Le Sr. De Gand, Seigneur de Brachey, Et Resident Plenipotentier en Angleterre Pour le tres haut & tres Puissant Prince Louis Premier, par la grace de Dieu Duc De Gueldre, & Juliers, Conte d'Egmont, & Zutphen &c. Eut audience, de S.A. le Seigneur Protecteur D'Angleterre, D'Escosse, & D'Irlande.
Accompagné de Plusieurs Gentilshommes de qualité a White-hall, ou il Declara a S. A. S. au Suivant Discours, la mort dudict Prince son feu Maistre.

TRes haut & tres Puissant Seigneur, par la grace de Dieu Seigneur Protecteur D'An­gleterre, D'Escosse, & D'Irlande, &c.

Enfinil est mort, le plus noble, genereux, & magnanime; le plus sage, prudent, & dis­cret; le plus sçavant, expert & politique; le plus affable, civil, & courtois; le plus doux, amiable, & debonnaire; le plus rai­sonnable, juste, & sincere; le plus vertueux, honorable, & in­vincible; les parolles memanquent! En un mot, un des plus ac­complis, Parfaicts, & achevez Princes de la Christienté est mort. [Page 2] C'est [...] ce grand Louis Premier, qui estoit par la grace de Dieu, [...] en despit de l'envie, Duc de Gueldre & Juliers, &c. d'heureuse memoire mon tres honoré Seigneur & Maistre.

Je prie V. A. S. de Commander a sa memoire de luy ren­dre Conte des Nobles idees qu'elle luy commit, quand elle me fit la faveur de me donner audience solennelle en qualité de Mini­stre Public d'un si grand Prince; dautant que Pour lors ie fis Pa­roistte a V. A. en peu de Parolles comme en un tableau ra­courci la noblesse sans parallele de feu S. A. Je monstray que les ancestres de S. A. avoient esté Rois de Frize-Saxonique Plusieurs siecles, & que tout le reste de ce sang Royal avoit esté renfermé dans les veines de sa dicte A. Je touchay en passant que les cadets de la maison de mon Maistre avoient esté Rois D' Angleterre Pres de 600 ans, jusques au temps D'Edouard dict le Confesseur. Je dis lors en 2 mots que les Premiers Contes de Hollande jusques a Florus, qui en fut le dernier, estoient Pa­reillement cadets de cette tres illustre maison, comme l'estoit aussy Guillaume, le 26 Empereur D'Alemagne. Je Passay soubs silence que les Derniers Rois D' Escosse, & ensuitte D' An­gleterre, Par alliance estoient issus de cette maison tant renommee D' Egmont: Asçavoir les Petits fils de madame Marie D' Eg­mont, fille D' Arnold D' Egmont, Duc de Gueldre, & grand Oncle de few S. A. Laquelle Marie fut femme de Jacques second Roy D' Escosse. Je ne fis pas mention pour lors, que Madame Mar­guerite D' Egmont soeur de la susmentionnee fut espouse de Fre­derick second Conte Palatin, d'ou viennent ceux, Pour le restablis­sement Desquels toute L'Allemagne, et Plusieurs autres grands Païs ont beaucoup sousfert ces, dernieres annees, J'adjouste a ce que desus, que Madame Phillippe D'Egmont, Fille D' Adolphe D' Egmont Prince de Gueldre, & cousin de feu mon maistre, fut mariee a René Duc de Loraine, desquels descendent les Ducs dè Loraine, qui prennent en leurs tiltres sans contredict les quali­tès de Duçs de Gueldre Juliers, & Cleve, & ce en vertu seule­ment de la dicte alliance D' Egmont.

Il me faudroit des jours entiers Pour Parcourir voire super­ficielement les grandes alliances de la noble maison de feu mon maistre, mais ie n'en diray rien davantage, me confiant que [Page 3] V. A. fera beaucoup plus d' estat de la Noblesse de son courage invincible, de sa Prudence & Sagesse sans Parangon, ioincte a son admirable police, qui reluissent notamment es suivantes par­ticularitez.

Et tout premierement, je prie V. A. d'adiouster foy a ce que je vay dire. Je prends Dieu a tesmoing que ie le sçay de la pro­pre bouche de feu mon Prince, qui estoit par trop honorable, Pour forger une telle imposture, c'est qu'avant sa sortie des Païs bas quelques personnes de qualité deputees de la part des Catho­liques Romains D'Irlande vers S.A. luy offrirent de le recougnoistre pour leur Roy, si'l le vouloit accepter. Les raisons qui les por­toient a faire le chois de sa personne, sans Parler de celles de leur rebellion venoient de la naissance de S. A. de ses grands revenus, authorité, credit et reputation; du pouvoir de ses amis & alliez; & de ce que S.A. estoit pour lors en fort bon predicament aupres du Roy Catholique, qui sans doute luy eut presté main forte, s'il eut acceptè ce que desus. De ce que finalement S. A. estoit do­uée d'une sagesse et sçavoir tres eminent, ayant l'usage de six divers languages aussy Parfaictement que celuy qu'il su [...]ça avec le laict de sa norrisse. La response de S.A. fut en 3 mots, qu'il les re­mercioit de l'honneur de leur chois, que jamais il n'avoit este Am­bitieus que de ce qui luy apartenoit, & partant qu'il les prioit de L'excuser.

En second lieu la grandeur de courage de S.A. se donna fort a cougnoistre en sa sortie des Païs bas, ou il estoit un Prince grandement estimé, chery, respecté, et quasi adoré de tout le monde: ou ses terres, Parques, Forests; ses hostels, Chasteaux; Maisons de plaisance, & palais; ses villages, bourgades, villes, & revenus dignes d'un tres grand Prince estoient là beaucoup plus confiderables, que ceux mesme du Roy Catholique. Nonobstant S.A. confiderant ce que sa naissance luy donnoit, & voyant que contre toute sorte de droict divin & humain, tant de souverai­netez luy estoient si injustement detenuës, dont i'en fis nagueres le denombrement a V. A. Pas moins que de 13. Il abandonna de gayeté de coeur aux Espagnols sans aucune contraincte, il ya maintenant plus de 22 ans toutes ses autres grandes Seigneuries, Baronnies, Contez, et Principauté; Aymant mieux perdre tout [Page 4] ce qu'il possedoit Pour lors, que de se Laisser ainsy passer la plume par le bec, et endurer pat un lasche silence que tant de droicts, & de tiltres si justes fussent a la parfin ensevelis dedans l'oubly.

D'abondant apres que S. A. se fut retiree des Païs bas, son invincible courage esclata beaucoup plus que jamais, en ce qu'il refusa toutes les pensions que luy offroient tres liberalement Plusieurs grands Princes de la Christientè, et Principalement cel­le de la France de 50 mille escus Par an, desdaignant d'estre a charge a quelque estat que ce fut; dautant qu'il s'entretenoit par le moyen d'une petite souveraineté qu'il avoit au Païs de Liege, & conjoinctement avec les revenus de ses Propres villes, que la France reprenoit sur le Roy Catholique, S. A. maintenoit fort ho­norablement des Ambassadeurs, Refidents, Agents, Envoyez, Se­cretaires, Commissaires dans la plus Part des estats les plus consi­derables de la Chrestienté. Ce qui Despleut tellement a ses en­nemis QUE!—(mon maistre estant mort ie leur Pardonne le reste) & tire a la fin.

Les perfections toutes extraordinaires de ce Prince, ses rares vertus son merite san Pair joincts a l'extraction de S. A. luy ont faict naistre un grand respect parmi tous ceux qui ont gouverné Souverainement cette Nation, veu qu'ils ont tenu & consideré S. A. par l'espace de plus de 17. ans continuels en qualitè de Prince Souverain, en luy ordonnant des honneurs deus aux Souverains privativement a tous autres, ainsi que ie l'ay faict Paroistre evidemment a V.A. au paravant qu'elle me fit la faveur de me recougnoistre solennellement par Ministre public de S. A. ce qui a tellement pleu a feu S. A. que ie ne crois pas que jamais en sa vie il aye receuë aucune nouvelle plus agreeable. Dautant qu'apres Dieu ie suis assuré que S. A. mettoit toute sa confience en V.A. parceque S. A. faisant une continuelle reflexion sur les hauts faicts d'armes si estranges, si prodigieus, et si esmeveilla­bles que Dieu a faict en si peu de temps, & ce en 3 diverses Na­tions par la main guerriere, tousiours victorieuse, & tousiours invincible de V. A. martiale: Sans parler des miracles des forces de V. A. sur mer. Tous lesquels prodiges jusques auiourdhuy remplissent d'admiration, d'estonnement, & d'effroy la meil­leure [Page 5] part de L'univers. S. A. diie faisant reflexion sur tant de merveilles toutes miraculeuses, ne doutoit aucunement que V. A. ne fut capable de le restablir en tous ses droicts, si V. A. en eut eu seulement la volonté, sans qu'il eut esté necessaire pour cela d'en venir aux mains, comme ie l'eusse faict paroistre a V. A. si l'affaire eut esté mise sur le tapis. Mais puisque Dieu, en reti­rant mon maistre de ce monde, en a ordonné autrement, ie me contenteray de communiquer a V. A. quelques lignes mots pour mots, tirees d'une lettre de Monsieur L'Abbé de Haynin qu'il ménvoya dernierement de Paris en ces termes.

(Feu S. A. S. Monseigneur le Duc de Gueldre m'a faict l'hon­neur de me commetre avant sa mort pour son executeur testamentaire, & parmy ses dernieres volontez, il m'a particulierement enioinct de vous mander quil vous ordonnoit de remercier de sa part S. A. S. le Se­igneur Protecteur des bontez quil avoit tesmoigné pour luy, & en luy advisant sa mort de luy dire puisque le bon Dieu disposoit de sa personne, & qui'l ne Pouroit jamais luy tesmoigner ses recougnoissan­ces pour tant de faveurs receues de sa bienveillance, quil L'assuroit ne­aumoins qui'l mouroit son serviteur tres acquis, & quil le supplioit de vouloir conserver les mesmes bontez pour son fils, quil laissoit uuique de sa maison.)

Ce sont icy les dernieres parolles de S. A. tirant aux derniers Abbois pour partir de ce monde, que V. A. comme jéspere con­siderera favorablement selon l'usitée debonnaireté de V. A. son accoustumée bienveillance, & sa magnanimité ordinaire, estant bien seant & fort convenable a la grandeur & noblesse de cou­rage de V. A. d'estre le support, l'appuy, & la Protection d'un si grand Prince, si brave, si noble, si riche, si genereux, et si mar­tial; lequel son pere (se fiant touta faict a la bonté de V. A.) sur son depart de cete vie, a laissé soubs la sauvegarde & defence de V. A. comme ie fais aussy de sa part, avec cette protestation, que doresenavant ie Pousseray des voeus le reste de mes jours vers le ciel pour la prosperité, bon succes, & felicité de V. A. en son Gouvernement.

Telles sont les esperances, les desirs, & les souhaits ardents d'un Gentilhomme passionné pour V. A. puisque V. A. a tesmo­igné tant de respects a feu son maistre, qui en recherchant par tout [Page 6] quelques duchez l'heritage de ses peres, a enfin trouve un royaume a Sainct Cloud aupres de Paris, qu'aucun monarque (jacoit que tres Catholique) ne luy poura jamais oster, non pas mesme dispu­ter. En suitte dequoy ie conclu par ce quatrain, que ie pose pour epitaphe en presence de V. A. S. aux pieds du monument de feu mon maistre, comme le dernier devoit que ie suis obligé de rendre a l'heureuse memoire de S. A. S. en qualité de son tres humble, tres obeissant, et tres fidel serviteur.

Hic jacet Haecmundus, Germano ex stemmate Regum.
Cui Mors plus, peteret quam sua Vita, dedit.
Huic etenim patrios quaerebat Vita Ducatus;
At mors nobilior Regia sceptra dedit.

This keyboarded and encoded edition of the work described above is co-owned by the institutions providing financial support to the Text Creation Partnership. This Phase I text is available for reuse, according to the terms of Creative Commons 0 1.0 Universal. The text can be copied, modified, distributed and performed, even for commercial purposes, all without asking permission.