LE DOUBLE-COCU.

Histoire du Tems.

Par le Sr. S. BREMOND.

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IMPRIME A PARIS. Pours Mrs. Jaques Magnes, & Richard Bent­ley, à la Poste de Russel-street au Co­vent-Jardin. 1678.

A Monseigneur le Comte de PEMBROOKE, & de MONTGOMERY: Baron Herbert de Cardiffe, & Shurland, Seigneur Parr & Ross de Kendall, Marmion, St. Quin­tin, & Fitz-Hug Lieute­nant de la Comté de Wilthon, &c.

MONSEIGNEUR.

CE n'est pas pour met­tre ce livre sous votre Protection, que je prens la liberté de vous le pre­senter; un si petit ou­vrage ne merite pas d'en avoir une si Illustre que la vôtre: c'est seulement pour vous donner la comedie d'un He­ros a double-corne. Ce divertissement, [Page] Monseigneur, ne seroit pas propre pour toutes sortes de Personnes: Il y a bien de Gens a qui ce tittre seulement auroit fait peur. Et en verité de la maniere qu'on est tournè aujour-d'huy dans le monde les speculateurs n'auroient pas manquè d'exercer leur beau talent, si je ne me fusse adressé a une Personne, qui par son merite, aussi bien que par toute autre raison, est au dessus de pareilles applications.

L'Esprit censeur n'a point de bornes,
A tel autre que vous j'aurois fait ce present,
Qu'on l'auroit pris dabord pour deux paires de cornes,
Que je luy mettois par devant.

Il n'y avoit pas de moyen plus assuré pour me tirer d'affaire & d'embarras, que de jetter les yeux sur vous: Et d'ail­leurs a qui pouvois je offrir plus a propos l'Histoire d'un Cocu qu'a l'homme du monde qui s'entend le mieux a les faire. [Page] Il est vray, que c'est une galanterie, qui n'a rien de trop fin ni de trop' delicat, pour meriter l'attention d'un esprit com­me le vôtre, qui s'y connoit parfaite­ment, & qui aime les belles choses; mais il est des momens, qu'on est byen­ayse de perdre, & qu'on ne sauroit em­ployer qu'a des bagatelles. Mon ambiti­on n'est pas de vouloir occuper les Gens d'esprit, mais de les divertir; & quand je puis arriver jusques-là, je crois d'a­voir assez fait. Je suis un faiseur d'hi­storietes; c'est mon talent: Si j'en avois un plus beau, je l'employerois maintenant a vous donner, Monseig­neur, tout l'enoens que vous meritez; a loüer ce coeur magnanime & generaux que vous avez, cette grandeur d'ame & cette gloire qui sent si bien l'Illustre Maison de PEMBROOKE. Tout le monde scait, qu'il n'y a point de dan­ger qui vous estonne, que vôtre coura­ge ne connoit point de peril, & que tou­tes les vertus guerreries vous aussi na­turelles que la vie. J'aurois pû Mon­seigneur, faire la dessus une épitre, qui [Page] n'auroit peut être pas esté tout à fait in­digne de vous: Et si j'eusse voulu m'e­stendre encore sur les Eloges de vos An­cestres, de cette suite de Heros qui sont sortis de vôtre Maison, & qui ont pos­sedé les Premieres Charges du Royau­me, de ces grands Hommes a qui plu­sieurs Roys d'Angleterre leurs Souve­rains ont donné des loüanges que la po­sterité n'oubliera jamais: j'aurois entrepris sur les beaux genies du genre sublime, a qui une si belle matiere est reservée, & qui ne l'ont jamais equisée quoyque plusieurs l'ayent dêja traittée dans un grand nombre de livres qui ont esté mis sous la Protection du Nom Illustre de PEMBROOKE. Celuycy n'aura cet honneus, que pour vous asserer, que je suis avec beaucoup de Respect, comme avec beaucoup de Passion,

Monseigneur
Vôtre trés-humble & trés-obeissant Serviteur. S. BREMOND.

LE DOUBLE-COCU Histoire Galante.

C'Estoit du Regne de Phi­lippe second, qu'un certain Don Fernand Gouvernoit en Catalogue en qualité de Vice-Roy, homme à la verité d'un Esprit fort agreable & qui avoit de trés belles qualitez; Mais d'un pan­chant aux plaisirs & sur tout de l'a­mour, qu'il les aimoit jusqu' au de la de sa reputation.

Il avoit epousé une dés plus belles femmes d'Espagne, jeune honneste, ayant de l'Esprit infiniment, & dont tout autre homme que luy se seroit contenté: Mais il est des maris, qui ne [Page 2] croyent pas, qu'il y ait de pires fem­mes que les leurs, & don Fernand e­stoit de ceux la. La possession tran­quille l'affadissoit; & degoute, de n'avoir toûjours qu'un même mets, il prenoit plaisir den changer, quand il pouvoit, aux dépens d'autruy.

Il y avoit alors le Grand maistre, de l'Artillerie sur les terres dequi il chassoit depuis deux mois, & qui avoit une femme, non pas tout-a-fait si belle que la sienne, mais fort jolye, d'une humeur enjoüée & charmante, d'un Esprit doux & galant, en un mot comme il les aimoit.

Le Grand-maistre estoit un grand homme de guerre mais fort peu pro­pre pour la cour. Il appliquoit tout son esprit au devoir de sa charge, & se reposoit sur la conduite de sa fem­me des affaires de sa maison. Il en avoit bonne opinion; & contre le na­turel des gens du Pays, il n'estoit pas d'un temperemment forte porté a la jalousie.

Quelque parenté qu'il avoit entre luy & le Vice-Roy, & une grande amitié entre les deux femmes, qui se connoissoient depuis long-tems, ser­virent comme d'appas pour l'attirer au Palais, ou l'adroit don Fernand luy volut faire l'honneur de luy don­ner un appartement.

Jusques la tout alloit fort bien; personne ne s'estoit encore apperceu, que le Vice-Roy eût aucun dessein sur dona Angelica, c'est ainsi que s'ap­pelloit la femme du Grand maistre de l'artillerie: Il ne luy avoit par le que des yeux & avec le mouchoir, car le mouchoir en ce pays la est un inter­prete d'amour aussi bien que les yeux mais depuis que d'un amour de de­hors, il en eut fait un amour dome­stique, certe commodité, de voir & d'entretenir tous les jours ce qu'il ai­moit, accrut sa passion d'une telle maniere, qu'il ne la peut plus cacher à une femme habile & penetrante comme la sienne.

Il faut peu de jalousie pour desun ir deux femmes: Un foupçon seule­ment est capable de gaster entre elles la plus forte amitié du monde. La Vice Reyne commença a regarder avec froideur la femme du Grand, maistre, sans luy en dire la raison; Car ordinairement une femme n'ai­me pas de faire voir, qu'elle est ja­louse d'une autre femme. Il semble, qu'il y ua de sa gloire; & ce n'est qu'a l'extremité, & lors qu'elle ne peut s'empecher d'sclatter, qu'elle laisse voir des marques de cette foible pas­sion.

Donna Angelica s'apperceut da­bord de ce changement & en devina le sujet: neanmoins elle ne laissa pas de vivre toûjours de même avec la Vice-Reyne. Il est fort agreable pour une femme d'estre aimée, sour-tout d'un homme du merite & de la qua­lité de Don Fernand; Mais donna Angelica en usoit si honnestement a­vee luy, que sa femme n'avoit rien à [Page 5] dire contre elle. Il n'en estoit pas de même de cét Amant, a qui la passion, dans léxcez ou elle estoit montée; ne laissoit pas assez de liberté d'esprit, pour se pouvoir toûjours contrain­dre.

La Vice-Reyne, qui ne vouloit pas servir plus longtems a la commo­dite de leurs entreueuës, voyant que donna Angelica ne se rebuttoit point de toutes ses manieres indifferentes, luy fit a la fin refuser l'entrée de sa chambre qui estoit le pretexte que le Vice-Roy prenoit pour la venir voir. Donna Angelica ne peut dissimuler cét affront: L'injustice estoit trop grande, aprez la maniere qu'elle avoit traité jusques la la passion de Don Fernand. Elle resolut de s'én vanger & de n'espargner rien pour la rendre jalouse tout de bon.

Il est un peu dangereux d'irritter un ennemi, qui nous peut faire pis, que ce qu'il nous fait. Donna Ange­lica n'eut pas plustôt vû le Vice-Roy [Page 6] que prenant un visage plus se­rieux qu'elle n'avoit accoustumé, je ne sai, Seigneur, luy dit elle, quel plai­sir vous avez de me broüiller avec la Vice-Reyne. Moy, Madamé, luy repondit Don Fernand tout estonné de ce reproche. Ouy, vous méme, reprit-elle dabord; vous luy saites accroire, par vos manieres de faire, que vous m'aimez; & elle me le veut persuader par les siennes. Je ne croy­ois pas, luy repartit le Vice-Roy en souriant, que je puisse jamais avoir tant d'obligation a la mauvaise hu­meur de ma femme, que de vous faire une declaration d'amour pour moy: Mais puisque cela est ainsi, Madame, je souhaitte, qu'elle en soit toute sa vie; car je vous jure, qu'il n'est rien de si vray, que ce qu'elle vous veut persuader; & que je vous aime plus, que jamais au mon­de on n'a aimé. Je vois bien, luy re­pliqua telle, qu'elle en est dêja furieu­sement jalouse; mais elle seroit bien [Page 7] punie si. Ouy, Madame, si vous m'ai­miez un peu, adjouta le Vice-Roy voyant qu'elle n'achevoit pas Non pas cela, luy repartit-elle, quoyque en effet une autre que moy le feroit peut être par vangeance, si elle ne le fesoit pas par inclination: Mais je n'ay pas envie, adjouta-telle en riant, de pousser la mienne jusques la.

Ce discours fut interrompu par une compagnie de dames qui ve­noient voir Donna Angelica & qui ayant obligé le Vice-Roy de se reti­rer, il écrivit le même jour ce billet à la dame.

VAngez vous, Madame, vangez vous de la Vice-Reyne, qui a eu la curiosité de penetrer dans le secrét de mon coeur. Elle est persuadée, qu'on ne peut pas avoir de passion plus tendre, ni plus ardente, que celle que j'ay pour vous; que je ne pense qu'a vous, que je vous cherche toujours & que je n'ay de plaisir que quand je vous vois & que je suis [Page 8] avec vous. Il semble, qu'elle ait vû jusqu'au moindre replis de mon ame; & vous devriez tout de bon en estre en cole­re. Car puisque cela vous offense & que cést a vôtre ressentiment que je pourrois devoir vôtre tendresse, je souhaitterois bien de vous voir, irritée contre elle jus­q'u a ce point la. Vous ne sauriez pas au moins choisir de vangeance plus agrea­ble: Tout le mal tomberoit sur elle & tout le plaisir seroit pour vous & pour moy. Encore une fois Madame, vangez vous: Car quand vous n'en auriez pas fujet, vous ferez toûjours une action de justice d'aimer un peu un homme, qui n'est pas tout a-fait indigne d'avoir quelque place dans vôtre coeur.

Don FERNAND.

Ce billet fut rendu a Donna Ange­lica. Elle le leut, elle en rit; mais elle n'y fit point de réponse: Nean moins depuis ce tems la les affaires du Vice-Roy sembloient n'aller pas mal.

La Vice-Reyne vit bien, qu'elle [Page 9] avoit pris le méchant parti; & que re­susant l'entrée de sa Chambre a la femme du Grand-Maistre, elle don­noit occasion à son perfide époux de la voir en particulier. La jalousie au­gmentoit de jour en jour. Elle s'en imaginoit mille fois plus qu'il n'y en avoit; & elle souffroit dans un seul moment plus de peines, de ce qu'elle n'en avoit souffert en plusieurs jours, de tout ce qu'elle avoit vû. Il fallut changer de conduite? & feindre de vouloir renoüer amitié avec une fem­me qu'elle haissoit plus que la mort. A quoy une pauvre femme est redui­te quand elle est assez innocente, que de se mettre en peine des folies de son mari, & qu'elle ne luy sait pas rendre, ce qu'il luy preste. Elle vouloit avoir cette consolation, quoy que fort cru­elle, de voir ce qui se passoit entre ces deux ames perfides; & de troubler par sa presence la moitié de leurs plai­sirs; car elle estoit depuis le matin jusqu'au soir avec l'un ou avec l'autre

L'amoureux Don Fernand s'en­nuyoit fort de cette eternelle societé. Il auroit souhaité que la Vice Reyne eust toûjours esté de mauvaise hu­meur & en querelle avec Donna An­gelica. Il ne fesoit point de partie, qu'elle n'en voulust estre: s'il sortoit, aussi; s'il alloit chez Donna Angeli­ca, elle l'y suivoit & ne la quittoit que la derniere. Je laisse a juger aux maris galans si cela n'est pas accablant. Il ne favoit que faire: Donna Angelica qui ne l'aimoit pas jusqu' aux depens de sa reputation ne vouloit point contri­buer de sa part a le rendre plus heu­reux, depeur de donner prise sur elle a la Vice Reyne, qui n'attendoit peut-être que le moment d'avoir oc­casion de la perdre: Si bien que pres­que defesperé d'ennuy & de chagrin, aprez avoir cherché mille inventions pour se desbarasser quelque fois d'une femme si incommode, sans y avoir pû reussir il s'auisa d'un expedi­ent assez rare & qui ne seroit pas tom­bé [Page 11] dans l'Esprit de beaucoup d'Espa­gnols. Mais l'ascendant de l'amour l'emporte souvent sur celuy de la Na­tion. Il crut, que les femmes n'e­stoient jalouses de leurs maris, que faute d'un amusement estranger; & que comme une passion chasse l'autre, il viendroit a bout de la jalousie de la Vice-Reyne, s'il luy pouvoit trou­ver quelqu'un, qui fust capable, de luy donner de l'amour. Il songea quelque tems a qui il s'adresseroit, pour luy rendre, son honneur sauve, un service de cette importance. L'af­faire estoit delicate; mais quand onai­me, au point qu'il aimoit, & qu'on veut goûter les plaisirs, comme il les cherchoit, il faut passer par dessus bien de delicatesses.

En fin aprez avoir fait un examen dans son Esprit, de tout ce qu'il y avoit de plus galans hommes dans sa coeur, capables d'inspirer de l'amour a une belle Dame, il jetta les yeux sur un Seigneur Nepolitan un peu, fon [Page 12] allié, a qui il avoit procuré un Regi­mant d'Infanterie, & qui estoit nou­vellement arrivé a Barcelonne. C'e­stoit un jeune homme qui avoit infi­niment de l'esprit, que la Vice-Reyne estimoit fort & il ne pouvoit pas fai­re choix d'un Cavalier plus propre que celuy-la pour le dessein qu'il a­voit.

Il le trouva un soir dans le Parc, qui se premenoit tout seul & l'ayant pris avec luy, il le mit sur le chapitre des Dames de Barcelonne & luy demen­da en riant comment il s'en trouvoit, & s'il avoit encore sa liberté. Ouy, Seigneur, luy répondit le jeune Na­politain & toute entiere. Quoy, de tant de belles femmes, luy repartit le Vice-Roy qu'il y a dans cette vil­le, il ne s'en est pas trouvé encore une, qui ait eu le secret de toucher vôtre coeur: il faut poursuivit il, ou que vous l'ayez bien dur, ou que vous l'ayez laissé quelque maistresse a Naples, a qui vous ne voulez pas estre infidel­le. [Page 13] Ce n'est, Seigneur, luy repliqua le Colonel, ni l'un ni l'autre. Je n'ay de ma vie esté amoureux; non pas que je sois insensible, mais c'est que le mestier de la Guerre me plait plus que celuy de l'amour. Vous estes jeune, luy dit en soûriant le Vice-roy, & il ne faut pas conter la dessus. L'un n'empeche pas l'autre: On peut faire l'amour & s'acquitter du devoir d'un homme de guerre. Je vous diray bien plus, continua til, il n'y a jamais eu de Cavalier parfait que l'amour ne l'ait fait: Et entrant plus avant dans ce discours, il luy fit un denombre­ment de je ne sai combien de grans Capitaines, qui devoient a l'amour les plus belles actions qu'ils avoient faites, & conclut ensin qu'il devoit suivre leur exemple, s'il ne vouloit passer pour barbare.

Le comte Henry, c'est le nom du Seigneur Napolitain, se rendit a un si beau raisonement; mais plus par complaisance que par inclination, ju­geant [Page 14] bien, que ce ne seroit pas bien faire sa coeur au Vice Roy, que de vouloir combattre une passion, pour laquelle, tout le Monde savoit, qu'il avoit un tres-grand panchant. Il luy dit, qu'il feroit donc une maistresse, puisqu'il le luy conseilloit. Don Fer­nand luy demanda, s'il ne feroit pas bien, ayse, de la recevoir de sa main. Le comte se mit a rire, & ne luy ré­pondit rien. Est ce que vous craignez, poursuivit le Vice Roy, que je ne vous servisse pas a vôtre goust; je m'y connois, Comte. Que trop bien, Seigneur, luy repondit il, & c'est pour cela même, qu'il seroit un peu dange­reux, de vous en avoir obligation. Non, non, luy dit Don Fernand en ri­ant aussi, vous ne devez rien craindre. Il est vray, poursuivit il, que j'ay aimé celle, que je vous veux donner pour maistresse; mais aujourd huy elle m'est a charge, & je la hais presque autant, que je l'ay jamais aimée. Le beau present, Seigneur, interrompit [Page 15] le Comte, que vous me vondriez fai­re. La bonté que vous avez pour moy, poursouivit il, ne vous inspiere telle rien de plus obligeant, que de me charger d'une femme dont vous nesavez plus que faire. Non Comte luy dit il, & si je puis dire avec cela que je ne vous ferois pas un mechant present, & qu'il est peu d'hommes qui fussent la dessus aussi genereux que je le suis. Si vous vouliez, Seig­neur, luy repartit le Comte, honno­rer un autre que moy de vôtre libe­ralité; car j'en reviens a ce que je vous ay dêja dit, que malgré l'exemple de tant de fameux Heros, qui ont esté amoureux, j'aime mieux la guerre que l'amour: & je juge par vous mê­me, que cést un meilleur mestier. Seigneur Henry, luy dit le Vice-Roy, celle, dont je vous parle, est une des plus belles Personnes du Royaume, & qui a autant d'esprit. Je le crois, Seigneur, luy repondit le Comte, mais elle-est de plus une femme fa­cheuse, [Page 16] opiniastre, contrariante, de­pite, jalousi, insolente & peut être pi [...] que tout cela. Vous ne savez pas, in­terrompit Don Fernand en le regar­dant en souriant & les deux bras croi­zez sur son estomach, que cést ma femme de qui vous parlez. Seigneur, vôtre— luy repartit le Comte en rougissant croyant d'avoir malen­tendu. Ma femme la Vice Reyne, poursuivit Don Fernand, que je vous veux donner pour maistresse. Voyez, si elle est si indigne de vous. Il est vray, Seigneur, luy dit le Comte, qui rougissoit de plus en plus, que j'ay rendu quelques visites a la Vice-Rey­ne, mais vous me l'avez permis, & je n'ay pas crû estre assez mal-heureux, que de vous donner de si injustes soupçons de ma conduite. Vous ne m'entendez pas, luy rédondit le Vi­ce-Roy, je vous dis, que si ma femme vous plait, je serois ravi, qu'elle peust devenir sensible a vôtre merite, & que vous m'obligerez, si vous y vou­lez [Page 17] travailler. Vous parle je mainte­nant assez clair; si la raillerie, Seig­neur, luy repartit encore le Comte, n'est que pour faire une épreuve de mon respect, je vous declare, que je suis sii religieux observateur de mon devoir, que, quand je ne vou aurois pas les obligations que je vous ay, ma pensée ne seroit pas capable d'un tel sacrilege; Le Vice-Roy se promena la dessus quelque tems, sans luy ré­pondre, & se tournant ensuite tout a coup vers luy, ce que vous venez de dire, luy dit-il, seroit bon pour un autre & dans une autre conjoncture; mais si je ne desire icy de vous ni re­spect ni devoir, croirez vous de me faire outrage, que de me servir a ma mode, & comme je veux estre servi de vous. Je vous dis encore une fois, pour suivit-il en essevant un peu sa voix, que vous m'obligerez extreme­ment, si vous voulez devenir amou­reux de ma femme, ou faire pour le moins qu'elle le devienne de vous. [Page 18] Le Comte Henry, plus estonné que jamais d'une proposition si rare, ne savoit encore qu'en croire, ni que luy répondre; De quoy le Vice-Roy se prenant a la fin a rire, je vois bien, luy dit-il, que ce discours vous sur­prend & vous avez raison, mais j'ay aussi les aussi les miennes. J'aime & plus que je n'ay jamais aimé. Le plus grand obstacle à mon amour, cést ma femme, & vous savez ce qu'on ne feroit pas, pour se delivrer, de ce qui s'oppose a nostre bon-heur, quand on aime bien. Elle est jalouse, elle m'accable nuit & jour dé ses impor­tunitez. Quel remede a cela, j'ay mis tout en oeuvre, mais inutilement, elle a demesse toutes mes inventions, j'en suis tous les jours plus fatiqué ce sont des plaintes & des reproches, qui ne finissent point, & quelque part que j'aille je la trouve, où elle m'y suit, & elle empoisonne par sa pre­sence, tout ce que j'ay de plaisir dans la vie. J'ay pensé, qu'un petit amu­sement [Page 19] de coeur me seroit d'un grand [...]ecours, & que vous seriez un homme fort propre à luy en faire naistre l'en­vie, Vous estes jeune, bien fait, vous [...]vez de l'esprit, elle a de l'estime pour vous: Il est vray qu'elle est prude & fiere, mais elle est femme comme les [...]utres. Je fais même si peu de doute, moy qui sai, ce que c'est que le sexe, que vous ne veniez à bout de cette [...]ffaire que je vous prie, de vouloir garder, comme bons parens & bons a­mis, quelque temperemment la des­sus. Vous estes prudent: Je me fie à vous, & vous jugez bien, ou jus­ques doit aller le service que je desi­ [...]e de vous.

Le comte aprez s'estre deffendu en­core quelque tems d'accepter un em­ploy comme celuyla, ou il n'y pou­voit aller que du s'ien, soit qu'il [...]leust a la Vice-Reyne, où que la Vice-Reyne luy pleust, se laissa a la fin vaincre à ses persuasions, qui alle­ [...]ent jusques-la, que de luy faire com­prendre, [Page 20] que quand même il arri­veroit pour son mal heur, que cet a­musement allàt plus loin, qu'il ne de­siroit, qu'il ne s'en plaindroit pas.

Ils se separerent de cette maniere, le Vice-Roy, fort content d'avoir en­gagé le comte à luy faire porter, ce que les autres craignent, & le Comte toûjours surpris, qu'il l'eust voulu charger de cette commission. Il n'a­voit jamais esté guere amoureux, & il ne comprenoit pas comment on pou­voit aimer jusqu' a ce point-la. Le Vice-Roy devoit donner a souper le lendemain aux Dames de la Cour, & cette feste ne se fesoit, que pour four­nir une occasion d'entretien au nou­veau Galand.

La Vice-Reyne, comme j'ay déja dit, estoit une fort belle Personne, a qui le Seigneur Henry n'auroit pas eu beaucoup de peine de conter des dou­ceurs: Neanmoins depuis que c'e­stoit une affaire de commande, il ne se sentoit pas tout le panchant, qu'il [Page 21] auroit eu pour elle, si cela fust venu de son propre mouvement. Tant de beauté & tant de charmes qu'il vous plaira Don Fernand gastoit tout; & la bonté d'un tel mary estoit un me­chant assaisonement pour un jeune coeur, que l'obstacle, plustôt que la facilité estoit capable d'engager,

Il fut a cette feste; il y parut re­veur & l'esprit furieusement occupé, contre son ordinaire qui estoit d'e­stre enjoûé & de trés-belle humeur. Il estoit un peu embarrassé du person­nage, qu'il devoit commencer de joüer ce soir la. Non pas qu'une de­claration d'amour luy parust une chose si d [...]fficile: Il y a bien moins de peine a dire, que l'on aime, quand on n'aime pas, que quand on aime; mais cést, que l'amour est ingenieux a fournir mille inventions qui ne viennent point dans l'esprit de ceux qui ne sont pas amoureux.

La Vice-Reyne estoit ce soir la plus charmante, qu'elle n'avoit esté [Page 22] de sa vie. Elle luy donna beau jeu, parce qu'elle l'entreprit deux ou trois fois sur sa melancholie: Mais Henry plus froid que la glace ne ré­pondoit presque pas aux railleries que la belle Dame luy fesoit. Le Vice-Roy le regardoit d'un air de pitié, & indigné de son peu de courage, il s'ap­procha à la fin de luy, & luy reprocha qu'il estoit le plus pauvre Galand, qu'il eust jamais vû, & que les fem­mes seroient bien mal-heureuses; s'il n'y en avoit dans le monde que de sa façon. Je seray Seigneur, luy répon­dit le Comte, tout ce que vous vou­drez; mais je vous avoüe que ce n'est pas sans peine, que je vous obeïs en cela, parceque je crains, que vous n'y perdiez plus que vous n'y gagnerez. Et que vous importe, interrompit brusquement le Vice-Roy que je ga­gne, où que je perde; faites ce que je desire de vous & ne vous mettez point en pe [...]ne du reste.

Le Comte, ne pouvant alors plus [Page 23] s'en deffendre, s'auença vers la Vice-Reyne, qui ayant envie aussi de luy parler, fit presque la motié du chemin & luy dit tout bas, qu'elle avoit quel­que chose a luy dire, & qu'il ne s'en allat pas, qu'elle ne luy eust parlé Henry ravi de joyc qu'elle luy effrist d'elle même une si belle occasion de contenter le Vice-Roy, remit jusques à ce tems-la le discours amoureux, qu'il avoit a faire a la belle Dame.

Comme la nuit fut fort avencée, & que la plus part du monde se fu­rent retirez. Le Vice-Roy, accom­pagna Donna Angelica dans son ap­partement. Ce que la Vice-Reyne n'eut pas plustôt vû, qu'elle fit signe au Comte de la suivre, & elle le mena dans son cabinet, ou l'ayant fait as­seoir auprez d'elle, qu'avez vous Comte, luy dit-elle, que vous estes ce soir si melancholique. Peut-on pas vous demender, poursuivit elle d'un air charmant, si ce ne seroit point, l'effet de quelque inclination. Cette [Page 24] question & la bonté avec laquelle elle l'avoit traitté tout ce soir la, ayant fait imaginer au Comte, que c'estoit une affaire de concert avec le Vice-Roy, & qu'ils se vouloient divertir l'un & l'autre a ses dépens, il fut sur le point de tout gaster, neanmoins pour faire-l'homme qui entendoit la raillerie, je ne suis pas Madame, luy repondit-il en soûriant d'un air fin, depuis un mois dans une cour com­me celle-cy, ou il y a tant de belles Dames, capables d'inspirer de la ten­dresse, sans en sentir le pouvoir. Vous aimez donc, luy repartit-elle. Ouy Madame, j'aime, luy repliqua t-il, puisqu'on le veut. Comment puis­qu'on le veut, reprit la Vice-Reyne, est ce qu'on vous force d'aimer mal­gré vous. Non, Madame, luy répon­dit-il, mais il y a, comme vous savez, certains astres, qui font incliner nos coeurs vers qui il leur plait. En par­lant de cette maniere il rioit, il regar­doit la Vice-Reyne, il fesoit des gri­maces [Page 25] & des gestes, qui embarras­soient extremement la Dame, qui ne comprenoit rien de ce qu'il vouloit dire, & pour le faire expliquer, ne pourroit on pas, luy dit elle, savoir, qui est cete beauté, vers qui ces amou­reuses influances vous ont fait pan­cher. Si vous vouliez, Madame, luy répondit-il fort hardiment, prendre la peine de jetter les yeux sur vôtre miroir, tout à l'heure. Je n'entends pas, luy repartit elle, en p [...]enant son serieux, ce que vous voulez dire; & je crois, qu'estant ce que je suis, c'est vous faire grace, que de n'y vouloir rien comprendre. Si j'en ay quel­qu'une a pretendre de vous, Madame, luy repliqua le Comte, c'est de vou­loir m'entendre, & d'estre persuadée, qu'il ne faut point sortir de vôtre ca­binet, pour trouver ce qui m'a char­mé dans ce Pays. Vous vous emenci­pez, Comte, luy dit elle, & je vois bien, ou vous emporte un peu trop d'estime, qu'on a eu pour vous; [Page 26] Mais si vous ne rentrez dans vôtre de­voir, & si vous me parlez plus de cet­te maniere, je me facherai tout de bon contre vous. Vous estes jeune, poursuivit-elle, le voyant tout inter­dit, & ce sont-la des fautes, qu'on peut pardonner a des gens comme vous. Si vous avez dessein, d'aimer adjouta t-elle, addressez-vous mieux. & en lieu ou vous puissiez esperer quelque chose. Helas Madame luy répondit il en soûpirant, je reüssis si mal pour la premiere fois, que je ferai fort bien de n'aimer jamais rien. Non, non, luy repartit elle en soûriant, Il ne faut pas desesperer ainsi de vôtre bonne fortune: Vous en trouverez de plus sensibles que moy, & si vous voulez, que je vous donne conseil la dessus, je vous dirai, ou vous pouvez trouver de quoy vous consoler. Je vous répons que vôtre coeur en sera content.

L'avanture estoit plaisante; de part & d'autre, mari & femme cha­cun [Page 27] luy vouloit donner une maistres­se. Il fit l'Amant scrupuleux & qui se piquoit de constance. Il dit Da­bord a la Vice-Reyne qu'il ne pou­voit pas luy prometre, que son coeur péust si tôt se resoudre a changer: Que le choix, qu'il avoit fait estoit trop beau, & que rien ne le pourroit cousoler d'un si méchant succez. Neanmoins aprez beaucoup de rai­sons, qu'elle luy dit, & des prieres même qu'elle employ a pour cela, il feignit à la fin, de se laisser persuader, & que puisqu'elle le vouloit obsolu­ment, il tâcheroit de luy obeïr, mais que ce ne seroit pas sans peine. Il luy demenda ensuite qui estoit celle qu'elle avoit jugé propre pour son coeur. Elle luy dit que c'estoit Don­na Angelica, qui luy avoit parlé de luy ce jour-la d'une maniere a lay fai­re connoistre, qu'elle n'estoit pas tout a fait insensible a son merite, & que dans les sentimens qu'elle avoir pour luy, s'il n'y avoit de la tendresse, [Page 28] c'estoit du moins une estime, qui va­loit bien autant.

Le Comte Henry auroit esté ravi que, ce que la Vice-Reyne luy disoit, eust esté veritable; car de tout ce qu'il y avoit des Dames à la cour, il n'en avoit point vû, qui luy eust tant plûque la femme du Grand Maistre. La verité estoit, qu'elle avoit parlé fort auantageu sement de luy a la Vi­ce-Reyne; Mais ce n'estoit pas sans dessein. Le Vice-Roy, qui luy com­muniquoit tous les siens, n'avoit pas manqué de luy faire part des ambu­ches, qu'il fesoit dresser au coeur de sa femme par le Comte Henry: De sorte que Donna Angelica, qui n'au­roit pas eu moins de joye que luy, de voir la Vice-Reyne donner dans le merite de ce jeune Comte, avoit vou­lu ayder a l'avanture; en estalant a la Dame les belles qualitez de ce Ga­land.

Le Seigneur Napolitan tout char­mé donc, que la Vice-Reyne eût si [Page 29] heureusement, rencontré pour luy dans le choix qu'elle avoit fait de Donna Angelica, ne voulut pas da­bord luy tesmoigner toute sa joye qu'il en avoit: Il luy dit seulement, qu'aprez elle toutes les autres beau­tez, luy estoient indifferentes: Que c'estoit pour luy la meme chose de prendre celle-cy ou bien cella-la, pour veu que ce fust de sa main, mais que pour Donna Angelica il n'avoit ni accez auprez d'elle, ni entrée dans son apportement, & qu'il y seroit embarrassé. La Vice-Reyne luy re­pondit, qu'il ne devoit pas s'en met­tre en peine, qu'elle luy procureroit tout cela; & que quand il voudroit, il la pourroit voir, & luy parler dans sa chambre, ou elle venoit tous les jours.

Il est aysé de penetrer, quel estoit le dessein de la Vice-Reyne, quand elle vouloit lier une partie d'amour entre le Comte Henry & Donna An­gelica. L'employ estoit un peu au [Page 30] dessous des personnes de son caracte­re, mais quand il y va de l'Interest du coeur, on passe par dessus tout scrupule de gloire. Elle avoit envie de donner un Rival a son mari, & un Rival a craindre, & qui avoit des qualitez trop charmantes pour n'e­stre pas mieuz aimé que luy: Car ju­geant de la constance de la Dame par la fidelité qu'elle gardoit au Grand maistre, elle croyoit qu'elle ne se­roit pas plus fidelle a son Ament qu'a son epoux. Et je pense en verité, qu'elle en jugeoit bien: Il n'y a pas plus de peine de manquer a l'amour que de manquer a l'hymen, & ser­ment pour serment, ceux de l'épou­se devroient estre du moins aussi forts que ceux de la maistresse: Si l'on vio­le les premiers, l'on peut bien enco­re violer les autres. Perfide maistres­se, infidelle épouse tout est égal.

Le Comte ne savoit pas, que ce fust a donna Angelica, que le Vice-Roy en vouloit. Cette Amour n'avoit pas [Page 31] encore fait grand bruit à la cour: c'estoit un Seigneur fort Galant, & tout ce qu'il fesoit, passoit sur un pied de Galanterie, qui luy estoit fort ordinaire. Le Vice-Roy ne luy en avoit encore rien dit, & la Vice-Rey­ne n'avoit eu garde de luy en parler, depeur que cela ne le destournât, & qu'il n'eust fait scruple d'entrer en concurrence d'amour avec le Vice-Roy. Si bien que souvant Donna An­gelica, tout a fait a son gré, il se reso­lut, avec le secours d'une si puissante confidente, de tanter une si belle en­treprise. Cette idée seulement le ren­doit amoureux; & il avoit déja im­patience de voir cete charmante mai­stresse: La Vice-Reyne luy dit, qu'il n'avoit qu'a revenir le lendemain, qu'il la trouveroit dans sa chambre avec elle. Il se retira dans cette espe­rence, mais a peine il estoit sorti de l'appartement, qu'il rencontra Don Fernand, qui se mit dabord a luy fai­re des reproches de son indoleance. [Page 32] Quoy Seigneur, luy dit le Comte, en l'interrompant, trouvez-vous que je n'ay pas bien fait, jusqu' icy, mon de­voir: Je ne fais que de quitter, la Vice-Reyne, j'ay esté deux heures avec elle dans son cabinet; ou j'ay soûpiré, parlé d'amour, fait l'amant transporté: Que souhaitteriez-vous davantage. Je ne say luy répondit le Vice-Roy, ce que vous avez fait de­puis que je ne vous ay pas vû, mais vous m'avez donné tantôt assez me­chante opinion de vous, & je com­mençois a n'esperer plus aucun se­cours de vôtre part. Vous estiez tri­ste, reveur, vous ne disiez pas un mot; estce ainsi qu'on s'insinuë dans le coeur des Dames. Cet air melancho­lique, Seigneur luy repartit le Com­te, que j'affectois, n'est pas toûjours le moins propre pour toucher cer­tains coeurs. C'est au moins ce quia obligé la Vice-Reyne à me mener dans son cabinet, pour me demender ce que j'avois, & la seul a seul je luy [Page 33] ay dit, ce que j'avois à luy dire, & j'espere adjouta-t-il en riant que vous serez bien tôt en repos. Je le souhai­te, luy repliqua le Vice-Roy, & ne voulant pas entrer dans le detail de cete conversation, aprez l'avoir en­couragé de poursuivre toûjours, ils se separerent.

Le lendemain ce nouvel amant, qui avoit coustume d'estre toûjours fort magnifique en habits, & qui sa­voit parfaitement l'art de se bien mettre ne manqua pas, d'en pren­dre un soin tout particulier pour plai­re a sa nouvelle maistresse: Il la trou­va chez la Vice-Reyne, comme on luy avoit dit, & dabord qu'elles le virent entrer, elles se mirent a rire, de la pensée qu'elles avoient de cette vi­site, se regardans l'une & l'autte com­me la pretenduë maistresse du Cava­lier. C'estoit quelque chose de fort rare a voir que leur empressement & le soin quelles prirent dabord de se le rendre aimable. Ne trouvez-vous, pas [Page 34] Madame, luy disoit tout bas Donna Angelica, qu'il est bien fait, qu'il a bon air, que la grace de sa personne a quelque chose de bien particulier. Tout a fait, luy répondoit la Vice Reyne, ravie de l'entendre parler de cete maniere, & je vous avoüe, que si j'estois femme a Galand, il seroit le mien. Donna Angelica jugeoit bien de la gentilesse du cavalier & de la disposition de la Dame, que, si cela n'e­stoit dêja fait, il n'iroit pas loin: Et la Vice-Reyne, crut aussi que Donna Angelica, estant persuadée, comme elle estoit du merite du Comte, elle l'aimoit, ou qu'elle l'aimeroit bien tôt. Le cavalier fesoit assez bien son devoir pour un jeune apprentif. Il soûpiroit tantôt d'un costé & tantôt de l'autre, & les contentoit toutes deux: Quand la Vice Reyne luy fe­soit signe il alloit a Donna Angelica, & quand celle cy luy montroit la Vi­ce-Reyne, il y couroit: jamais hom­me ne s'est mieux diverti. Tout [Page 35] estoit bien receu de luy, il avoit droit de tout faire, & elles luy permetoient l'une pour l'amour de l'autre toutes les petites libertez, qu'il vouloit pren­dre auprez d'elles.

Cela dura quelques jours de cette maniere, pendant lesquels la Vice-Reyne fit avec Donna Angelica plu­sieurs parties de divertissement, ou le Vice-Roy ne se vouloit pas trouver de peur de troubler la feste. L'heu­reux Comte profittoit tout seul de la complaisance de ces deux belles Da­mes, & devenoit de jour en jour plus familier avec elles. Il estoit fort ai­mable de sa personne, il avoit de l'es­prit & l'humeur fort agreable, il bril­loit en toutes choses & elles n'avoient pas peine a s'accoustumer a sa com­pagnie. Mais Don Fernand, qui ou­tre le peu d'advantage qu'il en avoit tiré jusques la, craignoit pour sa mai­stresse le mal, qu'il souhaittoit a sa femme, se lassa a la fin de tous ces di­vertissemens. Il fit prendre a Donna [Page 36] Angelica, qu'elle luy feroit plaisir, de ne s'y plus trouver puisqu'elle n'y estoit plus necessaire. Mais elle, qui ne vouloit point, que la Vice-Roy se meslât de regler sa conduite, & qui voyoit, de quel esprit il parloit, ne fit que s'en moquer, & fut dés la prés­disner méme chez la Vice Reyne, ou elle savoit bien, que le Comte ne manqueroit pas de se rendre. Ce n'e­stoit pas a elle qu'il en vouloit, pour quoy, disoit elle, me priverois-je du plaisir de le voir Je n'ay jamais mieux passé mon tems, que depuis que je le connois. La Vice-Reyne en estoit de même & elles ne s'empressoient plus tant, de se le rendre aimable l'unea l'autre parceque peut être elles l'ai­moient toutes deux, & se repentoient dêja d'avoir esté si liberales & de ne l'avoir pas retenu chacune pour soy: Mais comme elles avoient toutes deux bonne opinion d'elles mêmes, elles se flattoient de le reprendre quand elles voudroient.

Le Comte s'estant trouvé chez la Vice-Reyne, & le tems de la prome­nade s'approchant, ils parlerent de la faire au jardin, quand il arriva une compagnie de Dames, qui venoient voir la V. R. & qui faisant la visite un peu longue, Donna Angelica luy dit tout bas, qu'elle l'alloit attendre au jardin avec le Comte dans le cabinet qui estoit proche du labyrinte & ils prirent ainsi congé d'elle.

Cette Dame mouroit d'envie de sa­voir, qui de la Vice Reyne ou d'elle le Comte aimoit le plus; car elle ne doutoit pas, qu'elle n'eust grand part dans son coeur, ses yeux toutes ses manieres le luy avoient assez dit, aussi bien que sa bouche; Mais pour ne pas tomber dans le deffaut ordinaire des femmes, qui est de se trop flatter sur le chapitre des hommes, elle auroit bien voulu avoir le plaisir de l'appren­dre de luy même, & ils ne furent pas plustôt dans ce cabinet, que se pre­nant a soûrire d'une maniere fort [Page 38] charmante, pour un jeune cavalier, Comte, luy dit elle, vous faites en peu de tems de grans progrez dans l'amour: Vous ne faites que d'arriver en cette cour, & on vous estime déja d'une maniere, que ce ne seroit pas vous trop flatter que de vous dire qu'on vous aime. Vous estes oblige­ante Madame, luy répondit le Comte mais je serois trop heureux si ces charmans progrez se pouvoient esten­dre jusques sur vôtre coeur. Mon coeur, interrompit elle avec une peti­te joye secrete, qui paroissoit dans ses yeux, vous n'y pensez pas; & vous me prenez sans doute pour la Vice-Reyne. Non Madame, luy repartit le Comte, je say, a qui je parle, & si quel­qu'un de nous deux se mesprend, c'est vous, si vous croyez que mes voeux & mes soûpirs aillent a la Vice Reyne: Ils ne s'adressent qu'a vous Madame & ils n'en veulent qu'a vôtre coeur. Et voyant, qu'elle ne luy répondoit ren, parce qu'elle ne savoit p eut êt re [Page 39] que luy répondre, il voulut profitter de cét obligeant silence, & mettant un genoux a terre, ouy, Madame, luy dit-il, en luy prenant une de ses belles mains qu'il luy baisa, il y a trop long­tems que je cherche une occasion comme celle-cy pour vous jurer par tout ce qu'il y a de plus tendre & de plus puissant dans l'amour, que non seulement je n'ay jamais eu d'autre dessein d'aimer que vous, mais que je n'aimeray jamais personne autre en ma vie. Comme il luy parloit de cette maniere, le Vice-Roy qui par hazard se promenoit dans le jardin, se trou­vant dans l'allée, qui donnoit dans ce cabinet, le vit en cette posture. Il y avoit assez loin & il ne pouvoit pas bien distinguer si c'estoit la Vice-Rey­ne ou donna Angelica; la raison vou­loit, que ce fust la premiere, mais certains mouvemens de jalousie, qui commençoient a le tourmenter, luy ayant fait apprehender, que ce ne fust l'autre, il voulut s'en assurer, & il s'ap­procha [Page 40] à grands pas vers eux. Don­na Angelica fut la premiere a l'apper­cevoit, & faisant lever tout d'un coup le Comte, qu'avez-vous fait Seigneur, luy dit elle voy la le Vice-Roy, qui vous a vû, & je ne sai, ce qu'il en croira. Si vous avez quelque chose à craindre de son costé, Mada­me, luy répondit le Comte, j'en suis au desespoir pour l'avour de vous; car pour moy cela ne m'embarrasse point. C'est pour vous même, luy re­partit elle, que je le dis, & vous ne sa­vez pas peut être l'interest qu'il y prend.

Le Vice-Roy n'eut pas plustôt re­connu Donna Angelica, que change­ant deux ou trois fois de couleur se­lon les differens mouvemens qui l'a­gittoient, perdant presque la voix, comme s'il eust receu quelque coup de poignard dans le coeur, il faut, luy dit-il Madame, que le Comte Henry ait receu quelque grande faveur de vous, ou qu'il vous en demende quel­qu'une [Page 41] d'extraordinaire, pour s'estre mis devant vous en la posture que je viens de le voir. L'un ou l'autre, luy répondit elle, piquée de ces paroles, pourroit estre vray; mais vous l'ap­prendrez mieux de luy, que de moy; c'est pourquoy je vous laisse icy seuls, pour vous contenter la dessus. Le Vi­ce-Roy la voulut arrester, mais elle le pria de la laisser aller & d'un air a ne souffrir pas d'avantage de resistance, si bien que Don Fernand n'osa pas, s'y opposer.

J'amais Amant plus déconforté que luy. Ce qu'il venoit de voir l'a­voit presque tué, & pour consolation elle le fuyoit. O doleur sans exemple. Il se promenoit dans ce cabinet sans rien dire repassant mille choses dans son esprit toutes plus cruelles, & s'ar­restant enfin devant le jeune Napoli­tain qui ne disoit mot non plus que luy, a ce que je vois Seigneur Henry, luy dit il sans le regarder, vous estes de ces gens qui ont de la peine a ai­mer, [Page 42] mais quand ils s'y sont mis une fois, il n'y en a que pour eux. Il n'y a que trois jours, que vous ne saviez, ce que c'estoit que l'amour; & dé­ja une maistresse ne vous suffit pas. Le Comte, qui quoyque jeune & peu experimenté dans le Monde, avoit un esprit de penetration, qui suppleoit au deffaut de l'experience, avoit bien compris par le trouble qu'il avoit vû sur le visage du Vice-Roy, aussi bien que par ce qu'il avoit dit a Donna Angelica, que c'estoit de cette belle, qu'il estoit amoureux, & que la ja­lousie le fesoit parler de la maniere: Si bien que pour reparer le mechant effet de cette derniere avanture, il luy dit, qu'il ne savoit pas, sur quoy il fondoit le reproche, qu'il luy fesoit; & que s'il estoit amoureux c'estoit de la Vice-Reyne, & qu'il ne s'estoit mis a genoux devant Donna Angeli­ca, que pour la remercier des bons offices, qu'elle luy avoit rendus au­prez d'elle.

Cette raison qui pouvoit avoir quelque chose de vray-semblable, ne guerit pourtant pas l'esprit du jaloux Don Fernand, mais il l'appaisa un peu. Vous autres Italiens, luy dit il, peu de chose vous oblige & vous portez quelque fois la reconnoissance jus­qu'a tel excez, qu'il semble qu'on a tout fait pour vous, quand on n'a presque rien fait. C'est moy, conti­nua-t-il, qui ay prié Donna Ange­lica, de vous servir auprez de ma fem­me, ainsi c'est a moy seul, que vous en auez l'obligation. Et pour ne vous laisser rien à deviner la dessus & vous faire une confidence tout entiere, vous saurez, que c'est Donna Angeli­ca que j'aime; a finque vous ne vous y trompiez pas & que vous lais­sant la Vice-Reyne pour vôtre parta­ge, vous vous souveniez de ne point jetter les yeux sur l'autre; & d'evit­ter même de vous rencontrer avec el­le, & sur tout en particulier. Si j'e­stois a votre place, je sai bien celle [Page 44] qui me plairoit le plus; & puis qu'il faut vōs le dire, il n'est pas de femme, que j'aimasse plus que la mienne, si elle estoit la femme d'un autre; mais c'est ma femme, & ce tittre seul est dégoustant pour tous les maris de mon humeur. Ne croyez pas que ce soit caprice; la plus part des hommes mariez en sont logez-là, & je connois une infinité de femmes qui les imit­tent.

Comme il raisonoit de cette ma­niere, la Vice-Reyne, qui s'estoit deffaite le plustôt, qu'ellé avoit pu de ses Dames, estant dabord couruë au jardin, avoit voulu moitié par cu­riosité & moitié par jalousie escouter un peu Donna Angelica & le Comte, & passant par le Labyrinte, afin de n'estre pas veuë, elle estoit arrivée assez a tems, pour entendre une partie du discours moral, que son honneste mary tenoit au Comte. Elle continua de prester l'oreille avec une patience, qui passe celle des femmes, & elle [Page 45] oüit le Comte qui répondit de cette maniere au Vice-Roy. Seigneur, la Vice-Reyne est assurement une des plus aimables personnes qu'il y ait sous le Ciel, & il faut estre, comme vous dites, son mari, pour ne la pas aimer; mais aussi, vous ne devez pas craindre, qu'un autre que vous, a qui vous en donnez la liberté, n'en pro­fitte, & qu'il songe, à s'engager ail­leurs. Pour moy je vous reponds, que je m'en tiendray a cette inclination, tant que vous le trouverez bon.

Ce sentiment du Comte consola un peu la Dame, du mespris de l'é­poux, qui s'fforçoit toûjours de per­suader au Cavalier qu'il ne pouvoit pas faire un plus beau choix que ce­luy de fa femme, ni trouver un ma­ri plus commode que luy, pourveu que ce fust jusqu'a certain point qu'il se reservoit, en luy abandonnant tout le reste. Ils sortirent ainsi de ce Ca­binet, & ayant esté ensemble jus­qu'au Palais, le Vice-Roy quitta le [Page 46] Comte pour aller chez donna Ange­lica, avec qu'il falloit, qu'il se ra­commodât, avant que de se coucher, s'il vouloit passer tranquillement la nuit.

Pour la Vice-Reyne elle se prome­na encore quelque tems dans le jar­din, faisant reflexion, sur tout ce qu'elle venoit d'entendre. Que: de­pit ou plustôt quelle rage, pour une belle femme comme elle, quand elle songeoit à ce beau dialogue, ou le Vi­ce-Roy avec une eloquence de sa fa­çon avoit estalé l'estime & l'amour qu'il avoit pour elle. Les femmes de quelque caractere qu'elles soient ne pardonnent jamais ces sortes de mes­pris, & sur tout les belles femmes. Elle le qualifia des noms les plus in­jurieux qu'elle peut inventer. Quoy sera-t-il possible disoit elle, qu'on se soucie si peu de moy, & qu'un hom­me pour lequel je me donne mille tourmens, & que j'ay aimé jusqu'icy au mespris de mille autres, qui le me­ritoient [Page 47] mieux que luy, m'en sache si peu de gré, qu'il veuille travailler luy même a son propre des-honneur. Ah Ciel! poursuit elle, une indifference, ou plustôt un outrage de cette nature ne se peut assez punir. Il faut conten­ter un époux de cette humeur: J'ay encore les traits & les charmes, que j'avois quand je m'attirois mille a­mans & je puis bien moy-mème, sans luy donner la peine de m'en chercher m'en faire assez, pour qu'il nait pas lieu de s'en plaindre. Nous verrons ou jusqu'ira sa patience; & je suis une sotte si je ne le fais pas le plus sot de tous les hommes. Commençons par ce jeune Napolitain; je ne luy suis pas indifferente & puisque c'est un Ga­land, qui nous vient de sa main trait­tons le si bien qu'il en soit content. Il y perdra plus que moy.

Ces pensées l'accompagnerent jus­que dans sa chambre, & elle s'en en­tretint presque toute la nuit, pendant laquelle elle se confirma plus fort [Page 48] que jamais dans cette resolution, de seconder les bonnes intentions de son perfide époux.

Quand une honneste femme a pris la peine de se convaincre, & qu'elle est persuadée par des raisons de vangean­ce & de gloire, qu'elle peut faire un crime, il n'est pas d'honneur ni de vertu, qui soyent assez forts pour l'en empecher.

Le Comte estoit extremement chagrin, d'avoir si mal rencontré qu'il eust justement donné dans la mai­stresse du Vice-Roy. Il en prevoyoit les consequences, & il n'estoit pas peu embarressé, sur la resolution qu'il prendroit. De cesser d'aimer Donna Angelica, cela estoit bien difficile, l'ai­mant dêja comme il fesoit; de conti­nuer aussi, c'estoit se perdre. Que fai­re: s'il eust pu croire d'estre assez bien dans le coeur de cette belle, pour qu'elle eust voulu agir de concert avec luy, & tromper le Vice-Roy, ils se seroient pu aimer sans bruit; mais [Page 49] il n'osoit pas se flatter jusques là. Il avoit envie neanmoins de s'en esclair­cir, s'il en pouvoit trouver l'occasion sans donner de nouveaux soupçons au Vice-Roy.

Pendant qu'il estoit dans cette in quietude, il le-vit entrer dans sa chambre. Le Comte surpris de cet­te visite, iugea bien, que c'estoit pour quelque affaire de grande importan­ce; & le Vice-Roy remarquant a sa mine, l'estonnement ou il en estoit, pour le tirer de peine, dabord aprez s'estre assis familiarement sur son lict, ou il estoit encore couché, vous me voyez, luy dit il en riant, levé bien matin, pour vous venir eveiller. Voy la ce que c'est, que d'estre amou­reux: quand vou le serez autant que moy, vous ne dormirez pas tant que vous faites: Et passant de ce petit preambule au sujét de sa visite, il luy conta comme il estoit fort mal avec Donna Angelica, qui avoit esté ou­trée contre luy, de ce qu'il luy avoit [Page 50] dit le soir auparavant dans le jardin. Vous savez, poursuivit il, si je vous ay tesmoigné aucune peine niaucune jalousie, de vōs avoir trouvé seul avec elle; quoyque peut être je pusse avoir lieu de tout cela. Cependant elle s'est imaginée, je ne say combien de choses la dessus. Il faut que vous l'alliez voir ce matin, & que si elle vous met sur ce chapitre, vous la desabusiez; mais sur tout qu'il ne paroisse pas, que je vous aye parle, ni que je vous aye fait aucune confidence, de la passion que j'ay pour elle. Si elle vous parle de la Vice-Reyne, ne man quez pas de luy tesmoigner l'amour extréme que vous avez pour elle. C'est la foibles­se ordinaire des femmes de se flatter toûjours sur le chapitre des hommes, & comme vous les avez veuës toutes deux ensemble, elle pourroit croire, que vous partagez vôtre coeur entre elles deux. Faites luy bien compren­dre que vos inclinations ne peuvent aller qu'a une & qu'ayant fait choix [Page 51] de la Vice-Reyne, vous vous estes donné tout à elle.

A prez toutes ces belles leçons & plusieurs autres encore, le Vice-Roy s'en alla & le Comte s'estant sait ha­biller, prit le chemin du Palais & trouva Donna Angelica à sa toilette belle comme le jour, & qui rougit, da­bord qu'elle le vit, de se souvenir peut être des dernieres paroles, qu'il luy avoit dites. Elle le fit asseoir, & elle ne luy disoit rien ni luy à elle, em­barassez sans doute l'un & l'autre de la quantité de pensées, plustôt que de ne savoir que dire. Mais Donna An­gelica a prez un assez long silence, ne voulant pas triompher davantage du desordre de ce jeune Amant en ayant pitié, pour luy donner courage, je croyois luy dit elle, que vous veniez icy pour me demender pardon de la hardiesse, que vous eûtes hier au soir; mais, a ce que je vois, vous l'avez dêja oublié. Il est vray, Madame, luy ré­pondit il en soûpirant, que je su is as­sez [Page 52] criminel, pour vous devoir de­mender pardon, puisque j'ay bien eu le mal-heur de vous déplaire; mais je vous avoüe, que quand j'en devrois mourir, je ne sai pas si je pour­rois me repentir, de ce que je vous ay dit; & que si c'est un crime, que de vous aimer, je cours danger d'estre envers vous toute ma vie le plus cou­pable de tous les hommes. Vous ne craignez donc pas, luy repartit elle, de m'offenser. Helas! Madame, luy repliqua til en soûpirant, je crains tout de vôtre part; mais l'amour est encore plus à craindre que vous. Il est tems que je m'explique, & que si je suis assez mal-heureux, pour ne vous pas plaire que j'apprenne au moins mon mal-heur. Et bien Com­te, luy dis elle serey vous content, si je vous dit qu'un homme comme vous, n'a jamais soûpiré en vain. Elle ne peut pas proferer ces paroles sans rougir, mais elles transporterent si fort de joye nostre jeune Amant, que [Page 53] se jettant a ses genoux, il les luy em­brassa mille fois. Elle le fit lever & luy dit en riant, qu'il devoit craindre que le Vice-Roy ne le trouvât encore en cette posture, & qu'il le devoit re­garder comme le plus dangereux de ses ennemis. Je le sai, Madame, luy répondit il d'un ton de voix un peu moins guay, & qu'il est dêja trop bien establi dans vôtre coeur, pour es­perer de l'en chasser. Ce n'est pas-lâ, luy repartit elle, ou vous devez avoir peur de luy; il y a trop peu de part; mais c'est qu'il veillera sur vous & que si nous n'y prenons garde sa ja­lousie, nous fera de la peine a tous deux. La dessus le Comte luy parla de la visite, qu'il luy avoit renduë ce matin, luy raconta la conversation qu'ils avoient euë ensemble, & com­me c'estoit par son ordre qu'il sa ve­noit voir. Et enfin de ces confiden­ces passant, l'un & l'autre a des plus secrettes ils se dirent toutes choses-Le Comte de ce qui se passoit entre [Page 54] luy & la Vice-Reyne, & Donna An­gelica, de ce qui se passoit entre elle & le Vice-Roy. Il en rirent ensem­ble, & pirent des mezures ensemble pour les tromper tous deux: aprez quoy l'amour recommença & ils se separerent enfin fort contens l'un de l'autre.

La Vice-Reyne, qui estoit dêja accoustumée a recevoir tous les ma­tins une visite de son cher Galand, l'attendoit ce jour-là avec plus d'im­patience que jamais, & presque irrit­tée contre luy de ce qu'il tardoit tant elle commençoit d'en estre en colere, comme s'il eust pù deviner les dispo­sitions favorables ou son coeur estoit ce jour-là pour luy. Elle ne peut pas l'attendre davantage, & dabord qu'elle eut disné, il fallut qu'elle s'en allât ches Donna Angelica, pour en apprendre des nouvelles. On luy dit qu'il y avoit passé une partie de la matinée dont elle eut un cruel depit qui joint a tous les autres chagrins la [Page 55] mirent très-mechante humeur pour tout le reste du jour.

Le Comte ne fut chez elle que sur le soir, & il la trouva dans sa chambre fort triste & fort reveuse. Elle pen­soit sans doute à luy. Elle le receut avec une froideur, qui luy fit con­noistre, qu'elle avoit quelque plainte a luy faire, & il ne fut pas long tems a savoir, ce que c'estoit, car l'ayant un peu pressée, elle lui fit mille reproches de plusieurs choses, dont il n'estoit pas coupable, & qui aboutirent enfin a la visite, qu'il avoit renduë ce jour­là a Donna Angelica, sur laquelle elle luy fit quelques railleries Le Comte luy répondit, que quand il aimeroit cette Dame, il ne feroit queluy obe­ïr. Vous estes un Traistre luy repar­tit elle, vous m'avez obeï sans peine, il ne paroit que trop, que je ne vous ay rien conseillé, qui ne fust selon vôtre inclination, & qu'en refusant vôtre coeur, je vous ay empeché de me faire une perfidie. Vous y avez [Page 56] encore tant de pouvoir, Madame, luy repartit le Comte, sur ce coeur, que pour peu que vous voulussiez vous repentir du don que vous en avez fait il reviendroit sans effort tout a vous.

C'estoit en effet merite bien le nom de Traistre, que de luy parler de cette maniere; mais c'est qu'il avoit des raisons pour cela, & qu'il craig­noit l'esprit de la Vice-Reyne, autant que celuy du Vice-Roy. Il avoit bien vû, qu'elle ne l'avoit engagé d'aimer Donna Angelica, qu'elle haissoit mor­tellement, que pour la perdre. De plus comme il ne savoit p [...]s, ce qui se passoit dans l'ame de cetté belle, quoyqu'il eust découvert depuis peu en elle un peu plus d'inclination pour luy, il ne croyoit pas que ce qu'il luy disoit tirast a si grande consequence; mais la Vice-Rene, qui s'imaginoit effectivement, que le Comte avoit plus de panchant pour elle, que pour sa Rivale, n'eut pas beaucoup de pei­ne a se laisser persuader la dessus, & [Page 57] elle l'engagea même a luy dire des douceurs. Ce Cavalier qui estoit ce jour-là en fonds de galanterie, aprez l'heureuse matinée, qu'il avoit passée, adjoûta perfidie sur perfidie, & luy dit, tout ce qu'il auroit pu dire a Donna Angelica; de sorte que l'a­busée Vice-Reyne Donna la dedans, & elle en fut toute charmée.

Ces sortes de trahisons sont au­jour-d'huy fort en usage parmi les hommes comme parmi les femmes: C'est pourquoy on y prend garde de plus prez & on ne se fie plus sur la foy des paroles non plusque sur celle des yeux. Tout ment & le coeur même est souvent un trés-grand manteur; ce qu'il veut aujour d'huy, il ne le veut plus demain.

Le jeune Comte se sentoit un peu de la corruption du siecle: & la Vi­ce-Reyne quoyque d'ailleurs fort habille femme s'y laissoit tromper parce qu'elle souhaittoit extreme­ment, que les choses fussent, comme ce jeune coquet les luy disoit.

Il voyoit Donna Angelica mais il la voyoit en particulier & au sortir de la il venoit tout ravi d'amour faire sa cour a la Vice-Reyne. Il en estoit de même du costé du Vice-Roy, que Donna Angelica traittoit un peu plus favorablement pour l'amuser, & ne luy faire pas soupçonner, qu'elle eust une intrigue secrette avec le Comte Henry. Mais un jaloux & une jaloû­se ne peuvent pas estre abusez long tems; par ceux que l'amour prend plaisir d'aveugler quelque fois. Il est difficile, quand on a une grande pas­sion d'estre toûjours sur la deffensive contre une autre passion; & pour peu qu'on s'oublie devant des gens qui veillent sur nous on est bien tôt re­levé.

La Vice-Reyne & Donna Ange­lica ne se voyoient plus guere. La ja­lousie qui les avoit déja broüillées sur le sujét du mari les avoit encore desu­nies sur le chapitre du Galand. Pour le Vice-Roy, il estoit content du [Page 59] Comte, sur ce qui regardoit sa fem­me, mais non pas du costé de sa mai­stresse, & pendant qu'il estoit en re­pos de l'importunite de la premiere, il se voyoit en inquietude pour l'a­mour de l'autre Cette action suppli­ante du Comte Napolitain, ou il l'a­voit vû dans le jardin, luy revenoit in­cessemment dans l'esprit, & il avoit remarqué depuis ce tems-la un si grand changement dans la maniere de vivre de Donna Angelica, qui quelque fois s'esclypsoit de chez elle pour la moitié d'un jour, sans que personne seust où elle alloit, que cela luy donnoit bien de quoy penser.

La Vice-Reyne estoit bien plus heureuse que luy. Elle croyoit d'estre aimée du Comte, autant qu'elle l'ai­moit. Elle le voyoit tous les jours, & se donnoit avec luy toute la liberté, que les femmes qui ne se soucient pas, qu'on sache qu'elles ont un Galand, ont coustume de prendre. Elle estoit en droit de cela, & méme de faire pis, [Page 60] sans que personne y eust pu trouvera redire. Son mari le vouloit: c'estoit un Galand qu'elle avoit receu de sa propre main, & qu'il avoit pris la pei­ne de dresser luy même pour le luy même pour le luy rendre agreable. Il est vray que c'estoit jusqu'a certaines bornes, mais c'estit-la la joye de la Vice-Reyne parce qu'il luy laissoit encore le moy en de se vanger de luy qui estoit de n'en mettre point elle même à fes desirs.

Quand l'inclination est jointe a la vangeance on ne manqne guere son coup; & les femmes sur tout qui ont toüjours des vangeances toutes pre­stes. La Vice-Reyne se trouvoit un matin fort d'humeur a ne pardonner point au Vice-Roy. Elle avoit fait la nuit mille agreables songes sur le Comte & elle n'attendoit peut être que le moment de le voir pour les re­duire en verité Voyla disoit elle mon traistre d'epoux parti, je suis seule & si le Comte venoit asteure je ne sai ce [Page 61] que je ne ferois pas; mais je say bien qu'il est peu de femmes au monde qui eussent autant de patience que moy. Quoy maltraittée de tous costez par un homme qui me devroit adorer, & qui entretient devant mes yeux un commerce de galanterie. Qui fait bien plus, juste Ciel! qui me cherche un Galand pour me consoler de sa perfidie, ou plustôt pour m'amuser, qui luy apprend la maniere de me plaire, & qui se plaint de ce qu'il ne me plait pas assez. Ah! que les plus honnestes femmes n'ont elles des ma­ris comme le mien nous verrions si leur honneur pourroit tenir contre de si cruelles injures. De ces pensées­là elle passoit a des plus agreables. Elle se representoit le Comte avec cent manieres charmantes, qui la met­toient dans une amoureuse impatien­ce de le voir arriver. Mais tous ses de­sirs & tous ses mouvemens langou­reux ne l'amenoient point: midy passoit dêja & elle ne se preparoit plus [Page 62] qu'a luy faire mille reproches, estant presque aussi fachée contre luy que contre le Vice-Roy, quoyque fort differemment.

Le mal-heureux Comte estoit a­lors bien embarrassé, & ne songeoit guere a elle. Elle l'envoy a chercher vint fois chez luy & chez Donna An­gelica sans en pouvoir apprendre des nouvelles. Quel mal-heur luy estoit­il arrivé? Qu'estoit il devenu! je m'en vais vous l'apprendre.

Le jaloux Vice-Roy qui avoit esté averti par les espions secrets qu'il te­noit auprez de Donna Angelica, que le Comte la voyoit presque toutes les nuits avoit taché de les surprendre ensemble, mais soit l'adresse du Ga­land ou l'amour qui les favorisoit ils luy avoient toûjours eschappé. Si bien qu'estant au desespoir & vou­lant, a quel prix que ce fust venira bout de ce dessein, il avoit planté dés l'entrée de la nuit un de ses espions devant la porte de la chambre de la [Page 63] Dame, caché derriere une tapisserie pour voir quand le Comte entreroit, ou quand elle sortiroit pour aller trouver le Cavalier.

On a beau estre heureux en amour trop de bonne fortune nous endort quelque fois, & l'on est au bord du precipice que l'on croit d'estre au comble des felicitez: Il ne faut point [...]rop se reposer sur le bonheur passé, & en matieres dangereuses il faut veil­ler comme l'on veille sur nous. Dieu garde tous amans de bon accord d'un [...]aloux comme le Vice-Roy de Cata­logne, qui abandonne sa femme sa femme a l'amour d'un autre pour [...]voir le plaisir d'estre sans chagrin au­ [...]rez d'une maistresse.

Il fut averti sur les onze heures ou minuit, que son Rival estoit entré, & qu'il s'estoit glicé dans un cabinet [...]u il y avoit auprez de la chambre de de Donna Angelica. Le voyla tout [...]ransporté de joye & de rage: Il se de­ [...]uise, il prend l'habit d'un de ses gens, [Page 64] & vient incessemment vers ce cabinet, & hurte tout doucement a la porte. Le Comte Henry se rendoit tous les soirs dans ce charmant reduit ou quand le Grand Maistre estoit cou­ché Donna Angelica venoit passer, selon la conjoncture des affaires, une heure ou deux d'amoureuse conver­sation acec luy. Il oüit du bruit a la porte & de la maniere qu'on frappoit, il ne douta pas que ce ne fust la belle Dame. Il luy voulut ouvrir & vit un chapeau qui se presenta devant luy, & qui fit sorce dabord pour entrer; mais comme il estoit jeune & vigou­reux il fut plus fort que l'assiegeant & le repoussa d'une roideur en luy fermant la porte au nez qu'il le ren­versa de l'autre costé. C' estoit a peu prez l'heure que le Grand Maistre renvenoit de la ville, & qui passant dans le tems de ce bruit pour aller a la chambre de sa femme demenda qui c' estoit. Le Vice-Roy avoit eu la precaution d'esteindre deux slambe­aeux [Page 65] qu'il y avoit ordinairement d'allumez; & entendant la voix du Grand Maistre la peur le prit, car il n' auroit pas voulu pour la vie, qu'il l'eust vû en la posture qu'il estoit. Il tâcha dabord de se sauver. Non pas si bien neanmoins que le Grand Mai­stre qui le poursuivit ne le regalât de sa canne. Dont il luy deschargea plu­sieurs terribles coups en criant au vo­leur. Il eschappa pourtant assez heu­reusement, si l'on peut appeller cela bon-heur. l'allarme estoit dans l'appartement de Donna Angelica, mais encore plus dans son coeur. On disoit que c' estoit un voleur qui a­voit voulu entrer dan son cabinet, & elle ne doutoit pas que ce ne fust son cher Comte: si bien que toute trem­blante de peur elle sortit de sa cham­bre pour savoir si l'on l'avoit pris. Le Grand Maistre luy dit que non, mais qu'il l'avoit si bien traitté de sa canne qu'il ne croyoit pas qu'il eust envic d'y revenir. Cela rassura un [Page 66] peu nostre effrayée Amante, non pas qu'elle n'eust bien de la douleur que son cher Comte eust esté ainsi mal-traitté; mais aprez le danger qu' elle croyoit qu'il venoit de passer elle remercioit Dieu de ce qu'il en estoit quitte a si bon marché. Ce sont des fruits de l'amour, & que plusieurs A mans ont cueilli quelque fois même avant les fleurs. Elle le plaignoit, & aprés il luy prenoit envie d'en rire faifant reflection aux avantures des A mans, & combien leurs jours sont differens les uns des autres. Elle ne savoit pas que c'estoit le Vice-Roy, & que le jaloux avoit esté payé de sa curiosité, & porté la peine de sa ja­lousie.

Ce mal-heureux Amant estoit ar­rivé chez luy fort mortifié comme on peut s'imaginer pestant d'une belle sorte contre l'amour, & encore plus contre Donna Angelica. Ce fut un beau soliloque que celuy qu'il tint pendant toute cette nuit-là, & je crois [Page 67] que s'il eust esté alors devant l'objet charmant de toutes ses peines il se se­roit evaporé en injures. Il ne se vou­lut pas coucher qu'il ne luy eust pre­paré un billet pour le lendemain au matin dont il chargea un de ses gens de luy porter dabord qu'elle seroit eveillée. qu'il contenoit.

VOus estes la plus ingrate de toutes les femmes, & la moins digne d'estre aimée d'un honnestc homme. Il ne tient qu'a moy de vous perdre; mais j'ay pitié de vous. Un jeune estourdy vous a donné dans la veuë: les cabinets vous servent a le favoriser la nuit. Pauvre mari qui se repose sur l'honne­steté de sa vertueuse femme. Vous n'a­buserez que ceux qui n'auront point d'yeux: pour moy graces a Dieu j'ay ouvert les miens; & avec la même in­difference que je verrois la méchante conduite d'une femme du commun je veux regarder la vôtre: car vous ne meritez pas d'estre traittée d'une autre [Page 68] maniere. C'est Don Fernand qui vous le dit.

Aprez qu'il eut fait ce billet, & que pour se contenter il l'eut lû & relu plusieurs fois, il se coucha un peu consolé de son mal-heur, bien resolu pourtant d'oublier jusqu'au souvenir de Donna Angelica: mais qu'un A­mant se connoit peu, & que quand on a livré sa raison entre les mains de sa passion on est peu raisonable. Jamais ame n'a souffert ce que celle du Vice-Roy souffrit cette nuit-là. Le matin qu'il commençoit un peu a dormir, ou du moins a s'assoupir, car de veri­table sommeil il n'en falloit pas atten­dre, on luy dit que le Grand Maistre estoit a la porte qui demendoit a luy parler. Il ne savoit, ce qui l'amenoit de si bon matin. S'il ne venoit pas triompher des coups de canne, dont il l'avoit honnoré, & dont il se trou­voit encore fort mal. Il luy fit dire qu'il se trouvoit un peu mal: Que [Page 69] neanmoins s'il avoit quelque chose d'important a luy dire qu'il pouvoit entrer. Le Grand Maistre qui croy­oit estre de son devoir de luy appren­dre ce qui s'estoit passe dans son ap­partement la nuit precedente, ne voulut pas differer de luy dire qu'il entroit des vouleurs dans le Palais, & qu'il estoit arrivé tout a tems chez luy le soir d'auparavant pour empe­cher q'on ne luy enlevât tout ce que sa femme avoit de nipes & de hardes dans un cabinet. Il voulut ensuite luy exalter les terribles coups de can­ne qu'il avoit laissé tomber sur un de ces voleurs; mais le Vice Roy a qui telle relation estoit peu agreable. L'interrompit & luy dit qu'on luy avoit dêja raconté tout cela; mais que de plus on luy avoit dit que ces voleurs estoient des gens privez, & qui avoient quelque habitude chez luy: Qu'il y devoit prendre garde de jour comme de nuit, & que s'il se vouloit donner la peine d'aller faire [Page 70] la visite de ce cabinet, il en trouve­roit peut étre encore quelqu'un. Seigneur, ma femme en a la clef, luy répondit le Grand Maistre, & ils n'y sauroient entrer que par la porte. Il n'importe, luy repartit le Vice-Roy, ils peuvent avoir de sausses clefs, & je vous dis, que vous ne devez point vous fier la dessus que ce sont des vo­leurs familiers, qui en veulent peut­être plus qu'a vôtre argent ni qu'a vos meubles. Et a quoy donc, inter­rompit le Grand Maistre, en pour­roient ils vouloir seroit ce a mon honneur! seroit ce a ma personne. Du premier ma femme, comme vous savez, est une femme de vertu; de l'autre je n'ay pas lieu de craindre, a peine saije un homme qui se puisse di­re mon ennemi. Quoyqu'il en soit luy repliqua le Vice-Roy, allez faire la visite de ce cabinet, & si vous y trouvez quelqu'un de ces voleurs, vous pourrez connoistre par sa mine de quel caractere ils sont. Le Grand [Page 71] Maistre prit congé de luy sans luy re­pliquer, & s'en alla droit chez luy re­vant a tout ce que le Vice-Roy venoit de luy dire, & sur quel fondement il pouvoit luy avoir dit tout cela. Il entre dans la chambre de sa femme, qui estoit encore au lict, & qui venoit seulement de recevoir le billet galant que Don Fernand luy avoit écrit con­tre qui elle n'estoit pas peu en colere. Il luy rend compte du discours qu'il venoit d'avoir avec le Vice-Roy, & de l'imagination qu'il avoit que les vo­leurs de la nuit passée estoient des gens plus dangereux qu'ils ne croy­oient, & qu'il en avoit encore quel­qu'un de caché dans le cabinet. Il en rit & elle aussi, & il voulut en faire la visite luy même. Donna Angelica qui aprez ce que le Vice-Roy venoit de luy écrire, avoit raison de craindre quelque trahison, voulut destour­ner son mari de cette visite. Ne vo­yez vous pas, luy dit elle, qu'il se moque de nous. Qu'est ce, je vous [Page 72] prie, poursuivit elle, que feroit un voleur dans ce cabinet, & s'ils ont de fausses clefs comme il vous a dit ne se seroit il pas pû sauver cette nuit. Cela est vray, luy repartit le Crand Mai­stre, mais c'est que le Vice-Roy me veut faire intendre que ces voleurs ont de plus grands desseins que nous ne croyons pas, & il m'a laissé dans le doute s'ils en veulent a mon hon­neur, ou a ma vie. Et d'ou peut il sa­voir cela, luy dit Donna Angelica, il faut poursuivit elle, qu'il soit d'in­telligence avec eux. J'avoûe que ce­la me surprend, luy répondit il, mais pour le contenter, & qu'il ne puisse pas dire que j'aye mesprisé ses âvis allons voir dans ce cabinet. Donna Angelica le suivit, & quoy qu'elle se crust en repos du costé du Comte, el­le ne laissoit pas de sentir certain bat­tement de coeur qui luy fesoit crain­dre quelque chose. Ils visiterent ne­anmoins tout ce cabinet sans y trou­ver personne. Le Grand Maistre ne [Page 73] se contenta pas de cela, il voulut faire la ronde dans toutes les chambres de son appartement pour en pouvoir rendre raison au Vice-Roy, & il n'y eut coüin, garderobe ni mê me coffre un peu considerable qu'il ne voulust voir. De quoy il sut ensuite rendre un fidelle compte a Don Fernand, & le pressa fort de luy dire dou venoient les soupçons qu'il avoiteus, & d'ou il savoit tout ce qu'il luy avoit dit de ces voleurs; mais le bon Seigneur n'a­voit garde d'en venir a cet esclaircis­sement, il avoit trop de part a l'avan­ture; si bien que le Grand Maistre le voyant embarrassé n'en fit pas grand compte, & crut qu'il estoit sujét aux visions.

Donna Angelica estoit de son co­sté fort en peine. Elle avoit bien compris par le billet de Don Fernand, que l'affaire de la nuit passée estoit venuë a sa connoissance, & qu'il sa­voit qu'elle voyoit le Comte dans ce cabinet. Cela l'estonnoit, & elle ne [Page 74] pouvoit pas comprendre comment il avoit penetré jusques-la; car de s'ima­giner que c'estoit sur luy que la cata­strophe de la scene estoit tombée c'est ce qui ne luy seroit jamais venu dans l'esprit. Enfin elle ne savoit qu'en croire, & elle en voulut écrire au Comte pour voir si elle ne pourroit pas tirer de luy quelque esclaircisse­ment sur cela. Elle luy envoya cer­tain estafier en qui elle se fioit beau­coup, & qui aprez l'avoir cherché du­rant deux ou trois heures, luy rap­porta sa lettre parce qu'il ne l'avoit pu trouver en aucun endroit, ni pû apprendre aucune nouvelle de luy. Mais cela n'estonna pas encore la Da­me faisant reflexion, qu'il avoit peut­être esté blessé de quelque coup que son mari luy avoit donné, & que cé­la l'avoit obligé de se cacher pour n'e­stre pas vû des gens de sa connoissan­ce qui auroient pû raisonner la dessus, & tirer quelque consequence Elle ne laissoit pas d'en avoir de l'inquietude, [Page 75] & de trouver un peu estrange qu'il ne luy écruist point, aprez une avanture comme celle qui luy estoit arrivée dont il ne devoit pas douter qu'elle ne fust bien en peine. Elle estoit a la fenestre de ce cabinet, qui donnoit du costé de la mer, & evant a toutes ces choses elle soûpiroit, & se plaignoit de la negligence de son Amant: Quand jettant par hazard la veuë sur une plataforme qu'il y avoit au des­sous, elle vit dans la guerite un hom­me qui luy fesoit signe avec la main, n'osant pas se montrer de crainte d'e­stre vû des autres fenestres du Palais qui donnoient de ce costelà. Elle le regarda avec application, ne sachant dabord qui c'estoit; mais enfin elle re­connut avec une surprise extreme, que c'estoit son cher Comte, dont elle ne fut pas peu en peine. Il y avoit sur cette Plataforme deux colourines; mais comme le lieu estoit presque in­accessible, on ne les gardoit pas, & la porte par ou on y alloit, ne s'onvroit, [Page 76] que quand on avoit occasion de les ti­rer: ainsi il n'y avoit pas a craindre, qu'on le vint chercherlà; mais la dif­ficulté estoit de l'en tirer. La fenestre estoit si haute, qu'elle ne comprenoit même pas, comment il ne s'est oit point blessé. Il falloit attendre sa nuit pour remedier a tout; car de jour c'e­stoit trop hazarder, & on l'auroit pu voir. Elle luy ecrivit cependant plu­sieurs billets, pour le consoler, qu'elle luy jettoit avec des confitures. Et certes, depuis le tems qu'il estoitlà en faction, sans rien manger, je crois qu'il avoit befoin de ces deux sortes de douceurs, & que son corps comme son esprit patissoit & demendoit du secours.

La nuit enfin arriva fort attenduë de part & d'autre; & Donna Ange­lica, luy ayant jetté une bonne corde, qu'elle eut le tems de luy preparer, le Galand monta d'une agilité sans pa­reille, au haut de la fenestre, car ce qu'il avoit mangé ce jour-la, ne le [Page 77] chargeoit pas trop. Quelle joye pour cette belle, quand elle le vit dans son cabinet: elle n'estoit moderée, que parla crainte, qu'elle avoit de quelque nouvel accident. Le Comte luy ap­prit, ce qui s'estoit passé la nuit pre­cedente, & ce qui l'avoit obligé de sauter sur cete Plataforme. Elle de son costé, luy dit la suite ce cette a­vanture, les allarmes qu'elle avoit euës pour l'amour de luy, & la con­versation que le Grand Maistre avoit euë sur ce sujet-là avec le Vice-Roy. Ils jugerent, qu'il falloit, que celuy qui avoit esté battu, fût un de ses es­pions ou peut-être luy même. Ils en rirent, & ils auroient poussé sans dou­te la raillerie & l'entretien plus loin; mais ils firent reflection que dans la conjuncture des affaires, ils ne devo­ient pas trop s'amuser, & qu'il estoit temps, que le Comte se retirast, n'y ayant pas de doute, qu'on ne veillast plus a eux que jamais, & que la gar­de ne fust redoublée. De sorte que le [Page 78] plaisir, de se voir & d'estre ensemble, cedant au danger, qu'il y avoit pour l'un & pour l'autre, ils songerent a la maniere dont le Comte pourroit sor­tir de l'appartement. Il n'y avoit dans ce cabinet que des habits de fem­me; Henry n'estoit pas d'une taille extraordinaire, & Donna Angelica luy ayant essayé des habits d une de ses femmes de chambre, elle trouva, qu'ils luy seyoient parfaitement bien. A peine elle l'avoit mis en estat de pouvoir paroistre, que voy la le Grand Maistre, qui hurte. Donna Angelica luy ouvre la porte toute tremblante de peur; & son mari luy demenda en riant, voyant cette demoiselle auprez d'elle, si ce n'estoit pas-là un de ces voleurs, que le Vice Roy luy avoit voulu faire craindre, & passa outre sans attendre la réponse, que la Da­me, toute saisie de crainte, estoit peu capable de luy faire.

Aprez un tel hazard, on peut croi­re, que nos deux Amans ne voulu­rent [Page 79] pas attendre d'avantage de se se­parer: Si bien que le Comte, ayant pris conge de sa belle, sortit & arriva fort heureusement chez luy. Le len­demain a peine il fut levé, qu'il receut ce billet de la Vice-Reyne.

POur un jeune Amant, Comte, vous avez bien peu d'empressement, pour ce que vous aimez. Quoy est-ce la cette ardeur que vous m'aviez promise! Vous passez tout un jour sans me voir! Vous n'envoyez pas seulement demender com­ment je me porte: Il faut que ce soit moy qui vous apprenne vôtre devoir. C'est un peu trop; mais j'ai pitié de vous. Vous estes jeune & il paroit bien que vous ne savez pas encore ce que c'est que d'estre amoureux. Mais vencz me voir car j'ay resolu de vous le rendre aujour­d'huy plus que vous ne le serez de vôtre vie. Adieu je vous attends ce martin a dix heures, n'y manquez pas.

Le Comte la fut voir; & aprez une [Page 80] petite querelle d'amour sur cette ab scence, dont il se justifia tant bien que mal, ils entrerent dans une conversa­tion plus particuliere, ou la Vice-Rey. ne n'espargna ni traits ni feux pour le charmer. Le Comte Henry, qui a­voit l'esprit fort libre du costé de cet­te belle, luy dit les choses du monde les plus galantes & les plus agreables, & qu'il ne luy auroit peut-être pas dites, s'il en eust este bien amoureux; car l'amour n'ispire pas tant d'esprit à parler, quoyqu'il fasse penser sou­vent de fort belles choses. L'abusée Vice Reyne cependant se payoit de tout cela, & répondoit a tout du meil­leur coeur du monde. Une chose seu­lement de cét A mant luy deplaisoit; c'est qu'ayant tant d'amour, comme il disoit, qu'il en avoit pour elle, il n'avoit pas un peu plus de hardiesse, & que toute sa passion se passât en pa­roles:

[Page 81]
Non voglion le donne inviti;
Violenze desian per iscusare
Con l'altrui forza i loro appetiti.

Elle regardoit le Cavaliet avec des yeux, qui l'attiroient auprez d'elle; & d'abord qu'il s' en approchoit, se plaignant tantôt d'une chose, & puis tantôt d'une autre: & enfin comme une femme qui cherchoit querelle, & qui avoit envie en mê­me tems de faire la paix. Je laisse à penser au lecteur, de quelle guerre & de quelle paix elle avoit envie. Elle estoit dans un deshabillé capable d'inspirer des sentimens fort passion­nez, car outre que ceux d'Espagne ont quelque chose d'extremement galant, l'art & l'amour avoient tra­vaillé de concert a celuy-cy, & ils l'a­voient fait d'une negligence à empoi­sonner bien de coeurs. Je ne sai pas, ce qu'il arriva entre eux. Je ne le di­rois même pas, quand je le saurois; [Page 82] mais ce que je sai, est, qu' outre la vangeance, a la quelle la Vice Rey­ne estoit toute portée, elle n'estoit pas femme à faire inutilement tous les frais d'une scene, comme celle-la Un Galant homme se pique de fideli­té; mais non pas de resistance; & je ne sai pas, qui est celuy, qui a porté la vertu si loin. Il se passa quelque tems de cette maniere, que le Com­te, qui pour des raisons de politique ne voyoit pas Donna Angelica, fesoit sa cour à la Vice-Reyne, pour endor­mir le Vice Roy. Mais les femmes sont moins prudentes en amour que les hommes, quand elles aiment bien. Donna Angelica mouroit d'impati­ence de voir le Comte, elle estoit mê­me en colere contre luy, de ce qu'ill s'euposoit pas plustôt à quelque dan­ger, que de la laisser languir comme elle fesoit, & quoy qu'elle luy eust deffendu elle mê me devenir de quel­que tems chez elle, elle auroit vou­lu, qu'il eust tesmoigné, que son [Page 83] amour estoit plus fort, que sa deffen­se; & qu'il l'eust aimée jusqu'a ne luy pouvoir obeïr. Par dessus toutes ces plaintes qu' elle croyoit avoir rai­son de luy faire, il y avoit encore la jalousie, qui la tourmentoit. Elle aprenoit, qu'il alloit to us les jours chez la Vice-Reyne, & quoyqu'elle le luy eust conseillé, pour mieux cou­vrir leur amour, elle en avoit un de­pit jusqu'a ne le luy pouvoir pardon­ner: Si bien qu'elle luy écrivit la des­sus ce billet.

QVaud vous ne me voyez pas, vous ne devriez au moins voir person­ne; mais c' ect que vous avez besoin de consolation; & c' ect entre les bras de la Vice-Reyne, que vous le trouvez. In­grat! que direz-vous a cela! Que c' est encore pour mesnager son esprit! Qu'en craignez-vous! Vous n'estes qu'un Perfide; & vous ne cherchez qu'a tromper tout le monde. Ce ne sera pas moy, je vo us en assure. Adieu.

Quelle desolation pour le pau vre Comte quel desespoir quand il eut lû ce billet. Il la voulut aller voir de ce pas là même, & se justifier ou mourier a ses pieds. Neanmoins pour ne la per­dre pas & luy aussi, il jugea a propos de prendre des mezures Il songea qu'il se pourroit deguiser, & quel habit d'u­ne femme, qui luy avoit dêja servi u­nefois, pour fortir de sn̄ appartement luy pourroit estre favorable, pour y entrer. Il estoit jeune, beau, bien­fait, il avoit le teint comme une vi­le, & il n'y avoit pas a craindre, que le Grand Maistre, avec qui'il n'avoit nulle habitude, & qui ne l'avoit vû qu'une fois ou deux, en passant, le peust reconnoître. Ils'en va donc chez une Dame de ses amies; & la p [...]ie de luy vouloir faire trouver des habits de femme qui fussent propres pour luy. On luy apporte tout ce qu'il luy falloit, on l'habille, & on le met d'une justesse, qu'il n'y avoit rien de si charmant. Ensuite de cela [Page 85] il prit le carrosse de la même Dame, & suivi d'une de ses demoiselles, qui ne savoit pas le mystere, il se rendit au Palais. Il entre dans l'appartement de Donna Angelica, il demende a la voir & il est introduit dans sa cham­bre sous le nom de Donna Brigitta, Dame de la campagne, qui la venoit salver de la part d'une autre Da me de ses amies. On le fait entrer, & il trouve le Vice-Roy auprez de cette belle dont il fut dàbord tout décon­tenancé: Mais par bonheur Donna Angelica qui estoit venuë au devant de luy pour le recevoir empecha que l'autre nemarquât son desordre. Le bon fut qu'elle ne le connoissoit Point, & qu'elle le vouloit faire a­vencer dans la chambre; mais le Comte luy ayant serré la main elle re­connut avec une extreme surprise, & sans s'arrester davantage a l'exami­ner a cause du Vice-Roy, elle le fit da­bord passer dans une autre chambre, & revint en même tems auprez de [Page 86] Don Fernand. Mais avec quel trou­ble & quelle inquietude, je le laisse a penser a toute femme qui aura ai­mé, & qui se sera trouvée dans une pareille conjoncture. Elle avoit au­prez d'elle le plus d [...]ngereux de tous ses ennemis, au moins elle le regar­doit de cette maniere; quoyqu'il eust pour elle une passion trés-extraordi­naire; & de l'autre costé le plus cher objét de ses desirs, qu'elle n'avoit vû depuis quelques jours, & qu'elle souhaittoit passionnement de voir.

Dans ce tems là le Grand Maistre arriva, qui trouvant cette Dame tou­te seule, & ayant appris, qu'elle atten­doit sa femme, qui estoit avec le Vice-Roy, comme un homme fort civil, quoyque naturellement peu galant, luy voulut tenir compagnie. Le Comte, comme j'ai dit, estoit d'un ajustement a charmer. Le Grand Maistre n'eut pas peine a croire que c'estoit une Dame de la campagne, car il n'en avoit pas vû encore une si [Page 87] belle en Barcelonne, & quoyque d'un coeur peu humain pour le sexe il trouva celle-cy si fort a son gre, qu'il se surpassa. Il luy dit mille douceurs à sa maniere. Il luy offrit, comme el­le luy disoit, qu'elle estoit nouvelle­ment arrivée a la ville, de luy faire voir l'artillerie, de la mener a l'Arce­nal, de la faire promener sur les Ram­pars de la ville, de faire tirer le canon pour l'amour d'elle; & mille autres choses de son mestier, & qu'il croyoit qu'une belle femme devoit aimer comme luy: c'estoit là le plus fort de sa galanterie. Le Comte, qui usoit de complaisance, le remercioit aussi seri­eusement, que si ç'avoit esté la plus belle chose du monde; & comme il vouloit gaigner sa bienveillance, il le regardoit d'une maniere a le rendre amoureux de luy. Et je crois tout de bon, que le Grand Maistre luy eust a la fin parlé d'amour, s'il l'eust sçeu faire; mais comme ce n'estoit pas son mestier, il se contenta de luy faire [Page 88] plusieurs offres de service, soit pour elle, soit pour ses parens; & je crois même, qu'il en seroit venu jusqu'a sa bourse, si Donna Angelica ne fust ar­rivée, a qui selon la maniere espagno­le, il fallut, quoyque a regret, qu'il cedast la place.

L'amoureuse Dame avoit bien eu de la peine a se deffaire du Vice-Roy; mais cela fut bien reparé par la char­mante veuë de son cher Comte. Elle le regardoit avec admiration & rou­gissoit, non pas de colere car il n'estoit pas possible d'en conserver aucune contre un si cher Amant; mais plu­stôt d'amour & de jalousie de le voir si beau & si aimable sous cette figure. Perfide, luy dit elle d'un air, char­mant, vous cherchez tous les jours de nouvelles manieres de me surprendre mais je serois bien vengé de vous, si le Vice-Roy ou le Grand-Maistre vous avoient reconnu, car vous savez, que ce sont deux ennemis, que vous ne devez pas peu redouter.

Repondez-moy de vous, Mada­me, luy repartit le Comte, que je crains plus que tous les ennemis du monde, & assurez moy, que vous n' estes plus fâchée contre moy & je suis content. Et qui pouroit l'estre, [...]uy repliqua-t-elle en soûpirant si long tems contre vous. Je n'ay qu'a vous voir, que je vous justifie moy­même. Allez, adjouta t-elle en rou­gissant un peu, vous ne savez que trop [...]e moyen de vous faire pardonner.

Je ne dirai pas qu'elle suite auroit eu ce discours; mais on voit bien a peu prez, qu'il alloit à faire la paix tout de bon, si l'amour, qui se mo­quoit d'eux, ne leur eust envoyé le Grand Maistre, qui dêja tout plein d'ardeur pour Donna Brigitta, ne pouvoit pas estre si long tems sans la voir. Il prit le pretexte, qu'il estoit tems de disner, & de venir prier sa femme d'arrester cette belle strange­re, pour disner avec eux. Ces deux Amans, qui n' avoient pas eu le tems [Page 90] de profitter de leurs entreveuës, se rendirent sans peine au desir du Grand Maistre. Le Comte seulement fit un peu de façon, mais c' estoit pour s' en faire mieux prier, & la Da­me le fit de si bonne grace, qu'il eut sujet de ne s' en pas deffendre. Du­rant tout le repas le Grand Maistre [...]ut les yeux attachez sur la belle don­na Briggitta; & il ne cessoit de la servir & de boire a sa santé. Le Com­te & Donna Angelica qui remarquo­ient tous ces empressemens & tous ces soins, ne pouvoient s' empecher de rire. Ce nouvel Amant estoit de la plus belle humeur que de sa vie, on ne l'avoit vû; & il prenoit grand plaisir de les voir rire. Le Comte contribuoit de son costé autant que la bienseance du sexe le pouvoit per­mettre a rendre tout a fait amoureux un homme, qui n' avoit jamais ai­mé que son espée. Il beuvoit a sa san­té, il luy tesmoignoit de l'estime, il luy fesoit de tems en temps quelque [Page 91] petite faveur; si bien que le pauvre Grand Maistre croyoit dêja de n'es­tre pas mal dans son esprit. Il loüoit hautement la belle estrangere, en fe­soit des excuses a sa femme, & il luy disoit, qu'il estoit forcé d'avoüer que c' estoit la plus belle femme, qu' il eust jamais veuë. Donna Angelica entroit la dedans; fesoit la femme commode, luy disoit qu'elle luy vou­loit servir de confidente; mais qu'el­le luy donnoit avis, qu'il auroit bien­tót un Rival. Un Rival, reprit en fureur le Grand Maistre, dans la teste de quile vin & l'amour fesoient dêja du ravage; & qui seroit celuy, qui me la voudroit disputer. Ce sera le Vice-Roy, luy répondit elle, s'il la voit: mais ce ne sera pas icy, pour­suivit elle, car en fidelle confidente, je vous la veux conserver toute entie­re. Le Grand Maistre sçeut si bon gré a sa femme de cette complaisance, qu' il luy auroit donné toutes choses dans ce moment-là.

Le disner fini, il tint compagnie a ces Dames encore un peu de tems; mais pour quelques affaires de trés­grande importance, & dont il ne se pouvoit dispenser, il fut obligé, quoyqu'avec bien de la douleur, de les quitter. Sur quoy le Comte feig­nit de vouloir aussi s' en aller; mais l'amoureux Grand Maistre s'y op­posa, & employ a ses prieres & celles de sa femme, pour l'obliger de s'ar­rester jusqu'a son retour, pour qu'il eust du moins encore un moment pour la voir, qu'autrement il ne s'en joit point du tout. Donna Angeli­ca a qui cette derniere menace fit peur, autant qu'a la fausse Donna Brigitta, luy dit qu'elle se chargeoit de cette affaire, & qu'elle alloit me­ner la belle Dame dans son cabinet, d'ou elle ne la laisseroit point sor tir qu'il ne fust de retour. [...]e Grand Maistre en pria fort instemment sa femme, & les ayant accompagnées toutes d'eux jusques dans ce cabinet, [Page 93] pour plus de seurete autant que par galanterie il les enferma luy même dedans, & en emporta la clef avec luy.

Le Vice-Roy, qui, quelque sujet qu'il eust de se plaindre de la conduite de Donna Angelica, s' estoit depuis un peu racommodé avec elle, estant toûjours eu inquietude, passoit ces jours entiers dans son appartement. Si bien que non content de la visite du matin, qui avoit bien duré trois ou quarte heures, il venoit faire la même chose l'aprez diner. Il entre chez donna Angelica, & comme il y estoit familier, n' ayant par hazard trouvé personne, il passe jusqu'a sa chambre, & entend qu'on rioit dans le cabinet. Il preste attentivement l'oreille, il connoit la voix du Com­te, & il ne perd pas un mo [...] de leur conversation. Je laisse a penser, si ce qu'ils disoient luy pouvoit estre agre­able. Il fit dessem dabord de ne rien dire, & de les escouter jusqu'au bout; [Page 94] mais le moyen de resister a tant d'im­petueux mouvemens dont son ame estoit agittée. Plus il attendoit, & plus c'estoient de nouveaux sujets de douleur. Neanmoins que faire dans une pareille conjoncture, il estoit presque hors de luy même, & ne sa­voit qu'entreprendre: car de hurter c'estoit peine inutile; il jugeoit bien, qu'on ne luy ouvriroit pas, sans le fai­re parler, & s il parloit encore moins, & de toutes manieres c'estoit les aver­tir prendre leur de precautions. S'il eust suivi sa premiere fureur, il auroit dabord tâché d'enfoncer la porte, mais outre qu'elle estoit pour resister à des pareils efforts, il luy restoit enco­re assez de raison pour voir, qu'une telle violence nes'ieroit pas bien dans l'appartement d'un autre, a un hom­me de son caractere; & que s'il fe­soit de l'esclat, il y avoit danger que la plus grande partie ne retombât sur luy. Il crut donc qu'il valoit mieux, sans bruit attendre, qu'ils sortissent, [Page 95] ou que le Grand Maistrevint; car il les vouloit perdre cette fois-là, & l'occasion estoit trop belle pour la manquer. Ceux du cabinet continu­oient toûjours de rire; mais les gros soûpirs, que fesoit le desesperé Vice-Roy, qui, assis sur une chaise, qu'il avoir mise a la porte pour les escouter plus commodement, se rongeoit les ongles jusques au sang, leur ayant donné quelque foupçon de la verité, les fit parler plus bas, & ce fut alors, que celuy qui estoit en faction, en­rageoit de bon coeur, nesachant, de quoy il s' agissoit, & quel estoit a­lors cét entretien secret, qu'il auroit du moins voulu penetrer des yeux, quoyqu'il n'espe [...]ât pas d'y rien voir de fort agreable pour luy.

Le Grand Maistre, dans l'impa­tience qu'il avoit de revoir la belle Donna Brigitta, ne pouvoit pas tar­der long tems de revenir. Les gens, qui n' ont jamais aimé, sont bien plus violens, que les autres, quand ils [Page 96] commencent a devenir amoureux. Il laisse la moitié, de ce qu'il auoit a faire, & regrettant tous les momens qu'il perdoit, il auroit souhaitté, que son carrosse eust eu des aisles, pour le ramener plustôt chez luy. Il y ar­rive enfin, il court dabord a ce cabi­net, & trouve avec une surprise ex­treme le Vice-Roy dans une posture fort triste, & avec un visage, qui marquoit assez l'accablement ou il estoit. Il en fit dabord un plaisant ju­gement & raisonant a sa maniere; Quel chien de chasse, dit il en luy même, est celuy-cy: a peine le gi­bier est chez moy, qu'il y court. Il ne fit semblant de rien, & il luy dit en entrant, qu'il estoit estonné de le voir ainsi seul, & luy demenda ou e­stoit allé sa femme. Vous en saurez des nouvelles, luy répondit il d'un ton de voix qui vouloit dire quelque chose, si vous voulez faire ouvrir ce cabinet. Le Grand Maistre qui avoit la clef dans sa poche voulut faire le [Page 97] fin, & n' ayant pas envie que le Vice-Roy vit la belle Briggitta, qui estoit, a ce qu'il croyoit, ce que le Vice-Roy venoit chercher, hurta a la por­te & dit á sa femme d'ouvrir & que c' estoit le Vice-Roy. Elle luy ré­pondit, qu'elle ne le pouvoit pas, & qu'elle le prioit de l'en dispenser. Le Grand Maistre, bien ayse de cette réponse, dit a Don Fernand, qu'il la falloit excuser pour cette fois-là & qu'elle avoit peut être quelque affai­re de femme, ou les hommes n'esto­ient point necessaires. Je le say, luy repartit le Vice Roy, qu'elle a une assaire de femme, mais ou elle avoit besoin d'un homme, & si vous vou­lez, comme je vous dis, prendre la peine de luy faire ouvrir la porte, vous verrez, qu'elle ne le pouvoit pas choifir ni plus galant ni plus jeune. Je vous entens, Seigneur, luy repli­qua le grand Maistre en soûriant; mais quelque soit cét homme, laissons-le avec elle; vous ne voulez pas vous [Page 98] en mettre plus en peine que moy. Non assurement, luy répondit le Vice-Roy; mais Seigneur Don Gabriel, c' est ainsi que s'applloit le Grand Maistre, ne vous trompez vous point; & savez vous bien qui c'est. Je le sai si bien, luy repartit l'autre, que c' est moy même, qui les ay en­fermez dans ce cabinet; & pourque vous n'en doutiez pas, adjouta-t-il d'un air de raillerie, voyla la clef. Dom Fernand, surpris plus qu'on ne le pouvoit estre de l'entendre pàrler de cette maniere, fut quelque tems sans luy répondre; aprez avoir fait deux ou trois tours de chambre, le regardant en face, comme s'il eust voulu lire sur son visage, s'il parloit tout de bon, il faut avoüer, luy dit il, que pour un homme d'honneur, vous estes la dessus d'un temperem­ment fort rare & qui me passe. Tout ce qu'il vous plaira, luy répondit Don Gabriel en riant toûjours; mais cela ne m'obligera pas a vous mon­trer [Page 99] le Galand de ma femme. Je le connois assez, luy repartit le Vice-Roy, & je n'ay que faire de le voir. Et bien puisque cela est ainsi, pour­suivit Don Gabriel, laissons les en repos, car il n'est pas d'un commo­de mari de troubler les plaisirs de sa femme, quand elle est avec son Ga­land. Le Vice-Roy, qui tomboit d'estonnement en estonnement, ne savoit plus que dire. Il s' estoit atten­du, que la fureur du Grand Maistre les alloit sacrifier tous deux a son res­sentiment, & il avoit fait dessein, s'il ne pouvoit pas l'arrester, de sauver au moins la femme. Quel changement! il en raille, il est de bon accord avec eux, ils'est ren­du leur Geolier: Qu'en peut croi­re l'estonné Don Fermand, si ce n' est, que le Grand Maistre est de­venu fou, ou qu'on la charmé? Il quitte la partie, Car il ne peut pas tenir bon cantre un homme de ce caractte­re, & le regardant avec mespris, il sort [Page 100] de sa chambre. Don Gabriel l'ac­compagne, le Vice-Roy luy dit, qu'il devroit avoir plus de soin de sa repu­tatien; l'autre s' en moque, & ne luy repond que par raillleries. Enfin il le quitte avec la plus méchante opi­nion, qu'on puisse avoir d'un hom­me.

Ceux du cabinet, qui avoient en­tendu tout ce dialogue, n'avoient pas esté peu en peine. C'estoit fait d'eux, si le Vice-Roy eut pû persuader Don Gabriel d'ouvrir; & ils trembloient encore, quand il arriva auprez d'eux. Le siege enfin est levé, leur dit il, & le Vice-Roy seroit un terrible homme, s'il n'en trouvoit pas de plus fins que luy. Il leur conta tout le discours, qu'ils venoient d'avoir ensemble; mais avec des mines & des postures pour le coppier, qu'il les pensa faire mourir de rire, malgré le peu d'envie. qu'ils en avoient. La Comedie auroit duré plus long tems, si le Comte, qui voyoit l'inquietude ou Donna Ange­lica [Page 101] estoit du Vice-Roy, n'eust pris la resolution de se retirer. Mais ce qu'il y eut d'embarrassant, ce fut que Don Gabriel le voulut aller accompagner, & il fallut user de bien de raisons & d'adresse pour l'en empecher. La bel­le Donna Brigitta se servit de tout le pouvoir, qu'elle avoit sur son esprit, pour cela; & elle luy promit, que tou­tes les fois, qu'elle viendroit a la ville, elle les viendroit voir, & passeroit une partie du tems avec eux: Si bien qu'en­fin il la laissa partir, & elle se rendit sans obstacle chez sa Dame, pour changer de decoration, & reprendre sa premiere figure.

Le lendemain Donna Angelica, impatiente d'apprendre de ses nou­velles luy écrivit un billet, qui tom­ba par malheur entre les mains de don Fernand, par le moyen d'un de ses espions, qui estant a la porte du Com­te Henry, pour observer, ce qui se passoit chez luy, le messager de la Da­me, l'ayant pris pour quelqu'un du [Page 102] logis, luy avoit confié ce billet. Le Vice-Roy le lisoit, quand il vit entrer le Grand Maistre, qui venoit pour luy parler de quelque affaire, & se pre­nant à rire, il luy demenda des nou­velles du Galand de sa femme, & ils se dirent l'un a l'autre force plaisan­tes choses la dessus croy ans tous deux d'avoir raison de plaisanter. Vous estes homme de bon sens, Seigneur Don Gabriel, luy disoit Don Fer­nand, nous ne sommez pas responsa­bles des folies de nos femmes; & c'est estre fou que de s'en inquieter & d'en faire dependre nôtre reputation. Combien voit on aujour-d'huy de gens de vôtre humeur, & ou sont les maris, qui ne sont point sujets a ces sortes d'accidents. Le Grand Mai­stre, qui trouvoit a la fin que la raille­rie du Vice Roy, alloit un peu trop loin. Je vous viendray trouver, Seig­neur, luy dit il, pour me consoler la dessus, quand j'en aurai besoin; car je vous trouve preparé sur cette ma­tiere: [Page 103] mais vous voulez bien, queje vous die, qu'il n'est pas plus vray; qu'il y avoit hier un Galand dans le cabinet de ma femme, qu'il estoit vray l'autre jour, qu'il y avoit des voleurs. Je suis daccord de cela, luy répondit le Vice Roy, que l'un est aussi vray que l'autre. Mais Seigneur, luy dit encore Don Gabriel, ce cabi­net n'est pas si grand, j'ay des yeux & il me semble — Je sai que vous avez des yeux, interrompit Don Fer­nand; mais je sai aussi que vous n'y voulez pas voir. Je vous ay dit, que c'estoit un voleur familier, qui n'en vouloit ni a vôtre argent ni à vos meubles; mais apparemment, vous ne vous en souciez pas, puisque vous estes si bon, que de l'enfermer vous même avec vôtre femme. Quoy est­ce la le voleur, luy répondit le Grand Maistre, avec un esclat de rire, qui l'empecha de poursuivre. Je souhait­te, Seigneur, abjouta-t-il un moment aprez, qu'il en vienne chez moy tous [Page 104] les jours de même, & je vous répons, que je leur laisseray voler, tout ce qu'ils voudront. Mais pour ne vous laisser pas plus long tems, Seigneur, dans cette erreur, je vous apprens, que le voleur, dont vous voulez parler, est une des plus belles femmes du Roy­aume. Une femme, reprit le Vice-Roy en riant comme luy, & depuis quand le Comte Henry a changé de nature, & est devenu fémme. Le Comte Henry, reprit a son tour Don Gabriel, Seigneur, je crois de l'avoir vù, mais il n'a ni les traits si fins, quand cela seroit possible, ni le teint, ni la gorge, ni — je m'y connois, ad­jouta t-il, & ce n'est pas à moy, qu'on fera prendre un homme pour une femme. Quoy qu'il en soit, luy dit Don Fernand, c'estoit le Comte Hen­ry, qui estoit hier dans ce cabinet avec Donna Angelica, & le voleur de l'au­trejour. Quoy ce voleur, reprit Don Gabriel, qui eut cette charge de coups de canne. Je ne dis pas pour les [Page 105] coups de canne, luy repartit le Vice-Roy, mais je sai que ce que je dis est tres veritable. Si ma femme, Seig­neur, luy repliqua Don Gabriel, avoit en teste de faire quelque galanterie, je crois, qu'elle ne s'adresseroit pas a un jeune homme, qui ne fait que de naistre. Les plus jeunes, luy repar­tit le Vice-Roy, ne sont pas en amour les pires; & la jeunesse n'a jamais fait un mechant assaisonement dans la ga­lanterie. De plus, je vous assure, que je connois fort bien la voix du Ga­land. On se trompe bien plus facile­ment, luy pépondit le Grand Mai­stre, par les oreilles, que par les yeux. Je vois fort bien. Et moy, luy re­pliqua Don Fernand, pour vous faire voir, que j'entens encore mieux, te­nez, lisez ce billet qu'un Page de vô­tre femme a donné ce matin à un de mes Valets, qu'il a pris sans doute pour un autre. Don Gabriel le prit, & y trouva ces paroles.

N' Avez vous pas honte de vôtre ne­gligence. Il y a deux heures que vous devriez m'a voir écrit: que dis-je il y a deux heures, vous ne deviez pas vous estre couché hier sans cela. Je vous le pardonne pour l'amour de Don Ga­briel, qui vous aime dêja presque au­tant que moy. L'amour fait tous les jours de grans miracles, mais celuy là en est un si extraordinaire, que je ne crois pas qu'il y en ait jamais eu de sem­blable. Je puis dire au moins qu'il n'y a que Donna Brigitta, qui ait trouvé le secret d'accorder deux choses si contrai­res dans le monde, qui est l'amour & la jalousie, & de se faire aimer egalement du mari & de la femme. Adieu. Si vous ne venez pas aujour-d'huy, au moins écrivez moy.

Ce billet n'avoit point de dessus, & Don Gabriel l'ayant lu demenda au Vice-Roy ce qu'il y trouvoit, qui fust contre son honneur, & en quoy il connoissoit que c'estoit a un Galand [Page 107] plustôt qu'a une Dame qu'il s'adres­soit. Je crois, que cest assez, luy re­pondit Don Fernand, que c'est au Comte Henry, qu'on le portoit, pour faire cette difference; mais pour l'a­mour de vous, adjouta t-il en soûri­ant, je croiray si vous voulez que c'est a donna Brigitta, dont le billet par­le. Et bien Seigneur, luy repartit Don Gabriel, en se levant pour s'en aller, s'il n'y a que ce jeune Napoli­tain de dangereux pour moy, je me tiens fort en seureté du costé de ma femme.

Le Grand Maistre ayant quitté ainsi le Vice-Roy se rendit a l'appar­tement de sa femme; & luy demenda si elle n'avoit pas écrit quelque billet ce matin, Elle qui se douta dabord de quelque trahison du Vice-Roy, luy répondit sans se troubler qu'ouy, & que c'estoit a Donna Brigitta. Don Gabriel, qui auroit juré sur la vertu de sa femme, le crut comme elle le luy disoit, luy montra ce billet, que [Page 108] le Vice-Roy luy avoit donné, & luy raconta d'un bout jusqu'a l'autre la conversation qu'ils venoient d'avoir ensemble. Sur quoy l'offensée Donna Angelica, entrant dans une fur [...]euse colore, dit contre Don Fernand tout ce que la rage & le depit pouvoit in­spirer a une femme, qui est prevenuë d'une passion, qu'on veut destruire. Ce qui luy fesoit de plus de peine, di­soit elle a Don Gabriel, dans la me­chanceté du Vice-Roy; c'est qu'il ne se contentoit pas de chercher tous les moyens du monde pour les met­tre mal ensemble; mais que pour la perdre d'honneur, il vouloit, qu'elle aimât un homme, que generalement toute la cour savoit, estre le Galand de la Vice-Reyne: Et pour que vous n'en doutiez pas, adjouta t elle; & que vous voyez, outre le bruit qui en court, si je parle sur des bons me­moires, je m'en vais vous querir un billet, que je trouvay l'autre jour par hazard, ou vous verrez, ce que la bel­le [Page 109] Dame écrit a ce jeune Cavalier. El­le fut dans son Cabinet; & en appor­ta un billet, que cét Amant luy avoit sacrifié, & qu'il avoit recu, il n'y avoit que deux jours de la Vice-Rey­ne. Le Grand Maistre le lut avec une joye qui ne se peut exprimer, d'avoir de quoy triumpher du Vice Roy. Il le va trouver de ce pas-la, & l'abbor­dant avec un visage riant, je ne sai, Seigneur, luy dit il, quel jour il est aujour-d'huy; mais tous les messa­gers d'amour sont destinez à se mes­prendre. Le Comte Henry a plus d'une maistresse; tantôt un de vos estafiers à surpris un billet, que ma femme luy écrivoit, & en voicy un autre, qui est tombé entre les mains d'un de mes gens, & qu'un Page de la Vice-Reyne portoit au même Ga­land. Mesprise de tous costez; mais comme vous avez eu la bonté de me rendre celuy de ma femme, j'ay cru estre obligé de vous venir apporter celuy de la vôtre. Tenez, Seigneur, [Page 110] adjoûta-t-il, je crois que c'est-là de son caractere. Ouy c'en est, luy ré­pondit froidement le Vice-Roy, & il se mit a lire ce billet.

A Peine tu me quittes, cher Comte, que je meurs d'envie de te revoir, & les mêmes peines, que les autres a­mantes souffrent pour l'abscence d'un mois ou d'un an, je les souffre toutes pour celle d'une nuit où d'un jour. Cruels momens, que ceux que je posse sans te voir. Revien de main plus amoureux que jamais, si tu veux reparer toutes ces inquietudes. Le plaisir d'estre ai [...]é de toy est quelque chose de si charmant pour mon coeur, que quoyqu'il en arrive, je ne croira pas de l'avoir jamai [...] assez achetté. J'y trouve gloire; honeur, vengeance & tout ce qu'une autre fem­me y perdroit, Adieu pour quelqu [...]s heu­res; car j'espere, que le premier reveil que j'auray, ce sera d'un bon jour, que tu m'apporteras. Je n'en veux plus avoir, s'il ne me viennent de ta part. Adieu.

Le Vice-Roy, avec [...]a même froi­deur qu'il avoir lu ce billet, le mit dans sa poche, & regardant Don Ga­briel, qui s'attendoit a voir evaporer sa rage en injures & en emportemens, que voulezvous, luy dit il, je suis des vô [...]res. Des miens, Seigneur, reprit le Gra [...]d Maistre, il faudroit, pour cela que le billet de ma femme parlât comme celuy de la Vice R [...]yne; mais il y a, ce me semble, de la difference. La difference ne fait rien, luy repartit Don Fernand, & je vous dis, que si elles n'écrivent pas tout a fait de même, elles nous traittent au moins egalement. Si c'est pour vous con­soler, Seigneur, luy repliqua le Grand Maistre que vous le croyez ainsi je veux bien m'y accommoder; mais la compla [...]sance a part, je sai bien, ce que j'en dois penser, & jusqu'a ce que vous m'ayez fait voir des preuves aussi conva [...]ncantes, que celles que je vous vien d'apporter, vous souffri­rez, s'il vous plait, que je mette sur le [Page 112] chapitre de nos femmes, quelque dif­ference entre nos deux fortunes. Le Vic-Roy luy dit, qu'il ne seroit pas difficile de luy faire voir encore pir, s'il y vouloit donner les mains, & en croire ses yeux; & Don Gabriel luy ayant promis, qu'il y contribueroit de sa part, autant qu'il pourroit, ils se separerent, le Vice-Roy bien resolu de mettre tout en oeuvre, pour se van­ger de l'incredulité du mari, & de la perfidie de la femme, & le Grand Maistre dans le dessein de luy laisser tout faire, & de n'en âvertir pas seu­lement sa femme, de laquelle nean­moins il ne croyoit pas jusques-là d'à­voir eu sujet de la soupçonner d'infi­delité.

Le Comte Henry, a qui Donna Angelica n'avoit pas manqué de faire savoir, ce qui s'estoit dêja passé en­tre le Vice-Roy & Don Gabriel, n' alloit plus chez elle: mais le moyen que deux A mans s'empechent long tems de se voir. Ils se donnerent plu­sieurs [Page 113] rendezvous, dont il y en eut peu, qui leur reussirent ayant trou­vé presque par tout des gens qui les suivoient ou qui les embarrassoint. Ils n'estoient pas seulement observez par le desesperé Vice-roy & par le Grand Maistre, ils l'esto [...]ent encore par la Vice-Reyne, qui depuis quel­ques jours deuenuë plus jalouse qué jamais du Comte, parce qu'il la vo­yoit moins souvent, le fesoit suivre, depuis le mati [...]jusqu'au soir, & elle se trouvoit quelque fois elle même, ou il alloit. Lejardin du Palais leur avoit esté plus favorable qu'aucun au­tre endroit, soit a cause de la com­modité qu'il y avoit pour Donna Angelica, des' y rendre sans bruit & sans suite, soit parce qu'on ne s'en deffioit pas, estant tenu, fermé avec grand soin. Mais il est dangereux d'aller trop souvent dans un même lieu, & en cas d'amourette le plus seur est de changer souvent de station.

Ce jardin estoit un des plus agrea­bles [Page 114] de Catalogne, qui est le pays des beaux jardins. Il y avoit au millieu une maniere de Palais enchanté fait de quelques arbres, qui composoient des tours, des Cabinets des cham­bres sales avec toutes leurs apparte­nences, qui estoit la chose du mon­de, la mieux [...]ntenduë, & la plus curieuse avoir. On n'entroit dans ce Palais que par un Pontlevis ayant tout un grand fossé tout rempli d'eau. L'idée d'aller passer une heure ou deux de la nuit dans cét agreable sejour ne fut pas plustôt venuë a nos Amans, qu'ils trouverent lemoyen d'avoir de fausses clefs pour entrer dans le jardin. Le Vice-Roy en eut a la fin le vent, & en donna en mê. me tems âvis au Grand Maistre, & luy conseilla afin de les mieux sur­prendre, de dire a sa femme, qu'il'alloit faire un voyage a la Campagne ponr deux ou trois jours. Don Ga­briel, qui ne pouvoit encore croire, ce qu'il luy disoit, consentir a tout ce qu'il voulut.

Les espoins furent envoyez de bonne heure au jardin, & ils se perc­herent sur des arbres pour faire senti­nelle. Apeine la nuit fut venuë, qu'ils virent passer un Galand de fort bonne mine qui alloit au Palais de verdure, & quelque tems aprez une fort jolye Dame qui prenoit le même chemin. Ils descendent de l'arbre, n'y ayant plus rien a faire pour eux; ils levent le pont, selon l'ordre qu'ils en avoient, & courent incessemment vers le Vice-Roy, pour luy donner âvis que les gens estoient pris. Quel­le joye pour Don Fernand. Don Ga­briel, qui estoit alors avec luy, ne rioit, ni ne s' attristoit. Il vouloit voir, ce qu'il en estoit, & aprez il favoit, quelle resolution il devoit prendre, si les choses estoient telles, qu'on les luy disoit. Nous voy la prez d'estre esclaircis de la verité, luy dit le Vice-Roy; mais au moins, je vous demende une grace, qui est, que vous ne vous emporterez point [Page 116] contre vôtre femme, & que vous contenterez de mettre le Cavalier en­tre les mains de la justice. Je crois qu'en pareilles rencontres, luy re­pondit le Grand Maistre, on ne prend conseil de personne; mais dit­tes moy, ce que vous feriez vous mê­me, si par hazard c'estoit la vôtre. Je la serois en fermer dans un convent, luy repartit le Vice-Roy, ou je la renvoyerois a ses parens & je vous de­mende la même chose pour Donna Angelica; car je vous avoüe, qne je ne pourrois pas souffrir de voir mal­traitter une femme, du malheur de qui on aura toûjours raison de m'ac­cuser. Seignéur, voyons là, luy re­pliqua Don Gabriel, & aprez il sera tems assez d'interceder pour elle; mais, pour vous dire la verité, mon coeur qui à coustume, de m'annon­cer toûjours la premiere nouvelle, quand il me doit arriver quelque cho se de facheux, ne menace encore de rien. Don Fernand se mit a rire, & [Page 117] sans luy repartir davantage, il com­menca à marcher du cesté du jardin, & Don Gabriel aprez luy, qui le suivoit, tous deux accompagnez de cinq ou six estafiers bien armez pour se saisir du Galand. Ils entrent dans le jardin: la nuit estoit fort obscure, à peine ils se pouvoient voir; ils s' a­vencent vers le lieu, ils font abbattre tout doucement le pont, ou ayant fait arrester leurs gens a fin de faire moins de bruit, & de ne les avoir pas pour tesmoins de cette avanture, ils n' entrent qu'eux deux seuls, & pas ils se glicent dans ce Palais de verdure. Mais comme il estoit fort grand, & qu'il y avoit mi [...]le endroits, pour se cacher, il auroit esté assez difficile d'y trouver les gens qu'ils cher­choient, par l'obscurité qu'il fesoit, a moins que de les surprendre. Le Vice Roy marchoit le premier, & il n'auroit pas esté fâché, que Don Ga­briel peut oüir partie des discours que les deux Amans tiendroient, pour [Page 118] qu'il ne peust plus douter du titre, dont sa femme l'honnoroit. Je crois que ç'auroit esté une chose fort plai­sante a voir, que deux personnes de ce caractere, chacnn animé de son costé par dés mouvemens differens, allans a tâton dans un lieu, ou ils ne voyo­ient goute, tantôt marchans & tan­tôt escoutans, & prenans quelque fois le bruit qu'ils fesoient eux même, pour la voix de quelq'uun; sur tout le Vice-Roy; qui s'interessoit extre­mement a cette affaire, & a qui la moindre fueille d'arbre fesoit chan­ger de route. Ils se tenoient par la main selon la chanson: Don Fernand, comme j' ay dit, avoit l'avant gar-& fut le Premier aussi, qui rencon­tra quelq'uun; mais au lieu de pren­dre, il fut pris. A peine il estoit en­tré dans un cabinet, il avoit entendu du bruit, qu'il se sentit saisir par le bras. Et bien le plus perfide de tous les hommes, luy dit la personne qu'il reconnut dabord a la voix, pour la [Page 119] Vice-Reyne sa femme, avoüerez vous à cette fois vôtre trahison, & ne me direz vous pas encore, que vous me veniez chercher icy. Je lais­se a penser au lecteur, si le Vice-Roy fut bien estonné Il nesavoit si c'e [...] ­toit a luy, quelle parloit tout de bon, ou si elle le prennoit pour une autre; mais pour Don Gabriel il seroit diffi­le d'exprimer la joye qu'il en avoit. Ah lache! continua-t-elle, aprez les bontez & les tendresses que j'ay euës pour vous, pouvez vous bien me trahir de cette maniere. Quel plaisir avez vous eu de m'abuser, & de me faire accroire, que vous m'aimiez, n'estoit ce que pour complaire au Vi­ce-Roy, qui vous avoit chosy pour estre mon Galand. Que ne me le di­siez-vous! je me serois contentée de vous avoir donnè une maistresse, comme j'ay fait, sans vous donner un coeur, dont vous ne vouliez pas. Ces paroles estoient trop claires pour laisser rien a douter a l'estonné Don [Page 120] Fernand. Il vouloit se retirer plein de confusion, & presque au deses­poir de ce qu'il entendoit; non pas tant pour l'amour de luy, que pour l'amour de Don Gabriel l'arrestoit par derriere, & vouloit voir la fin de cet de scene. Il est vray qu'elle devoit avoir quelque chose d'agreable; mais avant que de passer plus avant, je crois, qu'il ne sera pas hors de pro­pos pour l'intelligence de cette a­vanture, de dire, comment la Vice-Reyne se trovoit ainsi de nuit dans ce lieu là.

J'ay dêja parlé de la jalousie, qui la tourmentoit depuis quelques jours & qui luy fesoit observer tous les pas du Comte, qu'elle suivoit même quelque fois en personne. Elle ap­pritaussi bien que le Vice-Roy, qu'il entroit, tous les soirs dans le jardin, & ne doutant pas, que ce ne fust pour y voir en secret Donna Angelica, elle s'y rendit sur la nuit deguisée en hom­me, a fin de n'estre pas connuë Ce [Page 121] Palais de verdure estant lieu de tout le jardin le plus propre pour une en­treveüe: Elle jugea bien, qu'il au­roit esté choisi pour celuy de leur rendez-vous: Si bien qu'elle y fut les attendre, & vit arriver, peu de tems aprez, Donna Angelica; mais comme c'estoit au Comte principale­ment, qu'elle en vouloit, elle la laissa venir sans luy rien dire. Il est vray que dans l'impetuosité de son premier mouvement, quand elle fut proche d'elle, elle pensa se laisser emporter a quelque action plus conforme a sa jalousie qu'a son sexe.

Les espions, comme j'ay déja dit, en furent aussitôt porter l'avis au Vice-Roy; & le Comte estant arrivé la des­sus, fut fort estonné de voir le pont levé. Il jugea bien, qu'il y avoit la quelque mystere: il fit tout le tour du fossé pour tacher de le demesler, & voir s'il n'entendroit pas quelque bruit, qui luy en peust donner con­noissance. Il avoit resolu de ne point [Page 122] sortir au moins du jardin, sans savoir, a quoy la precaution de ce pont levé aboutissoit, & il luy passa dans ce tems là mille imaginations dans l'es­prit: Mais à peine il avoit achevé de faire cette ronde, qu'il entendit venir le Vice-Roy & le Grand Maistre, dont il oüit une partie, de ce qu'ils disoient, de derriere une Haye ou il s'estoit mis, pour les laisser passer. Il les vit entrer dans ce Palais, & lever en même tems le Pont, ce qui fut un coup mortel pour luy: parce qu'il e­stoit privé par la de tout espoir de pouvoir donner aucun secours a Donna Angelica. Jamais peine egale a la sienne, ni douleur si sensible, ne doutant pas, que les suites d'une si cruelle avanture ne fussent trés-fa­cheuses pour la chere Dame. La ve­rité est, qu'elle estoit fort embarras­sée de sa personne. Dabord sa sur­prise fut extreme d'entendre parler la Vice-Reyne, dans un lieu ou non seu­lement elle croyoit, qu'il n'y avoit [Page 123] personne; mais, où elle l'attendoit si peu. Elle s'estoit levée, au bruit qu'a­voient fait le Vice-Roy & le Grand Maistre, croyant que c'estoit le Com­te, pour aller au devant de luy; & tout d'un coup elle entendit la voix de sa Rivale qui fesoit des reproches a son Amant. La peur la saisit; & elle ne savoit que s'imaginer d'un cas si extraordinaire.

La Vice-Reyne, qui savoit, que Donna Angelica estoit dans ce lieue là, ne parla dabord de la façon a ce perfide Amant, que pour l'obliger de luy faire une réponse, comme elle de­siroit, que sa Rivale peút entendre. Parlez ingrat, poursuivit elle, voyant, qu'il ne disoit mot, Que trouvez­vous en D. Angelica plus qu'en moy! Estce, parce que c'est une infidelle comme vous: car pour de la beauté & de l'esprit, vous vous y connoissez trop bien pour vous y estre mespris. Encore si vous me pouviez dire, que c'est pour me vanger du Vice-Roy; [Page 124] mais lache, il n'y a assurement, que le plaisir de la trahison, qui vous y a en­gagé: car ne vous ne desavoüerez pas, que vous ne m'ayez tendrement aimée, & que vous ne m'ayez dit mil­le fois, que si je voulois, vous ne ver­riez plus cette Dame, & que vous n'a­viez jamais eu le moindre panchant pour elle; cependant, lorsque je vous aime le plus, que vous voyez, que mon coeur est tout a vous, & que vous m'assurez de tout le vôtre, Per­fide, vous vous donnez a une femme, que vous me jurez', que vous n'aimez point.

Dans tout ceci, il y avoit de l'agre­able & du triste pour les deux maris, Quand c'estoit quelque chose qui ne plaisoit point a Don Fernand, il fesoit un pas en arriere. & l'autre le repous­soit; & quand c'estoit pour le Conte de Don Gabriel, le Vice-Roy le ti­roit par le manteau, & son voisin battoit froid. Ce n'est pas encore le tout, poursuivit la Vice-Reyne, [Page 125] voyant qu'il gardoit toûjours le si­lence, je veux que vous vous expli­quiez, & je ne vous laisse point aller, que vous ne m'ayez dit, qui de Don­na Angelica ou de moy triomphe dans vôtre coeur. Si vous suivez, ad­jouta-t-elle, le conseil du Vice Roy, je s [...]i bien, que ce seroit moy; car vous savez, qu'il n'est point de fem­me, qu il aimâr tant que moy, si je n'estois la sienne. Mais ne suivez que le mouvement de vôtre coeur, & apprenez moy, si vous nous trompez toutes deux, ou si c'est moy qui suis la trompée. Vous seule, Madame, vous l'estes, luy répondit alors le Vi­ce-Roy, en qui le flegme Espagnol commençoit a prendre feu; & vous l'estes doublement, poursuivit-il, comme vous voyez, de me prendre pour le Comte, & de vous imaginer qu'il vous aime. Vous ne me croyiez pas, poursuivit-il, si proche de vous, ni m'apprendre tant de vos affaires. Non assurement, luy répondit elle, [Page 126] avec un grand estonnement, dont elle revint pourtant facilement, nean­moins je ne suis pas fachée, que ce soit vous, & que vous ayez entendu, tout ce que j'ai dit, car vous savez, si vous meritiez rien moins que cela, & si vous n'avez pas contribué plus que personne a vôtre des-honneur. Cela seroit bon a me dire, luy repartit le Vice-Roy, si j'estois ici seul avec vous; mais voici le Grand Maistre, qui vous entend, & qui en pourra rire. Le Grand Maistre, luy repli­qua la Vice-Reyne, a trop de part a l'avanture de ce soir, pour en rire tout seul; & s'il veut prendre la peine de chercher dans ces chambres, il y trouvera une Dame de sa connoissan­ce, qui n'estoit pas venuë ici pour luy. Donna Angelica, qui n'estoit pas fort loin de la, entendoit tout ce discours, & Dieu sçait, si dessors elle commen­ça d'avoir peur. Le Grand Maistre, qui comprit bien, que c'estoit de sa femme, que la Vice-Reyne vouloit [Page 127] parler, n'en fit que rire, ne voyant point d'apparence a cela; & il luy ré­pondit, qu'il ne croyoit pas, que le rendez-vous fust pour deux Dames, puisqu'il n'y avoit qu'un Galand. Il est vray, luy repartit elle, mais c'est aussi pour Donna Angelica que le rendez-vous estoit donné. Don Ga­briel luy demenda, ce qu'elle y venoit donc faire. La même chose que vous, luy répondit elle, quoyque je n'y aye pas mieux reussi. Mais, Ma­dame, luy dit Don Gabriel, vous vo­yez bien, que je n'ai pas raison d'ad­jouter foy à vos paroles, car par vô­tre propre aveu, vous estes jalouse de ma femme: neanmoins si vous me la pouvez faire voir ici, je vous en croi­rai. La Vice-Reyne luy ayant repon­du qu'il ne tiendroit qu'a luy, Don Fernand dit, qu'il falloit envoyer chercher de la lumiere a quoy elle se voulut opposer, n'ayant pas envie, qu'ils la vissent en l'equipage où elle estoit: Neaumoins l'ordre en fut [Page 128] donné, & on courut au Palais pour avoir des flambeaux.

Le Vice-Roy n'avoit pas raison d'estre fort satisfait de la Vice-Rey­ne; mais outre qu'il ne l'aimoit gue­re, il oyoit bien qu'a rendre justice aux gens tout le tort n'estoit pas du coste de sa femme, & qu'il estoit ju­ste qu'il partât la peine d'une folie qu'il avoit faite. Cependant avec tou­tes ces raisons, qui estoient contre luy, & dont il tâchoit de se convaincre, il ne laissoit pas d'avoir un grand mal de coeur, quand il consideroit que Don Gabriel estoit le tesmoin de sa honte. Il falloit, pour que les cho­ses fussent du moins égales, qu'il luy fit voir Donna Angelica; & il mo­vroit d'impatience qu'on apportât de la lumiere. Cette mal heureuse A­mante estoit dans un plus grand em­barras d'esprit & de corps, qu'on n'aura de la peine a s'imaginer. Elle s'estoit cachée sous des buissons; mais depuis que l'on parla d'avoir des [Page 129] flambeaux, l'allarme la prit si fort, qu'elle ne crut pas qu'il y eût-la de­dans aucun lieu de seureté pour elle. Elle voulut s'enfuyr; mais elle trou­va le pont gardé. Que fera-t-elle; Elle tournoit tout au tour du fossé de­mendant à la nuit, les larmes aux yeux, de redoubler ses tenebres pour la sauver du malheur qui la menaçoit, aimant mieux se jetter au milieu de l'eau qu'elle voyoit devant ses yeux, que d'estre exposée a la risée de ses plus cruels ennemis; Quand tout d'un coup elle vit paroistre au travers des tenebres le bout d'une planche, qui vint s'appuyer sur le bord du fos­sé ou elle estoit. Elle en eut peur da­bord, & se rassurant peu a peu, ellé ex­amina ce que c'estoit, & elle ne savoit d'ou un tel secours luy pouvoit venir si ce n'estoit du ciel. Elle ne balança point pour s'y exposer dessus & tâ­cher de passer de l'autre coste; mais a peine elle fut au milieu, qu'elle ren­contra un homme, qui vouloit aussi [Page 130] passer du sien. Sa peur redouble; & elle estoit sur le point de s'en retour­ner, si elle n'eust esté arrestée par la voix de cét homme, qui luy dit, Ma­dame est cevous. Ah Comte, luy répondit elle avec une joye qu'on peut s'imaginer, Que le ciel vous envoit a propos, pour me delivrer du plus grand malheur, qui me peût arriver. Le Comte, car c'estoit luy même, luy donna la main, & luy dit, qu'il y avoit plus d'une heure, qu'il cherchoit le moyen de la pouvoir se­courir, & que c'estoit par un grand bonheur, qu'il avoir trouvé cette planche au fond du jardin.

Leur discours ne fut pas long, le tems pressoit, & les flambeaux, que le Vice-Roy avoit envoyé chercher, pa­roissoient dêja dans le Palais de ver­dure. Ils retirerent seulement la planche, & l'ayant laisse tomber dans le fossé, ils gagnerent par un che­min un peu escarté, le plustôt qu'ils peurent, la porte par laquelle ils a­voient [Page 131] coustume d'entrer pour aller songer a leurs affaires, & se mettre en seureté du costé des jaloux. Ils les virent en passant tous trois fort em­pressez a chercher la belle fugitive. Il n'y eut cabinet, sale, ni chambre qu'ils ne visitassent les uns aprez les autres, point de buisson qu'ils ne se­coüassent, point d'herbe un peu hau­te qu'ils ne foulassent; & enfin point d'endroit si retiré & si caché qu'il fusse, qui ne fust reconnu non seule­ment par les maistres, mais par les espions mêmes, qui assuroient tous avoir veu entrer de leurs propres yeux deux personnes dans le Palais de verdure, & la Vice-Reyne l'assu­roit encore plus fortement que tous les espions, & adjoûtoit même a la verité de l'Histoire, pour qu'on ne doutât pas, que ce ne fust Donne An­gelica, qu'elle l'avoit veuë, touchée, & suivie durant quelque tems. Le Grand Maistre en rioit & avec raison: Il prenoit même plaisir en se mo­quant [Page 132] d'eux de les faire courir tantôt d'un costé & tantôt de l'autre.

La Vice Reyne estoit dans un de­sespoir qui ne se peut exprimer. Elle protestoit qu'elle ne sortiroit point du jardin, qu'elle ne l'eust trouvée. Don Gabriel raillant toûjours vous verrez, disoit il, que le dangereux Comte Henry nous l'aura enlevée; car enfin vous m'avoüerez qu'une semme toute seule ne peut sortir d'ici que par enchantement, quand le pont est levé. Il y eut la dessus plusieurs contestations, & des opiniastretez de part & d'autre qui se terminerent enfin a la confusion commune du Vice Roy & de la Vice Reyne, qui las de tant chercher inutilement com­mencerent a pendre le chemin du Pa­lais. Don Fernand voulut nean moins que le pont demeura levé toute la nuit, & qu'on fist garde dans le jar­din, pour y revenir le lendemain au matin.

A quoy aboutira tant de precau­tion, [Page 133] luy dit le Grand Maistre, qu'a encherir sur dê ja tant d'histoires. Tantôt c'est un voleur, qui s'est cache dans le cabinet de ma femme; tantôt c'est un Galand transformé en une Dame de campagne, & enfin pour couronner de si belles avantu­res, c'est ma femme, que je dois trou­ver de nuit dans le jandin avec le Comte Henry, ou je rencontre la vôtre qui vous prend pour ce jeune Galand. Que doisje inferer de tout ceci, Seigneur, adjoûta-t-il, si ce n'est que vous m'avez voulu donner la co­medie, qu'il faut achever, si vous le trouvez bon, dans la chambre de ma femme, que nous trouverons sans doute endormie, pendant que vous vous donnez mille peines pour la chercher. Le Vice Roy, qui estoit entesté de ce que ses espions luy a­voient dit, & dont il ne pouvoit dou­ter aprez que la femme l'avoit con­firmé, le prit au mot; & il voulut l'accompagner jusques dans son ap­partement. [Page 134] Pour la Vice-Reyne, elle avoit dê ja gagné le devant laissant disputer aux maris à qui des deux les auroit plus longues.

Ils entrerent dans le Palais, & ils rencontrerent dans la sale des gardes le Major de la place, qui attendoit le Vice-Roy, pour luy rendre les clefs des portes de la ville, & qui luy dit, que le Comte Henry venoit de sortir par la porte du port, ou il s'estoit em­barqué avec une fort belle Dame, qu'il menoit avec luy. Une Dame reprit le Vice-Roy, en gerardant Don Gabriel pour observer sa conte­nance. Vous verrez, luy dit le Grand Maistre en raillant, que ce sera celle que nous cherchons. Le Vice-Roy, sans répondre a la raillerie de Don Gabriel, demenda au Major com­ment elle estoit faite. Mais il ne peut pas luy en faire un grand portrait parce qu'ils alloient fort vitte, & qu'il n'avoit pas eu le tems de la con­siderer. Neanmoins le coeur de Vi­ce-Roy [Page 135] tout allarmé, luy disoit, que c'estoit donna Angelica: & courant a l'appartement de cette belle; pour en savoir la verité, il trouva qu'an effet elle s'estoit éclypsée, & en fut aussi-tôt portet la nouveller a cét in­credule mari, esperant qu'il ne per­droit point de tems, pour faire cou­rir aprez elle. Le Seigneur Don Ga­briel en fut veritablement dabord un peu estonné; mais comme homme de bon sens, a l'exemple du Vice-Roy, il ne voulut point trop s'en affliger; & il luy dit, que sa femme n'estant pas ce qu'elle devoit estre, on ne luy pouvoit pas faire un plus grand plaisir, que de l'en avoir deffait: Si bien que le pauvre Vice-Roy affli­gé de tous costez, & cocu par dela, alla songer luy même a ce qu'il feroit de la sienne; mais il y avoit dans le monde tant de maris de sa façon que se consolant avec les autres, il se re­solut enfin de la garder, & je crois qu'il fit bien.

[Page]
Des Cocus le nombre est si grand,
Qu'il n'est rien de plus a la mode;
Dabord qui dit mari dit un homme commede,
Et rarement on s'y mesprend.

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