NOUVELLES EXPERIENCES & UTILES REMARQUES, SUR L'Eau de Mer Dessalee, suivant la Nouvelle Invention du Sieur Fitzgerald & de ses Associez.

Comprises Dans ce Traité, Tres humblement Dedié à sa Majesté BRITANNIQUE, PAR Un Membre du College des Medecins de Londres, & de la SOCIETE ROYALE.

Et Traduit de l'Anglois Par le Sieur Guy Miege.

A LONDRES, 1684.

AU ROI.

SIRE,

IL y a dèja quèque tems que l'on a fort parlé de la nouvelle Invention de dessaler l'Eau de Mer. Et de fait c'est un Des­sein de la derniere Importance, non seulement aux Vaisse aux Marchands, mais peut être encore à vos Flotes & vos Gar­nisons, & generalement à tous Ports de Mer qui manquent de bonne Eau douce.

Pour Preuve de cela, il n'y a qu'a faire voir, 1. que l'Eau de Mer se peut aisement dessaler, sans aucun Danger ou aucune Incom­modité, & que l'on en peut fournir une Quantité suffisante pour les Usages necessaires sur Mer.

2. Que cette Eau, ainsi separée de son Sel, est aussi bonne à boire & à bouillir que toute autre Eau dont on se serve sur Mer.

3. Que, cela etant, les Avantages qu'on en doit tirer seront infiniment plus grands que les Frais qu'on y fera, & la Peine que l'on y prendra.

La premiere de ces Positions se soutient d'elle même par la Repu­tation & l'Interet de ces Messieurs qui ont obtenu pour cet effet des Lettres Patentes de Vôtre Majesté. Avec une Machine, à peine de trois piez en diametre, que l'on pourra aisémenr placer sous le Tillac, ou (pour eviter le Feu & la Fumée) dans la Cuisine du Vaisseau, ils s'offrent de faire, dans l'espace de 24 heures, jusqu'a 360 Quartes d'Eau douce, qui reviennent à tout autant de Pintes, mesure de Paris. Si bien qu'en allouant trois Pintes d'Eau par jour à chaque homme, une Machine etant toujours en oeuvre four­nira [Page 2]d'Eau douce environ 120 hommes. Et il est constant, qu'en cas de Disette d'Eau, on ne donne alors par tête qu'une Pinte & demie, ou deux-Pintes, par Jour, tout au plus.

D'ailleurs nous avons de fortes Asseurances, que la Preparation de cette Eau se fait avec peu de peine, & ne demande pas un grand attachement. Car, bien que la Mer ait plus de Sel en certains En­droits qu'en d'autres, cependant la Preparation ne varie aucune­ment, non plus que l'Eau qui en distille. Et ce que l'on met dans la Machine avec l'Eau s'y met avec autant de facilité que le Sel dans du Potage. De sorte qu'un Matelot, qui aura la Charge de cette Preparation, pourra fort bien s'en acquitter, & servir au Ma­noeuvre en même tems.

Nous sommes aussi asseurez de la part de Mr. Boyle, que, l'Eau de Mer etant ainsi dessalée est aussi Salubre & bonne à boire que la meilleure Eau de Londres. Un habile Medecin du College de cette Faculté en a fait l'epreuve dans la derniere Exactitude. Et tous les Membres de cet Illustre College, à qui l'on s'est addresse pour avoir l'Approbation de cette Eau, n'ont fait aucun scrupule de declarer sous leur propre Seing, qu'ils ne doutoient aucune­ment de la Bonté de cetre Eau.

Cependant, pour en donner au Public des Preuves essentielles, je prendrai la liberté, par la permission de Vôtre Majesté, de m'­etendre sur cette Matiere en faveur des Interessez, sans y avoir d'autre Interet moi même que la Recherche de la Ve­rité.

Les principales Marques que l'on ait d'une bonne Eau sont, d'­être claire, subtile, legere, difficile à se corrompre, douce & au Gout & à l'Attouchement, & en fin pure & simple. Toutes les­quelles Qualitez se rencontrant dans l'Eau dessaléc suivant la nouvelle Invention, [...]ose me promettre qu'il n'y a pas homme de bon sens qui veuille desormais douter de sa Bonté.

Else est Claire, & cela même se void assez bien dans un Verre de Chrystal. Mais, comme il y a des degrez de froidure & de chaleur imperceptibles à nos Corps, & dont on ne peut juger que par un Termometre; ainsi il y a des degrez de Clarté que nos veux ne sauroient decouvrir, sans quèque assistance. Temoin l'­Epreuve que j'ai faite sur de l'Eau de Mer dessalée par les Expo­sans.

En y mettant quèques Goutes de Vin clairet, il s'est trouvé qu'elles lui ont donné une legere teinture d'hyacinthe. Et en mettant la même proportion de Clairet dans une même quantité [Page 3]d'Eau de Riviere, même aprês que cette Eau s'est epurée quèque tems dans une Citerne, elle a pris une teinture d'Encre, parce que le Vin clairet decouvre ces parties opaques, qui n'etoient pas auparavant aisées à discerner.

Cela même est une Preuve de la Subtilité de cette Eau, aussi bien que la Preparation qui s'en fait par le Feu. Laquelle Preparation est tres utile, suivant Hippocrate, & mêmes fort en usage, pour la rarefier, cd. pour en separer les parties grossieres & heterogenes qui s'y entremêlent, & qui coulent à fond en bouillant. J'­ajoute à cela, que la plus grande partie d'Eau de Pluye, qui est des plus subtiles, est distillée de la Mer.

L'Eau dont il s'agit n'est pas moins recommandable par sa Dou­ceur, non seulement au regard du Gout, mais au regard de l'­Odorat. Caril est constant, que les meilleures Eaux ne sentent aucunement, & que celle ci est du Nombre. Quant au Gout, il est vrai qu'un peu de Sel Alcali, au Jugement de quèques Beu­veurs d'Eau, donne un Gout agreable à l'Eau, comme le Sel au Potage. C'est pourquoi il y en a qui preferent l'Eau de Pompe à toute autre Eau. Mais en fin la plupart tombent d'­accord, que la Douceur des meilleures Eaux consiste dans une espece d'Insipidité. Qualité qui se trouve dans l'Eau dessalée, sui­vant la nouvelle Invention.

Et comme elle excelle en Douceur au regard du Gout, de mê­me en est il au regard de l'Attouchement. Temoin les Teintu­riers & les Blanchisseuses, qui savent cela ad unguem, par le Juge­ment que les uns & les autres font de leur melange du Savon avec l'Eau. Il est vrai que cela varie, suivant les degrez de Chaleur & la quantité de Savon. Pour faire donc une Epreuve exacte, il n'y a qu'a faire echaufer jusqu'a un certain degre de Chaleur un Se­tier d'Eau de Pompe, & y faire dissoudre une demi dragme de Savon commun. De cette maniere il sera tres mal aisé de faire impreguer le Savon; & l'Eau de dessous paroitra trouble & inegale, comme si elle etoit caillée. Le Savon nagera comme Graisse sur l'Eau, & cependant il sera ápre à la main.

Au lieu que l'Eau de Riviere echaufée au même degré, & ayant la même quantité de Savon, prend fort bien le Savon dans peu de tems, & l'Eau de dessous en est egale & claire.

A tous ces egards je puis dire, que l'Eau de Mer dessalée surpasse celle de la Thamise, & de la Riviere que l'on ap­pelle New River. Elle paroit plus claire, quand le Savon est dis­sous; [Page 4]elle s'impregne plus tot, & avec meins de Savon. La Fem­me que j'ai employée pour en faire l'epreuve & la comparaison ne savoit pas quelles Eaux c'etoit, lors que j'appris d'elle qu'une Livre & un quart de Savon ne s'clevoit pas si bien en ecume avec l'Eau de la Thamise que le faisoit une Livre avec l'Eau de Mer douce. Il y a encore ceci à remarquer; c'est que, quand l'Eau est bien conditionnée, elle prend bien le Savon, sans être echaufée. Et c'est ce que fait l'Eau dont il s'agit.

La même Eau a l'avantage d'ailleurs d'être aussi Legere qu'­aucune Eau commune. Ce qui se void clairement par ces Poids à peser l'Eau, desquels les Italiens se servent ordinairement, quand ils veulent eprouver la Legereté, & par consequent la Bonté, de l'Eau. Pour en faire moi même l'Epreuve, je marquai le Coû du Poids de plusieurs Degrez à une distance egale, & le plongeai en sept fortes d'Eau, où il s'enfonsa plus ou moins, selon la pesanteur ou la legereté de l'Eau. Dans l'Eau de Pompe à Chancery Lane, qui est une Eau tres pesante, à peine s'enfonsa-t-il jusqu'au premier ou plus bas degré. Dans celle de l'Hopital, appelé Christs Hospi­tal, il s'enfonsa justement jusqu'au plus bas degré. Dans la Fon­taine de Cheapside, jusqu'au second, ou environ. Mais dans l'Eau de la Thamise & New River, dans l'Eau distillée d'Eau de Fon­taine, & dans l'Eau de Mer douce, il s'enfonsa jusqu'au troisieme degré, ou environ. Si bien que cette Eau est aussi Legere qu'une Eau commune distillée.

Je passe maintenant de sa Legereté à une autre Qualité qu'elle a, c'est qu'elle n'est pas sujette à se corrompre. Or toute corrup­tion dans l'Eau se fait voir d'une de ces quatre Manieres. Ou par quêque mauvais Gout ou mauvaise Senteur, ou bien en devenant trouble, ou en s'elevant en bouillons sur la surface, ou bien en­core en laissant quêque Sediment. Mais l'Eau de Mer douce n'est sujette à aucun de ces Accidens. On en a gardé au Soleil & hors du Soleil, l'éspace de neuf mois; &, selon toutes les appa­rences, elle auroit pû se conserver beaucoup plus long tems.

La derniere Proprieté d'une bonne Eau, c'est sa Pureté, qui consiste à être simple, & sans aucun mèlange d'hetero­genes.

Je sai bien qu'il y a dans toutes les Eaux un certain Nitre aêrien, d'une nature bien differente du Nitre commun, & que l'on ne sau­roit visiblement separer de l'Eau. C'est, à mon avis, de là prin­cipalement que l'Eau tient sa qualité refrigerative. Et, quand elle [Page 5]gele, ce n'est pas qu'elle soit alors seulement impregnée de ce Nitre; mais c'est parce que l'Air etant alors surchargé lui communique ce Nitre en plus grande abondance. Or il y a toujours assez de ce Nitre dans l'Eau pour l'assaisonner. Et, comme on peut bien met­tre du Sucre dans de l'Eau, sans qu'il y paroisse; de même en est il de ce Nitre. Il impregne l'Eau, & cependant il n'y paroit pas. Mais, quoi qu'il n'y soit pas visible, il ne s'ensuit pas pourtant qu'il n'y en ait.

Cela etant presuppose, il est constant que l'Eau la plus pure & la plus simple doit être estimée la plus salubre, comme de fait elle l'a toujours eté. Et comme les Humeurs de l'Oeil, par lequel nous discernons toutes sortes de Couleurs, doivent être parfaitement transparentes & sans couleur; ainsi l'Eau, qui sert de Vehicule à nos Alimens, doit être la plus simple & la plus degagée de toutes sortez de Qualitez qui ne lui sont pas propres entant qu'Eau. Et, quand on veut qu'elle soit imbue de quêque autre qualité, ce n'est pas pour l'usage ordinaire, mais plutôt par rapport à la Me­decine.

Or cette Pureté de l'Eau, dont les Parties sont toutes homoge­nes, se trouve admirablement bien dans l'Eau de Mer dessalée. C'est une Verité qu'il me fera facile de prouver par diverses Voies, & en même tems je ferai voir la Raison de ses autres bonnes Qua­litez, & sur tout de sa Douceur à l'Attouchement, de sa Legereté, & de sa Conservation.

Elle est Douce, parce qu'elle est pure, & degagée de tout Sel cor­rosif, soit alcali, marin, ou acide. Et de fait, lors que dans un Vase de Verre, ou quêque Vaisseau bien verni, on fait evaporer de l'Eau de Pompe, ou même certaines Eaux de Fontaine & de Riviere, il est evident que la premiere contient une Quantité considérable de Sel. Un Gallon C'st quatre Pintes de Paris. de l'Eau de Chancery Lane, qui de toutes les Eaux de Londres a le plus de Sel, rend prês de trois drachmes de Sel. Et ce Sel là n'est pas (comme l'on s'imagine) un Sel d'alun, mais un Sel alcali, qui a le gout & les autres qualitez d'un Sel lixivial.

Les Eaux douces de Fontaine rendent plus ou moins de ce Sel, mais toujours moins que les Eaux de Pompe. Celles de Riviere en rendent le moins de toutes. Or de ces trois sortes d'Eau la pre­miere est la plus âpre, & l'Eau de Riviere la plus douce de toutes celles dont on se sert dans l'usage ordinaire. Cependant l'Eau de [Page 6]Mer dessalée par les Exposans la surpasse en Douceur, comme il paroit par une Epreuve dont j'ai deja fait mention.

Elle n'a aucun Sel marin, temoin cette Experience. Car il est certain, qu'une Demi dragme de Savon commun suffit à un Setier d'Eau de Mer douce ou d'Eau de Riviere pour l'elever en ecume; & que, si Pon y met seulement douze ou treize grains de Sel com­mun avant que le Savon y soit dissous, le Savon ne s'y impreguera non plus que si c'etoit dans de l'Eau de pompe.

Il n'y a non plus rien d'Acide. Car, si l'on met seulement 7. ou 8. goutes d'huile de Vitriol dans un Setier d'Eau de Riviere, & qu'on y mette du Savon au delà d'une demi dragme, l'Eau ne pren­dra point le Savon.

On dira peut être, qu'il sort quêque esprit de Sel avec l'Eau. Mais il y a tres peu d'apparence, puis que 7. ou 8. goutes d'esprit de Sel mises dans un Setier d'Eau de Riviere empechent l'Eau de s'­impregner avec le Savon. Je dis bien plus, deux ou trois goutes seulement feront le même effet.

Ainsi la Raison pourquoi l'Eau de Mer douce comme elle est preparée par les Exposans, est si douce au Toucher, c'est qu'elle est pure & simple, & degagée de toute sorte de Sel; hormis ce Nitre aerien qui se repand sur toutes les Eaux, & qui contribue sur tout à les rendre refrigeratives.

Peut être me dira-t-on qu'il peut y avoir un Grain, ou partie d'un Grain de Sel, une Goute ou partie d'une Goute d'Esprit de Sel. Suppose que cela soit, je dis qu'il y en a tout autant, ou plus, dans la même quantité d'Eau de la Thamise, qui n'est pas asseuré­ment si douce au toucher que l'Eau de Mer, comme elle est dessa­lée par les Interessez.

De la Legereté de cette Eau on peut encore juger de sa Purete, puis que la moindre quantité de Sel ou Terre que l'on y fasse par­faitement dissoudre la rend pesante. Par exemple, si dans une de­mi Pinte d'Eau de Riviere on fait dissoudre seulement une demi drachme de Sel commun, le Poids à peser l'Eau ne s'y enfonsera pas davantage que dans de l'Eau de Pompe la plus âpre qui soit. Si bien que dans une demi pinte de cette Eau il y a environ une demi drachme de Sel & Torrelimoneuse plus que dans l'Eau de Riviere, Et, quoi que cette Eau là soit aussi Claire ou Transparente qu'au­cune Eau distillée; cependant il arrive en fait d'Evaporation, qu'il se precipite toujours avec le Sel quêque proportion de Terre.

De même en est il en ces d'huile de Vitriol, ou d'Esprit de Sel. Que l'on n'en mette qu'une demi-dragme dans une demi-pinte d'Eau de Riviere, & le Poids à peser l'Eau ne s'y enfonsera qu'au même degré, comme si l'on y avoit mis la même quantité de Sel.

Ainsi, puis que la Pesanteur & la Legereté de l'Eau dependent de la Dissolution du Sel & des parties acides, ou terrestres, qu'il y a; puis que l'Eau de Mer douce est plus legere que l'Eau de Riviere, & aussi legere qu'aucune Eau commune distillée: Il faut conclure que celle là est pour le moins aussi pure, & dega­gee de toute sorte de Sel, & de parties acides ou terrestres, que celle ci.

De là vient qu'elle se conserve si bien. Et de fait elle est inca­pable de corruption, parce qu'il ne sauroit y avoir de corruption sans fermentation; & qu'il ne peut y avoir de fermentation, là où l'on ne peut aucunement decouvrir ni soufre, ni aucun autre prin­cipe de fermentation. Et, comme la Conservation de cette Eau depend de sa Pureté; ainsi ce que je vien de dire est une Preuve de sa Pureté. Laquelle se prouve encore par ces Experiences, qui tien­nent lieu d'Argument.

Si dans un Setier d'eau grossiere de Pompe l'on fait dissoudre en­viron demi once de Sirop de Violettes, il se trouvera peu aprês, que l'Eau changera la couleur de Sirop en un vert obscur. C'est un Accident que je sai être arrivé à quêques Apoticaires, qui en ont soufert la Perte, sans avoir pu en penetrer la Cause. Ce n'est pas qu'ils eussent manqué dans le Choix des Violettes, mais plutôt dans celui de l'Eau.

De même, si l'on met quêques Goutes d'Huile de Vitriol, ou d'­Esprit de Sel, dans la même quantité d'Eau de Riviere, & que l'on y fasse dissoudre la même proportion de Sirop de Violettes, d'abord il prend la couleur de pourpre.

Au lieu que, si le Sirop est dissous dans de l'Eau de Riviere, ou dans l'Eau de Mer douce, il retient sa couleur bleue, sans aucun Changement.

Je passe maintenant de cette Experience à celle du Vin Clairet, que j'ai mêlé avec plusieurs sortes d'Eau, & cela en assez grande quantité, comme j'ai fait le Sirop. Mais je n'y ai pu decouvrir aucune Difference.

Cependant, comme la couleur du Clairet est forte & enfonsée, & que j'ai crû par consequent qu'il faloit une plus grande quantité [Page 8]d'Eau pour predominer, je mis dans un verre de chrystal trois cu­eillerées d'eau de Pompe, & dans cette Eau environ sept ou huit goutes de Clairet. Le Melange en etant fait, je remarquai, peu de tems aprês, que la Couleur du Vin se passa, & que l'Eau de­vint aussi claire qu'elle etoit avant le Melange. Ce qu'il y avoit d'­alcali dans cette Eau detruisit l'Acide, & en même tems la Couleur du Clairet.

Le même Nombre de Goutes de Vin Clairet etant mêlé dans un Verre comme auparavant, avec la même quantité d'Eau de cet­te Fontaine que nous appelons Lambs Conduit, je trouvai peu aprês que la Couleur s'en etoit presque entierement perdue.

Si on le mêle avec de l'Eau de Riviere, il lui donne, comme j'ai dêja remarqué, quêque teinture d'un Rouge obscur.

Au lieu qu'etant mêlé de la même maniere avec de l'Eau de Ri­viere distillée, il lui donne une Couleur d'hyacinthe, claire & per­manente.

Et c'est là l'aimable Couleur qu'il donne aussi à l'Eau dont il s'­agit, je veux dire l'Eau de Mer douce, ainsi qu'elle est preparée par les Entrepreneurs.

Laquelle Eau, comme il paroit par les Experiences que je vien d'­alleguer, est claire & se conserve aussi long tems que l'Eau de Fon­taine. Elle est legere & douce au toucher, comme l'Eau de Pluye ou l'Eau de Riviere; elle est pure & douce au gout, comme de l'­Eau distillée. En fin elle a toutes les bonnes Qualitez des meilleures Eaux, & n'en a aucune mauvaise. Tant de Preuves que j'ai alle­guées font foi de cette Verité; & sont capables, aprês un juste Exa­men, non seulement d'ebranler, mais de convaincre les personnes les plus fortes en Prejugez.

Que si l'on doute de la Bonté de cette Eau, on peut s'en rappor­ter à ces Personnes de qualité, & tant d'autres personnes d'honneur, qui en ont bû tres souvent, & même en assez grande quantité. Parmi lesquels ceux qui n'etoient point accoutumez à boire de l'­Eau ne s'en sont point du tout mal trouvez; & ceux qui etoient accoutumez d'en boire, que je considere comme les personnes les plus propres à juger de celle ci, l'ont declarée tres Salubre, & aussi bonne qu'aucune Eau commune à eteindre la Soif.

Cela etant presupposé, avec la Possibilité de fournir sur Mer tout autant de cette Eau qu'il sera necessaire; il est bien aise de faire voir les Avantages qui en reviendront, au regard & de la Bourse, & de la Santé.

Au regard de la Bourse, je suppose un [...]n qui [...]ive faire le Voyage de Surat dans les Indes. Or il est certain, que la Pro­vision d'Eau que l'on fait, seulement pour boire, est ordinaire­ment d'un Tonneau de 500 Pintes pour chacun. Car on ne regie pas sa Provision seulement par la Distance des Lieux, mais aussi par egard aux Calmes qui arrivent tres souvent dans ces grands Voy­ages. Si donc l'Equipage du Navire est de cent hommes, il leur faut tout autant de Tonneaux, seulement pour la Boisson.

L'Usage de la Machine à dessaler l'Eau est infiniment plus com­mode & à meilleur marché. Dans un Jour & demi on en peut preparer dequoi remplir un Tonneau de 500 Pintes, & presque un Boisseau de Charbon de pierre suffira pour cet effet. En fin, pour être plus exact, le Charbon qu'on employera à preparer cent Tonneaux d'Eau douce ne montera qu'a environ cent & dix Bois­seaux. Et, comme chacun de ces Tonneaux tient 15 Boisseaux, il se trouvera que 105. Boisseaux ne prendront que la place de 7. Tonneaux. D'ou il est aisé de conclure la Place que l'on gagnera, pour des Marchandises; puis qu'il n'est besoin que de quêques Ton­neaux, pour recevoir l'Eau preparée par la Machine. On peut aussi faire à peu près la même Supputation à l'egard de tout autre genre de Provision pour le Feu, comme Bois ou Charbon de bois, dont on pourra se servir indifferemment.

J'ajoute à cela l'Epargne considerable que l'on fera à l'egard des Tonneaux, qui etant reliez avec des Cercles de fer coutent envi­ron 20 chelins (ou quatre ecus) la piece.

Je passe par dessus tant d'autres Avantages qui reviendront de cette Invention & par Mer & par Terre, & que Mr. Fitzgerald a parfaitement bien representé au public dans le Traité qu'il a der­nierement publié sur cette Matiere.

Ainsi je vien à l'Avantage qui en resultera, au regard de la Santé. J'avouë que l'Eau de la Thamise a la Reputation d'être assez bonne à boire, sur tout quand on la prend dans l'Endroit & au Tems qu'il faut. Il est vrai que sur Mer elle fermente & devient puante; mais elle en revient, & reprend sa premiere douceur. On dit mê­me, que dans le Voyage elle ne pût jamais toute à la fois.

Quoi qu'il en soit, le bon Sens ne veut pas que l'on prefere une Eau suspecte à une Eau de Fontaine, quand on peut avoir celle ci. Or est il que l'eau de Mer douce preparée par les Exposans est aussi bonne que les Eaux de Fontaine. On peut dire même, qu'elle les surpasse en bonté; si ce que l'on dit est vrai, que les Eaux de Fon­taine ne sont pas exentes de fermentation dans un Voyage de long cours.

Quand le Capitaine d'un Vaisseau veut tremper son Vin, ou se servir d'Eau à quêque autre usage, ce lui doit être une grande satis­faction d'être asseuré d'avoir de la meilleure Eau. Et c'est une Maxi­me parmi les gens de Marine, quand ils ont envie de faire de ce Nectar de Mer que les Anglois nomment Punch, qu'en ce cas de bonne Eau doit être autant estimée que l'Eau de Vie.

On me dira peut être que, pendant que l'Eau de la Thamise est au plus fort de sa fermentation, les Matelots même se passent fort bien d'en boire. Mais il y a lieu de croire, qu'aprês la fermenta­tion, ils ne font pas scrupule d'en boire, avant qu'elle ait eu le tems de se rasseoir. Ils respirent sur Mer un Air trop epais & humide, & leurs Gosiers sont trop echaufez par leurs Viandes Salées, pour avoir le Gout ou l'Odorat fin & delicat. Cependant, pour peu qu'ils boivent de cette Eau dans son etat de fermentation, la suite en est souvent fatale, par les Fievres que cela leur cause; principalement vers la Ligne, où ils en sont le plus souvent atta­quez, & où l'Eau se trouve dans son plus haut degré de fermenta­tion. Qui procede d'une quantité considerable de Matiere qu'il y a dans l'Eau, quêque pure qu'elle paroisse être. De sorte qu'aprês un Voyage de long cours, elle fait flamme quêquefois, comme un eclair. Au lieu que l'Eau de Mer douce, n'ayant aucun principe d'­Inflammation ni de Fermentation, bien loin de causer des fievres, est bonne à les prevenir.

Mais, quand mêmes l'Eau de la Thamise seroit toujours salubre & bonne à boire; il est certain que les Vaisseaux sont quêquefois obligez de faire Aiguade, & que l'Eau dont on fait provision se trouve souvent malfaisante. Temoin le Faucon, un Navire Ang­lois, qui fit dernierement le Voyage de Surat. Ce Vaisseau, etant sur les Côtes de Malabar, fut obligé de faire de l'Eau. Ceux qui en bu­ [...]ent se trouverent peu aprês saisis d'un Flux de sang si horrible, & d'une Fievre si maligne, que d'environ quatre vints & cinq Hommes qui faisoient l'Equipage, il en mourut dans peu de tems prês de la sixieme partie, & d'autres languirent long tems sous l'accable­ment d'une grande & dangereuse Maladie.

Il est certain d'ailleurs, que les grandes Bonaces epuisent quêque­fois un Navire, desorte qu'on n'y peut avoir ni de bonne ni de mau­vaise Eau. Je laisse à penser ce que l'on soufre par la Soif dans une telle Conjoncture. Outre qu'elle prepare le Corps à recevoir plu­sieurs Maladies, commes des Indigestions, la Colique, la Dysenterie, lors qu'on boit avidement la premiere eau que l'on trouve.

Un autre Inconvenient que cause la Disette d'Eau, c'est que, pour faire aiguade, on expose bien souvent & le Navire & les Gens de l'­Equipage à de grands Dangers. Il n'y a pas bien long tems qu'un Vaisseau, passant de Chester à Dublin, tomba dans un Calme, qui dura quêques Jours. Ce Vaisseau, qui n'etoit pas mal pourveu d'­Eau, se vid à peu prês epuise dans ce Calme. Il falut donc y pour­voir, par le moyen de la Chaloupe; & dans cette veuë on vint à force de rames sur les Cotes du Pais de Gallés, dont le Vaisseau etoit dêja eloigné de quêques lieuës. Cependant, si une Tempète se fût levée, la Chaloupe sans doute fût perie; & peut être aussi le Navire se fût perdu, faute du Secours de ceux qui etoi­ent dans la Chaloupe.

En fin, c'est une Verité de fait, que plusieurs Equipages entiers sont peris faute d'Eau. Il y a environ cinq ans qu'un Vaisseau chargé de Tabac de Virginie perdit tous ses Gens, & qu'on les trouva tous morts dans le Navire; avec cette Declaration par ecrit clouée an Màt, qu'ils perissoient faute d'Eau.

Mais ce n'est pas seulement au regard du Boire, que la Disette d'­Eau douce est dangereuse. Elle l'est aussi au regard du Manger, veu que la plupart des Viandes que l'on mange sur Mer sont ex­tremement salées. Et tout le Soin qu'on y prend pour dessaler la Viande, c'est de la mettre tremper avant que de la bouillir, non dans de l'Eau douce, mais salée. Car, si l'on se servoit d'Eau douce, il en faudroit à peu prês le double de Provision; parce qu'il faut changer d'Eau trois ou quatre fois, ce qui se fait de quatre en qua­tre heures.

Je sai bien que l'on pretend, que l'Eau Salée est plus propre que l'Eau douce à dessaler la Viande. Et je le croi même, pour la pre­miere & seconde fois qu'on la met tremper dans l'Eau. Mais je suis d'avis qu'aprês cela l'Eau douce le feroit mieux. Cependant, pour empecher la Viande de Sentir, comme elle fait ordinairement dans cette Conjoncture, il faudroit de necessite lui faire changer d'Eau plus souvent.

Il arrive aussi quêquefois, que les Gens de Marine sont re­duits à l'etroit jusqu'a ce point là, que de mettre non seulement tremper, mais mêmes de faire bouillir, leur Viande dans l'Eau sa­lée. Ce qui fait que la Viande, bien loin de perdre de son Sel, en devient beaucoup plus Salée.

Et que doit on s'attendre d'une telle Diete, si ce n'est à être at­teint du Scorbut au supreme degré, de l'Hydropisie, ou d'autres [Page 12]Maladies; qui font bien tôt mourir le Patient, ou du moins l'affoi­blissent d'une telle maniere, qu'a l'egard du Public il vaudroit mi­eux qu'il fût mort? Et de fait, quand un homme est mort, il ne s'­agit que de la perte d'un homme. Au lieu qu'un homme qui ne peut pas travailler n'est pas seulement inutile, mais incommode, parce qu'il vit du travail d'autrui.

Or il est aise de prevenir tous ces Inconveniens, en ayant quand on veut assez d'Eau douce pour tous ses Besoins.

Et par le moyen de cette Eau l'on pourra non seulement corri­ger de mauvaises Viandes, mais aussi changer de Diete. Là où il y a de l'Eau douce, on peut fort bien (quand on veut) se passer de Vi­ande, en prenant du Biscuit, du Froment, ou du Riz, avec un peu de Sucre ou de Beurre. Ce qui est une tres bonne Nourriture.

Je croi avoir compris dans ce peu de mots tout ce qui etoit ne­cessaire à dire sur cette Matiere; & je n'ai pas jugé à propos de m'­etendre d'avantage, de peur de derober à Vôtre Majesté ces preci­eux Momens qui lui sont si necessaires. Je n'aurois pas même pris la liberté d'y insister si long tems, si Vôtre Majesté n'avoit dêja jugé ce Sujet digne de Vôtre Consideration, dans la veuë des grands Avantages qu'en pourront tirer Vos Forteresses sur Terre [...] vos Flotes sur Mer, où Vous avez un Pouvoir Souverain. On doit mêmes conter pour beaucoup les Commoditez qui en reviendront à la Navigation, par le moyen de laquelle les Parties les plus recu­lées de Vôtre Empire se trouvent unies, & rendent en quêque ma­niere le Monde entier Tributaire au Trône de la Grande Bretagne. Ceux qui verront les Merveilles de Dieu dans la profonde Mer, vos Sujets egalement comme tout le Reste du Monde, quand ils trou­veront du Secours dans la Necessité à la faveur de cet Art admira­ble, sans lequel ils seroient peris, auront sujet de benir les Soins & la Bonté de Vôtre Majesté. Ils jugeront tous ceci comme un Miracle, que Vôtre Majesté leur ait fourni une Source Inepuisable d'Eau douce au milieu de l'Ocean.

FIN.

This keyboarded and encoded edition of the work described above is co-owned by the institutions providing financial support to the Early English Books Online Text Creation Partnership. This text is available for reuse, according to the terms of Creative Commons 0 1.0 Universal licence. The text can be copied, modified, distributed and performed, even for commercial purposes, all without asking permission.