REPLIQVE AV SIEVR COEFFETEAV, SVR SA RESponce à l'Aduertissement du Roy aux Princes & Potentats de la Chrestienté.
ANCHORA SPEI.
A LONDRES, Chez Iean Norton, auec Priuilege du Roy. 1610.
AV LECTEVR.
I 'Auois esbauché ce discours (amy Lecteur) sur la premiere veuë de la Responce du sieur Coëffeteau au Roy, pour l'arrestor auec vne soudaine repartie, cependant que d'autres s'appresteroyent à le rembarrer plus viuement. Mais quelques affaires ayant dilayé mon dessein, ce fust à moy de le rompre; peur qu'on ne creut que i'estalasse ce crayon pour vne piece bien trauaillée, & qui m'auroit cousté vn long temps. Ioint que i'en vis d'autres ia sur les rangs pour faire teste au dit Coëffeteau auec plus de fond & plus de [Page] loisir que moy. Si ne m'atilesté possible de desrober cet essay à la curiosité de mes amis, qui en faisant courrir la coppie, m'ont contraint de lareuoir, puis que malgré moy elle auoit à voir le monde. Ie n'y ay rien adiousté non pas mesmes changé les places qui tesmoignent que i'auois escridu viuant de ce tresauguste Prince le Roy Treschrestien Henry quatriesme. Reçoy donc courtoisement ce liuret, amy Lecteur; excuse le language d'vn estranger, & la haste d'vn homme qui s'estoit donné à tasche de respondre tout sur le champ; & tu impetreras de moy que ie pardōne à la trop grande affection de ceux qui pour faire voler ce discours, m'ont mis à la necessité de te requerir pardon.
REPLIQVE AV SIEVR COEFFETEAV, SVR SA RESPONCE à l'Aduertissement du Roy aux Princes & Potentats de la Chrestienté.
MOnsieur Coëffeteau, ie pourrois à mon aduis pretendre autant de droit de repliquer en Anglois à vostre liure, comme vous de refuter en françois le language commun des doctes. Sa Maiesté a fait voler son liure en vn stile qui ne peut estre entendu par le vulgaire, [Page 2] ni ignoré, sinon par les ignorāts. Si vous auiez le coeur si braue, que de vous opposer à vn torrent tant impetueux, pour le moins le deuiez vous faire en sorte q̄ ceux qui voudroient iuger de l'vn peussent à l'esgal iuger de l'autre. Mais ie croy que vous auez esleu cestile, pour fauoriser la curiosité des Dames, & que vous vous estes pris à vn si noble aduersaire, pour auoir l'honneur d'estre terrassé par luy. C'est imiter la conuoitise de renom, qui fist autrefois brusler le temple de Diane, & se resioüir auec certains du pays de Sogdie, qui chantoient pour estre condamnez à la mort par Alexandre. Vous, respondre à vn Roy? Respondre à vn liure addressé aux Roys, à vn suiet si important & si royal? Ce n'estoit [Page 3] anciennement qu'aux Prestres de lire les liures de la Sybille, qu'aux Princes en Perse d'apprendre la Magie; & vous sans sortir de vostre cloistre, vous voulez entrer au parquet des plus grandes & plus serieuses affaires de l'vniuers, comme si la licence d'auiourd'huy permettoit tout à toutle monde. Encores eust ce esté trop entreprendre si vous eussiez respō du à quelqu'aultre escrit Royal fait pour vn chascun, & addressé au public: mais qui approuuera, qu'vn homme retiré des affaires s'entremette de repliquer à vn Roy pour tous les Roys, & se faire ouyr pour tous les Princes, comme s'ils n'auoient pas eux tous vne lāgue pour respondre? Le tiltre des liures vous condamne. Le Roy escrit aux Rois [Page 4] & Princes. Vous y respondez. Confessez que c'est sans propos, ou noꝰ monstrez vos seigneuries. Que si c'est en vertu du priuilege imprimé sur le front de vostre liure, que vous croyez auoir licence de tout faire, il me suffit de vous dire, que ceux qui vous ont donné ceste belle main leuée, auront autant de peine à l'excuser, que vous à iustifier vostre discours. Ie confesse qu'vn grand Roy, empeché au mani [...]ment de tant de choses, peut dire, quasi auec vn Capitaine Romain, qu'il ne peut tousiours ouyr les muses pour le bruit des affaires plus importants. Ie confesse, di-ie, que ce n'est pas à vn grand Prince de se dōner tousiours le loisir d'examiner les liures qui se presentent coup sur coup à la presse, par vne [Page 5] certaine maladie de ce siecle, qui persuade à vn chascun, que pour estre docte il ne faut que brouïller & emplir quelques cayers de la vanité de ses imaginations. Mais aussi que ces ministres ordonnez à censurer ou approuuer ce monde d'escriuains, se licencient de tant que de ne rapporter à la cognoissance de leur maistre les choses qui luy importēt, & passer sous mesme reigle ce qui touche quelque point de Philosophie, & ce qui vise à l'estat, ou à l'honneur de leur Prince, ce me semble chose plus desreiglée, & auec plus de danger, que tout le desbordement des liures sur lequel ils sont commis. Quel plus grand tort pouuoit on faire à la prudence du Roy Treschrestien, que nous recognoissons auec vous [Page 6] vn des plus iudicieux & auisez Princes de la terre, que de se seruir de son authorité, à faire voler vn liure, que luy-mesme eust estouffé en son berceau s'il eut esté aduerti de sa naissance. Y a-t'il apparence q̄ le Roy Treschrestien, qui n'auoit voulu permettre la traductiō françoise du liure de son trescher frere, ayt auoüé la responce françoise que vous y faites? Nous auons creu, qu'il ne vouloit pas q̄ le menu peuple s'amusast à discourir sur vne matiere si haute, & qui ne luy touschoit de rien: qu'à ceste cause il estoit bien aise que ce liure fust veu en Latin, mais non pas profané par toute sorte de langue. De mesme que les principaux mysteres des anciens ne se communiquoyent pas à tous, & qu'auiourd'huy [Page 7] encores vous dites vostre Seruice en Latin. Cestoit la plus honneste, comme aussi la plus vraye cause, que nous pouuions alleguer sur ceste prohibition de sa Maiesté Treschrestienne, laquelle autremēt eut peu sembler n'auoir pas eu tous les esgars à la Maiesté d'vn bien grand Roy, & encor meilleur amy. Permettez nous de continuer à bien iuger de vostre Roy, & d'imputer la faute de ceste inconsideré priuilege à ceux qui vous l'ont donné, ou si la charité vous commende de tant prenez en le fardeau sur vous mesme. Non que ie croye, que ces grands hommes, ces hauts & supremes magistrats de la France ayent part à ceste faute. La chose parle pour eux, & en charge quelques petits finets, qui pour le gain des [Page 8] imprimeurs ne manquent iamais de semblables permissions. Que si vous alleguez ce respect auec lequel vous auez traitté le Roy, si vous nous voulez faire croire, qu'il vous est encor tenu, pour luy auoir remonstré hūblement ce que vous trouuiez à redire en ses escrits, sachez que vous en deuez auoir perdu le grammerci par l'impression de vostre liure, que monstre assez, que ce n'est pas pour le bien particulier de sa Maiesté, mais pour vostre gloire qu'il est escrit, & que vous ne desirez pas le conseiller, mais le combattre. Mais pour imiter ce grand Marius, qui fust le premier à contredire à ceux qui allegoyent certaines causes pour ne porter tesmoignage contre luy: ie passeray ce point de vostre incapacité [Page 9] à refuter vn si grand Roy. Voyons pour le moins auec quelle dexterité vous le faites. Peut estre que le lustre & l'esclat de vos raisons suffira pour dissiper l'obscurité de leur autheur. Il faut que ie tranche tout court, & pour vous traitter courtoisement, que ie vous appelle vn grand parleur, vn discoureur sans fondement & sans raison. Qui pourroit croire, qu'en vne silōgue replique, en vne telle suitte de parolles & de citations, vous ayez à peine touché le neud de l'affaire qui a donné suiet au Roy d'enuoier son aduertissement aux Princes? N'est ce pas faire enfanter vne souris à quelque grande montaigne, de bastir ce frontispice à vostre liure, Responce à l'Aduertissemēt, &c. & puis vous amuser à des choses [Page 10] qui ne sont pas du corps de l'Aduertissement; sans faire mention du cōbat pour lequel vous auiez fait si solennellement vostre cartel? Ce liure mesme que vous auez pris à censurer, vous monstre bien que vous vous estez mespris. Il vous asseure que le commencement de la dispute est venu pour vn serment de fidelité que sa Maiesté vouloit luy estre presté par les Catholiques Romains de ses Royaulmes. La substance du serment est, de iurer qu'ils ne croyent pas qu'il soit en la puissance du Pape, soit directement soit indirectement, de deposer sa Maiesté de ses Royaulmes, & absouldre ses suiets du serment de fideliteé, qu'ils luy ont presté à son auenement à la Couronne. C'est en effect toute la force [Page 11] de ce serment. Le Pape marry de voir en peril, nō vn point de la religiō, ou l'authorité de l'Eglise, mais ceste superbe & funeste dominatiō temporelle, que quelques vns de ses deuanciers ont vsurpé sur les Princes, sans toutesfois l'oser mettre entre les articles de la foy, ny la baptizer de plus droit nom, que de puissance indirecte, marry di-ie de voir casser par ses propres Catholiques ceste immense & infinie pretēsion, despeche vn brief par deçà, & incontinent apres vn autre, par lesquels il defend à ceux qui le recognoissent pour chef de la Religion, d'obeyr à la loy, & se resouldre à ce serment. L'Archiprestre d'Angleterre, homme venerable entre les siens, tant pour ses meurs que pour sa doctrine & sa place, [Page 12] fust d'aduis, qu'il ne s'agissoit que du temporel, que le Pape ne pouuoit dispenser les Catholiques de ce iuste serment que leur Prince leur presentoit. Luy mesme s'y obligea de son bon gré, & y inuita les autres par vn exemple tant signalé. La Maiesté du Cardinal Bellarmin (il m'auouëra de ce tiltre, puis qu'il metles Cardinaux dessus les moindres Princes, pour les faire compagnons des plus grands Roys) en escriuit vne longue missiue à cest Archiprestre, pour le faire reuolter de sa resolution. Et sans faute beaucoup de Catholiques, des plus simples, & qui ne sçauent distinguer entre le Pape & la Religion, se retrouuoyent en de grandes difficultez entre le cōmandement du Roy & l'authorité de ces deux briefs, [Page 13] fortifiez de la preiugé erudition de Bellarmin. Ce fust cela qui mit la plume en la main de sa Maiesté, & luy fit trasser vne Apologie pour le serment de feaulté, en laquelle il faisoit foy de l'intention du legislateur, qui n'ent endoit par ce sermēt de toucher à aucun point de la religion; adioustant que le Pape n'estoit point receuable en ses prohibitions, puis qu'il n'estoit question que d'vne chose temporelle, & qui sans esbranler l'Eglise ne visoit qu'à l'asseurement de l'Estat.
Ceste Apologie, pour plusieurs bonnes raisons, fust mise à la veuë du monde, sans estre parée de l'auguste nom de son autheur; & Bellarmin la prit à partie, auecque des parolles tant outrageuses, que sa Maiesté iugea que pour cōfondre [Page 14] ce nouueau geant, il n'y auoit meilleur moyen, que de publier son audace, & en faire rire tout l'vniuers. Et pource que la cause luy estoit cōmune auec tous les Rois & Princes, qui n'ōt moins d'interest q̄ luy à conseruer leurs couronnes, & affranchir leur domination temporelle de cest esclauage Romain, il vouloit que son Apologie fust remise soubs la presse authorisée de son nom, y adioustant vn aduertissement aux Princes, qui contenoit principallement deux points. L'vn, pour les asseurer que ceste nouuelle question entre luy & le Pape, n'estoit pas meuë sur aucun different de la religion, mais seulement pour la deffense de l'authorité des Roys, contre la pretension des Papes, qui croyent pouuoir tout & [Page 15] quante fois qu'ils le trouueront bon, donner en proye les Royaulmes, & en disposer à leur plaisir. L'autre, pour faire veoir à tous les Princes de combien ceste affaire leur importe, qu'il n'y va pas de son particulier, & que chascun pourra sentir à son tour quelque esclat de ce grand foudre, si tous ensemble n'en dissipent la nuëe. C'estoit le vray fondemēt & l'vnique suiet de l'aduertissement que sa Maiesté addressoit à tous ses freres & alliez. Mais pource que Bellarmin en son outrageuse responce n'auoit pas rougi de l'accomparer à l'Apostat Iulian, & en vn autre passage luy auoit desniè le nom de Chrestien, le Roy qui mōstre assez son zele en se faschant de ceste iniure, voulut publier au monde sa creance, & en [Page 16] faire vne bien ample profession. Aussi se voulut il esguayer sur l'interpretation de l'Apocalypse, non comme sur vn suiet principal ou decisiō resoluë en sa creance, mais pour contrequarrer ceste trop dissoluë ambition de Rome, & faire veoir qu'il seroit plus aisé de prouuer par l'Escriture que le Pape soit l'Antechrist, que d'en tirer des argumens pour establir ceste absoluë monarchie qu'il pretend sur tous les Princes.
Voila en peu de mots le sommaire de l'Aduertissement Royal, voyons maintenant de quel biais vous le prenez pour le combatre. Deuiez vous pas attacquer la principale question, & qui a causé tout le debat? sçauoir, si le Pape, soit directement soit indirectement, [Page 17] peut desplacer les Princes & Rois, & en esleuer d'autres en leurs sieges. Deuiez vous pas nous resoudre de vostre opinion, & puis refuter celle du Roy? Au contraire vous auez fuy la lice, & recognoissant que vous ne sçauriez toucher ce brasier sans vous brusler, l'auez couuert de quelques eschappatoires toutes friuoles, desquelles la principalle a esté de balancer entre l'ouy & le non, & pour interpreter vos paroles selon les lieux où vous vous retrouuerez parler tousiours à deux ententes. I out le fil de vostre liure ne court que sur la profession que le Roy fait de sa creance, afin que les Catholiques pensans que ce soit le but du Roy de renuerser la religion par ses escrits, se rangent à vostre partie, & croyans [Page 18] abbandōner le Roy, trahissent eux mesmes leur liberté? N'est-ce pas vne mauuaise ruse, de tirer les choses d'Estat en la dispute de la Religion, & en faueur de l'vn faire iniustement passer cōdamnation sur l'autre? Ce fust la finesse d'Eumenes à abuser ses soldats, lesquels il fit combattre à l'encontre de Craterus, & le tuer luy mesme sur la place auant qu'ils sceussent quelles gens ils auoient à affronter. Et vous dissimulant la vraye cause de la querelle, animez les coeurs sous ombre de la Religion contre le defenseur du biē public. En vn mot, vous voꝰ trompez si vous croyez auoir respondu au Roy. Vous impugnez vne ꝓfession de foy receuë en effect par la plus part de ceux qui se sont retirez en ce dernier siecle de l'obeissāce [Page 19] de Rome; & qui a esté disputée par les plus grāds esprits de toutes les deux religions. Ainsi n'auez vous rien fait de nouueau, faisant vne collection ou reditte des arguments & des passages qui ont esté reiterez depuis cēt ans par vne multitude presque infinie de grans autheurs, & si n'est pas au Roy que vous vous prenez, mais à Luther & à Caluin, & autres subtils esprits qui ont remué l'estat de la religion. A quel propos dōc ce braue tiltre, Responce à l'Aduertissement du Roy de la grande Bretaigne? Vous deuiez mettre, Examen des points mis en controuerse par Messieurs les Protestants. Maintenant la vanité de ce tiltre vous rend coulpable d'vn attentat, duquel en cōscience vous n'estes pas moins exempt que ces [Page 20] trois cents dont vn chascun se vantoit d'auoir tué le viel Galba.
Vous excuserez vous point sur ce qu'vn homme de vostre qualité ne doit sortir de ses estudes, & que vostre dessein n'estoit que d'escrimer de vostre Theologie? S'il est ainsi, que n'en aduertissiez vous vostre lecteur? Pourquoy faites vous semblant d'esbransler vn bien grand arbre, & ne vous employez qu'à effeuller quelques rameaux? Non que ie nie que les affaires de la Religion ne soyent plus excellentes, & d'vn importance tout autre que ce qui concerne l'Estat le confesse, que rien ne doit marcher du pair auec le soin de nostre salut, & qu'on se trompe si on y pense arriuer par aultre voye que par l'vnique verité. Qu'il n'y a di-je qu'vne [Page 21] verité, & qu'à recercher où elle gist on ne peut vser de trop exacte diligence. Mais aussi me mocque ie de ceux qui à tout propos nous en ammenent la dispute, & croient payer suffisamment leur partie s'ils s'eslargissent en ce suiet: comme ce premier Caton, qui sur toutes les affaires qui se digeroyēt au Senat, disoit son opinion sur le saccagemēt de Carthage. Puis donques qu'il s'agissoit d'vne matiere d'Estat, concernāt voirement le Pape, mais non pas en matiere de la'foy, pourquoy vous estes vous amusé à disputer de la foy, ou que ne protestiez vous q̄ ce n'estoit pas le corps du liure du Roy que vous preniez à party, mais bien sa religion?
Vous croyez que la iuste douleur d'auoir veu quelques Catholiques conspirer [Page 22] contre sa vie & contre son Estat, luy fait auoir leur religion en horreur, se figurant qu'elle les a induits à vne entreprise si detestable. C'est à ton que vous vous laissez porter à ces sinistres soupçons. Ce cruel parricide duquel vous faites mention, donne autant de lustre à la bonté de nostre Roy, cōme vous croyez qu'elle l'offusque par le broullas d'vne longue & vengeresse seuerité. Quel tesmoignage plus signalé d'vne clemence Royalle, qu'apres s'estre veu à sept ou huict heures pres de sa fin, voir de la fin de sa race & de sō Estat, & ce par l'abominable trahison de quelques vns de ses suiets, qui ont soustenu iusques à la mort, qu'autre chose ne les auoit resolu à vn attentat si estrange & barbare, q̄ le bien de leur Eglise, [Page 23] de ne s'en estre ressenti que sur les coulpables, sans estendre la seuerité d'vniuste soupçon sur les autres, qui pour aimer autant la mesme Eglise sēbloiēt capables de mesmes deliberations? Mais il n'y a point d'amertume qui puisse aigrir la douceur d'vn si bon Roy. Ce luy fust assez que les Catholiques luy iurassent vne entiere obeissance, sans endommager leur creance, ou promettre aultre chose contre le Pape, sinon de ne croire pas qu'il puisse oster la Couronne à leur droit & legitime Seigneur. Trouuez vous que ce soit auoir en horreur leur religion, & espendre sur les innocens vne haine conceuë contre le crime des parricides? fust ce imiter la rigueur de Macedoine où toute la race d'vn criminel de [Page 24] leze Maiesté deuoit perir, ou la douceur de ce grand Prince, qui aimoit mieux sauuer vn citoyen, que tuer dix ennemis? Et quant à ce que vous amplifiez la douceur de l'Eglise Catholique, ses prieres pour les Princes, & ses souhaits pour la seureté de leurs Estats, il faut que ie vous demande ce que vous entendez par l'Eglise. Si c'est des Papes q̄ vous parlez, ausquels consiste le maniement & souueraineté d'icelle, il faut vous renuoyer à quelques Papes, qui vous diront que vous promettez trop de leur bonté, & de leur amour enuers les Roys. Henry IIII. Empereur a bien sçeu, si Gregoire VII. luy souhaittoit des armées victorieuses, vn peuple obeissant, vn conseil fidelle, & tout ce qu'on peut souhaitter [Page 25] d'heureux à la grandeur d'vn Empereur. C'est auec horreur que ie vois dans les histoires les sanglantes & furieuses batailles qui penserēt renuerser toute l'Europe sous ce Henry, sous vn Othon, vn Frederic, & autres Empereurs trauaillez par l [...]s censures des Papes; & si vostre païs vous touche de plus pres, quel tour d'amy de Boniface VIII, au Roy Philippe le Bel? de Iules II, à Loys XII, & de celuy mesme Iules à lehan d'Albret Roy de Nauarre? Si vous estes bon Frā çois vous larmoyez à la souuenance, voir à la veuë de ceste playe qui saigne encor. Et pour venir à l'Angleterre, sçauez vous pas auec quelle modestie & affection fust traitté Henry 8. pere de nos trois derniers Souuerains? Dōnez nous [Page 26] donc quelque patente signée du S. Esprit, que le conclaue ne mettra plus sur le siege de S. Pierre, de ces Gregoires, Bonifaces, Iules, Clemens, & autres qui se sont portez à pareilles violences, & puis nous croirons quelque chose de ceste asseurance que vous donnez à tous les Roys. Que si vous alleguezle demerite de ceux que l'Eglise a chastié, ie vous prieray d'attendre la responce, tant que l'ordre de vostre discours m'aura conduit à ce point là.
Mais quant à ce que vous dites, que le Pape ne pourra iamais trouuer mauuaises les voyes que sa Maiesté tiendra pour asseurer son authorité & sa personne contre de si miserables desseins, moyenant qu'elles n'offencēt point la religion, ie croy que vostre encre [Page 27] estoit en perfection noire, puis qu'elle n'a pas rougi d'asseurer ce dont le contraire est autant vray comme cogneu par tout le mōde. A quel propos tous ces briefs, tous ces monitoires de Rome, pour empecher le serment de fidelité, si le Pape ne se veut formalizer que pour la religion? Quel point de la religion se traitoit en ce serment, sinon de ceste religion naturelle qui nous oblige à seruir fidelement nos Princes? Et toutefois si le Pape n'eut trouué mauuaise ceste treslegitime voye que sa Maiesté tenoit pour asseurer son authorité & sa personne, le debat ne se fut enflammé si auant, peut estre au dommage de Rome, & si n'eussiez eu la peine de produire vos lieux communs sur les points [Page 28] trouerses de la foy. Voyez commēt on demeure en des termes bien raisonnables sans que les parties soyent d'accord. Si vous n'estimez que le Roy soit hors de raison de vouloir faire recognoistre sa puissance tēporelle independāte d'autre que de Dieu; ou que le Pape en soit d'accord, qui s'y oppose auec vne si violāte passiō. Pource qu'adioustez du Pape Clement VIII, c'est merueille cōment ses pensées vous peuuent auoir esté reuelées, car d'elles seulles pouuez vous auoir tiré ceste science qu'il ayt desiré l'establissement de sa Maiesté en Angleterre, tous autres indices & coniectures ne pouuans seruir qu'à vous prouuer le contraire. Le Roy n'estoit pas de sa religion; il faisoit publique profession [Page 29] d'vne autre, & cependant il commāde par Bulles expresses aux Catholiques de s'esuertuer à faire tō ber la Couronne entre les mains de quelqu'vn zelé pour la religion Romaine, adioustant qu'on n'eust esgard à la proximité de sang, ni au droit hereditaire des descendants du Roy Henry septiesme, duquel sa Maiesté tient auiourd'huy & le droit & la Couronne. Estoit-ce frayer le chemin au Roy d'Escosse pour venir à l'heritage de ses ayculx, ou luy preparer des ennemis auant la main, & enuenimer les courages sur le point d'vn tel changement, où la moindre dissention est perilleuse, & quasi toutes les playes données, à l'Estat hors d'espoir de guerison? Ie passe ici ceste excuse que vous faittes pour les [Page 30] Papes, que vous asseurez ne pretendre rien sur la temporalité des Roys, & ceste asseurance que les Princes Catholiques, à ce que vous dites ont pris de ne se voir iamais molester, & en peril de leurs estats, parles pretentions de Rome. Vous nous rammenerez plus à propos à ceste mesme dispute, quant vous aurez employé quelques pages à la louange des Cardinaux; où vous entrez par vn sinistre commencement, & comme par ceste porte que les anciens Romains surnommoient la malheureuse. Carpour plaider pour le general des Cardinaux vous parlez premieremēt de Bellarmin, lequel vous faictes venir en ieu par vne defense generalle de ceux qui se sont portez violemment en leurs escrits contre le [Page 31] Roy. Vous dites, s'ils ont ignoré qu'il eust fait luy mesme ceste Apologie qu'ils ont attaquée, qu'ils sont exempts de crime, & que sile zele les a transportez, ils meritent quelque pardon. Mais pour estre bon aduocat de celuy qui a voulu tacher par sa mesdisance le souuerain & celeste lustre d'vn Roy, il ne falloit q̄ se mocquer de la temerité du coulpable, & tourner la collere du Prince en mespris de sa petitesse, & compassion de sa folie. C'est à tort que vous croyez que sa Maiesté se soit fort piquée de l'audace de ces temeraires: ce luy est assez d'auoir monstré à tous les Princes l'insolence de ceux qui sous ombre de s'attaquer à vn Roy veulēt sapper la puissance de tous les autres. De dire qu'elle s'en soit d'auantage [Page 32] passionée ou qu'elle en ait recerché la vengeance, ce seroit trop honnorer leur crime, & rabaisser de la magnanimité d'vn Roy qui ne se prend qu'à ses semblables. Vous estes marry que Bellarmin a part à cette disgrace; comme s'il auoit (ce dites vous) voulu esgaler son pourpre de Cardinal à la splendeur de vostre Couronne. La modestie d'vn si grand personnage, la cognoissance qu'il a de son rang, & les bonnes lettres qui polissent les esprits semblent deuoir faire iuger plus doucement deses intentions. Si vne ambitieuse demangéson de monstrer vos conceptions au mōde vous eut donné le loisir d'attendre la replique de Bellarmin sur le liure de sa Maiesté, vous eussiez rayé ce trait de vos escrits qui vous accuse d'ignorance de la presomption [Page 33] des Cardinaux, ou de mauuaise foy à desguiser la verité. Ne vous mettez plus en peine à dresser vne defence pour Bellarmin, qui cōme en despit de ses aduocats, se veut accuser soy-mesme. Vous aurez vn maigre grammercy de Rome, de vouloir nier ce qu'ils auouënt, & pour pallier leur vanité renoncer à leurs pretensions. Ie passeray plus oultre, pour vous dire, que si vous estes bon François, & digne que vostre naissance ce soit rencontré sous la meilleur & plus excellente forme de gouuernement qui soit au monde, c'est à dire, sous vne florissante Monarchie, vous aurez en abomination la superbe de ceux qui veulent esgaler leur pourpre de Cardinal à la splendeur d'vne Couronne; chose, qui eut fourni [Page 34] de plꝰ propre & plus digne subiet à vostre plume, que celuy-cy q̄ vous auez bien legerement esleu. C'est à Bellarmin à qui vous auez à faire, c'est à luy à qui vous deuez prouuer qu'il a autre intētion que celle qu'il nous tesmoigne par ses escrits. Vous n'estes pas encores à voir ceste replique qu'il a publié contre l'Aduertissement du Roy; ny à vous fascher de voir ce masque que vous auiez taillé à propos pour cacher sa vanité foullé au pied par de nouuelles parolles d'vne estrange presomption. Vous voyez que le Roy a esté plus heureux en ses coniectures que vous. C'est à l'Empereur & autres Princes Chrestiens que Bellarmin addresse sa replique, pour ne se monstre en aucune chose moindre que [Page 35] sa Maiesté, qui leur auoit dedié son Aduertissement. Ce n'est plus à demi ny en cachette, mais tout à descouuert qu'il veut establir son throne en pareil estage que celuy des plus grands Roys; & pour monstrer que ce n'est pas en passāt qu'il touche ceste corde de la grandeur des Cardinaux, & que ce qu'il en dit ne luy est pas eschappé parmi l'embrassement de quelque aultre dispute, il en discourt tout le long de son quatriesme Chapitre, qu'il intitule, De la comparaison des Roys & des Cardinaux, tiltre suffisàt pour faire deschirer le liure entre des impatientes mains, & en rendre abominable la conception à tous les bons & iudicieux esprits. Là ne se contentant de la puissance spirituelle, en vertu de laquelle il prefere [Page 36] simplement les moindres Diacres aux plus grans & puissans Princes, il vient encores à debattre contre les Roys le premier lieu de la grandeur & Maiesté temporelle. Il dit que les Cardinaux ont eu de tout temps l'honneur d'estre contez entre les plus signalez ministres de l'Eglise Catholique, Electeurs des Papes, Conseillers de leur estat, & comme leurs collateraux à la decision de leurs affaires. Que ceste grandeur de laquelle ils iouissent aupres des Papes, les a rendu venerables à la Chrestienté: & que tous les aultres Princes leur cedant le premier lieu, ils sont demeurez cō paignons des Rois, non par la conniuence d'iceux Roys, & la reuerence de laquelle leur pieté a tousiours honoré l'Eglise, mais par le [Page 37] droit & la maiesté de leurs offices. Encores ne luy est-ce pas assez de marcher du pair auec les Roys. L'ambition n'a point de bout, & passant toutes les grandeurs du monde, en fin se perd dedans l'infini de ses imaginations. Vous auez raison de dire, que Bellarmin n'a pas voulu esgaler son pourpre de Cardinal à la splendeur d'vne Couronne royalle: il veut tirer oultre, & laisser les Roys à dos. I'aurois honte de l'accuser d'vn si estrange fait, si ie n'auois pour garant ses propres termes qu'il n'a pas eu honte de coucher en ceste sorte. Si donc tous les Euesques sont plus grands que les Roys, à plus forte raison les Euesques Cardinaux seront plus grands que les Roys. Ce que ne se peut entendre que de la temporalité, veu le fil de [Page 38] son discours, & qu'icy il ne fait mē tion que des Euesques, là où traittant de la spiritualité il met les Prestres & les Diacres deuāt les Roys. Quelles excuses trouuerez vous à vne si insolente presomption, ou plustost quelles larmes espandres vous de voir la honte de ces Noës si descouuerte, q̄ la robbe de leurs enfans ne leur sert plus à la cacher? Ostez donc ceste clause de vos papiers, que le rang que les Cardinaux tiennent, la qualité dont le chef de l'Eglise les a honorez, & les seruices qu'ils font à la Chrestienté, les ont rendus venerables aux Roys & aux Princes: auec lesquels tant s'en faut qu'ils veuillent marcher dupair, que les Princes ne trouuent point de plus respectueux suiets que ces grands hommes: ou bien faites quelque distinction entre les [Page 39] Cardinaux qui viuent en France & ceux là qui sont à Rome, & nous confessez que les vns flattent le Pape du tiltre de souuerain Monarque, contre la verité de la foy, & les autres se soubmettent aux Princes & Roys, contre l'aduis & la doctrine de tout le corps des Cardinaux.
Vous faittes suiure les Iesuites, comme ceux qui à la verité talonnent de plus pres la grandeur des Cardinaux, dedaignans de se soubmettre aux Euesques, & fuyans la solemnité des processions, pour n'y pouuoir gaigner encor le premier rang, & non plus que des Cesars se contenter du second. Ie ne veux pas que vous croyez que la passion m'emporte. Ce me sera assez de dire, qu'ils n'ont iamais voulu [Page 40] fleschir aux iustes demandes du Roy, ny addoucir les soupçons qui les rendēt odieux à tout l'Estat. Vn ancien disoit, qu'il ne falloit hanter qu'vn Spartiate pour cognoistre toute leur ville. Les Iesuites sont tous frappez en mesme coin, de ne desdire iamais le Pape. Leur aueuglée obeissance les empesche de recognoistre si c'est cōme Euesque Romain, ou homme passioné qu'il dresse ses commendemens. Aussi n'en auons nous veu pas vn qui se soit laissé persuader l'equité de nostre serment de feaulté, pas vn, disie, entre tant de Prestres & aultres zelez en la religiō Romaine, qui s'y sont volontairement portez. Vous n'estes pas bienheureux en Cliens, defendāt tousiours ceux là qui font gloire de ce que vous estimez digne [Page 41] d'excuse. Le Roy ne se peut asseurer des Iesuites, qu'entant qu'il s'asseurera du Pape; ny se desfier du Pape que par le ministere des Iesuites. Ce qui n'est pas particulier à nostre Maistre. Tous les Roys en sont de mesme. L'Estat de Venise est Catholique. Les Iesuites y fleurissoyent, & cependant vn leger interdit du Pape les rendit ingrats à leurs bienfacteurs, & incapables de leurs bienfaits. Ie l'apelle vn leger interdit, puis qu'il ne concernoit que le temporel, au dire des plus affectionnez Catholiques, qui voyans l'accord du Pape, ayment mieux croire qu'il ne s'y agissoit que de l'Estat, que de confesser qu'il ayt, tant soit peu, desmordu de sa spiritualité. Il en sera par tout de mesme. Leur amitie se [Page 42] tournera au vent de Rome, à peine d'vn second Ostracisme, & d'vne playe dereschef aussi feconde que celles du serpent de Lerne.
En fin vous faites venir le Pape derrier l'escadron de sa garde de Iesuites. Ilest, dites vous, necessaire, que S.M. soit mieux informée des qualitez du Pape, pour n'auoir plus en horreur sapuissance. Elle la croyt tyrannique, par ce qu'elle pense qu'elle s'estend sur le temporel des Roys, & qu'elle s'en attribue la disposition absolue. Vous entrez en vne belle carriere & biē propre au combat, si vous eussiez eu le coeur d'attaquer vos ennemis. Mais vous y faites du neutre, & comme ceux que conduisoit Metius, vous vousretirez des coups tant que la fortune ayt decidé de la bataille, & monstré le plus asseuré parti. Voici [Page 43] le neud de l'affaire, le fondement de la querelle, & en vn mot tout l'Aduertissement du Roy. Vous vous y portez en sorte qu'on ne sçauroit deuiner vostre opinion, & que ie suis contraint de vous demander en conscience à quel parti vous vous rangez. Icy vous dites, que les Papes ne pretendent rien sur la temporalité des Princes; qu'ils n'ont pas lapuissance de disposer à leur plaisir des biens & de Couronnes des Princes, & beaucoup d'autres beaux mots sur ceste protestation. D'autre part, vous asseurez, que si les Princes se departent de leur deuoir, & qu'au lieu de deffēdre la foy ils la veuillent ruiner, c'est au Pape à redresser les errans, & d'y apporter ses iustes Censures, afin de destourner le malheur qui menace la religiō. Vous vous deuiez [Page 44] ouurir dauantage, & nous faire sçauoir quelle puissance tēporelle vous deniez au Pape, & aussi de quelles censures vous parlez. Il est question, sile Pape peut, en vertu de ses censures, soit directemēt soit indirectement, deposer vn Prince souuerain, & le priuer de ses Estats. Ne deguisons plus l'affaire; en vn mot qu'en croyez vous? Si vous dites que non; que la sentence d'excommunication ne porte coup que sur les ames; q̄ les Princes demeurent Princes, & ne perdent pas les royaulmes pour sortir de l'Eglise, qu'ils n'ont pas acquis pour y entrer; sidi-je vous estes de cest aduis, que ne le dites vous asseurement, & pourquoy combattez vous vn liure conforme à vostre opinion? Au moins que ne dōnez vous ce point [Page 45] gaigné au Roy, sans l'embrouiller par l'ambiguité de vos parolles? que ne donniez vous ce contentement à tant de Catholiques (qui gemissent de voir les Papes qu'ils tiennent pour chefs legitimes de la religion, s'emparer d'vne tyrānie sur l'Estat) de se resiouïr de la liberté de vos escrits, liberté plus Ecclesiastique q̄ tous les priuileges dont l'ordre Sacerdotal se voit doüé. Mais si vous estes de l'opinion cō traire, si vous n'attendez que quelque temps & occasion plus seure pour vous declarer Papiste, pardō nez moy si ie vous dis, qu'autant de parolles qu'auez escrit de la souueraine puissance des Princes, autant de mots qu'employez à les asseurer que iamais Rome ne leur nuira, sont autant de pieges q̄ vous [Page 46] leur dressez, autant d'amorces dōt vous couurez le hamesson, qui les peut vn iour liurer à la cholere ou inimitié des Papes. Ie ne vous menaceray pas de la fureur du magistrat, ni de l'exēple du Theologien, qui se vit tout droit mener des escholes en la prison, pour auoir soustenu cette puissāce indirecte. Aussi n'est-ce pas vne reigle infallible de la verité, de suiure ce qui se croit ou ne se croit pas par ceux qui maniēt l'Estat, à qui souuent le moment de cette vie semble plus cher que l'immortalité de l'autre. I'aime mieux vous faire trembler sous la force de la verité, que vostre iugemēt & vos lettres ne vous permettent pas de mescognoistre.
Vous dites que les Papes ont recogneu les Roys & Empereurs [Page 47] pour Souuerains en leurs Estats. Qu'ainsi l'asseure le Pape Nicolas à l'Empereur Michel, le Pape Innocent au Roy Philippe le Bel, & que telle est la cōmune creance de l'Eglise. Puis que les Papes ꝗ ont rendu tesmoignage de cette authorité des Princes, estoyent infallibles en la verité de leurs decrets, comment pourrez vous defendre les autres qui se sont voulus mesler de la temporalité, & renuerser tout le monde pour fonder leur seigneurie sur ses ruines? Comment ferez vous vn mesme esprit parler par la bouche du grand S. Gregoire, qui se confesse seruiteur de l'Empereur, & suiet à ses commandemens, iusques à faire proclamer vne loy inique pource que son Prince le vouloit ainsi; & par la bouche d'vn Pie & [Page 48] d'vn Sixte, tous deux V. du nom, qui en leurs Bulles contre nostre feu Reine & le Roy Treschrestien dernier mort, auouënt en termes exprés, qu'ils ont vne souueraine puissance sur tous les Princes, peuples, & nations; puissance non deriuée des hōmes, ny fondée au consentement de leurs suiets, mais donnée du ciel aux Papes, & contre qui nulle puissance de la terre ne sçauroit pretēdre exceptiō. Qu'en vertu de cette souueraineté (peur q̄ ne les excusiez sur entente de la spiritualité) l'vn deposoit la Reine du throsne de ses ancestres, auec commandement de la poursuiure comme ennemie du public; l'autre prescriuoit vn temps au Roy dedans le quel il rendroit conte à Rome du meurtre cōmis en la personne d'vn [Page 49] Cardinal; & ce sous non moindre menace, que du grand fouldre, par lequel ils croyent effacer le caractere de la Maiesté royalle. C'est bien artiere du respect que le grand Gregoire portoit au Prince qu'il auouë pour son maistre; c'est bien contre l'opinion de ces Chrestiens qui disent par la bouche de Tertullien, qu'ils recognoissēt qu'il n'y a qu'vn Dieu qui ayt puissance fur les Empereurs, apres lequel ils sont les premiers deuant tous les dieux & sur tous les hommes. C'est en fin contre la doctrine des Peres, dont les vns prennent ce passage de Dauid, I'ay peché à toy seul, pour prouuer que les Roys ne pechent qu'à Dieu, & ne sont contables qu'à luy; les autres confessent que si le Roy ne veut entendre à la [Page 50] raison, nul autre n'a pouuoir de le iuger que celuy là qui a dit qu'il estoit la mesme iustice. Ce seroit chose infinie de recueillir toutes les authorités des Peres sur l'absolu & illimité pouuoir des Roys, & chose impossible d'en trouuer vn qui se soit esgaré de la commune opiniō; ce qui est d'autāt plus merueilleux & auguste pour les Roys, que nous voyons ces grands esprits ce partir ordinairement en contraires auis sur les disputes qui ne concernent pas la foy. Tous ces piliers neantmoins qui s'employent à [...]sseurer la Monarchie, n'ont peu o [...]ter l'esperance à quelques temeraires de renuerser sa hautesse, & l'atterer aux pieds de Rome. Ie parle de ces escriuains, pour la pluspart hōmes d'Eglise, & ou obligez de bienfaits [Page 51] aux Papes, ou desireux de s'y veoir vn iour obligez, qui sans respecter la venerable antiquité, tesmoin fidelle de l'authorité des Roys, voir sans auoir esgard à tant de Papes, qui ont recognus par leurs decrets, que leur puissance estoit bornée, & ne s'estendoit pas sur la tēporalité des Princes, n'ont point eu de hōte de maintenir que posseder les clefs du ciel emporte la souueraineté de la terre; & que l'vn & l'autre ayant esté donné à S. Pierre, ses successeurs s'en trouuent encor saisis; Que le Pape est absolu Prince du monde; que ny le Christianisme des Roys fidels, ny l'infidelité des mescreans ne sçauroit exempter personne de cette puissance generale que les successeurs de S. Pierre tiennent de Dieu. [Page 52] Et que pour cette cause le Pape peut changer les Couronnes, remuer les Estats, deposer les Princes, autant de fois qu'il luy plaira; tellemēt, dit l'vn de ces discoureurs, qu'il a peu donner les Indes de l'Orient au Roy de Portugal, celles de l'Occident au Roy de Castille, sans que personne eut cognoissance deses motifs sur ce suiet. Cette sotte & damnable opiniō n'a pas eu cours seulement aux siecles defer, lors que les bonnes lettres estant perdues, vne ignorance comme fatale hebetoit tout l'vniuers; mais ce qui est plus estrange, ce voit continué auiourd'huy par la successiō des Canonistes, premiers autheurs d'vne si grande & importune flatterie. Les impressions de Rome nous fournissent chasque année suiet de souspirs & d'indignatiō [Page 53] sur cette dispute, qui ne peut tromper que les simples & ignorans, ny faire rire que les Democrites, qui font vn ieu du malheur & de la rage des humains. Ie serois trop long à toucher en particulier vn Bozius, vn Martha, & semblables noms, indignes de paruenir iusques à la memoire de nos enfans, qui ont employéleur miserable papier en vn si vain & si desastré suiet. Encores n'est-ce pas cela qui scandalise ou fasche le plus les gens de bien. L'estonnement principal est de voir ces escrits auoüés à Rome, dediés aux Papes, demander & impetrer pour leurs maistres le guerdon de leur desbordée & impudente flatterie. N'est-ce pas vne trop grande preuue, que le Pape est protecteur de cette temerité, & cō plice [Page 54] d'vn tāt seditieuse voix? Nous le voyons formalizer pour tant soit peu qu'on aura defrogé à son spirituel, & n'y a Prince Catholique qui ose authoriser les escrits qui combattent sa puissance Ecclesiastique, cependant qu'il est luy-mesme en paisible possession de maintenir les ennemis des Roys, qui veulent renuerser par leurs sophismes ce sacrosaint droit qui esleue les Princes, & leur dōne souueraine authorité dessus leurs peuples. Et neantmoins il ne peut estre que le Pape laisse sans punition l'insolence de ces temeraires, sans en approuuer le dessein; c'est à dire, sans tenir les Princes pour ses vassaux, & leurs seigneuries pour ses prouinces, comme si tous les sceptres & les Couronnes estoyent tenues de Rome, & non [Page 55] de celuy qui tesmoigne q̄ les Roys reignent par luy. Pleut à Dieu que tant les Papes comme les Princes entendissent à la consequence de cecy. Les vns voiroyent qu'ils ne peuuent maintenir cette pretension sans debattre à chasque Prince le droit qu'il a en ses Estats; & les autres, qu'ils ne sçauroyent en conscience souffrir cela, ny s'en taire, sans trahir la liberté de leurs Courōnes, & que si le Pontif Romain ne se deporte de ce droit imaginair, il peut estre poursuiuy à oultrance comme ennemi de tous les Estats du monde, sans que ceux qui se bā deront contre luy violent en rien le respect qu'ils luy porteront s'il leur plait entant que Pape.
Les meilleurs esprits de ceux qui se sont vouëz à Rome, pour establir [Page 56] la temporalité des Papes, ont recogneu les inconueniens qui resultoient de cette opinion, & s'en sont retirez plus par semblant q̄par effect. Ils protestent donc qu'ils ne tiennent pas le Pape pour Seigneur de tout le monde, qu'ils recognoissent chasque Prince pour souuerain en ses Estats, & la iurisdiction de l'Eglise distincte de la seculiere, non par l'execution seulemēt, mais par le droit & la puissance. Que neantmoins le Pape comme Pasteur de la bergerie de Christ, peut par occasion, & par voye indirecte, disposer des Royaulmes Chrestiens, & en deposseder les Princes; quant il iugera qu'il sera bon pour l'vtilité de l'Eglise de les degrader, & de remettre à leurs suiets le serment de fidelité, qui les oblige à leur porter [Page 57] obeissance. C'est l'opinion que i'estime q̄ vous tenez, puis que vous vous prenez à vn liure qui la querelle; opinion non moins dangereuse que la premiere, puis qu'elle chasse le Pape de sa pretendue souueraineté par vne porte pour luy en ouurir vne aultre. Car qu'est il de mieux aux Princes si c'est vne directe ou indirecte puissance qui les rend miserables & compaignons de la disgrace du secōd Dionysius de Syracuse? Encores il semble que l'aigreur de la seconde opinion est plus insuportable, q̄ de la premiere. Veu que si nous tenions les Papes pour Souuerains de toute la terre, les Princes qu'ils despouilleroyent de leurs grandeurs, au moins reietteroyent la cause de leur desastre sur le vouloir de leur Seigneur, sans [Page 58] perdre ensemble & la splendeur de leur pourpre & la reputation d'hō mes de bien. Là où ceste indirecte puissance forclot l'espoir de telle excuse, puis qu'elle ne se peut estē ▪ dre que sur les mauuais Princes & pernicieux à l'Estat ou à l'Eglise. Car de penser que la pretensiō des Papes soit retrainte par cette belle close de puissance indirecte, c'est ce flatter auec trop de peril & trop peu de vrai-semblance. Laissez vos finesses, Messieurs, & confessez que soustenans cette authorité indirecte des Papes, vous concluez à la deposition & condamnation des Princes, autant de fois que le Pape ou irrité en son particulier, ou emporté par l'ambition des aultres Princes, se portera à la rigueur de cette funeste sentence. Vous ne [Page 59] vous en sçauriez dedire que renō çant aux maximes de vostre foy. Ce n'est à personne (disent les Catholiques) à iuger le premier siege, c'est à dire, le Pontif Romain; ce n'est à personne à examiner ou debattre de l'equité de ses commandemens. L'infallibilité de son esprit le garde d'errer au maniement de sa charge. Quant donc il trouuera bon de deposer quelque Prince; quant il le declarera par sentence pernicieux à l'Eglise▪ les suiets de ce Prince seront ils pas tenus de receuoir le cō mandement du Pape, & prester la main forte à le faire executer? Ce sera sacrilege de disputer l'innocence du condamné. Toutes les ames timorées & religieuses se lairront aller à la force de cette conclusion, qu'il ne faut pas ce mettre [Page 60] en peine de recercher les motifs de cette seuerité du Pape, qui n'en est contable qu'à Dieu. De mesme que les officiers de la iustice sont obligez à l'execution des sentences, sans qu'il leur soit necessaire d'en recognoistre la raison.
Voila la porte ouuerte aux Papes de la plus puissante & plus inique tyrannie qui pouuoit estre desseigné par la mesme ambition: les voila arbitres du monde, & cōme quelques anciens Rois, Princes ensemble & du ciuil & de la religion. La plus grande marque & comme vnique qui est resté de la puissance Imperiale, c'est le pouuoir de mettre en ban les Princes vassaux de l'Empire, quant leur crime ou leur contumace merite ce chastiement. Ce ban priue les condamnez du [Page 61] droit de tous leurs fiefs; met leurs Estats en proye, & leur vie en la misericorde de leurs suiets. Faut il que ie compare l'authorité de l'Empereur sur ses suiets, auec celle des Papes sur tous les Roys Chrestiens qui ne tiennent que de Dieu & de l'espée, & sur l'Empereur mesme, recognu parles anciēs Papes pour leur souuerain & legitime Seigneur? Mais puis que le malheur de nostre siecle nous a conduit à cette comparaison, quelle difference trouuerez vous entre le ban Imperial & cette sentence des Papes? La peine est esgale aux condamnez, la seuerité pareille, & peu dissemblable la façon d'y proceder. Seulēment les sentences des Empereurs sont de moindre efficace, pource que ne touchant que [Page 62] le temporel elles n'effrayent les amis ou seruiteurs du condamné, qu'entant qu'ils se desfient de leurs armes & ont peur de celles del'Empereur. Mais les censures du Pape voilées de la religion, aydées parses ministres qui gouuernēt les consciences, sement és esprits du peuple vne crainte bien plus dangereuse, & engourdissent les courages par le venin de leurs scrupules. Oultre q̄ la iustice des Empereurs ne s'estend que sur ses vassaux, grands Princes d'eux mesme, mais petits en cōparaison de puissans Roys. Là où la iurisdiction du Pape, sans aultre borne ou limite que des bouts de la terre, s'estend sur les plus hautes Couronnes, & s'arroge la mesme puissance sur les Empereurs que les Empereurs [Page 63] sur leurs suiets.
Ie reuiens encor à dire, que iamais Prince ne disposa de ses officiers auec plus de liberté, que le Pape fera des Roys, si on le laisse en possession de cette puissance indirecte. Vous qui estes né sous vne florissante Monarchie aurez vous pas pitie de vos Princes, qui ne seront grands & heureux que sous le bon plaisir de Rome; ou les mespriserez vous pas, puis que leur felicité est si fresle, qu'vne feulle de papier peut renuerser leur throsne, & reduire leur gloire en cendre? Ce n'est pas pour amplifier les choses, & procurer vne enuie à la puissance de l'Eglise. La verité me presse, & les exemples m'enseignent à dire, que le siege des Princes est sur le plus dangereux glissant du monde, [Page 64] sile Pape le peut faire tresbucher à son plaisir, voilant sa passion du masque de la religion. Si ce n'est que vous me dites que le Pape ne peut faillir en cet affaire; que le S. Esprit est sa guide, qui ne luy souffrira pas de deposer les bons Princes, & se seruir de la pieté pour pretexte à son ambitiō ou à sa cholere. Ou bien si vous n'estes d'aduis que ses sentences contre les Princes soyent suiettes à l'examen; & que les gens d'esprit & de conscience doiuēt peser leur merite auant que se laisser conduire à abandonner leur Prince. Il n'y a que l'vne deces deux choses qui puisse vn peu refrener cette desbordée licēce; l'vne di-je, que ce foudre ne puisse accabler que les mauuais Princes; l'autre, queles sentences du Pape doiuent [Page 65] estre ratifiées par les gens de bien, qui en esplucheront les causes auec vn iugement meur & exempt de passion. Si vous n'vsez de quelqu'vne de ces restrictions, vous seres contraint de cōfesser en termes exprez, ce que vous ne faites encores que par effect; que le Pape peut deposer tel Prince qu'il luy plaira, pour quelque cause que ce soit, voir mesme pour son plaisir; pourueu qu'il dise que le deu de sa charge & la necessité de l'Eglise, luy ont mis ce foudre en main. Les bons Princes, di-je, n'en seront pas exempts, sile Pape peut estre aueuglé en ce suiet; ou s'il n'est permis aux suiets du Prince condamné de s'informer de l'equité de la sentence. Voyons donc si vous voudrez auouër l'vn de ces points, ou bien si vous pourrez [Page 66] prouuer l'autre.
De dire que le Pape ne puisse se mesprendre en ces depositions, ni s'emporter à des violences causées par quelque haine particuliere, ce seroit contreuenir à la foy des plus graues & asseurez historiens. C'est toutesfois la plꝰ naifue couleur dequoy vous sçauriez farder cette dā gereuse tyrannie. Prouuez vne fois cela, & vous retrancherez la pluspart des inconueniens qui en resultēt; vous osterez la crainte aux bōs Princes, vous fonderez cette pretention sur la iustice, & ne vous rē drez odieux qu'à ceux qui veullent abuser de leur puissance. Mais pour ne me figurer des Chimeres, & cō battre sans aduersaire, ie veux confesser que ie vous tiens pour si sage & si iudicieux, que vous ne sçauriez [Page 67] croire en ce point l'infallibilité du Pape; & aussi pour trop homme de bien pour enseigner aux autres ce que vous mesme ne vous sçauriez persuader: veu que les Iesuites opiniastres defenseurs du siege de Rome, haussent icy les espaules, recognoissans l'erreur des Papes. Vn des leurs escriuāt au Roy Treschrestien pour l'accourcissement de leur Ostracisme, dit, que sileur compaignie se fust retrouué au temps que Iules 2. fulminoit contre Loys 12. & Iean d'Albert Roy de Nauarre; ces deux Princes n'eussent trouué nulle part plus de foy ou d'obeissance, contre les Bulles du Pape, qu'au corps de leur Societé. N'est-ce pas auouër que Iules 2. auoit tort de deposer ces deux Princes, & que par consequent l'esprit de verité & [Page 68] de iustice qui assiste les Papes en leurs decrets, leur peut manquer à la decision de cet affaire? Aussi seroit ce folie d'excuser la passion de tous les Papes, qui ont commencez & maintenus cette puissance. Pour ne parler que de la France: ce fust pour vne querelle particuliere que Boniface 8. vint à cette extremité▪ Le Roy Philippe le Bel s'estoit offensé de l'audace de son Nonce, & l'auoit fait emprisonner. Boniface, le plus superbe de tous les hommes (c'est ainsi que les historiēs l'appellent) tascha de se venger du Roy, & le despouiller de son pourpre: quoy que ce ne fust au Pape, mais à Boniface, ni au siege de Rome, mais à la superbe de son Euesque, que le Roy se fust attaqué. La religion n'estoit pas en controuerse, [Page 69] les François ne se plaignoyent pas de leur Prince, l'Eglise Gallicane fleurissoit en hōneur & en richesse: & voicy comme vn tourbillon de Rome qui veut accabler le Roy. Rien de cecy ne monstre tant la mauuaise cause de Boniface, cōme la procedure de Clement son successeur, qui declara nulles ses censures, recognoissant Philippe pour fils aisné de l'Eglise, & en la mesme qualité qu'auoit fait Innocent predecesseur de Boniface, sçauoir souuerain en ces Estats, sans deuoir à personne conte ou homage de sa temporalité. Vous pourrez aussi peu excuser Iules II, qui se monstra meilleur Capitaine qu'Euesque en ses differens contre la France. Et pour laisser tous les Empereurs qui ont esté persecutés de ce tonnere, [Page 70] approuuerez vous la procedure du Pape, qui ayant pour son S. Esprit les inspirations de Charles 5. Empereur, fulmina la sentence de deposition contre nostre Roy Henry 8, & le contraignit à toute force de se bander contre luy? Vn Ambassadeur du Roy estoit desia comme à la porte de Rome, pour addoucir le Pape & promettre toute satisfaction, lors que cette funeste sentence se prononça. L'Ambassadeur reprit son chemin deuers son maistre, qui indigné de ceste iniure, bannit de son royaulme cette puissance de Rome, laquelle auoit entrepris de l'en chasser.
Puis donques que vous ne sçauriez nier que les Papes ne se puissent mesprendre, & ne se soyent de fait mespris, en deposant de bons [Page 71] Princes, & vtiles à l'Eglise, voyons si vous voudrez au moins auouër cette autre point, qui semble moderer la toutepuissance de Rome; asçauoir qu'il soit loisible aux gens de bien d'examiner les causes qui auront meu le Pape à la deposition d'vn Prince, & ne se conformer à sa sentēce qu'entant qu'elle sera fondée sur de iustes & pregnantes raisons. Il semble que ce Iesuite le veulle ainsi, qui promet l'assistance des siens au Roy en vne semblable querelle à celle qui a osté la Nauarre à son ayeul. Et neātmoins vous ne sçauriez oultrer ce mot sans desfaire toute vostre ouurage, & embarasser vostre opinion en vn monde de nouuelles absurditez. Mettōs le cas que vous soyez d'accord de n'obeïr aux Papes sinon [Page 72] quant ils se prēdront à de mauuais Princes & dignes de telle correction. Ie ne dis rien de cette contradiction qui s'ensuiura, que le Pape soit le iuge supreme en ce qui concerne l'Eglise, & q̄ neantmoins il ayt des controlleurs en ceci que vous dites luy appartenir comme au chef de la religion. Mais si quelques vns iugent que le Prince a merité cette censure, & les aultres maintiennent son innocence, quel expedient trouuerez vous en cette diuersité d'opiniō? C'est vne chose impossible de recueillir les voix de tous; & quant cela se pourroit faire, la plus grande partie, peut estre, emporteroit la plus prudente. Ferez vous iouir les Princes du priuilege que l'humanité de la loy accorde à tous les criminels en reiettant [Page 73] la punition quant leur innocence est douteuse, & que la plus part de leurs iuges se porte à leur absolutiō? Si vous en estes d'aduis, les Roys auront cause gaignée, qui ne māqueront iamais de gēs pour soustenir leur innocence, & faire cuader les bons Princes par le merite de leur cause, & les mauuais par le benefice de la loy.
Et si ce moyen d'accorder ne vous plait pas, au moins donnez nous en vn aultre. Voici vn royaulme ou vne prouince partie en faction, les vns se rangent auec leur Prince quoy que deposé par le Pape; les aultres se bandent pour de fait luy arracher la Couronne qu'ils croyēt luy estre desia osté de droit. Ni le Roy chef d'vne bande, ny le Pape protecteur de l'aultre, seront [Page 74] iuges idoines à ce proces. Les Chefs du spirituel & du temporel recusez pour iuges, qui determinera de l'affaire, sinon vne guerre sanglante, la demolition des temples, l'embrasement des villes, les meurtres, les violences, & semblables desastres qui affligent vn royaulme sous le malheur d'vne guerre, & principalement ciuile? Pour ne parler du mauuais parti auquel le Prince sera rangé, ayant à cōbattre les malcontans de son païs, qui vengeront leurs querelles sous le pretexte de la religion, & tant de peuple de conscience facile & aisée à intimider, qui se lairra conduire aux subtiles & scrupuleuses remonstrances de ces prescheurs; aussi pour ne rien dire de la vēgeance que peut estre, le Prince recerchera contre les tē ples [Page 75] & leurs ministres. Par ce moyē tout le sacré & le profane mis en butin, la religion troublée, tous les coins de la prouince pleins de sang & de fureur, porterōt tesmoignage contre cette feinte vtilité de l'Eglise, à raison de laquelle vous donnez aux Papes la puissance de deposer les Princes & Roys. Les histoires vous enseignent que ie n'ay rien dit de trop des calamitez qui accablent le monde sous semblables dissentions. Oyez vn homme de qui la vertu a surmonté l'enuie, & la verité ne s'est iamais veu soupçonnée de mensonge. Otho Frising. Episc. li. 6. Chron. cap. vlt. Il parle des malheurs qui suiuirent la sentence de Gregoire septiesme, qui le premier de tous les Papes vsurpa cette authorité, & en vsa contre l'Empereur Henry quatriesme. Il mefasche [Page 76] deraconter, ce dit il, combiē de maux, combien de guerres & de diuers euenemens de batailles s'en sont suiuis, combien de fois la miserable ville de Rome s'est veuassiegée, prise, & pillée, cōme on a introduit Pape sur Pape de mesme comme Roy sur Roy. Pour faire court, le tourbillon de ceste tempeste a esté rempli de tant de maux, de tant de schismes, de tant de perils, tant pour le corps que pour les ames, qu'il semble deuoir suffir pour preuue de l'infelicité des hommes, soit que vous consideriez la cruauté ou la durée de la persecution. Voilà le biē qu'apporta ceste nouuelle iurisdiction des Papes. Ce fust le premier essay de leur puissance indirecte, funeste à toute l'Eglise, & condamnée par vn visible iugement de Dieu.
Mais pour ne nous esgarer de nostre [Page 77] demāde, si on est en doutte des demerites du Prince; si les vns soustiennent son innocence, & les aultres auec le Pape veullent sa deposition; qui ferons nous iuge d'vn procez de si grande consequence? Vous ne voulez pas attendre la sentence de Dieu, souuerain iuge & des Papes & des Roys. Le Roy & le Pape sont forclos, comme d'vn iugemēt où il s'agit de leur interest. Il reste que les Estats du Prince cō damné prononcent en dernier ressort. Vous ne sçauriez inuenter vne responce plus plausible. Mais pour ne rien dire des inconueniens qui s'ensuiuent, comme de la difficulté de les assembler durant semblables troubles, lors que d'vn costé ceux qui feront pour le Pape se tenans sur leur preiugé seront retifs à remettre [Page 78] la question sur le bureau, & d'autre part les gens du Prince s'estimeront trahistres s'ils disputent ou s'ils doutent du bon droit de leur maistre; aussi pour laisser à part cette iniustice, de faire les Princes & Roys iuridiciables à leurs Estats, autant de fois qu'il plaira au Pape de les battre de quelque affront; eux di-je qui sont esleu par le peuple pour estre dessus le peuple, par les Estats pour commander aux Estats, & de qui la puissance est si absoluë, & la prerogatiue si claire, que Bellarmin n'a sceu trouuer vne comparaison plus asseurée pour iustifier les Papes qui ne se veullent rendre contables à l'assemblée des Concils, disant que comme le droit des natiōs exempte les Princes de l'authorité & iugement de [Page 79] leurs Estats, sans que cette puissance absolue les face soupçonner de tyrannie; de mesme les Papes, constitués de Dieu pour chefs visibles de son Eglise, peuuent recuser pour iuges le corps de l'Eglise assemblé en ses Concils, puis qu'on ne trouue pas que le gouuernemēt des Papes ayt esté recommandé à l'Eglise, mais bien celuy de l'Eglise aux Papes. Pour ne conter à rien, di-je, toutes ces difficultez & vn monde d'autres qu'on voiroit naistre en ce suiet, posons le cas, que la haine & l'ambition fussent estouffées, les Estats duëment conuoqués (encores vous demanderay-je en passant, par qui?) & le Prince tout content de subir le iugement de ses suiets. On examinera sa vie; quelques particuliers, ou bien la [Page 80] voix publique sera receu en tesmoignage; ses fautes & ses merites seront pesez; & les informations suiuies d'vne sentence qui decidera le tout. Icy i'inuoque vostre iugement, & coniure vostre conscience, de me dire quelle sentence portera coup, ou celle du Pape qui aura iugé du Prince, ou celle des Estats qui auront iugé du Pape. Seront-ce pas les Estats qui auront deposé leur Prince, puis qu'ils le pouuoit absoudre? Ou pour mieux dire, seront-ce pas les enormitez du Prince qui auront desseigné sa ruine à Rome, & renuersé ses desseins au sanctuaire de son temple, c'est à dire, à l'auguste assemblée de ses Estats? Donnerez vous en ce cas la qualité de Iuge au Pape, qui pronōcera cōme d'vne voix morte [Page 81] & sans effect, ou bien d'accusateur; puis qu'à sa delation le corps du royaulme s'assemble, tout autant authorisé de casser la conclusion de Rome comme de condamner son Roy? Ainsi cet opinion vient à plaider pour la puissance du peuple, & fait ployer autant les Papes cōme les Princes, sous la souueraineté de sa domination. Ie ne me persuaderay iamais que les seruiteurs bien affectionnez du Pape laissent conduire leur iugement à vne si notable imprudence, que d'assuiettir les Princes au controlle de leurs suiets. Le Pape y auroit sa part, & les Citadins de Rome s'ils se faschoyent de ses façons de faire luy pourroyent abroger sa puissance temporelle, sans violer la reuerēce ni le respect qu'ils portent à sa spiritualité.
[Page 82]Ie reprendray tout le discours que ie viens d'employer à la confutation de cette vsurpée puissance, pour vous tirer derechef à la confession de la plus malheureuse maxime contre l'Estat, que iamais ennemy de tout ordre ciuil se sçauroit imaginer, ou en vn Labyrinthe d'ineptes contradictions & folles absurditez. Si le Pape peut deposer les Roys & Princes, quant il le iugera necessaire à la conseruation de l'Eglise, il faut q̄ vous auouyëz qu'il peut donner cette sentence à quelle occasion & cōtre quel Prince que ce soit, ou pour son propre interest, ou pour auancer l'ambitiō de ses alliez. Car il sera tousiours en son pouuoir de dire q̄ les Princes sont pernicieux à l'Eglise, contre qui vn desdain, peut estre, vne [Page 83] vengeance, vne conuoitise l'enflammera; & ainsi pourra vendre les principautez des vns aux autres, changer les formes des Republiques, & estre en tout & par tout vicedieu dessus la terre. Voilà cette horrible & pernicieuse maxime ou vostre opinion vous doit conduire, si vous ne vous tenez à vne de ces deux exceptions, Ou que le Pape ne puisse faillir en cecy pour l'assistance de sa foy & infallibilité de son esprit; ou bien que ses sentences de deposition soyent suiettes à l'examen, en quelque celebre iugement. La premiere exception ne dement pas seulement quelques historiens, mais la verité mesme recognue par vne longue experiēce; & l'autre renuerse la iurisdiction du Pape, pour y ietter les fondemēs [Page 84] d'vne souueraineté populaire, & de qualité de Iuge le fait deuenir vn' enuié & horrible accusateur.
I'aurois plus de raison à poursuiure cette pointe, que vous à faire vn grand volume sur la religion du Roy. Car c'est en ce champ où vous deuiez tirer S.M. si vous osiez l'affronter, & c'est en ce champ qu'il faut que nous rēuersions l'audace detous ceux qui se prendront à son Aduertissement. Toutesfois puis que de tresexcellentes plumes ont pris cett'ouurage à tasche, & que vous mesme ou de honte ou bien de crainte, auez caché vostre opinion sous l'ambiguité d'vn long discours, il me suffira de vous dire, q̄ les anciēs Papes n'ontiamais si auantageusement iugé de leur puissance, que de l'estendre à cette indirecte [Page 85] authorité dessus les Roys; non seulement les Papes qui ont vescu sous la rigueur des persecutions, ou les autres qui ont fleuri aux quatre premiers siecles de l'Eglise, mais pas vn en la succession de tant d'Euesques, iusques à Gregoire septiesme, plus de mil ans apres la mort de Iesus Christ. Ce qui ne peut estre imputé au deffaut du zele, ou à l'ignorance de ces premiers Peres, moins encor à l'occasion de ietter cefoudre, ou à la force de bien assener vn si grand coup. La sainteté de ces grans hommes, & la profondeur de leur sçauoir fait preuue, qu'ils n'ont pas ignoré, & moins encor dissimulé ce qui estoit de leur puissance. Quant au suiet de la mettre en execution, n'ont ils pas eu, vn Constans, vn Iulian, [Page 86] vn Valens, & vn nombre d'autres Princes detestables & heretiques, qui ne regnoyent plus dessus vne Rome Ethnique, mais dessus vn Empire treschrestien, encores tout humide du sang des martyres, & eschauffé par la memoire de leur constance L'Empire Romain, c'est à dire, quasi tout ce qui se cognoissoit de la terre habitable, estoit Chrestien. Les armées (qui estoient en possession d'eslire les Empereurs) ne respiroyent que ce saint nom; & neantmoins l'apostasie d'vn Iulian, l'Arianisme d'vn Valens, & semblables pestes de l'Eglise affligeoyent les Orthodoxes. Croiriez vous biē que les Euesques de Rome, gens d'vn sçauoir admirable, & d'vne sainteté, qu'on a pour la pluspart estimé digne d'estre canonisée, n'eussent [Page 87] pas eu le courage de s'esleuer contre vne iniuste tyrannie, ni le zele d'en affranchir toure l'Eglise? ou bien que les Chrestiens qui se laissoyent hascher en pieces pour leur religion, eussent eu les coeurs & les courages sifaillis, que de ne se point resoudre à executer le iuste commandement du Pape? Tant de soldats qui gemissoyent sous l'impieté de Constans, & la caute malice de Iulian, n'eussent ils pas autant aimé perdre leur sang en tirant celuy de ces meschans Princes, que d'attendre la cruauté des supplices; si leus Euesques en eussent esté d'opinion? Ils embrassoyent la doctrine de leurs Pasteurs au despens de leur vie mesme. Pourquoy donc eussent ils esté si prodigues de leur sang pour d'autres points, & pour [Page 88] cestuy-ci si coüardement timides? Y auoit-il vn temps plus propre pour enseigner & effecteur cette puissance de l'Eglise, que lors que l'integrité des Euesques de Rome estoit recognue par tout le monde, le nombre des Chrestiens infini, leur zele incomparable, & les Empereurs si pernicieux à la religion, qu'ils sembloyent estre enuoyez pour exēple ou de la puissance ou de la patience de l'Eglise? & neantmoins ces anciēs ont esté si exactes en la reuerence qui est deuë aux Princes temporels, & si bien auisez à rendre aux Cesars ce qui estoit à eux, sans rien soustraire de ce qui appartient à Dieu, que les fantastiques imaginations de nos aduersaires n'ont riē trouué en leurs faits ou en leur doctrine qui puisse faire [Page 89] ombre à leur trop descouuerte ambition. Il n'est pas besoin d'armes plus fortes à repousser leur vanité, que de l'exemple de ces bons Peres, & de la prattique de l'Eglise vniuerselle, qui par l'espace de plus de mil ans à tesmoigné qu'elle ne deuoit pretendre autres armes cō tre les persecutions que les larmes & les prieres. Ie ne dis rien des foibles materiaux que ces nouueaux Romains mettent en oeuure pour eriger vne si forte tyrannie. Car la souueraineté des Roys estant establie par l'Escriture, & confirmée auec le consentement de tous les Peres, par vne possession de plusieurs siecles, deuoit elle estre battue sinon auec quelque machine, digne detells munitions? Et neātmoins vous ne trouuez que Bellarmin [Page 90] se soit serui de l'Escriture, moins encor de l'authorité des Peres, quant il a esté questiō de maintenir cette authorité des Papes. Tant luy que les autres quis ont soustenu cette puissance indirecte, n'ōt eu recours qu'à la vanité de leurs sophismes, & à quelques similitudes qui ne clochent pas seulement, mais donnent du nez en terre; sans considerer que leurs argumens ne concluans pas demonstratiuement, peuuent estre refutez en mille sortes, & que les Princes ont leur cause trop bien fondée pour la perdre à raison de certaines subtilitez philosophiques, qui ne seroyent pas receuës en vnsimple procez de quelque particulier.
Aussi ne voyons nous pas que les Papes mesmes soient venus iusques [Page 91] à auouër ce point pour article de la foy; & au contraire leurs canons & leurs epistres decretales portent tesmoignage de la supreme authorité des Princes en ce qui cō cerne le temporel. Contentons nous de cette belle doctrine de tant de Pontifs Romains. Ils disent que les Princes n'ont point de Iuge en terre, quant au tēporel; qu'ils sont souuerains & sans contre-rolle en leurs Estats. Commēt donc seront ils deposez par le Pape; si ce n'est que nous croyons, que leur oster leurs Courōnes ne touche pas leur temporel, & les declarer indignes de leurs Estats, ne soit acte d'vn plus grand qu'eux?
S.M. recognoissoit assez la ruse dont les fauteurs de cette opinion abusent la simplicité du populaire, [Page 92] faisans couler ce venin sous le pretexte de la spiritualité, & de la puissance d'excommunier les Princes; faisans, di-je, despendre l'vn de l'autre, comme si la force de l'anatheme confisquoit les biens de ceux qui en sont frappez. Et Bellarmin n'a point trouué de couuerture plus asseurée pour se cacher de la verité. Si ne pouuoit il ignorer que la prudence du Roy & sa bonté à ne forcer les consciences, auoit preueu à toutes ses calōnies. Vous apprenez de l'Aduertissement du Roy, que les Estats venans à mouler le serment de fidelité, cause de toutes ces disputes, auoyent conclus, que les Recusans iureroyent que le pouuoir spirituel du Pape ne s'estendoit pas à pouuoir excō munier le Roy. S.M. preuoyant les [Page 93] troubles & les scrupules qui pouuoyent affliger les consciences des Recusans, fist incontinent rayer ce trait, ne voulās pas q̄ la religion fust disputée par ce serment. Ce luy estoit assez, qu'ils iurassent de ne point adherer aux Papes en leurs pretensions sur la temporalité des Princes; ce qu'ils pouuoyent en cō science, puis que la plus grande partie des Catholiques est sur la mesme negatiue, & que ceux-là encores qui donnent aux Papes cette puissance, confessent ingenument que ce n'est pas vne article de la soy, & que par consequent chascun est libre d'ensuiure son opinion. Mais Bellarmin entreprenant de descrier la pure & legitime intention du Roy, s'est mis en peine de prouuer que la force du serment ne [Page 94] visoit qu'à la ruine de l'Eglise, & que puis qu'il desnioit au Pape la puissance de deposer S. M. il nioyt par consequence celle de l'excommunier. Voyez comment l'opiniastreté à soustenir les pretensions du Pape ont esblouy le iugement de Bellarmin, & non obstant toute sa lecture, l'ont porté à vne si lourde faute, qu'à peine on la so uffriroit à vn bien grossier nouice, asçauoir de dire que l'excommunication puisse priuer l'excōmunié de ses biens ciuiles, & le forclorre tout ensemble tant de la terre comme des cieux. Ce qui est refuté par le droit, & encores par la pratique des peuples plus scrupuleusemēt religieux. Aussi les priuileges de l'Eglise ne peuuēt rien conceder qui ne soit spirituel, ni ses cēsures oster autre chose que [Page 95] ce qu'elle peut donner. Et pour les cas ou la iustice de l'Eglise est accō paignée de la vēgeance politique, comme aux crimes de l'heresie, de la Simonie, & quelques autres enormitez, ce n'est pas la force de la sentence de l'Eglise qui punit corporellement les condamnez, mais la sainte seuerité des Roys & Princes, qui pour ranger leurs suiets à l'obeissance de l'Eglise, ont defendu sous telles peines de violer ses ordōnances. Monstrez nous donc les Edits par lesquels les Princes ayent soumis leurs Maiestés aux Bulles du Pape, & condamné leur propres fautes à la confiscation de leurs Estats; ou nous permettez de les tenir en conditiō non moindre que leurs suiets, à qui l'excommunication n'oste que la participation [Page 96] des Sacremens.
I'ay de la peine à m'arrester en vne si belle carriere; mais pour ne dire trop d'vne chose de quoy vous dites trop peu, ie vous veux seulemēt auertir que l'ambiguité de vos parolles peut estre suspecte aux Roys; puis que vous donnez aux Papes la mesme authorité pour les chastier, qu'au pere sur ses enfans, & au pasteur sur sa bergerie; cetuycy pouuant desheriter ses mauuais enfans, & l'autre faire mourir les bestes infectes ou dommageables de son troupeau.
Apres la defence des Papes, vous vous portez pour le Clergé, taschant d'addoucir la creinte & le soupçon qui le peut rendre odieux aux seculiers. Vous recognoissez l'importance de ce point que S. M. [Page 97] remonstre aux Princes; asçauoir, q̄ le Clergé est vne puissante faction, qui ne recognoissant point les Roys, & viuant dans leurs terres, est capable de renuerser leur Estat. Ie me plaignois tantost de vous, pour ne pouuoir assez entendre vostre opinion sur la puissance des Papes; maintenant ie souhaitterois pour vostre honneur, que vous vous fussiez enueloppé encor vn coup dedans le labyrinthe de vos ambiguitez ou equiuoques; sans franchir du tout le sault qui pour vous faire bon suiet vous rend suspect en vostre religion. Vous dites donc que les Ecclesiastiques estant membres des Republiques où Dieu les a fait naistre, recognoissent, comme se sont personnes raisonnables, que mesmes en conscience ils sont obligez aux loix ciuiles, & [Page 98] qu'ils ne les peuuent violer sans offence non plus que les autres. Auriez vous bien l'asseurāce d'en escrire autant à Rome, ou seulement le front de maintenir à Paris que le Pape le croit ainsi? Ne vous fiez vous pas trop à l'ignorance du lecteur, croyant que personne ne s'amusera à vostre liure qui ait leu les Casuistes de ce temps? Si Bellarmin se fust rangé à vostre auis, le Roy n'eut pas eu la peine d'employer sa plume à ceste graue remonstrance; & encores si le Pape le veut signer, le voila d'accord auec S. M. sur vn des plus grands & mal-aisez points de leurs differents. Mais vous ne sçauriez attendre qu'vne reproche de Bellarmin, qui dira que pour vous monstrer bon seruiteur aux Princes, vous vous estes porté en [Page 99] homme peu affectionné à vostre Eglise. Car c'est vne chose trop claire, que la commune opiniō des Casuistes Vide Nauar. Azor Bellarm. & passim alios▪ est entierement contrepointée à ce q̄ vous en auez escrit. Non que ie debatte contre vous la verité de vostre opinion. Ie recognois que vous estes au bon chemin, & que ceux-là qui haussent plus les priuileges de l'Eglise, ne seruent qu'à les exposer plus dangereusement à l'enuie des seculiers. Ie suis d'accord aueque vous que les priuileges du Clergé sont emanez nō de la puissance du Pape (qui luy mesme estoit suiet à ses Empereurs) mais de la liberalité des Princes. Bellarmin luy mesme (quoy qu'il se veulle reuolter de sō opinion) fait pour nous au premier Tome de ses Controuerses. Les immunitez [Page 100] des Ecclesiastiques, ce dit il, tāt pour leurs personnes que pour leurs biēs, sont introduites par les loix ciuiles & non par le droit diuin. Au temps mesme que la nouuelle pieté des Empereurs fleurissoit le plus, en tesmoignages de leur deuotiō, les Clercs ressortissoyent au iugement seculier. Le commencement de leurs priuileges fust qu'on ne les peut contraindre à administrer aucun magistrat, ni à gerer vne tutele. Constantin le Grand, autheur de cette immunité y adiousta quelque temps depuis, qu'ils fussent excusez de toute charge & office du public. Trente six ans apres Constantius & Constans priuilegierent les Euesques de ne respondre en procez criminel deuant les Iuges seculiers, les autres Clercs & les [Page 101] Moines demeurans tousiours sous la iurisdiction du Magistrat: tellement que Leo & Anthemius qui regnerent long temps depuis, concederēt de grace speciale aux gens d'Eglise, qu'ils ne peussent estre contraints par force d'aucune sentence à plaider hors de la prouince où ils auoyent leurs domiciles. Quelque soixante ans apres, Iustinian les affranchit du parquet seculier, les renuoiant à leurs Euesques tant pour le criminel que le ciuil. Voilà comment le Pape & le Clergé s'est veu honoré de tresexcellentes prerogatiues, qui ne seruent pas dauantage à la preuue de leur liberté que de leur subiection aux Roys & Princes. Veu que les anciens Empereurs, Princes tres-zelez à la religion, n'eussent iamais [Page 102] presumé ou de les tenir sous leur iustice, ou de les en exenter cōme par vne grace speciale, s'ils eussent creu que la dignité de leur ministere les eut affranchi de la domination ciuile. Les Euesques aussi eussent refusé cette tant dōmageable grace, qu'ils ne pouuoyent accepter sans confesser qu'ils estoyent suiets au Prince, qui par priuilege les exemptoit tantost d'vne charge tantost d'vne autre. Qu'ils soyent donques affranchis selon que les Empereurs (à qui les Roys d'auiourd'huy succedent) ont entēdu; que le Clergé soit iugé par son Euesque; qu'on ne le moleste ni par tutele ni par autre charge publique; qu'il vaque au seruice de Dieu, respecté des gens de bien, & honnoré de belles & grandes immunitez.
[Page 103]Mais (pour ne disputer de la puissance des Princes à reuoquer les priuileges du Clergé) puis que leur franchise est fondée sur les cō stitutions expresses des Rois & des Empereurs, il faut auouër qu'ils ne sont exents d'aultres choses que de celles dont nommement leur priuilege les affranchit. Qu'ils trouuent donc quelque loy qui les exente du droit commun, ou qu'ils confessent qu'ils demeurent suiets du Prince, obligez en conscience à ses edits & à la conseruation de son Estat. Et de vray quelle apparence que ces Empereurs ayent esté si despourueux de prudēce & de sens commun, que de ietter leurs Couronnes en vn danger que vous mesme recognoissez pour extreme, affranchissans de leur obeissance [Page 104] bonne partie de leurs suiets, qui iouissans des meilleurs & plus grasses possessions de leurs prouinces, sont capables de former vn parti, & se bander contre l'Estat, voir sans blesser leurs consciences, puis qu'ils ne doiuent rien ny à l'Estat ny à son Prince.
Le bon seruice que la Noblesse a rendu à ses Princes se voit en plusieurs lieux recompensé par semblables prerogatiues; ne respondāt pas à mesmes Iuges que les roturiers, & exente des subsides & impositiōs publiques. Qui sera si mal entendu, que d'estendre ces priuileges de la Noblesse à vne franchise absoluë, comme si elle ne deuoit plus rien au Prince, pource que de sa grace elle luy doit moins que le reste de ses suiets? Les Ecclesiastiques [Page 105] aussi ne doiuent presumer autre chose de leur grandeur, sinon qu'ils sont les principaux membres de l'Estat, & tenus de se monstrer d'autant plus humbles & affectionnez suiets à leur Prince, comme ils luy sont plus obligez par toute sorte de bienfaits. Ie vous querelle donc icy, non pour soustenir vne faulse opinion, ou pour auoir embrouillé vos parolles en la perplexité de quelques equiuoques; mais pour auoir trop brusquement accordé au Roy, que les Ecclesiastiques demeurent suiets au Prince en l'Estat duquel ils viuent. Faisant par ce moyen croire aux ignorans, que S. M. a eu grand tort de dire que c'est l'opinion commune du Clergé, que les Ecclesiastiques par la vertu & preeminance de leur ordre, [Page 106] sortent de toute subiection ciuile, de l'obeissance des loix politiques, & de tout ce q̄ les suiets doiuent aux Roys: est-ce à tort que le Roy se formalise pour tous les Estats Chrestiens qui ont interest à vne affaire si importāt & si cōmun, comme de ne souffrir au milieu de leurs entrailles vne puissante factiō née sous leur obeissāce, & enrichie de leur liberalité, se vanter d'vne si grande frāchise, & ne cognoistre à Prince que le Pontife Romain? Si c'est sans dissimulation q̄ vous protestez de croire, que le Clergé demeure en la subiection ciuile, vous deuies dire, q̄ la crainte du Roy est biēfondée; & que vous estes d'auis q̄ tous les Princes se facent recognoistre pour souuerains par les Ecclesiastiques de leurs Estats; que [Page 107] quant à vous reiettant l'opinion cō mune des Canonistes & Theologiens qui escriuent dedans Rome, vous tenez q̄ le Clergé demeure en la subiectiō des Princes & est tenu, non par bien seance seulemēt, mais en conscience, d'obeïr à ses edits.
Mais pour retourner aux Papes, & suiure l'ordre de vostre liure, examinons vostre responce sur les differents des Roys & des Papes, que le Roy a couché en son Aduertissement. Vous dites, qu'en toutes ces querelles il ne s'agissoit que du tē porel; que tant nos Roys comme ceux de France qui ont esté en mauuais mesnage auec les Papes, les ont neātmoins recognus pour leur Peres spirituels, & supremes chefs de l'Eglise. Et ie vous demande, Monsieur Coëffeteau, si vous n'estimez [Page 108] pas que ce soit vne querelle fondée sur le temporel, qui a esmeu ce differēt entre el Roy & le Pape. Ie me lasse de redire, & vous peut estre d'entendre si souuent, que la question pour laquelle S. M. s'est formalisée contre le Pape, n'a esté autre que de la souueraineté des Roys, laquelle le Pape veut indirectemēt soumettre à soy, & au contraire S.M. la prouuer franche & independente de toute puissance humaine. Et pour monstrer que ce n'est pas chose nouuelle aux Roys de rembarrer les pretentions des Papes, le Roy (cōme il tesmoigne par mots exprez) a fait cette collection d'exemples qui prouuēt qu'auant qu'il fust question du changement de la religion, les Roys quoy que zelez à l'Eglise Romaine, n'ont [Page 109] point fait de conscience de s'opposer aux Papes pour la manutention de leur souueraineté. Ce q̄ S. M. en infere, est q̄ ce qu'il en fait auiourd'huy ne doit estre trouué estrange, ny moins digne de la faueur de la vieille que de la nouuelle religion. Ouy, Mousieur Coëffeteau, il estoit question du temporel entre les anciens Roys & les Papes de leur temps; & puis que la mesme dispute s'est rencontré en nos iours, vous auez tort de croire que S. M. se soit mesprise, de nous en rafraichir l'exēple, & en tirer vn preiugé.
Vous entrez maintenāt sur d'autres ayres, pour esplucher la confession de foy couchée ingenumēt par vn Roy qui n'aura iamais la reproche de dissimuler ou de feindre sa creance. C'est icy que vous vous [Page 110] estendez le plus, estimant de respō dre à l'Aduertissement du Roy, en vous attaquant à sa religion. Mais ie me contenteray de vous auoir ci dessus auerti q̄ vous vous mesprenez bien grossierement en tirant les matieres de l'Estat en controuerse de la foy. Aussi lairay-je cette partie de vostre liure, pour ne contrefaire du Theologien. Quoy que ie ne me puis taire de ce mot de sacrifice, que vous pressez, par l'authorité des plus anciens Peres de l'Eglise. N'estimez pas sa Maiesté si peu versée en leur lecture, que d'ignorer ce terme leur estre quasi cōmun, quant il est question de la sainte Eucharistie. C'estoit à vous de prouuer que ces Docteurs n'ont pas vse de ce mot figuratiuement, & par vne espece de similitude ou metaphore, [Page 111] (ce qui est maintenant en controuerse) & non pas d'emplir vn nombre de pages à nous citer leur sentences, ausquelles sa Maiesté ne querelle que l'interpretation.
Et quant à la deffence que vous dressez pour les Papes, disant que l'Eglise deteste tout violant espanchement de sang, particulierement les attentats contre les Princes; c'est à mon regret qu'on peut obiecter des exemples si funestes & si nouueaux. Il n'y a que 38. ans depuis l'orage de la S. Barthelemy, que 20, du panegirique de Sixte V. à la louange de vostre confrere Iacques Clement; & tout ce siecle a abhorré les cruautez dont on a espuisé les Indes en croyant peupler l'Englise. Le Pape (car c'est luy que vous entendez par l'Eglise) se fut [Page 112] purgé de ses violences, au moins s'il s'en fust offensé.
Vous venez aux charmes & sorcelleries, & si i'oze dire la verité, ce dites vous, il n'y a que la seule Eglise Catholique qui face la guerre aux sorciers & enchanteurs, auec lesquels il semble que toutes les autres sectes ont de l'intelligence. Et moy si i'oze dire la verité, ie diray, qu'il n'y en a point en vos paroles. Vous dementez la pratique & l'experiēce de monde. So ceux de la religion n'ont pas persecuté les sorciers en France, aussi se sont ils veu plus souuent empeschez à fuir le feu, que de loisir à y attacher les coupables. Mais l'Angleterre & l' Escosse, Dā nemark, Suede, Allemagne (voir mesme Geneue vostre voisine) se sont monstrez autant seueres contre [Page 113] ces pestes, comme vous les calomniez d'vne sacrilege douceur. Les Iustices de la grand Bretaigne font preuue du deuoir qu'on a rendu iusques à maintenant pour exterminer vne si detestable vermine, & vous accusent ou d'ignorance ou d'iniustice, à blasmer leur diligēce. Vos protestations aussi sur l'integrité & les benedictions des Agnus Dei ne pourront iamais faire que le Roy ne sache bien que les Iesuites ont enseigné & maintenu par toute l'Escosse, que la force de cette cire benite seruoit comme miraculeusemēt à esteindre toute sorte d'embrasement. Car quant à ce q̄ vous dites, que les benedictions qu'on leur donne, ce font auec la parole de Dieu qui sanctifie les creatures, c'est vne [...] foible deffence, & indigne d'estre [Page 114] employé à ce suiet. De quoy donc sont composez les charmes & quels dictōs ce retrouuent parmi les billets & characteres, sinon le nom de Dieu en Hebrieu, ven piece de l'Euangile de Saint Iean, ou quelque autre motet de l'Escriture? Voire la pluspart de tous les sorts ne prennent ils pas leur force de quelque chose sanctifiée, cōme des images, de l'eau benite, & de tout ce que vous tenez le plus sacré? Le Diable mesme pour colorer ses fauces apparitions, & se glisser dans la creance, & puis dedans les corps des simples, ne vse-t'il pas de cette ruse, commendant tantost vn pelerinage, tantost vne ieune, & puis demādāt des Messes aux Eglises plus signalées? Et si les coniurations ne se peuuent faire aue que des saintes [Page 115] paroles, comment se nouë l'esguillette à certains mots que le Prestre prononce à la celebration du mariage? Cerches donc autre defence pour maintenir les Agnus Dei, plus honneste que celle-cy par laquelle on pourroit mesme defendre toutes les plus grandes & plus horribles sorcelleries.
Mais iln'y a rien, ce dites vous, que nous disions estre propre pour empescher l'effect des harquebuzades ou du canon. Aussi n'at ce pas esté l'intention du Roy de dire que l'Eglise auouë cela pour sa doctrine, mais bien ce plaint-il de sa prattique, l'estimant trop lasche à punir ceux-là qui se laissent aller à semblables superstitions; disant que l'impunité est vne espece de conniuence, & que ceux qui ne desracinnent pas [Page 116] l'erreur par seuerité, le plantent par nonchalance. Il ne se peut nier que beaucoup de chemises & autres telles choses benites à Rome n'ayent esté portées par gens de qualité, auec vne ferme creance que cela les garantiroit contre les espées ou les armes à feu, voir mesme contre le foudre. Vn Seigneur de qualité, & tresferuent Catholique a auoüé au Roy qu'il s'estoit laissé persuader cette niaiserie, se munissant tousiours de semblables preseruatifs, iusques à ce qu'il vit vn autre garni de telle prouision, tué deuant ses yeux, contre la foy qu'il auoit en sa chemise. Encores sont en vie quelques suiets du Roy, zelez Catholiques, & dont l'vn se vante d'auoir esté persecuté toute sa vie à cause de sa religion, qui ont offert à sa [Page 117] Maiesté de telles bagatelles pour la preseruation & asseurance de sa personne.
C'est donc de la prattique de l'Eglise qu'il se plaint; comme aussi n'entend il pas de se prendre aux fautes particulieres de chasque Prestre, qui violant ses voeus de chasteté se desborde en toute sorte de luxure; mais bien aux ordonnances qui punissent auec plus de rigueur vn Ecclesiastique qui se voudra liër par mariage, que les autres qui s'emancipent à leur sensualité.
I'ay reserué pour la fin de ce discours vn endroit de vostre liure, où il semble que vous vouliez sortir de la modestie & du respect auec lequel vous protestez de vouloir traitter le Roy. Mais Sire, ce dites vous, qu'il me soit permis de vous faire [Page 118] ressouuenir de vostre candeur. Cy dessus vous protestiez à tous les Princes Chrestiens de vouloir suiure la doctrine des Peres des quatre & cinq premiers siecles, & maintenant qu'il est question du point que vous pressez le plus, maintenant, di-ie, qu'il est question de prouuer que le Pape est Antechrist, vous reiettez ce qu'ils ont escrit sur l'Apocalypse, par ce qu'ils sont contraires à vostre opinion. Est-ce donc traitter iustement vos parties? Mais est-ce pas trop hardiment parlé à vous, de dire que le Roy se soit oublié de sa candeur, & qu'il traitte ses parties auec iniustice? Ie veux croire que cette parole vous est eschappée, & ce sera assez pour ce coup, qu'il me soit permis de vous faire ressouuenir de vostre modestie. Mais pour monstrer que c'est à tort [Page 119] que vous apellez à la candeur du Roy, ie veux demander à la vostre, s'il ne faut pas distinguer entre les articles de la foy accordez & resolus par la doctrine commune des Peres, & les points douteux & obscurs des Propheties, en l'explication desquels nous voyons ces Docteurs non seulement ne s'accorder entre eux, mais à peine vn qui en diuerses escris ne varie d'opinion. Le Roy ne proteste sa conformité aux anciens Peres, qu'aux articles dont ils ont esté d'accord ensemble, & qui ont esté sans contradiction approuuez par plusieurs siecles. Mais il s'agit icy d'interpreter l'Apocalypse, prophetie tresobscure, & sur laquelle il est loisible à tous Chrestiens de s'imaginer diuerses sens, & y appliquer ses coniectures, [Page 120] pourueu qu'elles ne soyent pas contraires à l'analogie de la foy, veu mesme qu'entre les Peres à peine y en a il deux qui s'accordent sur ce suiet.
Voila, Monsieur Coëffeteau, ce qui m'est venu au deuant à la premiere lecture de vostre liure. Si i'y rencontre autre chose qui merite la responce, ie vous le feray sçauoir, si la diligence de quelques meilleures plumes ne me deuance.