ESSAIS ET OBSERVATIONS SVR LES ESSAIS DV SEIGNEVR DE Montagne.

Par le Sieur Jonatan de Sainst Sernin.

[fleur-de-lys]

A LONDRES, De l'Imprimerie d'EDWARD ALLDE. 1626.

AV TRES-HONORABLE, ET TRES-GENEREVX CHEVALIER, Monsieur Edoward Osburne.

MONSIEVR,

L'Esprit de l'homme se peut accomparer à vne terre grasse & fertille, laquelle si elle demeure enfriche, & sans estre cultiuèe, produit d'elle mesme diuerses sortes d'herbes. Aussi l'esprit humain, s'il n'a deuant soy quelque obiect pour se proposer, s'extra­nague de luy-mesme, & se forme plu­sieurs imaginations. Ce que i'ay esprou­uè [Page] maintenant demeurant en ceste ville de Londres, (où i'ay seiourné quatre ans, exilé de mon pays pour raison de la Religion Reformèe) durant le temps que Dieu nous a pleu visiter de la Contagion, me tenant reclus & enfer­mè en ma chambre pour crainte de l'in­fection: mon esprit ne me donnant point de repos, s'est fantasié beaucoup de sor­tes de diseours, lesquels i'esuente & mets à present en lumiere. Car elles le meritent, non pas pour l'exquise eloquen­ce qui soit en elles, (car ie vise plus à me remplir de la cognoissance des choses, qu' à me garnir d'vne simple superficie de language) mais à cause de l'obligation que ie croy leur deuoir, durant ce mise­rable temps, s'equestrant & diuertis­sant mes pensées de ce mal pestiferé & de l'apprehension de la mort, auec les [Page] ardentes pieres que i'ay faites à Dieu. Aussi la plus precieuse & la plus excel­lente chose qui soit, c'est le discours: Il est plus riche que l'or, ny nulles pierres precieuses. C'est ce Nectar, & ceste Am­brosie, que les Poetes (voulant ombrager la verité) ont feint, dont les Dieux se repaissent: voulant signifier & dire par cela, que c'est la parole qui entretient & nourit la Diuinitè, & aussi la seconde Personne de la Trinitè, qui est dicte Pa­role, est la nourriture de nos ames. C'est ceste Parole, qui a formé en nous celle que nous auons, laquelle conserue la Societè humaine, & est le lien de la Paix, & nous distingue des bestes brutes. Bref, c'est l'ame de ceste vie, sans laquelle tous les delices que nous prenons en ce monde, seroient vains & frustratoires. C'est vn preseruatif â tous [Page] maux: elle nous peut soulager, sinous nous en sçauons seruir, en toutes ma­ladies, infortunes & accidents, & contre la mort mesme. Les Philoso­phes anciens s'en sont aydez contre tous ces maux la: Le Philosophe Posido­nius estant tourmenté de la Goutte (qui est vn mal, comme vn chacun sçait le plus grand, & où il n'y a point de re­mede) Pompeius l'estant venu visiter, il l'entretinst long temps du discours de la Philosophie, & lors que les plus grands accez de son mal le vexoit & gehen­noit, il n'interrompoit point pour cela son propos, ains disoit seulement, comme par Parenthese, ô douleur, disoit-il, tu as beau faire, tu ne me feras pas dire pour celà que tu sois mal! Ce ne pouuoit estre que par vne grande force de discours, dont il estoit remply & muny. [Page] Or pource donques que c'est vn si pre­cieux thresor: comme de droit les mines de l'or & de l'argent, sont aux Sei­gneurs de la terre, où elles sont descou­uertes. Aussi i'ay voulu addresser pour ceste raison, à toute la Noblesse de la Grande Bretagne, tres-genereuse & tres-magnanime, ces miennes concep­tions que i'ay enfantées en son pais. Elles vous apartiennent donc, Monsieur, & par ce moyen ce petit Liure, vous est dedié aussi & consacré, lequel ie vous ay voulu donner de ma main, pour imprimer & grauer mon nom, comme estant estranger, en vostre memoire, & afin que me recognoissiez cy apres pour,

Vostre tres-humble & tres-obeissant seruiteur, Ionatan de Sainct Sernin.

A LA TRES-GENEREVSE, tres-magnanime, & tres-inuinci­ble Noblesse de la Grande BRETAGNE.

Vos Excellences & Seigneuries,

SCauent assez, qu'vn Essay, èst la preuue de quelque chose, comme essayer vn Pistolet ou vn Mousquet pour esprouuer s'ils sont bons, & essayer vn cheual pour sçauoir s'il manie bien, & s'il est viste à la course. Ausst l'essay d'vn discours, est t'espreuue & exament de nostre esprit, par lequel nous cognoissons la trempe d'iceluy & sa capacité, sur lequel nous vomissons & des­ployons, les plus rares & excellentes inuen­tions qui habitent en nous. Il y a diuerses sortes d'Essais, car la plus part de ceux qui [Page] en font, n'ont autre but, que pour monstrer la profondité de leur sçanoir, & taschent àespuiser toute la science des anciens Au­theurs, pour acquerir le nom de tres-docte & sçauant, mais ils ne nous despeignent point, [...]y ne nous desconurent les qualitez de leur esprit, ny leurs meurs & conditions, ainsi que fait le Seigneur de Montagne, lesquels discours se peunent appeller vrayement Es­sais, car il monstre & produit en euidence son naturel, parlant de luy en tous les suiets, dont il se propose, & declare franchement à quoy il est enclin & adonné, & s'il est garny ou destitué de quelque vertu. Enquoy il sem­ble, qu'il s'est voulu sonder & cognoistre soy­mesme, surquoy il se trouue bien empesché le plus souuent, & se contredit en plusieurs lieux, ce qu'il confesse luy-mesme, disant que son esprit est variable & inconstant, le­quel ne se peut contenter, & que maintenant vne chose luy est agreable, & bien tost apres il change d'opinion contraire. Nout monstrant en cela, combien l'homme est vn suiet ondo­rant & inconstant, & combien il est dif si­cile [Page] dese cognoistre soy-mesme. Flusieurs le calomnient de ce qu'il ne suit le fil de son dis­cours, ains s'amuse à faire plusieurs disgres­sions hors du suiet dont il se propose; en quoy il me semble, qu'ils n'ont point de raison, s'ils ont esgard à l'intention du Seigneur de Montagne, lequel n'a d'autre fin qne d'essayer & esprouuer son esprit, & partant nous met [...]n lumiere ce qu'il ensante confusement & sans ordre, comme vn Pistolet qui lasche tout [...]n l'e ssayant ou biense creue, voyla pour­quoy il nomme son liure Essais, & non pas Discours, c'est à dire, l'espreuue & la mon­ [...]tre de toutes ses conceptions. Aussi en ces [...]iennes Obseruations sur son liure, i'ay vou­ [...]u ensuiure son humeur & façon de faire, ne [...]e liant point à l'opinion de l' Autheur, ains [...]oduits naiuement mon iugement sur le su­ [...]t dont il est question. Et ainsi vn chacun en cut faire autant que moy, car les discours ont infinis & variables, & ne se peut trou­ [...]er Autheur pour si excellent qu'il soit, qui ye parlé de quelque suiet, sur lequel vn au­ [...]e ne puisse dire quelque chose dauantage & [Page] y adiouster. Or il faut vser de ceste regle en li­sant les liures, c'est à sçauoir de n'espouser & embrasser l'opinion de nul Autheur, ex­cepté la saincte Escriture, mais au contraire il faut qu'vn bon esprit tasche à subtiliser cousiours quelque chose s'il peut sur l' Au­theur qu'il lira. Et ainsi ce ne sera pas vn sçauoir Pedantesque qu'il aquerra, mais pro­pre & particulier à luy seul. Or comme les biens d'vn estranger, s'il meurt sans heri­tiers & sans testament, appartiennent de droit, aux Seigneurs de la terre où il a ac­quises ses possessions. Ainsi i'ay estimé que tous les discours que mon esprit a engendrez en vostre pays estant estranger, doiuent ap­partenir à vos Excellences & Seigneuries, comme fort amateurs de la langue Françoi­se: c'est pour quoy te vous ay dedié ces Essais & Obseruations que i'ay faites sur les Essais du Seigneur de Montagne. C'est vn Autheur fort scabreux & espineux, & lequel le plus souuent ne definit point, ny ne veut suiure le suiet du Chapitre qu'il se propose, ains diua­gue çàlà en plusieurs disgressions comme son [Page] esprit le conduit. Voila pour quoy il m'a sem­blé bon d'y faire ces obseruations, pour es­clarcir la matiere, dont il traite. Ie ne vom en donne maintenant qu'vn eschantillon & vne petite piece, desirant de parfaire le liure entier, si le stile de mon discours vous est plaisant & agreable. Or ie vous aduise, que les deux premiers Chapitres sont de mon gi­bier & mes propres conceptions et ne sont [...]oint en Montagne, les autres suiuans sont des Obseruations que i'ay faites sur son liure, qu'on peut appeller autre Essais, car ils sont cotalement differents aux siens: Ie suis de de vos Excellences et Seigneuries,

Vostre tres-humble & tres-obeissant seruiteur, Jonatan de Sainct Sernin,

Les Chapitres contenus en ce Liure.

  • De la Science. fol. 1.
  • De la Vertu. fol. 10.
  • Par diuers moyens on arriue à pa­reille fin. fol. 16.
  • De la Tristesse. fol. 21.
  • Que nos affections nous emportent au delà de nous. fol. 25.
  • Que l'ame descharge ses passions sur des obiects faux, quand les vrais luy defaillent. fol. 32.
  • Que l'intention iuge nos actions. fol. 37.
  • De Loysiueté. fol. 40.

ESSAIS ET OBSERVATIONS sur les Essais du Seigneur de Montagne.

De la Science. CHAP. 1.

LA Science ne consiste pas en discours seule­ment, ains en la prati­que & en l'vsage d'icel­le.

Si vn jeune Medecin fait quelque grand discours de l'Ana­tomie du corps humain, & encore [Page 2] qu'il sçache la vertu & proprité de tous les simples, s'il n'a jamais fait nul­le eure, ny gueri nul malade, l'on ne dira pas qu'il soit expert en son Art, encore qu'il en parle auec eloquence. Si quelque Prescheur disert fait vn elo­quent Sermon sur l'auarice & sur la paillardise, & si luy-mesme est entaché de ces vices, on ne l'appellera pas bon Chrestien ny bon Theologien. Aussi si vn Iuge, encores qu'il eust les Loix dans sa poictrine & toutes les cauilla­tions du Droict, voire encore qu'il fust si capable, que de faire de grands Commentaires sur les Loix mesme, s'il commet de l'injustice en sa charge, on ne le nommera pas vn Iuge juste. Ainsi si on veut posseder vne Science, il faut auoir l'xperience d'eicelle jointe auec la cognoissance. D'où il auient, que nous escoutons plus volontiers vn vieux Capitaine parlant de l'Art militaire, lequel a esprouué & essayé son courage en plusieurs batailles & [Page 3] combats, que non pas quelque elo­quent Orateur: & pour ceste cause Hannibal respondit tres-bien au Roy Antiochus, (qui l'amena pour ouïr l'Orateur Phormion, discourant du deuoir d'vn Capitaine & Chef d'Ar­mée) qu'il n'auoit jamais veu homme qui radoutast & reuast plus que Phor­miō, lequel vouloit parler de la guerre sans auoir veu jamais nulle Armée en bataille, ny assisté en nul combat. Aus­si on voit ordinairement ces grands parleurs & discoureurs le plus souuent ignorans & destituez d'experience. Et sont semblables aux tonneaux qui sont vuides, lesquels ont vn son plus escla­tant & font plus de bruit, que ceux qui sont pleins. On dit d'Epaminondas, que c'estoit l'homme de son siecle qui sçauoit le plus & qui parloit le moins: ce qui arriue communement à tous gens doctes. Ce leur est vne gehenne que d'esuenter leurs rares conceptions, tant pour le prix qu'elles vallent, que [Page 4] aussi pour crainte qu'ils ont de dire quelque chose impertinement & hors de propos, là où au contraire les igno­rans ne se soucient point quel juge­ment on doiue faire de leurs discours. Or les Sciences sont tellement enchai­nées les vnes dans les autres, qu'il est fort difficile que quelcun se puisse ren­dre excellent en vne, s'il n'a quelque legere teincture & cognoissance des autres, afin d'en tirer des similitudes & comparaisons & autres arguments, pour embellir la Science de laquelle il fait profession, pour le rendre plus ca­pable pour sa vocation. Voila pour­quoy Demosthene & Ciceron, & tous les grands Orateurs, qui ont excellé en l'Art de bien dire, ont esté meslez en toutes Sciences, & ont esté flot­tans sur icelles (comme les mouches à miel sur les fleurs d'vn jardin) pour bastir & estançonner leurs discours, par des raisons probables, espuisées d'vn costé & d'autre, pour mieux [Page 5] persuader ce qu'ils entreprenoient. Les Gentils-hommes François obseruent ceste regle plus que nulle autre Nation, dont est venu le Prouerbe, De tout vn peu, & de tout rien, à la Françoise. Et si nous considerons cela profondement, il semble qu'ils ont raison, car que nous sert il de vieillir & nous enseuelir dans vne Science seule­ment, puisque, comme Salomon dit, Tout est vanité, & que la Science n'est que facherie & chagrin d'esprit. Ceux qui y ont esté les plus addonnez, & qui ont consumé tout leur aage dans [...]es Sciences, à la parfin en leur vieil­ [...]esse sont venus à les mespriser & à les [...]aïr, ainst qu'on dit de Ciceron. Et [...]'ocasion à mon aduis de ce dégoust, c'est la profondité d'icelles. Nous n'al­ [...]ons qu'à tastons comme poures aueu­gles à la recheche des Sciences, les­quelles ne nous peuuent rassasier ny [...]ous contenter, car il n'ya nul hōme au [...]onde pour si docte qu'il soit, que s'il [Page 6] se sonde soy-mesme, ne se trouue igno­rant. Socrates qui a esté l'vn des plus sçauants hommes du monde, a con­fessé luy-mesme, qu'il sçauoit voire­ment vne chose, c'est qu'il ne sçauoit rien. Ceste consideration nous doit es­mouuoir à ne nous attacher pas à vne Science seule, puis que nous ne pou­uons paruenir à vne perfection, ains seulement suiuant l'humeur Françoise, il faut recueillir de toutes Sciences de discours, pour plaire en la commune conuersation, & les faut voir en passant & comme en se joüant, pour s'en ser­uir chacun en sa vocation. Car autre­ment c'est fe perdre comme dans vn abisme: Dont il aduient, qu'on dit communement, que les grands Theo­logiens, par trop disputer & ergotiser, deuiennent à la parfin heretiques, & comme dit tres-bien du Bartas, Sou­uent perdent le corps pour trop chercher l'es­prit. Aussi à dire la verité, ces disputes ne sont qu'hameçons dont le Diable se [Page 7] sert pour pipper les esprits, & de rets pour les atraper. Les profonds & sça­uants Medecins, par l'admiration de ce Microcosme & contexture admirable du corps humain, tombent dans l'A­theisme. Les Philosophes naturels sui­uent le mesme chemin, lesquels ont pour Prince Aristote, qui a creu le monde eternel, à cause du continuel changement des formes en la matiere, croyant que ceste mutation se doit fai­re sans fin, & que la matiere doit rou­ler à perpetuité de forme en forme. Les Astrologiens qui ne se contentent pas d'auoir vne simple cognoissance des Cieux, des Astres, des Planetes, vien­nent à les deïfier, & par iceux veulent predire & prognostiquer la fortune & la mort des hommes: ce qui est con­traire à la Prouidence de Dieu. Les Geometriens se rendent resueurs & fantastiques sur la Geometrie. Plutar­que raconte d'Archimedes, en la vie de Marcellus, qu'il fut tellement trans­porté [Page 8] de l'amour de la Geometrie, que lors qu'il se chaufoit aupres du feu, il traçoit sur les cendres des triangles & autres figures, & lors qu'il estoit aux estuues, cependant qu'on l'huiloit, il faisoit sur son corps des figures Geo­metriques, bref il le faloit prendre par force pour le tirer de la contempla­tion, & luy faire prendre son repas. C'estoit vne trop excessiue meditation. Les Iurisconsultes pour trop s'adon­ner aux Loix, sont de mauuaise grace en compagnie, tenant vne grimace triste & morne contenance, lesquels les Gentils-hommes François ont accoustumé d'appeller Pedants, qui ne sçuauent parler que de leurs li­ures. En fin ceux qui s'aprofondissent & s'enfoncent par trop dans vne Scien­ce, se desrobent beaucoup de conten­tement, & se priueut de la douce & plaisante recreation, qu'ils pourroient prendre en vne honneste conuersation. Car que peut seruir vne profondité de [Page 9] Science, si nous nous recognoissons mortels. Et si toute ceste machine du monde doit estre bruslée & consumée, que profitera la cognoissance de la Philosophie, puis qu'il n'y aura point de corps naturels, ny de l'Astrologie, puis qu'il n'y aura point d'Astres ny de Planetes, puis qu'ils doiuent choir des Cieux: ny de la Medicine, puis qu'il n'y aura point de malades: ny de la Iurisprudence puis qu'il n'y aura point de procez. Il faut donc suiure le precepte de nostre Seigneur Iesus Christ, qui nous commande d'amas­ser des thresors qui ne perissent point. C'est done à ceste Science qui ensei­gne cela, à laquelle nous deuons auoir nostre recours, qui est la Theologie. Mais il ne nous faut pas subtiliser des disputes par dessus l'Escriture saincte, ains croire nuëment & simplement ce qu'elle nous dit.

De la Vertu. CHAP. 2.

CE nom de Vertu, qui est en Latin Virtus, semble estre deriué de ce mot Vir, qui veut dire en Fran­çois homme; Aussi ils s'imbolisent & conuiennent ensemble, car vn hom­me ne peut point estre vray homme, s'il n'a quelque espece de Vertu en luy, ny la Vertu ne peut pas estre qu'en l'homme. Ainsi nous n'appellons pas les bestes vertueuses, parce qu'elles n'en sont pas capables, estans desti­tuées de raison, sur laquelle la Vertu est fondée. Et si nous difons de quel­ques herbes, qu'elles ont quelque ver­tu, ou des pierres, c'est improprement, car c'est plustost vne proprieté infuse en icelles. Aristote definit la Vertu vne habitude consistant en mediocrité. A [Page 11] sçauoir-mon s'il veut definir le nom ou la chose signifiée par iceluy. Il est certain qu'il entend parler de la chose: Or sil a chose ne se trouue point au monde, il ne definit rien & parle de Non ente, c'est à dire, du non estre. Car vne habitude de Vertu ne s'est ja­mais treuuée en nul homme. Ainsi qu'il ne se peut trouuer jamais vn si bon Ar­cher, qui frappe tousiours dans le blanc, ains quelquefois seulement. Si on possede vne habitude elle dure jusques au dernier periode de la vie. Il se trouue de grands personnages qui ont executé des heroïques actes de Vertu, mais ils n'y ont pas persisté, & par consequent n'en ont point eu l'habitude.

Scilicet vltima semper
Expectanda dies homini est, dici (que) beatus
Ante obitum nemo, suprema (que) funer a debet.

Ce qui se doit entendre & expliquer de la Vertu, & non pas des richeses tant seulement, car le seul vertueux est [Page 12] heureux, sur lequel on ne peut asseoir nul veritable jugement qu'apres sa mort, parce que la pluspart des hom­mes auant le dernier iour de leur vie, font banqueroute a la Vertu. Alexan­dre le Grand a esté le plus grand per­sonnage orné de toutes sortes vertus, qui ait jamais esté: neantmoins il se treuue fort variable & inconstant en la perpetuelle possession & habitude de la Vertu. Vne fois estant malade, il prinst de grand courage le gobelet de la main de son Medecin Philippus, où estoit la medecine qu'il luy auoit pre­parée, & pour luy monstrer qu'il ne se deffioit point de luy, en auallant ladi­te potion, il luy bailla vne lettre, dans laquelle on luy escriuoit qu'il prinst garde à son Medecin, parce qu'il estoit corrompu par Darius pour l'empoi­sonner. C'estoit vne genereuse resolu­tion & pleine de constance. Mais apres il deuinst soupçonneux de ses plus in­times amis, & fist tuër vn de ses plus [Page 13] grands Capitaines Parmenion, sans nul subjet. Il salüoit la femme de Da­rius sans la regarder, & ne vouloit point qu'on parlast deuant luy de sa beauté, mais il joüit de la vefue du Capitaine Memnon à la suscitation de Parmenion. Le jeune Marius est tan­tost appellé fils de Mars, tantost fils de Venus. Et ainsi il ne se trouue pas vn qui aye obtenu l'habitude de la Vertu, qui n'est autre chose qu'vne constance & fermeté en icelle: vn seul nostre Sei­gneur Iesus Christ l'a possedée, mais c'estoit la Vertu mesme, voire la sour­ce & la fontaine de toutes les Vertus, parce qu'il estoit Dieu. En apres il fant que ceste habitude soit dans l'ame, & non pas seulement aux actions. Or qui est celuy qui peut juger des pensées d'vn autre? En Espagne les Soldats Romains amenerent à Scipion l'Afri­cain leur Generall, vne jeune Princes­se excellente en beauté pour en faire à son plaisir, laquelle estoit fiancée à vn [Page 14] Prince du païs: Scipion l'a deliura à son espoux & paya son doüaire, sans vouloir forcer sa chasteté. Mais si on l'eust peu voir dans l'interieur & au de­dans, ie ne doute point qu'il ne fust chatoüillé de quelque concupiscence, ou bien il ne faisoit cela que pour ac­querir la gloire du monde. Doncques nous n'auons point l'habitude de la Vertu, qui est la perfection d'icelle. Et Aristote a fait vne definition ima­ginaire, car il faut que la definition conuienne à la chose definie, & qu'el­le soit en nature, autrement c'est vne fiction. La Foy, qui est la mere qui en­gendre les Vertus, & la nourrice qui les alaicte & les nourrit, ne se definit pas par ceste habitude, laquelle neant­moins subsiste dans l'ame depuis quel­le nous est donnée, jusques au der­nier souspir de nostre vie, bien qu'elle n'apparoisse pas tousiours, parce qu'el­le est souuent defectueuse & sans ope­ration, comme nous voyons aux plus [Page 15] Saincts personnages en Dauid, en Sainct Pierre & en beaucoup d'autres: encore bien qu'il soit certain que la Foy ne leur a jamais manqué ny defail­ [...]y totalement dans leur coeur, jaçoit qu'ils ayent commis de mauuaises [...]ctions, car les dons de Dieu sont irre­ [...]ocables & sont permanents à tous­ [...]ours, & celuy qui à la Foy vne fois ne [...]'a peut perdre, mais c'est qu'elle n'o­pere pas tousiours, ains est ombragée & obscurcie par le peché, commele Soleil par les nuées, qui nous desro­bent & empeschent la veuë d'iceluy. Ainsi aussi la Foy n'est pas tousiours visible ny actuelle aux fideles, qui sont quelquefois vaincus & surmontez par ces trois ennemis, le Diable, le mon­de & leur propre chair. Il me semble donc qu'il suffiroit de definir la Vertu, que c'est vne mediocrité entre deux ex­tremitez, laquelle ne subsiste pas & n'est pas tousiours permanente dans l'homme, ains seulement en certain [Page 16] temps & en quelques actions. Ainsi la definition s'accordera auec la chose definie & se treuuera en Nature. Car on a veu au temps jadis entre les Pa­yens, beaucoup de grands personna­ges qui ont exploicté de genereuses & vertueuses actions, & s'en rencon­tre plusieurs entreles Chrestiens, mais ils ne sont pas permanents tousiours en icelle, à cause de l'imbecilité de la na­ture humaine.

Obseruations sur les Essais du Seigneur de Montagne,

Par diuers moyens on arriue à pareille fin. CHAP. 1.

IL faut entendre ceste proposition sobrement, & auec interpretation, car si on l'a prend vniuerselle, elle [Page 17] se treuuera fauce. On ne paruient pas à la Vertu par diuers moyens, ains com­me dit le Poëte,

Mediotutissimus ibis
& Medium tenuere beati.

Il faut suiure le chemin du milieu seulement poury attaindre, parce que toutes extremitez sont vicieuses, com­me pour exemple. Si vous voulez de­uenir vaillant, il faut exposer sa per­sonne aux perils & dangers, car en les fuyant ou eschiuant vous ne sçauriez jamais l'estre. Pour estre temperant le seul moyen est d'estre sobre, car par yurongnerie ou gourmandise vous ne sçauriez l'estre. Le mesme est de la li­beralité; par auarice, ou par prodi­galité vous n'aquerrez pas le nom de li­beral, mais il faut que vous soyez orne de prudence pour vser de vostre libera­lité en temps & lieu, & selon la qualité des personnes. Aussi pareillement vous ne pouuez aller au Ciel & en Paradis que par vne voye, à sçauoir par nostre [Page 18] Seigneur Iesus Christ. Partant ceste enontiation fe doit prendre particu­liere, c'est à dire, en certaines actions, comme en celle que le Seigneur de Montagne allegue, qui est, que quand vous auez irrité quelcun qui est plus grand que vous, & qui à le pouuoir de se venger. Il y a deux moyens pour l'a­paiser. Le premier est par humilité & submission, l'autre par constance & magnanimité de courage. Ainsi que fist vn Soldat, lequel ayant offensé Scan­derbeg Prince d'Epire son Capitaine, & luy ayant demandé pardon, ne le pouuant obtenir, prinst vne resolution genereuse, de l'attendre l'espée au poing, lors qu'il viendroit pour le tuer, l'admiration d'vne telle con­stance força Scanderbeg à pardonner à ce Soldat. Il est fort difficile de pou­uoir donner certaines regles, lors qu'on se doit seruir de l'vn de ses mo­yens. Car si par brauerie il arriue quel­quefois d'auoir ce qu'on demande, il [Page 19] arriuera cent fois qu'on ne le pourra pas faire, comme nous voyons en l'e­xemple de Pompeius & Silla. Zenon obtint de Pompeius ce qu'il voulut, en disant qu'il estoit cause luy seul de la rebellion de la ville des Mamertins, & l'hoste de Silla ne le peut pas faire, qui disoit la mesme chose de la ville de Pe­ruse. Le plus expedient est à mon ad­uis, d'essayer la plus douce voye, & celle-là man quant auoir recours à l'au­tre. Car il est fort malaisé qu'vn hom­me irrité se puise appaiser & adoucir par brauade, parce qu'il semble qu'en cela, on veut surmonter son courage & le forcer. Comme nous voyons au Capitaine Betis, lequel ayant esté prins par Alexandre le Grand dans vne pla­ce forte, & ayant soustenu le siege de grand courage, finalement estant prins fut tellement obstiné, qu'il ne voulut jamais crier mercy à Alexandre le Grand, lequel voyant ceste grande ob­stination, contre son naturel (car ça [Page 20] esté le plus doux & le plus clement à ses ennemis, que vainqueur aye jamais esté) luy fist percer les talons & passer vne corde à trauers, laquelle estant at­tachée au cul d'vne charette, le fist ain­si trainer & dechirer. Que si au con­traire Betis eust vsé de submission & imploré sa misericorde, il eust obtenu pardon. Mais Alexandre le Grand qui vouloit auoir la gloire d'estre le pre­mier en courage, estoit fasché de se voir surmonté & vaincu par vn autre, & partant vouloit essayer par torments, de pouuoir arracher de la bouche de Betis quelque priere ou supplication. Pour conclurre; ie diray qu'aux ames genereuses & magnanimes, ce moyen de constance à quelquefois lieu, mais si c'est quelque homme cruel qu'on aye offensé, les submissions & supplica­tions sont plus profitables. Car com­ment voulez-vous qu'vn homme admi­re la vertu qui reluit en vn autre si luy­mesme en est desnué, & qu'il n'en soit [Page 21] doüé? On peut paruenir à certaines choses par diuers moyens. Vn homme peut deuenir riche en mesnageant dex­trement son bien, & aussi par larcin, voleries, & brigandages ou par mar­chandise. On se peut faire Roy & Ty­ran d'vne Republique par vsurpation, comme Iule Cesar, & Dionisius Tyran de Siracuse, ou par election ainsi que Numa Pompilius qui fut esseu Roy des Romains, pour le respect & considera­tion de sa propre vertu.

De la Tristesse. CHAP. 2.

IL y à des Vertus, dit Aristote en ses Morales, qui n'ont point de nom, comme entre ces deux extremitez [...]tupide & voluptueux, son milieu est [...]y stupide, ny voluptueux. Aussi en­ [...]re l'extresme Tristesse & la joye de­mesurée, [Page 22] il y a vne mediocrité entre eux, c'est de n'estre, ny joyeux, ny tri­ste. La Tristesse est vne extremité vi­cieuse, parce que c'est vne passion si extresme, quelquefois enuers quel­ques vns, qui transporte leur ame hors de leur siege. Les Stoïques en defen­dent l'vsage à leur Sage, c'est à dire, qu'ils ne veulent pas, que le Sage qu'ils forment, s'abandonne à la Tristesse. Et c'est auec bonne raison, car elle of­fusque & esteint en nous totalement nostre raison, & quand quelque ad­uersité nous accable, elle nous sille les yeux, & nous empesche de voir les re­medes pour obuier & resister aux maux qui nous enuironnent. A son premier abord elle nous rend immobi­les comme des rochers, ainsi que les Poetes ont feint de la miserable Niobé qui auoit perdu sept fils & sept filles, ‘Diriguisse malis.’

Ou bien elle nous fait fondre en pleurs & ruisseler en larmes, de sorte [Page 23] que c'est vne dangereuse hostesse, qui mine & ronge du tout le coeur de l'homme. Et d'vne fois qu'elle y a esta­bly son siege, il est malaisé de la pou­uoir desraciner. Les Italiens nomment de mesme nom la malignité, car vn hō ­me meschant & malicieux est plustost triste que joyeux. Ce que Iule Cesar tes­moigne, respondant à quelques vns qui luy vouloient rendre suspects An­tonius & Dolabella, Ie n'ay pas crain­te de ceux-là, qui sont si bien peignez & frisez, mais de ces taciturnes & son­ge-creux, voulant entendre de Brutus & de Cassius. Enquoy il ne fut pas de­ceu de son opinion, car ils conspire­rent bien tost apres contre luy & le tuë­rent en plein Senat. Il est bien vray que la science rend vn homme docte, triste, mais ce n'est pas proprement Tristesse, ains vne profonde contemplation & meditation qu'il à en soy. L'extremité de la joye est aussi vituperable, car elle nous fait sortir, si elle est excessiue, hors [Page 24] des gonds de la raison. Car lors que nous sommes enflez de quelque grande prosperité, elle nous emporte hors de nous mesmes, & nous fait commettre plusieurs indignitez contre nostre hon­neur & dignité mesme. Ainsi que nous voyons de Philippus Roy de Macedoi­ne, lequel ayant vaincu les Grecs en la bataille de Cheronée, fut transporté d'vn si grand excez de joye, & de laise d'vne si glorieuse victoire, qu'auec ses Mignons & Courtisans, il se mist à danser desordonnement & salement contre la dignité du rang qu'il tenoit. Il faut donc tenir la bride à ces deux extremitez lors qu'elles nous assaillent, & garder le timon & gouuernail de nos actions ferme, qu'il ne se deuoye du compas de la raison, afin que nulle aduersité, ny prosperité ne puisse faire desloger nostre ame hors de son ordi­naire assiette.

Que nos affections nous empor­tent au dela de nous. CHAP. 3.

LEs Philosophes anciens disent & afferment que la Nature n'a fait rien en vain, qui est vn axiome tres-veritable. Toutesfois nous voyons qu'elle a engendré en nous des desirs de beaucoup de choses, ausquelles nous ne pouuons jamais paruenir, comme le desir de l'immortalité & de viure tousiours. Mais à cela on peut res­pondre, que ce n'est pas la faute de la Nature, c'est à sçauoir de Dieu au­theur de la Nature, lequel nous auoit creéz immortels, & par le peché de nostre premier pere, qui nous a apor­té la mort, sommes decheus de ce grand bien. C'est pourquoy aussi nous voyons nos affections desreglées & de­sordonnés, [Page 26] qui nous emportent par dessus nostre pouuoir & puissance. Nous allons tousiours haletans apres l'aduenir, sans nous attacher aux cho­ses presentes, qui nous fait le plus sou­uent perdre la joüissance du bien pre­sent, pour courir apres vn autre incer­tain; imitant en cela le chien d'Esope, qui laissa le morceau de chair qu'il a­uoit en sa gueulle, pour prendre celuy qu'il voyoit dans l'eau. Il y auoit en la Cour de Pyrrhus Roy des Epirotes, vn sage Philosophe nommé Cineas, lequel voyant Pyrrhus poussé d'ambi­tion de conquerir plusieurs Royauines. Vn jour il luy tinst vn tel propos, lors que le Roy se preparoit pour aller à la conqueste de la Cicile: Sire, dist-il, quand tu auras subjugué la Cicile que feras-tu? Nous pouuons passer de là en Italie, respondit Pyrrhus, & puis en la Gaulle & en Espagne, & passant le destroit de Gibaltar, pouuons venir dans la grande mer Oceane, & ainsi [Page 27] circuir toute la terre habitable. Et apres toutes ces grandes conquestes, à quoy t'ocuperas-tu? luy dist dere­chef Cineas. Nous nous reposerons, repondit-il: Qui t'empesche que tu ne le faces maintenant? repliqua ce sage homme: pourquoy vas-tu chercher tant de trauaux, & t'exposer à tant de perils & dangers, si tu n'aspires qu'à te mettre en repos, le pouuant faire à present? Alexandre le Grand se mist à plorer, oyant discourir le Philoso­phe Anaxagoras, qu'il y auoit plu­sieurs mondes: disant qu'il auoit rai­son de ce faire, voyant qu'il n'en auoit pas encore conquis vn. Combien de Marchants voyons nous mettre tout leur bien dedans vn vaisseau, lequelle plus souuent fait naufrage, & les re­duit en extresme poureté? & c'est pour vne insatiable cupidité d'acquerir for­ce richesses. La pluspart des Gentils-hommes François quittent leurs pro­pres heritages pour courir apres vn [Page 28] vent de fortune aux païs estrangers, où le plus souuent ils abregent leurs vies. I'ay veu en Moscouie Monsieur de la Ville Colonel, & le Sieur de Barriere son frere qui pensoient faire vne gran­de fortune, lesquels y sont tous de­meurez morts. Le Sieur de Montarsis Capitaine du Regiment dudit Sieur de la Ville, estant frappé d'vn coup de mousquetade à trauers la bouche, qui luy auoit emporté vne partie de la lan­gue, estant au lict malade à Nogore capitale ville de Ruscie en Moscouie: se plaignoit à moy & me faisoit ses re­grets, de ce qu'il estoit venu jamais en païs estrange, pouuant en son païs es­pouser vne heritiere de cinquante mil­le liures, & dont il eust vescu à son aise tout le temps de sa vie. Ainsi nous voyons que ceux qui en eschapent, n'emportent qu'vn repentir auec eux; comme moy-mesme, qui ay esté en Moscouie & Pologne huict ans, sans y auoir rien profité qui vaille. Nous [Page 29] nous deuons contenter des biens que Dieu nous donne en nostre propre païs, & en estre bons mesnagers, sans penser d'en acquerir ailleurs. Donc­ques le plus expedient, c'est de borner nos desirs & nos affections & les con­tenir en nous-mesmes, qu'elles ne nous emportent sur leurs aisles. Il y a des Philosophes, qui n'ont constitué que deux fins de choses, à sçauoir le bien & le mal; Enquoy ils se sont trompez, car il y a des choses indifferentes, ny bonnes ny mauuaises: & si nous pre­nons ce mot de bon vniuersellement, il n'y aura point de mal, ains toutes choses seront comprinses sous le genre bonté, car nous voyons que Dieu dist, quand il eut acheué le monde, qu'il vit que tout ce qu'il auoit fait estoit bon. Doncques il est necessaire de faire di­stinction des choses pour les compren­dre. Et Aristote à mieux fait que tous les autres, qui a diuisé toutes choses en dix Categories ou rangs, à sçauoir [Page 30] la Substance, la Quantité, la Qualité, la Relation, & les six autres ensuiuans. Ainsi de nos affections, il y en a de trois especes, à sçauoir les vnes bon­nes, les autres mauuaises, & d'autres indifferentes. Or la plus grande erreur des hommes, est de ceux qui veulent estendre leurs affections par dessus leur vie, & auoir vn soin inutile de ce quiad­uiendra apresleur mort. Comme nous voyons par les Histoires, que toutes les conquestes qu' Alexandre le Grand & Cesar ont faites, n'estoit pas tan [...] seulement pour joüir d'icelles durant leur vie, mais pour immortaliser leur nom à la posterité, & eterniser leur gloire aux siecles aduenir. Moins est tolerable le desir de ceux, qui ont vou­lu abstraindre vne fatalité à leurs mem­bres & à leurs os apres leur mort, ca [...] cela surpasse toute impieté. Comme Edward premier de ce nom Roy d'An­gleterre, lequel commanda par son so­lennel testament à son fils, que qand i [...] [Page 31] seroit mort, il fist boüillir son corps, & desprendre la chair d'auec les os, pour porter les os auec luy en toutes les guerres, qu'il auroit contre les Es­cossois, parce que durant sa vie il en auoit obtenu tousiours tres-heureuse victoire. Zisca Capitaine en Boheme, qui defendoit la foy de Wiclef (que le Seigneur de Montagne, parce qu'il estoit Papiste, appelle erreurs) com­manda qu'apres sa mort on l'escor­chast, & que de sa peau on en fist vn tabourin, pour le porter a la guerre contre les ennemis. Les Italiens ont accoustumé de porter les ossemens des grands Capitaines decedez qui ont esté deuant eux, mais ils sont plus ex­cusables queles deux premiers, parce qu'ils n'ont point la cognoissance de Dieu. Que dira l'on des autres, qui se sont occupez durant leur viuant, d'or­donner de la ceremonie de leurs sepul­tures; d'autres de faire grauer sur leurs tombeaux leurs effigies, pour contem­pler [Page 32] durant leur vie leur morne conte­nance. Ainsi nous voyons que la plus­part des hommes font emportez par leurs affections au delà d'eux-mesmes, & se passionnent pour des choses qui ne les touche, ny ne les concerne en rien.

Que l'ame descharge ses pas­sions sur des obiects faux, quand les vrais luy defaillent. CHAP. 4.

C'Est vne chose certaine, que si nous ne nous proposons quel­quelque object deuant nos yeux, nostre esprit s'alambique & se distile en vaines imaginations. L'exemple nous en est tres-clair & manifeste aux An­ciens Payens, lesquels estans enuelo­pez dans les tenebres d'ignorance, n'ayans point la cognoissance du vray [Page 33] Dieu, se sont forgez en leur cer­ [...]eau diuerses sortes de diuinitez, voire auec vn tel desordre & confu­sion, qu'ils ne se sont pas conten­ [...]ez seulement d'adorer les Astres du Ciel, mais se sont tellement abaissez, que de reuerer les bestes qui sont sur la terre. Aussi à dire a verité, qui sera destitué de la co­gnoissance du vray Dieu, ira tous­ [...]ours errant & vagant sans qu'il se puisse jamais rendre content en son esprit. C'est luy seul qui arreste nos affections & nous remplit de tout contentement: En luy seul gist no­stre souuerain bien. Pour ne nous escarter point donc & extraua­guer çà & là, ayons nos affections & desirs, voire toute nostre ame tenduë à luy, & nous ne nous fouruoirons jamais. Les Philoso­phes anciens se sont trauaillez beaucoup à la recherche de la [Page 34] Vertu & à la suiure, or la voye d'i­celle consiste au milieu. Mais po­ures aueugles qu'ils estoient, ils pensoient paruenir à la Vertu d'eux­mesmes & sans aide, en quoy ils ont esté totalement frustrez. Ce n'est rien de se contraindre pour quelque temps dans les bornes de la Vertu, il y faut persister toute sa vie: Vous ne direz pas vn hom­me vaillant, s'il n'a executé qu'vn seul exploit de vaillance, & qu'il se soit trouué lasche en quelques autres endroits: ny vn Iuge juste s'il s'est desuoyé en quelque a­ction de la Iustice, encores qu'il aye exercé auparauant plusieurs actes justes signalez, & ainsi de toutes autres Vertus. Or choi­sissez-moy le plus vertueux Philo­sophe des anciens Payens, vous n'en treuuerez pas vn, qui aye che­miné jusques au dernier periode [Page 35] de sa vie dans les sentiers de la Ver­tu, s'ils estoient garnis de l'vne, ils estoient destituez des autres. Doncques pour trouuer la trace & le vestige de ceste Vertu, laquel­le est si difficile à suiure, ayons re­cours à celuy qui dit au 14. de Sainct Iean Ie suis le Chemin, la Verité & la Voye: Qui le regardera il s'en trou­uera tout esclairé & ne se fouruoyera jamais. C'est nostre compas & no­stre Cadran, auquel nous deuons tousiours viser; c'est donc ce grand Sauueur nostre Seigneur Iesus Christ, qui peut saouler nostre ame & la rassasier, & l'empescher quelle ne diuague apres plusieurs faux objects: C'est le remede que ie vous donne pour l'arrester & l'a con­tenir dans son veritable object. Et non pas faire comme ceux qui ont recours aux Saincts & Sainctes, qui sont de faux objects, & laissent [Page 36] leur Redempteur; en quoy ils se trouuent fort ingrats enuers luy, qui a repandu son sang & est mort pour nos pechez. Si Auguste Ce­sar eust eu ceste cognoissance, estant agité de la tempeste, il n'eust pas deffié le Neptune; ny lors qu'il perdit fes Legions sous Quinti­lius Varus, il n'eust pas heurté sa teste contre vne muraille, criant follemeut, Varus rends moy mes Legions, mais il eust imploré la misericorde de Dieu, son aide & son assistance. Ce que nous deuons pratiquer ordinairement, lors que nous venons à receuoir quelque grande perte, & ne prendre point de faux objects, en battant nostre poictrine, ou dechirant nos che­ueux. Le Seigneur de Montagne ne fait que se dilater en plusieurs exemples, pour monstrer la folie de ceux qui ont prins de faux objects [Page 37] pour les vrais, mais il ne nous pro­pose point le moyen pour se distrai­ [...]e d'iceux, & embrasser les verita­ [...]les. En quoy il ne nous donne nul­ [...]e instruction. En toutes doncques [...]duersitez, calamitez & afflictions, [...]ettons nostre esperance en nostre Createur, & ayons nostre esperan­ [...]e en luy, & il deliurera nostre [...]me de tous faux objects, & la ren­ [...]ra paisible, serene & tranquille.

Que l' Intention iuge nos Actions. CHAP. 5.

C'Est Axiome est faux, encore que le Seigneur de Montagne le tienne certain. Car s'il [...]uoit 'ieu, les Iuifs qui crucifierent nostre Seigneur Iesus Christ se­roient [Page 38] excusables, parce que leur intention estoit bonne, penfans faire seruice a Dieu. Ainsi pouuons nous dire des autheurs des massa­cres de France, lesquels pensoient faire grand seruice à Dieu, en ex­terminant ceux de l'Eglise Refor­mée. Il arriua en France qu'vn Gen­til homme ayant vn Pistolet à la main, lequel estoit charge, le pre­senta à vne Damoiselle, pensant se joüer, pour luy faire peur, & il ad­uinst que la roüe se tourna & le feu se prinst à la poudre, & ainsi il tua ceste Damoiselle; son intention n'estoit pas celle-la, toutesfois il ne restoit pas qu'il ne [...]ust coulpa­ble de sa mort. Les Indiens man­gent leurs peres quand ils sont morts, toutes fois leur intention es [...] bonne, cuidans qu'ils ne leur sçau­roient donner vn meilleur & plus beau tombeau que leur corps pro­pre [Page 39] cependandant c'est vn acte bar­bare & inhumain. Il me semble donc qu'il faut vser en cecy de ce­ste distinction, c'est à sçauoir, que si les actions sont mauuaises, l'in­tention bonne ne les peut juger, [...]ains ceux qui les commettent sont coulpables desdites actions, mais si nous faisons de bonnes oeuures & actions, & que l'intention soit mauuaise, l'intention juge & con­damne nos actions, bien qu'el­les soient bonnes, comme si quel­cun fait aumosne par gloire pour estre regardé des hommes, son au­mosne ne vaut rien, & n'est point acceptable deuant Dieu. Pareille­ment si quelcun fait quelque libe­ralité, en consideration d'acque­rir reputation dans le monde, il ne peur pas estre appellé liberal, car celuy qui veut obtenir le nom d'vne vertu, il faut que son coeur [Page 40] & son intention tende seulement à icelle, sans nul autre respect que pour l'amour d'elle, car la Ver­tu, comme disent les Philoso­phes, est desirable d'elle mesme. Ce qui conuient à la Parole de Dieu, laquelle ne juge point vn homme religieux, qui n'a rien que les Ceremonies externes, ains vn hipocrite. C'est donc en ceste fa­çon que l'intention juge nos a­ctions.

De Loysiueté. CHAP. 6.

IL y a vn precepte de Pythago­ras, qui parle ainsi, Garde toy de t'asseoir sur le boisseau, c'est à dire, prens garde de n'estre point [Page 41] oyseux; Car à dire la verité l'oysi­ueté est la peste des esprits, & qui engendre toutes sortes de vices en nous. C'est la porte par laquelle le Diable entre en nous, & nous suggere dix mille sortes de mes­chants desirs & folles imagina­tions, nous faisant abandonner aux voluptez & aux delices. Com­bien voyons-nous aux Histoires an­ciennes plusieurs Roys, qui ont perdu leurs Estats & leurs Royau­mes par ce moyen. Tite Liue & Plutarque disent, que le sejour que les Soldats d'Hannibal firent à Capouë, où ils demeurerent oy­sifs long temps & s'adonnerent à leurs plaisirs, fut cause de la ruïne d'Hannibal. Car il n'y a rien que le trauail qui rend fort le corps, & vne accoustumance a iceluy; la où au contraire par loysiueté & de­lices il se rend lasche poltron & sans [Page 42] courage. C'est par ceste voye que les grands pesonnages sont parue­nus à tant de glorieux exploicts, qu'ils ont executé & mis à fin; com­me Alexandre le Grand, Cesar, Cyrus, & tous les autres anciens Capitaines. L'Empereur Vespasian, dit Suetone, estant malade de la maladie de laquelle il mourut, com­me les Medecins luy defendoient de despecher aucune affaire, ains d'auoir l'oeil seulement à sa santé, il leur respondit qu'il faloit qu'vn Empereur mourust debout, c'est à dire tousiours agissant jusques à l'ex­tremité de la vie. C'est vne parole digne d'vn grand personnage, la­quëlle tous les Roys & Princes se doiuent mettre deuant les yeux, pour les garder de croupir en oysi­ueté, & de ne donner la charge de leurs principaux affaires à leurs Of­ficiers, pour se deliurer de la peine [Page 43] de les entendre, dont ils encourent le plus souuent leur totale ruïne, & sont causes de beaucoup d'excez & concussions, qui se commettent sur leur peuple, pour ne daigner pre­ster l'oreille aux affaires. Il faut donc embrasser le trauail, & fuir l'oysiueté sur toutes les choses du monde.

FIN.

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