés de pouvoir comme vous avés veu rendit la pluspartd'eu [...] insolents, ce qui fut la premiere occa­sion [Page 75] de leur cheute & de la perte de la liberté de tout le païs. Tellement qu'à present ils sont plongés dans une condition tres basse, & que tous les jours ils diminuent tant en nombre qu'en pouvoir; leurs biens payent à peine les taxes qu'on y a mises ce qui fait qu'ils oppriment leurs pauvres fermiers afin qu'ils gagnent quelque chose de plus pour leur propre subsistance. Même quelques gentils-hommes d'honneur qui avoient autrefois de grands biens m'ont asseuré qu'ils ont offert de livrer au Roy des grands Domaines qu'ils avoient dans l'Ile de Zeeland plûtôt que d'en payer les taxes; ce qu'on ne voulut pas accepter quoi qu'ils l'en pres­sassent extremement. Et sur la raison que j'en demandai on me dit que les biens de ces gentils-hommes qui avo­ient faith cette offre étants dans d'autres endroits où les revenus montoient à plus que la taxe, devoient payer la taxe pour quelque autre bien appartenant aux mê­mes personnes en cas que celuy ci ne le put; si bien qu'on a vû quelques gens dire avec une grand joye que le Roy avoit été si genereux & si bon que de leur ôter leur bien.

Par ce moyen & par plusieurs au­tres, beaucoup des anciennes familles [Page 76] sont tombées en decadence; leurs mai­sons de Campagne qui étoient comme des palais étant ruinées ils sont forcés de vivre chetivement & obscurement dans quelque coin; à moins que leur bonne fortune ne leur procure à la Cour quelque employ ou civil ou militaire, qui est la seule chose qu'ils ambitionent le plus. Cela étant à la verité trés necessaire pour asseurer à leur famille quelque entretien passable & pour les mettre à l'abri des vexations & des injustices des Collecteurs. Les Emplois civils sont en petit nombre & de peu de revenu, comme il arrive dans un pauvre païs gouverné par une armée, tellement qu'il y en a peu qui ayent de quoi vivre par ce moyen; & que le plus grand nombre soufre pa­tiemment chez soi la pauvreté; où'en peu de temps leur esprit & leur bien vient si petit qu'à peine à leur discours, ou à leur air pourroit-on croire qu'ils soient gentils hommes.

Dans ce païs les richesses & la va­leur étoient autrefois les seuls titres de Noblesse; ils ne prenoient aucun de­gré ni aucunes lettres du Roy. Mais dans ces dernieres années on a donné quelque petits titres de Baron & de Comte aux favoris pour suppléer au [Page 77] manque de richesses; par ces titres ils n'ont pas les mèmes privileges que les nôtres ont en Angleterre mais ils se contentent d'un petit air vain qui les distingue du commun. Il n'y en a pas à ce que je crois plus de quinze ou de vingt. Ceux cy sont tels, qu'ils sont fort accommodés de biens & sont mê­me obligés asin de se conserver, de frequenter la Cour comme aussi tous ceux qui ont dessein de vivre & d'avoir du pain à manger.

C'est la seule Noblesse avec titre qui a la liberte de faire son Testament & de disposer de quelque partie de ses biens contre les Lois, pourvû que le Testament durant la vie du Testateur ait été approuvé & signé du Roy & alors il est bon & valable.

Il est fort inutile de dire qu'icy il n'y a personne qui vende on achete de ter­res; car là où le bien est à charge il y a peu d'acheteurs, aussi je ne me sou­vien pas qu'on ait aliené pour de l'ar­gent, durant quej'y ay demeuré, quel­ques terres, excepté quelques biens que la Reine acheta, & elle donna 16000 Ecus de ce qui trente ans auparavant avoit été estimé 60000 Ecus. A la verité il y a quelques personnes qui prenent des terres du Roy pour l'ar­gent [Page 78] qu'ils ont preté à la Couronne, & entre ceux là j'ay oui dire à Mon­sieur Texera riche juif de Hambourg, & à Monsieur Marseilles Marchand Hollandois qui s'étoit autrefois établi à Copenhague, qu'ils furent forcés de prendre des terres ou de perdre ce qui leur étoit dù & qui montoit à quel­ques cents mille Ecus. Cependent ces terres quoique de grande étendue & fertiles leur rendoient si peu à cause des taxes, qu'ils les cederoient volon­tiers, comme on m'a dit, pour la qua­triéme partie du principal.

Quoy qu'il en soit si quelqu'un avoit le dessein d'aller demeurer eu un autre endroit & qu'il trouva quelqu'un qui voulut acheter son bien, la Loi est que la troisieme partie de l'argent revien­dra au Roy; & à la verité si les Lois n'étoient pas severes contre l'aliena­tion des biens il est à croire que les Possesseurs, à la premiere occasion, quitteroient le païs.

Le Roy s'attribue le pouvoir de marier les heritiers & les heritieres de quelque consideration, comme on le pratique en France non qu'il y ait quel­que Loi sur ce sujet mais sur peine de sa disgrace.

Les Emplois Militaires sont autant [Page 79] recherchés par la Noblesse du païs que les Civils, par la même raison que la Pretrise l'étoit entre les Juifs & cela pour avoir du pain. Car c'est un seur moyen de trouver de soldats aussi long-temps qu'il y aura des gens dans le Royaume d'imiter le Roy de France dans ce qu'il prarique, & de rendre comme luy la Noblesse pauvre & le Negoce sans aucun profit & honneur; par ce moyen les gens de qualité & la moitie de la nation se mettant dans la servitude s'employeront à mettre les autres dans les fers.

Cependant en Danemarc ceux du païs sont moins estimés que les étran­gers & sont plus éloignés des emplois, soit à cause que la Cour croit quel­le peut mieux se confier aux étrangers dont elle fait la fortune qu'à ceux qui descendent de ceux dont elle a ruiné leur fortune, ou bien qu'elle croye que leur courage s'est affoibli avec leur bien & leur liberté, ce qui se voit claire­ment dans le commun du peuple ou pour quelque autre raison; quoy qu'il en soit c'est une chose certaine que les charges tant militaires que civiles sont plûtôt données aux étrangers qu'aux gens du païs. On remarque aussi que dans les emplois on prefere [Page 80] les personnes de mediocre fortune & de mediocre naissance à ceux d'une plus relevée, tellement qu'on voit dans les emplois les plus lucratifs & les plus honorables des gens qui ont été autre­fois valets; & ceux ci font mieux exe­cuter la volonté & le bon plaisir du pouvoir arbitraire, aussi leur fait-on des grandes caresses. De plus dans l'avan­cement de telles personnes il y a enco­re un autre avantage, qui est qu'aprés qu'ils se sont enrichis par extorsion & qu'ils ont succé le sang du peuple & que l'on crie contre eux, la Cour peut faci­lement presser ces sangsües en jettant le blame sur eux sans s'exposer au me contentement de la Noblesse & d'une vingtaine de personnes qui sont leurs parens & alliés. La difficulté qu'il y a de se procurer un entretien consolant & le peu de seureté qu'il y a de jouir de ce que l'on a amassé par industrie sont la cause de la prodigalité non seulement de la Noblesse, qui est un peu plus aisée mais encore des Bourgeois & des Paï­sans; ils sçavent qu'ils ne vivent que du jour la journée, aussi dés qu'ils ont gagné quelque chose ils le depencent. Ils vivent aujourd hui comme dit le Poëte sans sçavoir que ce qu'ils ont à présent, leur peut étre ôté demain. C'est [Page 81] pourquoy la depence en Carosses, en trains, en habits &c. n'est pas plus commune ni plus excessive à raison des revenus, en aucun endroit qu'icy. L'epargue est souventefois non seule­ment la cause, mais encore une marque de richesses; plus un riche a, plus il ta­che d'acquerir des biens & d'augmen­ter son fond. Mais icy le Courtisan n'achete pas des terres; il mêt son ar­gent sur la banque d'Amsterdam ou d'Hambourg; le Gentil-homme depen­ce d'abord sur luy ou pour ses plaisirs tout ce qu'il a gagné de peur qu'il a de passer pour riche, ou qu'on ne lui ôte par des taxes, avant qu'il l'ait beu ou mangè. Le marchand & le bourgeois font le méme & ne subsi­stent que par le credit, icy il y a peu de gens riches de 100000 Rixdales. Dés aussitòt que le Païsan a gagné une Rixdale il la depence le plutot qu'il peut en brandevin, à moins que so [...] maitre dont il est esclave ne le vienne à sçavoir & qu'il ne la lui ore ainsi.

Torva leana lupum sequitur, lupus ipse capellam.

Les villes & villages marchands, si l'on en excepte Copenhague dont la situation & le port l'enrichit un peu malgré ce mauvais usage, sont tom­bés [Page 82] en decadence. Les Bourgs qui autrefois prêtoient dans des occasions extraordinaires des grosses sommes au Roy & qui fournissoient les Hollandois tous les ans de dix à douze vaisseaux chargés de grains, ne peuvent pas à pre­sent lever 100 Rixdales, ni charger un petit vaisseau de seigle comme on le peut prouver par Kiog, petite ville maritime, qui du temps de Chrê­tien IV. levoit pour le service du Roy dans vingt & quatre jours 200000 Rixdales; cependant j'ay oui dire que dans la derniere taxe les Collecteurs furent contrains de prendre de cette ville comme aussi des autres en la place de l'argent, des vieux li [...]s de plume, des bois de lit, des pots de cuivre, de la vaisselle d'étain, des chaises de bois, ce qu'ils ôterent de force à ceux qui ne pouvoient pas payer, & on les priva de tout ce qui est necessaire pour l'usage de la vie.

On a taché d'introduire quelques manufactures non pas tant dans la veile de faire du bien au public que d'enri­chir quelques courtisans & quelques gens de grande qualité qui en sont les entrepreneurs & qui esperent d'y faire des grands profits. Les principales sont celles de la soye & des verres a boi­re [Page 83] mais en fort peu de remps elles sont venües à rien. Car c'est une regle trés seure que les métiers ne sont pas pous­sés dans les endroits où il n'y a pas des recompenses & du profit, & où ce que l'on possede n'est pas a couvert, & où ensin le credit des sujets est autant petit que leurs richesses sont incertai­nes.

Si c'est là la condition du Gentil­homme & du Bourgeois, quelle peut étre celle du pauvre Païsan? dans la Zéeland ils sont aussi esclaves que les Negres dans les Barbades, mais avec cette difference que leur nourriture n'est pas si bonne, Ni eux ni leur po­sterité ne peuvent pas quitter la terre à laquelle ils apartienent. Les Gentils­hommes comptent leurs richesses par la quantité de Païsans comme nous icy par la quantité du betail, & plus ils en ont plus ils sont riches. En cas de vente ils sont vendus comme apparte­nans au franc fief justement comme nous faisons des arbres propres à la charpante. On ne compte pas icy par nombre d'argent mais par nombre de Païsans qui appartienent au proprietai­re avec tout ce qu'ils ont. Le corps des riches Paisans qui est puissant en Angleterre n'est pas connu en Dane­marc; [Page 84] mais ces pauvres esclaves aprés qu'ils ont fait tous leurs efforts à lever les taxes du Roy, doivent donner le surplus aux maìtres des terres qui sont aussi pauvres qu'eux. Si un de ses pau­vres miserables se fait connoitre labo­rieux, s'il tache de vivre un peu mieux que ses camarades, & s'il a reparésa metairie en la rendant plus commode, plus agreable ou plus belle, on le fait passer de cette ferme dans un autre de pourveüe de tout & miserable, afin que son maitre avare ait plus de rente, en plaçant un autre dans la terre qui a été ainsi ameliorée, tellement que dans quelques années il y aura icy apparem­ment peu ou point du tout de maiteries, quand celles qui sont deja baties seront tombées par l'age ou par la negligen­ce.

Le quartier & la paye du soldat est un autre Grief. Ceux qui sçavent qu'el­le incommodité c'est d'étre toùjours tourmenté par un insolent locataire qui domine partout où il demeure convien­dront d'abord que c'est un malheur in­suportable. Et quoyque ce Païs ait de la disposition à étre bien peuplé les femmes étants extremement fecondes ce quel'on prouve par la grande quanti­té de peuples qui sortirent autrefois de [Page 85] ces quartiers & qui coururent toute l'Europe. Cependant il est à present mediocrement peuplé; car les chagrins de l'esprit, la mauvaise nourriture & la pauvreté sont des grands obstacles à la generation. Autrefois les Païsans vivoient tres heureux; il y avoit peu de familles qui n'eussent une ou deux grandes pieces de vaisselle d'argent sans compter les cuillers d'argent, les bagues d'or & quelques autres jouets d'enfant d'argent, ce qu'ils aiment encore au­jourd'hui passionnement, (& quand ils ont quelque argent ils le depencent en des telles choses parce qu'ils n'osent pas le garder, l'inclination de depen­cer étant à present si generale), mais aujourd'hui c'est une chose rare de trou­ver dans la maison d'un Paisan quel­que chose faite d'argent, ou à la ve­rité quelque autre utensile de valeur, à moins que ce ne soit des lits de plu­mes qui sont ici tres bons, & en plus grande quantité qu'en aucun autre en­droit que j'aye vù; ils s'en servent non seulement pour y dormir dessus, mais encore pour se couvrir.

Entre toutes les charges qu'on a mises sur les pauvres Païsans, celle-ci me pa­roit la plus grande, qui est l'obligation où ils sont de fournir des chevaux & [Page 86] des chariots au Roy, à toute la fa­mille Royalle & à toute leur suite, & pour leur bagage quand il va faire quelque voyage ou dans le Jutland ou dans le Holstein, ou l'Ile de Zéeland, mê­me quand il ne va qu'à Fredericsbourg & à Yagersburg. Alors tous les Paï­sans qui sont proche la route ou dans ce territoire sont avertis d'attendre avec leurs chevaux & leurs chariots, dans des certains endroits où ils se re­levent les uns & les autres, & c'est toûjours à leurs propres frais pour les hommes & pour la nourriture des chevaux durant deux ou trois jours; sans qu'on aye egard à la saison qui est ordinairement celle de la moisson ou sans prendre le tems le plus com­mode à ces pauvres miserables. Je les ay souvent vù avec cent chariots attendant l'arrivée de la Cour & de­plorant leur mauvaise fortune, & d'a­bord que le Roy & ses carrosses sont arrivés avec ceux des autres person­nes de qualité on les attelé de fix ou huit chevaux (car ils ne sont pas plus hauts que des veaux), & chaque la­quais prend un Païsan & un chariot pour son propre usage, & alors si le pauvre Païsan ne consent à tout & ne le souffre patiemment sans repliquer [Page 87] un mot, il est battu & maltraité, ce qui m'a souvent fait compassion. Ce n'est pas seulement quand le Roy lui même voyage que les Païsans sont dans ce trouble, c'est encore quand quelque personne de qualité ou quel­que Officier doit faire un voyage, & qu'il a eu ordre du Roy.

L'Apoplexie, & le mal caduc sont ici des maladies épidimiques, on passe à peine par les ruës de Copenhague sans en voir quelqu'un couché sur le ventre ayant l'ecume à la bouche, & une troupe des gens autour tous étonnés. Je ne sçai à quoi l'attribuer à moins que ce ne soit à la mauvaise nourriture du commun qui est generalement de vian­de salée, de morües & de choses sem­blables. Les apoplexies entre les per­sonnes de qualité viennent souvent de l'excés de boire & du mécontente­ment. Car il est ordinaire ici de voir de gens morts d'une maladie qu'ils appellent Ilacht qui est une apoplexie qui vient du mecontentement & du trouble d'esprit. Mais en recompen­se il y en a peu ou point du tout qui soient tourmentés de la toux, des fluxions, de la consomption & de sem­blables maladies du poulmon; telle­ment qu'au milieu de l'hiver dans les [Page 88] Eglises qui sont pleines, on n'entene aucun bruit qui interrompe l'attention qu'on doit au predicateur. Pour moi je croi que leur poiles, & leur feu qui est du bois d'hestre sont la cause qu'ils sont exempts de telles maladies & que nôtre charbon les cause parmi nous a Londre; quoi que l'ingenieux Che­valier William Petty soit d'un autre sentiment. Car à tous autres égards soit de l'air ou de la situation, nous avons l'avantage sur eux.

La table des gens de qualité est trés bien couverte. Cependant je ne puis pas loüer leur bonne chere; parce que la viande est generalement maigre & de mauvais goùt (si l'on en excepte le beuf & le veau) particulierement les oiseaux privés; la maniere de les engraisser n'est pas connuë de plus de deux ou trois, qui l'ont apris d'un Poulalier Anglois qui s'est habitué à Copenhague; le mouton y est tres rare, & ordinairement mauvais; on mange difficilement les canards sau­vages, & jamais les pluviers. Il n'y a pas ici des phesans, des becaces, des lapins ou des betes fauves; il y a bien des dains, mais c'est le gi­bier du Roy, & on n'en trouveroit pas pour de l'argent. Les lievres sont [Page 89] bons, & le lard est excellent. De tems en tems on trouve bien un che­vreüil au marché, mais il est ordi­nairement maigre. Le poisson de mer est rare & mauvais, celui de Riviere en repare le defaut, car il y a ici les meilleures carpes, perches & écrevi­ces qu'on puisse trouver ailleurs. On ne doit pas attendre du Nort des fruits extraordinaires, cependant les gens de qualité qui sont fort addonnés au jar­dinage en ont des passables; & la plûpart sont si curieux qu'ils ont de bonne heure des melons, des raisins, des peches, & de toute sorte de sa­lades bien conditionnées. Le beurre est tres bon, mais le formage est tout-à-fait mauvais. En general leur ma­niere de faire la cuisine plairoit diffici­lement à un Anglois.

Ils sont fort addonnés au boire; les liqueurs qui sont le plus en vogue parmi les gens de qualité sont le vin du Rhin, le brandevin de ce [...]ise & tous les vins de France. Les hom­mes l'aiment passionnement, & le beau sexe ne le ref [...]se pas. Ceux du menu peuple qui ont de quoi se diver­tir, le font avec de mauvaise bierre & du brandevin de Danemarc fait avec l'orge.

[Page 90]Les Geutils hommes & les Officiers sont fort propres en habits faits à la mode de France; mais les habits d'hiver des Dames sont faits à la mode Danoise, & ils siend bien. Les Bour­geois, les valets, & même les Paï­sans sont propres, ils aiment de chan­ger de linge blanc qui est ici à fort bon marché, car les femmes em­ployent tout leur loisir à filer. Tout le peuple a un peu de vanité, car l'or­gueil & la pauvreté se tienent souven: compagnie l'un à l'autie.

Leurs mariages sont ordinairement precedés d'un contract, ils demeurent quelquefois trois ou quatre ans, & même plus de comparoitre devant le ministre & d'en faire les nôces, sou­vent les promis se connoissent avant qu'on aye fait ces formalités. La Noblesse donne une dot aux filles, mais les Bourgeois & les Païsans, s'ils ont les moyens ne leur donnent que les habits, que quelques meubles & un grand repas, & rien plus avant leur mort.

La Noblesse fait grand cas des en­terremens superbes & des tombeaux magnifiques; on garde ordinairement le corps d'une personne de qualité plusieurs années dans une voute ou [Page 91] dans le choeur de quelque Eglise jus­ques à ce qu'une occasion de celebrer les funerailles se soit presentée; les plus pauvres sont mis dans des caisses épaisses; & dans les Villes en chaque paroisse, il y a environ une douzaine de gens qui portent le deuil, qui sont obligés de les porter & de les suivre jusques au tombeau. Le commun du peuple a peu d'esprit, & n'est pas guerrier comme autrefois; il est en­clin à tromper, il soup çonne toûjours qu'un autre a dessein de le tromper, c'est pourquoy il s'ecarte à regret du chemin qu'il a accoutumé de tenir; si vous lui offrés beaucoup de l'argent pour une chose qui ne se vend pas ordinairement, il refusera de la don­ner parce qu'il soupçonne que dans un tel achat vous y voyez quelque profit qu'il espere de decouvrir bien qu'il lui soit inconnu. Je me souviens d'une histoire, dont je vai vous faire le recit qui vous faira connoitre le naturel du commun peuple mieux qu'aucune description.

Ayant vû un grand troupeau d'oi­sons dans des champs proche de la Ville, j'envoyai en acheter quelques unes, mais les Païsans n'ayant pas ac­coutumé de les manger que quand [Page 92] elles sont grosses & vielles, on ne par jamais les porter à en vendre une, quoi que l'on leur offrit pour une oi­son le double de ce que l'on donne, quand elles sont grosses. Ils demande­rent ce que nous voulions acheter d'eux, ce que nous en voulions faire &c. Ca [...] on ne put jamais les persuader que quelqu'un fut si fou que d'en manger lors qu'elles êtoient jeunes. Une se­maine aprés, une vielle femme à qui on avoit offert de l'argent pour une douzaine vint & en porta quatre à vendre, disant quelle ne s'étoit pas bien portée, ni que ses oyes n'étoient pas venues grosses depuis qu'elle avoit refusé de les vendre à un bon prix; que le milan en avoit tué la nuit precedente huit, & que les quatre qui restoient étoient à mon service. Ainsi la super­stition de cette vielle femme me procu­ra le moyen de manger pour la premie­re fois des oisons en Danemarc. Mais aprés qu'ils sçeurent que nous les en­graissions & que nons les tuions pou [...] les manger, ils nous en fournirent au­tant que nous en voulumes. Les jours de marché ils vous demanderont autant de la viande puante que de la freche, & de la megre que de la grasse, si c'est de la même espece. C'est un moyen [Page 93] seur de ne pas avoir ce que vous vou­lés acheter & qu'ils souhaitent de vendre si vous faites semblant de l'e­stimer & si vous le demandés avec importunité. Cecy n'est pas seule­ment particulier au commun peuple.

Je n'ay jamais vû qu'ils soient, pro­pres à imiter ce qu'on a inventé dans d'autres Païs; & pour l'invention il n'y en a eu aucun depuis le fameux Tiche brahe; on voit icy peu ou point du tout des livres ecrits; il n'y en a que quelques uns de religion faits par les Ecclesiastiques. Durant les trois ans que j'ay demeuré icy on n'a fait que quelques chansons & quelques airs. Les divertissemens sont fort rares; & depuis ce fatal Opera où plusieurs centaines de personnes perirent il y a quatre ans dans le palais de la Rei­ne Douairiere ils se contentent de cou­rir le Mardi Gras au jeu de l'oye, & dans l'hyver de prendre le divettisse­ment des traineaux couverts de peaux & de fourrures. La Cour & tout le peuple aiment avec passion ce di­vertissement. Peut-étre on croira que c'est une petite remarque si je fais observer que personne ne va en trai­neau avant que le Roy & la Cour ayent commencé; que le Roy passe [Page 94] le premier le nouveau pont, & que les horologes de Copenhague ne son­nent pas les heures avant celui de la Cour.

Il est fort difficile aux étrangers de trouver en Danemarc des endroits commodes pour y loger & pour y manger; même à Copenhague il y a peu de maisons de particuliers où on y loge; & dans les cabarets on doit se contenter de manger & de boire dans une chambre commune, où d'autres peuvent entrer & faire le même à une autre table, à moins que l'on ne ve­nille plus que l'ordinaire.

Le langage est fort des-agreable & ressemble fort à l'Irlandeis dans ses tous plaintifs: le Roy, la Cour, la Nobles­se & plusieurs des Bourgeois se ser­vent de l'Allemand daus leurs discours ordinaires, & du François lors qu'ils parlent aux étrangers.

Les mots d'une syll [...]be sont les mê­mes que dans l'Anglois, & sans doute nous les tenons des Dauois, & les avons gardés depuis qu'ils se rendirent maî­tres de l'Angleterre.

CHAPITRE. IX. Du Revenu du Roy de Danemarc.

LE revenu du Roy de Danemarc provient de trois chefs; le pre­mier des Taxes & imposts levés sur ses sujets; le segond des Coûtumes pa­yées par les Etrangers; le troisieme des rentes qu'il t [...]e de son propre bien des terres qui apratiennent à la Cou­ronne & des confiscations. Nous trai­terons d'un chacun à part.

Les Taxes qui sont payées par ses pro­pres sujets, sont en certains cas fixées, en d'autres elles sont arbitraires; quand je mêts de la distinction ce n'est pas pour faire entendre que le pouvoir du Roy foit limité en aucune maniere; mais seulement pour faire voir, qu'il suit en de certaines Taxes les regles qu'il a lui même établies; en toutes les autres il change souvent,

De la premiere sor [...]e sont premiere­ment les coûtumes, ou droits d'en­trée & de sortie; en segond lieu l'Ex­cise, que l'on apelle communement la Consomption, qui est sur le ráabac, le vin, le sel, le blé, &c. & sur tou­tes [Page 96] sortes de choses que l'on peut man­ger ou boire, & que l'on porte dans les villes qui dependent du Roy de Danemarc. Ce sont là les grandes Ta­xes, dont la derniere est assez sévére. En 3. lieu de cette même sorte de Taxes il y en a de petites, comme cel­le qui est sur les mariages par laquelle tous ceux qui se marient, payent pour la Licence selon leur qualité; cela ra­porte un assés joli revenu, & se mon­te en certaines rencontres à trente ou quarante Rixdales pour châque licen­ce. En quatrieme, lieu, une Taxe surle papier marqué sur lequel toutes les obli­gations, les contracts, les copies d'actes de Justice, Privileges, Passeports, &c. doivent étre écrits autrement ils seroient de nulle valeur. Cette Taxe là est fort ïncommode puis qu'il y a de cette sorte de papier, dont la feüille coûte plusieurs Rixdales. En 5. lieu les Taxes pour avoir permission de moudre, de brasser, & de plusieurs autres choses dont je parleray cy aprés. Mais celle cy & leurs pareilles sont certaines, c'est à dire chacun sçait ce qu'il doit payer, selon une ordonnan­ce qui est à present en usage, qui toute­fois peut étre changée selon le bon plaisir du Roy. La seconde sorte de [Page 97] Taxes est sur les terres, que l'on ne compte pas par acres mais par fermes: assavoir, tant pour chaque quantité de terre sur la quelle on poura semer, un tonneau de blé dur, par le blé dur on entent le froment & le seigle; & se­lon la fertilité de la terre, la saison de l'année, les moyens du propriétaire, chaque ferme est taxée, ou plus ou moins, mais rarement moins.

En second lieu la Taxe par tête qu'on leve quelque fois deux fois par an, & on l'impose selon les moyens de la per­sonne dont il s'agit, elle n'est pas fixée comme ailleurs, où tout le monde de quelque rang que l'on soit paye égale­ment.

En troisieme lieu, la Taxe pour les Fortifications, qui est un argent levé pour ou sous pretexte de faire des Fortifications, pour la defence du Ro­yaume &c.

En 4. lieu la Taxe du Mariage, qui est quand la fille du Roy de Danemarc doit étre mariée, dont la dot n'est communement que 100000 Ecus; mais sous ce pretexte on se sert de l'occasion pour en lever d'avanta­ge.

En 5. lieu, la Taxe sur les métiers, par laquelle chaque Artisan est taxé [Page 98] pour la liberté d exercer son métier, selon ce que l'on juge qu'il gagne. Et de plus il est obligé de donner aux soldats un logement chez luy.

En sixieme lieu, la Rente pour les fonds, de toutes les maisons qui sont dans Copenhague & dans toutes les vil­les de Danemarc les quelles sont taxées par le Roy comme il lut plaît, selon la valeur de la maison, les moiens de ce­lui à qui elle apartient, ou selon la somme qu'il a dessein de lever alors.

Dans le Holstein & dans le Duché de Sleswick les terres sont taxées par charües, châque charüe payant tant par mois.

Pour commencer par la premiere sor­te de Taxe dont les prix sont connus & fixés, il seroit necessaire en parlant des Coûtumes & des Excises, de co­pier le livre entier des impôts mais je crains d'étre ennuyeux; neanmoins afin de n'oublier rien de ce qui est de quel­que importance, & pour vous donner une idée qui vous fasse juger du reste; pour mesurer Hercules par son pied, j'insereray quelques particularités, desquelles pour en juger juste, on ne doit pas toûjours regarder seulement à la quantité, ou à la rareté de l'argent qu'il y a dans le Païs, mais aussi à la [Page 99] bonté de la marchandise; par exemple quand je parle d'un boeuf gras, il ne faut pas s'imaginer, que je pense qu'il soit tel que ceux que l'on vend dans nos marchés en Angleterre, mais plû­tôt comme ceux que vous voyés qui vienent du Païs de Galles ou d'Eccos­se & ainsi des autres choses qui con­cernent la Taxe apellée la Consomption, & on doit compter qu'une Rixdale, vû la disette d'argent, va à plus de trois écus chez nous.

Droits d' Entrée.

[...] Livre de na­vire.
  Rd: Sols.
de Barres de fer payent d'en­treé 02 00
Fer travaillé 05 16
Cuivre 00 32
Fil d'archal d'unc sorte. 15 00
Fil d'archal d'autre sorte. 20 00
Vessaille d'étain. 15 00
Etain en lingor. 00 18
Plomb. 00 12
Cent livres pésant d'acier 00 24
une livre vif argent. 00 02
une aune de drap de quelque prix qu'il soit 00 08
une aûne de soye creûe 00 12
un chapeau. 00 32
une piece de 20 aûnes de gros drap que l'on apelle Kersey 01 08
[...]2 paires de bas d'estame 01 00
50 aûnes de ruban uni 00 24
24 aûnes de ruban avec or & ar­gent 00 1;
12 paires de gans 00 24
une veste brochée 00 12
un autre veste 01 05
un cheval 01 32
une douzaine de couteaux 00 33
une charge de charbon 00 15
100 citrons. 00 08
100 Li­tres de
Capres 00 40
Raisins de Corinte. 01 02
Raisins 00 33
Canelle 06 00
Confitures 04 08
Liege 03 00
Muscade 04 08
Cire a cacheter 04 08

  Coûtume ou Toll. Consomptiec [...] ou Excise.
  Rd. Sols. Rd. Sols.
Un baril de suis 03 00 01 16
u [...]e livre de tabac en feüilles 00 00½ 00 03
une livre de tabac rou­lé, ou à prendre par se nez. 00 04 00 03
  Rd. Sols. Rd. Sols.
un muy d'orge 00 20 outre la consomp­tion.
un muy de toute sorte de farine 00 26
un barii de boeuf salé 0 [...] 05
une rame de papier 00 05    
un baril de b [...]uire 03 00 00 32
une livre de fromage poids de navire 03 00 00 14
une Lest de seld Espa­gne 15 00 00 36
une Lest de sel de France 08 00 00 36
une Lest de sel de Lu­nebourg 24 00 00 36
un muy de vin de France 06 32 05 00
un muy de vinaigre 04 32 03 00
un Ahm de vin du Rhin, de Cana­ries, & d'autres vins forts. 08 00 06 00
un Ahm d'eau de vie de France ou du Rhin. 10 32 03 16
un muy de cydre 04 32 02 16
un baril de harans sa­lez 01 32 00 04
de Saumon 01 32 00 12
de Biere 02 00 00 32
un Lispond de plu­me 02 12 00 02

[Page 102]

  Excise on Consomption
  Rd. Sols.
un boeuf qui entre dans la ville paye 01 16
mais à Copenhague 02 00
un veau à Copenhague 00 16
partout ailleurs 00 08
une brebis, un cochon, ou une chevre 00 06
un chevreüil, 00 32
un Cochon de lait 00 01
un lievre 00 04
un dindon 00 03
un oye 00
une couple de pigeons 00
de canards 00 02
de perdrix 00 04
de merles & grives 00 01
20 oeufs 00 00 [...]
20 anguilles séches, brai­mes & autres. 00 02
20 brochetons secs. 00 01
un Saumon 00 06
une cruchée de [...]ait 00 02
un baril de vian de salée, 01 00
ou de tripes qui viennent par terre à Copenhague. 01 00
Dans les autres villes 00 32
La même chose par mer à Copenhague 00 32
  Excise on Consomption
  Rd. Sols.
dans les autres villes 00 24
la moitie d'un cochon salé ou fumé 00 02
un baril de langues 01 00
un baril de miel 00 24
un baril de pois & féves 00 08
de panets & de naveaux 00
un boisseau de noix 00 02
une bote d'ognions 00 01 2/1
un baril de houblon 00 06
un Firkin de savon 00 12
de graine de moutarde 00 04
de graine de lin & de chanvre 00 0
une charge de cheval, de foin entrant dans la porte 00 02
une charge de cheval de char­bon 00 04
de paille 00 04
de choux verds 00 01
de tourbes ou de bois par terre 00 01
de bois de hestre par mer 00 04
de petites buches 00 02
de bouleau 00 01
d'ecorce d'arbres 00 02
Les planches, les ais de chesne & de hestre, payent un par [Page 104] cent, par lest selon la char­ge du navire.    
un mât de navire de 28 paumes de long paye 30 00
de 21 paumes 11 00
de 13 paumes 00 24
entre douze & 8 paumes par douzaines 02 24
au dessous de 5 paumes par douzaines 00 12
[...]e reste à proportion    
  Consomption ou Excize.
  Rd. Sols.
une peau de daim sans étre aprétée 00 02
aprétée 00 04
dix peaux de veau 00 02
dix peaux de brebis 00 01
un cuir de boeuf 00 02
tanné 00 04
dix cuirs d'Angleterre 00 24
un baril de seigle moulu pour faire du pain, paye au Roy pour la mouture 00 16
moulu pour faire du Brande­vin 00 32
un baril de froment moulu en fine farine 00 40
un baril de malte pour un brasseur 00 32
  Consomption ou Excize.
  Rd. Sols.
pour la maison d'un particu­lier 01 00
d'avoine à faire du grueau 00 08

Une Rixdale vaut un pen moins qu'un Ecu d'Angleterre; un Sol est plus qu'un Sol d'Angleterre & 48 Sols font une Rixdale.

Une Lispound signifie vingt livres pe­sant.

Une aûne de Danemarc est un tiers moindre que la nôtre ou environ.

Il y a des moulins publics affermez par le Roy à de certaines personnes où tous les habitans de Copenhague sont obligés de moudre, sous peine d'aman­de, & de payer le droit dont nous avons parlé pour la mouture; aucun particulier ni Brasseurs n'ayant permission de moudre, sa propre Mal­te * ni de cuire son propre pain.

Il n'est pas necessaire de parler d'a­vantage de la Taxe pour les licences du mariage, on de celle du papier marqué, puis que j'en ay de ia fait mention. Celle de la seconde sorte, assavoir sur les terres, sur les Maisons, & [Page 106] de celle par tête & de l'argent de Fortifi­cation qui haustent & rabaissent on n'en sçauroit faire le compte juste; quoy qu'il en soit je tächeray de les calculer, lors que j'assembleray le Total du Re­venu suivant ce qu'il a riporté dans ces dernieres années, lequel étoit asses haat, comme aussi selon ce qu'elles raportent à present, ou qu'aparem­ment elles reporteront à l'avenir.

Il y a quelques années, depuis les dernieres guerres avec la Suede, que le Roy fit estimer & enregistrer toutes les maisons dans les Villes & Bourgs de ses Etats, & fit aussi mesurer toutes les terres de la Campagne, afin de mieux proportioner les Taxes quand il en you­droit lever; celles cy sont à present sur pié & on les leve selon les biens & les revenus d'un chaqu'un, quoi que je pense que quand même il y auroit guer­re, ou quel qu'autre necessité pres­saute, ses spiets ne pouroient, porter un plus pésant fardeat: car à la Cam­pagne, la Noblesse & le païsan sont presque ruinez. Dans les Villes & Bourgs les maisons payent par an 4. par cent pour la Taxe du fond, le fond étant apretié à la même valeur que si on le vouloit acheter; il est apretis par des Commissaires nommés po [...] [Page 107] cet effet selon la quantité de terre ou la commodite du lien: d'avantage, á autant de cent Rixdales que la mai­sou est estimée, autant les habitans sont obligés de loge [...] de Soldats. Tele­ment qu'un marchant de vin du Rhin [...] & qui n'est pas des plus riches) à Copenhague a qui on a estimé le fond de sa maison à neus ceens Rixdales, doit payer pour sa Taxe 36. Rixdales & loger neuf soldats sur le compte de s [...] [...]son, & trois d'avantage sur le co [...]te de son trafic, On observe le même proportion envers tous les a [...]t [...]es. Pour ce qui est des maisons & du trafic, il y a d'ordinar eicy tous les ans une Taxe par tète, & si par ha­s [...] il n'y [...]u a point dans une année, on la double la suivante; la plus basse est selon les proportions survantes, un Bourgeois que l'on estr [...]e riche de huit on dix m [...]les Rixdales en paye 4. pour sa personne, quarre pour sa sem­me & deux pour chaqu un de ses en­fans, pour chaque s [...]rviteur ou dome­stique une, pour chaque cheval une; un cabaretier [...] me [...]e pa [...]e pour sa per­sonne une Rixdale, une pour sa sem­me, pour cháque enfant 24 Sols, & pour cháque do nessique 16. Sols.

Il y a envison deux ans qu'd y avoit [Page 108] une Taxe par tête plus haute qu'à l'or­dinaire, & alors on observoit cette proportion. Un fermier de la coûtu­me payoit pour sa personne vingt qua­tre Rixdales, pour sa femme 16. pour sa servante deux, & une pour les au­tres domestiques; un bourgeois que l'on estimoit riche de six ou huit mille Rixdales payoit pour sa personne six Rixdales, pour sa femme 4. pour cha­que enfant 2. & une pour chaque do­mestique & ainsi des autres selon leurs moyens differens.

La fortification Schatt, est une Ta­xe, dont on se souviendra long-tems; iors qu'on la leva en 1691 on se servit de ces regles pour la faire payer. Tous les domestiques du Roy payoient 20. par cent des gages qu'ils recoivent an­nuellement. Tous les officiers de l'ar­mée à commencer par les Capitaines & ainsi au dessus payoient 30. par cent de leur paye, quoi qu'on eût ac coutumé de les exempter de pareilles Taxes. La Noblesse & les gentils-hommes payoient à proportion de leurs rangs & de leurs biens. Les plus hauts comme le Comte de Guldenleew &c. payoient de puis sept cents jus­qu'à mille Rixdales chacun, les bour­geois étoient Taxés selon leurs moyens [Page 109] differens. Les plus riches payoient, depuis cent jusqu'à quatre cens Rix­dales chacun: les mediocres mar­chants ayant vaillant six ou huit mil­le Rixdales en payoient 40. Un Apo­thicaire 66. Un marchand de vin 55. Les communs bourgeois huit ou dix chacun; les plus pauvres une ou deux & ainsi des autres. Cette Taxe là ra­porta autant qu'un autre apellée Kriegs-Sture que l'on imposa au com­mencement de la guerre, & elle mon­ta à environ sept cens mille Rixdales en tout; mais il est trés certain que le peuple ne peut pas la payer à present, & par consequent elle sera de beaucoup plus basse.

Lors que l'on parla de marier, la fille unique du Roy au present Electeur de Saxe on avoit eu intention de le­ver la Taxe du Mariage, & on l'au­roit effectivement levée en cas que le mariage eüt reüssi: mais à present on ne parle plus ni de l'un ni de l'autre, encore qu'il n'y ait aucun Royaume en Europe qui puisse se vanter, d'avoir une Princesse qui ait autant de meri­te.

Par tout cecy je ne doute point qu'un lecteur Anglois n'ait du degoût pour la Relation que je lui ai donnée des [Page 110] Taxes imposees sur les subjets du Roy de Danemarc; mais cela le doit beau­coup satisfaire, lors qu'il fera reflexion que par les bons reglements qui sont dans son Païs & par la prudence & la valeur de nótre Roy (encore que nous possedions dix fois plus d'avantages na­turels que les Danois, ce qui nous rend aussi dix fois plus riches) nous ne payons pas pour tout cela pour entreteni. la plus juste, & la plus necessaire guerre qui ait jamais été [...]aite, la troisieme partie a proportion de ce que les sujets du Roy de Danemarc payentdans une profon­de paix. Pax servier u [...]us gravior est, quam liberis bellum. Tacit. lib. An. 10.

Le second chef d'où procede la plus considerable partie du revenu du Roy, est la coútume ou la Taxe que payent les Etrangers. Ceux cy payent quelque chose d'avantage pour les marchan­dises qu'ils transportent que les gens du Païs ou bourgeois, & payent enco­re le droit d'auerage dedans les Ports.

Les Danois quand ils vont d'un de leurs propres ports dans un autre, payent quatre Sols par lest, & dix Sols des ports etrangers, au lieu que les na­vires etrangers en payent douze, mais ce qui est de plus grande impor­tance au Roy c'est la Taxe (que payent [Page 111] les Etrangers, excepté les Suedois, pour le passage du Sund) & les coûtu­mes de Norvegue. J'ay dans un autre endroit, donné un ample recit de l'o­rigine & du progrés de cette Taxe avec la copie d'une lettre, qui donne le calcul du revenu qui en procede à present; ainsi il ne sera pas besoin que je re [...]ete ce que j'ay de ja dit, je dirai seulement en general quelle est bien abaissée de ce quelle étoi [...] du temps de la derniers guerre lors que tout ce qui passoit payoit. Elle revenoit alors à 143000. Rixdales par an; dans les an­nées 1690, & 1691. elle ne menta pas à beaucoup plus de 65000 Rixdales, par où nous pouvons juger quelle a la mine de continuer. Cela appartient aux menus plaisirs du Roy, & ne pas­se pas par les mains du Thresorier.

Les revenus de Norvegue provien­nent principalement des dismes, du bois & du goudron, ou poisson & de l'huile, & des droits qu'ils en payent, ce qui étant acheté & transporté par les marchands etrangers, les sommes qui en reviennent dans les coffres du Roy leur restent deues.

Il est vray qu'il y à des Mines d'ar­gent & de fer, &, une de cuivre, mais elles sont de peu de valeur; l'Ex­cise [Page 112] & les autres Taxes sur les habi­tans sont de même qu'en Danemarc, lesquelles les habitans de Norvegue sont plus capables de payer à cause de leur trafic avec les Etrangers, quoy qu'il soit considerablement diminué depuis leur derniere querelle avec les Hollan­dois, qui la dessus abandonnerent le commerce qu'ils avoient avec eux & l'ont transféré pour quelque tems en Suede. Ces differens ont été à la veri­té ajustez du depuis, mais il est difficile de le remettre entierement dans son pre­mier état quand une fois il a pris un autre cours. Les Danois croyent que ni les Anglois ni les Hollandois ne peu­vent abandonner le trafic de Norve­gue à cause des Provisions navales qu'ils en tirent; mais si on se servoit bien à propos de nos plantages dans l'Ame­rique peut être seroient ils trompez.

Il ne sera pas hors de saison de fai­re icy mentiou, quoi qu'il soit en quel­que maniere éloigné du sujet que nous traitons, que justement auparavant la guerre d'apresent avec la France, les vaisseaux marchands apartenans à tous les Etats du Roy de Danemarc, se montoient selon le calcul que l'on en a fait à environ quatre cens, outre les petites barques qui apportoient du [Page 113] bois, &c. parce que leur nombre, avoit diminué presque des deux tiers dépuis trente ans. Mais à present depuis que le trafic de l'Europe a été en quelque façon entre les mains des Princes neutres, il ne peut pas étre au­trement que le nombre n'en soit con­siderablement augmenté depuis quatre ans, quoi qu'il ne vienne pas encore à ce qu'il a été autrefois. Pour finir l'article de la Norvegue, qui est divisée en Provinces Meridionales & Septen­trionales; le revenu des premieres se monte par an à environ cinq ou six cents mille Rixdales. Et celui des dernieres entre deux ou trois cens mille, ainfi le tout peut se monter communibus annis à 800000. Rixdales. Le compte le plus exact que je sache que l'on ait fait des navires marchands Anglois, Hol­landois, & François qui trafiquent en ce Pais en temps de paix, est celui-cy. D'Anglois, il en passoit au Sund par an, environ trois cents; de Hollandois, depuis mille jusqu'à onze cents, de François, depuis dix jusqu'à douze navi­res. Et de même à proportion, en Norvegue. Par où on peut aisement juger que le trafic de France ne doit pas entrer en paralelle avec celui d'Angleterre & de Hollande, non [Page 114] plus que l'Amitié; puisque le Roy de Danemarc doit une si grande partie de son revenu au deux derniers & si peu au premier.

La troisieme & la moins considera­ble partie du revenu, provient des rentes des terres qui appartienent à la Couronne, & des biens confisquez; les derniers sont entre les mains du Roy, ou par confiscation pour haute trahison, ou autres crimes; ou à cau­se des debtes, & pour n'avoir pas satis­fait au payement des Taxes. Et on doit supposer quelles croitront tous les jours à proportion de la pauvreté du Païs; puisque comme j'ai de-ja dit, plusieurs seroient bien a [...]ses de remettre plûtôt leurs biens entre les mains du Roy que de payer les Taxes qui leur sont ïmposées. Mais nonobstant cet­te adition de terres, le Roy est si loin d'en étre plus riche, qu'au contraire il en est plus pauvre; car dés lors que le Roy devient proprietaire des ter­res d'un particulier, tout aussi tôt les grandes peines & les grands soins que l'on avoit pris autrefois à les cultiver & à les faire raporter autant que l'on pouvoit, cessent. Et elles devienent presque desertes par la negligence on le peu de courage des fermiers. d'Or­dinaire [Page 115] elles devienent une forest, & contribuent à son divertissement mais luy aportent peu de revenu, & les maisons tombent en decadence.

Il en est de même des Palais Roy­aux, dont il y a beaucoup dans les ter­res qui apartienent a la Couronne & peu d'entre'ux, excepté Fridericksburg qui soient en état pour y loger, c'est pourquoi il est fort difficile de faire un juste calcul du revenu qui en revient par an; & ce qui en provient va presque tout au profit des Courtisans qui ont le gouvernement des maisons Royalles & qui sont les Super inten­dants de ses Pares, Forèts, & fer­mes, aussi bien que le service des Païsans & des Fermiers. Ainsi je croi que je compterois plùtòt trop que trop pèu, si j'en faisois monter le revenu annuel à 200000 Rixdales.

Je tâchai de sçavoir d'une person­ne exacte & intelligente à combien la Monnoye courante de ce Royaume se pouroit à peu prés monter, & elle me répondit en ces termes. Il est fort difficile de faire un calcul exact, de la monnoie courante de ces Royaumes, mais je suis assuré quelle se monte à peu & même pas à la centiéme partie d'Angle­terre, car excepté peu de gens, il ny a [Page 116] personne qui ait d'argent comptant, les marchands par les mains de qui il passe étant generalement des gens, sans fond endetez par dessus la tète à leurs Crean­niers à Amsterdam, & à Hambourg ne le reçoivent pas plûtôt qu'ils le paient. De plus l'argent comptant de la nation s'en va autant que les Officiers de l' Ar­mée qui sont etrangers en peuvent épargner de leur paye, ainsi il est transporté dans d'autres Païs; aussi bien que par ce que les Ministres d'Etat peuvent ramas­ser, car on observe qu'aucun, ou fort peu d'entr'eux achettent des terres, mais qu'ils placent leur argent dans les Ban­ques d'Amsterdam & d'Hambourg; d'avantage parce que le change emporte, car ce Païs icy consume plus de denrées étrangeres, que des siennes propres. Et tout cela me fait croire, qu'il y a icy fort peu d'argent comptant, & que la plus grande partie de celle qui court parmi le peuple etant d' Airain, cela est cuase qu'on ne la transporte pas ailleurs, comme aussi celle d'argent à cause qu'elle est me­lée de cuivre.

De tout cecy je conclus, qu'il est moralement impossible que ces Taxes & impôts puissent continuer. Le fardeau en est de-ja si pésant que les habitans ont plus tôt raison de soûhai­ter [Page 117] d'étre conquis que de deffendre leurs Païs, parce qu'ils ont peu du leur à perdre, & que probablement ils peuvent par là gagner au change, puis qu'il est presque impossible qu'il leur arrive pis. Apa [...]amment on s'en aperçoit à la Cour, c'est pourquoi on compte sur une armée composée d'Etrangers; voici l'inventaire du revenu.

Rixdales.
Doüane du passage du Sund
65000
Tout le reste des Taxes de Danemarc affermées à
16500
La Consumption ou l'Excise de Copenhague affermée à
140000
La Consomption dans le re­ste du Danemarc
140000
Petites Taxes en Danemarc
100000
Taxe par tête, la Taxe de
1000000
Fortification, Taxe sur les
1000000
fonds, Taxe sur le blé dur,
1000000
Tout le revenu de Norvege
700000
Le revenu du Roy & des terres de la Couronne
200000
Island affermé à
27000
Oldenbourg & Delmerhorst
80000
Doùane sur le Weser
5000
Feroe Groenlande &c.
0
en tout 2622000 Rixdales.

Il faut observer que la Taxe par tête [Page 118] & celle de Fortification ne sont ja­mais levées dans une même année, ain­si il faut rabatre de cette somme en­viron 400000 Rixdales au lieu d'une de ces Taxes, & alors le total de tout le revenu du Roy de Danemarc se montera par an à environ deux mil­lions deux cents vingt & deux mille Rixdales.

CHAPITRE X. De l'Armée, de la Flotte, & des Forteresses.

A Yant achevé touchant le revenu, je viens en premier lieu à montrer à quoy & comment on depence ces sommes là: & il est certain que la levée de cet argent là n'est pas plus à char­ge au peuple, que la raison pour la­quelle il est levé. Assavoir pour entretenir une grande armée sur pied tellement que le peuple contribüe à sa propre misere, & les bources des sujets sont épuisées pour les mettre en esclavage. Ainsi le Roy de France contraint les riches villes qu'il prend à bâtir des Citadelles à leurs frais pour les tenir en bride; & c'est ce maître [Page 119] de l'art de Regner, comme ses flateurs l'apellent, qui a'apris à la Cour de Da­nemarc aussi bien qu'aux autres Prin­ces & Etats de l'Europe, le pernicieux secret de rendre une partie du peu­ple le fleau, & la bride des autres, ce qui à l'avenir ne finira que par une desolation generalle.

Le Roy de Danemarc n'a été que le trop bon éleve d'un tel maître, & s'est éforcé d'exceder même son Origi­nal, dont il s'aperçoit bien aujourdhui à ses depens, en levant plus d'hom­mes que son Païs n'en peut entretenir. Les soldats sont, je ne sçay par quel­le politique trompeuse, estimez les ri­chesses des Rois du Nort, & des Prin­ces Allemans, car quand ils font en­tr'eux comparaison de leurs richesses, ils ne se servent pas de l'ancienne me­tode de calculer, ils ne parlent point de la fertilité ou de l'etendüe du ter­roir, du trafic, de l'industrie, de la quan­tité ou des Richesses, ou du peuple, mais seulement j'ay tant de Cavalerie, & tant d'Infanterie. Pour la subsi­stance desquels ils sont forcez, aprés qu'ils ont entierement mangé leurs su­jets, de se servir de cent cruels & inju­stes moyens pour ruiner leurs Voisins. Et quand ils ne peuvent pas accom­plir [Page 120] un si mechant projet de la manie­re qu'ils le soühaittent, ils sont alors contraints de fomenter des querelles entre de plus puissants Princes pour avoir une meilleure occasion de ven­dre aux uns & aux autres les Forces qu'ils ne peuvent entretenir eux mè­mes; tellement qu à present les sol­dats sont devenus aussi vendables que les autres marchandises, comme les brebis & les boeufs, & on les regarde à peu prés de même quand ils sont ven­dus; car pourvû que les officiers soient satis [...]aits de l'Acheteur, en leur donnant la liberté de piller dans leurs marches les laborieux & pauvres Paï­sants, ou s'il leur promêt un bon quar­tier d'Hyver avec permission de frauder leurs propres gens de leur paye, les soldats vont à la bouche­rie à l'exemple des bêtes, sans y étre portés par aucun sentiment d'a­mour pour la Patrie, la Religion ou la liberté, mais simplement par la crain­te d'étre pendus pour desertion. Cet­te pernicieuse coûtume des Princes d'e­stimer les soldats comme leurs seules veritables richesses a commencé, & a été établié par le Roy de France, & est enfin devenüe generalle, par le soin qu'il a pris de cultiver ce senti­ment [Page 121] dans l'esprit des Princes Alle­mans desquels il voit que les pauvres Païs seront bien tôt ruinez par ce moien; c'est à quoy il vise principale­ment, & il a mis les affaires à un tel point que la guerre & la destruction sont devenües absolument indispensa­bles: car comme les gens qui amassent des tresors croient n'en avoir jamais assez, ainsi ceux qui regardent les sol­dats comme leurs richesses, ne cessent jamais d'en accroitre le nombre jus­qu'à ce qu'ils sont forcez pour les faire fubsister, ou d'en venir aux mains avec leurs voisins, ou de faire naitre des animositez entre les autres Princes pour trouver le moyen d'étre emplo­yez & d'en recevoir de l'argent en s'in­teressant dans leurs querelles; quelle sera la fin de cela Dieu le sçait, & est le seul qui puisse prevenir les mal­heurs apparents dont nous som­mes menacez assavoir la misere uni­verselle & le saccagement de l'Euro­pe. Car puisque cela est pratiqué si generalement; nous ne voyons aucun de ces Rois ou Princes quoyque doûés d'un esprit plus paisible & plus paci­fique que les autres, qui ose comm [...] ­cer à mettre bas les armes, [...] crainte que ses voisins armez qu [...] [...] [...]a [...] [Page 122] se de leurs besoins, sont toûjours au­guet pour trouver l'occasion de rom­ber sur celuy qui peut faire le moins de resistance, ne l'attaquent & n'envahis­sent ses Etats. Et ce n'est pas la une des moindres miseres que la France ait imposées à toute la terre aiant reduit tous les Princes & toutes les Republi­ques qui y sont à faire ce méchant choix, assavoir ou de se soûmettre à un joug étranger insuportable, ou a nou­fir chez eux des viperes pour devorer leur propres entrailles. Mais les con­sequences de ces injustes pratiques ont été plus pernicieuses au Danemarc qu'à la France qui lui a servi d'exem­ple, le crapaut peut imiter le beuf & s'enfler, mais il crevera plût [...]t que de devenir aussi gros que lui; l'un est dans le chemin de s'agrandir par sa Tyran­nie, mais l'autre n'ayant pas bien fait le calcul de ses forces qui ne sont en rien proportionnées à son ambition n'a jamais jusqu'icy prosperé en aucune chose qu'il ait entrepris sur ses voisins. Hambourg est enco [...]e à l'heure qu'il est une ville franche, & le Duc de Hol­stein est fetabli dans ses Etats: au­lieu que Schonen, Halland, Bleking & Yempterland demeurent en la possession des Suedois qui en prenan [...] [Page 123] les armes pour leur propre deffence, ont eu le bonheur de se vanger de l'in­jure qu'on leur avoit faite, & les Da­nois sont contraints d'aquiescer à la perte de leur meilleures Provinces sans aucune esperence raisonnable de les jamais recouvrer.

Liste de la Cavalerie & de l'Infan­terie qui est au service du Roy de Dane­marc, & qui apartenoit particulie­rement au Danemarc, au Hol­stein, & à Oldenbourg.

Cavalerie.
Hommes
Le Regiment des Guardes Danoises consistant en six Compagnies 75 hommes à chacune, Lieutenant Ge­neral Pless Colonel, avec tous les Officiers, en tout
500
Le Regiment des Guardes de Holstein, consistant en neuf Compagnies, à 50 hommes par Compagnie avoc les Offi­ciers, Col. Bass. en tout
450
Le Regiment du Colonel Berens­dorf néuf Compagnies.
450
Le Regi­ment du
Colonel Iean Rantzaw, neuf Compagnies
450
Colonel Rave neuf Compagnies
450
Colonel Swanwedle neuf Compagnies
450
Colonel Bassum neuf Compagnies
450
Colonel Nemerfon neuf Compagnies
450
Colonel Hulst neuf Companies
450
Colonel Sturk neuf Compagnies
450
Colonel Otto Rantzaw neuf Compagnies
450
Colonel Gant neuf Compagnies.
450
en tout 5450.
Dragons.
hommes
*Baron Liondale Colonel
500
Colonel Bée
500
Colonel Habercas
500
en tout 1500
hommes
*Le Regiment des guardes de Monsieur le Duc de Wirtem­berg Colonel
1400
Le Regiment de la Reine, Co­lonel Passau
1200
Le Regiment du Prince Royal, Colonel Crage
1200
Le Regiment du Prince George, Comte Alefeldt Colonel
1100
Le Regiment du Prince Chrêtien, Brigadier Elemberg Colonel
1000
Le Regiment de Zealand, Colo­nel Tramp
1200
Le Regiment de Funen, Colo­nel Browne
1100
Le Regiment du Lieutenant Ge­neral Schachs'
1800
Le Regiment de Lamsdorf
1200
Le Regiment de Curlandois, Co­lonel Pottcamer
1000
Le Regiment de la Marine Co­lonel Gersdorf
1000
Le Regiment d'Oldembourg Co­lonel Bieulo
2000
en tout 15200

[Page 126]Il faut sçavoir qu'en vertu du Traité sait avec l'Empereur, on a envoyé de­puis peu en Hongrie une partie des Regi­ments ci devant mentionnés comman­dez par Colonel Rantzaw Assavoir.

Un Bataillon du Regiment du Lieu­tenant General Schach.

Un Bataillon du Regiment du Co­lonel Pottcamer.

Un Regiment de Cavalerie, ôté à ee dernier Colonel, & donné à un cer­tain Colonel Wyer.

Le Regiment de Dragons du Colo­nel Bée, qui peut étre rabatu en fai­sant l'adition du Total.

Fusiliers, Canoniers, & Bombar­diers en Danemarc, Norvegue, & en Holstein &c.

en tout 1800 hommes

l'Infanterie. 17000 hommes.

Liste des Forces en Norvegue.
Un Regiment de Ca­valerie consistant en neuf Compagnies, commandé par Co­lonel Rechle.
456 hommes.
Uu Regiment de Dragons Com­mandé par Colonel Mar echal
800
[Page 127]Le Regiment de Bergen Colonel Ed. Keu
1200
Le Regiment d' Aggerhuy Colo­nel Housman
1000
Le Regiment de Smaland Briga­dier Tristaw
1000
Le Regiment d'Upland, Colonel Brockenhuisen.
1000
Le Regiment d'Westland, Col. 1000 Arnauld.
1100
Le Regiment de Drontheim Col. Schuts.
1200
Deux nouveaux Regiments, l'un commandé par Colonel Bu­nemberg, & l'autre par,,,,
2000
Un Regiment de Marine.
600
Deux Compagnies franches com­mendées par Dromheim.
200
En tout
9300
Troupes de reserve.
5000

Ces reserves sont celles qui ne reçoi­vent point de paye en tems de Paix, mais sont comme nos milices; on leur donne seulement des habits une fois en deux ans, elles sont obligées de s'assembler, & de faire l'Exercice tous les Dimanches s'il fait beau tems.

Tellement que les Forces de terre [Page 128] du Roy de Danemarc consistant en Cavallerie & Dragons dans le Dan­nemarc & dans le Holstein &c.

Hommes,
Se montent à
6950
Infanterie dans les mêmes lieux
17000
Cavallerie & Infanterie en Nor­wegue, en y rensermant les Troupes de reserve se mon­tent à
14300
en tout
36506

Mais si vous ôtez les Troupes de re­serve avec environ deux mille cinq cents hommes, qui furent en voyez en Hongrie, le tout se montera (outre les Oficiers d'Infanterie à 32006 hommes.

Ce qu'on apelloit un grand regiment d'Infanterie, avant que les bataillons en fussent tirez pour aller au service du Roy d'Angleterre consistoit en 19 Compagnies, ils seront de même quand ces forces là retourneront en Dane­marc. Il y en avoit beaucoup d'avau­vantage dans les Gardes.

La Paye d'un de ces grands Regi­ments d'Infanterie se monte à 90000 Rixdales par an, de cette maniere.

  Rd. S.
La Paye d'un Capitaine par mois est 20 00
Deux Lieutenants un chacun 22 00
  • Trois Serg: Un Fourier paye 4 Rd. à chacun 18.32.
  • Trois Serg: Un Fourier paye 32 S. en tout 18.32.
Trois Corporaux, paye & pain 3 Rd. 32 S.
Chacun 11 00
Deux Charpentiers 3. Rd. 8. f. chacun 44-16.
Dix Gefreiders 3. Rd. 8. f. chacun 44-16.
Deux Tambours 3. Rd. 8. f. chacun 44-16.
88. Soldats à 2 Rd. 32 fols cha­cun 234-32
  350 32
Pour dix-neuf Compagnies 6662 32
Les Grenadiers ont la moitié d'une R d. plus que les autres Soldats 54 24
Cela fait par mois 6717 08
Et par an 80606 00
  Rd. Sr.
Chaque Capitaine a par moisses recrües 8. Rd. qui pour neuf Compa­gnies se monte à 1824 00
Le Colonel a plus de paye par mois que ses Capi­taines. 30 Rd. & dans un an 1680 00
Deux Lieutenans    
Colonels par mois 40 [Page 130] Rd.    
Deux Majors par mois ont plus 20 Rd. & dans un an 1680 00
Et les cinq Ensei­gnes du Regi­ment. 50 & dans un an 1680 00
en tour par mois 140.    
en tout 84110 00

Le reste des 90 mille Rixdales s'en va pour les autres Officiers comme l'Auditeur, le Marechal de Logis, le Chirurgien, en poudre, Balles & au­tres depences necessairies

Le simple Soldat ne reçoit que 17. sols par semaine, re reste s'en va en pain, en logement, & en habits qu'on leur donne de trois en trois ans depuis les pieds jusqu'à la tête, assa­voir des souliers, des bas, des haude­chauses, une chemise, & une cravate, il leur est permis de travailler où ils sont en quartier, mais alors pendant certe permission leurs Officiers reçoi­vent tout le benefice de leur paye.

Quant à l'Infanterie les Officiers & les soldars sont la plus part étran­gers, de tous pais les quels on a choi­sis ou qui sont venus là par hasard, assavoir des Allemans, Polonois, Cour­landois, [Page 131] Hollandois, Suedois, Ecos­sois, Irlandois, & de tems en tems quelques Matelots Anglois, qu'ils ont enivré aprés un long voyage, & les ont porté (par belles promesses) étant sous-à prendre l'argent du Roy.

Les Habirans naturels du pais, par leur temperamment abatu ne sont pas propres à servir de soldats; & qui plus est, leurs Hôtes dont ils sont les es­claves les peuvent empêcher d'entrer au service du Roy, & les redeman­der s'ils s'y engageoient, comme on l'a vû souvent pratiquer, pour éviter la misere chez eux & pour changer un esclavage pour un autre.

Les Officiers de Cavalerie ne re­çoivent pas plus de paye en tems de Paix que ceux d'Infanterie; les Ca­valiers qui sont d'ordinaire les natu­rels du païs, sont tous maintenus par le Païsan qui est obligé de leur don­ner à boire, à manger & le loge­ment aussibien qu'a leurs chevaux &c. Et avec cela la valeur de six chelins ster­ling par mois, dont la moitié va au Colonel pour la remonte.

Les Dragons sont un peu en meil­leur état parce qu'ils ne sont pas obli­gez d'entretenir de chevaux excepté en tems de guerre, outre qu'en Hol­stein [Page 132] ils ont plus de paye qu'en Dane­marc.

En Norvegue les Forces côutent beaucoup plus que par tout ailleurs, car excepté la paye des Officiers, & les habits des Soldats on ne depence pas beaucoup d'argent, chaque Sol­dat ayant quartier franc chez tous les Païsans; on doit remarquer que les Officiers de l'armée sont pour la plus part en arrerages de quatorze ou dix­huit mois de paye, tellement que la meilleure partie de leur subsistance vient de l'argent des Soldats.

Les noms des Officiers Generaux.

Lieutenants Generaux.
  • Le Comte Wedel Marechal.
  • Le Comte de Guldenlew Viceroy de Norvegue.
  • Le duc de Wirtemberg.
  • Le Commandant Schach.
  • Monsieur Plessen de la Cavalerie.
  • Monsieur Dumeny.
Majors Generaux.
  • Monsr: de Carmailon.
  • Monsr: de Maspac de la Cavalerie.
  • Le Maitre de l'Artillerie est Colonel Monck.
  • [Page 133]En voilà assez touchant les forces de tetre, je m'en vai parler ensuite des Maritimes.

Les noms des Amiraux sont.

  • Amiral General Mr. Juel.
  • Vice-Amiral Bielk.
  • Vice-Amiral Spaan.
  • Vice-Amiral Gedde.
  • Contre-Amiral Hoppe.
  • Contre-Amiral van Stucken.

Il y a trois mille matelots entrenus & payés regulierement, qui ne vont point en mer qu'en temps de guerre, mais on leur alloüe quelque petit argent & toûjours par semaine une petite pro­vision de viande sallée, de Pois­son sec, de farine & de grüau & on leur donne cela hors des magazins publics pour leur subsistance, & celle de leurs familles; outre cela ils ont plusieurs rües avec de petites maisons comme des Baraques regulierement bâties pour eux, par le Roy Chrêtien IV. à l'entrée de Copenhague au de­dans des Ouvrages, où ils ne payent point de loüage, & où ils laissent leurs femmes & leurs enfans quand ils vont en mer. Leur affaire entemps de Paix est de travailler à la Holme. Qui est [Page 134] une grande Cour avec des chantiers pour bâtir les navires vis-à vis du Pa­lais Royal à Copenhague; là on les em­ploye tour à tour à tous les rudes tra­vaux qui regardent la construction des navires, à remüer le Canon, les An­cres, les Cables & à remuer le bois de Charpente; & cette fatigue est estimée si grande que les plus grands Crimi­nels sont d'ordinaire condannez à tra­vailler à cette Holme pour tant d'an­nées, ou pour toute leur vie selon la na­ture du crime une fois par an generale­ment, afin de les exercer à l'equipage de quelques navires de guerre & de leurs Canons &c. Et on les tire hors du Port pour faire voile de côté ou d'au­tre depuis là & Elsignor pendant trois ou quatre semaines ou plus long-temps selon que le vent favorable re­gne. La paye de ces matelots en argent n'est que 8. Rixdales par an à chacun, & toute petite qu'elle est on la paye si mal, que souvent ils se sont mutinés depuis ces derniers années, faute de la reçevoir, & ont même assiégé le Roy dans son Palais jusqu'à ce qu'on a [...]t puni exemplairement les principaux Mutins; on leur doit ordinairement une demie année d'arrerages & souvent d'avantage, ce qu'ils supportent d'au­mieux [Page 135] quils ont leur subsistance de provisions par semaine encore que cela soit fort peu, pour ceux patticu­lierement qui ont beaucoup d'enfans à nourir.

Les meilleurs matelots que le Roy de Danemarc ait sont les Norvegiens, mais la plus part sont dans le service des Hollandois, & ont leurs familles établies en Hollande, d'où il y a fort peu d'aparence qu'ils revienent jamais, excepté que les Hollandois les traitent plus mal ou que lés Danois en agissent mieux qu'ils n'ont fait jusqu' icy, car les provisions navalles des Danois sont d'ordinaire fort mauvaises.

Tous les Officiers de la flotte re­çoivent regulierement la paye en temps de paix comme en temps de guerre, ce qui sait qu'ils sont moins enclins à piller que ceux qui se servent du temps court qu'ils ont à étre en Co­mission pour s'enrichir aussi vite qu'ils peuvent.

Liste de la Flotte du Roy de Dane­marc.

Navires. Canons Hommes
Le Christianus Quintus 100 650
Navires Canons Hommes
Le Prince Frederick 84 600
L'Elephant 84 600
Les trois Couronnes 84 600
Le Lion de Norvegue 84 600
Le Prince George 82 600
Le Prince Cour 82 590
Le Mercure 76 510
Le Mars 76 500
Les trois Lions 70 490
Le Plongeon 70 490
La Charlote Amelie 68 480
L'Anne Sophie 66 470
Le Cigne 66 470
Le Chrêtien IV. 64 430
Le Frederik III. 56 400
Le Guldenlew 56 390
Le Christiania 58 390
L'Oldenbourg 56 360
Le Lintworm 49 330
Le Sleswick 42 300
Le Fero 54 380
L'Ange 52 300
Le Delmenhorst 50 300
Le Faucon de Suede 48 250
Le Neptune 46 220
Le Trident 44 210
Le Sauteur 42 200
Le Hummer 34 160
La Sirene Danoise 30 140
Le Dragon 28 140
Navires Canons Hommes
Le Faucon Blarce 26 120
Petits Vaisseaux & Galiottes.    
Le Tigre.    
L'Elefant neuf un Yacht.    
Le Phoenix Gallere.    
La Pucelle.    
Le Pacan.    
Le petit Elephant un Yacht.    
Le Swermer.    
Le Singe.    
Il n'y a point de Brulots.    
En tout 32. Navires, 1927. Ca­nons, & 12670. Hommes.

On a jamais mis en mer cette Flotte ainsi equipée, mais c'est le calcul que les Danois font de leurs Forces ma­times, tant-y-a voilà ce qu'ils disent qu'ils peuvent mettre en mer en cas de necessité.

Quelques uns de ces plus grands Na­vires tirent plus d'eau à la Poupe qu'au devant de cinq ou 6. pieds.

Ce qui marque que la quille n'est pas droite; leurs mâts ne sont pas genera­lement si hauts que les nôtres & parois­sent plus pésants, je les crois plus pro­pres pour la mer Baltique que pour l'Occean, si nous en exceptous les navires qui croisent & quelques vais­seaux [Page 138] qui servent de convoi à leurs Na­vires Marchans fretez pour Fran­ce, Espagne & Portugal.

Forteresses apartenantes au Roy de Danemarc.

Dans Bornbolm Ile tres fertile dans la mer Baltique, qui est de toutes celles qui appartienent au Roy de Danemarc la plus proche de Suede, il y a deux Forts; l'un est un vieux Château, l'autre est une citadelle for­tifiée à la moderne, & qui com­mande le chemin de l'Ile apellée Roena. Elle fut finie en l'an 1689, elle a de bons Bastions & des ouvrages de dehors.

Christian's Oye environ sept milles d'Angleterre au Nort de Bornbolm, étant un nombre de petites Iles qui renferment un bon havre pour 30 Vaisseaux, la plus grande qui est en forme de croissant est bien fortifiée.

Dans l'Ile appellé Mune, à Stege qui est une petite Ville il y a un vieux Château de peu de defence où il y a garnison.

Dans Laland ce qui paroît étre un peu fort, est la Ville de Naxkew, & un vieux Château apellé Allholm; [Page 139] mais qui n'est d'aucune defence.

En Zéeland premierement la Ville de Copenhague est bien fortifieé, mais les ouvrages sont de gazon, en second lieu le Chateau de Crone [...]berg proche d'Elsingor qui est presque achevé est facé de briques, cet un lieu bien fortifié mais irregulierement. En troisieme lieu Corsoer, qui est une pe­tite Fortification de gazon vis a vis de Funen.

Dans Funen la Ville de Nyburg est assez bien fortifiée du côté de la mer, mais du côté de la terre les ouvrages en sont ruinez.

Dans le Holstein il y a premierement Gluestad, Ville tres bien fortifiée sur la Riviere d'Elbe qui a cause qu'elle est voisine de Hambourg est bien en­tretenüe; en second lieu Cremp Ville à environ trois milles d'Angle­terre de celle-ci, proche la riviere Stoer n'est pas bien reparé; en troi­sieme lieu Hiltar Scance dessus une Ile environ à douze milles d'Angle­terre de Hambourg: en quatriéme lieu Rendsbourg sur la Frontiere, entre Holstein & Sleswick sur la Riviere Ei­der, on augmente à present cette pla­ce & on travaille à facer de briques les Boulevars & les ouvrages de de­hors. [Page 140] Ce sera une fortification royal­le, & la place la plus considerable que le Roy de Danemarc ait tant pour sa force que pour sa situation. En cinquieme lieu Christians Priza ou Fredericks Ort, car elle a deux noms située à l'entrée du havre de la Ville de Kiel sur la Mer Baltique, elle est commandée par une Montagne, qui n'en est éloignée que de cent douze Roods, & chaque Rood contient douze arpens & demi.

En Iutland, il y a premierement Fredericia Ville fort bien fortifiée, étant le passage du petit Belt. Se­condement Hall. petite forteresse au Nort de l'entrée de la Riviere qui va à Alburg. 30. à Flat strand vingt milles d'Angleterre au midi de la pointe de Scagen, il y a Schance qui est un petit fort pour la defence du havre.

Au midi du Cap du Nort de Lap­land il y a un Fort avec six bastions apellé Wardhuys. Et en Norwegue il y a premierement Drontheim Ville gardée du côté de la Mer par un fort château apellé Monkholm, où Mon­sieur Griffenfelt est à present en prison gardé étroitement, & du côté de la terre par une forte citadelle; en se­cond lieu Bergen Place tres forte du [Page 141] còté de la mer, & environnée de hautes montagnes qui la rendent inac­cessible par terre, c'étoit là que la Flote Hollandoise des Indes Orienta­les se mit à couvert, quand la Flotte Angloise commandée par le Comte de Sandwich l'attaqua sans reüssite. Les Danois avoient donné leur parole qu'ils la livreroient entre leurs mains, mais quelques presents faits à tems par les Hollandois à la Cour, prevalu rent, ce qui fut cause de leur salut & de nôtre infortune. en 4. lieu il y a Christiana la Capitale de Norwe­gue qui a une forte Citadelle. En 5. lieu Larwick qui est fort legere­ment fortifiée; en 6. lieu Frederick­stad, place qui a de bons ouvrages mais mal fondée. En 7. lieu le Cha­teau de Wingar qui est un passage sur les Frontieres de Norwegue; en 8. lieu Frederick's Hall place bien for­tifiée, mais trop commandée par une montagne qui n'en est qu'à cent * Roods. En 9. lieu un Fort à Fler­kero proche de la Ville de Christian­sand.

Dans les Indes Orientales le Roy a une petite forteresse apellée Fran­quebar sur les côtes de Coromandel. [Page 142] En Guinée un autre apellée Chri­stiansburg, & une troisieme dans l'Ile de St. Thomas en Amerique la­qu'elle commande les bons ports de ce Païs là & où les navires se retnent pen­dant la saison des ouragans.

On peut aisement juger qu'une te'le Armée & une telle flotte, avec tant de Porteresses ne peuvent étre entre­tenües comme il faut sans avoir bon­ne bource. Le dernier Chapitre don­ne un compte exact du Revenu. Et par là vous pouvés juger des depences de la Guerre, il y en a encore beaucoup d'autres outre celles-cy, comme l'entre­tien de la Cour, des enfans du Roy, des Ministres d'Etat &c. Je laisse à ceux qui sçavent bien l'Arithmetique de juger si le Revenu est proportionné à la depence & s'il suffiroit sans le se­cours de l'argent étranger.

CHAPITRE XI. De la Cour.

SOus ce chef, je comprens le Roy, la Reine, la famille Royalle, les Mi­nistres d'Etat, les Chevaliers de l'Or­dre de l'Elephant & de Dannebrug avec les auties Principaux Officiers de [Page 143] la Cour. Ch [...]êtien V. à present Roy de Danemarc est d'une mediocre taille, plùtôt maigre que corpulent, neanmoins bien proportionné, & d'u­ne complexion robuste, il a le temt sanguin, & porte [...]ne peruq [...]e no [...]re, les traits du bas du visage ressemblent un peu [...] ceux de Charles II Roy d'Angleterre. Ila été d'un temperam­ment capable de souffrir toutes de fati­ques jusques à ce que dans ces dernieres années ayant eü quelques accez de Goutte il crût qu'il vaudroit mieux s'abstenir d'exercices capables d'alterer sa santé, particulierement dans un tems de paix où il n'y avoit point de necessi­té pressente qui l'engagea à se fatiguer quoyque s'il étoit necessaire il le feroit encore fort aisement. Il a commencé à regner en l'an quarante six de son age le 15. d'Avril 1692. Il porte ordi­nairement un habit fort modeste mais fort propre, il ne porte presque jamais de chapeau n'y de gans lors qu'il est en Cour, mais bien une bonne epée ceinte à son côté.

Pour ce qui est de son naturel c'est un Prince doux, bon, affable & mode­ré si vous considerés l'humeur du Païs, il n'est point adonné au Luxe, au boire, ni au manger, & depuis ces [Page 244] dernieres années il a fait fort peu de de­bauches. Il n'a pas eû beaucoup de Maitresses, & celles qu'il a ûes il les a aimées long-temps. Il a de la Reli­gion autant qu'un Prince en doit avoir, sans étre prevenu à l'egard de son Cler­gé quoi qu'il semble que les Ecclesia­stiques l'adorent; de lui même il ai­me la justice & la moderation, mais il se laisse souvent gouverner par ceux qui sont auprés de lui, à qui il laisse la conduite entiere des affaires, par ce qu'il ne les aime pas, n'y n'en a pas le ge­nie. Il parle peu excepté à ses Ministres ou plus grands fovoris, neanmoins il ordonne à des gens d'entretenir les étrangers. Et quelquefois par un sou­ris obligeant les enhardit de s'apro­cher de lui. Il parle trois langues ou­tre la sienne propre, le haut & bas Al­leman & la Françoise, & s'en sert aisement quand il est necessaire; il n'a pas été élevé dans les Sciences, mais il prent pourtant beaucoup de plaisir à la Geographie, & on ne lui fait jamais plus de plaisir que quand on lui apor­te quelques Cartes Geographiques nou­velles, ou le plan de quelque place for­te. Il est vaillant & intrepide dont il a souvent donné des marques dans les dernieres guerres de Suede, mais il [Page 145] se repose de la plus grande partie de la condu [...]te de son armée sur ses Gene­raux, ne se fiant pas à son propre genie soit dans l'action ou dans les Nego­tiations; quoique selon toutes les apa­rances la grandeur de son courage dans l'un, & sa sincerité dans l'autre pro­duiroient de meilleurs effets, s'il se sioit plus à lui même & moins aux au­tres. Enfin c'est un Prince fort doux & debonaire, plûtôt aimé que respe­cté de son peuple, quisçait que si l'etat present de son Gouvernement, étoit accompagné d'un Prince qui sust severe cela seroit tout-a-sait insuportable. Il porte au bas de ses armes & au tour de son chifre cette Devise. Pietate & Iu­stitia. Et ses sujets croyent effective­ment qu'il n'a point d'autre inclina­tion que celle de conserver ces deux choses, & que tous les maux qu'ils souffrent ne viennent que de ses Mi­nistres. C'est pourquoy ses sujets se plaignent plûtôt de la permission qu'il donne que de ce qu'il fait lui même, & attribuent tous leurs malheurs à la facilité de son temperamment, & au malheureux établissement des Loix, qu'il ne reforme point par les avanta­ges qu'il à reçûs de son education.

La Reine, qui s'appelle Charlotte [Page 146] Amelie, est une Princesse qui merite qu'on en fasse mention avec tout l'honneur & le respect possible quand même elle ne seroit pas de la haute qualité dont elle est. Elle est blonde & de belle taille, son tein est flegmatique & sanguin, & encore qu'elle soit dans la 41. année de son age, elle est toû­jours belle, sa demarche est fort enga­geante, elle est de plus affable & li­bre, ses grandes perfections lui gagnent le coeur de ses sujets, encore que sa Religion soit differente de la leur, & ferment la bouche aux Luteriens Bigots, qui pouroient étre assez har­dis que de s'ecrier contre elle, si sa vie irreprochable ne la métoit pas au dessus de leur malice. Ils ont atten­té plusieurs fois à la dégouter de la Religion Calviniste, mais elle les a jusqu'icy frustrez de leurs esperan­ces & ne la pas seulement suivie elle même mais aussi protegé la petite Eglise Françoise Protestante, (qu'el­le a par sa bonté fondée, fait subsi­ster & entretenüe par sa liberalité) contre tous les assauts que des per­sonnes d'authorité avoient attenté contre elle. Et elle reussit avec suc­cez, par une prudente complaisance qu'elle a pour le Roy dans les cho­ses [Page 147] indiferentes, allant souvent avec lui au service & aux sermons des Luthe­riens; ne montrant pas seulement par là la bonne opinion qu'elle a pour le service public qui a été établi mais cela est aussi cause qu'elle va plus li­brement toutes les aprés midi en­tendre les Ministres François dans son Eglise. Elle est le Refuge ordinaire des personnes qui sont dans l'adversi­té qui en s'aprochant d'elle, ne man­quent jamais d'obtenir ce qu'ils de­mandent. Elle n'est pas de difficile accez; elle previent souvent ceux qui sont dans la necessité & fait des cha­ritez devant qu'on l'en ait recherchée. Enfin elle est soeur du Land-Grave de Hesse-Cassel d'apresent, soeur digne d'un tel frere & de l'illustre famille dont elle est sortie.

Le Roy de Danemarc a cinq en­fans, quatre Princes, & une Princes­se, le Prince Frederik qui est l'ai­né qui est aussi apellé le Prince Royal a environ 20. ans; Il seroit à soûhai­ter que son education eût été plus conforme à sa qualité, car son pre­mier Gouverneur étant un peu Pedant, luy avoit inspiré une certaine manie­re d'agir contrainte, à quoy plusieurs qui ont accoutumé de juger par les apa­rences [Page 148] externes, donnoient une mau­vaise explication en l'apellant orgeüil & vanité. Le Prince Chrêtien son segond fils a environ dix huit ans & est d'un temperament plus vif & plus affable qué son frere ainé, il est aussi plus grand & plus ro­buste; il aime beaucoup la chasse & à monter à l'Academie, il ne soûpire aprés autre chose qu'à se voir & se montrer dans le monde. Le Prince Charles qui est le troisieme à environ neuf ans, & le quatrieme qui est le Prince Guillaume environ six: le premier de ces deux là est un enfant fort avancé & qui promēt beaucoup, le dernier ne bouge encore de la chambre de la nourice, tellement que l'on n'en peut rien dire. La Princesse..... a environ seize ans dont la beauté parfaite, le doux tenperament & [...]a belle education rendent sans pa­reille; Ile a été accordée à l'Electeur de Saxe son propie cousin germain, mais quelques affaires secretes ont en­pêché le Mariage de s'accomplir.

Le Roy outre ceux-cy a eû deux Fis naturels de Madame Mote Fille d'un Bourgeois de Copenhague, qu'il a faite Comtesse de Samsoe qui est une Ile qu'il lui a donnée, de plus, selon [Page 149] que l'on raporte pour certain, il luy en­voye tous les samedi au soir mille Rix­dales, Messieurs ses jeunes enfans sont fort beaux & promettent beaucoup; l'ainé est en France dans le service où il a un Regiment de Cavalerie, il se nomme le Jeune Guldenlew, pour le distinguer de l'ainé qui est Viceroy de Norvegue, le Roy lui donne le re­venu du Bureau de la Poste. Ce nom de Guldenlew est aproprié aux Fils na­turels des Rois. Je ne sçay pas s'il [...]a commen [...]é par le present Viceroy de Norvegue, mais il'y a apparence qu'on le conservera toûjours, car un Jeune Guldenlew est aussi necessaire à l'or­nement de la Cour, qu'un heritier de la Couronne.

Le segond sils du Roy de la Com­tesse de Sunsoe est destiné pour la mer, & pour cela il a été envoyé dans plusieurs Voyages sur un Navi­re de Guerre, sous le gouvernement d'unc personne en qui on se fie, afin de le rendre capable d'étre un jour Ami­ral General.

Sa Haute Excellence, le Comte de Guldenlew Viceroy de Norvegue & frere naturel du Roy sera mieux place icy pour en parler, comme étant de la famille Royalle que quand nous vien­drons [Page 150] à parler des Ministres. Car encore qu'il en soit un, neantmoins il ne se soucie pas de s'embarquer fort avant dans les affaires publiques, s'étant autrefois brulé les doits dans quelque rencontre. Il se croit plus sage de joüir plûtôt de ses divertisse­mens, & de la faveur du Roy, qu'il possede à present entierement. Son Pere le Roy Frederic l'aimoit tant qu'il pensa un jour le faire Roy de Nor­vegue, dont on s'est souvenu à sa per­se, ce qui l'oblige de se comporter, avec une grande exactitude, sous un Gouvernement aussi arbitraire que ce­lui-ci. Il est agé d'environ cinquante & six ans, il a été un des plus beaux & continue toûjours à étre, un des Gentils hommes le mieux fait que ja­mais le Danemarc ait produit, ayant ajoûté à ses perfections naturelles tous les avantages de ses Voyages & la connoissance du beau monde. Il est homme de plaisir, & entent á rafiner sur toutes choses, son Palais, ses Jardins, & ses Festins surpassent de beaucoup tout ce qui se peut trouver dans le Royau­me. Il a été autrefois Ambassadeur ex­traordinaire de la part de son pere Fre­deric auprés du Roy Charles II. qui conçeut une telle estime pour lui, [Page 151] qu'il le fit compagnon de ses plaisirs, & il marque tant de gratitude des bontez qu'il a reçeües de ce Prince, qu'à peine jamais prononcé-t-il son nom sans se sentir fort touché.

Il parle un pen Anglois, & est fort obligeant à tous ceux de ce païs là en re­connoissance des grandes civilités qu'il y a reçües. Pour ce qui est de la pompe & de la magnificence, la Cour du Roy de Dannemarc peut à peine étre apellée Royalle, le luxe & l'extravagance des Cours les plus meridionalles de l'Europe, n'ayant pas atteint si loin dans le Nort non plus que leur richesses. A la verité depuis que les Danois ont eu une si bonne correspondance avec la France, leur conduite, s'est un peu plus rafi­née qu'elle n'étoit. Ils affectent les modes de France, d'avoir des Do­mestiques François, aussi bien que des Officiers, dont ils ont un Lieutenant General & un Major General, qui sont sortis de France pour s'étre ba­tus en düel; ou cela est effectivement vrai, ou tout au moins le pretexte de ceux qui cherchent de l'emploi dans les Païs étrangers, exprés pour faire les affaires de la France, dont ils [Page 152] cultivent toûjours adroitement l'in­terêt, quoi qu'il semble qu'ils soient disgraciez du Roy.

Il ne paroît aucune marque de Majesté dans cette Cour, quelque so­lemnelle que soit l'occasion excepté celles que l'on voit à la guerre, tout ce que peut fournir une Armée sur pié, comme guardes à pié & à che­val Trabans qui sont comme nos man­geurs de boeuf roti, Timbales, Tambours & Trompettes &c. sont tous les jours en usage comme dans un Camp. Mais des marques de Paix assavoir l'epée de l'Etat, des He­rauts, des Masses, des Bources da Chancelier, ne sont point connües.

Le Roy dine avec la Reine, ses enfans & ses parens, ses premiers Ministres & Officiers Generaux de l'armée, jusqu'à ce que la table ronde soit pleine. La Mareschausée invite qui elle veut à díner avec le Roy, & parle quelque fois à l'un, quelque fois à l'autre, afin que chacun ait sa part de cet honneur. Un page en livrée prie Dieu devant & aprés le repas. Car on ne sçait ici ce que c'est qu'un Chapelain, ni dans aucune des Cours étrangeres qui sont Protestan­tes, excepté dans la chaire. Il y a [Page 153] une table bien garnie, mais les mêts y sont aptetés à leur mode. La vian­de que le Roy aime le mieux est une longe de veau rotie, & sa boisson du vin de Rhin, dont on remplit un grand gobelet d'argent, que l'on mêt sur l'assiette d'un chacun, & qui sert d'ordinaire ponr tout le repas. Ceux qui servent, sont un ou deux Gentils-hommes, & les autres sont des Do­mestiques avec la livrée; la ceremo­nie de se mettre à genous devant le Roy n'est point en ufage. Les Tim­bales & les Trompettes qui sont ran­gées dans un endroit spacieux au de­vant du palais, proclament à haute voix l'instant qu'il se mêt à table; le Dimanche est son jour de jeune, & à son exemple il devient celui des Courtisans.

Le tems de faire sa Cour, où ceux qui ont quelques affaires peuvent le plus aisement avoir audience, est toû­jours une heure devant diner, & quelque fois devant souper; dans ce tems là enfans du Roy, les Mi­nistres étrangers & Domestiques, les Officiers de l'armee & de la maison du Roy, paroissent dans l'anticham­bre, ou dans la chambre du lit. Ces gens la composent la Cour, laqu'elle [Page 154] souvent ne se monte qu'à vingt ou trente personnes.

Les Officiers de la maison du Roy sont le Marechal qui regle les affaires de la famille royalle, & qui avertitle Roy quand le diner ou le souper est prêt; le Controlleur de la cuisine qui mêt les plats sur la table, comme aussi le Maître de l'Artillerie; le grand Ecuier du Roy, des etalons & des Jumens, dont le Roy a beaucoup & de fort bons particulierement une certaine race qu'il estime le plus qui sont d'un roüan clair ayant la tête, la queüe & le crin noir. Mais on se for­me une meilleure idée de la grandeur & du revenu de ces charges là, en les comparant plûtôt à celles des officiers de quelques uns de nos Seigneurs An­glois, qu'à celles de Whitehall.

Le maïtre des Ceremonies est obli­gé par son Employ à étre assiduement à la Cour.

Mais le Principal Favory du Roy est Monsr. Knute Mecklebourgeois & seul Gentil-homme de sa Cbambre, il a été toûjours elevé avec le Roy comme son confident & compagnon de ses plaisirs; c'est un homme de bon naturel & fort civilil ne par le aucune langue que la sienne propre & se mêle [Page 155] fort peu des affaires publiques, nean­moins quand il entreprend d'obtenir quelque chose du Roy il n'a pas de la peine de reüssir. Il y a plusieurs Grooms de la chambre du lit au dessous de lui. La Reine a plusieurs Gentils-hommes, fils de personnes de la meilleure qua­lité & 8. filles d'honneur qui la ser­vent.

Les Ministres de sa Majesté Danoi­se sont premierement Mr. de Gulden­lew qui preside dans le conseil, & dans toutes les autres commissions où on l'emploie conjointement avec les au­tres Ministres, mais les affaires comme je l'ay dé-ja dit n'etant pas son talent, ou au moins ne les aimant pas, les au­tres conseillers d'Etat ne le content parmi eux qu'à cause du respect qu'ils doivent à sa qualité. En segond lieu le Comte de Reventlau, grand maître des Chasses, qui est la Charge la plus profitable que le Roy puisse donner aprés la Vice-Royauté de Norvegue. Il est né dans le Holstein & on le con­sidere comme le premier Ministre, c'est pourquoy tous les Ministres Etran­gers s'adressent à luy, & il n'est pas faché qu'on lui donne ce tître, quoi que dans quelques occasions ïl ne veüille pas le recevoir. Il est fort affable, [Page 156] civil & d'un accez fort aisé; c'est un homme qui aime le plaisir, & le beau sexe aussi bien que Monsieur de Gulden­lew, ses talens & son sçavoir sont fort mediocres, quoique par une diligente application aux affaires il ait depuis peu beaucoup pronté, tellement qu'il pa­rôit remplir assez dignement le poste où son Maître la placé; il est agé de quarante & trois ans ou environ, le teint frais, & d'un temperament ro­buste. Il n'a jamais eü grande inclina­tion pour les François, (étant per­suadé que la decadence des affaires de son Païs & le peu de gloire de son Maître, ve [...]oient de leurs conseils & de leurs pratiques,) jusqu'à ce que dans ces deux dernieres années son interêt particulier la reconcilié avec cette Cour. Le profit qu'aporte le Trafic de France (pendant la guerre) où il a une tres grande part, tant par plusieurs navires qui lui appartienent en propre, que par la protection qu'il donne à ceux qui l'entretiennent. Cela dis­je lui a fait considerer que c'est l'avan­tage de son Maître aussi bien que le sien d'entretenir une bonne corres­pondance avec la France, d'autre cô­té les Anglois qui lui font beaucoup de dommages en preuant & confis­quant [Page 157] plusieurs navires où il avoit part, ont entierement perdu ses bonnes gra­ces. Neanmoins aprés tout, on croit que s'il se pouvoit procurer par quel­que autre voye aussi bien qu'à son Maî­tres les mêmes avantages qu'ils posse­dent, ses inclinations le porteroient plus tôt à accepter la bien veillance de la Cour d'Angleterre que de celle de France, mais les malheureuses circon­stances de la conjoncture presente ren­dent l'affaire presque impossible.

En troisieme lieu le Baron Iuel, qui est le plus jeune frere de l'Ami­ral General est Danois de nation, & agé de soixante ans ou environ; il est fort corpulent & d'une couleur Fleg­matique, il est plus à son aise qu'aucun qu'il y ait a la Cour; il doit cela à son temperament qui est extreme­ment épargnant. Les Danois le con­siderent comme un des plus rusés d'en­tr'eux, qui sous le masque d'une sim­plicité contrefaite, couvre beaucoup de finesse; Il parle peu, fort douce­ment, & est trés civil. On croit qu'il voit avec regret la misere ou son Païs est reduit, parce qu'il est un des chefs de la plus ancienne Noblesse, & de ceux qui ont perdu par la revolution qui s'est faite dans le Gouvernement; [Page 158] son avis est pourtant necessaire où il y a si peu de bonnes têtes, c'est pourquoi il est employé dans les affaires les plus difficiles les qu'elles il gouverne a­vec beaucoup de dexterité & de suc­cez.

En quatrieme lieu, Monsieur Ehren­schild Alleman de nation, & autre­fois Secretaire de Monsieur Terlon Ambassadeur de France en cette Cour, ce qui lui a donné jusqu'a present des inclinations Françoises. Le Roy l'a anobli & lui a donné le nom de Ehren­schild au lieu de celui de Beerman qu'il avoit autrefois. Il est agé d'environ soixante & cing ans, d'une complexion fort foible, c'est pourquoi il demeure d'ordinaire à Hambourg, sous pretex­te que cet air là est necessaire à sa san­té, mais dans la verité ce n'est que pour menager les affaires du Roy dans cette ville, où il y a toüjours quelque fa­ction qui y doit étre entretenüe par quelque Ministre de qualité qui y fasse residence. D'avantage cette ville étant située commodement pour la correspondance que l'on doit avoir a­vec l'Allemagne, il peut prendre de plus prés garde aux actions des Princes voisins, aussi bien qu'au menagement du Trafic qui se fait avec la France [Page 159] pendant la Guerre, c'est pourquoi on a jugé à propos d'entretenir là une per­sonne d'esprit. Ce Monsieur Ehern­schild a été élevé dans les etudes à la maniere d'Allemagne, & il entent parfaitement bien les negotiations des affaires, qui est ce à quoy il a été toû­jours employé. On le regarde com­me un homme fort rusé, mais non pas d'une integrité entiére, il affecte de trouver des difficultés & est fort adroit à faire trainer une affaire en lon­gueur. Les Ministres Etranger l'ap­pellent Pater difficultatum & disent qu'il a un secret particulier, pour trou­ver Nodum in Scirpo. C'est pour­quoi ils ne se soucient pas d'avoir à faire avec lui, parce qu'il aime trop à argu­menter, & à chercher plûtôt des so­phismes que la verité dans la decision des affaires; vous ne pouvés jamais lui faire dire, telle chose est, encore quel­le paroisse aussi claire que le soleil, mais cela peut étre, par là se reservant toû­jours quelque échapatoire. Il fait un tresor de son argent, où le mêt à la Ban­que de Hambourg ou d'Amsterdam, n'ayant point de veüe de s'etablir avec sa famille en Danemarc; & c'est la maxime la plus suivie des plus eclai­rés de ce Royaume, comme il paroît [Page 560] en ce qu'il y en a trés peu parmi eux qui achettent du fond.

En cinquieme lieu, Monsieur Ples­sen gentil homme Mecklebourgeois qui autrefois menageoit le Revenu du Prince George en Danemarc il est à present Controlleur des Finances à la place de Monsieur Brandt que l'on en a depuis peu demis. L'Etat de la depen­ce & des Finances étoit extremement broüillé & le Roy devoit quelques mil­lions d'Ecus, quand il a entrepris cette tache difficile de redresser toutes cho­ses, ce que l'on croit generalement qu'il fera, autant qu'il se poura faire. Et il étoit temps de s'attacher serieu­sement à retablir les affaires, car le cre­dit du Roy tant à Hambourg qu ail­leurs étoit absolument perdu, par le defaut du payement des lettres de change. Il est agé de quarante six ans ou environ, d'un tempérament me­lancolique & d'une complexion foible, il est estimé avoir le jugement bon, & de s'entendre bien dans les affaires du monde, quoique les maladies le rendent d'une humeur assez particuliere. Il par le cinq ou six langues, & entre-autres l'Angloise. Il paroît avoir plütöt les inclinations Angloises que Françoises aussi bien parce qu'il fait un grand fond [Page 161] sur le Prince George, que parce qu'il est assuré que c'est plus l'interest de son Maître de garder des mesures avec l'Angleterre & la Hollande, qu'avec la France; il paroît étre des-interessé & a de grands biens dont la plus grande partie est en argent comptant. Enfin c'est un homme d'affaire, & paroît étre plus droit dans ses manieres d'agir que plusieurs des autres.

Ces cinq personnes composent tout le Conseil privé du Roy, quatre d'en­tr'eux resident toüjours en Cour, & le cinquieme à Hambourg sur l'aduis duquel les autres quatre pour la plus part du temps reglent leurs deli­berations. Le Roy dans son conseil decide de toutes les affaires, il mêt en deliberation tous les Traitez de Paix & de Guerre, des Alliances, des Taxes, des Fortifications & du Trafic, &c. sans qu'aucune personne intervienne, excepté les Secretaires d'Etat, que lon regarde icy plùtôt comme des Offi­ciers servans & assistants, que comme des Principaux Conseillers. Il y a qua­tre de ces Secrétaires là qui ne sont pas Secrétaires d'Etat, dans le même sens que les nôtres le sont en Angleterre, c'est à dire premiers Ministres, mais por­tent la plume & ont le maniément des [Page 162] affaires qui regardent leurs Provinces en particulier. Le premier Secretaire pour les affaires de Danemarc est à pre­sent Monsieur ......; le second pour les affaires de Norvegue est Mon­sieur Mot [...] Frere de la Comtesse de Sam­so. Maîtresse du Roy; le troisieme pour les affaires étrangéres est Monsieur Iessen; & le quatrieme qui est le Se­cretaire des guerres est Monsieur Har­boe. Quand il s'agit dans le conseil de quelque affaire qui regarde les Provin­ces de leur jurisdiction; celui qui en a le menagement doit y étre, mais Monsieur Iessen ne manque jamais par ce qu'il y a toûjours quelque chose qui concerne les affaires étrangeres & le temps auquel d'ordinaire le Conseil s'assemble étant le landemain que la poste arrive, son employ est de lire tou­tes les lettres & d'y faire ses remarques. Cela rend sa charge plus considerable que celle des autres Secretaires, & le fait entrer dans les secrets du Cabinet, qu'il menage presque tout seul.

Il a aussi la liberté de dire ses senti­ments, & comme il parle bien latin cela joint avec son employ lui donne droit de faire tous les Traités avec les Ministres étrangers, c'est pourquoi il est toûjours un des Commissaires qui [Page 163] sont nommés pour traiter avec eux, & à qui ils doivent necessairement s'adresser aussi bien qu'au premier Mi­nistre, qui le souffre & se conduit pres­que en toutes choses par ce Secretaire. Il est agé d'environ quarante ans, il est d'une conduite fort honnête, & af­fecte trop l'humilité, il parle cinq ou six langues fort bien ce qui est quel­quefois un avantage à ceux qui ont des affaires avec lui; il n'a qu'une medio­cre reputation d'étre sincere & ha­bille, neanmoins il a une telle routine des affaires publiques, qu'il se rend toûjours necessaire, d'autant plus qu'ils n'ont personne qui soit plus capable pour étre mis en sa place. Il est gen­dre de Monsieur Ehrenschild qui le gouverne, & qui a comme lui les mê­mes inclinations pour la France, cette Alliance le soutient beaucoup dans sa fortune, tandis que son beau pere vit. Mais quand il n'auroit autre chose, sa diligence dans son employ, lui assurera toüjours son poste aussi bien que la faveur de son Prince, pourvû neanmoins qu'il s'entretienne bien avec le premier Ministre, comme il a fait jusqu'a present, & qu'il agisse de con­cert avec lui.

Les divertissemens ordinaires de la [Page 164] Cour sont des voyages de plaisir que l'on fait une fois par an à Sleswick ou en Holstein, soit pour faire la re­veüe des troupes, ou pour visiter les fortifications de Rentsburg, comme aussi quelques petits Voyages en La­land ou ailleurs deça & delà à la Cam­pagne. Cela ne se fait pas aux frais de la Thresorerie, parce que les Pai­sans fournissent de chevaux & de Cha­riots pour voyager, qu'ils doivent aussi conduite eux mêmes, & étre prêts à rendre toutes sortes de services tous les Etés. Pendants six semaines la Cour se retire à Iagersburg qui est une petite maison de Chasse située sur un petit Lac à quatre mille d'Angleter­re de Copenhague & proche de la mer, pendant cinq ou six semaines d'a­vantage elle reside à Friderisbourg, la principale maison de Campagne du Roy de Danemarc environ à 20. mille d'Angleterre de Copenhague, elle fùt commencée par Chrêtien IV., & achevée par Frederic III. Pere du Roy d'apres [...]nt. Cest là la maison dont les Danois se vantent tant, & dont ils disent tant de merveilles eu egart à la quantité d'argent qu'elle a coùté a bà­tir. Elle est située au milieu d'un lac; les fondements en sont dans l'eau, ce [Page 165] qui aparemment a causé tant de depen­ce, on entre dedans par dessus plusieurs Ponts Leuis. Cette situation dans un Païs si humide & aussi froit que cetui-ci ne peut étre approuvée de ceux qui s'y connoissent, particulierement y ayant auteur de ce lac plusieurs petits cô­teaux environnez de jolis bocages, qui auroient été un meilleur endroit pour la perspective & pour la santé. Mais c'est la fantaisie de tout ce Roy­aume, de bâtir au milieu des lacs, ce què l'on pratiquoit, je croy, autre fois pour étre plus seurement logé. Ce Palais est bien loin détre magnifique, nonobstant tout l'argent qu'il a coûté, au contraire il a été bâti par un fort mauvais Architecte. Premierement les Chambres sont fort basses, les apar­tements mal disposez, & la belle Chapelle de beaucoup trop longue pour sa largeur, une gallerie regne tout au tour, qui a une des plus mauvaises entrées qu'on se soit pû imaginer; enfin il s'en faut beaucoup qu'elle soit si belle que beaucoup de Mai­sons de nos personnes de qualité en Angleterre.

Cependant elle est estimée par les Danois pour étre la nonpareille. A la verité il y a un fort beau Parc tout [Page 166] au tour bien rempli de Daims, orné de beaux Etangs, & de quantité d'arbres fort hauts, un bain fort bon, & autres embellissemens de la Campagne, tellement qu'on la peut preferer à toutes les autres mai­sons Royalles, qui excepté ces deux dernieres, dontj'ai parlé sont presque toutes en ruine, celle du fort de Cro­nenburg proche d'Elsignor & celle de Coldigen dans Jutland avec plusieurs autres, n'étant presque pas habita­bles même pour quinze jours en Eté.

La Cour passe le tems à courre le cerf à Frideriksburg, car il y a fort peu de bêtes sauvages en Danemarc. Pendant ce divertissement le Roy don­ne beaucoup de liberté à ses dome­stiques & à ses Ministres qui d'ordi­naire l'accompagnent par tout ou il va, tellement qu'il semble qu'il s'est tout-a-fait demis de sa Majesté. Ils mangent & boivent ensemble, & le dernier va quelque fois à l'excés aprés avoir chaffé tout le jour, le rendé vous aprés le repas est dans la cave au vin. Apres diner environ entre cinq & six heures ou tient les assises de la chasse dans la grande cour devant le Palais. Le C [...]rf est coupé en deux, par un des valets qui sont tous habil­lez [Page 167] de rouge ayant leur grands cors de chasse autour du col, & là on le coupe avec grande ceremonie, tan­dis que les chiens courants atten­dent avec beaucoup de bruit & d'im­patience celui de la compagnie qui a le plus la mine de donner quelque chose au valet des chiens lequel est prié de faire essai, & on lui presente le pied du Cerf. Alors on fait une procla­mation qui contient que si quelqu'un peut informer le Roy (qui est juge souverain aussi bien qu'executeur de la sentence) de quelque faute com­mise ce jour là contre les loix de la chasse, qu'il se leve & qu'il accuse. Alors l'accusé est mené proche du cerf par deux gentils-hommes, on le fait agenouiller entre les cornes, & baisser la tête en sorte qu'il ait le de­riere en l'air, puis on leve le derrie­re de son justaucorps qui pouroit re­cevoir les coups. Alors vient sa Majesté, qui avec une longue ba­guette donne au criminel quelques coups sur les fesses, & en même tems les valets de chasse avec leurs cors & le hurlement éfroyable des chiens, procla [...]ent la justice du Roy & la punition du criminel. Toute la Scene donne beaucoup de divertissement à [Page 168] la Reine, aux Dames, & aux autres spectateurs qui y sont presents & qui se tiennent en Cercle autour de la place d'execution. Cela est reïteré autant de fois qu'il y a de Delin­quents, qui aprés avoir été châtiez se levent & donnent des marques de leur obeissance, se vantant d'avoir été magniquement foüettez. Quand tout cela est sini, les chiens ont per­mission de manger le Cerf

Dans une autre saison la chasse au Cigne est le divertissement de la Cour, les Cignes sauvages hantent une cer­taine petite Ile peu éloignée de Co­penhague, & y éclosent leurs petits. Environ le tems que les jeunes sont aussi grands que les vieux, devant que leurs plumes soient devenues assez grandes pour pouvoir voler, le Roy, la Reine, les Dames & le reste de la Cour vont les voir tüer, les Ministres étrangers sont d'ordinaire invitez à ce divertissement, on donne à chaque personne de qualité une Galliote, & quand ils viennent proche du lieu où est la chasse ils environnent la place & renferment une grande quantité de jeunes Cignes qu'ils tuent à coups de fusil, quelque fois jusqu'à mille qui sont aportez à la Cour à qui appartient le [Page 169] duvet, la chair n'étant pas bonne à manger. Le Mardi gras le Roy, la Reine, la famille Royalle, les Mi­nistres du lieu & étrangers, & les personnes dont nous avons ci-devant fait mention & qui composent la Cour, s'habillent comme les Païsans de Nort-Hollande avec des guertres, des vestes courtes, & de gros bon­nets ronds de laine bleüe. Les Da­mes ont de jupes bleües & d'etranges sortes de coifures &c. Dans cet équipage ils montent dans leurs cha­riots un homme devant & une fem­me derriere qu'ils menent eux mê­mes, & s'en vont à un Village à la Campagne apellé Amak qui est à environ trois mille d'Angleterre de la Ville; là ils dancent au son des musettes, & de mauvais violons, on leur aporte aprés un diner de Village qu'ils mangent sur des assiettes de ter­re & de bois, avec des cuillers de même &c. & ayant passé le jour dans ces divertissemens où ils sont tous égaux & où l'on ne sçait ce que c'est que de Majesté ni de Q [...]alité, le soir ils s'en retournent, & sont regalez de la Comedie & d'un souper magnifi­que par le Comte de Guldenlew, & passent le reste de la nuit à dancer [Page 170] dans les mémes habits qu'ils ont por­té tout le jour.

Tous les hivers aussi tôt que la neige est assez gelée pour pouvoir porter les Danois prenent beaucoup de plaisir à aller sur des trainaux; le Roy & la Cour donnent exemple aux autres, en faisant plusieurs fois en grande pompe le tour de la Ville avec des Timbales & des Trompetes; les Chevaux qui tirent le traineau sont richement caparaçonnez & leurs harnois sont ornés de clochettes pour avertir le monde de se retirer. Aprés que la Cour s'est long-tems protnenée & divertie, les Bourgeois & autres courent dans les ruës toute la nuit, envelopez d'une grande robe fourée, avec chacun une femme dans leurs traineaux ce qu'ils estiment un grand divertissement.

En voyageant de Fridericksburg à Yagersburg & à plusieurs autres lieux proche de Copenhague, il y a deux grands chemins, le pren [...]ier est la route commune qui est d'ordinaire fort mauvaise, l'autre est le grand chemin du Roy tres beau & uni qui n'est que pour la Cour en particulier, & pour ceux qu'elle veut favoriser en leur donnant une clef pour ouvrir [Page 171] toutes les portes qu'on rencontre.

Il ne sera pas hors de propos de vous dire dans ce Chapitre touchant la Cour, qu'il y a deux Ordres de Chevalerie en Danemarc assavoir ce­lui de l'Elephant & celui de Danne­brug, le premier est fort honorable, ceux qui en sont revetus sont de la plus haute qualité ou d'un merite ex­traordinaire; la marque par ou on les distingue est un Elephant enrichi de diamans portant un chateau sur son dos, pendu à un ruban bleu tabizé, que l'on porte comme le S. George en Angleterre. Le dernier est une recompence honoraire que l'on donne à ceux d'une moindre qualité & aux Nobles. Leur marque est un ruban blanc avec des lisieres rouges qu'ils portent sur l'epaule, au contraire des autres, avec une petite croix enrichie de diamans qui y pend, & sur le de­vant du justaucorps ils ont une bro­derie en Etoille, avec cette devize Pictate & Iusticia. Ils disent que l'Or­dre de l'Elephant a été institué par le Roy Chrêtien I. aux nopces de son fils. Il y a environ deux cents & dix ans.

Liste de ceux qui sont à pre­sent de l'Ordre de l'Ele­phant.
  • [Page 172] Le Roy Grand Maître, & Souverain de l'Ordre.
  • Le Prince Royal.
  • Le Prince Christien.
  • Le Prince Charles.
  • Le Prince George.
  • Le Roy de Suede.
  • L'Electeur de Brandebourg.
  • L'Electeur de Saxe.
  • Le Viceroy de Norvegue Guldenlew.
  • Le Duc de Holstein.
  • Le Duc Holstein son Frere.
  • Le Land-Grave de Hesse.
  • Le Comte Rantzaw de Bredenberg.
  • Le Duc de Holstein Ploen.
  • Le Duc de Holstein Norburg.
  • Le Duc de Holstein Brieg.
  • Le Land-Grave de Hesse Hombourg.
  • Le Mark-grave d' Ansoach.
  • Le Mark-grave de Bade Durlach.
  • Le Duc de West frize.
  • Le Duc de Saxe Cobourg.
  • Le Prince Frederick de Saxe.
  • Le Duc de Wirtenberg.
  • Le Marechal Comte Wedd,
  • [Page 173] Le Comte de Réventlau.
  • Le Comte d' Alefeldt.
  • L'Amiral General Iuel.
  • Iustin Hoeg sous Viceroy de Norvegue.
  • Godtske de Bu [...]kvalt, Gentilhomme de Holstein.
  • Monsieur de Gingle Comte d' Athlone.

Ils pretendent que l'Ordre de Dan­nebrug est plus ancien, & racontent plusieurs fables touchant son origine. Assavoir qu'un certain Roy nommé Dan decendu du Ciel vit une croix blanche avec des bords rouges, & la dessus inst [...]tua l'Ordre, & lui donna ce nom composé de Dan & de Brug qui signifie Peinture; les Chevaliers de cet Ordre sont presque aussi frequens icy, que les Baronnets chez nous, c'est pourquoy je n'insererai point icy leurs noms.

Les ordres suivants, touchant le rang & la preséance ont été publiés en Danois & en François l'an 1680. Mais la plus part des Charges ci-aprés mentionées sont à present vacantes.

Ordonnance sur les Rangs du Roy­aume de Danemarc.

I.
  • Les enfans naturels des Rois.
II.
  • 1. Le Grand Chancelier.
  • 2. Le Grand Tres [...]orier dit Schatz Mei­stier.
  • 3. Le Grand Connétable de Norvegue.
  • 4. Le Grand Maréchal de Camp.
  • 5. Le General Amiral.
  • 6. Les Comtes qui sont Conseillers Pri­vez.
  • 7. Les Chevaliers de l'Elephant qui sont Conseillers Privez, ou qui tienent mé­me rang avec eux.
  • 8. Les autres Connétables.
  • 9. Le Vice-Chancelier.
  • 10. Le Vice-Trésorier.
  • 11. Les Vices-Connétables.
  • 12. Les autres Conseillers Privez.
III.
  • 1. Le Grand Maître de l' Artillerie.
  • 2. Le Grand Maréchal Lieutenant.
  • 3. Le General Amiral Lieutenant.
  • 4. Les Generaux de Cavalerie & d'In­fanterie.
  • 5. Les Generaux Lieutenans de Cavale­rie & d'Infanterie.
IV.
  • [Page 175]1. Les Comtes qui sont faits Comtes ou na­turalisés par le Roy.
  • 2. Les Barons qui sont faits Barons ou naturalisez par le Roy & ensuite les Chevaliers de Hannebrog ou Cordo [...]s Blancs.
V.
  • 1. Le Grand Maréchal dela Cour.
  • 2. Le premier Secretaire Privé & d'E­tat.
  • 3. Le Premier Gentil-homme de la Cham­bre.
  • 4. Le Grand Maître des Ecuries.
  • 5. Le Grand Veneur.
  • 6. Le Grand Echanson.
VI.
  • 1. Les Conseillers d'Etat.
  • 2. Les Conseillers de la Iustice.
  • 3. Les Commandeurs des Diocezes & le Trésorier.
VII.
  • 1. Les Generaux Majors, les Amiraux, le General Commissaire de l' Armée, les Colonels des Gardes du Corps ou Tra­bans.
  • 2. Les Brigadiers.
  • 3. Le Maréchal de la Cour.
VIII.
  • 1. Les Conseillers de la Chancelerie les [Page 176] Envovez Extraordinaires du Roy, & le Maître de Ceremonie.
  • 2. Les Conseillers de la Chambre des Comptes, le Procureur General.
  • 3. Les Conseillers de Guerre.
  • 4. Les Conseillers du Commerce.
IX.
  • 1. Le sur-Intendant de Zeelande.
  • 2. Le Consesseur du Roy.
  • 3. Le Recteurde l' Accademie, l'année qu'il est Recteur, le President de la Ville de Copenhague.
X.
  • 1. Les Colonels des Regimens des Gardes à Cheval & à P [...]é, les Vice-Amiraux, les Colonels de l'Artillerie.
  • 2. Les autres Colonels de Cavalerie ou d' Infanterie.
  • 3. Les Lieutenans Colonels des Gardes du Corps ou Trabans, & aprés eux les Bailifs.
XI.
  • 1. Les Gentils-hommes de la Chambre du Roy, & de la Reine.
  • 2. Le Maître de l'Ecurie.
  • 3. Le Veneur du Roy.
  • 4. Le Secretaire de la Chambre du Roy.
  • 5. Le Secretaire de la Milice.
  • 6. Le Grand Payeur.
XII.
  • 1. Les Assesseurs de la haute Iustice, les [Page 177] Conseillers d' Assistance en Norvegue & les sur-Intendans des autres Pro­vinces.
  • 2. Les Iuges Provinciaux.
XIII.
  • 1. Les Generaux Auditeurs, les Maî­tres Generaux des quartiers.
  • 2. Les Lieutenans Colonels, Schout-by-nachts & Majors des Gardes du Corps ou Trabans.
XIV.
  • 1. Les Assesseurs de la Chancelerie & de la Iustice de la Cour de Norvegue.
  • 2. Les Assesseurs du Consistoire, les Bourguemêtres de Copenhague & le Me­decin du Roy.
  • 3. Les Assesseurs de la Chambre des Comptes, & aprés eux les Commissai­res des Provinces.
  • 4. Les Assesseurs du College de Guerre.
  • 5. Les Assesseurs du College de l' Ami­rauté.
  • 6. Les Assesseurs du College du Com­merce.
XV.
  • 1. Les Maîtres de Cuisine, les Gentils-hommes de la Cour, les Generaux Ajudans, les Majors, les Capitaines des Gardes à Cheval, les Capitaines Commandeurs des Vaisseaux.
XVI.
  • [Page]1. Les Secrétaires de la Chancelerie, & de la Iustice.
  • 2. Le Secrétaire de la Chambre des Com­ptes.
  • 3. Le Secrétaire du College de Guerre.
  • 4. Le Secrétaire de l'Amirautê.
  • 5. Le Secrétaire du Commerce.

Il y a à observer que quand plusieurs charges sont nommées ensemble, & qu'elles ne sont pas distinguées, ils pren­dront le rang entr'eux selon qu'ils sont premiers en charge.

Les Ministres du Roy qui possedent quelques charges qui ne sont pas nom­mées dans cette ordonnance retien­dront le même rang qu'ils ont eü jus­qu'icy, & ceux à qui le Roy a dé-ja donné ou donnera le rang de Con­seiller Privé joüiront du même rang que s'ils l'étoient effectivement.

Ceux qui possedent effectivement quelques charges auront le rang avant ceux qui en ont seulement le titre, & ne font point de fonction.

Ceux que le Roy dipence de ne plus exercer leurs charges retiendront pour tant le même rang qu'ils avoient en exerçant leurs charges, & si quelqu'un [Page 179] prend une autre charge de moindre rang que sa premiere n'étoit, il retien­dra pourtant le rang de la premiere.

Les Femmes se regleront ainsi, qu'aprés les Contesses suivront les Gou­vernantes & Demoiselles de la Cham­bre & de la Cour pendant qu'elles sont en service; aprez elles les femmes des Conseillers Privez & qui tiennent rang avec eux; en suite les Baronnesses & autres femmes selon la condition de leurs maris, tant de leur vivant, qu'a­prés leur mort, pendant qu'elles de­meurent veuves.

La Noblesse qui n'a point de char­ge, & les Capitaines de Cavalerie & d'Infanterie & autres Personnes Ec­clesiastiques & Seculieres garderont le pas entre eux comme ils ont fait aupa­ravant.

Sur quoy tous auront à se regler sous peine de la perte de la faveur Royalle, & si quel qu'un contre toute esperance se trouve de sa propre authorité fai [...]e quelque chose contre certe ordonnan­ce payera tout aussi-tôt qu'il sera con­vaincu d'un tel crime l'amande de mil­le Rixdales. Et outre cela il sera pour suivi par le General Fiscal du Roy, comme violateur des ordres Royaux fait à Copenhague le 31. Decemb. 1680.

CHAPITRE XII. De la Disposition & de l'Inclina­clination du Roy de Danemarc en­vers ses Voisins.

LEs Royaumes & Etats qui sont Frontieres du Roy de Danemarc du còté du Nord & du Nord-est, sont les terres qui appartienent à la Sue­de; du còté du Sud, le Duc de Hol­stein, partie de Sleswick & le Holstein, la ville de Hambourg, & le Duché de Breme; du còté de l'Ouest & Sud-Ouest, l'Angleterre & l'Ecosse, qui en sont separées par la grande Mer O­ceanne; du còté du Sud-Est le Duché de Saxe Lawenbourg, de Meklenbourg & de Lunebourg; les terres de Bran­debourg n'en sont pas non plus fort éloignées.

On peut dire en general, qu'entre le Roy de Danemarc & ses voisins il re­gne toûjours quelque jalousie & méfi­ance qui souvent éclatent par des hosti­lités dont les plus proches ressentent plus frequemment les effets que les plus éloignés, suivant les occasions & les sujets de vangence qui les excitent

l'Interposition d'un vaste Ocean a [Page 181] jusqui-ci tenu les Danois en assés bons termes avec l'Angleterre & l'Ecosse, & le commerce qu'ils ont avec ces deux Royaumes leur est fort avan­tageux; leurs forces maritimes ne sont point capables de nous faire tête non plus qu'a nos alliés, sans quoi ils au­roient eu grande envie de s'approprier seuls le droit de la pêche de la balaine en Groenlande, pretendant qu'ils avoient decouvert les premiers ce Païs là, & que par consequent il leur apar­tenoit. Depuis la guerre que nous a­vons à present avec la France, & nô­tre etroite union avec les Hollandois, ils se sont montrés extremement jaloux de notre Puissance sur mer dans la crainte que nous ne nous rendissions maitres du negoce de tout le monde, c'est pourquoy lorsque l'occasion s'est présentée ils out ambrassé le parti de la France, autant qu'ils l'ont osé, & lui ont même fourni des provisions na­valles & les autres choses dont elle avoit besoin; & pour cet effet encore qu'ils ayent besoin d'argent à peine les peut on persuader de prêter, ou d'en­voier quelques Troupes aux Confede­rés, ainsi on ne doir point dourer, que pour contrebalancer nôtre pouvoir, sur mer aussi bien que pours assurer la [Page 182] liberté du Commerce qui leur aporte tant de profit, qu'ils ne fassent leur possible pour nous nuire & quils ne joüent quelque mauvais tour qui nous humilie tellement, que cela leur fasse perdre la peur qu'ils ont que nous nous rendions maîtres de l'Ocean. Pour cet effet ils ont depuis peu con­tracté une alliance plus étroite avec la Suede pour assurer mutuellement leur commerce, que les animosités natu­relles qui etoient entre ces deux Cou­ronnes avoient interrompu. Car la necessité absolüe où ils sont à present de tenir dans les bornes nôtre armée navalle, qui devient plus formidable de jour en jour par nôtre union avec les Hollandois, les a fait agir avec plus de concert que lors que la haine regnoit parmi eux, mais leur mes-intelligence recommencera aussi-tôt qu'ils ne nous craindront plus. Car le Roy de Sue­de est le voisin le plus puissant, le plus proche, & le plus à craindre que les Danois ayent autour d'eux, son domai­ne s'érend présque jusques aux portes de Copenhague, tellement que de la chambre où est le lit du Roy de Dane­marc on peut voir ses terres, particulie­rement depuis que les Danois ont per­da trois de leur meilleures Provinces, du [Page 183] l'autre côte de la mer Baltique; de sor­te que le ressentiment que ceux-cy ont des injures & du tort qu'on leur a fait autrefois, d'un autre côté l'aprehension qu'ils ont que par la grandeur de la Sue­de il ne leur arrive plus de mal qu'au paravant, outre cela la crainte que les suedois ont d'étre enviés & hais a cause de leurs acquisitions, & de les perdre, au cas que le Danois & devins­sent plus puissants, sont des obstacles, in surmontables, qui s'opposent à une ferme amitié entre ces deux Couron­nes. L'ancienne querelle, tout com­me une playe, s'est guerie mais seule­ment superficiellement car il reste toû­jours quelque venin au fond, quoique le tort, que nous faisons à tous deux egalement, en interrompant leur com­merce aye beaucoup avancé leur mu­tuelle reconciliation, & même plus que l'on n'auroit jamais crû. Mais lors qu'il nous plaira de contracter amitie avec l'un & en excepter l'au­tre, ce pretendu lien se rompra fort aisement & pût étre se dissoudra-t-il en­tierement.

L'alliance qui est entte le Roy de Danemarc, par son mariage avec sa soeur, est bien éloignée de contribuer à aucune bonne intelligence entr'eux. [Page 184] Le Roy de Suede quoique Prince trés vertueux, à cause de tout ce que nous avons cy devaut dit, témoigne beau­coup d'indiference & de froideur à la Reine, quoi qu'elle soit une des Prin­cesses du monde qui a le plus de meri­te; il croit même avoir raison de ne s'allier jamais avec le Danemarc par aucun Mariage. C'est pourquoi il a mieux aimé marier la Princesse sa fille avec le jeune Duc de Holstein Gottorp dont les Etats sont presque rui­nez & depeuplez qu'avec le Prince Royal de Danemarc. Car n'aiant qu'une fille que s'il venoit à mourir, lais seroit à cette Princesse le droit à la Couronne, il croit en avoir agi prude­ment de n'avoir pas hazardé par untel mariage à faire, qu'un jour les Danois devinssent maîtres absolus des deux Royaumes.

La bonne ou mauvaise intelligence, que ces deux Couronnes, mais princi­palement le Danamarc, ont avec leurs autres voi sins, & le reste des Princes Allemans est fondée sur leurs jalousies mutuelles. Et c'est à cause de cela Principalement que l'animosité est si grande, entre cette Couronne & les Princes de Lunebourg, avec qui au contraire la Suede a toujours entretenu [Page 185] une bonne correspondance afin qu'en cas que l'on fit quelque entreprise sur ses terres dans le Cercle de la basse Saxe, ou en Pomeranie (que les autres Princes d'Allemagne regardent de mauvais oeuil) il puisse s'assurer l'as­sistance d'une famille si puissante con­tre les attaques des Danois ou des Brandebourgeois; c'est pour cela que le voisinage des Princes de Lunebourg sera toùjours supect & facheux au Danemarc, lequel tâchera par toutes sortes de moyens d'empêcher que cette famille n'accroisse ses Etats, & n'aug­mente sa puissance. Ainsi on ne doit pas suposer que le Roy de Danemarc, se consie tellement au Duc de Zell, qu'il veuille tâcher de lui mettre en­tre les mains la posséssion du Du­ché de Saxe Lawembourg qui est la frontiere de Holstein; ni qu'il aprou­ve ce que la Diete de l'Empire a de­terminé à l'egard du neuviéme Elec­torat, qu'elle a conferé au Duc de Hannovre.

D'autre côté on croit que la Sue­de, afin de tenir d'avantage en bride le Danemarc, soutiendra la maison de Lunebourg & lui aidera à conser­ver ce qu'elle a acquis, & qu'elle prendra aussi ouvertement son parti, [Page 186] dans ce qui regarde l'affaire de l'E­lectorat; pour ce qui est des diferents du Duc de Saxe Lawembourg elle ne s'en mêlera que secretement, a cause de l'invalidité du droit que cette fa­mille pretend sur ce Duché, dont elle ne poura soûtenir le titre qu'autant de tems qu'elle le deffendra ou par force ou par finesse.

Les Princes de Lunebourg ont jusqu'ici secondé les intentions des Suedois, en s'étant declarez protec­teurs de la Ville de Hambourg, que le Roy de Danemarc a toûjours re­gardée d'un oeuil de convoitise, & dont il a souvent entrepris de se rendre maître. Les pretentions qu'il y a comme faisant partie du Duché de Holstein sont assez bien fondées, mais les efforts qu'il a faits pour s'en ren­dre maître, n'ont eu jusqu'ici aucun succez. Il fait fortifier tous les jours sa nouvelle Ville d'Altena qu'il a fait bàtir justement dessous ses murailles, afin de la rendre un jour capable de lui faire tête, & de la tenir en bride. Et effectivement cette riche Ville a beaucoup de raison de ragarder d'un oeuil de jalousie un tel voisin, dont la principale ambition & le principal but est de iui ravir sa liberté, & [Page 187] de s'en rendre maître. Mais le Duc de Zell, dont les Etats sont fort pro­ches, a toûjours quelque troupes po­stées assez prés pour prevenir & rom­pre les desseins que le Roy de Da­nemarc pouroit avoir sur cetre Ville [...], c'est pourquoy elle fait grand cas de ces Princes, & leur donne beaucoup de marques de respect, les regar­dans comme ses meilleurs Protecteurs. Elle s'entretient aussi autant qu'il est possible une bonne correspondance avec les autres Princes d'Allemagne. Et eux de leur part témoignent beaucoup de zele à concourir à la con­sérvation de ses franchises dans la crainte que si elle étoit reduite sous l'obeissance des Danois, cela les pri­veroit de toutes les commoditez qu'ils en tirent tant à l'egard du trafic de la plus part de l'Allemagne que de ce qu'étant située sur l'Elbe, elle leur est s'il faut ainsi dire plus à main, & le principal magazin où ils retirent tous leurs effers, d'autre côté ils empê­cheront tant qu'ils pouront le Roy de Danemarc d'ajoùter une si superbe Vil­le à ses conquêtes, sçachans bien que les Danois qui sont pour l'ordinaire fort méchants voisins, lors mème qu'ils sont foibles, deviendroient in­suportables [Page 188] si leurs forces étoient pro­portionnées à leurs inclinations.

Le Brandebourg, non plus ne sou­haite pas que cette Ville, ni celle de Lubec, soient jamais gouvernées par un seul maître, au contraire ils s'efor­ceront de tout leur pouvoir à empê­cher que qui que ce soit n'attente rien contre leur liberté quoi qu'on conte, l'Electeur de Brandebourg pour étre le plus ferme Allié du Roy de Da­nemarc; il est certain que l'interèt commun qu'ils ont à prevenir l'accrois­sement du pouvoir de la Suede, (dont ils sont tous deux jalous & qu'ils crai­gnent beaucoup) unit ces deux Prin­ces plus fortement qu'aucun lien de consanguinité n'auroit jamais pü faire. La Prusse Ducale, & cette partie de la Pomeranie qui apartient à l'Electeur de Brandebourg est exposée aux entreprises de la Suede, & le moindre transport de Troupes de Suede qui viendroient du côté de la mer Baltique, donneroit de terribles alarmes à tout le voisinage. Ils ne peuvent pas oublier l'etrange suc­cez qu'eurent les armes triomphantes de Gustave Adolphe, ni ce que la Suede a attrapé dans ces dernieres guer­res, & on ne peut leur ôter de l'esprit qu'il y a toûjours quelque sujet de crain­dre, [Page 189] que cette Nation ne fasse encore quelque entreprise sur eux, ayant beau­coup de soldats, & étant gouvernez par un jeune Roy actif, diligent & oeconome; ainsi comme j'ai dit au­paravant le danger où ils sont tous deux, les fait concourir d'une étran­ge maniere dans le dessein de tenir la Suede dans ses propres limites, quoi qu'en d'autres affaires il puisse ariver des differens entr'eux; comme par exemple on le peut voir, dans l'af­faire de l'Ile St. Thomas, ou les Bran­debourgeois s'eforcerent de con­traindre les Danois à retablir le Duc de Holstein Gottorp dans son païs; ce que sa Majesté Britannique a si heureusement accompli, dans la pre­miere année de son avenement à la Couronne.

Le Duc de Gottorp, que j'ai ex­prés placé le dernier de tous les Prin­ces qui bornent le Danemarc afin que j'eusse occasion de parler plus ample­ment de ce qui le touche, est parent fort proche du Roy de Danemarc, tant de consenguinité, que par al­liance. Ils sont de la même fam [...]lle que ceux d'Oldenbourg: le Grand Pere du Duc d'apresent a refusé d'étre fait Roy de Danemarc & s'en [Page 190] est demis en faveur du Grand Pere du Roy d'aujourd'hui, de qui l'e­lection fur par lui recommandée au peuple. Ce Duc a épousé la soeur du Roy, dont il luy est né un Prince qui promet beaucoup; ses Etats sont mê­lez avec les siens en Sleswick & en Holstein, ce qui lui est fort incom­mode & qui l'inquiete beaucoup; sçachant bien que l'ambition n'a point de bornes, particulierement quand elle est soutenüe d'un pouvoir capable d'opprimer ceux qui ne s'y peuvent que foiblement opposer; le Roy eut la pensée poussé par son propre inte­rêt, (ce qui d'ordinaire opere plus que la raison à l'egard de la plus part des Princes) de se rendre maitre de tout le païs, mais le Duc s'en étant aperçû, & deplus étant persuadé, que l'on se serviroit de la premiere occasion qui se presenteroit pour le déposseder; afin donc de se mettre à couvert de ce côté-là, il contracta une amit [...]é aussi érroite qu'il lui fut possi­ble avec le Roy de Suede son beau frere, comme étant un Prince qui par plusieurs raisons étoit obligé de s'op­poser à la prosperité des Danois; neanmoins cette alliance n'alla pas plus loin, & le Duc n'avoit jamais [Page 191] eu intention de s'en servir autrement, que comme d'une barriere, pour le deffendre, car la reputation & le nom de cet allié eut peut-étre pû le gua­ [...]entir de l'oppression de son ennemi [...]ttendu que de luy même il étoit trop foible pour faire tête au Roy de Danemarc, & le secours de Suede trop eloigné, pour le pouvoir met [...]re à couvert de quelque soudaine irrup­tion à quoi il étoit to [...]jours expose; mais considerant qu'un tems viendroit auquel cette alliance lui seroit beau­coup plus avantagease, (ainsi qu'il a paru par l'experience) pour cet effet elle a été fort soigneusement entrete­nue de la part du Duc de Holstein, aussie bien que de celle du Roy de Suede qui dés lors crut que ce un seroit un grand avantage, de le maintenir dans tous ses droits & privilege, dans la veue que par la il causeroit un grand prejudice a son ennemi, étant comme une épine piquante au pied du Roy de Danemarc, & une des plus grandes mortifications qui lui puissent arriver; qui apresent au lieu de parent & de frere par le mauvais traitement qu'il en a reçù est devenu son ennemi irrecon­ciliable lequel nonobstant l'état pre­sent des affaires ne se peut fier en lui [Page 192] non plus qu'il ne veut pas qu'il s'y fie. Afin de vous donner une plus claire intelligence de tout ceci il ne sera pas hors de propos de vous fai­re dans un autre Chapitre, un re­cit en abrege de ce qui s'est passé dans tout le cours de cette affaire là.

CHAPITRE XIII. De la maniere dont on a deposse­dé le Duc de Holstein Gottorp, & de son retablissement.

LEs affaires entre le Roy & le Duc étant dans l'etat dont nous avons parlé ci-devant, c'est à dire l'ambition & les raison [...] d'Etat, conduisant les desseins de l'un. La crainte & la forblesse se nouvant de l'autre côté; la haine enfin & la méfiance régnant parmi les deux. Il semble qu'il ne manquoit plus que l'occasion favora­rable [...] de mettre en pratique ce que les Danois avoient depuis si long-tems projeté. Ce qui enfin arriva en l'an­née 1675.

A l'egart de plusieurs differens qui étoient à ajoster entre le Roy de Da­nemarc & le Duc de Holstein, les [Page 193] pretentions qu'ils avoient tous deux à la succession des païs d'Oldem­bourg & Delmenhorst étoient les plus grands, ce qui fur enfin laissé à la mediation de la Cour Imperialle.

Mais dans le tems que celle-ci y travail­loit, il y ent plusieurs rendez-vous en­tre les Ministres de Danemarc & ceux de Gottorp, pour pacifier à l'amiable cette affaire là, & tous les autres diffe­rents qu'ils avoient entr'eux. Le Roy principalement paroissoit y être le plus porté & témoignoit étre dans la resolu­tion de vivre avec le Duc dans une par­faite union & bonne corespondence, mais il n'en agissoit ainsi que pour le mieux amuser, & l'entretenir dans la se­curité & dans la persuasion que ses incli­nations étoient sinceres. Quelque fois on proposoit un équivalent pour le ren­dre seul possesseur de ses païs, & quelque fois on écoutoit les propositions qui é­toient faites de sa part, même il sembloit que pour accommoder toute l'affaire, il ne restoit plus qu'à mettre au net les ar­ticles & les faire ratifier; d'autrefois il s'élevoit de nouvelles disputes tou­chant les impôts des Duchez de Sleswick & de Holstein dont le Roy se vouloit aproprier la plus grande partie, à pro­portion de la quantité de troupes qu'il y [Page 194] entretenoit, pour la defence du païs; d'autre côté le Duc insistoit à les de­mander, disant que le revenu des Taxes devoit étre également partagé, & que si le Roy y entretenoit plus de Troupes qu'il n'etoit necessaire, cela ne devoit en rien prejudicier au droit qu'il avoit à la moitié du revenu, particulierement parce que les entreprises du Roy, avoient toutes été mises en éfet sans son consentement & sans les lui avoir prea­lablement communiquées, sans l'agrée­ment même des Etats du Duché de Holstein, ce que l'on devoit avoir sait selon les anciens Traitez; maison ne les avoir observez où negligez que selon la circonstance des affaires sur les­qu'elles les Danois veilloient attentive­ment dans le tems même qu'ils trai­toient avec le Duc. Car la Suede qui avoit pris le parti de la France contre l'Empire, étoit alors engagée dans une guerre avec l'Electeur de Brandebourg, & les Danois qui avoient depuis long­tems resolu de rompre avec la Suede croioit qu'il n'y avoit point de tems plus propre que celui-ci pour se vanger des anciens outrages qu'ils en avoient reçû, & pour se remettre en posses­sions des Provinces qu'ils avoient per­dües. Mais considerant le Duc de [Page 195] Holstein comme un ami du Roy de Suede, & le principal obstacle à leurs desseins, ils n'osoient faire mar­cher leurs Troupes hors du Païs, qu'ils n'eussent auparavant tellement accommodé leurs affaires, qu'ils fussent en état de ne le pas craindre.

Il étoit necessaire de sçavoir dissi­muler parfaitement, pour pouvoir mettre en execution ce qu'ils avoient machiné contre la Suede & la Maison de Gottorp, & ils agirent si adroite­ment que l'Ambassadeur de Suede quï demeuroit alors à Copenhague, & quï y étoit en voyé pour negotier le mariage du Roy son Maître avec la sille du Roy de Danemarc n'en sçavoit rien, ne lui témoignant rien moins que beau­coup de caresses, & de grandes mar­ques d'amitie. Dans ce même temps là le premier Ministre de Danemarc écrivit fort obligemment au Resident du Duc de Holstein qui demeuroit alors à Hambourg, qu'il étoit prêt d'aller à sa rencontre à moitié chemin, & de joindre ses efforts aux siens pour tàcher d'ajuster tous les differens, & d'etablir une ferme corespondence en­tre leurs Maîtres, qui étoit, à ce qu'il lui disoit, la chose du monde qu'il de­siroit le plus; d'avantage il ajoûtoit, [Page 196] que quand deux personnes bien inten­tionnées s'assembloient pour ajuster des differens, elles pouvoient finir en peu d'heures, ce que l'on avoit commencé sans réussite dépuis plusieurs années, & enfin le conjuroit de faire en sorte qu'ils se pussent voir. Le Roi lui même dé­clara souvent aux Ministres du Duc touchant cette affaire, qu'il reconnoi­troit toüjours les grandes obligations qu'il leur auroit s'ils pouvoient reus­sir à les accommoder le Duc & lui.

C'est la coûtume du Roi de Dane­marc de faire tous les ans un voyage en Holstein, où aprés avoir assemblé ses troupes il les fait passer en reveüe, cela ne se fait pas seulement pour le divertissement ou pour voir si elles sont en bon état, mais aussi pour accoûtu­mer les Princes voisins à une telle pra­tique, afin que quand ils verront que ce­la se fait pendant plusieurs années sans aucune mauvaise consequence, ou sans qu'on attente rien contr'eux, ils en pren­nent moins d'ombrage, & qu'alors ne se tenant pas sur leurs gardes il les puisse surprendre quand il en aura le dessein. Environ ce temps-là le Roy commença son voyage dans la veûe d'executer ses projets; & afin d'entre­tenir le Duc dans l'amusement, il [Page 197] lui écrivit des lettres fort obligeantes, le priant de ne se mettre en peine de rien, puis qu'il n'avoit en cela point d'autre dessein que de faire ce qu'il avoit fait autrefois dans de pareils voyages, excepté que ce fùt pour deci­der entierement à leur satisfaction reciproque tous les differens qu'ils a­voient entr'eux. De telles assurances signées de la main du Roy plurent tel­lement au Duc, qu'il vint en personne à la rencontre de sa Majesté accom­pagné de l'Evêque de Lubec son frere, & de plusieurs autres personnes de qua­lité, & le regala fort magnifique­ment à une de ses maisons qui étoit sur la route proche de son Palais de Got­torp. Le Roy alors le caressant beaucoup le pria instamment de le ve­nir voir à Rendsbourg (qui est une vil­le fortifiée à environ quatorze miles d'Angleterre de Gottorp) où fort proche de là on avoit nommé le Ren­dé-vous des Troupes. A la fin de cet splendide repas, ou beut plusieurs fois à la prosperité du nouvel accommode­ment avec tant de sincerité, comme il paroissoit, que le bon Duc croyoit effectivement qu'il ne devoit nullement douter de la realité de l'affaire. C'est pourquoy il ordonna à son principal [Page 198] Ministre d'acompagner le Roy & ses Ministres jusqu'à Rendsbourg; où ils mirent les affaires sur un si bon pied qu'on ne doutoit point que tousleurs differens ne fussent bientôt terminez. Là dessus le Duc en voya à Rendsbourg trois de ses Principaux Conseillers d'E­tat, qui avec une commission signée de sa main avoient pouvoir de traiter & de conclure; trois des Conseillers du Roy s'assemblerent avec eux & confererent ensemble. L'affaire qui étoit sur le tapis concernoit principa­lement l'échange de quelques Terres pour les Pais d'Oldembourg & Del­merhorst, mais dans cette conference les Commissaires du Roy prirent occa­sion de renouveller le débat que l'on avoit eu touchant le partage des Taxes, dont comme je l'ay dé-ja dit cy devant, le Roy pretendoit avoir la plus grande partie. Ce qui deplut & sur­prit un peu les Commissaires du Duc, lesqu'els jugerent que cela étoit forte­loigné de l'affaire dont il étoit alors question, & par consequent ne voulu­rent pas écouter des propositions d'une telle nature.

Dans ce même temps-la, & pendant cette conference les Principaux Mini­stres de Danemarc écriviren [...] au Duc [Page 199] de Holstein Gottorp, que le Roy croioit qu'il etoit necessaire pour leurs com­muns interêts, qu'il lui plut de venir à Rendsbourg, pour y conferer avec S.M. & qu'enfin elle étoit toute prête a con­clure le l'raité; que la presence de deux parents si proches contribueroit sans doute plus qu'aucune autre-chose à moyennet un prompt accommode­ment a l'amiable. Le Duc, tant parce qu'il avoit dé-ja été invité aupa­ravant, que par cette reiteration d'hon­netetés, & pour témoigner l'empres­sement qu'il avoit de conclure une paix se resolut de faire cette visite, & premierement il envoya un de ses Gen­tils-hommes pour faire sçavoir ses in­tentions à sa Majesté, & lui deman­der permission de l'aller voir: le Roy repondit que lui & ses Ministres se­roient parfaitement bien venus, & me­me tous ceux qu'il luy plairoit d'ame­ner avec lui. Là dessus le Duc dans la persuasion, que tout ce que le Roy lui avoit fait dire étoit sincere, entreprit son voyage le vingt cinquieme de [...]uin accompagné de ses Principaux Mini­stres & de plusieurs autres personnes de qualité. A son arrivée à Rendsbourg, on le recût au bruit de tout le Cano [...] de la Forteresse & auec toutes le [Page 200] demonstrations de joye imaginables.

Le lendemain, étant le vingt-sixie­me de Juin de l'année mil six cents soixante & quinze, & qui fut un jour bien fatal pour ce malheureux Prince & pour sa famille, il ariva un exprés en poste avec des lettres qui aprenoient la nouvelle de la grande défaite des Sue­dois à Fehr-Berlin par l'Electeur de Brandebourg, & qui étoit ce que les Oanois attendoient & soûhaitoient ar­demment; mais à peine se pouvoient­ils promettre que cette entreprise eût si bien reüssi selon leurs attentes, ni que cela fut arrivé si à propos dans la con­joncture du tems où ils étoient. Ils croioient que le Ciel même favorisoit leurs desseins, & pour ne point perdie de tems, on donna tout aussi töt ordre de fermer les portes de la Ville, d'as­sembler un Conseil de guerre, d'en­voyer des Soldats deçà & delà pour se saisir des Villes & des Forteresses du Duc; ces ordres furent à l'instant exe­cutez, on désarma la compagnie de ses guardes & on le fit lui même pri­sonnier dans son apartement. Le diner qu'il croioit manger avec le Roy lui fut aporté dans sa chambre par des Oficiers & des Soldats, qui le veilloient de si prés qu'à peine pouvoit-il remuer. Le [Page 201] pauvre Duc se recriant en même tems & se plaignant du mauvais traitement qu'on lui faisoit, dit qu'il étoit un Prince souverain de l'Empire, inde­pendant d'aucune autre puissance; qu'il étoit parent fort proche, beau frere, & même un convié du Roy; que c'é­toit violer les loix de la justice, de con­federation, de l'amitié & de l'hospita­lité; que le Roy ne luy avoit pas tenu sa parole; que c'étoit une perfidie inouie. Neanmoins tout cela étoit en vain, & il ne restoit point d'autre remede au Duc que celui de suporter son infor­tune avec patience; l'affaire étoit commencée, il falloit l'achever & qu'il lui arriva plus de malheurs qui ne lui en étoit déja arrivé.

Car étant ainsi enprisonné, on en­voya aussi-tôt chercher ses Ministres à qui on dit, qu'à present le Traité étoit achevé, que le Roy étoit le Maître, & que tout se feroit selon sa volonté; que pour cet effet il alloit prendre pos­session de tout le pais du Duc, & met­tre des garnisons dans toutes ses places fortes, dont il étoit necessaire de s'as­surer, par ce qu'il avoit dessein de conduire son armée ailleurs contre les Suedois; que la famille de Gottorp avoit toûjours eu de mauvaises inclinations [Page 102] pour le Roy, ce qu'il avoit reconnu depuis long-tems. Que cependant si le Duc vouloit volontairement renon­cer à ses droits & pretentions, peut étre pouroit-on porter sa Majesté à l [...]i donner à Copenhague la valeur de cent cinquante mille Rixdalles pour le dedommager.

Malgré l'extreme malheur où le Duc se voyoit reduit, il ne vouloit pourtant pas consentir à des conditions si dures. Mais il offrit (puisque les affaires ne pouvoient aller autrement) de ceder à sa Majesté les Taxes dont il étoit question, sans pourtant prejudi­cier à son droit, & lui fit dire qu'il s'en pouvoit servir comme bon lui sem­bleroit; de plus qu'il consentoit que le Roy mit moitie de la garnison dans la forte place de Tonninguen, pourvû que tous ceux qui seroient dedans, prêtas­sent serment de fidelité au Roy & à lui, jusqu'à ce qu'un tems vint, où l'e­ [...]at des affaires changeât pour étre reta­bli dans la paisible possession de cette place. Que si le Roy vouloit se rendre maître absolu de son Pais, il seroit contraint de ceder à la force, mais neanmoins qu'il esperoit, que son droit demeureroit inalienable. Etqu'il prioit que le lieu où il demeuroit, as­savoir [Page 103] Gottorp, que ni l'art ni la na­ture n'avoient pas rendu assez fort pour étre à redouter, lui fut laissé libre; & en dernier lieu qu'il plùt au Roy de lui accorder & aux siens la liberté de dis­poser d'eux mêmes comme ils le juge­roient à propos.

Les Danois repondirent que ces of­fres & ces demandes n'étoient que des bagatelles, que le Roy s'en alloit pro­ceder à l'execution de sa volonté & de son bon plaisir par la force des armes; que jamais le Duc ni aucun des siens, ne seroient mis en liberté qu'il n'eût signé un papier qui contenoit un or­dre au Commandant de Tonninguen, de remettre la Ville entre les mains du Roy, à quoy le Duc par desespoir & pour sauver sa vie consentit par force. Et certe Forteresse, son Canon & ses Magazins furent remis entre les mains de l'Officier que le Roy y avoit envoyé.

Les choses étant dans cet état le Duc s'en alla à Gottorp. La Duchesse qui tout ce tems ici avoit demeuré à Co­penhague, & qui à ce qu'on croit con­sentoit à toutes les injustices que l'on faisoit à son mari & à sa famille, lui fut renvoyée; mais lui étoit en effet toû­jours prisonnier, car on avoit placé des gardes à toutes les avenûes, & tous les [Page 204] jours on lui proposoit de nouveau quel­ques conditions desavantageuses, & on lui presentoit des articles qu'il étoit forcé de signer, l'un desqu'els étoit une renonciation à la souveraineté & inde­pendance du Duché de Sleswick. Enfin étant fatigué par tant de violences, sans savoir si elles finiroient jamais, il songea à se sauver, tellement qu'un jour il se servit de cet avantage, qui étoit d'ac­compagner la Duchesse qui devoit se rendre auprés de la Reine Douariere de Danemarc sa mere, qui l'avoit en­voyée prier de la venir voir; tellement que par le moyen de quelques fidelles domestiques, il avoit des relais de che­vaux, qui l'atendoient de lieu en lieu sur la route. Aprés l'avoir accompa­gnée quelques heures de chemin, il prit congé d'elle, puis faisant mine de chasser, il poussa son cheval, & s'en fuït aussi vite qu'il put du côté de Ham­bourg.

Tout aussi tôt on donna l'allarme en publiant la fuite du Duc, on depê­cha plusieurs cavaliers aprés lui, mais afin de les éviter, il n'avoit pas pris le droit chemin, mais la route de Kiel: ainsi aprés l'avoir échapé belle, il arriva heureusement où il s'étoit pro­posé d'aller. Cela chagrina extreme­ment [Page 205] le Roy, qui se servit de toute sortes de moyens pour le reprendre, à cause que Hambourg étant une ville fort peuplée il étoit à craindre que le bruit de la barbarie, & de la cruauté qu'il avoit exercée envers lui ne se repan­dit par toute l'Europe. Mais le Duc qui par l'experience de ses malheurs passez avoit apris à ne se fier plus à son enne­mi, aussi-tôt qu'il se fût rendu à Ham­bourg il protesta solemnellement con­tre tout ce à quoy il avoit été forcé de donner son consentement, lors qu'il étoit retenu à Rendsbourg. Il declara de plus, qu'il étoit aussi disposé que jamais à en venir à un accommodement à l'amia­ble de tous les differens qui étoient en­tre lui & le Roy asin de prevenir la rui­ne de ses sujets, & tous les autres mal­heurs qui les menaçoient, pourvû que le Roy voulût reformer les choses qui faisoient le sujet de ses plaintes. On fît si peu de cas de cette protestation, qu'au lieu de l'écouter, le Roy ordonna qu'on demolit la forteresse de Tonnin­guen, fit sequestrer le Duché de Sles­wick, annulla le serment de fidelité que les Magistrats & les sujets avoient prêté au Duc, & on les obligea de le prê­ter au Roy; il ordonna aussi que les re­venus du Duc fussent aportés dans sa [Page 206] Tresorerie, que l'on continueroit à te­nir Garnison dans ses places & dans sa maison. Et qu'enfin si le Duc n'acce­ptoit pas toutes les conditions que le Roy luy proposoit à l'egard de ce hef il seroit à jamais annexé à la Cou­ronne de Danemarc.

Pour publier plus promptement ces nouveaux ordres, on fit aficher des declarations dans toutes les places publiques & dans toutes les villes de­pendantes du Daché. Le Duc de sa part en publioit d'autres contre cette usurpation, protestant solemnellement contre tout ce qui avoit été fait; & pour conclusion, il commandoit & ex­hortoit tous les Etats de son Duché & tous ses autres sujets de continuer à étre fermes dans la fidelité & l'obeis­sance qu'ils ne devoient qu'à leur legiti­me Prince.

Mais le Roy qui avoit resolu de ne garder plus de mesures avec lui, & qui ne se soucioit pas de l'état auquel il en­tretenoit ce Pais là, ne sçachant pas combien de temps il en jouïroit, fît payer de grandes contributions à tous les pauvres sujets, même jusquà la va­leur de plusieurs millions d'or, sans songer qu'il ruinoit entierement une des florissantes Provinces qu'il y eût [Page 207] dans le Cercle de la Basse Saxe, ô tant par là tout moyen aux sujets du Duc de contribuer en aueune maniere à la subsistance de leur Maître qui de­meura tout ce temps-là à Hambourg dans un état peu conforme à sa quali­té. Ce fût pour lors qu'il envoya son fils dans les Pais étrangers, pour im­plorer l'assistance de tous les Prin­ces d'Allemagne. Lors qu'il alloit pour travailler à cela, je le rencon­trai par hasard aux Cours de Hanno­ver, & de Wolfenbuttel. Il s'adressa aussi à la Couronne d'Angleterre com­me guarantie de la paix du Nort, & fît imprimer en Anglois une relation de son déplorable état, qui contenoit en general toutes les particularités que nous avons cy devant mentionnées. Mais tout cela ne servit de rien, le Duc n'en fût pas moins dans la souf­france, quoy qu'il en appellât à ceux qui auroient dù s'interester dans sa que­relle & prendre son parti. Enfin le Roy de Suede commença tout de bon à prendre sa cause en main, & ce Prince ayant reduit les affaïres de son Royaume à un état qui lui fournissoit les moyens de se ressentir des iniures qu'on avoit faites à son proche parent, menaça les Danois de leur faire la g [...]er­re, [Page 208] si l'on refusoit de faire prompte­ment restitution de ses Etats; pout cet effet il mît sa flotte en mer en l'an­née mil six cens quatre vingt neuf dans le dessein de mettre en execution ces menaces; ce qu'il pouvoit d'autant mieux faire pour lors que le principal apui des Danois, assavoir le Roy de France, étoit dans ce temps là attaqué par les forces des Confederés, & l'Angleterre par l'avenement de sa Ma­jesté à la Couronne étoit devenue principale partie dans une si juste guer­re; tellement qu'il y avoit aparence que la France avoit assés à faire en defen­dant son propre Païs. Outre cela sa Majesté Britannique étant devenue guarantie de la Paix du Nort, se croioit obligée de la maintenir; & pour cet effet elle donna les instructions necessaires à son Envoyé extraordinai­re qui fut depêché à la Cour de Da­nemarc, pour porter cette Couronne à un accommodement, afin de prevenir par là l'effusion de sang. Ces remon­trances firent l'effet sur l'esprit du Roy de Danemarc que l'on s'étoit proposé, & il ceda enfin à la necessité où il étoit reduit par l'état de ses affaires, & aux sollicitations de l'Electeur de Brande­bourg qui avec les autres Princes pres­soit [Page 209] le rétablissement du Duc & avoit envoyé ses Ministres au congrés pour moyenner un accommodement, & pour proposer un projet sur ce sujet, non pas tant par l affection qu'il portoit à la famille de Gottorp, mais plûtôt par­ce qu'il craignoit que le Roy de Suede ne fit passer ses forces de l'autre côté de la Mer Baltique, ce qui sans doute auroit donné de grands ombrages à tout le voisinage & en particulier au Brande­bourg. Ainsi les Danois consentirent à contre coeur à rendre ce qu'ils avoient si injustement detenu l'espace de plus de treize ans aprés avoir levé des som­mes immenses dans le Païs. Dans la partie du Duché de Sleswick qui apar­tenoit au Duc, il y avoit vingt huit mille charües qui étoient Taxées à payer chacune quatre Ecus par mois, outre une grande quantité d'extortions par le moyen desqu'elles les bources des Ministres de Danemarc étoient remplies & les revenus partagés en­tr'eux. Les Flottes Danoise & Suedoi­se furent environ quinze jours en mer­sans qu'il se passat aucune action. Da­bort aprés que le Duc fût retabli & que l'accommodement fût publié (& cela sans lui faire reparation des domma­ges qu'il avoit souferts.) Les deux [Page 210] Flottes rentrerent dans les ports, & le Duc se retira à Gottorp qu'il trouva dans un état pitoiable en comparai­son de ce qu'il étoit auparavant. Mes­sieurs les Etats Generaux furent le principal mobile qui fit conclure le Traité, par le moyen de Mr. Heems­kerk leur Ministre; & sa Majesté e [...] beaucoup de part à la gloire d'avoir retabli un Prince oprimé lequel aprés avoir été si long-temps depossedé, avoit été comme proscript & sans es­perance de rentrer dans ses Etats.

La premiere année de son Regne, elle a maintenu l'honneur de la Couronne d'Angleterre qui étoit engagée à sou­tenir les interêts de ce Prince; elle a as­suré la Paix du Nort, & par là elle s'est procuré l'assistance de ces deux Cou­ronnes pour humilier l'ennemi com­mun. Ce qui est en effet arrivé, car les Danois ont envoyé, selon le Traité conclu, sept mille soldats qui sont enco­re aujourdhuy au service de sa Majesté; & les Suedois sont en liberté de laisser au service des Hollandois autant de Troupes, qu'ils étoient autrefois con­venus, & qu'ils auroient été contraints de rapeller s'ils eussent eü guerre avec les Danois.

CHAPITRE XIV. Des Interéts du Roy de Danemarc par raport aux autres Princes.

EN traitant des Interêts du Roy de Danemarc eu egard aux autres Princes & Etats qui ne sont point ses Frontieres, & les intentions qu'il a pour eux il ne sera pas necessaire d'ob­server exactement l'ordre & le rang que ces Princes tienent dans le mon­de, c'est pourquoy je parle [...]ai d'eux indiferemment selon qu'ils se rencon­treront.

Le Roy de Danemarc est obligé d'entretenir toujours exterieurement, une bonne correspondence avec l'Em­pereur, étant lui même un Prince de l'Empire comme Duc de Holstein; outre qu'il est souvent en son pouvoir de lui faire beaucoup du bien o [...] du mal selon les occasions. Le Roy de Dane­marc soùhaitte passionnement d'etablit un droit de Passage à Gluestad sur la Riviere d'Elbe, & quoy que le Con­sentement de l'Empereur ne fit pas que cette entreprise fut mieux fondée vu qu'il y a plusieurs autres Princes qui sont interessez au commerce de Ham­bourg [Page 212] à qui un pareil impòt porteroit du prejudice, neanmoins ce seroit fai­re un grand coup pour lui s'il en pou­voit venir about, mais il faut cependant que cette affaire demeure toùjours dans le même état; c'est pourquoy il menage cependant sa Majesté Impe­rialle & quand ses Ministres deman­dent quelque chose il envoye (par des raisons d'importance) de ses troupes servir en Hongrie contre les Turcs; malgré tout cela, il regarde de mau­vais oeil la puissance de la maison d'Au­triche & son accroissement lui fait des grands ombrages eû egart à ses conquê­tes, étant jalous comme presque tous les autres Princes d'Allemagne le sont de la grandeur de cette famil­le, de peur qu'elle n'oprime un jour la liberté de l'Allemagne, & ne fasse la ruine de leurs Etats, c'est pourquoy le Roy de Danemarc n'est pas faché, que les François, ou les Turcs rempor­tent quelques avantages sur l'Empi­re. On la souvent entendu se plain­dre de la negligence & de l'indiffe­rence que la Cour Imperialle faisoit pa­roître à son égart, & de ce qu'elle prenoit le parti de la Suede, ce qui est la cause que l'Empereur a dé­puis peu envoyé un de ses Ministres [Page 213] en qualité de Resident à Copenhague aussi bien qu'à Stockholm, & du depuis il semble qu'il soit plus content. Mais au fond on doit suposer, que le Roy de Danemarc n'est pas un des verita­bles amis de l'Empereur, parce qu'il a toûjours dans le pensée que sa Ma­jesté Imperialle favorise des interêts oposez aux siens, en tolerant la Mai­son de Lunebourg dans la possession illegitime du Duché de Saxe Lawem­bourg, & en donnant la dignité Elec­toralle à cette famille, ce que le Roy de Danemarc ne ratifiera jamais, mais plûtôt s'y opposera de toutes ses forces.

Le Roy de Danemarc traite à pre­sent le Roy de Pologne indiferemment d'ami ou d'ennemi, n'y ayant presque aujourd'hui aucune correspondence en­tre lui & cette Couronne. Nean­moins il aime mieux vivre en amitie avec ce Prince par ce qu'un jour il peut lui rendre des grands services contre les Suedois. Et c'est pour cette même raison que l'Electeur de Brandebourg qui dans cette affaire là a les mêmes interêts que le Roy de Danemarc en­tretient une bonne intelligence avec la Pologne, & même fait resi­der ordinairement un de ses Ministres en qualité d'Envoyé à Warsovie. De [Page 214] plus le Port de Dantzie est sort com­mode à tous ceux qui trafiquent dans la Mer Baltique, & les Danois apor­tent du blé de ce païs-là aussi bien que beaucoup d'autres marchandises. Ils conservent aussi toujours une bonne intelligence avec toutes les autres pe­tites Villes situées sur les côtes.

Le Roy vit [...]ans une si bonne amitie avec le Duc de Courlande qu'il lui a permis de lever des Troupes dans son pais, dont un nommé Potca­mer frere du premier Ministre de ce Duc est Gouverneur. Les soldats de ce Païs là sont plus propres à la fa­tigue qu'aucune autre nation qu'il y aitau monde, quoi qu'ils fe nouris­sent de fort peu de chose.

C'est plus l'interêt du Danemarc d'avoir une bonne correspondence avec les Hollandois qu'avec aucun autre Prince de l'Europe, a cause du grand revenu que lui raporte le ne­goce de ce pais-la, & du droit qu'ils payent au passage du Sund; de plus parce qu'en cas de differents avec la Suede, ou dans quelque autre occa­sion pressante, le Roy de Danemarc peut faire fonds sur le secours des Hollandois, qui sont toujours prêts & capbles de le proteger, comme [Page 215] on l'a vû par l'experience dans les dernieres guerres entre les Couronnes du Nort. Car les Hollandois ne sou­friront jamais que ces Royaumes soient plus puissans l'un que l'autre, a cause des interêts qu'ils ont au com­merce de la Mer Baltique, mais au con­traire ils prendront beaucoup de soin d'assister le plus foible & de lui envoyer le secours dont il aura besoin, par ce que la commodité de leur situation & les forces prodigieuses qu'ils ont par mer leur en peuvent fournir les mo­yens mieux qu'à qui ce soit. Tou­tes ces considerations n'empèchent pas qu'il n'arrive souvent des de­mélés entre les Hollandois & les Danois, & l'amitié que ces derniers ont pour les premiers est fort chancelante & fort froide, particu­lierement depuis cette derniere guerre avec la France, & l'accord que les Provinces Unies ont fait avec l'Angle­terre pour interrompre & empêcher le commerce qu'ils ont avec ce Royaume la; car outre qu'une Monarchie Des­potique ne sçauroit par plusieurs raisons aimer une Republique, les Danois por­tent envie au grand commerce des Hol­landois, & ne peuvent souffrir que des Marchands, comme ils les apellent, [Page 216] ayent assés de puissance pour faire la loi à aucune tête couronnée. Quoi qu'il en soit, le Roy de Danemac seroit fà­ché que la Hollande succombât sous le poids des armes puissantes de ses enne­mis, au contraire il feroit les derniers efforts pour s'y oposer, quoi que peut étre il ne le fit qu'avant que les affaires ne fussent reduites à une telle extremité qu'il lui fut impossible de donner aux Hollandois un prompt secours.

Le Roy de Danemarc aime l'allian­ce de la France & entretient une plus étroite correspondence avec cette Cou­ronne qu'avec aucune autre, quoi qu'il soit tres certain, que les maximes qu'il a aprises de cette puissance, & la pratique qu'il en a fait, ont été la prin­cipale cause du mauvais état auquel son Royaume est à present reduit. Mais le Roy de France par ses flateries, par de grandes promesses, & par un peu d'argent donné à propos a trouvé le moyen d'amuser cette Cour, & de la faire agir comme il lui plaît, malgré les malheurs, les mauvais succez & la mi­sere universelle qui ont suivi ses perni­cieuses metodes. Il y a ici une si gran­de quantité d'Emissaires de la Cour de France, que rien ne plait si la mode n'en vient pas, soit à l'egart des habits [Page 217] de la discipline militaire ou de la poli­tique; & il est certain, qu'on ne se pouvoit pas servir d'une meilleure dans un gouvernement arbitraire, pour­vû qu'on prenne soin de s'en servir proportionement à la force du dessein que l'on s'est proposé. Mais faute d'avoir bien consideré cecy il a été fatal au Danemarc; ce Monarque a apris de la France que les Soldats sont les plus grandes & même les seules richesses des Princes, & cela a fait qu'il en a levé un si grand nombre qu'il ne sçait plus qu'en faire, excepté qu'il ne cher­che querelle à ses voisins pour les oc­cuper, ce qu'il fait fort souvent pour favoriser les interêts de la France, quoique enfin cela tourne à sa perte. Desorte que le Danemarc ressemble, en cela à un Monstre, qui est tout tê­te & sans Corps, tous Soldats & sans sujets. Et quand la Paix generalle vien­dra à se conclure parmiles Princes de l'Europe, & que tous les étrangers pouront trafiquer librement il est sur que cela ruinera tous les avantages que ce Païs là possede à present. Je ne vois pas ce que deviendront les affaires publiques dans ce Païs icy, car lors que l'on donnera congé aux Soldats, qui sont pour la plus part étrangers ils [...] [Page 216] [...] [Page 217] [Page 218] s'en retourneront chacun dans son Païs, & par là le revenu du Royaume sera reduit à rien par le manque de peuple & par la pauvreté; c'est pourquoy on ne sçauroit apeller cela autrement que folie, de dire que le moindre & le plus pauvre Royaume de l'Europe tache d'i­miter avec succez le plus riche, le plus grand, & le plus peuplé de tous, & de se regler sur lui, comme s'il n'y a­voit point de difference entre Roy & Roy. J'ay oüi parler de quelque chose d'à peu prés semblable de la peti­ [...]e Republique de St. Marin en Italie qui ne consiste qu'en une petite ville en y comprenant les Montagnes qui sont autour, dont à peine les voyageurs prenent-ils la moindre connoissance; qui quand elle écrit à la Republique de Venize, ce qui ne lui arrive pas souvent elle l'apelle Nôtre Soeur avec autant de gravité & d'orgueil que si elle lui étoit égale en grandeur, en richesses ou en pouvoir. Mais la vanité de ces pau­vres ltaliens ne va pas plus loin que leurs parcles, & ne fait mal à person­ne.

Mais les raisons qui font que c'est l'interêt du Danemarc de s'entretenir bien avec la France sont assez fortes; premierement parce qu'il regarde cette [Page 219] Couronne, comme étant un contre­poids à la grandeur de l'Empereur & a la maison d'Autriche, dont tous les Princes d'Allemagne, comme jel'ay dé ja dit regardent d'un oeuil de ja­lousie la Puissance. Sa derniere acquisi­tion de la Couronne de Hongrie, les autres conquêtes qu'il a faites sur le Turc, la probabilité qu'il y a que les Païs de l'obeissance du Roy d'Espagne tomberont un jour à quelques unes de ses branches, le souvenir du terrible ravage que l'Empereur Charle-quint & ses successeurs firent dans les Etats des Princes d'Allemagne, lors qu'elle possedoit tous ces avantages, toutes ces choses dis-je font que les Danois aussi bien que les autres Princes font de serienses reflexions sur ce qui peut ariver cy aprés, si la France étoit reduite dans un état trop bas: La seconde raison est, qu'ils sçavent qu'il n'y a aucune autre armée navalle capable de contester l'Empire de l'Ocean aux Anglois & aux Hollandois que celle là, & ils sont fort aises de tenir la question indetermi­née entr'eux touchant cet Empire, afin que leur Negoce soit libre, & qu'ils puissent avoir part au Trafic qui se fait dans le monde, qui à ce qu'ils pénsent, seroit fort mediocre, si cette [Page 220] affaire étoit une fois decidée à nôtre avantage. Une troisieme raison, & qui est ce me semble la plus forte est les subsides que le Roy de Danemarc tire de temps en temps de la France, un peu d'argent comptant donné bien à propos à des gens qui en ont besoin, a des charmes aux quels on ne peut ai­sement resister; & cecy a été de la Politique de France, d'engager cette Couronne à entreprendre plus qu'elle ne peut sous pretexte qu'elle ne re­gardoit qu'à sa grandeur, au lieu que ce n'a été qu'à son avantage qu'elle visoit, étant assurée qu'apres l'avoir ruinée avec son Païs, elle pouroit l'acheter à bon marché, quand elle voudroit. Neanmoins quand le tresor de France sera une fois épuisé, & que quelqu'un en offrira d'avantage, cette espece de Politique non seulement sera inutile aux François, mais aussi tournera à leur desavantage.

Le Roy de Danemarc vit d'une ma­niere indiferente avec les Roys d'Es­pagne & de Portugal; leurs Etats sont si éloignés & ont si peu d'affaires les uns avec les autres, qu'il se presen­te fort peu souvent d'occasion de faire entr'eux ou alliance ou la guerre: nean­moins [Page 221] les Danois ont quelque sorte de Negoce, comme de sel & de vin avec les sujets de ces deux Couronnes, & durant cette guerre, ils tirent un grand avantage de leur neutralité en trans­portant dans leurs Vaisseaux les mar­chandises des François, Anglois & Hollandois d'un port dans un autre. Ils ont aussi à la verité quelques pre­tentions sur les Espagnols, pour des arrerages de subsides qui leur sont deus dés le temps que le Danois pri­rent le parti des Confederés contre la France, dans les premieres guerres; mais ils desesperent de jamais les obte nir, excepté qu'il n'arivât quelque acci­dent imprevû qui leur fît payer cette debte, dont je croy qu'ils n'ont jamais ajusté les comptes entr'eux.

Le Roy de Danemarc a toûjours en­tretenu une fort bonne corresponden­ce avec le feu Electeur de Saxe. Cet Electeur ayant épouséne des Soeurs du Roy, cette alliance produisoit d'aussi grands effects qu'on pût jamais soûhaiter; de telle maniere qu'il se forma une resolution d'unir les deux fa­milles encore plus proche, par un ma­riage entre le present Electeur, (alors Prince) & la Princesse fille unique du [Page 222] Roy; cela alla si avant qu'il y eut un contract passé, & que les presens ordi­naires en de tels mariages furent mu­tuellement donnez; lors que tout d'un coup le vieux Electeur mourut l'an­née passée comme il conduisoit l'ar­mée vers le Rhin contre les François pour la cause commune de l'Europe. La mort de ce Prince entre autres changemens produisit cetui cy, assa­voir que son Successeur le present Ele­cteur, étant par là devenu maître de lui même, & ayant autrefois passionement aimé une autre Dame, qui est à present Electrice, refusa d'accom­plir son mariage avec la fille du Roy de Danemarc sa cousine ger­maine &envoya les presents qu'on lui avoit fait, lors que le contract se fît.

Cette action déplût beaucoup au Roy & à la Reine & à toute la Cour de Danemark, neanmoins il n'y avoit point d'autre remede que la patience, l'Electeur étoit trop éloigné pour craindre quelque chose du chagrin du Roy & il resolut de suivre sa propre inclination dans le choix d'une femme, en depit de ce que le monde en pou­roit dire, pour ce faire il rechercha [Page 223] tout aussi-tôt, & se maria à sa fantai­sie, laissant les Danois libres de dige­rer cet affront comme ils pouroient, ce qu'à peine oublieront ils de long­temps. Tellement qu'on croit que cet ancien noeud d'amitié, qui étoit entre le Roy & la famille de l'Electeur de Saxe est par là extremement diminué, neanmoins les choses n'en sont pas venües assez avant, pour pouvoir le rompre entierement, les excuses que l'Electeur a faites de cette action ayant été reçeües comme une espece de satisfaction.

Le Roy de Danemarc vit en bonne amitié avec l'Evêque de Munster à cau­se qu'il est le plus proche voisin du Paîs d'Oldembourg & de Delmenhorst, & pour la plus part du temps il entretient un Resident en cette Cour. Il en­tretient la même intelligence avec les autres Princes d'Allemagne, parti­culierement avec le Land-Grave de Hesse-Cassel qui est frere de la Reine, de qui il est extremement aymé.

Le Roy de Danemarc a un Frere assavoir.

[Page 224]Le Prince George né en l'année mil six-cents cinquante trois, & ma­rié à son Altesse Royalle la Princes­se Anne, Soeur de la Reine d'Angle­terre.

Et quatre Soeurs assavoir.

Anna Sophia, veûve du dernier Ele­cteur de Saxe.

Frederica AEmilia, Femme du Duc de Holstein.

Guillimetta Ernestina, veúve du Pala­tin du Rhin.

Ulrica Eleonora Sabina, la defunte Reine de Suede.

CHAPITRE XV. Des Loix & des Cours de Iu­stice. &c.

IL y a quelques naturalistes qui obser­vent, qu'il n'y a point de plante ny d'insecte dans le monde, quelque ve­neneux qu'ils soyent qui ne renferment quelque chose de bon & d'utile à l'homme, si on s'en sert à propos: on peut dire tout de même qu'on poura [Page 225] aprendre bien de choses necessaires & qui peuvent servir à l'avantage du genre humain, en lisant cette Relation du Danemarc, pourvû que les choses soient prises du bon sens, & envisagées, du bon côté.

Jusqu'icy nous y avons à la verité trouvé plusieurs choses qu'il faut éviter & fort peu à imiter, mais à present que je m'en vai parler des loix de Da­nemarc il faut absolument que je com­mence par leur rendre ce temoignage qui est que pour la iustice, la brieveté & la neteté elles surpassent toutes celles que je connois dans le monde. Elles sont toutes fondées sur l'equité & ne sont contenües que dans un petit volume in quarto écrit dans le language du Païs, avec tant de simplicité & de neteré qu'il n'y a personne, quisçache lire & écrire quelque ignorant qu'il soit, qui ne s'en puisse servir, les citer dans sa pro­pre cause & en former son plaidoyé sans avoir besoin de Conseillers ni d'A­vocats.

On ne trouve point icy de cette chi­cane, qui ruine, ou fait la fortune des Playdeurs en Angleterre. On n'a be­soin que de fort peu d'Avocats pour plaider les causes de ceux qui ont des procez, & outre qu'ils ne reglent pas [Page 226] eux mêmes leurs droits, ils ne sont pas exhorbitans; il n'y a point de pro­cés de quelque importance qu'ils soyent que l'on puisse trainer en longeur plus d'un an & un mois, puisque quand même on apelleroit de la sen­tence d'une Cour à une autre, on peur en avoir une definitive dans cet intervalle de tems pourvû qu'on veuil­le poursuivre soigneusement son pro­cez.

L'on pouroit repondre à cela que le manque d'argent qui est fort rare en Danemarc, est peut étre la principa­le raison de ce qu'il y a si peu de procez & si peu d'Avocats. Cela en est la veritable cause, & peut étre que cette consideration a porté le Roy à établir de si bonnes Loix. Car puis qu'il avoit resolu de vuider la bource de ses sujets, & d'en tirer tous les avan­tages qu'il pouroit, il n'étoit pas de son interêt de permettre aux autres d'en faire de même & de partager le profit avec lui. Quoi qu'il en soit c'est une chose constante qu'un tel re­glement ne seroit pas seulement à sou­haiter, mais même rendroit à jamais heureux un païs riche. Et cet exem­ple du Danemarc nous montre clai­rement [Page 227] qu'on pouroit fort bien le pratiquer ailleurs.

Mais pour revenir à nôtre discours il est à remarquer qu'en Danemarc pour les procez qu'un homme peut avoir contre un autre, il y a trois Cours qui ont chacune le pouvoir de donner sen­tence definitive, & qui peuvent con­damner ou absoudre les parties. Nean­moins on peut apeller de la plus basse à la plus haute, & si le Juge de la plus basse varie de gayeté de coeur de la loy positive, la partie à laque'elle il a fait, tort, obtient des dommages sur le Juge & sur son adverse partie: Ici on ne peut transferer une action d'une Cour dans une autre, ou il faut que les parties recommencent leur procedu­res tout de nouveau; mais par la voye ordinaire de proceder, ils peuvent apeller de la plus basse à la plus haute.

Voici les trois Cours. Premiere­ment dans les Villes & Bourgs il y a la Cour de Byfoghts. Il y en a une autre à la Campagne qui répond à celle ci qu'on apelle la Cour de Herreds Fougds. De celle-la on peut apeller à celle du Landstag qui est la principale Cour de la Province.

En troisieme lieu de celle-là on peut apeller à celle qu'on apelle le High-right, [Page 228] & qui est à Copenhague, où le Roy lui même prend quelques fois séan­ce, & qui est toûjours composée de la premiere Noblesse du Royaume. A la verité les Juges dans les deux Cours, dont nous avons parlé ci-devant sont établis par lettres patentes de sa Ma­jesté, seulement Durante Bene placito. Mais en cas de malversation ils peu­vent étre punis, & condamnez à faire reparation aux parties, aux quelles ils ont fait tort ou injustice.

La Ville de Copenhague a ce pri­vilege en particulier, que les sentences qui se donnent de la Cour du Byfoghts au lieu de passer par la Cour de la Province, doivent étre aportées aux Bourguemêtres & au commun Con­seil, & de là passer à la plus haute Cour, qui ressemble en ceci à nôtre grande Cour de la Chancellerie; c'est que s'il arive quelque affaire ou qu'il y ait quelque chose en dispute qu'on ne puisse decider par le defaut d'article positif dans la loy touchant ce fait, (ce qui arive fort rarement) elle est déterminée par le Roy, ou par ceux qui sont avec lui qui sont comme les gardes de sa conscience. Tout cela [...]roit fort bien, si ce n'est que le pre­mier article de leurs loix reserve au [Page 229] Roy le pouvoir de les expliquer & de les changer quand il lui plait.

Quant à ce qui regarde le revenu. La Chambre des Rentes en Danemarc ressemble à nôtre Cour de l'Echiquier, où on a aussi étab [...]i un Thrésorier Gene­ral; il y a aussi une Cour composée de quelques uns des membres de cette Chambre des Rentes, de ceux de l' A­mirauté, & du Coll [...]g [...] du Commerce, de­vant qui les marchands, dont on a saisi les effets pour n'avoir pas payé la Doüane, peuvent apeller. Les sen­tences qui se donnent dans les Cours subalternes, sont quelquefois partial­les, mais fort rarement, par l'aprehen­sion que l'on a d'étre récherché par les Juges de la Cour souveraine, qui prennent fort grand soin de rendre justice. Je connoissois un Juge lors que j'étois en Danemarc qui eut bien de la peine à éviter d'être mis a l'a­mande, pour avoir donné sentence mal à propos contre un Marchand Anglois; mais qui fut tout aussi-tôt cassé.

A la verité tandis que Monsieur Griffenfeld & Monsieur Wibbe étoient Chanceliers, le bruit couroit sous main, que les sentences de la Cour sou­veraine n'étoient pas tout-à-fait don­nées [Page 230] selon la rigeur de la Loy, mais à present cela arrive fort rarement, ex­cepté quand un Courtisan ou un Favo­ri y est interessé, alors dans de pareilles rencontres, ou dans les affaires où il y va de l'interêt du Roy, on ne peut s'at­tendre à aucune justice, particuliere­ment si c'est dans un procez où il s'a­gisse d'argent.

Le salaire des Juges est fort peu de chose, il se paye de l'argent de la Treso­rerie, & ne peut étre apellé Taxe. Le Byfogd a de revenu environ cent Rix­dalles par an, & se paye de ses propres mainssur les amandes des deliquans. A la Campagne les Herredfogds n'ont de revenu, que la rente que l'on doit au Roy pour une ferme qui est estimée à dix tonnaux de seigle outre cela il re­çoit de celui qui accuse & de l'accusé la somme de dix sols pour chaque senten­ce; & dans les Villes & Bourgs le Byfogd ou juge a une fois d'avantage. De plus les parties qui sont en procez, sont obligées de payer au Clerc du Gref­fier une certaine somme pour chaque fe [...]ille de papier, où tout le procez est écritau large, & où toutes les Proce­dures de chaque partie, soit verballes ou par écrit, sont couchées, & sur la fin, l'original de la sentence. A la [Page 231] Cour du Byfogds & du Landstag, les juges cittent les Loix dans la sentence, & ajoütent les raisons sur les quelles leur jugement est fondé; mais dans cel­le qui est apellée le High Right, on né donne aucune raison, ou si on en don­ne cela arrive rarement. Et afin qu'aucun Greffier ait l'occasion de voler ou de tromper les Clients en remplissant par de gros caracteres plus de papier qu'il ne faut, on a li­mité le nombre des feüilles, tel­lement que personne n'est obligé de payer au dela du nombre limité. Cha­qu'un a la liberté de plaider sa propre cause quand il lui plait. Neanmoins c'est l'ordre du Roy, que les Magi­strats ayent soin de se pour voir d'un ou de plusieurs Avocats, dontils con­noissent le merite, pour plaider les causes des pauvres gens, & de ceux qui ne peuvent pas plaider eux mèmes; enfin on peut plaider l'un contre l'au­tre à peu de frais puis qu'un Playdeur peut obtenir sentence dans les trois Cours, dont il y en a une definitive pour cinquante Rixdalles qui sont moins de dix livres Sterling d'Angle­terre, excepté que la somme qui est en question soit fort considerable, ou qu'il y ait plus de témoignages qu'a [Page 232] l'ordinaire, qui étant tous écrits sur du papier marqué, coùtent davantage; ces loix sont si exped [...]tives & si équi­tables, que tous les Marchants & les étrangers les estiment beaucoup, & particulierement ceux, qui sont forcés d'y avoir recours. Il ne faut pas croi­re, que le peu d'argent eu'il en coûte à plaider, encourage à la chicane ceux qui ayment les procés, car les loix ont pourveu elles mêmes au mal qu [...]en pouroit ariver, & arrachent s'il faut ainsi dire jusqu'à la racine, toute l'hu­meur litigieuse des Chicaneurs. El­les sont si claires & si aisées q [...]'une personne malicieuse ne trouve jamais son compte à intenter des procés: an contiaire elle y trouve toutes les traver­ses qu'on pouroit lui soûhaiter.

Dans les affaires criminelles, on observe la Justice exactement & fort severement. On n'a jamais entendu que personne ait été trouvée coupable du c [...]ne de leze Majesté, le Gouver­nement a pris des r [...]cines si profondes sur les fondemens où il est à present, que personne n'oseroit seulement re­muer la langue pour y trouver quelque chose à redire. Il n'y a poin [...] de Ro­gneurs de Monnoye, ny de faux Mo­noyeurs, il n'y a point de voleurs de [Page 233] grands chemins, ni d'autres sçcelerats qui forcent les Maisons pendant la nuit ce qui est un grand avantage, parmi la quantité de malheurs qui arri­vent sous un gouvernement despotique, & ce que j'ay aussi remarqué en Fran­ce, dont nous ne joü [...]ssons point dans noôtre Païs, Puet étre à cause que ces Princes étant Maîtres absolus de la bource de leurs sujets en prennent soin aussi particulierement que d'eux mê­mes, c'est pourquoy ils employent toutes sortes de moyens pour empêcher, que personne ne les trompe ou les vole, par la même raison qu'on tüe les Belettes qui mangent les pigeons dans un Coulombier, c'est-à-dire, afin qu'ils en puissent eux mêmes tirer le profit. Les Crimes capitaux que l'on commêt le plus souvent sont le meurtre & le vol On punit les Criminels en leur tranchant la tête d'un seul coup de sabre, ce qui se fait fort adroitement: le Boureau, quoy qu'in­fame par sa Charge, tellement que personne ne veut marcher avec lui dans les rùes, est pour l'ordinaire fort à son aise; il a d'autres moyens pour gagner de l'argent qui lui sont fort avanta­geux, & que personne n'oseroit entre­prendre que lui, comme de vuider les [Page 234] lieux secrets, d'ôter de de dans les rûes ou des écuries les chiens ou les chevaux morts. Car il n'y a point de valet en Danemarc qui voulût pourquoy que ce soit toucher à aucune de ces choses là, & le boureau à une certaine somme qui lui est taxée pour ces sortes d'af­faires, & qu'il fait faire par un de ses vallets apellé le Backer.

Les Avocats ne sont pas élevés com­me en Angleterre dans des societés pu­bliques, comme dans nos Colleges de Juris-Consultes ou de la Chancellerie, aussi ne prennent ils point la qualité d'Avocats, ou de Docteurs és loix, mais commencent à suivre leur profes­sion quand il leur plaît, selon leurs pro­pres inclinations ou leur capacité.

Outre les trois Cours ordinaires dont nous avons fait mention, il y a des Commissaires de l'Amirauté, qu'ils apellent la Cour de l'Amirauté, où les affaires de la marine s'agitent, comme ce qui regarde les prises, les naufrages & les disputes qui survienent entre les Armateurs &c.

Il y a aussi une Chancellerie qui consiste en un cerrain nombre de Gref­fiers qui écrivent & publient tous les Ordres du Roy, Envoys, les Adjourne­ments, copient les Ecrits, dressent en [Page 235] latin les minutes des Alliances & des Traités avec les Cours étrangeres se­lon les directions qui leur sont données. Enfin ils étoient autrefois sous le Gou­vernement d'un homme qu'on apelloit Chancelier, mais depuis la mort de Monsieur Vibbe, cet employ n'a point été rempli, & cela ne ressem­ble point à nos Charges de Grand Chancelier d' Angleterre. Les Gref­fiers de ce Bureau ont de petits gages du Roy, outre que pour chaque ad­journement donné par devant la princi­pale Cour, & pour chaque ordre qu'ils publient ils ont une certaine somme, qu'ils pattagent entr'eux.

Il y a un Officier public à Copen­hague apellé le Maître de Police dont la fonction est de tenir en bon ordre toures les affaires qui regardent la Ville. Il doit prendre garde, que les marchands vendent de bonnes mar­chandises, & qu'ils ne se mélent point du Negoce les uns des autres, il doit accommoder les differens qui pouroient survenir entr'eux sur ce sujet. Il doit prendre soin de tenir en bon état les maisons publiques, les ponts le­vis, & les canaux; il doit faire paver & netoyer les rües, & en faire ôter tout ce qui pourroit embarasser, & faire [Page 236] du desordre. Il doit prendre garde, qu'on n'y aporte point des Marchan­dises defendües & de contrebande, qu'il y ait toûjours assez de pain & de farine, & qu'on le vende à un prix raisonnable, & que tout soit prêt pour aider à éteindre le feu en cas d'embrase­ment &c.

Effectivement ces ordres là sont fort bons & bien executés, premierement il y a des Compagnies nommées pour faire la Ronde & pour éteindre le feu, & personne, excepté eux n'ose en aprocher que jusqu'à une certaine distance, de peur que sous pretexte de secours on ne pille. Les Ramon­neurs de Cheminées sont obligez de tenir un regître de toutes les chemi­nées qu'ils netoyent afin qu'en cas d'ac­cident, ceux chez qui le feu prend, par leur negligence ou par leur avarice soient responsables des dommages qui en arivent.

On n'oseroit porter icy de Torches ny de flambeaux dans les rües à cause de la grande quantité de bois de sa­pin dont on se sert à batir, & des grands vents qui y regnent; au lieu de cela tout le monde (même à la Cour) se sert de grandes lanternes rondes qu'on porte au bout d'un bâton; le [Page 237] Maître de Police régle ce que ceux qui voyagent dans des Chariots doivent donner, & punit ceux qui veulent exi­ger d'avantage que l'ordre qu'il a éta­bli, si quelqu'un s'en plaint. Il punit aussi ceux qui voyagent sans permis­sion dans le grand chemin qui est par­ticulier au Roy, & qui portent des fusils pour tuer en cachette des cerfs, des lievres, ou autres sortes de Gibier lors que la chasse est defendüe. Il prend soin de supprimer les excés, le li­bertinage & le deréglement des sol­dats, qui n'ont pas permission d'aller dans les rües quand on a batu la retrai­te, & en general de tout ce qui re­garde le repos & le bon ordre.

Entre les bons réglemens qui sont en Danemarc je regarde celui que les Apotiquaires observent, comme un des principaux. Car personne n'a per­mission d'exercer cette profession, à moins que d'étre aprouvé par le College de Medecine, & confirmé par le Roy lui même. On n'en sou­fre que deux dans la ville de Copen­hague & un dans châque autre ville considerable. Les Magistrats accom­pagnez des Docteurs en Medecine visi­tent leurs boutiques & leurs drogues, deux ou trois fois par an & celles qui [Page 238] sont ou vieilles ou mauvaises on les prend, & on les jette sur le fumier hors la ville. Le prix de toutes ces dro­gues est fixé, tellement qu'on peut, sans crainte d'étre trompé, envoyer même un enfant chercher quelque cho­fe dans la boutique d'un Apotiquaire & il ne s'y vend rien que de fort bon, & à fort juste prix. Tout s'y vend argent comptant, neanmoins ils enregi­strent tout ce qu'ils vendent à qui, & par l'ordonnance de quel me­decin. Tellement que les malheurs qui arivent par le poison, soit par ac­cident ou de bonne volonté, sont fort peu frequens; mais s'il arive quelque chose de semblable il est aisement découvert, & promptement puni.

Ce païs icy est divisé en plusieurs Jurisdictions ou Gouvernemens, apel­lez Stifts ou Ampts qui sont en tout sept; dont il y en a quatre en Jutland, les autres trois sont dans les Iles: cha­cun de ceux-cy est encore soudivisé, en trois plus petites Jurisdictions, apellées Ampts. Le Stifts-Ampts-Man ou Gouverneur du Païs, est d'ordinai­re une personne d'une qualité distin­guée, & leurs charges répondent à celles de Lieutenants de Roy de nos Provinces en Angleterre, ou plûtôt a [Page 239] celles des Intendans en France. L'Ampt-man ou Lieutenant Gouver­neur d'un canton, ou d'un balliage est toûjours un Gentil-homme, mais de moindre qualité & qui a moins de bien que le Stifts-Ampts-Man. Il demeure dans la principale ville de sa jurisdiction & prend soin de toutes les affaires qui regardent le public: com­me du bon ordre dans le logement des soldats, d'ordonner de leur marches, de lever le revenu du Roy, de don­ner des ordres aux Païsans lors qu'ils sont employez à travailler pour le pu­blic, ou à racommoder les grands chemins quand le Roy va en voyage; où ils agissent eux mêmes, ou font a­gir leurs officiers subalternes qui sont comme nos Baillifs ou Connetables. Ces emplois sont pour la plus part, à vie & à la nomination du Roy, & sont les principales recompences de ceux qui les ont bien meritées. Ce­lui qui a servi long-temps & fidelle­ment en qualité d'Ambassadeur ou d'Envoyé dans les Cours étrangeres, ou dans quelque autre employ consi­derable dans la Police, est d'ordi­naire recompencé, (lors qu'il y en a de vacantes) de la charge de Stifts-Ampts-Man de sa Province: pourveu qu'il [Page 240] y ait assez de bien, & de credit pour répondre à cet employ. Les Gen­tils-hommes de la Chambre du Roy & les autres officiers de la Cour lors qu'ils se marient, ou qu'ils se retirent de la Cour, sont recompensés de la charge d' Ampts, & alors ils s'en vont vivre chez eux, & cela pourvû qu'ils ayent servi long-temps & qu'ils soient dans les bonnes graces du Roy.

Il leur paye à chacun une certaine somme par an, des deniers de la Tre­sorerie. Il donné à un Stifts-Ampts-Man mille Ecus par an, & quatre cents à un Ampts-Man. Les princi­paux avantages qu'ils ont de ces Em­plois sont ceux cy. Premierement ils sont plus considérés, & mieux dans les bonnes graces de la Cour que les autres. Ils se tirent mieux d'affaire lors qu'il y a une Taxe generalle, & peuvent souvent trouver les moyens d'en décharger leur propre Jurisdi­ction en les rejettant sur les autres, & de plus la Cour n'aime pas à entendre les plaintes qu'on pouroit faire con­tr'eux. En second lieu, on les craint & on les honore extremement chez eux, & ils ont le privilége de domi­ner sur les Païsans, & de control­ler leurs inferieurs, à moins qu'ils [Page 241] ne le fassent trop grossierement, ou demesurement.

Avant que j'acheve ce Chapitre, je croi qu'il ne sera pas mal à propos de vous dire qu'il n'y a en Danemarc, ni Seditions, ni Mutineries, ni Libelles contre le gouvernement, au contraire toutle monde aime, ou pouroit aimer extremement le Roy, malgré les mauvais traitements & la dureté dont il les traite, & la servitude sous laquel­le ils gemissent. Et je croi que la principale raison de cela est l'egalité des Taxes & la maniere de les imposer.

Ceux qui ne le sçavent pas par expe­rience ne peuvent s'imaginer quelle consolation il y a dans la soufrance lors qu'on voit qu'il y en a d'autres qui sou­frent aussi, pourveu que les habitans soient traitez comme leurs voisins ils ne disent mot. Ce qui chagrine ceux qui sont oppressez dans la plus part des Païs (particulierement le commun peuple, qui d'ordinaire porte envie à tout le monde) est de voir leurs Pro­vinces, leurs paroisses ou leurs maisons étré plus taxées à proportion que celles de leurs voisins, & ils ont raison d'étre mal satisfaits de cela, parce qu'il appo­vrit tout-a-fait ceux qui sont plus char­gez de taxes que les autres. Cela ne di­minûe [Page 242] pas le fond que les sujets posse­dent lors qu'on régle à un prix égal & moderé toutes les marchandises & au­tres choses nécessaires, qui se vendent dans un païs. Mais lors qu'on pille sur les uns, & qu'on laisse les autres dans la prosperité, cela les rend avides de profiter de la necessité où est le pauvre peuple.

C'est la marque certaine d'un mau­vais Gouvernement, lors qu'il y a beaucoup de Loix. Mais aussi ce n'est pas la marque d'un bon, lors qu'il y en a peu, comme on le peut voir dans ce que j'ai dit du Danemarc.

Quoi qu'il en soit, je compare l'a­vantage qu'on a d'avoir peu de loix & bonnes à un grain de consolation, pour adoucir un monde d'amertumes: neanmoins cela les rend capables de suporter plus patiemment les maux qu'ils endurent.

CHAPITRE XVI. Touchant l'état de la Religion, le Clergé & l'Education.

QUand l'Eglize Romaine devint si intolerable par sa corruption à [Page 243] plusieurs nations de l'Europe, & qu'on vit qu'il étoit necessaire d'une re­formation generalle, le Danemarc parmi le reste des païs du Nort, (où les Prétres avoient plus fait de ravage & où ils avoient plus aisement trom­pé les peuples que dans les Meridio­naux) secoüa ce joug, & au lieu de la Religion Catholique Romaine, em­brassa la doctrine & les opinions de Martin Luther. Le Roy Frederik premier, il y a environ cent cinquan­te ans, l'embrassa aussi, & l'etablit si generalement dans ses Etats que jusques aujourd'hui on n'y professe point d'au­tre Religion que la Lutherienne, ex­cepté la petite Eglize Reformée, com­posée de François Refugiez que la Rei­ne a fait batir elle même à Copenha­gue, & une Chapelle Papiste à Gluc­stad qu'on tolere depuis dixans, & que l'on a donnéé à quelques familles Pa­pistes qui demeurent dans ce païs-là qui est la premiere qui y ait été depuis la Reformation; cette grande union touchant la croyance dans les païs du Nord, (car c'est la même en Suede comme en Danemarc (vient de la sin­cerité des Princes qui y commencerent la Reformation. Car on doit croire qu'ils le firent par des sentimens verita­blement [Page 244] religieux, & que par cette raison ils commencerent à travailler à la conversion generalle de tous leurs sujets en se servant de moyens convena­bles pour y reüssir. Au lieu qu'en Angleterre & ailleurs les raisons d'Etat, & d'autres certaines veües y ont eu aussi grande part que le salut de l'ame & la conviction des consciences. Enfin la Reformation ne s'y est établie qu'a demi, acanse de l'incertitude de la croyance de nos Princes qui tentôt en couragoient ou supportoient le parti nonconformiste, selon qu'ils étoient menez pour leurs interêts. Le grand avantage qu'a un Prince, dont les su­jets sont tous d'une religion, se voit en Danemarc, où il n'y a ni factions ni disputes touchant la Religion qui pour l'ordinaire se voyent dans les au­tres gouvernemens.

En Danemarc tout le monde est d'un même sentiment à l'egard du sa­lut, & en ce qui touche le devoir en­vers leur Souverain. Cela coupe pié au libertinage, empêche plusieurs de se rebeller & de se mutiner, qui autre­ment ne demanderoient pas mieux & qui le feroient avec assez juste raison, puis qu'ils gemissent sous un joug si pe­sant. Tandis que les Ecclesiastiques [Page 245] dependront entierement de la Couron­ne, & que le peuple sera entierement gouverné par eux, en ce qui regarde la conscience, comme ils sont ici; le Prince sera aussi absolu qu'il lui plaira sans courir aucun risque du côté de ses sujets. Aprés avoir bien consideré les avantages que cela raporte, on verra que les Ecclesiastiques sont ici ex­tremement favorisez, & qu'ils ont la liberté entiere d'étre aussi bigots qu'il leur plait. Ce qu'a la verité ils sont au plu [...] haut degré, n'ayant aucu­ne charité pour ceux qui leur different en croiance excepté l'Eglise Anglicane qui est la seule dont ils parlent en bons termes, & dont ils disent souvent qu'il n'y a aucune difference essentielle entre-elle & la leur, & qu'ils souhaite­roient qu'on put faire & achever quel­que projet qui pût les reünir. Non pas que leur dessein soit de redui­re leurs Ecclesiastiques dans un état plus bas qu'ils ne sont, mais ils au­roient envie de les élever à la grandeur & aux richesses des nôtres, qui sont les principales vertus qu'ils admirent en nous. Ils ont rejetté les opinions de Rome touchant la supremacie du Pape & quelques autres points. Mais ils voudroient bien retenir la pompe de [Page 246] cette Eglise, & c'est en cela qu'ils nous applaudissent de ce que nous l'i­mitons de si prés. En sorte que jesuis assuré que la Doctrine de la consubstan­tiation ne seroit point une matiere de dispute si les Princes croioient que cette reunion valut la peine d'y tra­vailler. D'autre côté ils haissent les Cal­vinistes autant que les Papistes, & la raison qu'ils en donnent est parce qu'ils sont contre le gouvernement Despoti­que, & qu'ils croient qu'on peut sans peché si opposer.

Neanmoins quoique la Cour flatte le Clergé; ils ne sont point reçeus dans aucune affaire civille & ne se melent point du tout du gouvernement: aussi n'ont-ils aucune affaire à la Cour ou dans des autres occasions publiques. La chaire est leur seule occupation; là ils ont toute liberté, on leur permêt non seulement d'y reprendre les vices mais même les personnes de qualité en les nommant par leur nom: ce que person­ne ne trouve mauvais, sçachant que cha­qu'un doit faire la fonction de sa charge.

Le commun peuple les admire à cause de cette hardiesse, & la subsi­stance des Ministres, pour l'ordinaire dans les Villes & dans les Bourgs de­pend de la bonne volonté du public. [Page 247] Ils ont soin de cultiver l'affection des peuples, qu'ils entretiennent dans le respect par le moyen de la confession qu'ils pratiquent toutes les fois qu'ils doivent communier, & ce que tous ceux qui veulent recevoir le Sacrement doivent faire: ce qui est une des cho­ses qu'ils ont retenu de l'Eglise Ro­maine, aussi bien que les Crucifix & plusieurs autres ceremonies.

Il y a six Super-Intendants en Dane­marc qui sont fort aises d'étre apellez Evêques & Meseigneurs, assavoir un en Zéelant, un à Funen, & quatre en Jutland. Il y en a aussi quatre en Norwegue. Ceux-ci n'ont point de biens Temporels, ils ne tiennent point de Cour Ecclesiastique, ils n'ont point de Cathedralle, de Prebandes, de Chanoines, de Doyens, ni de sous-Doyens, mais sont seulement primi inter pares. Ils tienent un rang au dessus de tout le petit Clergé de la Pro­vince, & ils ont inspection sur leurs doctrines & sur leurs manieres de vivre: l'Evêque de Copenhague a environ deux milles Rixdales de revenu par an. Les autres Evêques de Danemarc en ont environ quinze mille entr'eux, & ceux de Norwegue environ mille. On leur alloüe à chacun deux ou trois Pa­roisses. [Page 248] Ils sont habillés comme les autres Ministres. C'est à dire, ils portent une robe noire plissée, avec des manches courtes, une grande Fraize empesée au tour du col, & un bonnet avec des petits bords comme sont ceux de nos maitres aux arts, ex­cepté que le leur est rond & le nôtre quaré. La plus part d'entr'eux enten­dent l'Anglois, & comme ils le con­fessent eux mêmes, ils tirent le meil­leur de leur Theologie des autheurs de cette nation là. Il y en a beaucoup qui ont etudié à Oxfort qui sont plus estimez que les autres. Ils prêchent fort souvent & ne lisent jamais leurs sermons, mais les recitent avec beau­coup de chaleur & de zele. Ils obser­vent les jours de fêtes & les jours de jeunes aussi solemnellement que les jours de Dimanche; & à Copenhague on ferme les portes de la Ville pendant le sermon tellement que personne ne peut entrer n'y sortir, la populace frequente souvent les Eglises qui sont plus decenment entretenües, plus pro­prement & mieux ornées que les nô­tres. Desorte qu'elles paroissent aussi pleines de faste que celles des Pa­pistes.

Ils aiment extremement les orgues [Page 249] & ils en ont beaucoup de tres bon­nes, & de fort bons organistes qui joüent toûjours environ une demie heure devant & aprés le service. Le Danemarc à autrefois produit des hommes fort sçavans comme le fa­meux Mathematicien, Ticho Brahe, Bartholines pour la Medecien, & Bo­richius pour l'Anatomie. Ils sont tous morts depuis peu, & ont laissé des grands biens qu'ils ont donné à l'Uni­versité de Copenhague. Mais à pre­sent, le sçavoir y est fort mediocre, neanmoins leurs Ecclesiastiques par­lent ordinairement mieux latin que les nôtres. Il ne s'imprime que fort peu de livres, & entre ceux là paroissent quelques mauvais traités de contro­verse contre les Papistes ou les Calvi­nistes. Les belles lettres sont icy fort rares & on aura de la peine a [...]les y in­troduire jusqu'à ce que les personnes de qualité marquent y avoir plus d'in­clination. On dit que la necessité est la mere de l'industrie, ce qui peut étre vray dans de certaines occasions, mais je suis assuré qu'une trop grande né­cessité diminüe l'esprit & même l'a­batârdit entierement, d'autant plus que les gens de ce Païs icy n'ont au­cun genie, & les manieres que les [Page 250] étrangers y aportent ne valent pas la peine d'être imitées.

Il n'y a dans tout le Royaume qu'u­ne Université qui est à Copenhague & qui n'est pas de grande importan­ce, leurs Colleges n'ont que de fort petits revenus, & ne sont pas compa­rables aux moindres des nôtres pour la beauté des batiments. Les Etu­dians portent des habits noirs & de­meurent par-cy par là dans la ville comme ceux de Leide, il y a quelques Professeurs qui demeurent dans les Colleges, mais fort peu. Une fois par an, assavoir le jour de la naissance du Roy ils representent une espece de Tragicomedie. Le Roy les y honore de sa presence, & le Recteur Magni­fique luy fait une harangue en Latin, qui est pleine de flaterie aussi dégou­tante, que si c'étoit quelque Jesuite fla­teur qui harangua Louis le Grand. De periode en periode, quelques en fans de Choeur chantent assez mal d'assez mauvais vers, & ainsi finit la Comedie.

Il y avoit du tems du Pere de ce Roy icy une Université à Sora qui est une ville assez agréablement située à en­viron quarante mille de Copenha­gue, où les Colleges & les commodi­tés [Page 251] pour les Etudians, excedoient de beaucoup ceux de cetre ville. Mais le Roy a eû affaire de leur rentes, tel­lement qu'elle est à present ruinée & est devenüe une petite Ecole, où on enseigne les principes de la Grammai­re.

Les soins qu'on a pour les pauvres sont peu considerables; autrefois il y avoit quelques Hopitaux épars ça & là a la Compagne, mais à present le revenu de la pluspart ont été employez à d'autres usages qui ne sont point pour le bien du public.

Pour finir, je n'ay jamais connu aucun Païs où les esprits du peuple soient plus d'une même trempe, & où les habitans s'accommodent si bien dans leur humeur; vous ne trouverez personne icy qui ait des talens extraor­dinaires, ou qui excelle dans le sçavoir ou dans les métiers. Vous ny verrés point d'Entousiastes, de gens fols, d'Idiots, ny de Fantasques mais il re­gne parmi eux une certaine égalité d'intelligence fort particuliere, tout le monde suit la toute du sens com­mun, qui ne manque ny n'abonde parmi eux, & ils ne se détournent ny à droite ny à gauche; j'ajoûteray seule­ment cette remarque à leur lo [...]ange que [Page 252] generalement le commun peuple, sçait lire & écrire.

LA CONCLUSION.

C'est une erreur generalement re­ceüe parmi nous, que de toutes les Sectes Chrêtiennes le Papisme est la seule qui soit propre à introduire la ser­vitude dans un Etat, de sorte qu'on croit que le Papisme & la servitude sont deux choses inseparables. Mais sans pretendre toucher aux avantages que le Papisme a sur les autres Religions, & dont plusieurs Monarques se sont servi heureusement pour établir la ser­vitude, je dirai hardiment que les au­tres Sectes & particulierement la Lu­therienne ont reüssi dans ce dessein aussi efficacement que le Papisme ait jamais fait. A la verité on confesse que le Papisme est tres propre à introduire la servitude; mais on nie que la servitu­de ne puisse pas s'introduire sans le Papisme. Car si l'on prend la peine de considerer les Païs où la Religion Protestante est seule dominante, & qui n'ont perdu leur liberté que depuis [Page 253] qu'ils ont quitté leur Religion pour en embrasser une meilleure, on sera con­vaincu que ce n'est pas le Papisme qui detruit la liberté & par consequent tout le bonheur de quelque peuple que ce soit, mais plûtôt la doctrine qui en seigne une obeissance aveugle pour ses Souverains. Certes je suis persuadé que plusieurs personnes sont convain­cües que les efforts que Jaques second a fait pour introduire le Papisme dans l'Angleterre sont cause que nôtre li­berté n'a pas été entierement englou­tie: on s'apperçoit bien que sous son Regne les uns par un vil interêt & une lacheté honteuse, les autres par un re­lachement de moeurs, une paresse, & une ignorance extreme concouroient à jetter la Nation dans l'esclavage; & à peine se seroit-on vigoureusement opposé à un si pernicieux dessein, si le Roy n'avoit pas touché à la Religion; & je soutiens que si la servitude avoit été une fois introduite on l'auroit beau­coup plus facilement maintenüe que du temps du Papisme; parce que la soumission que le Clergé & les Moines ont pour le Saint Siege & la depen­dance où ils sont pour Rome cause souvent opposition d'interêt, & dimi­nüe cette entiere obeissance que les [Page 254] sujets doivent à leur Prince; obeissan­ce que l'Eglise Romaine exalte aussi souvent que les Princes agissent selon ses mouvements & ses interêts, & qu'elle ravale toutes les fois qu'ils s'en écartent & qu'ils lui deplaisent. L'An­gleterre nous fournit des exemples de cette verité, car du temps du Papisme il y a eu des Evêques & des Abbés plus zelés defenseurs des libertés du peuple qu'aucun Laïque: je ne determinerai pas si c'étoit par un bon principe ou non: mais ils ont pris de là occasion d'exciter des troubles & des guerres; & parmi ces desordres les libertés du peuple (dont le Roy & les gens d'E­glise tachoient à l'envi de se rendre maîtres) ont demeuré en leur entier sans qu'on y ait touché. Mais en Da­nemarc aussi bien que dans les autres Païs Protestans du Nord, l'entiere & absolüe soumission que le Clergé a pour les ordres du Prince, sans jamais s'y op­poser sous pretexte de l'autorité d'un superieur dans l'spirituel comme parmi les Papistes; la Doctrine receüe d'une obeissance aveugle à la volonte du Sou­verain, l'autorité que les Ecclesiatiques ont sur le peuple font qu'il semble que la servitude y est mieux établie qu'elle ne l'est en France, comme en effet elle [Page 255] y est mieux mise en pratique, car les sujets du Roy de France sont beaucoup mieux traités qu'en Danemarc; en France il y a à Paris aussi bien que dans d'autres grandes villes des Parle­ments, quoy qu'ils ne s'assemblent à autre fin que pour verifier les Edits du Roy. En France il y a des Provinces où on demande un don gratuit dans les formes, il y a apparence qu'on ne peut pas le tefuser. En France il y a des recompenses pour perfectionner les Sciences & les Arts, pour établir des Manufactures &c. ce qui tend au bien & à l'avantage du peuple. De plus nous voyons par experience que le Roy a souvent des grands demelés avec la Cont de Rome, & que lors que le pouvoir du Pape y est fort abattu & presque reduit à rien, le Clergé qui y maintient le sien peut produire de si grandes divisions & de si grands trou­bles que du choc de ces deux pierres il peut en sortir quelques étincelles favorables à la liberté du peuple. Mais dans les Pais dont je vous ay par­là il n'y a aucune esperance d'une tel­le resource; tout est au pouvoir du Prince, le temporel & le spitituel, les biens & la conscience, l'ame & le corps, l'armée & les Prêtres, deux [Page 256] moyens trés seurs pour affermir son au­torité. Car le Prince qui a l'un de'ces deux moyens a sa disposition peut diffici­lement faillir; moins encore celui de qui l'un & l'autre dependent, & quel­que mal qu'il traite ses sujets il n'a rien à craindre d'eux.

Plusieurs Auteurs nous ont parlé du Gouvernement rigide & despotique des Turcs, & nous en rapporterons quelques particularités pour les compa­rer avec ce qui se pratique en Dane­marc.

Les Turcs dans tous les Païs qu'ils ont inondés sont les Maitres des Chrê­tiens, & par une espece de droit bar­bare à la verité ils peuvent les maltrai­ter; cependant ils ne les persecutent jamais sur le fait de la conscience; ils les laissent dans leurs maisons-cultiver leurs propres terres sans les inquieter, pourvü que toutes les années ils payent un carack pour le tribut seule­ment en temps de paix, car pendant la guerre ils en sont exempts, & j'ay ap­pris par un Ministre de l'Empereur que ce tribut dans la Hongrie, l'Esclavo­nie, la Servie, & la Bosnie ne mon­toit qu'a dix Ecus ou environ pour une famille ordinaire. Il est vrai que dans toute la Turquie toutes les terres ap­partienent [Page 257] en propre au Grand Sei­gneur, mais je laisse à juger au Le­cteur s'il ne vaut pas mieux étre un fermier en faisant une petite rente que de porter le nom de proprietaire sans un entretien consolent, & en un mot sans étre maitre de rien.

On regarde l'enlevement des enfans des pauvres Chrêtiens d'entre les mains de leurs parens comme une chose fort dure, quoi que ce soit pour le profit & l'avantage de ces enfans. Mais mettant à part la Religion, c'est un mal moins cruel d'arracher du sein des peres leurs enfans mâles & fe­melles dans la veüe de les bien entrete­nir, que de leur laisser cette charge ac­cablante, aprés leur avoir ôté tous les moyens de les nourrir & de les éle­ver.

Les Pais qui sont sous la domination du Turc offrent tant d'avantages pour le profit & le plaisir, que l'on peut dire qu'ils surpassent infiniment tous ceux des Païs du Nord que nous connoissons; la proximité du soleil, la fertilité du terroir, la douceur du Climat & la si­tuation qui lui procurent mille autres avantages en sont les veritables causes. Dans la Turquie les potts sont toûjours ouverts, si on excepte quelqu'uns de [Page 258] la Mer Noire qui sont fermés par les glaces durant trois ou quatre mois de l'année; en Turquie les fruits, les viandes, les grains & les herbes ont une plus grande vertu qu'ils n'ont en Danemarc. En Turquie le vin y est bon par excellence & en abondance; l'eau y est tres salubre & agreable, au lieu qu'en Danemarc le vin y est rare, & l'eau trés mauvaise. En un mot dans quelques Païs de l'Europe où la Reli­gion Chrêtienne domine sous un climat moins heureux que celui de Turquie, on y voit plus des inconveniens du gou­vernement du Turc qu'en Turquie mê­me. D'ailleurs on doit considerer que les Turcs naturels riches & commodes vivent tres bien, & d'une maniere agreable, & qu'il n'y a que leurs escla­ves qui soient traités de la maniere, dont j'ai parlé ci dessus.

Si l'on demande s'il y a apparence que les choses demeureront en Dane­marc dans le même état où elles sonr à present; quoi qu'il n'y aït rien où on puisse plus facilement se tromper, qu'en portant son jugement sur un avenir toû­jours incertain, je ne ferai pas toute­sois difficulté de repondre à cette que­stion en peu de mots.

Il y a quatre raisons qui fonr croire [Page 259] que le Gouvernement ne peut pas long­tems subsister en Danemarc dans l'état où il est.

La premiere est l'amour naturel de la liberté qui se trouve mieux empreint dans le coeur des peuples du Nord que dans celui des autres nations. Que peu­vent attendre de moins des descendans des anciens Goths & Wan [...]ales qui ont établi la liberté en tant de Païs, que de secoüer un joug pesant que leurs an cê­tres n'ont pû porter, mais sur tout de­puis qu'il est devenu si accablant que les chaines de leurs voisins ne sont rien en comparaison des leurs.

La seconde consiste en ce qu'il y a peu de tems qu'il est arrivé du change­ment dans leur condition; car comme il n'y a que trente deux ans que cela est arrivé, & que plusieurs personnes mê­mes qui sont encore en vie se ressouvie­nent des jours de leur liberté, & que dans leurs discours familiers qu'ils ont avec leurs enfans & leurs amis, ils comparent l'état present avec le passé & regrettent la perte d'un si grand bien on peut croire que le Gouvernement n'étant pas encor bien enraciné & éta­bli, on peut croire dis je que ceux qui se trouvent si accablés penseront aux moyens de changer d'état & de con­dition,

[Page 260]La troisieme c'est le voisinage de la Suede qui a toûjours ses yeux sur le Da­nemarc, & dont le Roy a une forte passion de devenir le seul Manarque du Nord, & le maitre de la Mer Baltique. Aujourd'hui que le fardeau qui accable les Danois est si pesant, on croiroit que dans l'esperance de mieux étre ils sou­hetairoient plùtôt de se ranger du côté de celui qui les attaqueroit, que de se de­fendre, parce qu'ils n'ont rien à perdre & qu'ils croyent qu'il est impossible que leur condition sut pire.

La quatrieme c'est le nombre des esfans du Roy; car y ayant quatre Princes, ce seroit une chose rare que l'union & la concorde se maintint dans la famille Royalle, principalement depuis que selon les apparences le plus jeune n'aura qu'un fort petit appanage; desorte que cela donnera lieu à des que­relles & à des disputes qui peut étre s'é­leveront un jour & qui serviront aux peuples à recouvrer leur ancienne li­berté.

Mais d'un autre côté il y a des raisons qui ne sont pas moins fortes qui nous portent à croire le contraire. Car premierement l'amour de la liberté semble étre entierement éteint dans le Nord; & il paroit encore qu'une [Page 261] obeissance aveugle qui a pris sa place soit un grand obstacle aux changemens. De plus un peuple qui est sans action, dont le coeur est accablé de tristesse, & abatu par les malheurs qui l'environ­nent & qui lui sont devenus familiers, & qui enfin prefere la vie malheureuse qu'il traine à tous ces evenements qui pourroient arriver de quelques troubles, ne peut pas penser à recouvrer sa li­berté,

En second lieu la nouveauté du chan­gement dans le Gouvernement n'a fait aucune impression sur le peuple; car le Roy a pris un tel soin d'abaisser les plus anciennes & les plus riches familles en élevant d'autres, a abattu si fort le cou­rage du peuple, & lui a ôté toutes les commodités dans l'espace de trente deux ans, que je crois que les Da­nois aiment mieux à present la servi­tude que la liberté, & qu'ils la refu­seroient si elle leur étoit offerte, com­me firent autrefois les anciens peu­ples de Capadoce, pour reprendre leurs chaines. Peut étre qu'ils sou­haiteroient bien qu'elles fussent moins pesantes, mais ils ne pouroient pas vivre sans elles. S'il y en a un ou deux entre tant de milles d'un sen­timent contraire, ils n'osent pas seu­lement [Page 262] le dire à l'oreille de leurs pro­pres enfans, & ils ne seroient pas même écoutés avec patience s'ils le faisoient.

En troisieme lieu la conformité dans la Religion & dans les opinions avec l'authorité des Ministres, semble avoir coupé la racine aux seditions d'où il pouroit venir quelque changement.

En quatrieme lieu une armée qui est toüjours sur pié composée pour la plus grand part d'étrangers qui ne font au­cun cas des gens du païs, & qui n'ont pas en veue leur bien & leur avanta­ge, ce qui semble avoir été le dessein de la Cour quand on leva & entretint une telle armée peut arreter les des­seins du peuple, & cette armée dans la suite du temps est devenüe le peuple c'est à dire qu'elle a été seule digne des soins & de l'affection du Roy & le peuple indigne de toute chose, de sorte que l'on ne doit pas craindre qu'aucun dessein qui tende à un chan­gement vienne de leur part.

En cinquieme lieu la Suede ne traitant pas mieux ses sujets, les Danois ne doivent pas attendre de ce côté un grand avantage d'un changement. De plus il y a une si grande haine entre ces deux nations à cause des domages [Page 263] qu'ils se sont si souvent mutuellement faits, qu'on croit comme impossible que les Danois qui la plus part du temps ont attaqué les Suedois, & qui aussi ont soufert beaucoup de dommages puissent jamais le leur pardonner. Plusieurs pe [...]sones judicieuses sont de ce sentiment, que quand le Roy de Suede trouveroit les moyens de sur monter toutes ces difficultés, il ne pourroit pas étoufer les mecontente­ments qu'il a élevés chés lui & quî causeroient une crüelle guerre intesti­ne; ils croyent encore que c'est de l'in­terêt de la plus part des autres Prin­ces de l'Europe de conserver les Da­nois sous la puissance de leur propre Roy, & d'empêcher que la Suede ne devienne pas plus puissante, ni qu'elle augmente son Royaume, & asseure­ment cela est un obstacle si grand qu'on ne peut pas franchir; ainsi le Dane­marc n'a rien à craindre de ce côté là.

Enfin ces jalousies qui regnent or­dinairement dans les familles des Prin­ces ne sont pas si communes ni si fu­nestes en Allemagne qu'ailleurs. Le Roy de Danemarc est luy même un Prince Allemand, & il y a apparence qu'il cherchera les moyens de conten­ter [Page 264] les cadets ou en les poussant aux ar­mes ce qui est la voye ordinaire, ou en leur assignant des appanages dans des endroits qui ne soient pas sujets à des disputes; de plus ce n'est pas une chose rare en Allemagne de voir des Princes se contenter d'un mediocre revenu sans que l'ambition fasse nai­tre dans leur ame du mecontentement à cause du peu de bien; & s'il y a quelque guerre en Europe ils y courent pour s'avancer & pour acquerir de la repu­tation. Que ne fairions nous pas pour la place d'un des generaux qui meu­rent dans la guerre presente.

C'est pourquoy il paroit quel'on ne doit pas attendre de là aucun trouble qui puisse alterer la forme du Gouver­nement. Et par toutes ces raisons je conclu que l'Etat present est fixé & que le peuple pourra peut étre chan­ger de maître avec grand peine mais non pas de condition.

FIN.

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