LETTRE ECRITE A UN NONCONFORMISTE, AV SVIET DE LA Derniére Déclaration de Sa Majesté, pour la Tolérance.

Traduite de L'ANGLOIS.

A LONDRES, Imprimée pour G.... H.... 1687.

LETTRE ECRITE A UN NONCONFORMISTE, AV SVIET DE LA Derniére Déclaration de Sa Majesté, pour la Tolérance.

MONSIEUR;

Puisque les Addresses sont à la mode, permettés-moi de vous en faire aussi une. Celle­ci ne sera point un effet de la Crainte, ni de l'Intérêt, ni du Ressentiment; c'est pourquoi vous pouvés vous assurer qu'elle [Page 4] est sincére: & à cause de cela j'espére qu'elle sera bien receüe de vous. Sçavoir si elle aura assés de pouvoir pour vous con­vaincre, c'est ce que je ne sçai pas; Cela dépendra des rai­sons desquelles vous jugerés: & aussi de la disposition d'Esprit dans laquelle vous serés à l'é­gard de la Verité, lorsqu'elle vous sera représentée. Elle ne doit pas être moins bien receuë de vous, à cause qu'elle vient de la main d'un Ami, la ten­dresse duquel n'est en aucune façon altérée par la différence des Sentimens, parce que je ne croi pas que l'Affection ou le Zéle d'un honnête homme pour le Bien Public, doive se borner à souhaiter l'avantage d'un seul Parti de Protestans, à l'exclusion des autres. Ce qui seroit détruire la Charité, que [Page 5] nous devons avoir les uns pour les autres, & qui est sur tout indispensablement nécessaire au tems où nous sommes, si nous voulons nous garentir des maux qui nous menacent tous égale­ment.

Je ne suis ni surpris ni irrité, de voir qu'en l'état fàcheux où vous êtes par la Constitution de nos Loix, & dans le mau­vais prédicament où l'on vous a mis, en vous accusant d'a­voir êté les Auteurs de l'Ex­ciusion & de la derniére Rebel­lion; Je ne suis pas, dis-je, surpris que vous tâchiez de vous mettre à couvert des miséres sous lesquelles vous avez gémi long-tems, & de les éviter à l'avenir. Des gens qui se trou­vent mal, sont assez sujets à prendre d'abord les premiers Remédes qu'on leur présente [Page 6] avec précipitation, sans en en­visager toutes les conséquen­ces: On doit avoir de l'in­dulgence pour ceux qui se sen­tant ainsi pressez, se laissent aller d'abord aux Remédes qui leur promettent du soula­gement. Quand à des gens qui sont dans les souffrances, on présente quelque moyen de diminuër leur peine, le mal ne leur donne guéres le tems d'e­xaminer les Remédes; Et les plus fortes raisons n'ont guéres de force sur nòtre Esprit pour le détourner de les prendre jusqu'à ce que la douleur soit diminuée.

Je ne sçai si la chaleur qui a accoûtumé d'accompagner les nouvelles amitiés, ne sera point un obstacle aux raisons que je veux vous alléguer pour vous en détourner. Car c'est à peu­prés [Page 7] comme qui diroit à un Amant qui commenceroit à entrer dans l'espérance de jouïr bien-tôt de ce qu'il aime, que sa joye ne durera pas long-tems. Un langage si desagréable est d'ordinaire fort mal receu; mais j'espére que vous n'êtes point si fort possédé de vôtre nouvelle Passion, que vous n'é­coutiés encore la raison. C'est pourquoi je ne ferai pas de difficulté de vous représenter ces deux choses. La premiére est le sujet que vous avés d'avoir vos nouveaux Amis pour sus­pects. La seconde, l'obliga­tion dans laquelle vous êtes, selon les régles du Christianis­me & de la Prudence, de n'ex­poser point la Sureté publique, par le désir de vous mettre à vót­re aise, ou par des motifs de vengeance.

[Page 8]A l'égard de la premiére de ces choses: Considérez que quelque doux langage quel'on vous tienne à présent. Ces nouveaux Amis ne se sont a­dressez à vous, qu'aprés n'avoir pû réussir auprés des autres; les recherches qu'ils ont pour vous, sont non l'effet d'un choix li­bre, mais d'une necessité vio­lente qui les y a portez; non d'une Prédilection, mais d'un desespoir d'avoir êté rejetté des autres. Car jusqu'ici ç'a toû­jours êté à l'Eglise Anglicane, qu'ils ont fait leur Cour, & lors qu'ils ont vû que l'on ne les écoutoit pas, ils se sont a­dressez à vous. Il n'est pas dif­ficile de prouver que ç'a êté toûjours leur conduite. Je ne m'amuserai pas à vous en ra­porter des exemples, parce qu'il seroit ennuyeux de repé­ter [Page 9] une chose que tout le mon­de sait, & dont personne ne doute. Ainsi vous ne pouvez raisonnablement vous imagi­ner, que l'on ait aucune Incli­nation pour vous. Ils n'ont jamais prétendu de vous faire aucune grace, sinon afin d'u­furper & de surprendre sous ce prétexte, la liberté qu'ils se veu­lent donner contre les Loix. Je vous renvoye aux Lettres de Coleman, & aux Iournaux du Parlement, où vous serez con­vaincu de ce que je vous dis, si vous en doutez encore; & mê­me encore à présent au plus fort de leur empressement pour vous, ils ne peuvent s'empê­cher de laisser échaper des paro­les tout à fait dures contre vous. Tant il est vrai, qu'il est difficile de reprimer & cacher tout à fait ses sentimens, quelque artifi­cieux [Page 10] & dissimulé que l'on soit, & que la Nature est difficile à retenir; Elle éclate souvent & se produit au dehors, ne pou­vant toûjours souffrir l'esclava­ge sous lequel l'Intérêt & la Fraude la veulent tenir.

L'Alliance que font vos nou­veaux Amis entre cette preten­duë Liberté, qu'ils font sem­blant de vouloir vous donner, & leur Infaillibilité, associe en­semble deux choses les plus con­traires qui soient au monde. Non seulement l'Eglise de Ro­me desaprouve que l'on accor­de la Liberté, mais même elle ne peut par ses Principes la don­ner. Le vin n'est pas plus ex­pressément deffendu aux Ma­hometans, qu'il est deffendu aux Papistes de donner libertê aux Hérétiques. Il leur est aus­si impossible de vous garder la [Page 11] Foi à cet égard, qu'il est impos­sible à des hommes mariés, lors­que leur femme est encore vi­vante, d'exécuter un Contract fait avec une autre. S'ils conti­nuoient à vous aimer, cela ne pourroit être regardé par leur Eglise, que comme une habitu­de dans le Crime, de laquelle il faudroit qu'ils se repentissent, & il leur est impossible d'en ob­tenir l'absolution autrement, qu'en promettant de vous détruire aprés. Et ainsi l'on vous embrasse à présent, afin de pou­voir plus facilement vous étouf­fer une autrefois. Il faut avouër que c'est quelque chose de bien extraordinaire de voir l'Eglise Romaine faire des affiches & des placards, présenter des bil­lets & des emplâtres pour les Consciences tendres: Car jus­qu'ici tout ce que nous avions [Page 12] vû de cette Maîtresse Chirur­gienne, c'êtoit une prompte o­pération de la main, à couper bras & jambes, & à faire ampu­tation de membres; Mais pour guérir, il n'y en a jamais eu, parmi ceux qui s'en sont mélés, qui l'ait si mal entendu qu'elle.

De revenir si tôt d'une extré­mité à l'autre, c'est un mouve­ment si contraire à la Nature, que vous devez vous tenir sur vos gardes. Hier vous êtiez des En­fans de Beliat, aujourd'hui vous êtes des Anges de Lumiére. C'est un changement violent, & vous devez un peu l'examiner, avant de le croire: Si vous êtes toû­jours les mêmes; leur disposi­tion est toûjours aussi la même à vôtre égard, quelque chose qu'ils puissent prétendre ou pré­texter. Croyez- vous moins que vous ne faisiez auparavant, [Page 13] que l'Eglise Romaine est Ido­latre? Je suis sûr que non. Vo­yez donc de quelle maniére ils traitent, tant en paroles, que par écrits, ceux qui ont cette o­pinion d'eux. Jugez donc, com­bien l'amitié qu'ils vous témoi­gnent est incompatible avec cet Article capital, si ce n'est qu'ils vous en dispensent, & qu'ils vous assûrent que nonobstant cette opinion que vous avez de leur Eglise, ils ne laisseront pas de vous aimer.

Pensez un peu combien il est dangereux de bátir sur un fon­dement de Paradoxes. Le Pa­pisme est à présent le seul Ami de la Liberté, & l'Ennemi de la Persécution: Les habïtans de Taunton & de Tiverton, sont les plus fidéles Sujets du Monde. Les Quakers qui ont autrefois [Page 14] passé chés les Papistes pour des gens qui n'êtoient pas Chré­tiens, sont à présent les Favoris, & sous la Protection de la Cour; ils sont devenus tout d'un coup les gens du Royaume du plus grand mérite, qui sçavent le mieux vivre, & qui témoignent leur reconnoissance de la meil­leure grace, & d'un stile le plus poli & de la maniére la plus élo­quente. De sorte qu'il ne fau­droit plus s'étonner si un hom­me de cette Religion, nonob­stant son Chapeau, devenoit Maître des Cérémonies. Pour ne rien dire de plus fort, il faut avouër, qu'il y a un change­ment si subit, & tant de choses nouvelles, qu'il est impossible de ne pas suspendre son juge­ment, jusqu'à ce que par une plus grande expérience, nous [Page 15] sçachions au vrai si ce sont des réalitez ou des illusions. Nous avons été honteusement abusés par le passé, si ce que l'on nous veut faire croire est vrai; Mais j'avouë que jusqu'à présent nous avons beaucoup de pen­chant à étre incrédules, si ce n'est que les Prêtres nous prou­vent que leurs paroles peuvent en ce cas faire aussi un subit & véritable changement: & que leur Pouvoir à Transsubstantier les choses n'est point borné au seul Sacrement de la Messe, mais qu'il s'étend jusqu'à altérer & changer la Nature de toutes les autres choses, toutes les fois qu'ils en auront la fantaisie.

Permettés-moi aussi de parler des Instrumens & des Moyen­neurs de vôtre nouvelle Amitié, & vous jugerés de vous-même, [Page 16] s'il n'y a pas beaucoup de sujet de les avoir pour suspects. Il ne faut point se servir de Moyens violens, lorsqu'il ne s'agit que de desabuser les gens par la rai­son; Ainsi nous ne dirons rien qui puisse préjudicier à aucun particulier, quoi que j'avouë qu'il y en ait quelques-uns qui ne méritent guéres d'être épar­gnez, & que l'on ait assez de preuves de leur Prévarication. Mais il faut les laisser là; un mot ou deux peuvent suffire pour vous faire prendregarde à vous. Suposez donc, par example, que les Médiateurs de cette nouvelle Alliance, fussent des gens qui auroient été employez par cy-devant en des Traitez de la même espéce, & que l'on sçût avoir agi alors par l'ordre des mêmes personnes, & à qui l'on [Page 17] eût donné commission de ga­gner les gens par promesses & par récompenses. Ne seroit-ce pas une grande raison de les avoir pour suspects.

S'il êtoit évident qu'ils fussent entrez dans de grands enga­gemens avec un Parti; l'autre Parti devroit recevoir les Pro­positions qu'ils lui feroient, comme des Propositions d'En­nemi; Quelques beaux que soient les prétextes qu'ils pren­nent, on les doit regarder com­me une partie de leur Commis­sion, laquelle selon toutes les a­parences, contient une Dispen­se du Mensonge & de l'In­fidélité qu'ils commettent, lorsqu'elle est favorable au service de ceux qui les em­ployent.

S'il y avoit des gens qui eus­sent êté munis autrefois de Mo­yens [Page 18] & d'Autôrité pour gagner les personnes par des promesses temporelles, & lesquels en con­formité de ce Pouvoir eussent semé de l'argent parmi les Mi­nistres Nonconformistes; & si ces mêmes gens avoient à pré­sent encore la même Commis­sion & Autôrité, & se servoient des mêmes méthodes en cor­rompant par argent ceux qu'ils ne peuvent persuader d'une au­tre maniére: Il me semble qu'il y auroit non seulement lieu d'y soupçonner de la Fraude, mais que la Fourberie seroit ma­nifeste.

S'il y avoit parmi vous des Ministres, lesquels s'étans lais­sez seduire à ces sortes de tenta­tions, seroient en quelque sorte engagez de continuer dans cette foiblesse, par la crainte qu'ils auroient que la chose ne vint à [Page 19] être découverte. Il est certain que les raisons de ces malheu­reux en doivent avoir moins de force, & que leurs Argumens quelques spécieux qu'ils puis­sent être, doivent être suspects, venant de gens qui se sont com­me vendus aux autres, & qui sont sujets & esclaves de rudes Créanciers qui les forcent à une observation rigoureuse du Trai­té qu'ils ont fait avec eux, quel­que injuste qu'il soit.

Si ces gens-là, ou d'autres pré­choient au tems où nous som­mes; qu'il faut se vanger de l'E­glise Anglicane & lui déclarer la guerre; Ne peut-on pas croire qu'un sentiment si injuste & si peu conforme au tems où nous sommes, vient plûtôt de corrup­tion & d'infidélité, que d'igno­rance & d'aveuglement; & que ceux qui jouënt ce violent rôle, [Page 20] ne croyent pas eux-mêmes ce qu'ils disent aux autres, mais ont seulement dessein de s'avancer dans le monde, & que e'est pour cela qu'ils exécutent cet Article de leur Traité, qui les oblige sous peine de perdre leur fortu­ne, à déployer & à mettre en u­sage leur éloquence furieuse? Ils craignent que leurs gages ne leur soient retranchez s'ils sont modérez: Et ainsi, puisque leur intérêt consiste à être violens, ceux qui n'ont pas le même in­térêt, ne doivent point suivre un exemple si intéressé & si partial.

S'il se trouvoit des gens, qui par les crimes dont on les accu­seroit contre ceux qui gouver­nent, avoient crû être obligez pour éviter le châtiment de leur complaire contre leur conscien­ce; & lesquels ne pouvans en [Page 21] obtenir le pardon, auroient crû être obligez pour sauver leur vie ou leur fortune de s'aban­donner entiérement à la Cour: Ces gens-là méritent qu'on dé­plore leur condition, mais non que l'on leur ajoûte foi. Et mê­me je suis sûr que ces pauvres gens-là, aprés s'étre aquitez de cette malheureuse Commission que leur infortune leur impose, seront intérieurement ravis que leurs efforts involontaires ne réussissent point, & pren­dront plaisir que l'on s'oppose à leurs Propositions, lesquelles bien loin de procéder de leur li­bre & franche volonté, ont été extorquées d'eux par la crainte d'être punis pour les crimes que l'on leur impute.

Si dans la grande chaleur même de cette belle Amitié prétenduë, pour faire une com­paraison, [Page 22] il arrivoit qu'au mo­ment où nous vivons, l'ami­tié fût plus sûre avec ceux qui bien loin d'accorder la liberté de Consçience, ne permettent pas même qu'aucun Protestant vive parmi eux. Prenez pour cela quelle partie du Monde il vous plaira, mon Argument sera toûjours bon à l'égard de nôtre Angleterre d'àprésent, & assûrément il ne nous donnera toûjours que trop de sujet d'ê­tre dans le soupçon. Les con­tradictions apparentes doivent nous fraper; ni la Nature, ni la Raison ne les peuvent digé­rer: L'amour propre, ni le panchant que nous avons à nous tromper nous-mêmes pour satisfaire quelque désir présent, avec tout leur Pou­voir quelque grand qu'il soit, ne peuvent point l'emporter sur [Page 23] une conviction telle que plu­sieurs choses nous la fournissent. Appellerez-vous cela de vains soupçons & sans fondement? Avez-vous toûjours été si franc de craintes & de jalousies, que vous puissiez justifier vôtre as­sûrance & vôtre intrépidité si mal fondée, en cette occasion? Un courage si extraordinaire, dans ces temps si terribles, est pour ne rien dire de plus fort, une Vertu trop dangereuse pour étre loüée.

Si donc pour ces raisons & pour mille autres que l'on pour­roit alléguer, vous avez raison de vous défier; Il est certain que ce n'est point de vos nou­veaux Amis que vous devez prendre Conseil. Par exem­ple, les Addresses que nous voyons voler toutes les Semai­nes, & qui nous assomment [Page 24] par cette Inscription; Vne au­tre au Méme; Les Originaux en ont été dressez par des gens qui ne sont pas fort propres à étre les Secrétaires de la Reli­gion Protestante; & vôtre Em­ploi est seulement de les copier un peu plus au net? Chose é­trange, que vous qui avez été par cy-devant si contraires aux Formulaires établis, vous soû­mettiez à ceux que les Prêtres vous dictent. La nature de la reconnoissance est une suite inévitable du plaisir que l'on a reçû des gens qui vous ont obli­gez; elle naît dans le coeur, & de là elle se manifeste par les re­gards, par les paroles, par les é­crits, ou par les actions; Jamais aucun homme n'a eu de la re­connoissance parce qu'on l'en prioit, ou qu'on lui comman­doit, mais parce qu'il avoit, ou [Page 25] croyoit avoir des raisons pour cela. Si donc il y a raison en cet­te occasion de faire des remer­ciemens si extravagans & d'a­voir de la reconnoissance, elle doit se former naturellement, sans que les autres se donnent tant de peine à la procurer; Et c'est une grande cruauté, de cré­ver tant de chevaux de poste à porter des Lettres Circulaires pour foliciter une chose qui de­vroit se faire sans violence ni contrainte: Si la chose mérite en effet que l'on en ait de la re­connoissance, à quoi bon pres­ser tant les gens d'être recon­noissans, & avec tant d'ardeur & de violence, que lorsque la persuasion n'y peut rien, on employe les ménaces les plus terribles pour forcer les gens à cette complaisance. Les remer­ciemens [Page 26] doivent étre volontai­res, non seulement ils ne doi­vent pas étre extorquez par la force, mais même on ne les doit pas mendier, autrement ce sont ou des sottises, ou des piéges pour tromper le Monde; ou bien ils ne signifient rien, ou bien ceux qui les exigent, pré­tendent qu'ils signifient beau­coup plus que ceux qui les ren­dent ne s'imaginent. Si l'on tiroit cette conséquence des Addresses que l'on fait au Roi pour le remercier de sa Déclara­tion; Que ceux quiles présen­tent sont obligez de les deffen­dre en Justice selon la rigueur des Loix, je suis persuadé que bien des gens seroient trompez, & que ceux-là qui le font, n'ont jamais crû a­voir fait un pas si dangereux, [Page 27] comme il aura été; si l'on vient à supposer à la premiére Assemblée d'un Parlement, que tous ces Remercieurs sont de sentiment que le Test soit aboli. Il est plus aisé de pré­venir un pareil malheur avant qu'il arrive, que d'y remé­dier aprés qu'il sera arrivé; & le plus sûr moyen pour éviter un si horrible scandale, c'est de ne faire rien qui puisse don­ner occasion à un tel desordre: Ces Remerciemens de com­mande ne sont pas moins ex­travagans que des Lettres d'A­mour qui seroient sollicitées par la Dame à laquelle elles s'addresseroient: en sorte, qu'outre qu'il n'y a aucun fondement à les rendre, la maniére avec laquelle on les mendie, ou extorque, en rab­bat [Page 28] extrémement du Prix. Il seroit à souhaiter que vous eus­siez retenu vôtre impatience, & que vous vous fussiez con­tentéz de jouïr de vôtre Reli­gion en vous-mêmes, sans cette liberté de l'Exercice Pu­blic, jusqu'à ce qu'un Par­lement vous l'eût accordée; Mais puisque cela n'a pû se faire, & que les artifices de quelques-uns d'entre vous ont abusé du zéle bien intention­né de la plus grande partie, pour leur faire faire cette bé­vûë: Je suis si éloigné de vous condamner avec cette se­vérité, que la chose en el­le-même, mérite peut-être, qu'au contraire j'ai du panchant à vous excuser autant que je puis, & peut-être un peu trop.

[Page 29]Il y a une grande différence, entre jouïr du bénéfice d'un Acte fait contre les régles par d'autres, & entre vouloir appuyer cet Acte & le justifier au préjudice des Loix qui sont établies; La Loi est une chose si Sacrée, que l'on ne peut sans crime en soûtenir la violation en aucune maniére; Mais les foiblesses se peuvent excuser en quelque sorte, quoi que l'on ne les puisse justifier. Le désir de jouïr d'une Liber­té de laquelle on a été si long-tems privé, peut étre une Tentation à laquelle la Rai­son n'est pas toûjours capable de resister. Si dans un tel cas, on n'a pas prévû tous les in­convéniens, les gens modé­rez seront plus portez à dé­plorer l'occasion qui aura [Page 30] fait broncher, qu'à rele­ver trop rudement la faute, lorsqu'elle peut un peu s'ex­cuser sur la bonne Intention; mais lorsque pour vous mettre à couvert de la sevérité d'u­ne Loi, vous renversez toutes les Loix qui servoient de rem­part à vôtre Religion & à la Liberté Civile; & qu'au lieu de jouïr paisiblement du bénéfice de la Tolérance des Religions, vous vous érigez en Avocat pour soûtenir l'u­surpation que l'on fait de l'Au­thorité de dispenser des Loix, alors vous devenez des Enne­mis déclarez, qui de gaye­té de coeur font la guer­re à toutes les Loix, & comme des Avocats gagez pour soûtenir la Prérogative prétenduë contre vôtre an­cien [Page 31] Ami, la Magna Char­ta, laquelle n'avoit pour­tant rien fait pour mériter de perdre ainsi vos bonnes graces.

Mais s'il arrivoit, que le prix que l'on attend de vous pour cette Liberté, fût un renoncement absolu à la part que vous avez dans la prote­ction des Loix, je suis per­suadé que vous y penseriez deux fois, devant que de vous engager plus avant dans un mar­ché si desavantageux. En rendant graces pour l'aboli­tion d'une Loi, vous perdez le droit de vous plaindre de l'abolition que l'on fera de toutes le autres; Vous ne sçaurez comment vous deffen­dre vous-mêmes, quand vous serez pressez; & ayant aban­donné [Page 32] la Cause, lorsqu'elle é­toit à vôtre avantage, vous n'en pourrez plus appeller, lorsqu'elle sera à vôtre préju­dice. Si dans un temps vous voulez établir & ériger une Autorité pour servir à vos fins, de laquelle dans un autre tems l'Ennemi se servira avec au­tant de raison pour vous dé­truire; personne n'aura pitié de vous, ni ne pourra vous délivrer du malheur lequel vous vous serez attiré sur vous-mêmes, pour avoir été si mal à propos reconnoissant. C'est comme si vous appelliez à vôtre secours des Troupes Auxiliaires, qui seroient assez fortes pour vous subjuguer & pour vous détruire: En ce tems-là vos plaintes viendront trop tard, & vos souffran­ces [Page 33] au lieu de produire de la compassion, seront le sujet de la joye de vos Ennemis, & de la risée de tout le Mon­de.

Si pour vôtre excuse, vous dites que vous rétraignez vos Réconnoissances seulement à ce cas particulier, d'autres pour leurs Fins les éten­dront plus loin, & parmi ces Interprétations différentes, ceux qui seront soûtenus de l'Authorité, auront sans dou­te le dessus; sur tout quand par l'avantage que vous leur aurez donné, la Raison sera en quelque façon plus pour eux, & que les Conclusions qu'ils tireront de vos Conces­sions, seront trés-fortes & expresses contre vous. Tant s'en faut que ce que je dis soit [Page 34] une supposition sans fonde­ment, que nous en avons vû un exemple il n'y a pas long­tems dans la derniére Session du Parlement en la Chambre Haute, dans laquelle les premiers Remerciemens qui furent faits au Roi pour sa Harangue, quoi que ce fût une affaire de Civilité ordinaire & accoûtumée, furent inter­prétez pour une Approbation générale de tout ce que le Roi avoit dit, qui ótoit à ce que l'on prétendoit le Droit aux Seigneurs d'examiner plus aucune partie de son Discours, quelque desagréable qu'il leur pût être; & ils eurent de la peine à obtenir la liber­té de s'opposer à cette mê­me Prérogative d'abolir les Loix, seulement par cette [Page 35] innocente Civilité, & hon­nêteté accoûtumée, de la­quelle on ne pouvoit tirer aucune Conséquence raison­nable.

Cela vous montre que vous devez mettre des bornes à vô­tre Civilité, & que les Loix d'Angleterre sont une chose trop précieuse, pour être ainsi hazardées par un compli­ment. A présent que vous avez jouï quelque tems du bénéfice de la Fin, il est tems que vous pensiez au danger des Moyens: La même raison qui vous faisoit désirer la Li­berté, vous doit rendre zé­lez à sa conservation, en sorte que la premiére pensée qui vous doit venir naturellement, c'est de ne vous engager point si fort que vous ne puissiez fai­re [Page 36] une bonne retraite, & de ne vous accommoder point tellement à un principe si con­traire à toutes les Religions, que vous differiez vôtre re­pentance jusqu'au jour de la mort.

Il y a'de certaines Périodes de tems, lesquelles lorsqu'el­les sont une fois passées, toutes les précautions sont vaines & tous les remédes sont sans ef­fet & desespérez. Nos Esprits sont sujets à étre emportez par les premiéres chaleurs; lesquel­les lorsqu'elles ne sont pas re­primées dans le tems, ne nous donnent pas la liberté de tour­ner la tête en arriére, jus­qu'à ce qu'il est trop tard pour le faire: Considérez cela dans la colére que vous aviez contre l'Eglise Anglicane, & profitez [Page 37] de leur bévûë dans cette même espéce de choses, lors qu'a­prés le rétablissement du der­nier Roi, ils conservérent si long - temps le souvenir chagrinant du mauvais trai­tement que vous leur aviez fait en d'autres tems, que ce­la leur fit oublier leur intérêt, qu'ils sacrifiérent à leur ressen­timent.

Ou bien vous blâmerez en eux cette conduite, & par conséquent vous ne la suivrez pas; ou bien si vous l'ap­prouvez, vous avez tort de leur en sçavoir mauvais gré; En sorte qu'il faut de deux choses l'une, ou que vous re­veniez de vôtre colére contre eux, ou que vous renonciez à vôtre Excuse d'aujourd'hui; à moins que vous ne vouliez [Page 38] raisonner d'une maniére plus partiale que ne doivent faire des personnes aussi équitables & aussi judicieuses que vous êtes.

Si vous aviez présentement à faire à ces Prélats rigides, qui s'étoient fait une affaire de Conscience de n'avoir pas la moindre indulgence pour vous, & qui demeuroient roides & inéxorables à vos plus raisonnables scrupules, vous auriez beaucoup plus de raison que vous n'avez: mais puis­que le danger commun leur a tellement ouvert les yeux pour voir la bévûë qu'ils ont faite, que leur dureté & fierté pas­sée contre vous est pour ja­mais éteinte, & que cet Es­prit de Persécution s'est chan­gé en un Esprit de Paix, de [Page 39] Charité & de Condescendan­ce; Cet heureux changement n'émouvera-t-il, & n'affe­ctera-t-il que l'Eglise Angli­cane? Et aimez-vous telle­ment la Séparation, que cet Exemple ne vous touche pas? Certes il devroit être suivi, quand on n'en auroit d'autre raison, sinon que c'est une Vertu, mais lors qu'avec ce­la il est d'une nécessité indis­pensable de le suivre pour vôtre conservation; la Pru­dence vous y engage aussi, & il est certain que cela doit faire un grand effet sur vous.

Si l'on disoit que l'Eglise Anglicane n'est jamais humble & douce, que lorsqu'elle a perdu tout Pouvoir, & que pour cette raison n'ayant plus [Page 40] à présent le Pouvoir en main, elle a perdu le droit d'être crûë, lorsqu'elle veut l'être; Je répons premiérement, que ce seroit une objection bien indigne, & tout-à-fait con­traire à la Charité; un Triom­phe fort hors de saison, non seulement contraire à la géné­rosité, mais aussi trés-dange­reux. De sorte qu'à ces é­gards on n'y sçauroit insister sans scandale, quand même on le pourroit dire avec vérité. En second lieu, je dis, que les choses ne sont pas ainsi, & que l'Argument doit tomber étant posé sur un faux fondement; Car quelque chose que l'on vous puisse dire, à l'heure pré­sente méme, qu'il semble que le Soleil luit sur vos têtes avec le plus de chaleur & de clarté, [Page 41] l'Eglise Anglicane peut en un instant changer ce beau tems en tempête contre vous; & attirer la Foudre Royale sur vos Têtes, & vous renverser du Théatre d'un soufle seule­ment, si elle vouloit faire seu­lement un soûris, par maniére de dire, & donner une bonne parole; Un seul rayon qu'el­le feroit paroitre de complai­sance, vous rejetteroit dans vôtre premier état de souffran­ces, & vous feroit payer tous les arrérages de la sevérité à laquelle vous êtiez sujets avant ce tems, & qui se sont mul­tipliez pendant ce temps de Faveur simulée dont vous jouïssez, & cependant l'E­glise Anglicane, avec toutes les fautes dont elle est accusée, trouve indigne d'elle, d'ê­tre [Page 42] délivrée par des moyens si reprochables, & aime mieux porter le poids de l'Authorité, qui menace de l'accabler, que d'être soûmi­se au honteux fardeau du cri­me que l'on lui veut faire com­mettre.

On ne peut pas dire, que l'on ne l'irrite pas; On voit tous les jours paroître des Li­vres & des Lettres pour attirer des Réponses, mais pour cela, elle ne veut point s'émouvoir. Par les noms des Auteurs sus­pects & par le stile, l'on jure­roit que ce sont des gens dé­voüez à la Cour qui cherchent quérelle, & qui ont traité avec l'Ennemi pour rompre avec l'Eglise Anglicane & lui faire la guerre. Il y a des insultes en chaque Addresse, des deffis [Page 43] en chaque Libelle pour exciter & irriter sa Plume; en un mot, la plus belle occasion du monde pour se quéreller; mais elle distingue trés-sagement entre le Corps des Nonconformi­stes, lesquels elle suppose n'a­gir point avec une mauvaise intention, & entre tous ces Escrimeurs à gages, choisis & envoyez pour commencer l'es­carmouche & allumer le com­bat entre les Protestans, pour le divertissement & pour l'a­vantage de l'Eglise Romai­ne.

Cette conduite est si loüa­ble, que l'on ne peut sans scandale s'empêcher de l'ap­prouver. Il y a beaucoup d'i­négalité & d'injustice à blâ­mer les gens quand ils font mal, [Page 44] & à ne les pas loûer quand ils font bien.

De haïr des gens parce qu'ils persécutoient, & de ne se réconcilier pas avec eux, lors­qu'ils aiment mieux souffrir, que de jouïr de quelques avan­tages qu'ils ne peuvent obte­nir que par une complaisance criminelle; Certes c'est un manque de Charité & une du­reté qu'aucuns Chrêtiens n'a­prouveront, & l'on en pour­roit tirer des objections con­tre ces personnes injustes, ausquelles il seroit impossible de répondre.

Pensez un peu, qui ê­toient ceux qui allumérent vos Persécutions passécs, & con­sidérez quel jugement on doit faire de gens qui sont si fort irritez contre les instrumens de [Page 45] ces Persécutions, & qui bien loin de l'être contre les Au­teurs, sont une Ligue avec eux.

Avez-vous bien pesé ce que c'est que l'on attend de vous? Etes-vous prêt à vous présen­ter pour être élû au Parlement à chaque Bourg, en vertu d'un Congé d'Elire, & au lieu d'ê­tre élû dans les formes, vous contenter d'être déclaré un Membre élû par un Officier gagné.

Voulez-vous dans le Parle­ment justifier le Pouvoir que l'on s'attribuë de dispenser contre les Loix, avectoutes les conséquences de ce préten­du Pouvoir, & voulez-vous abolir le Test, par où vous ouvrirez le grand chemin pour détruire toutes les Loix qui [Page 46] ont été faites pour la conserva­tion de vôtre Religion, & pour en établir d'autres qui la ren­verseront?

Etes-vous résolu de chan­ger la liberté que vous avez d'examiner, & comme l'on a­pelle, de Débattre contre le mé­te d'une obéïssance aveugle, & de devenir les instrumens dont on se veut servir pour casser les Loix, ou en faire de nouvelles; où le Consistoire Romain sera l'Arbitre, l'Au­teur & le Maître de toutes les Propositions?

Etes-vous tellement en­chaîné avec vos nouveaux A­mis, que vousne vouliez point de la Liberté de Con­sçience qu'un Parlement vous donnera, si les Papistes ne [Page 47] sont pas compris dans cette In­dulgence?

Considérez que les Condi­tions implicites de vôtre nou­veau Traité n'emportent pas moins que cela, c'est que vous ferez tout ce que l'on sou­haitera de vous, sans examen, & que pour cette Liberté ima­ginaire de Consçience, vôtre Liberté réelle sera sacrifiée: Vos premiéres fautes vous pen­dent comme une chaîne con­tinuellement au col; Vous n'êtes élargis que pour un mo­ment, & sous Caution. Le premier Acte qui ne marque­ra pas une complaisance telle que l'on souhaitera, vous renvoyera encore à la Pri­son.

Vous pouvez remarquer que les Papistes eux-mêmes, [Page 48] ne se reposent point sur l'autori­té prétenduë de ce Pouvoir, lequel il semble que vous vou­lez justifier; Car puisqu'ils sont si ardens à remuër tou­tes choses pour le faire établir par les Loix, & qu'ils font tant de choses terribles pour en venir à bout; C'est un signe évident, qu'ils ne croyent pas que le Pouvoir seul du Roi soit un assez bon fondement pour cela; Sur tout, si nous considérons que c'est sous un Prince, si jaloux des moindres Droits de la Souveraineté, que suppo­sé, qu'il jugeât que son Au­torité seule fut suffisante pour faire l'affaire, il croiroit fai­re une bréche à cette Auto­rité rité en appellant à son secours l' Autorité Legislative, pour [Page 49] fortifier & appuyer la sien­ne.

Vous avez blâmé jusques ici l'Eglise Anglicane, non sans raison, pour avoir pous­sé la complaisance aussi loin qu'elle a fait; & vous vo­yez cependant qu'aussi-tôt qu'ils se sont arrêtez, non-seule­ment on les a abandonnez, mais que méme on les poursuit: Concluez donc de cet exem­ple, ou que vous devez rom­pre cette nouvelle Amitié, ou que vous n'y devez gar­der aucune mesure. S'ils ne réussissent pas dans leur des­sein, ils vous abandonne­ront les premiers; S'ils y réussissent, il faudra ou que vous les laissiez lorsqu'il sera trop tard pour vôtre sûre­té, ou bien aprés n'avoir [Page 50] pû souffrir seulement la vûë d'un Surplis, vous serez for­cez d'avaler la Transsubstan­tiation; aprés avoir coulé avec tant de précaution le moucheron, vous englouti­rez le chameau.

Souvenez-vous, que l'autre jour on traittoit avec des termes de reproches ceux de l'Eglise Anglicane qui vous souffroient avec la moindre modération, & à présent par un changement surpre­nant, vous êtes devenus les Favoris; Ne vous abusez point vous-mêmes, ce n'est point le naturel des Plantes qui durent, de pousser ain­si en une Nuit; vous pour­rez paroître gay & verd pour un peu de temps, mais vous manquez de Racine pour [Page 51] pouvoir durer long-temps. Il n'y a pas encore long-temps, comme vous sçavez, que cette Maxime avoit la vogue à la Cour, Il est impossible qu'un Nonconformiste ne soit pas un Rebelle. Voyez en ce temps icy ce qui se passe en France, les Nouveaux Con­vertis même au lieu d'y être bien traitez, sont desarmez; Leur Changement subit fait que l'on fe défie toûjours d'eux, quoi qu'ils se soient, comme l'on appelle, Réu­nis: Que devez-vous donc espérer de vos chers Amis, ausquels vous aurez fourni en d'autres temps de femblables Raisons pour leur excuse, lors qu'ils auront jugé à pro­pos de vous rejetter enco­re.

[Page 52]Outre toutes ces Raisons; vous agissez aussi trés-impru­demment, & trés-visible­ment contre vôtre intérêt, si vous rejettez les Avantages, qui ne peuvent pas vous man­quer dans la premiére Révo­lution qui doit probablement arriver. Les choses vont na­turellement à ce que vous désirez, si vous vouliez les laisser aller leur train. & ne pas perdre par une activité à contre-temps les influences de vôtre bonne Etoile, la­quelle vous promet toute sor­te de prospéritez.

L'Eglise Anglicane est convaincuë de l'Erreur qu'el­le a commise en vous persécu­tant; Il est seur, qu'un Parlement, quand il s'en as­semblera [Page 53] un, vous sera fa­vorable. Le plus proche Successeur élevé dans le Païs, que vous avez toûjours re­gardé comme un Modêle de Benignité & de Douceur; Le Consentement général de toutes les Personnes de sens, lesquelles conviennent que nous ne devons point faire bande à part des Protestans du dehors, mais que nous de­vons plûtôt élargir les Fonde­mens sur lesquels nous avons à élever nôtre Rempart contre l'Ennemi commun; En vé­rité toutes ces choses semblent conspirer à vous mettre à vô­tre aise, si par une trop gran­de précipitation à vouloir an­ticiper vôtre bonne Fortune avant le temps, vous ne la renversez pas.

[Page 54]Les Protestans n'ont qu'un seul moyen Humain, à op­poser au Pouvoir qui leur fait la Guerre, & c'est celui-ci, de ne point perdre l'avantage de leur nombre, en êtant assez imprudens pour se laisser diviser.

Nous convenons tous de nos Devoirs envers nôtre Prince, les Raisons que nous avons de rejetter sa Croyance, ne nous empê­chent pas de voir ses Vertus, & le peu de complaisance que nous avons pour sa Religion, ne préjudicie point à la fidé­lité qui est duë à sa Personne. Nous ne devons point avoir de honte de nôtre Eglise, pour la Raillerie qu'on nous fait sur nos Principes d' O­béïssance [Page 55] Passive, & sur la Doctrine de la Non-Resistan­ce, quoi que peut-être, ceux mêmes qui doivent jus­ques ici la plus grande partie de leur Sûreté à ces Princi­pes, sont les premiers à s'en moquer.

Enfin, si par une fatale bévûë, nous ne donnons point d'avantage sur nous à nos Ennemis, en faisant prendre à nos Affections, & à nos Aversions le contrepied de ce qu'elles doivent pren­dre; Selon le cours natu­rel des choses, le danger se dissipera, & passera vîte comme une giboulée de grê­le; le beau temps lui suc­cédera, quelque sombre & [Page 56] nebuleux que le Ciel parois­se à présent, & cela par ce petit Secret aisé & facile à pratiquer. Demeurons en re­pos, tranquiles & bien u­nis, fidéles à nôtre Sainte Religion, exacts en ce que nous devons au Roi, & fort attachez aux Loix du Gouvernement, & pendant que nous suivrons cette mé­thode, il semble humaine­ment impossible, qu'un le puisse emporter sur deux cent; Si ce n'est que l'E­glise Romaine, qui a été depuis si long - temps stéri­le en Miracles, vint en son âge décrépit à accoucher d'un qui effaceroit tous ceux dont elle se vante dans sa Lé­gende.

[Page 57]Pour conclure, la ques­tion est en deux mots; Si vous voulez vous joindre a­vec ceux qui doivent avoir enfin la même destinée que vous. Si les Protestans de toutes les espéces, ont été à blâmer dans la conduite qu'ils ont tenuë les uns à l'égard des autres, ils sont à présent en des termes de plus grande égalité, & pour cette même raison, il est plus à propos qu'ils se Reconcilient & Réu­nissent. Nôtre desunion est non seulement un reproche contre nous-mêmes & un scan­dale, mais un danger évi­dent; Ceux qui croyent aux Miracles modernes, ont plus de raison, ou du moins une meilleure excuse pour négliger les Précautions de la Pruden­ce [Page 58] Humaine. Mais pour nous, il ne nous paroît pas plus ri­dicule de n'avoir point de Re­ligion, que de rejettes avec opiniâtreté les moyens Hu­mains & légitimes que Dieu nous met en main pour la con­server. Je suis,

Monsieur,
Vôtre trés-humble & affectionné Serviteur, T. W.

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