EXPERIENCE DE LA VERTU SINGULIERE DU VIN ROUGE, Pour guerir La Retention d'Urine.

OBSERVATIONS Des bons & des mauvais Effects DU QUINQUINA DANS Les Fieures Intermittentes, Recherche des Causes & du Foyer De ces MALADIES; Reflections sur la Nature des sucs dont nous soumes nourris, ou il paroit probable que le laict n'est pas une production du sang & que le sang n'est pas em­ployé a nourrir nos parties, mais que c'est le chyle.

A LONDRE, Printed by M. F. 1684.

LETTRE A Monsieur BOYLE, De la Societé Royale, Contenant l'experience de la Vertu sin­guliere du VIN ROUGE, pour guerir la retention d' Urine.

Monsieur,

JE vous remercie tres humblement de l'honeur que vous m'avés fait, de m'envoyer vostre traitté de la nature du sang humain, je l'ay leu avec une auidité indicible, & avec tout le plaisir que l'on a de coutume de gou­ster dans la lecture de vos ovurages, tout y est d'une exactitude achevèe, peu de chose échape a la penetration de vo­stre esprit, vous estes né pour denoüer les difficultés les plus embarassantes & il [Page 2] semble que le ciel veut que nous soyons redevables a cet Illustre Verulamius & a vous de la plus grande partie de nos lu­mieres; on ne peut gueres vous ap­procher que vous n'inspiriés en mesme temps vne si grande envie de suiure les routes que vous tracés pour decouurir les verités naturelles, que je me suis mille fois reproché le peu de progrés que nous faisons dans la pratique de la Medicine, & que je me sens de plus en plus confirmé dans le dessein d'y travailler avec ardeur. Vous scavez, Monsieur, que je vous ay fait cognoitre mes sentiments sur divers obstacles qui se presentent dans les bons desseins que beaucoup de Medecins parti­culiers ont d'y travailler de leur mieux, mais parmi quantité de difficultés qui se rencontrent, la coutume que l'on a d'em­ployer le plus souuent des remedes fort composés, fait que l'on ne scait presque jamais auquel de tous, on doit attribuer l'honneur de la guerison; la curiosité m'a porté toute ma víe a dèveloper ces mysteres autant qu'il má esté possible, jáy fait la dessus plusieurs observations depuis vingt deux ou vingt tois ans que [Page 3] je vois des malades a Paris, dans cette grande ville, & ailleurs; mais entre autre vous ne serés peut estre pas fasché que je vous fasse l'histoire des effects singuliers du vin. Je laisse a part, tout ce que l'on pourroit tirer d'avantageux pour l'hon­neur de cette liqueur, de la Lecture des liures saincts; dáilleurs chaqu 'un peut voir dans les livres d' Hippocrate & de Galien ce que ces grans hommes en ont pensé & comment ils sén sont servis, comme vous aymés les experiences, sans vous acclabler de citations je viens au fait & a un fait tres recent: Depuis douze ou quinze jours jáy gueri parfaitement avec la boisson d'un bon vin rouge vieux sans autre meslange un homme de soix­ante & quatre ans, qui depuis plus de trois semaines, n'avoit pas rendu une goutte d'urine que par láide du catheter, que l'on introduisoit dans la vessie une fois le jour. Il y a quatre a cinq années qu'a Paris je gueris de la mesme maniere & de la mesme maladie, un vieux Do­mestique de Madame la Princesse de Ta­rante aagé de soixante & quatorze ans qui fe nommoit le Sr. L'Enfant: vous me per­mettrés [Page 4] Monsieur d'entrer dans le detail de la guerison, afin de vous en rendre un plus fidel conte. Le Sr. L'Amblois Mar­chand Francois âgé de 64 ans m'envoya prier de le venir voir il y a environ cinq semaines, je luy trouvay de la fieu­re accompagnée d'un hoquet, qui epui­soit ses forces, sa langue estoit extreme­ment seche, il avoit une douleur consi­derable dans le bas ventre, dans la region du rein, de l'estomach, de la vessie, la­quelle paroissoit extremement tendüe & dure aussi bien que douloureuse, le ma­lade ne dormoit point & avoit de tres grandes inquietudes; on commenca d'a­bort de se servir du catheter pour reme­dier a cette grande tension en vuidant la vessie, dont on tira plus de deux quartes d'urine, on a continué a se seruir de ce secour pendant trois semaines ou plus, sans lequel il ne sortoit pas une goutte d'urine, apres cela on s'est servi de la sai­gnée, de la purgation de differents re­medes alternants jusques a ce que voyant que la sieure estoit esteinte & la langue belle je luy fis prendre quelques lave­ments, une legere purgation & en fin je [Page 5] luy donnay du vin rouge en quantité & luy fis manger en mesme tems des vian­des de tres bon suc, ce qui reussit si bien que des le premier jour il trovua que son hoquet estoit diminué de beaucoup, & que la douleur qu'il sentoit a l'estomach n'estoit presque plus sensible, il se sentoit en mesme temps plus de vigueur, une plus forte envie de pisser & dormoit mieux qu'il n'avoit fait; au bout de sept a hu­ict jours, il urina fort bien, & est a pre­sent Dieu merci tres bien restabli, vous ne scauriez croíre Monsieur la peine que jáy eu a me rendre máitre de l'esprit du malade, afin de le reduire a sábandon­ner absolument a ma conduite; il logeoìt a une extremité de la ville prés de White Chapell, je le quittoìs dans les meilleures dispositions du monde a suiure mes senti­ments, je luy faisois l'histoire du malade que javois gueri à Paris, dont les circon­stances de la maladie estoyent toutes pa­railles a la siene, il n'y avoit de difference qu'en ce que l'autre estoit aagé de dix ans plus que luy & beaucoup plus foible, on luy donnoit de l'esperance & de la confi­ance pour un moment, mais aprés il se [Page 6] laissoit souvent gagner aux persuasions de ses amis, qui l'engageoient a tenter differents remedes, qui tous le devoient guerir infailliblement dans vingt quatre heures, le succés se trouuoit tousiours contraire a leur attente, & au lieu de luy estre favorable, je m'apercevois presque tousiours que les accidents de la maladies en estoyent augmentés; on luy a donné a mon insceu quantitè de diuretiques, au­tant que j'en ay peu juger par leur goust Salin, on luy fist prendre mesme du vin bruslé par le conseil de quelque bonne femme, ce qui n'estoit pas le plus mal a propos, pour la nature du remede, mais comme ce n'estoit pas dans les conjonctu­res heureuses (qui dans les choses diffici­les, sont le partage des Medecins les plus Eclairés) touts ces differents reme­des furent inutiles: jamais je n'ay veu un malade souffrir si aisement le catheter; de­puis le premier jour jusques au dernier, on ne sést presque pas aperceu qu'il sén soit pleint: il est vray que Monsieur Ho­bes & Monsieur Horris ont une dexterité toute particuliere a sonder. Le malade aagé de soixante & quatourze ans que [Page 7] jáy gueri à Paris susportoit beaucoup plus difficilement cette operation; il avoit de la fieure, ses urines estoyent fort puantes, ce qui m'obligea a examiner soigneuse­ment s'il n'y avoit point quelque ulcere ou du moins une inflamation considera­ble dans la vessie, dans de pareilles occa­sions le vin n'auroit pas esté un remede propre, ensin m'estant asseuré par mille sorte de raisons & déxperiences que je fis, que la vessie n'avoit plus n'y inflamation n'y ulcere, apres avoir saigné deux fois le malade, l'avoir temperé & purgé avee des remedes fort doux, je luy fis boire pur une chopine de vin rouge qui est en­viron la pinte de Londre & le fis manager en mesme temps a son ordinaire, dés ce mesme jour il pissa & n'eust plus besoin de catheter. Il paroit extraordinaire qu'un homme si aagé & fort foible aye receu du secours plus promptement & avec une beaucoup moindre dose de remede; mais jén attribue la cause a ce qu'il estoit tombé dabort entre mes mains, dés le premier jour de sa maladie, qu'il avoit observé regulierement tout ce que je luy avois prescript, & qu'il ne prit aucun des [Page 8] remedes que je crois contraires dans ses sortes de maladies, au lieu que comme je vous l'ay marqué c'y dessus, le Sieur Lam­blois s'éstoit echaspé a prendre mal a pro­pos beaucoup de remedes & ne se sou­mettoit pas exactement a ce qu'on luy ordonoit de faire, ce qui m'obligea de luy predire, qu'il ne faloit pas s'attendre qu'il guerit aussi promptement que le premier que jávois taitté & de qui je luy avois fait l'histoire. Ces deux malades n'avoient d'autre cause de leur retension d'urine, que celle que les autheurs marquent, lors qu'apres avoir beu on est paresseux de pisser, & que l'on souffre que la vessie s'emplisse si fort, que les fibres qui com­priment le fond de la vessie & ses costés, pour en chasser l'urine, se trouvent for­ceés par la violence de l'extension, de sorte que leur action cesse entierement, ce qui arrive a toute sorte de partie ner­veuse apres des extensions violentes, com­me nous le voyons tous les jours dans les parties externes de cette nature: Le rap­port que je trouvois entre les causes de ces differentes maladies, me fit naitre la premiere pansée que j'eus de me servir de [Page 9] vin pour guerir la retension d'urine, car dé ce que dans ces sortes de maladies ex­ternes comme les extensions violentes des nerfs, l'experience dans la Chyrurgie nous apprend, qu'il n'y a rien d'un plus grand secours, n'y d'une plus grande consolation aux parties nerveuses que les compresses trempèes dans de bon vin rouge & ap­pliquées sur le mal; je conclus qu'aussi tost que le malade n'auroit plus de fieure je devois tanter de luy donner interieure­ment ce que je voiois si bien reussir dans les parties externes, a scavoir le bon vin pur, c'estoit un remede d'ailleurs fort cogneu, de qui on ne pouvoit attendre aucun mauvais effect, & pour qui le ma­lade n'avoit aucune repugnance, de plus autant que je puis, je suis, la methode de ceux, qui guerissent avec les remedes les plus simples, les plus innocents, & les plus aisés, c'estoit un remede alimenteux, ou un aliment medicamenteux, comme nous les appellons, qui estoit propre a se porter par sa subtilité dans le tissu le plus delié des membranes & dans les parties ner­veuses; il s'insinue insensiblement avec les autres aliments, il fournit beaucoup d'­esprit [Page 10] & par une agreable astriction il fortifie toutes les parties; mais ce qui don­noit un poids merveilleux a ce que je me proposois de faire, c'est que je me trou­vois appuyé dans cette pratique par l'a­phor. 48. de la section 7. ou Hyppocrate dit [...]; j'avois l'exemple de ce grand homme, qui m'authorisoit; ainsi ayant deux des plus fameux Chyrurgiens de Paris pour consulter avec eux sur les moyens que nous pourrions trouver pour rendre l'application du catheter plus sup­portable au malade, ou pour chercher d'autres voyes de le secourir, ils me pro­poserent de luy ouvrir la vessie dans le perineé a peu prés comme lors que nous faisons insition pour tirer la pierre de la vessie, ils me dirent qu'ils croyoient que c'estoit la voye la plus courte & pour confirmer leur opinion, ils avancerent que feu Monsieur Felix, premier Chyrurgien de sa Majestè fort habile homme & qui d'ailleurs n'avoit pas manqué d'Illustres Consultans, dans une pareille maladie, s'estoit veu reduit a se servir de cet expe­dient & qu'il avoit vescu cinq années a­pres, [Page 11] rendant toute son urine par l'over­ture qu'il s'estoit fait faire dans le peri­née; Je remerciay ses Messieurs de leur bon avis & les priay de surseoir cette ope­ration jusques a quelque jours pendant lesquels, je me proposois de suiure le Conseil de nostre Hippocrate dans le lieu cité cy dessus, ils aquiescerent a tenter ce que produiroit l'oracle salutaire de ce Prince de la Medecine, & la suite nous fit voir combien nous avons d'obligations a ses grandes lumieres & a ses experiences. J'ay une veneration extraordinaire pour ce grand genie & je pris plaisir l'autre jour de voir S. E. Mons. de Barillon Am­bassadeur de France a qui je rendois mes respects, qui est cogneu de tout le mon­de pour une personne d'un tres grand merite, fort cognoisseus en toute sorte de science & de fort bon goust, se rendre partisan de nostre Autheur, de luy tro­uver Hippocrate parmi ses autres bons liures, & de me demander a luy cotter le lieu dou j'avois tiré ma decision; Le monde prend des partis bien differents, je cognois des docteurs en Medicine fort Celebres, qui ne pouvoient s'empescher [Page 12] d'insulter a la memoire de ce grand Au­theur & qui avoient beaucoup de mépris pour luy, Il y en a d'autres qui prennent l'extremité opposée qui ne veulent parler n'y agir que par les sentiments de ce grand homme, tout leur plus grand soin est de ramasser tout ce qu'il y a dans ses liures qui peut avoir quelque relation (quoy que tres souvent fort eloignée) au nom & a la definition de la maladie, qu'ils ont en main; on fait dire de cette maniere quantité de choses aux autheurs aux quelles ils n'ont jamais pansé, particu­lierement quand on veut trouver dans les traittés qu'ils ont laissé, toute sorte de ma­ladies avec leurs circonstances particulieres & mille autre choses, qui regardent la ma­niere de guerir, personne n'ignore que l'on peut, & que l'on a mesme adjouté de nouveaux remedes & qu'il peut naitre de nouvelles maladies, cependant rien ne peut convertir l'entestement de cer­tains Medecins, qui pleins de Lambaux & de passages d'hyppocrate, les estalent devant les malades, comme si cela les de­voit guerir. Si l'art de la Medicine osoit faire comparaison avec l'art de faire la [Page 13] guerre on trouueroit que comme dans celuy cy il y a un je ne scay quoy qui fait les grands Capitaines, qui est indepen­dant de la lecture & de la citation des au­theurs, mesmes de ceux, qui en ont escript ex professo, & que l'on ne juge pas de leur habileté par leur longs discours, de mesme dans la Medicine le merite depend ordi­nairement tres peu des lieux communs qui fournissent les longues harangues ou les longs recipés & on peut dire gene­ralement de touts les arts, artem Experi­entia fecit, Exemplo monstrante viam: mais je ne songe pas que je vous desrobe ici de ce temps precieux que vous em­ployez si utilement a de meilleures cho­ses, je vous en demande pardon & je suis avec beaucoup de respects,

Monsieur, Vostre tres humble & tres obeissant Serviteur,
Guide, D. M.

LETTRE A Monsieur BOYLE, De la Societé Royale, Contenant les observations des bons & des mauvais Effects du QUINQUINA dans les Fieures Intermittentes, &c.

Monsieur,

COmme vous aves receu si oblige­amment les Observations que jáy fait sur l'usage d'un remede aussi simple, aussi agreable, & aussi efficace qu'est le vin, dans la retention d'Urine; je continueray a vous faire part de quel­ques remarques sur l'usage du Quinquina: Ce remede est fort simple, & il s'est aquis avjourdhuy une si grande reputation dans le monde, que je panse qu'il seroit fort [Page 15] inutile de se donner le soin de faire ici son eloge: d'ailleurs que pourrois je en dire que vous ne scachiez mieux, que moy? Vous en sçaves tout le particulier, en quel temps, & comment on a eu le soin de ra­masser cette precieuse ecorse dans les li­eux ou elle croit, & les premieres expe­riences qu'on en a faites. Avant mon depart de Paris j'appris d'un Seigneur Es­pagnol, qui avoit esté gouuerneur dans les Indes pour le Roy d'Espagne, qu'il y avoit des forests toutes entieres d'arbres de Quinquina, des quels on tiroit l'écorce pour l'envoyer dans les païs estrangers: ainsi il y a lieu de croire, que ceux qui ont écrit, qu'il y avoit deux sortes de Quinquina dont nous usons, un qui estoit cultivé, & l'autre qui ne l'estoit pas; ont esté mal informés de la verité du faict. Je ne sçay pas si ce que M. le Docteur Harvey a escrit depuis peu de cette es­corce dans la fin du livre, qui a pour ti­tre le Conclave des Medecins, vient de bonne source. Cet autheur pretend que l'on a le soin d'imbiber cette écoree de quelque sorte de suc: comme je n'ay en­core rien ouy dire de pareil la dessus, je [Page 16] m'en rapporte fort a vos decisions. Cha­cun sçait que vous estes si ponctuel a vous informer de tout ce qui peut instrui­re, & de ce qui peut estre de quelque uti­lité dans l'univers, qu'il y a peu de choses, que vous ne cognoissiez parfaitement. Vous pourrés Monsieur nous donner des éclair­cissemens sur cette matiere quand il vous plaira; en attendant, je n'insisteray pas beaucoup sur les bons effects du Quinqui­na: tout le monde sçait ce quil fait de miraculeux, pour guerir promptement les fieures intermittentes, pour en sus­pendre les ravages, & les accidents les plus dangereux, & pour donner le temps aux malades de reprendre leur force, & de ne pas succomber aux longues fatigues de ces maladies. Il faut convenir que l'on a de l'obligation au Chevalier Talbor que le Roy a consideré comme un hom­me qui s'estoit rendu expert a donner ce remede tres souvent, & dans des temps ou peu de gens s'estoyent avisés de le faire: Je me contenteray de marquer quelques occasions ou jay observè qu'il n'estoit pas a propos de s'en seruir. Cest une chose commune a tous les meilleurs [Page 17] remedes du monde, & mesme aux ali­ments, que de pouvoir faire de mauvais effects, quand ils sont employez a contre temps: on ne cognoit qu'a moitié les choses, lors que l'on ne les examine, que par leur bel endroit: il faut voir le re­vers de la medaille, & cognoitre l'esten­due & le defaut des remedes, pour en éviter les mauvaises suites aussi bien que pour en avoir de bons succes. Si ceux qui ne peuvent se guerir d'un certain en­testement contre la Medecine & les Mede­cins, suivoyent avec application toutes les demarches des habiles gens, & qu'ils voulussent bien examiner sans prevention les mesures justes, que l'on prend dans cette profession, & combien il y faut ap­porter de discernement; ils reviendroyent sans doute de leur erreur, & ne confon­droient pas avec la negligence de quel­ques uns & avec l'ignorance de quelques autres, ceux qui ne jugent des maladies, qu'apres un long destail de toutes les cir­constances des faits, & qui n'employent les remedes qu'aprés avoir pefé exacte­ment combien d'avantage ou d'incomodi­té en doit receuoir le malade. J'avoue [Page 18] qu'avec beaucoup de precaution on ne la­isse pas quelque fois de se tromper: c'est le foible de la nature humaine, & un foible qui est commun a toutes sortes d'arts & de profession: il faut confesser avec Hip­pocrate que le plus habile homme, est ce­luy, qui en tout sorte dapplication setrom­pe le moins. Pardon Monsieur si je fais quelques digressions: on ne peut s'empes­cher de dire quelque fois quelque chose en faveur de ceux qu'on estime: pour moy qui suis tout entierement devouè à la Medicine, je ne puis qu'en parler avan­tageusement.

On a remarqué de tout temps, qu'il nous survient quelque fois des maladies, qui sont d'un tres grand secours pour guerir d'autres maladies, qui ont prece­dé; c'est en quelque maniere dans ce cas, que se trouve une partie des histoires des malades, que je me suis proposé de vous donner. Je commenceray par une Da­me, qui apres avoir esté fatiguèe d'un asthme pendant un long temps fust enfin attaquèe d'une fieure quarte: on observa que dés ce moment la, elle fust delivreé de son asthme. Monsieur Bouillet fort [Page 19] habile homme, & premier Medecin de son Alt. Mouseigneur le Prince de Con­dé, luy ordonna quelques remedes, & ne jugea pas a propos de se servir du Quin­quina: la malade negligea cet avis, & prit une preparation de Quinquina, que luy donna Monsieur Charas fameux Apo­ticaire dans ce temps la: ce remede cal­ma la fieure, mais aussi tost l'asthme re­commança, & fust si pressant, que la ma­lade n'estima pas long temps une guerison qui luy coustoit si cher, & qui faisoit un échange de maladie, si desavantageux.

Un jeune homme aagé d'enuiron tren­te quatre ans aprés de longues fatigues pendant les ardeurs de l'esté, & d'ailleurs ayant de cuisants chagrins, tomba dans une leucophlegmatie avec un peu de fie­ure & un tres grand dégoust: Je luy fis user de quelques remedes, qui diminue­rent & sa fieure, & son degoust: je le pur­geay, & je voyois diminuer par la l'en­fleure de ses jambes & du scrotum, lors qu'il nous suruint une fieure quarte fort bien marqueé par tous les accidents, qui ont accoustumé d'accompagner cette ma­ladie. Les accês n'en estoyent pas vio­lents; [Page 20] j'observay que le jour de la fieure, l'ensleure de ce malade diminuoit visible­ment: je conclus donc de temporiser & de ne luy point donner de Quinquina, de peur qu'en arrestant la fieure je n'ostas­se a la nature un moyen de se degager, & de recevoir un benefice d'une maladie, ce que l'on appellera si l'on veut salus ex inimicis: le malade s'impatienta, & contre mon avis voulust prendre du Quin­quina, lequel augmenta l'enfleure generale, a mesure qu'il diminua la fieure quarte; & le malade se mit ainsi dans un estat a ne plus recevoir aucun secours de la Medicine.

Un jeune Apotiquaire aagé de vingt & un an avoit eu une fieure double tierce, pendant un mois: lors que je le vis, je le trouvay fort extenué, il avoit presque tousiours un peu de fieure avec une toux fort opiniatre & fort facheuse: Le scro­tum & les jambes estoyent un peu enflés; il avoit a certaines heures du jour de pe­tits redoublements de fieure. Il sembloit donc qu'apres avoir tanté beaucoup d'au­tres remedes, qui n'avoyent pas emporté cette fieure, il faloit tanter ce que pourroit faire le Quinquina; mais je luy fis quit­ter [Page 21] bien tost ce remede, parce que je vis que l'ensleure du scrotum & des jambes augmentoit visiblement, & que sans éte­indre la fieure il causoit un tres grand feu dans les entrailles, dont se plaignoit le ma­lade a tout moment, quoy que ce ne fust qu'en infusion que l'on avoit donné ce re­mede & dans une quantité tres mediocre.

Il y a quinze ou seize anneés qu'a Pa­ris, ayant à traitter une femme grosse de six a sept mois, laquelle avoit une fie­ure double tierce avec des frissons tres longs, & tres cruels: apres luy avoir or­donné beaucoup de remedes qui ne reus­sissoient pas aussi bien que l'on eust sou­haité, j'appellay un de nos fameux Mede­cins pour le consulter sur ce que nous au­rions a faire: je luy proposay de donner du Quinquina à la malade: nous en con­vinmes. Elle en prit; mais elle eust en­suite de tres grandes douleurs comme si elle eust deu accoucher: cependant com­me je fis cesser ce remede, les accidents s'arresterent, & il ne luy en arriva au­cun autre mal. J'avois remarqué cet ef­fect du Quinquia, & cette experience me confirma entierement dans la conjecture [Page 22] que je fis que le Remede du Sieur Talbor, qui a tant fait de bruit à Paris, n'estoit autre chose que le Quinquina; puis que j'en voiois les caracteres par tout. Car en pareil cas Mons. Talbor s'opiniatra de donner son remede a une Dame, femme d'un officier considerable de son Alt. Royale Monseigneur le Duc d'Orleans, qui se trouvant grosse, & estant pousseé a bout par ce remede, fit une faulse couche & je pense mesme qu'elle en mourust.

Ce remede est contraire a certains flux de ventre qu'il augmente, jusques a causer la dysenterie, & enfin la mort à ceux, qui en ont voulu continuer temerairement un long usage.

Je traitois ici il y a dix huict mois un enfant de dix a douze ans, qui avoit une fieure double tierce & un crachement de sang: je priay un de nos plus celebres Medecins du College de Londre de venir avec moy voir le malade: entre autre re­medes que l'on proposa on y fist entrer le Quinquina: je demanday a cet Illustre Docteur s'il ne s'estoit jamais apperceu, que le Quinquina causoit des haemorrha­gies? Il me dit, qu'il ne le croioit pas; [Page 23] on conclud à donner de ce remede au malade: ce qui augmenta visiblement le crachement de sang, & nous ob­ligea à quitter ce remede pour en em­ployer d'autres, qui guerirent parfaite­ment le malade. J'ay veu ensuite de l'u­sage du Quinquina a Paris des malades perdre plus d'une pinte de sang par les gencives: je l'ay veu arriver a differentes personnes: j'en ay les observations tout au long avec les circonstances, parmi mes papiers: mais c'est assez vous fati­guer d'exemples sur une mesme matiere: La diversité plait: Je passeray donc Monsieur a quelqu' autre chose qui regar­de nostre subject. On dit commune­ment que la saignée, & la purgation empeschent l'operation du Quinquina; mais je puis dire par experience, que comme lá saignée est un remede fort commun en France, lors qu'il s'agit de guerir la fieure; j'ay tres souvent donné ce remede apres la saignée, & en est veu un tres prompt succés: je me souviens entre autre d'un jeune homme qui avoit une fieure double tierce avec une dou­leur de teste si horrible qu'il ne pouvoit [Page 24] remuer sa teste n'y ouurir les yeux; ensor­te que le Chyrurgien, qui avoit com­mencé de le traitter, luy avoit desia tiré trois ou quatre fois du sang du bras, & en quantité a chaque fois. Je fus encor d'avis de luy ouvrir la jugulaire, & cet­te derniere saignée osta entierement la douleur: à la verité il resta au malade une pesanteur de tes;te extraordinaire: je luy fis prendre du Quinquina en infusion dans du vin, & dés le premier jour il fut soulagé de la pesanteur de teste, & dans peu de jours il fut hors de fieure: mais on peut dire ici en passant en faveur de la saignée qu'elle contribue beaucoup a gue­rir certains malades, qui ont pris long temps du Quinquina sans aucun succes. Il y a icy une personne de qualité qui en peut rendre tesmoinage.

Une Dame fille de feu Madame la Vi­comtesse de Mordan estant malade a Pa­ris de la fieure quarte prit pendant prés d'un mois, ou six semaines du Remede du Cheu. Talbor qui n'estoit que le Quin­quina, & comme la fieure continuoit toûjours, Madame sa Mere me proposa, si je voulois entreprendre de la guerir: [Page 25] je le fis, & je commencay par deux sa­ignées, & avec quelques autres remedes elle fust parfaitement guerie dans huict ou dix jours. Pour ce qui est de la pur­gation, j'avoüe que lors que ceux qui prennent le Quinquina; ont un flux de ventre, ou que le remede mesme leur cause de fre [...]ntes selles, ce qui arrive a quelques uns, la guerison n'en est pas si prompte, & c'est, parce que le remede n'a pas assez de temps pour faire impres­sion, & qu'il ne fait que passer brusque­ment par les boyaux, sans estre porté en quantité suffisante par les veines, du me­sentere dans les parties affectées: quoy qu'il en soit, il y en a beaucoup qui gue­rissent enfin par ce remedes, malgré le flux de ventre; mais ce qu'il ya de plus po­sitif, c'est que jáy donné le Quinquina avec les purgatifs & j'ay gueri de cette maniere un malade avec uneseule dose de deux drag­mes de ce remede en infusion: c'estoit a Paris il y a environ huict a dix ans, que traitant un jeune gentilhomme d'une fie­ure double tierce, qui estoit fort violente & fort opiniatre, apres luy avoir donné plusieurs remedes pendant prés de vingt [Page 26] deux ou 23. jours & voyant tres peu de diminution dans son mal, je fis infuser deux gros de Quinquina avec le sené & les autres purgatifs dans un verre de vin blanc; & apres cette maniere de purga­tion, la fieure s'arresta pendant quinze jours, au bout du quel temps il eut quel­ques ressentiments de fieu [...] qui ne fu­rent pas considerables, & qui furent em­portés par de simples purgatifs reiterès. Depuis ce temps la, j'ay gueri quelques malades avec des lavements purgatifs dans lesquels j'avois meslé du Quinquina, & j'en ay veu un prompt effect, comme il est ordinaire d'en attendre de ce reme­de, & mesme avec les circonstances ac­coutumeés, a sçavoir que dans certain temps les malades sont subjects a retom­ber dans les accès de fieure comme aupa­ravant, sur tout lors qu'ils n'ont pas assez continué l'usage du remede. Il n'est donc pas absolument vray que la saignèe n'y la purgation soyent si contraires que l'on dit, a l'operation du Quinquina; Mais à propos de ce bon effect du Quin­quina en lavement on peut dire que l'on neglige trop l'usage des clysteres, qui [Page 27] estans faits de remedes convenables aux maladies pourroient peut estre plus con­tribuer qu'on ne pense a la guerison de plusieurs indispositions, & suppleer mes­me a la difficulté que l'on a, de prendre des remedes par la bouche, lesquels sont tres souvent sort desagreables. Jáy en main d'autres experiences sur ce subject, qui me confirment dans cette opinion, & je me suis estonné mille fois, comme des gens qui ont vieillis dans nostre Profession ne s'en sont pas eclairci: car entre autres je me souviens qu'un de nos sçavants, Professeurs en Medicine a Paris nommê Monsieur Patin enseignoit publiquement il ya environ vingt deux ans, que c'estoit une erreur que de croire qu'il y eust des clysteres cephaliques, que tout ce que l'on donnoit en clystere n'agissoit point du tout au dela de la valvule du Colum. Il se fondoit sur ce que cette valvule sert d'obstacle aux excrements, & aux clyste­res, afin qu'ils ne remontent pas plus haut: mais ce n'est pas la le seul chemin pour se distribuer par tout le corps: l'in­testin Colum, & le rectum ont leurs vais­seaux chyliferes comme les autres inte­stins: [Page 28] & c'est par ces vaisseaux que le vin donné en clystere monte a la teste & peut enyvrer: c'est par la que l'opium provoque le sommeil: & c'est enfin par ces mesmes voyes, que les clysteres ce­phaliques, peuvent estre de quelque uti­lité, aussi bien que l'usage du Quinquina en clystere l'a estè dans les observa­tions que nous en avons fait. Je n'en­treprendray pas Monsieur de decider de quelle maniere agit le Quinquina pour guerir la fieure: on peut dire qu'il a une vertu astringente & singuliere qui se dis­cerne au goust & qui est propre a repri­mer pour un temps le mouvement qui va à la pourriture, que les sucs qui doivent im­mediatement reparer la substance de nos parties, ont aquis par des causes, qui sou­vent sont fort differentes les unes des au­tres. Il ya de l'apparence que parce que les sucs sont d'une nature, ou dans un lieu propre a se corrompre dans un plus long, ou plus court espace de temps, ils font ainsi l'intermission de la fieure, plus lon­gue, ou plus courte: & d'autre costé, sui­vant qu'il ya plus ou moins de cette ma­tiere pourrie, qu'elle est plus subtile, ou [Page 29] plus crasse, que la nature est plus ou moins vigoureuse pour la dissiper, & qu'elle trouve plus ou moins de voyes libres pour s'en degager; les accés de fieure en sont plus courts ou plus longs: c'est pen­dant cet espace de temps plus long, ou plus court dont nous avons parlè, que les sucs parvienent a un certain degré de pourri ture, qui les rend plus fluides & d'une qua­lité propre a irriter les parties ou elles se trouvent amassées, & a les obliger a les pousser ailleurs & a les jetter dans les veines, puis des veines dans le coeur, & dans toutes les parties ou ils causent ce sentiment de froid, par la lenteur de leur premier mouvement, au commencement de l'accès &; par apres par leur dispropor­tion avec la nature du sang, & par l'itrita­tion generale de toutes les parties, produit par son agitation, ce degrè de chaleur ex­traordinaire, la vitesse, & le desordre du poulx, que nous appellons le feu de la fie­ure. Mais on dira peut estre que l'on a lieu de douter de l'effect de ces matieres pourries, puisque le pus, qui est fans diffi­culté de cette nature, passe de la poitrine dans les reins, & sort avec les Urines, (ce [Page 30] qui se doit faire apparemment par la cir­culation du sang en passant par les veines & par les arteres) & cependant tout cela se fait sans que le malade aye les acci­dents que nous remarquons dans les fieu­res intermittentes. On peut repondre a cela que sans parler des voyes extraordi­naires de la nature, comme lors qu'elle chasse des petites parties d'os dans les ex­foliations, a travers les chairs & le cuir; nous proposons ici la maniere dont les ar­bres se nourrissent, & la distribution des sucs par des vaisseaux, ou par des filtres que nos yeux ne peuvent pas decouurir: d'ailleurs le pus que l'on vuide par les Uri­nes, & qui vient de la poitrine, peut passer peu a peu & en si petite quantité a la fois par les veines, par les arteres, par le coe­ur, qu'il ne peut pas faire assez d'impres­sion pour causer un accés de fieure. Au reste tout ce que l'on en peut dire n'estant appuyè que sur des conjectures subjectes a contestation, je suis prest a donner les mains a de meilleures raisons de quelque part qu'elles puissent venir: Je laisse a touts les Medecins avec qui j'ay l'honneur de consulter, de prendre qu'elle hypothese [Page 31] qu'il léur plaira; pourveu que nous convenions des remedes qu'il faut em­ployer, pour guerir les malades: je fais tres peu de cas du reste, & je ne vois pas que tout ce que l'on peut dire de part & d'autre vaille la peine de s'echauffer. Aussi ne suis je pas pour les expressions fortes du Docteur Johannes Jone, qui dans son traitté des Fieures intermittentes se sert de ces termes, Sed cúm nos illorum mi­sereat, qui delirè somniantes particulare morbificae materiae receptaculum astruere moliuntur, &c. il faut de tres fortes rai­sons, beaucoup d'experience, & un peu moins de fantaisie d'hypothese pour tra­itter ainsi les autres Docteurs de haut en bas: fans prendre beaucoup de part a ces grands demeslés toutes les difficultés que je trouve a quitter les resveries des anci­ens pour me servir des termes de cet au­theur, c'est que dans la plus part des Fie­vres intermittentes, il y a, ou quelque tu­meur, ou quelque douleur attacheé a quel­que partie de nostre corps: L'experience a un tres grand credit chez moy, je la consulte le plus qu'il m'est possible, & je ne la vois pas fort favorable dans cette [Page 32] rancontre pour la nouveautè. Nous di­sons ordinairement, Ʋbi dolor, ibi mor­bus, & on peut adjoutèr, ubi morbus, ibi causa conjuncta morbi, & quidem materi­alis causâ: il s'ensuit de là que l'on aura raison d'appeller les parties tumefiées ou dolentes sedes & focus morbi, & par consequent il y aura un foyer de la Fievre intermittente: Il faut remarquer que cet Autheur ne rejette le foyer des Fievres, que les autres Medecins ont admis, que parce que l'hypothese dont il se sert pour expliquer la nature des Fieures, ne peut subsister avec cette opinion: il se­roit pourtant plus a propos d'accommo­der nos sentiments aux faits, que de vou­loir que nos suppositions l'emportent sur l'experience: Mais sans vouloir m'arre­ster a combattre les principes de ce Doc­teur, ce qui nous déroberoit trop de temps, je diray seulement en faveur des Anciens; qu'on trouvera beaucoup de ressemblance entre les grands abscés, les playes, les tumeurs externes, qui tom­bent sous nos sens, & les Fieures inter­mittentes. Dans les grands abscés, dans les tumeurs considerables, & dans les [Page 33] playes une partie de la matiere pourrie, qui est amasseé dans la partie affectée comme dans un foyer, venant a circuler avec le sang cause une espece de Fieure, que nous appellons symptomatique: cet­te Fieure a la verité n'a point d'inter­mission ordinairement, parce que la ma­tiere coule & se jette assiduëment dans les veines, & que la nature ne peut en venir a bout; pour en faire un entier & final epuisement, pareil a celuy qui arrive dans les Fieures intermittentes, ou la na­ture, ou plutots le focus & les parties affec­teés font des efforts plus vigoureux, pour jetter au loin les matieres qui leur sont a charge. Les Fieures intermittentes ap­prochent donc fort a mon avis, ayant es­gart a leur cause, à ces sortes de tumeurs dont la matiere est capable de resolution: car dans le temps que ces sucs sont amas­sés en assez grande quantitè pour faire une tumeur considerable & pour se jetter en partie dans les veines, dans le coeur, & dans toutes les arteres, on s'apperçoit du desordre de la Fieure: mais cette matiere estant dissipèe, le calme succede a la tem­peste, aussi bien que dans les Fieures in­termittentes, [Page 34] & souvent on a veu la mésme tumeur paroistre de nouveau dans le mesme lieu, d'ou elle avoit disparu, & produire mesmes accidens que la premi­ere fois: ce qui n'a pas peu de relation à ce que les anciens appellent sedes & fo­cus morbi etiam in febribus intermittenti­bus dont il est question. Il y a beaucoup d'apparence que dans les Fieures inter­mittentes il ya une certaine espace esten­duë plus ou moins en longueur, largeur, & profondeur, qui a de certains limites, qui separent les parties saines d'avec celles qui sont affectées, & dans ces dernieres on y conçoit une mauvaise disposition a cor­rompre le chyle, qui leur est apportè in­cessament pour leur reparation, & avec cela une vigueur de s'en deliurer quand elle en est irritée & en cela consiste ce que l'on appelle le foyer de la Fieure. Je me suis échappé Monsieur de supposer dans ce que je viens de dire, que le chyle est la matiere immediate de la nouriture de toutes les parties de nostre corps: je finiray cette Lettre en vous faisant un de­tail des probabilités que je trouve dans cette opinion. Presque tous les anciens [Page 35] Medecins croyent que le sang nourrit tou­tes les parties du corps, & la pluspart pensent que le laict des mammelles est une production du sang: je commence­ray à former mes difficultés contre cette derniere opinion, parce qu'elle donne quelque jour a ce que nous cherchons à découvrir. Premierement beaucoup de grands Anatomistes soupçonnent, & quelques uns se promettent de pouvoir démonstrer que le chyle est porté imme­diatement dans les mammelles sans estre mélangé avec le-sang: il y a beaucoup d'histoires dans les observations des An­ciens qui favorisent ce sentiment: on dit que le laict a paru quelque fois de cou­leur & de goust fort pareil a celuy des aliments que venoyent de prendre les nourices dans le mesme moment: on sçait combien les purgatifs donnés aux nourices operent sur les enfans: mais si nous considerons l'eloignement qu'il y a du laict a la nature du sang, il sera diffi­cile de s'imaginer que la sagesse Eternelle qui a formé nostre corps, aye voulu con­trevenir a cette regle du bon sens que l'on a admis de tout temps, que frustra fiunt [Page 36] per plura, quae possunt fieri per pauciora. A quoy bon faire faire de si grands de­tours sans necessité a une liqueur, com­me le chyle qui se doit mesler (suivant la supposition ordinaire) avec le sang, pour ne recevoir de luy aucune des im­pressions qu'il est capable de donner? Car le laict est un suc doux au goust, d'une couleur, d'une consistence, & d'un degré de chaleur fort eloigné du sang, le quel se trouve comme chaqu'un sçait sal­lé, rouge, fort chaud, & beaucoup plus é­pais, que le laict; aulieu que le laict & le chyle sympatizent presques en tout, en couleur, en goust, en consistence, en de­gré de chaleur: le sang, suivant l'histoire naturelle que vous en avés donnée de­puis peu avec tant d'exactitude, est ex­tremement plein d'eprits & de sels vo­latils, qui ne se trouveront pas sans doute dans le laict, dans de pareilles propor­tions; d'ailleurs Mr. Lewenhorch nous apprend que si l'on examine le sang avec un microscope pendant qu'il est encor li­quide, on aperçoit de certains petits glo­bules, qui nagent dans une matiere tran­sparente, suivant ce que nous apprend [Page 37] Monsieur Mariotte de l'academie des Sçi­ences dans son traité des couleurs, que par une forte action du feu les matieres terrestres ou sulphurée devienent rouges, il semble que les globules rouges du sang, ne sont autre chose qu'une matiere ter­restre ou sulphurée qui par un degré de chaleur extraordinaire, ou par l'action d'un puissant dissolvant, ont acquis cette sorte de couleur. Il n'y a d'abord point d'apparence que le laict aussi blanc qu'il est soit meslé d'aucun de ces globules rou­ges qui font partie du sang; il reste a exa­miner la nature de cette liqueur transpa­rente dans la quelle les globules rouges nagent. Cette liqueur a une partie qui se coagule en fibres blanches lors que l'on mesle le sang avee de léau, comme nous le voyons tous les jours lors que nous fai­sons la saignée du pied, ou l'on reçoit le sang dans léau: comme le laict se mesle tres bien avec l'eau sans de pareilles coa­gulations, je ne pense pas que l'on puisse dire, que cette partie fibreuse du sang entre dans sa composition. L'autre par­tie de la liqueur transparente est celle qui demeure liquide & transparente dans les [Page 38] vaisseaux ou l'on reçoit le sang pendant que les globules rouges & la partie fibre­use, dont nous avons parlé, se coagulent ensemble: cette partie du sang approche le plus de la nature du laict, elle se mesle avec l'eau commune, sans se coaguler, de mesme que nous l'avons dit du laict, & si on verse sur une mesme quantité de cette serositè du sang mis a part, & sur pareille quantité de laict, quelques gout­tes d'huile de vitriol, ces deux liqueurs se coagulent esgalement dans une substance blanche, & si vous y mettés le doigt dans ce temps la, vous sentés que ses ma­tieres se sont sensiblement échauffées. Voila une partie du rapport qui se trou­ve entre ces liqueurs; mais d'autre costé elles paroissent d'une nature fort differen­te: si vous mettès la serosité du sang sur le feu, elle a cela de commun avec le blanc d'un oeuf, qu'elle se coagule dans un moment, sans qu'il s'en separe aucune partie aqueuse; aulieu que le laict sou­stient l'ebullition long temps sans se coa­guler, & quand il se coagule, il s'en sepa­re une serosité aqueuse que nous appel­lens petit laict: d'ailleurs la serosité du [Page 39] sang est fort saleé au goust; & le laict est fort doux, ce sont des eloignements qui me paroissent assez grands pour conclu­re que le laict n'est point fait de sang; mais plus tost qu'il est un veritable chyle, puis qu'il a tant de conformité avec cette liqueur, & si peu avec ces trois natures de liqueurs dont le sang est composé: on peut adjouter que si le chyle avoit estè une fois meslé avec le sang, il seroit tres difficile de penser qu'il s'en peut separer aussi promptement qu'il est necessaire, sans que dans ce mouvement precipitè de separation les sels & les humeurs de cette nature, qui font d'une qualité a se glisser par les voyes les plus secrettes & les plus difficiles, soyent entrainès à tra­vers mesme les filtres les plus deliés que l'on poura s'imaginer. Si on trouve de la probabilitè dans les reflections que nous venons de faire conjointement avec les sentiments de plusieurs Anatomistes, & les Observations de quantité d'Autheurs, dont nous avons parlè, & que l'on convi­enne que le laict n'est pas apparemment une production du sang; mais un pur chyle; on conclura aussi qu'il n'y a pas [Page 40] plus de necessité de faire passer le chyle dans la masse du sang, pour nourir im­mediatement chaque particule de nostre corps, qu'il y a de necessitè, pour y por­ter le chyle, affin d'en produire le laict. Car quelle apparence y a il que la plus part de nos parties, qui sont d'une cou­leur blanche, comme le sont les os, les membranes, les tendons, les nerfs, la sub­stance du cerveau, les vaisseaux, les gra­isses, soyent reparèes par une liqueur d'un rouge aussi enfoncé qu'est celuy du sang. Que si l'on considere que l'accro­issement & la reparation des parties, sont des operations communes aux plantes, & aux animaux, qui n'ont point de sang, il faut avoüer que c'est un grand prejugé contre ceux qui veulent establir necessai­rement que l'on n'est nouri que de sang. Il est naturel de croire qu'une liqueur douce comme le chyle, dont le mouve­ment est presque insensible, soit plus pro­pre a un arrangement regulier & a une parfaite union, qui font l'assimilation des matieres & la reparation des parties; que non pas une liqueur, dont le mouvement est impetueux comme celuy du sang, qui [Page 41] par ses effects a beaucoup de relation dans les corps humains aux effects d'un soleil interieur, ou d'un feu, qui par son mouvement perpetuel aide la distribu­tion des autres sucs, qui purifie & separe les matieres heterogénes, qui sont ap­porteés par les vaisseaux chyliferes, qui dissipe les particules les moins propres a faire une juste union avec le tout, retran­che le superflu, fond & subtilize les cho­ses époisses & crasses, fournit par son agi­tation une substance tenue, qui doit estre tres propre a faire des esprits: de plus il se peut, que le sang opere dans les mus­cles les mouvements admirables de con­traction, ou de relachement, a proportion que la cavité des fibres de ces organes en est plus, ou moins remplie & dilatèe, & la figure du muscle accourcie ou alongeé: ces sortes d'usages sont plus naturels au sang, que ne l'est la nutrition: adjoutons a ce­la qu'estant aussi rempli de sels volatils & urineux, que l'experience le fait voir, il est fort eloigné d'estre propre a la vege­tation & a la reparation des parties; puis qu'il n'y a rien de si contraire aux plantes que de les arroser d'Urine. Mais on dira [Page 42] peut estre, que les excrements qui sont pleins de sels volatils, rendent la terre plus feconde, & par consequent fournissent de matiere a la vegetation des plantes: on re­soudra cette difficulté, si l'on prend garde aux proportions, qui se doivent rencon­trer du sumier, par exemple, avec la terre, ou les plantes croissent; car le fu­mier, l'Urine, le sang, qui engraissent la terre, s'ils sont purs & sans estre meslés avec beaucoup de terre, ils fletrissent & ils desseichent plutost les plantes, que de les faire croistre; on en doit donc atten­dre le mesme du sang dans les animaux, & le regarder plutost comme le vehicule des sucs nouriciers, qui en ayde la distribu­tion comme nous avons dit cy dessus, que non pas comme la substance materielle de nostre nouriture. Que s'il arrive que certaines femmes, qui ont de grandes per­tes de sang, devienent maigres & que l'on vueille interer que cela se fait, parce qu'­elles ont perdu de leur nouriture en per­dant leur sang; on peut repondre qu'il y en a beaucoup qui demeurent dans le mesme estat & mesme fort grasse, avec les pertes de sang; ce qui n'arrive pres­que [Page 43] jamais avec les fleurs blanches, qui ne coulent jamais en quantité, sans estre suivies d'une maigreur considerable: il est a croire que la matiere des fleurs blan­ches n'est rien autre chose que le chyle; on mettra au mesme rang le pus des ul­ceres & des abscés, qui ne coule jamais abondamment sans causer une grande maigreur. Et ce qui rend d'ailleurs plus probable que la matiere purulente n'est pas une production du sang, c'est que dans les premiers jours des playes, ou la nature n'est point encor affoiblie, & ou elle devroit faire en perfection ce change­ment du sang en pus, on trouve tous les appareils des playes pleins de sang, qui conserve sa couleur, au lieu que dans la suite on y trouve tousjours une matiere blanche, & on y voit tres peu de sang; de plus dans les Aneurismes une partie du sang extravasè s'endurcit souvent & se conserve rouge dans les parties, pendant des mois & des années sans degenerer en rien, qui approche de la blancheur du pus, ce qui pourtant devroit arriver, n'y ayant aucun obstacle, qui empesche la nature de travailler a cuire, comme l'on appelle, on [Page 44] a changer le sang en pus, ou en matiere purulente. Comme nous proposons ici tant de choses du Chyle, on croira peut estre, que nous en sçavons les distribu­tions dans toutes les parties, & que l'on est obligé de les faire voir; mais parce que dans beaucoup de plantes qui crois­sent & se nourrissent de mesme maniere, que les animaux par l'abbord d'un suc, qui se coule insensiblement dans les par­ties les plus intimes, les voyes & les rou­tes des sucs sont le plus souvent imper­ceptibles, particulierement dans les gros arbres, ou toutes les parties doivent estre en grand volume, je ne pense pas que l'on doive s'attendre d'en decouvrir d'a­vantage dans les animaux. Je sçay bien que l'usage des injections a servi a dé­couvrir des distributions de vaisseaux fort delicates; mais je crois qu'il y a des vaisseaux dans nos corps, qui sont si deliés & qui s'affaissent si fort apres la mort des animaux, qu'il est impossible que les li­queurs dont on se sert pour faire des in­jections y puissent entrer. Que si, en dis­sequant des animaux vivants, on se pro­posoit de decouvrir ces petits tuyaux par [Page 45] ou se filtre le chyle dans chaque partie, outre la delicatesse de ces filtres, on peut dire que la couleur rouge du sang, qui a des distributions dans toutes nos parties, confondra tousiours ce que l'on pourroit se promettre de decovurir par la couleur blanche de chyle. Il est vray que cette grande quantité du chyle qui est porteé au coeur tous les jours, persuade aisément que ce doit estre pour la reparation, & pour la nouriture de toutes nos parties: mais quand on fera reflection que le sang est un feu consumant, qu'il s'en fait une dis­sipation indicible par la transpiration, qu'il est dans une ebullition continuelle, qu'il fournit de matiere aux esprits, on conviendra qu'il a besoin d'un supplement considerable, & aussi grand que celuy qu'il reçoit. On auroit encore beaup d'autres choses a vous dire sur le probleme que je propose; mais il est bon de sçavoir aupa­ravant ce que vous pensés de nos conjec­tures. Je ne cognois personne, qui juge mieux des difficultés, qui naissent dans la Medecine, que vous: vous avés l'esprit du monde le plus droit & le plus plein d'E­quité, vous cognoissez a fond les matie­res, [Page 46] & comme vous ne faites, pas profession d'estre Medecin, on ne peut pas dire, que vous ayez épousé aucun parti, qui vous engage a favoriser une opinion plus que l'autre. J'ay quelques observations sur cet­te sorte de maladie, qui fatigue souvent les gens de court, qui n'épargne ny les palais, ny les ruelles, & que nous appellons Vapeurs, j'en ay aussi sur les effects des poisons, qui ont tant fait de bruit a Paris; nous pourrons vous en faire part quand il vous plaira. Je suis,

Monsieur,
Vostre tres humble & tres obeissant Serviteur, Guide, D. M.

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