ADDITIONS Au Traité de L'EAU DE MER DOUCE; Faisant voir Les Avantages qui en reviennent, tant sur Mer que sur Terre. AVEC La Lettre de Mr. Boyle, & le Senti­ment du College des Medecins de Londres, sur la Qualité de cette Eau. OUTRE Les Nouvelles Experiences du Sieur Nehemie Crew, Membre de ce Col­lege, & de la Societé Royale.

Le Tout Traduit de l'Anglois, Par le Sieur Guy Miege.

Quatriéme Edition.

A LONDRES. 1684.

AU SERENISSIME PRINCE CHARLES II. ROI DE LA GRANDE BRETAGNE.

SIRE,

LORS que j'eu l'honneur derniere­ment d'être admis avec Mr. Boyle & mes Associez en la presence de VOTRE MAJESTE, sur l'Invention de rendre douce l'Eau Salée, V. M. parut si satissaite d'une Chose si importante au Public, que nous sommes obligez de Vous en [Page] temoigner nos tres humbles Reconoissances. Cependant, comme il n'est pas aisé de sur­prendre un Prince si eclairé & si judicieux, & que VOTRE MAJESTE ne don­ne jamais son Approbation sans être bien appuyée, Elle suspendit les dernieres Mar­ques de sa Protection & Faveur dans ce Dessein, jusqu'a ce qu'elle eut examiné cette Affaire à fond. Mais, aussi tôt que nous eumes eclairci toutes les Difficultez, & re­pondu à toutes les Objections, comme il pa­roit dans cet Imprimé, VOTRE MAJESTE eut la bonté de nous donner son Approbati­on, & de nous accorder ses LETTRES PATENTES; que nous avons receuēs avec toute sorte de Soumission & de Reco­noissance. Il est vrai qu'aprês cela il s'est presenté des Obstacles qui nous ont empeché pendant quêque tems d'en tirer les Avantages qu'on s'en peut promettre. Le plus grand Obsta­cle, outre les Suggestions sinistres d'une cer­taine Personne, est venu de cette horrible Conspiration qui s'est depuis peu decouverte. Cette Surprise nous fit d'abord mettre à part nos Interets, pour admirer vôtre Delivrance; & nous fit suspendre nôtre Dessein, pour [Page] n'être pas Incommodes à VOTRE MA­JESTE, ni à Vos Ministres d'Etat, dans unc Conjoncture si delicate & de la derniere importance à ces trois Royaumes. Mais aujourd'hui que nos Craintes sont la plupart dissipées, & que nous voyons par la Grace de Dieu VOTRE MAJESTE s'affermir tous les jours de plus en plus sun son Trône, nous prenons la Liberté de nous addresser encore une fois à Elle, & de Lui consacrer nos Soins, comme à un Prince dont l'Approbation ne peut qu'être de grand poids par toute la Terre. Mais il faut faire Ju­stice à Mr. Boyle, & avouër que le Dessein en est d'autant plus plausible que c'est lui qui en a eté un des principaux Appuis. Ʋn Dessein veritablement digne d'un Genie si grand & si bienfaisant qu'est le sien. Quêques Avantages que sa Patrie, ou que le Monde mêmes, puisse tirer de cette Invention, il ne se propose d'autre Recompense que la Sa­tisfaction d'avoir obligé le Public. Et il ne se peut faire, qu'on n'en tire de grands Avantages, & par Mer & par Terre. Par Mer principalement dans les Voyages de long cours, où l'on est sujet bien souvent à man­quer [Page] d'eau; & par Terre, dans les Ports de Mer, qui n'ont pas de bonne Eau douce. Outre que la Preparation en est aisée, & de peu de frais, & que l'Eau en sera tres saine. C'est ce qui paroitra plus amplement dans cet Imprimé, qui est tres humblement dedié à VOTRE MAJESTE, & re­commendé à sa Faveur Royale, par celui qui est avec toute sorte de veneration,

SIRE,
De Vôtre Majesté Le tres humble, tres-obeissant, & tres fidelle Serviteur & Sujet, FITZGERALD.

L'Eau de Mer Douce. OU La Nouvelle Invention de rendre Douce l'Eau Salée.

IL y a long tems que l'on a travaillé à trou­ver le Secret, en dessalant les Eaux salées, de les rendre salubres. Et, à dire le vrai, si l'on considere bien le fond de la Chose, on peut dire que c'est un des plus grands Des­seins qui soient entrez dans l'Esprit humain. Un Projet qui, ayant en fin heureusement reussi, va se repandre par tout l'Univers, par les A­vantages qui en reviendront au Public, mais sur tout aux Marchands & Navigateurs.

On sait assez, qu'entre les Incommoditez de la Mer celle des Eaux corrompues dans de grands Voyages est une des plus fâcheuses & des moins supportables. Cette seule Consi­deration a degouté jusqu'ici une infinité de [Page 2] personnes commodes & robustes; qui, pre­nant leur Santé à coeur, n'ont point voulu s'exposer à une Diete si rude & si malsaine. Au lieu qu'aujourd'hui, en se servant de l'Eau des­salée suivant la nouvelle Invention, ce Pretexte n'aura plus de lieu, parce qu'il n'y aura plus rien à craindre de ce côté là.

D'ailleurs, quand on veut faire un Voyage de long cours, il faut faire de grandes Provi­sions d'Eau douce, qui produisent ces deux In­commoditez. L'une, que ces Provisions oc­cupent une bonne partie d'un Navire, que l'on pourra maintenant remplir de Marchandises. L'autre, que l'on est souvent obligé (parti­culierement dans les Voyages d'Afrique & des Indes) de mettre sur le Tillac une partie de ces Provisions; & c'est un Encombrement qui empêche, comme chacun sait, un Vaisseau de bien naviguer.

Au lieu que par ce Dessein on remediera à ces Inconveniens. Outre qu'on epargnera les trois quarts de la Depense des Tonneaux; la­quelle est fort considerable, à cause des Cercles de fer avec quoi on les relie.

Il y a encore plusieurs autres Inconveniens, à quoi les grands Voyages sur Mer ont eté su­jets jusqu'ici, faute de cette Invention.

Car il est constant, que, pour faire Aiguade, les Vaisseaux sont quêquesois obligez de s'ecar­ter bien loin de leurs Routes. Ce qui retarde [Page 3] beaucoup leur Voyage, & leur fait p [...]dre bien souvent l'Occasion du Vent.

On risque d'ailleurs les Chaloupes & les Gens de l'Equipage, qui perissent souvent dans les Tempêtes.

Outre que les Matelots, etant à terre, pren­nent de là occasion de s'enyvrer, qu'ils s'attirent souvent du mal par leurs Excês, & qu'il leur arrive quêquefois d'être maltraitez par les Ha­bitans des Païs où ils vont faire de l'Eau.

Ce sont ces Considerations, aussi bien que l'Usage dangereux des Eaux corrompues & mal­saines dont on est quêquefois obligé de se servir, qui obligent les Maîtres des Navires d'augmen­ter leur Depense, en se chargeant d'un plus grand Nombre de Matelots qu'il ne seroit necessaire. Au lieu qu'avec l'Usage de cette nouvelle In­vention il ne sera pas besoin d'avoir un si grand Equipage dans les Navires qu'il y a eu jusqu'ici. Ainsi les Maîtres des Navires & les Marchands feront moins de frais, les uns & les autres y trouveront leur conte.

A tous ces Inconveniens, que nous venons de rapporter, ajoutons encore celui ci. C'est qu'il arrive souvent, que des Vaisseaux faisant Ai­guade sont obligez de laisser promtement leurs Ancres & leurs Cables, pour courir au Large, & eviter le Danger des Côtes.

Le Secret de rendre l'Eau de Mer salubre previent toutes ces Incommoditez. Les Armées [Page 4] Navales en tireront de grands Avantages; & par ce Moyen l'on pourra facilement faire de grandes Decouvertes.

Les Côtes de Mer, & toutes Places mari­times qui manquent de bonne Eau douce, com­me Venise, Amsterdam, & Roterdam, pourront aisément & à bon marché suppleer à ce Defaut, en s'accommodant de la Machine avec les In­grediens à dessaler l'Eau, & à la rendre salubre & bonne à boire.

A Portsmouth, Rochester, & les Endroits Ma­recageux de la Province de Lincoln, où les Eaux sont âpres & malsaines, cette Invention pourra être d'un tres grand Usage aux Famil­les. Et là où l'on fera grand Debit des In­grediens, on les pourra fournir à meilleur conte.

Mais ce n'est pas assez de faire voir les A­vantages qui naitront infailliblement d'un Des­sein si plausible. Il s'agit maintenant de lever tous les Doutes, & de satisfaire à tout ce que l'on a pu objecter de plus raisonnable au pre­judice de cette Invention. Et c'est ce que vous allez voir dans cette Suite de Questions & de Reponses.

Qu. 1. ON demande, si l'on pourra extraire sur Mer autant d'Eau douce qu'il est ne­cessaire pour l'usage d'aucun Navire.

Rep. Dans l'espace de vint & quatre heures on en peut extraire environ quatre vints & dix Gallons d'Angleterre, qui font trois cens soixan­te Pintes mesure de Paris; & cela avec une Machine d'environ trente trois pouces de dia­metre, laquelle on pourra facilement placer sous le Tillac d'aucun Navire. Et depuis peu il s'en est fait dans le même Espace de Tems jusqu'a 140 Gallons, qui reviennent à cinq cens soixance Pintes. Or il est constant, que la plus grande Quantité d'Eau douce que l'on donne à chaque Matelot, c'est trois Pintes par jour. Dans un Vaisseau, où il y a un grand Equipage, l'on pourra avoir deux ou trois de ces Machi­nes à un prix fort raisonnable, & un seul Hom­me suffira pour y vaquer.

Qu. 2. En cas que cette Operation se fasse par le moyen du Feu, il faudra peut être entretenir sur Mer à grands frais un habile Chymiste, ou quêcun qui s'entende en ces sortes de Preparations.

Rep. Il ne sera point necessaire d'avoir pour cela un Homme fort conoissant, car le moin­dre Matelot pourra dans une heure ou deux apprendre la Maniere de preparer cette Eau.

Qu. 3. On objecte, qu'il pourra arriver quêque Desordre à la Machine; & qu'en ce cas, ne trou­vant pas sur Mer des Artisans, ni des Outils propres à la remettre en etat, l'Eau douce pourroit manquer; ce qui auroit de fâcheuses Suites.

Rep. La Machine est faite d'une maniere à se conserver tres facilement, & sans aucune apparence de tel Accident.

Qu. 4. On veut savoir, si l'on pourra se servir de cette Machine sur Mer, quand il y aura Tem­pête.

Rep. Puis qu'il sera si aisé d'extraire en peu de tems quantité d'Eau douce, les Mariniers auront soin d'en faire bonne Provision par a­vance. Cependant on peut s'asseurer, que la Machine ne manquera point au plus fort de la Tourmente, & qu'elle fournira assez d'Eau pour servir l'Equipage dans une telle Extre­mité. Temoin l'Epreuve qui s'en fit derniere­ment aux Dunes par plusieurs Vaisseaux; qui etant là à l'ancre de gros Tems eprouverent, parmi l'agitation violente des Vents & des Houles, l'Usage & la Fermeté de leurs Ma­chines.

Qu. 5. La Preparation se faisant par le moyen, du Feu, elle exposera le Vaisseau à un grand Dan­ger, & la Fumêe même ne pourra qu'être Incom­mode.

Rep. La Machine peut être facilement pla­cée dans quêque Navire que ce soit, sans au­cun Danger de Feu, ou aucune Incommodité de Fumée.

Qu. 6. On demande si les Frais de la Ma­chine, & des Choses qui en dependent, seront grands.

Rep. On ne peut pas dire precisément quelle en sera la Depense, puis qu'il faudra propor­tionner les Machines à la grandeur des Navi­res. Mais une Machine de la derniere grandeur, avec tout ce qui en depend, ne reviendra tout au plus qu'a Dixhuit Livres Sterling, & elle pourra servir plusieurs années. Les Machines dont on se servira sur Terre seront à bien meil­leur marché.

Qu. 7. Il s'agit de savoir si les Provisions pour le Feu couteront cher, & si elles prendront beau­coup de place dans un Vaisseau.

Rep. Cette Operation se fait à si petit feu, qu'il coutera peu de Chose. Il ne sera pas be­soin de beaucoup de Provision pour cela, & l'Embaras n'en sera pas grand.

Qu. 8. On demande si les Ingrediens ne pren­dront pas bien de la Place, & s'ils ne seront pas fort Chers.

Rep. Une Barrique contiendra plus d'Ingre­diens qu'il ne faut pour faire le Voyage des [Page 8] Indes Orientales à aller & revenir; & les In­grediens qui serviront à extraire prês de quatre cens Pintes d'Eau douce ne reviendront qu'a Douze soûs d'Angleterre.

Qu. 9. Supposé que l'Eau de Mer se puisse ainsi preparer, & même en assez grande quantité, on peut douter si cette Eau etant ainsi preparée est salubre & bonne à boire.

Rep. Le fameux Lord Bacon, qui a ecrit sa­vamment sur ce Sujet, n'a jamais eu la moindre pensée que l'Eau de Mer, etant dessalée sans aucun Ingredient nuisible, fût mal saine. Ce­pendant, parce qu'il y a par tout des Gens en­vieux & Enemis Mortels de l'Industrie, qui se plaisent à etoufer les plus beaux Desseins au moment de leur Naissance, les Exposans ont envoyé exprês pout la Satisfaction du Public une grande Quantité de cette Eau au Docteur King, Membre du College des Medecins de Londres, & de la Societé Royale. Ce fameux Medecin a fait toutes ces belles Epreuves de cette Eau.

  • 1. Qu'elle est plus Legere que la plupart des Eaux de Londres.
  • 2. Qu'elle est transparente comme les autres Eaux, & sans aucun sediment.
  • 3. Qu'elle est meilleure à savonner que toute autre Eau, & qu'elle prend moins de savon.
  • 4. Que le Sucre s'y dissout plus tôt.
  • [Page 9]5. Qu'elle s'evapore plus tôt que l'Eau com­mune.
  • 6. Que bien loin de se corrompre, & de devenir puante au bout de quêques semaines, comme fait l'Eau commune, celle ci a conservé sa Douceur plus de quatre mois de suite, & n'a soufert aucun Changement; & qu'elle pourra encore continuer long tems dans cet etat.
  • 7. Qu'elle est aussi bonne que toute autre Eau à faire de la Gelée.
  • 8. Qu'elle est bonne à bouillir des Pois, du Poisson, du Beuf, du Mouton, & toute autre Viande, sans lui donner aucun mauvais Gout, ni aucune mauvaise Couleur.
  • 9. Qu'elle n'a de soi même aucun mauvais Gout, & qu'elle boût avec le Lait sans le faire cailler.
  • 10. Que les Fleurs, Plantes, & generale­ment tous Vegetaux croissent parfaitement bien dans cette Eau; & que de petits Animaux y vivent, & y croissent.

A toutes ces solides Epreuves j'ajouterai, que plusieurs Personnes de grande qualité, savoir les Comtes de Shrewsbury, Westmorland, Mul­grave, & Burlington, les Lords Dunbar, Lum­ley, Falconbridge, Chumley, plusieurs Gentils­hommes de qualité, des Officiers de la Marine, & des Medecins, ont bû de cette Eau, sans s'en être trouvé Incommodez en aucune Maniere.

Et, depuis les precedentes Editions de cet Imprimé, la plûpart des Ministres etrangers, plu­sieurs autres Personnes de qualité, des Mar­chands les plus considerables, des Mariniers, & autres personnes, ont mangé des Pois, du Poisson, & de la Chair bouillie dans cette Eau dessalée, sans aucun mauvais effet. Grand Nombre de Personnes d'ailleurs ont bû quantité de cette Eau, qui ne s'en sont point du tout mal trouvez.

En fin il y a plusieurs Vaisseaux fretez, les uns pour les Indes Orientales, les autres pour les Occidentales, qui ont fait marché avec les Exposans, & qui fe sont pourveus de leurs Ma­chines. Il y en a même qui en ont fait l'epreu­ve des leur arrivée aux Dunes, dont on a eté extremement satisfait.

Mais, pour être plus pleinement persuadé de la Qualité salubre de cette Eau, on n'a qu'a bien peser le Temoignage de ces Savans & Illu­stres Medecins dont vous allez voir la Liste.

L'Approbation du College des Medecins de Londres, & de quêques autres Docteurs en Medecine.

LA Gazette nous ayant informé depuis quêques mois, que le Sieur Robert Fitzgerald avoit trouvé le Moyen de rendre douce l'Eau de Mer, & de fournir tout autant de cette Eau douce qu'il sera necessaire pour l'Usage des Vaisseaux sur Mer; Et, comme quêques Personnes pourroient douter si cette Eau etant ainsi separée de son Sel seroit bonne, & n'auroit point quêque qualité malfaisante, Nous avons jugé à propos de nous informer tres particuliere­ment de Mr. Boyle là dessus. Qui nous a donné beaucoup de satisfaction, en nous asseurant que la Preparation s'en fait par le Feu, que le peu d'Ingre­diens que l'on y emploie n'ont aucune qualité nuisible, & qu'ils se fixent par le Feu. Si bien qu'aprês quê­ques Epreuves que nous avons veuës d'ailleurs, faites par des Membres de nôtre Secieté, Nous declarons que c'est nôtre Sentiment, que la dite Eau etant ainsi separée de son Sel est Salubre, que l'on peut s'en ser­vir sans aucun Danger, & qu'elle est du moins aussi Saine que toute autre Eau dont on se serve sur Mer. Laquelle Declaration nous faisons en faveur & à la Requête du dit Sieur Robert Fitzgerald.

  • Le Dr. Cox President,
  • Le Chevalier Scarborough,
  • Daniel Whistler, D. M.
  • Mr. Weatherly, D. M.
  • Guillaume Denton, D. M.
  • Le Chevalier Millington.
  • Walter Needham, D. M.
  • Thomas Short, D. M.
  • Thomas Allen, D. M.
  • Edmond Dickinson, D. M.
  • Guillaume Croone, D. M.
  • Richard Lower, D. M.
  • Jean Windebank, D. M.
  • Daniel Cox, D. M.
  • Jaques Rupine, D. M.
  • Charles Conquest, D. M.
  • Edmond King, D. M.
  • Mr. Willoughby, D. M.
  • Thomas Sydenham, D. M.
  • Edward Tyson, D. M.
  • Nehemie Crew, D. M.
  • David Abercromby, D. M.
  • Andre Creagh, D. M.

CHacun sait, que l'Angleterre depuis bien des Siecles a excellé dans la Medecine. Mais jamais cette Science n'y a eté dans un si haut degré de perfection que dans le Siecle où nous sommes, soit au regard de la Pratique ou de la Speculation. Et il suffit d'alleguer l'Islu­stre College des Medecins de Londres, pour prouver cette Verité. Leur Savoir extraordi­naire & leur grande Experience leur ont acquis une si haute Estime, qu'elle les rend par tout Recommandables. Aussi c'est à ces Messieurs que l'on renvoie ceux qui voudront s'informer plus particulierement de la qualité de cette Eau. Le Temoignage qu'ils en rendent a d'au­tant plus de force qu'il est à leur Prejudice. Car il est croyable, au fond, que l'Usage de cette Eau salubre etant une fois en vogue pour­ra diminuer le nombre des Patiens que les mauvaises Eaux des Endroits Maritimes, & les Eaux corrompues dont on se sert sur Mer, leur ont fournis jusqu'ici.

La Lettre de Mr. Boyle, ecrite au savant Docteur Jean Beale, un des Membres de la Societé Royale, sur l'Eau de Mer dessalée.

MONSIEUR,

POUR vous satisfaire sur la nouvelle Inventi­on de rendre douce l'Eau Salée, il faut que Je vous dise premierement, qu'un de mes plus proches Parens, Mr. Fitzgerald, accompagné de quêques au­tres Gentils-hommes de merite, allerent il y a quêque tems faire la Reverence au Roi, dans le dessein de Lui en donner avis. Ils dirent donc à sa Majesté, qu'ils avoient le Secret, non seulement de rendre douce l'Eau salée, mais aussi de la rendre salubre & bonne à boire, & mêmes d'en preparer grande quantité en peu de tems, & à peu de frais. Ils representerent d'ailleurs à Sa Majesté, que j'avois examiné cette Affaire, & que je m'etois declaré en faveur de ce Projet; qui fut en suite publié dans la Gazette.

Le Roi là dessus me commanda, en des termes trop obligeans, de me rendre auprês de Lui, pour Lui en donner un entier Eclaircissement. Et sa Majesté me fit des Objections aussi fortes contre ce Dessein, qu'auroit seu faire le plus eclairé entre les Savans du Siecle. A cela je repondis, qu'il y avoit deux Choses differentes à considerer dans cette [Page 15] Invention; Savoir la Partie Mecanique, qui re­garde la Machine & la Maniere dont il s'en faut servir; & la Partie Physique, qui n'a pour Obiet que la Bonté & la Qualité Salubre de l'Eau. Je fis mes excuses au Roi sur la premiere Partie, & je ne voulu pas pretendre de repondre aux fortes Ob­jections que sa Majesté me fit sur ce Point la. Je laissai cette Tâche aux Interessez, qui etoient prets à le faire.

Pour ce qui est de la Bonté de l'Eau ainsi preparée, j'en avois fait auparavant diverses Epreuves; qui, bien loin de me faire douter de sa qualité salubre, m'ont donné lieu de croire qu'elle est bien conditionnée, & qu'elle peut être de grand usage, principalement sur Mer. J'en fis voir quêques Epreuves à sa Ma­jesté, qui en fut tres satisfaitre, & qui eut même la bonté là dessus de discourir quêque tems sur ce Sujet en Prince savant, & d'une maniere à instruire les plus e­clairez. En fin le Roi renvoya les Entrepreneurs, avec promesse de sa Protection & de sa Faveur Royale.

Aprês ce que je vien de dire, il faut maintenant qu'en peu de mots je vous fasse voir les principales Choses qui m'ont porté à croire que cette Eau ainsi preparée est salubre; D'ou il sera aisé de conclure les grands Avantages qui en reviendront au Public. Premierement j'ai consideré l'Eau de Pluye qui tombe dans les Endroits de l'Ocean les plus reculez de la Terre, & que l'on recoit (si ce n'est peut être en quêques endroits de la Zone Torride) comme une Eau qui n'est pas mauvaise. Sur quoi j'ai fait cette Reflexion, qu' asseurément la plupart de ces Eaux [Page 16] de Pluye qui tombent dans ces vastes Deserts de l'Ocean viennent de l'Ocean même, & qu'elles ne sont autre chose qu'une Eau de Mer degagée de son Sel. Redit Agmine dulci.

Ensuite j'ai trouvé, & le Roi lui même en est tombé d'accord, que cette Eau preparée suivant la nouvelle Invention a tres bon gout, & n'a au­cun Sel dont on se puisse appercevoir. J'en ai moi même gardé plus de quatre mois dans une grande Phiole de Christal, que j'ai tenue exprês debouchée la plupart du tems sur une Fenêtre qui regarde le Midi. Où elle s'est si bien conservée, qu'elle n'a changé pendant tout ce tems là, ni de Gout, ni d'Odeur, ni de Couleur; & je suis persuadé, qu'elle se conservera dans cet etat beaucoup plus long tems. Cependant j'en ai fait gouter à plusieurs des plus habiles Medecins du College de Londres, qui l'ont sentie & goutée avec Approbation.

D'ailleurs j'ai remarqué, qu'elle est bonne à savon­ner; ce que ne sont pas la plupart des Eaux de Pompe, ni beaucoup d'autres Eaux, pour peu qu'elles aient de Sel, quoi qu'imperceptible. Elle est encore tres bonne à bouillir des Pois, ce qui est marque de benne Eau parmi les Gens de Marine. J'ajoute à cela, que cette Eau est beaucoup moins pesante qu'on ne s'imagine d'abord. L'Epreuve que j'en ai faite avec de bonnes Balances, & un Instrument que j'ai fait faire exprês pour peser les Liqueurs dans la der­niere exactitude, fait foi de cette Verité. Car, s'il quêque Differenee dans la pesanteur de cette Eau [Page 17] d'avec la même quantité d'Eau qui n'est pas distillée, c'est si peu de chose, qu'elle ne merite pas qu'on en prenne conoissance. Je parle avec un si, parce qu'il est plus difficile d'être exact dans ces Epreuves deli­cates, que les personnes qui n'y sont pas versées pour­roient bien s'imaginer. En fin la Difference n'est qu'entre la 400. & 500. partie du poids de l'Eau commune. Ce qui est peu de chose, en comparaison de ce que les Gens de Mer, & quêques savans Au­teurs, ont remarqué des Eaux naturelles qui sont bon­nes à boire.

Je pourrois encore sur ce sujet vous alleguer la Pratique du dernier Grand Duc de Toscane, un Prince qui avoit de grandes Lumieres, & qui etoit le Patron de la celebre Academie des Philosophes Lyn­cées. Ce Prince etoit extremement soigneux de sa Santé; & l'on asseure, qu'il ne beuvoit ordinaire­ment que de l'Eau distillée. Il y a beaucoup d'autres Choses que je pourrois encore avancer en faveur de ce Secret, si le Tems me le permettoit, & si peut être la Prudence même ne m'obligeoit à le remettre à une autre fois.

Ce qui me reste maintenant à faire pour vôtre satisfaction, c'est de vous dire la Raison la plus im­portante, qui m'ae persuadé que l'Eau dont je parle est parfaitement degagée de tout Sel. Vous savez, Monsieur, que ce n'est pas d'aujeurd'hui que l'on a tâché de trouver le Secret de dessaler l'Eau de Mer, & que plusieurs personnes d'esprit s'en sont mêlées, à divers Tems & en plusieurs Païs, tant par le motif [Page 18] de la Gloire que par celui de l'Interet. Mais il s'a­gissoit d'ôter à l'Eau son Sel, sans y mettre aucune Chose qui rendît cette Eau malfaisante; & c'est en quoi l'on s'est trouvé court.

Cependant on demeuroit d'accord de tous côtez, que le Sel de l'Eau de Mer etoit la seule Chose qui l'empechoit d'être bonne à boire. D'ou il me fut aisé de tirer une Consequence en faveur de l'Eau que nous preparons. Car, ayant ecrìt il y a dêja long tems un Traité de la Salure de la Mer, je m'etois appliqué à trouver les Moyens de comparer les Eaux au regard de leur Sel. En fin j'ai trouvé, que l'Eau de Mer que nous preparons est plus degagée de Sel que les Eaux qu'on boit ordinairement à Londres. J'en fis voir l'experience à Messieurs les Exposans, qui en furent en même tems surpris & convaincus. Mais ce qui me donna le plus de satisfaction, c'est une Epreuve que je fis sur ce sujet avec beaucoup de soin. J'en fis l'ouverture au Roi, & je n'atten que l'Oc­casion, & les Ordres de sa Majesté, pour lui com­muniquer la Maniere dont cela se fait.

Sur ce pié là vouz pouvez, Monsieur, vous as­seurer de ces deux Choses Importantes. L'une, que par cette Epreuve j'ai decouvert ce qui peut être vous paroitra bien etrange; Savoir que, si dans plus de deux Onces d'Eau il y avoit seulement la quantité d'un Grain de Sel, je m'en appercevrois d'abord. L'autre, que par ce critique Examen je n'ai pû de­couvrir qu'il y eût la quantité d'une millieme partie de Sel dans nôtre Eau preparée. Au lieu que, par [Page 19] des Epreuves faites à dessein & avec toute l'exacti­tude possible, j'ai trouvé que l'Eau de nôtre Mer contenoit une 44 ou 45 Partie de bon Sel sec. C'est à dire que 44. Pintes de nôtre mesure, ou à peu prês autant de Livres d'Eau de Mer, rendroient environ une Livre de Sel commun.

Ainsi, Monsieur, vous avez dans cette Feuille un Abbregé de nos Transactions sur ce Point, sans fard & sans artifice. J'ajouterai seulement que, com­me j'ai contribué quêque chose à faire valoir une In­vention si utile, je souhaite de tout mon coeur qu'elle reiississe. Non que j'y aie aucun Interet particulier, quoi qu' à la verité les Exposans aient eu la bonté de me faire des Offres fort avantageuses. Mais je le souhaite uniquement dans la veuë que cette Invention pourra être d'une grande Utilité, & que toute la Terre en profitera. C'est ce qu'il n'est pas besoin de faire voir à un Esprit penetrant comme le vôtre. Ainsi je n'ai qu'a me souscrire,

Monsieur,
Vôtre tres humble Serviteur, R. BOYLE.

Aprês tant de Temoignages Illustres & si forts en faveur de ce grand Dessein, j'ajouterai l'Approbation de sa Majesté Britannique. Qui, depuis la premiere Publication de cet Impri­mé, ayant veu des Preuves convaincantes de la Qualité salubre de cette Eau, a resolu d'en sixer l'Usage dans ses Garnisons Maritimes. C'est ce qu'Elle a fait publier, par Ordre exprês, dans diverses Gazettes, particulierement dans celle du Lundi, 5 de Novembre, 1683.

PAR Ordre du Roi, le Sieur Boyle est venu en presence de sa Majesté, pour Lui faire voir des Preuves de sa Maniere delicate d'examiner la Douceur & la Salure de l'eau, & pour en faire l'Application à l'Eau de Mer preparée suivant la nouvelle Invention des Interessez. Outre la Personne du Roi, il y avoit son Altesse Royale, le Duc de Grafton, & plusieurs autres Personnes de qualité, qui ont eté Temoins Oculaires de cette Exporience. Et le Sieur Boyle s'en est si bien acquitté, par le moyen d'un certain Liquide; qu'il etoit aisé de decouvrir dans une Quantité d'Eau s'il y avoit seulement une milliéme partie de Sel, & que l'Eau de Mer pre­parée par les Exposans etoit du moins aussi degagée de [Page 21] Sel que les meilleures Eaux qui'l y ait autour de Londres. Dequoi sa Majesté etant tres satisfaite, & par consequent fortement persuadée de la qualité s [...]lubre de cette Eau, elle a declaré qu'elle vouloit Elle même faire valoir une Invention de cette Impor­tance, en introduisant l'Usage de cette Eau dans ses Garnisons Maritimes, que la Nature n'a pas pour­veuës de bonnes Eaux.

Depuis cette Declaration du Roi, un des Exposans a receu une Lettre de Mr. Macdonnel, Capitaine du Grey­hound, un des Vaisseaux de sa Majesté. La Lettre est datée de son Bord, sur les Côtes d'Espagne, du 3 de Nov. 1683, & en voici la Copie.

MONSIEUR,

POur bien eprouver vôtre Eau de Mer, je l'ai mise à fond de Cale, & l'y ai laissée l'espace de quatre mois. Si elle n'avoit eté extraordinaire­ment bonne, il n'y a point de doute qu'elle ne se fût corrompue; & que, bien loin d'être utile, elle n'eût eté malfaisante. Mais je vous asseure, que je fus agreablement surpris, lors que j'en decouvris la bonté aprês une si longue Epreue. J'avois hier dans nôtre Bord plusieurs Officiers, à qui je fis gouter insen­siblement de vôtre Eau, sans leur dire de quelle Eau [Page 22] c'etoit. Pour pallier la chose, je feignis que c'etoit d'une Eau de Fontaine où j'avois fait aiguade, à 12 lieuës au Sud de Salé. Ils tomberent tous d'accord, qu'elle etoit aussi bonne que l'Eau de Tanger, qui passe pour la meilleure Eau du Detroit. Mais ils furent bien surpris, quand je leur decouvris la Verité de la chose, & que je leur dis que c'etoit de vôtre Eau de Mer dessalée. Ils firent pendant quêque tems difficulté de me croire. Mais ils avouërent constamment, que c'etoit (comme de fait) une tres bonne Eau, & me prie­rent même de vous en donner avis. Je suis au reste,

Monsieur,
Vôtre tres humble Serviteur, Rand. Macdonnel.

La Rigueur de l'Hiver passé etoit si extraordi­naire, que plusieurs Vaisseaux arrêtez par les Glaces perirent alors malheureusement, faute d'Eau. Le President, riche Vaisseau des Indes, eut le malheur d'être de ce Nombre. C'est pourquoi sa Majesté jugea à propos, pour le Bien du Public, d'ordonner la Publication de l'Avis qui suit, & cela dans la Gazette du 6. de Mars 1683.

Le Roi ayant appris de divers Endroits le mal­heureux etat où se sont trouvez depuis peu quéques uns de ses Sujets dans leur. Voyages de Mer, faute d'Eau douce, a commandé aux Personnes Interesseés dans la nouvelle Invention de rendre douce l'Eau Salée de se servir de toutes les Voies les plus propres pour publier l'Utilité de cette Invention. Dont sa Majesté a eté si satisfaite, qu'Elle veut bien que, non seulement ses Vaisseaux soient pourveus de leurs Machines, mais aussi ses Garnisons qui manquent de bomse Eau douce.

AVIS.

LES Personnes comprises dans la Patente du Roi, pour faire valoir le Secret de rendre Douce l'Eau salée, sont le Sieur Robert Fitz­gerald, le Colonel Oglethorp, le Sieur Bridgeman, le Sieur Thomas Maull, & le Sieur Patrick Trant. Qui se proposant le bien du Publick, comme le leur propre, s'offrent de traiter avec tous ceux qui vou­dront s'accommoder de la Machine & des Ingrediens. Et, comme c'est une Affaire où il s'agit de la Santé & de la Vie mêmes de ceux qui s'en serviront, les Exposans prendront un Soin extraordinaire d'empecher que les Ingrediens ne soient contrefaits & falsisiez; & cela en y apposant des Marques si seures & si particulieres, qu'il sera tres mal aisé de les contrefaire.

Si quêque Communauté, Societé, ou quê­que Particulier, souhaite de traiter avec lesdits Exposans, on n'aura qu'a le faire savoir à quêque Membre de ce Corps. Et, [Page 25] l'on pourra addresser les Lettres, au Coffee­house de Garway, vis à vis la Bourse Royale; ou au Coffee-house de William en Bow­street au Commun Jardin; ou bien à Mr. Jean Pye, en Brook-street prês d'­Holborne. Ce dernier a un Ordre parti­culier des Exposans de recevoir les Propo­sitions par ecrit qu'on leur addressera.

FIN.

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