HISTOIRE DE LENTREE DE LA REINE MERE DV ROY TRES CHRESTIEN.

DANS LA GRANDE BRETAIGNE PAR LE Sr. DE LA SERRE.

A LONDRE Inprime par Iohn Raworth pour George Thomason, et Octauian Pullen Au Omitiere Sr Paul a la Re [...]

HISTOIRE DE L'ENTREE DE LA REYNE MERE DV ROY TRES-CHRESTIEN, DANS LA GRANDE-BRETAIGNE.

Enrichie de Planches.

Par le Sr. de la Serre, Historiographe de France.

A LONDRE, Par Jean Raworth, pour George Thomason, & Octauian Pullen, à la Rose, au Cimetiere de Sainct PAVL.

M.DC.XXXIX.

[...] jamais porte qvn sceptre de Ivstice
El pour les criminels et pour les innocens
[...]
[...]

AU ROY DE LA GRANDE-BRETAIGNE.

SIRE,

On peut joindre cétte Histoire a celle de vo­stre Majesté, puis que cen'est qu'vn nouueau recit deses faicts glorieux, en faueur de la plus grande Reyne qui ait jamais porté couronne. C'est [Page] vn ouurage dont vos seules vertus m'ayant fourny la matiere elles mes­mes luy donnent le jour ou jelemets, afrin que la lumiere en soit éternelle. Vostre Bonté à paru dansson throsne lors que Vous estes descendu du vo­stre, pour y faire assoir dessus cétte di­gne Princesse durant le regne de ses malheurs. Vostre Iustice s'est faite admirer de nouueau dans tous les honneurs extraordinaires que Vous luy auez rendus, par autant de voix, & d'actions, qu'il y a de sujetz en vo­stre Royaume. Vostre Prudence a esté si considerable dans les ordres qu'on a obseruez aux somptueux [Page] preparatifs qui ont precedé son en­tree; qu'il faut aduoüer que vous auez pris plaisir en cétte rencontre de n'auoir point de pareil, étant d'ail­leurs inimmitable en toutes choses. En fin vostre Liberalité nous a faict cognoistre d'abord, que comme el­le ne pouuoit treuuer des limittes en vn sujet, ou vostre affection & vo­stre zelle n'en auoient point: elle estoit contrainte de chercher sa mo­deration dans ses excez, considerant le merite de sa cause. D'ou vient qu'encore que Vous ayez faict cel­lebrer la feste solemnelle de son en­tree dans Londre, auec toutes les [Page] magnificences dignes de sa qualité & de vostre Grandeur, Vous vous re­prochez tousiours à vous mesmes de n'auoir peu satisfaire vos desirs, ny contenter vostre enuie. Et ce sont ces veritez SIRE, que ma plume laisse en depost à la posterité, pour apprendre à nos Nepueux, qu'encore que les bornes de l'Ocean soient celles-là mesmes de vostre Empire, Vousen mes priseriez les couronnes, si vostre vertu ne vous en conseruoit la posses­sion, auec la mesme Justice que la Nature Vous la donnée. De sorte que n'ayant jamais affecté d'autre gloire à vostre Nom, que celle que [Page] Vous tirez du merite de vos acti­ons: vostre Renommée Vous faict tous-les-jours tant de sujetz dans les Royaumes d'autruy, que Vous y reignez aussi absolument, que sur les terres de vostre obeissan­ce. La seule satisfaction qui me re­ste SIRE, c'est qu'on ne me sçauroit accuser de flatterie, puis qu'elle-mesme n'a point de loüanges qui ne Vous appartiennent en pro­pre. De maniere qu'en soutte­nant que Vous estes vous-mesmes vostre exemple en toute sorte de qualitez, je ne say que redire ce que tout le monde cognoit, [Page] que l'enuie mesmes confesse, & que je publieray en tous lieux, pour m'y faire remarquer

SIRE,
De Vostre Majesté Tres-humble & tres-obeissant seruiteur P. de la Serre.
La vertu pour se faire voir
Se [...]tam pe [...]e surce visage
Cette Grande Reyne fort sage,
Luy sert tous les jours de miroir, La Serre

A LA REYNE DE LA GRANDE-BRETAIGNE.

MADAME,

Ie ne sçaurois faire vn plus beau present a vostre Majesté que celluy de ce Liure, puis que je l'ay composé à l'honneur de la plus grande Reyne [Page] qui fut jamais, dont Vous estes la Fille. Que pourroisje vous offrir de plus agreable que cétte Histoire de l'entree de la Reyne vostre Mere dans vostre Royaume, si Vous n'en portez aujourdhuy le Sceptre, & la Couronne que pour luy faire hom­mage de tous les deux. C'est vn nou­ueau miroir qui ne flatte point, MADAME, & ou vostre Majesté se peut admirer des yeux de l'esprit & de la pensee, si accomplie en toutes choses, que quand Elle deuiendroit amoureuse d'Ellemesme, il y auroit plus de merite que de vanité en cétte amour, puis que toutes ses vertus en­semble [Page] enseroient l'object. Certes quand je me represente les purs sen­timens de vostre joye, aux premieres nouuelles de l'enuie que la REYNE vostre Mere auoit de Vous reuoir: les continuelles aprehensions ou son embarquement Vous tenoit; quoy qu'Elle fut en mer sur les terres de vostre Empire: les soings extraordi­naires que Vous preniez à luy faire preparer en vostre presence, le beau Palais de son sejour: l'extréme impa­tience dont Vous auiez l'esprit inqui­eté en l'attante de son arriuée: les humbles debuoirs, & les pareilles soubmissions que Vous luy rendites [Page] à son abord, dont ses pieds fu­rent les plus proches témoings. Tout cella ensemble MADAME, parut si nouueau à cétte Grande Princesse, & si admirable a vncha­cun, que je me sentis forcé de croire: Que si Vous n'estiez Fille, Femme, & Soeur des trois plus puissans Monarques du Monde, tous ses diuers Peuples Vous en offriroient la Couronne; Mais com­me vostre naissance & vos perfecti­ons Vous ont desja élleuée sur le plus haut trosne de la Gloire, les voeux publics n'ont point d'object icy bas qui ne soit au dessoubs de [Page] vostre merite. Ce qui m'oblige d'en faire vn particullier en ma fa­ueur pour meriter la qualité que je porte

MADAME,
Detres-humble & tres­obeissant seruiteur de vostre Majesté, P. de la Serre.
Tes En [...]us rauis de le voir
Vessrent leur sceptre el leur couronne
Ils te resignent leur pouuoir.
Par cette Espee quon te Donne

HISTOIRE, DE L'ENTREE DE LA REYNE-MERE DV ROY TRES-CHRESTIEN, DANS LA Grande-Bretaigne.

LEurs Majestez de la Grande-Bre­taigne ayant esté informees par Monsieur de Monsigot, Resident pour la Reyne en Angleterre, de la resolution qu'Elle auoit prise de les y venir treuuer, la nouuelle leur en fut si agreable, qu'Elles at­tendoient desia auec impatience ce bon-heur.

Elle ne fut pas de longue duree, puis que peu de temps aprez le sieur de la Montaigne, gentilhomme des gardes du corps de la Reyne, fut depesché pour faire sçauoir a Monsieur de Monsigot l'embarquement de sa Majesté en Hollande, dont il porta parolle au Roy, son Beau-Fils, & a la Reyne sa Fille, qui en receurent vn extreme contentement.

Les ordres cependant furent donnez a l'instant mesmes de la propre bouche du Roy, a Monsieur le Comte de Northamberland; comme vn des premiers Comtes & Grand Admiral d'Angleterre, Conseiller d'Estat & Pri­ué: Issu des anciens Ducs de Brabant, & de la tige de Charle-Maigne, dont il conserue glorieusement le renom; pour receuoir la Reyne au premier port ou Elle aborde­roit, auec tous les honneurs qui luy estoient deubs. Employ que ce Seigneur accepta promtement, affin de s'en acquit­ter demesmes; quoy qu'il fut releué de nouueau d'vne ma­ladie qui luy faisoit encore doubter de sa santé.

Il estoit accompagné de Messieurs les Viscomtes de Conuuay & de Grandison, tous deux fort considerables; de Monsieur le Baron de Goring, grand Escuyer de la Reyne, & l'vn des plus accomplis Seigneurs de la Court: Comme aussi de Monsieur le Cheualier Vaine, grand Conterolleur de la Maison du Roy, de son Conseil d'Estat & Priué; cy­deuant Ambassadeur vers le feu Roy de Suede, & Messi­eurs les Estats des Prouinces vnies des Pays-bas; employé au defray de sa Majesté & de toute sa Court: & aujourdhuy Tresorier de la Maison du Roy.

Monsieur de Monsigot, commedes plus zellez en son debuoir, ne manqua pas d'estre de la partie, accompagné de cinq ou six Gentilshommes de la Reyne, qui demeuroient depuis quelquetemps en Angleterre.

Monsieur le Cheualier Finet, Maistre des ceremonies, gentilhomme de grande consideration pour sa probité, auec son Mareschal d'Office; ayant receu en suitte comman­dement de se pouruoir d'vn grand nombre de Carrosses a six cheuaux, sans mettre en conte ceux du Roy, de la [Page] Reyne, du Prince, & de la Princesse, n'y de beaucoup d'au­tres Seigneurs, pour la conduite de sa Majesté & de son train; du port de Douure ou l'on l'attendoit, jusques a Ro­chestre, ou le Roy & la Reyne auoient dessaigné leur Ren­desuous; suiuis de toute la Court. Ces Ordres & ces Com­mandements furent executez, mais inutillement, par la continuation du vent contraire; en sorte que Monsieur le grand Admiral s'en retourna a Londre, y estant contraint par vne recheute de sa maladie. Et le Roy y enuoya Mon­sieur le Duc de Lenox, son proche parent, l'vn des Gentils­hommes de sa chambre du Lict, & dont le merite est aussi cognu que le nom. Il fut accompagné de Monsieur son Fre­re, qui porte dignement cétte qualité, apelé Monsieur le Comte Ludouic: de Messieurs les Viscomtes de Conu­uay & de Grandison; de Messieurs les deux fils aynez de Monsieur le Comte de Morton; du Milord Goring, de Monsieur le Chevalier Vaine Grand Conterolleur, de Monsieur Finet, Maistre des Ceremonies, & de beaucoup d'autres Seigneurs, Cheualiers, & Gentilshommes de la chambre Priuee de sa Majesté.

Tous estant arriuez a Cantorbery ils y sejournerent long temps, en attandant que le vent changeat; mais jugeant que l'attente en seroit fort longue en la saison ou l'on estoit, ils s'en retournerent a Londre, ou les nouuelles du desembar­quement de la Reyne au port de Harwich en la prouince d'Essex, y estant aussitost qu'eux, par la voye expresse de Monsieur de la Masure, Lieutenant de la Compagnie des cent Gentilshommes des gardes du corps de la Reyne, qui les porta de sa part a leurs Majestez. Monsieur le Duc de Lenox eut de nouueau commandement du Roy de par­tir [Page] a l'instant mesmes, auec toute sa Compagnie, pour luy aller au deuant, & luy offrir de sa part, a l'entree de son Royaume, l'authorité de son Sceptre, & de sa Couronne.

Monsieur de Monsigot, accompagné en particulier de ces Gentilshommes de la Reyne, qui demeuroienten An­gleterre, se mit du nombre pour pour luy aller rendre ses debuoirs: Mais tandis que tous ensemble sont en chemin, quelque diligence qu'ils facent jour & nuict, ils me donne­ront le loisir de vous informer de tout ce qui se passa au des­embarquement de sa Majesté a ce port de Harwich.

La Reyne n'y peut prendre terre que le Vendredy au matin vingtneufuiesme d'Octobre; quoy que sa Nauire eut esté en veuê a la portee du Canon des le Jeudy, a cause de la tempeste, qui n'empescha pas pourtant le Gouuerneur du Chasteau d'aller rendre ses premiers debuoirs a sa Ma­jesté, & l'asseurer a mesme temps de la part du Roy son maistre, du commandement exprez qu'il en auoit eu de la receuoir, la loger, & la traiter Elle, & toute sa Court, auec plus de respect & de soing, que si luy-mesmes y eut esté en personne, dequoy la Reyne le remercia. Ie suis obligé de vous dire en passant, qu'on ne s'estoit jamais persuadé que sa Majesté deut surgir a ce port-là, a cause de sa perilleuse assiete & des dangers euidens qui se treuuent en ses aue­nues.

[...]HEVREVX DES EMBARQEMENT DE LA REYNE AV PORT DE HARWICH

LE Vendredy au matin la Reyne print terre auec vne joye incroyable, ayant esté sept jours entiers dans vn orage continuel. Mais certes la compassion que sa Majesté auoit de ses Dames & de ses Filles d'honneur, causoit la plus grande partie de son contentement, & a n'en point mentir, les apas & les graces de toutes ces Dames estoient vn peu en desordre a la sortie de la Nauire; parce que comme dans vn orage, & si grand, & si continuel, Elles n'estoient occupees qu'a soullager leur douleur, plutost qu'a conseruer leut beauté, tout paressoit en Elles, & si triste & si déplorable, que la plus belle touchoit les coeurs de pitié plutost que da­mour. Toutesfois apres tant d'aprehensions de naufrage, la joye de se voir au port les possedoit si absolument, qu'on pouuoit considerer tout a la fois, & les aparances d'vne alle­gresse presente, & les marques d'vne tristesse passee.

La Reyne seule ayant tousjours parue comme insensible aux fatigues de la Mer, par vne force d'esprit & de corps nonpareille, se fit admirer de tout le monde, auec son visage & sa Majesté ordinaires.

Tout le port estoit remply de deux costez des soldats de la garde, & des bourgeois de la ville, également armez; comme aussi toutes les ruês par ou la Reyne debuoit passer▪ De moy j'arrestois tellement mon esprit a la consideration des honneurs & des respects, qu'vne foule de peuple de tout sexe & de tout âge rendoit a sa Majesté, par mille differentes actions, a qui le zelle donnoit & le prix, & la grace, qua peine pouuoisje discerner le bruit des canons, auec celuy des acclamations d'allegresse, quoy que l'armonie en fut di­ferente extrémement.

La Reyne fut logee dans la maison du Maire, comme vne des plus belles; & des le lendemain les nouuelles de son arriuee obligeant plusieurs Seigneurs, & Gentils­hommes de voisins de venir offrir leur seruice a sa Maje­ste; ils eurent l'honneur de luy faire la reuerence, par l'en­tremise de Monsieur le Viscomte de Fabrony, qui rendit des nouueaux tesmoignages de leur bonne volonté.

Ce mesme jour sur le soir, Monsieur le Duc de Le­nox arriua a Harwich auec toute sa compagnie: & des lors qu'il se fut enquis de Monsieur le Viscomte de Fa­brony de la santé de la Reyne, ne croyant pas auoir l honneur a l'heure qu'il estoit, de faire la reuerence a sa Majesté. Il l'informa en particulier de ses ordres: mais comme la Reyne fut aduertie a l'instant de son arriuee, Monsieur le Vicomte de Fabrony luy portant parole a mesme temps de l'impatience ou sa Majesté estoit de le voir, il le mena a l'audience & le presenta a la Reyne, qui le receut d'vn fort bon visage, & auec toutes les de­monstrations d'vn sensible contentement.

Monsieur le Duc de Lenox dit a sa Majesté, Que le Roy son Beau-Fils, & la Reyne sa Fille se réjoüis­soient également de son heureuse arriuee, & de sa bon­ne santé, & qu'il auoit commandement de l'asseurer de leur part, qu'Elle seroit aussi absoluë qu 'Eux, sur les ter­res de leur obeissance.

Ce premier compliment fut receu auec des grands te­moygnages, & de joye, & de recognoissance, par ceux que sa Majesté fit voir, & sur son visage, & en ses remercie­ments.

Tous les Seigneurs & Gentilshommes qui auoyent ac­compagné [Page] Monsieur le Duc de Lenox en cette action, si rent la reuerence en suitte a la Reyne chacun en son rang, & a chacun aussi selon sa qualité & son merite, sa Majesté te moygna la satisfaction qu'Elle en receuoit. Ils ne manque­rent pas en temps & lieu de s'acquitter de leur debuoir, en­uers les Dames de fort bonne grace.

Monsieur de Monsigot fit la reuerence a la Reyne en particulier, pour luy rendre conte vne derniere fois du soing exacte qu'il auoit aporté en l'execution de sescom­mandements. Aussi en receut-il de sa propre bouche des louanges qui l'en recompencerent prodigalement. Je chan­geray de discours.

Le Soleil ne fut pas plutost couché qu'on vit paroistre tout a coup vne lumiere de feux de joye, qui n'estoit pas moins agreable que la sienne; & d'autant plus encore que Elle seruoit de flambeau a mille differantes actions de pas setemps, dont les violons, les musetes, & les tambours, ani moient & la douceur, & la grace.

Sa Majesté sesjourna vne semaine entiere en ceste premiere ville, pour se delasser vn peu d'vn voyage si penible, & tout par le bon ordre que Monsieur le Grand Conterol leur donna, & par le soing continuel qu'il auoit, Elle y fut traitee auec toute sa Court, aussi esplandidement que si Elle eut esté dans Londre. D'ailleurs le Sieur de Labat Valet de chambre de la Reyne, & commis par sa Majesté en la charge de son Mareschal des logis, eut fort peu d [...] peine, quoy qu'il eut beaucoup de soing, a marquer en ce lieu-là le logement de toute la Court; parce que cha­cun a l'enuy offroit sa maison, comme s'il eut tiré vanité de voir sa porte marquee de sa craye, puis que c'estoit [Page] pour le seruice d'vne si grande Princesse.

Monsieur le Duc de Lenox, & les Seigneurs qui l'a­voient accompagné, faisoient tous les jours leur court auec soing; estans contrains toutesfois aux heures du dinner de sa Majesté, de faire place a vn monde de peuple, qui a force de curiosité de voir auant que mourir, la plus grande Reyne de la Terre, causoit tousjours de la foule dans la sale ou sa table estoit dressee.

Les chemins cependant de Londre a Harwich estoient si battus de la frequente course des Gentilshommes que leurs Majestez de la Grande-Bretaigne enuoyoient a la Reyne, pour estre informez tous les jours de sa santé, que les estrangers n'auoient pas besoing de guide pour arriuer en ce lieu là.

Sa Majesté en partit le samedy sixiesmé de Nouem­bre dans le Carrosse du Roy qu'on luy auoit preparé; accompagnee de Madame la Marquise de Sourdiac, & Madame de Fabrony. La Reyne sit apeller Monsieur le Duc de Lenox, a qui Elle donna place dans son Car­rosse.

Les autres Carrosses en grand nombre furent remplis des Escuyers, des Filles d'honneur, Femmes de chambre, & Gentilshommes domestiques de la Reyne, & autres persones considerables de sa suitte.

Les Seigneurs qui estoient venus au deuant de sa Majesté, pour accompagner Monsieur le Duc de Le­nox, ayant encore chacun son carrosse, tous en­semble de suitte faisoyent monstre d'vn magnifique apareil.

Le peuple de la ville alarmé d'vn si promt depart, [Page] s'estoit rangé en diuerses troupes du long des ruês, & du chemin, mesmes que la Reyne auoit afaire, des le point du jour, pour se donner cétte derniere satisfaction de voir en passant encore vne fois cétte Grande Princesse, en faueur de laquelle chacun faisoit des veux au Ciel; & quoy que leur language me fut fort estranger, leur action estoit accompagnée de tant d'ardeur, & de tant d'humilité, qu'en cela elle me seruoit de truchement, & d'interprete.

L'ENTREE DE LA REYNE DANS LA VILLE DE COLCHESTER

LA Reyne arriua de bonne heure à Colchester où l'on auoit marqué son premier logement; & com­me Elle y estoit attendüe auec impatience des habitans, vne grande partie estoit desja sortie dehors pour se don­ner l'honneur la premiere, de feliciter sa Majesté de son heureuse arriuee, par mille acclamations de joye & de con­tentement.

Mais a n'en mentir point, quelque apareil qu'on eut desja desseigné pour son entree en ceste ville-là, les mar­ques d'allegresse dont tout le peuple s'estoit paré ce jour­là le visage, arretoient si fort mon esprit en leur admi­ration, que je n'auois des yeux que pour elles.

La Reyne ne fut pas plutost aux portes de la ville que les bourgeois & la jeunesse également armez, luy firent la premiere harangue de la part de tout le Peuple, au bruit d'vn nombre infiny de coups de mousquets, qui en leur langage ne parloient que de rejoüissance, tandis que le Maire de la ville, accompagné du Magistrat s'auançoit tousjours peu a peu jusques a la portiere du carrosse de sa Majesté; où aprez l'auoir assuree de nouueau, de la part du Roy, du commandement qu'il auoit de luy rendre toute sorte d'obeissance; il luy fit present d'vne grande coupe d'argent doré, selon la coustume qui se pratique a l'entree des Roys.

Ce present fut fort agreable à la Reyne considerant son prix par celuy du zelle auec lequel il luy auoit esté of­fert: Aussi sa Majesté l'en remerciat-Elle dignement, demesmes que des soings qu'il auoit pris a l'obliger en cette rencontre. Je dis dignement puis que la moindre parole [Page] d'vne si grande Princesse donne de l'honneur a tous ceux a qui elle s'adresse.

Sa Majesté fut conduite jusques dans le Chasteau qu'on luy auoit preparé par les bourgeois de la ville tous armez, & dont vne partie fut destinee pour sa garde. Monsieur le Viscomte de Fabrony y eut son apartement.

Cétte maison apartient à Monsieur Lucas Cheuallier de marque, & a qui on doibt cétte louange particuliere du soing qu'il eut en l'absance de Monsieur le Grand Conterolleur, d'enuoyer toutes sortes de prouisions ne­cessaires à Harwich, pour le defray de la Reyne & de toute sa Court.

Le Sieur Labat qui faisoit tousjours la charge de Ma­reschal des Logis, eut le mesme priuilege a l'entree de la ville, de marquer les portes de toutes les maisons qui luy seroient le plus commodes pour faire ses logemens: & cer­tes la puissance absolue qu'on luy donna en cela, fit co­gnoitre de nouueau que cétte Grande Princesse l'estoit en routes choses, puis qu'aux premieres nouuelles seulement de l'arriuee de sa Majesté, ceux mesmes qui n'auoient pas encore l'honneur de la voir, se rendoient loquataires d'vne partie des maisons qui leur apartenoient en propre, pour y faire loger plus commodement en l'autre, tous ceux de sa suitte,

Ce beau jour de l'entree de sa Majesté en fut vn de feste solemnelle en ceste ville-là; & quoy que les boutiques en demurassent tousiours ouuertes, elles n'estoyent rempliés que de monde occupé a diuers passetemps pour la celebrer dignement.

La Nuict suiuante fut éclairee de mille feux, dont la [Page] clarté plus admirable en vertu que celles des estoilles, produisoient des influences de joye & de bon-heur si sen­sibles, que les plus melancholiques changeoyent tout a coup d'humeur, pour se resjoüir auec les autres.

La Reyne y fut traitee a l'ordinaire magnifiquement auec toute sa Court, car outre sa table ou il ne se pouuoit rien adjoutter; celle de ses Dames, de ses Filles d'honneur, & de ses Femmes de chambre, separees; il y auoit encore celle de Monsieur le Viscomte de Fabroni, celle de Mon­sieur Briçonnet, Maistre d'hostel de la Reyne, qui l'auroit seruie jusques a aujourdhuy, depuis son entree aux Pays­bas; celle des Gentilshommes de la garde du corps; celle des Officiers, sans conter vne nouuelle qu'on dressoit deux fois le jour dans la ville, pour tous les gentilshommes do­mestiques, & autres personnes considerables de la suitte de sa Majesté qui logeoient hors le Chasteau: Mais toutes ser­uies a trois seruices, auec tant d'abondance de viande, qu'on estoit contraint d'aduouer, voyant vne si grande despence, qu'il n'apartenoit qu'a vn Grand Roy de la faire, n'y qu'a Monsieur le Cheualier Vaine, qui estoit alors Grand Con­terolleur, d'y reüssir selon les ordres qui luy en auoyent esté donnez. Je fis encore cétte remarque, pour vn nouueau témoignage du soing qu'il auoit. Que la plus grande partie des Officiers & autres gens destinez au seruice de toutes ces tables, parloit françois pour la commodité d'vn chacun.

La Reyne passa en ce lieu-là le Dimenche, pour y faire le matin ses deuotions, & se diuertir l'apres-dinnee a la pro­menade dans les beaux jardins qui y estoyent. Et quoy que les aproches de l'hiuer en eussent desja flettry toutes les [Page] fleurs, l'Art comme vn sçauant Jardinier supleant a l'indi­gence des Parterres, auoit embely les allees d'vne herbe tousjours naissante, dont la molesse & la couleur en ren­doient l'object si agreable, qu'on ne se lassoit jamais de se promener dessus.

La Reyne de la grande-Bretaigne cependant estant resolûe de rencontrer en chemin la Reyne sa Mere auec le Roy, quoy que sa grossesse s'oposat a ce dessein, Monsieur de Monsigot eut ordre de venir treuuer sa Majesté pour la pri­er, de la part de la Reyne sa Mere, de n'entreprendre point ce voyage, en l'estat ou Elle estoit, & luy dire encore, que si cérte priere qu'Elle luy faisoit nestoit pas assez puissante, qu'Elle le luy commandoit en qualité de Mere: Ce qui l'obligea à mesme temps de changer de resolution, pour té­moigner publiquement par son obeissance, quela Corone & le Sceptre qu'Elle portoit, estoient beaucoup moins ab­solus que les commandements de la Reyne sa Mere. Je re­uiens a mon sujet.

Sa Majesté partit de cétte belle maison le buictiesme de Nouembre pour aller coucher aupres du Bourg de Chens­ford, dans un Chasteau apartenant a Monsieur de Mildmay Cheuallier de consideration, tant pour son merite particu­lier, que pour l'ancienneté de sa noble Race,

COMME LE ROY DE LA GRANDE BRETAIGNE. ESTANT VENV AV DEVANT DE LA REYNE SA MERE A MIDLEMEAD LA SALVE

LA Reyne y arriua a quatre heures du soir, mais certes je ne sçaurois taire la nouuelle & agreable magnificence, dont son entree sut accompagnee en ce lieu-là. Representez­vous, que tous les Paysans & Paysanes d'allentour s'estans assemblez en diuerses troupes, sur le chemin par ou sa Ma­jesté debuoit passer, sans ordre & sans autre commandement que celuy que leur zelle leur auoit imposé des le matin. Les vnes conduites par vn viollon, les autres par vne mu­sete, toutes ensemble receurent la Reyne en dansant, au bruit de ces instruments animez de mille acclamations d'al­legresse. Et a n'en mentir point, cette action me parut si pompeuse en sa naiueté, & si magnifique en son innocence, que j'en ay tousiours conserué le souuenir.

Sa Majesté fut logee dans ce beau Chasteau, ou Monsieur le Vicomte de Fabroni eut son apartenement ordinaire. Les Gentilshommes domestiques, & autres personnes de la suitte furent logez dans le Bourg, éloigné de la portee du canon, mais tous fort commodement, par le soing du sieur Labat, estans mesmes traitez en particulier de leurs hostes selon la bonne coustume du Pays, où plutost suiuant les sentiments de l'allegresse publique dont ils estoient ani­mez, a l'arriuee d'vne si grande Reyne, Mere de la leur.

Le mesme ordre pour le deffray de sa Majesté & de toute sa Court y fut obserué auec vne pareille despence, & toutes les mesmes tables y furent seruies auec vne mesme esplen­deur comme a la premiere journee, a la loüange particulliere de Monsieur le grand Conterolleur, s'acquittant eu cela dignement de sa charge.

Le Roy cependant aduerty dés aproches de la Reyne, [Page] partit de Londre le Lundy apres dinner, pour aller coucher en son Chasteau de Hauering distant de cinq lieuës, suiuy de Monsieur le Comte de Pembroc & de Montgommery son grand Chambelan, Seigneur de tres-grande consideration, tant pour sa naissance & ses seruices, que pour les belles qualitez qui l'éleuent sur le commun; de Monsieur le Comted'Hollande, l'vn des Gentilshommes de la cham­bre du Lict, Seigneur d'importance, soit pour les grandes Ambassades qu'il en a faictes, soit pour l'estime publique qu'il s'est acquise en tous lieux; de Monsieur le Comte de Morton Capitaine des Gardes, qui est en grande reputati­on, & de beaucoup d'autres Seigneurs, & Cheualliers; comme aussi d'vn nombre infiny de Gentilshommes de la chambre priuee de sa Majesté.

LA SORTIE DE LA REYNE A COMPAIGNE DV ROY DE LA GRANDE BRETAIGNE SON BEAV FILS DV CHATEAV DE GIDDE HALLE

LE lendemain la Reyne estant preste a partir, & en action mesme de sortir de sa chambre pour aller monter en carrosse, on aduertit sa Majesté que le Roy son Beau-Fils estoit arriué & qu'il entroit desja dans le Chasteau: Ce qui obligea la Reyne de descendre plus promtement de sa chambre, jusques a la porte de la sale par ou on entroit dans la cour, ou le Roy rencontrant sa Majesté, qui ve­noit au deuant de luy apers l'auoir saluee, la baisa & luy dict.

Qu'apres luy auoir faict offrir a l'entree de son Roy­aume tout le pouuoir qu'il y auoit: Il venoit encore luy faire offre de sa personne, pour l'honorer & la seruir se­lon la passion qui luy en estoit tousjours demeuree.

La Reyne qui estoit desja touchee sensiblement du dous object de sa presence, ne l'estant pas moins encore de la sin­cerité de ses discours; eut esté sans doubte muette a force de contentement, si sa generosité n'eut dénoué sa langue pour luy dire.

Que la ciuillité de toutes ces offres la combloit égale­ment & dhonneur, & de satisfaction; & qu'Elle estoit grandement consolee en son malheur, puis qu'il luy auoit donné l'occasion de le voir.

Leurs Majestez s'enquirent en suitte reciproquement de leurs santez, chageant les discours de compliment en des paroles plus serieuses, & plaines d'affection.

Madame la Marquise de Sourdiac, & Madame de Fa­brony Dames de la Reyne estant aupres de sa Majesté le Roy les baisa auec sa permission, & les autres Dames qui s'y rencontrerent.

Le Roy presenta à la Reyne Monsieur le Comte de Pembroc son grand Chambelan; Monsieur le Comte d'Hollande, vn des premiers Gentilshommes de sa cham­bre du Lict, qui auoit l'honneur depuis long-temps d'estre cognu de cétte grande Princesse, dans l'Ambassade extraor­dinaire qu'il auoit faite en France; & Monsieur le Comte de Morton son Capitaine des Gardes, & tous l'vn apres l'au­tre firent la Reuerence a sa Majesté.

La Reyne presenta aussi au Roy Monsieur le Viscomte de Fabroni, Monsieur le President le Coigneux, & Mon­sieur le Colonnel d'Ouchant, & tous trois se donnerent l'honneur de luy faire la reuerence.

Les Seigneurs de sa suite se seruant a propos de l'occasion, ne manquerent pas de saluer les Dames, tandis que le Roy conduisoit la Reyne par la main dans son carrosse, où il prit place. Monsieur le Duc de Lenox, Madame la Marquise de Sourdiac, & Madame de Fabroni entrerent dans le mes­me carrosse.

Les autres carrosses furent remplies des Escuyers, des Filles d'honneur, des Femmes de chambre, & Gentils­hommes de la Reyne, selon le mesme ordre qui auoit esté obserué auparuant.

Monsieur le Comte de Pembroc, & Monsieur le Comte d'Hollande, comme aussi tous les autres Seigneurs de la suitte du Roy, ayant chacun a part son carrosse y monterent dedans, apres s'estre acquittez de leur debuoir enuers les Dames, les ayant menees dans les leurs.

Mais certes il y auoit du plaisir, durant ces actions, d'oüir le fanfare de douze trompetes de la suite du Roy, quis'é­toient rengez en rond, dans la premiere basse-court du [Page] Chasteau, où la foule du peuple estoit si grande qu'on n'y pouuoit treuuer passage sans faire vn grand effort.

Leur Majestez arriuerent sur le soir au Chasteau de Giddi-hall apartenant a vne Dame vefue fort considerable & pour sa vertu, & pour sa noblesse, lequel on auoit prepa ré pour seruir en chemin de dernier logement a la Reyne.

Le Roy fut coucher a son mesme Chasteau de Hauering.

La Reyne & toute sa Court fut magnifiquement traitee à l'ordinaire en cétte belle maison, & ou Monsieur le Vis comte de Fabroni eut son apartement. Les gentilshommes domestiques & autres personnes considerables, furent lo­gees au bourg de Romford tout deuant le Palais; mais tous rencontrerent les mesmes hostes qu'ils auoient desja euz, pour la bonne chere qu'ils leur firent. Il est a remarquer que tous les diuers Chasteaux ou la Reyne logea en chemin estoient parez si superbement, & auec tant d'esplandeur qu'on eut peu prendre ses maisons pour autant de Louures, soit pour la magnificence des festins, soit pour la richesse des meubles tous differens, dont la Reyne sa Fille les auoit fait orner, ne perdant pas vne seulle occasion de témoigner l'honneur & la joye qu'elle receuoit de larriuee de la Reyne sa Mere.

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ENTREE ROYALLE DE LA REYNE MERE DV ROY

LE lendemain Mercredy dixsiéme jour de Nouembre, le Roy estant venu retrouuer la Reyne, leurs Maje­stez partirent de cétte belle maison sur le midy pour arriuer de bonne heure à Londre; & tandis qu'Elles sont en che­min je me seruiray apropos du loisir qu'Elles me don­nent, pour vous faire le recit des Magnificences de cette belle Entree en cette superbe Ville, dont voicy vn pe­tit crayon.

Description de la ville de Londre.

ELle est assise dans vne plainne d'ont les aduenuês sont fort agreables, ayant la Tamise cétte fameuse Riuiere, á flux & reflux, qui borne son estenduê du co­sté du Leuant, & mille fertilles campagnes qui l'alimi­tent de mesmes au Couchant. Je vous representeroisles espaces qu'elle contient, si ma plume auoit la vertu du baston de Jacob. Je vous diray seullement que ceux qui les ont mesurez souttienent qu'ils sont de l'estanduê de ceux de Paris.

A n'en mentir point, la Carte nous marque fort peu de villes plus grandes & plus peuplees que celle-là, & comme c'est vn Port de mer fauorable a toutes sortes de Nations; le gain y attire de toutes les parties du monde vn nombre infiny d'estrangers qui l'enrichissent tous les jours par leur commerce ordinaire.

Les Palais y sont fort frequens, & toutes les autres mai­sons basties de brique de pareille estructure embellissent [Page] les rues ou elles sont asises, quoy que leur largeur & leur longue estenduë les rendent belles d'elles mesmes.

Parmy vn grand nombre de Temples somptueusement bastis, ceux de Sainct Paul & de Westminster sont les deux plus anciens & les plus magnifiques: Ce premier se repare, & s'agrandit aujourd huy de nouveau, mais auec vne si grande dépence, où à l'exemple du Roy chacn a voulu pa­roistre pieusement genereux, selon son pouuoir & son zele, quauant que l'ouurage encommancé soit paracheué, elle passera deux milions de liures.

L'autre Temple est vn lieu destiné a seruir de Tombeau aux Roys & aux Princes, d'ou vient qu'on y voit vn grand nombre de sepultures, dont la magnificence quoy que fu­neste étonne, & rauit également les esprits a force d'admi­ration.

Les Preds, les Jardins, & les Parcs font encore d'vn costé les plus proches limites de ses enceintes. Et d'vn autre la Tami se qui contient en sa grande largeur, en sa course lente, & en la beauté des superbes bastimens éleuez sur son riuage des nouuelles delices, toutes ensemble en rendent le sejour si agreable, qu'il y en a beaucoup qui croyent que son Isle est vne de ces fortunees, dont les Poêtes ne nous ont repre­senté que les idees seulement.

On n'y parle jamais que de festins & de danses, & en tous les lieux publiqs, les violons, les hautbois, & autres sortes d'instrumens y sont si communs pour la rejoüissance des particuliers, qu'a toutes les heures du jour on peut auoir les oreilles charmees de leur douce melodie.

La Police pourtant y est si bien obseruee qu'on y vit sans desordre, & sans confusion, & la seureté y est sigrande la [Page] nuict mesmes par toutes les ruês, qu'on y va aussi librement que le jour, sans autres armes que celle de la confience qu'on a, en la bonté du peuple.

Le Palais Royal, le plus grand & le plus commode qui se trouue aujourdhuy dans l'Europe, est situé au bout du faubourg sur le riuage de la Tamise, d'ou l'on peut admirer auec quelque sorte d'étonnement, cétte superbe Ville du mesme costé que le Soleil tous les matins contemple ses magnificences. Mais apres tout quand je considere la dou­ceur & la probité des habitans, je cesse d'admirer la beauté de superbes Edifices.

Il est vray qu'estans gouuernez par vn grand Monarque dont les vertueuses inclinations le font tousiours obeir le premier a toutes les justes Loix qu'il leur impose; je suis forcé de croire que le seul exemple de sa vie innocente & toute glorieuse, est la plus forte chesne qui retient ses sub­jetz dans leur debuoir.

D'ailleurs comme la Reyne son Espouse attire autant de loüanges par son merite, que de respects par sa grandeur, il faut aduoüer que leurs Majestez ensemble seruent aujour­dhuy de Flambeau, non seulement a leurs subjetz, mais encore a tout le reste du monde, pour suiure le chemin de la vertu, & fuir celluy du vice. Je reuiens a vous.

Le Milord Maire ayant receu les ordres du Roy auant son depart de Londre, pour faire les preparatifs de cétte entree, s'en acquitta a l'heure mesmes fort dignement.

Il fit dresser d'abord d'vn costé dans la grande ruê de Londre, de la longueur d'vne lieue des Bancs a docier enri­chis de Baslustres de trois pieds de hault, tous couuerts éga­lement de drap bleu; Auec commandement a toutes les [Page] Compagnies ou Fraternitez de divers mestiers, en nom­bre de cinquante, d'y comparoistre en personne, chacun auec sa Robe de Bourgeois a paremens de Marte, pour estre assis dessus ces Bancs le jour de l'entree, & chasque com­pagnie debuoit auoir sa banniere auec ses armes, affin qu'on la peut distinguer des autres, comme estant toutes de suitte, ce qui fut executé.

Six mille soldats des Esleux & Enfans de la ville separez en diuerses compagnies, chacune ayant en particulier ses officiers, tous Gentilshommes, furent destinez a occuper en haye l'autre costé de la rüe tous armez richement: Ceux-cy auec des mousquets, ceux-la auec des piques. Et quoy que les boutiques, les balcons, & les fenestres d'eus­sent estre remplis de chasque costé d'vne infinité de peuple, & parez de nouueau encore d'vn grand nombre de Dames, on auoit fait commandement de tapisser les rûes, a discre­tion toutesfois, estant bien assuré qu'vn chacun s'efforceroit a l'enuy de faire paroistre son zelle, par sa magnificence. De sorte que comme cette grande rûe contenoit en sa lon­gueur plusieurs autres rûes; les diuers Marchans & des vnes, & des autres les ornerent si richement, & chacun de son inuention, qu'il ne se pouuoit rien voir, ny de plus somptueux, ny de plus superbe.

Celle-là estoit paree d'vne Tapisserie de Haute-Lice: Celle-cy de Brocatel; l'vne de Tapisserie de Lachine, & l'autre des Indes, dont la rareté les metoit hors de prix.

La Rue des Marchans Drapiers estoit tendue de deux cotez d'Escarlatte, ce qui fut digne de remarque. Les autres rues du faubourg de la ville, de la mesme estendue étoient [Page] parees diuersement, & de chasque costé les compagnies des Soldats de Westminster, & des Bourgeois du Quar­tier étoient rengez en haye, jusques a Sainct-James, nom du Palais ou l'on auoit marqué le logement de la Reyne.

A l'entree de la premiere porte de la Ville on auoit fait dresser vn theatre de la hauteur des Baslustres, cou­uert d'vn Daix, & tapissé richement, ou le Milord Maire, vestu de sa Robe de velours cramoisy, accompagné du Juge Criminel, paré de sa Robe ordinaire: Comme aussi des vingtquatre Aldermans de Londre; tous parez de leurs Robes d'escarlate doublees de Martre, portans cha­cun vne chesne d'or, attendoient leurs Majestez pour s'ac­quitter du debuoir de leurs charges.

Mais certes dans vn si grand apareil, ou les espectateurs estoient sans nombre, l'ordre qu'on y fai soit garder austere­ment en rendoit la magnificence hors d'exemple.

Le Jour étoit fort beau, & comme l'on le festoit en­core a force de joye & de resjoûissance publique, dont leurs Majestez de la Grande-Bretaigne auoient imposé la premiere loy, par leur propre exemple, tous leurs subjetz a l'enuy, les vns des autres, en celebroient la feste auec autant de zelle que de contentement.

Le bruit des Trompetes me contraint a changer de dis­cours, pour vous faire le recit de tout ce qui se passa a l'en­tree de leurs Majestez dans Londre, puis qu'Elles sont des­ja fort prez des portes.

Aux aproches de la ville, tous les Officiers du Roy vétus de leurs liurees Royalles, qui attandoient leurs Majestez a vn certain lieu assigné, se mirent en ordre [Page] chacun en son rang pour les suiure, des-lors qu'Elles fu­rent descendues de leur carrosse de voyage, pour entrer comme Elles firent, dans vn autre de Parade, de velours rouge cramoisy tout en broderie d'Or, dedans & dehors, trainé par six cheuaux de grand prix: Dans lequel Monsieur le Duc de Lenox, Madame la Marquise de Sourdiac, & Madame de Fabroni eurent l'honneur d'y prendre place.

La Litiere de mesme parure, portee par deux Muletz arnachez superbement suiuoit le Carrosse. Voicy l'ordre qui fut obserué en la ceremonie de l'Entree.

LEs Messagers de la chambre bien montez marchoient les premiers deux a deux, parez de leurs liurees d'escar­late, enrichies deuant & derriere, des armories du Roy en broderie d'or.

Douze Trompetes vestus de mesmes, quoy que la fa­çon de l'habit fut differante, suiuoient apres; & comme le bruit de leurs fanfares attiroit tout le monde aux balcons, & aux fenestres, ils se faisoient admirer par force des moins curieux.

Vne compagnie de cinquante Gentilshommes de la bande des Pensionnaires, qui sont comme Gens-d'armes, entrétenant chacun trois cheuaux, selon l'ordre de leur esta­blissement, dont ils tirent du Roy pension annuelle, mar­choit a la suitte de son Lieutenant, mais tous ensemble bien montez, & en fort bel équipage.

Les Sergeans d'armes Gentilshommes qui vont d'ordi­naire deuant le Roy aux jours des actions solomnelles, se faisoient voir aussi en leur rang, portant chacun sur l'espau­le vne grosse massue d'argent doré, coronnee d'vne coronne close, de mesmes matiere a l'Imperialle.

Le carrosse de Monsieur le Viscomte de Fabroni sui­uoit aprez, & celuy des Escuyers de la Reyne paressoit en suite.

Deux Escuyers du Roy alloient immediatement de­uant le Carrosse ou estoient leurs Majestez. Les autres Escuyers s'estoient rangez a l'entour, & les Valets de pied du Roy, auec ceux de la Reyne, suiuoient ensemble des deux costez des portieres.

Monsieur le Comte de Salisbury, Capitaine des Pensi­onnaires [Page] & Monsieur le Comte de Morton, Capitaine des Gardes, tous deux Conseillers d'estat & priué marchoient a cheual en mesme rang auec Monsieur de la Masure, Lieutenant des cent Gentilshommes de la garde du corps de la Reyne.

Les gardes du Roy en nombre de deux cens soixante, couuerts de leur cotte d'escarlatte, brodees deuant & der­riere, d'vn broderie d'argent doré, massif, auec la Rose de deux costez, portant chacun son Halebarde suiuoient apres a pied d'vn costé de Ruë, & de l'autre les Gentilshommes de la garde du corps de la Reyne, tous montez a leur auan­tage.

Cétte belle Litiere en broderie d'or, de mesme parure que le Carrosse, ayant esté destinee, du commandement ex­prez de la Reyne de la Grande-Bretaigne pour la commo­dité de la Reyne sa Mere, suiuoit aussi en son rang portee par deux Muletz.

Les carrosses des Filles d'honneur, des Femmes de cham­bre, des Gentilshommes domestiques & pensionnaires, comme aussi ceux des Officiers de sa Majesté venoient apres, auec vn nombre infiny d'autres. Mais certes tout cetrain pompeux de soymesmes paressoit encore si magni­sique, dans l'ordre ou il marchoit, qu'on n'y pouuoit rien adjoutter pour le rendre plus admirable.

Les Canons cependant de la Tour de Londre, estant éleuez sur ses sommets orgueilleux, comme en sentinelle, donnerent le mot du guet par leur bruit épouuentable a tous les autres qu'on auoit preparez sur le riuage de la Ta­mise, en nombre de deux cens, pour annoncer l'Entree de leurs Majestez a toute la Ville: Et quoy qu'elle trem­blat [Page] a l'effroy de ce premier aduertissement, son Peu­ple ne laissoit pas a mesme temps d'en tressaillir de joye.

L'armonie du bruit de ces canons n'eut pas plutost cessé que le Milord Maire accompagné du Juge Criminel, & de vingtquatre Aldermans de Londre, s'auança jusques a la portiere du carrosse ou estoient leurs Majestez, & s'é­tant mis a genoux, presenta au Roy son Epee de Justice, que le Roy prit & luy redonna a mesme temps, disant a la Reyne que le Milord Maire iroit chez Elle luy rendre ses debuoirs, & en suitte le Juge Criminel fit cétte Haran­gue a sa Majesté.

Harangue du Iuge Criminel à la Reyne.

MADAME, ENcore que les nouuelles de l'arriuee de vostre Ma­jesté en ce Royaume, nous ayent rendu muetz a force de joye & de contentement, nous faisons aujour­d'huy vn effort pour recouurer la voix, puis qu'vne alle­gresse publique comme la nostre s'exprime beaucoup mieux par les cris, que par le silence. Toutesfois quand nous arrestons maintenant nos esprits sur la consideration, & des vertus, & des grandeurs de vostre Majesté, dont l'éclat se rehause encore par celle du Roy, son Beau-Fils, & nostre Maistre qui l'accompagne; nos langues ont beau estre denouees, elles ne sçauent que dire pour en par­ler dignement. Desorte qu'il ne nous est permis que d'ad­mirer [Page] [...] [Page] [...] [Page] & de nous taire. Mais auant que garder ce nou­ueau silence que vostre Majesté nous impose: Nous l'a supplions tres-humblement d'auoir agreable les respects & les soubsmissions que nous luy rendons en corps, de la part de tout le peuple. Nous disons en corps seulement, Madame, puis que le Roy qui en est l'ame, nous a desja preuenus en cétte action. Nous joindrons encore a ces tres-humbles prieres, les veux que nous faisons pour l'a­complissement de ses souhaits, & pour la conseruation de sa santé.

La Reyne qui auoit presté l'oreille auec beaucoup d'at­tention a cétte Harangue luy respondit.

Qu'Elle étoit trop sensible aux témoignages de bonne volonté que le peuple luy rendoit a son arriuee, pour en perdre jamais le souuenir, & qu'en leur particulier Elle leur demeureroit tousjours obligeede la part qu'ils y pre­noient.

A ces derniers mots les canons recommencerent a faire ouir la douce melodie de leur bruit, comme n'estant plus ef­royable: car les enfans mesmes desja accoustumez a l'é­pouuente que leur surprise pouuoit causer, n'en faisoient que rire de joye, se laissant emporter a l'exemple du com­mun, plutost qu'a la foiblesse de leur courage.

Mais en quels termes vous representeroisje maintenant, lesclat, la pompe, & la magnificence, de cétte entree si belle, si superbe, & si Royalle, puis que tous les objects qu'on y contemploit étonnoient mon esprit a force d'admiration. Quand je considerois leurs Majestez dans ce somptueux Carrosse, je m'imaginois que cétoit la Deesse Cibelle qui venant visiter son Fils Neptune, se promenoient tous deux [Page] dans son char de triomphe, sur les terres de son Empire.

Lors que je jettois les yeux sur vn nombre infiny de belles Dames parees superbement, & suspendues en l'air dans des balcons, je me sentois forcé de croire que toutes les Deesses du Ciel étoient decendues en terre, suiuies des Nymphes des Bois, & des Eaux, pour celebrer la feste de cétte entree en faueur de la Mere des Dieux.

Si je contemplois encore ce monde de peuple de diffe­rantes nations, qui remplissoit également & les fenestres, & les rues, je me persuadois a mesme temps, que tous les Dieux ensemble s'estoient assemblez dans Londre, pour estre spectateurs des magnificences de cétte superbe en­tree.

En effect je vous diray sur vn ton vn peu plus bas: Que l'éclat de ce riche carrosse ou estoient leurs Majestez; la beauté de ces Dames estrangeres, qui causoient de la foule en mille lieux: la grauité de ces Bourgeois, dont la moitié paressoit armee, & l'autre decement vestue dans ces balu­stres; & en fin cétte grande quantité de peuple de tout sexce, & de tout âge également plain de zelle. Tous ces objects ensemble partageant mon esprit & a l'admiration, & a la joye, m'obligeoint a confesser, que je n'auois jamais veu tant de merueilles ensemble: Et comme leur portrait étoit son jour, par la beauté de celluy qui l'esclairoit, les moins curieux & les plus insensibles touchez d'vn secret rauisse­ment, & d'vn extreme plaisir, aduouoient a part eux, ce que je publiois a tout le monde.

Ce fut allors aussi que je recognus par vne nouuelle ex­perience que les yeux ne se lassoient jamais de voir, non plus que les oreilles d'entendre: car veritablement quoy [Page] que mil le beaux objects tous differens, se presentassent a mes yeux tout a la fois, a chasque pas que je faisois en auant, bienloing de m'ennuyer en leur contemplation, je ne fer­mois jamais les paupieres qu'auec regret; quoy que l'inter­ualle que cétte action donnoit a mon plaisir fut inpercep­tible.

Que les plus fecondes immaginations se representent le contentement qu'on peut receuoir en l'admiration de la Beauté mesmes, dépeinte au naturel par la Nature, sur vn nombre infiny de visages qui n'estoient differens les vnsdes autres, que pour faire voir la diuersité des douçeurs & des graces, dont l'Amour se sert pour rauir les coeurs, & captiuer les libertez: car si l'vne arréttoit sur Elle & mes yeux & mon esprit, l'autre vn moment aprez exerçant son empire, charmoit mon ame de complaisance en son admiration; Si celle-là disje en suitte me persuadoit a force d'appas de l'esti­ment vniquement; celle-cy tenant tout a coup mon juge­ment en suspens, le determinoit enfin a la preferer a toutes en semble. Mais qu'el plaisir, je n'estois pas plutost resolu a cela, qu'vn nouuel object tout adorable me faisoit repen­tir a l'instant en sa faueur, de la precipitation de mon juge­ment. De sorte que je vous puis asseurer sans mentir, que cent & cent fois encore, je donnay & j'ostay la Pomme a vn grand nombre de Dames sans en pouuoir faire vne derniere fois vn dernier present, tant mon esprit étoit diuerty & occupé également en la contemplation de leurs diferantes perfections, toutes fort peu communes.

Que si mes yeux trouuoient leur paradis en ces delices, mes oreilles étoient charmees encore du nouueau plaisir de la melodie des cris de joye, & de l'armonie des trompetes, [Page] & autres sortes d'instrumens, dont la vertu excitoit les es­prits les plus melancholiques a tenir leur partie dans le concert de l'allegresse publique.

Il est temps cependant que je deuance leurs Majestez, pour vous representer les nouuelles magnificences du Pa­lais de Sainct-James qu'on a preparé a la Reyne. En voicy vn nouueau Plan de mon inuention.

Il est situé a l'extremité du mesme fauxbourg, ou est assis le Chasteau de White-hall, d'où il n'est élogné que de l'e­tandüe d'vn Parc, qui de son milieu en fait la separation. On treuue sur ses aduenues vn grand Pred tousjours verd, ou les Dames font en Esté le cours de leur promenade. Sa grande porte a vne ruê en face a perte de veûe comme abou­tissant dans les champs, quoy que d'vn costé elle soit bornee de maisons, & de l'autre, du jeu de paulme Royal.

Ce Chasteau fort ancien, fort superbe, & grandement logeable, est basty de brique a la mode du pays, ayant le toict couuert de plomb en forme de plancher, entouré de tous costez de carneaux, qui seruent de pareure a tout le corps du bastiment. Sa premiere court de l'entree est de fort grande éstendue, elle aboutit en droite ligne a la porte du degré de pierre, par ou l'on monte a la grande salle des Gardes.

Cétte premiere salle estoit paree d'vne tapisserie, dont la beauté & l'inuention se faisoient encore admirer en faisant cognoistre le prix qu'elle a valeu autresfois, comme vn meuble d'vne maison vrayment Royalle.

La seconde salle a daix de mesme estandue, étoit ornnee d'vne nouuelle tapisserie, qui arettoit par force les moins cu­rieux a son admiration.

La chambre priuee qu'on treuuoit en suitte, a chaire, & a daix, étoit embellie d'vne autre tapisserie, que l'industrie de l'artisan auoit mis hors de prix, dez le moment qu'il eut acheuè l'ouurage: car sans mentir le pinceau mesmes, quoy que fauory de la Nature, n'a rien de plus vif, n'y de plus animé. Et ce qui étoit encore merueilleux, c'estoit que les personnages sans nombre qu'on y voyoit, tous differens, representoient si naiuement, & dans leurs visages & dans leurspostures l'action qu'ils debuoient faire, selon le des­sain de l'ouurier, qu'elle se faisoit entendre dans son silence; quoy que les yeux qui en étoient les interpretes, fussent également muets.

La chambre de presence auoit ses pareures differantes en beauté, & en prix par vne autre tapisserie, toute d'or & de soye, ou les fleurs du Printems étoient si bien dépeintes au naturel, par le pinceau de l'esguille, qu'on se persuadoit ai­zément, que l'artisan qui auoit fait cétte tapisserie auoit esté Jardinier de son premier mestier, & que de la sorte ay­ant tousjours l'immagination remplie de toutes les especes des fleurs qu'il auoit autresfois semees, il les auoit plantees de nouueau dans sa besogne fort heureusement, puis qu'el­les y paressoient escloses auec le mesme esclat que dans les Parterres.

Le Lict a l'Imperialle, tout en broderie d'or, que la Reyne sa Filleauoit mis entre les mains des Brodeurs pour en faire parer cétte chambre, n'ayant peu estre paracheué, Elle commanda d'en dresser vn autre qu'Elle fit faire promtement de vellours noir, enrichy de crepine & de frange d'or par tout, doublé de satin couleur d'Aurore, auec tous les paremens de la chambre de mesme estoffe, & enri­chis [Page] égallement, sans mettre en conte les chandeliers de cristal suspendus au milieu, & les bras d'argent attachez des deux costez aux tapisseries pour l'vsage des flam­beaux.

La chambre du Lict estoit ornee d'vne nouuelle tapisse­rie toute de soye, qui sortoit de la main de l'ouurier, repre sentant les douze Preux; & certes l'ouurage en est si preti eux en sa rareté, que l'Europe ne peut rien produire qui luy ressemble: Et le deffy que l'artisan a fait a tous ses compa gnons de mestier de l'imitter en son industrie, est si raison nable qu'on loüe sa vanité, au lieu de la luy reprocher.

La Chapelle de la Reyne a costé de son cabinet, n'ayant point de plus precieuse parure que celle des reliques que sa Majesté y a apportees; Je ne m'amuseray pas a vous en dire dauantage, quoy qu'elle fut ornee d'vne tapisserie de Bro­catel.

Vne gallerie percee de deux costez par ou l'on va a la gran­de chapelle, est aussien suitte de la chambre de la Reyne comme vn lieu destiné a la promenade particuliere, & ou l'esprit peut étre delicieusement diuerty par le nombre des rares tableaux dont elle est tapissee. Et entre autres on y ad­mire les douze Empereurs de la main de Titian. Je dis les douze, encore que ce fameux Peintre n'en ait fait qu'vnze, puis que Monsieur le Chauallier Vandheich nous a repre­senté le douziéme, mais si diuinement que c'est trop peu ce me semble que de l'admirer: car comme il a fait resuscitter Titian en cét ouurage, le miracle de son industrie le met hors de prix.

On y voit encore vn Deluge de Bassan; mais repre­senté auec vn art si ingenieux, que l'effroy touche les [Page] coeurs aussi viuement qu'il y est dépeint.

Vn tableau du trespas de la Vierge de la main du Cheual­lier Vandheich y attire encore les moins curieux a son ad­miration. Et certes le Peintre a representé la Mort si belle en cét ouurage, & la Tristesse si raisonnable, que cét object dispose égallement les coeurs des plus sages a soupirer, & l'esprit des plus timides au mespris de la vie.

La Scene de Tinturet y a sa place dans vne estime pub­lique, & veritablement comme il nous represente le festin de la Grace, ou les ames se repaissent plutost que le corps, les esprits y sont beaucoup plus satisfaicts que les yeux en son admiration, considerant les merueilles de cét ou­urage, dans la vertu du pinceau de celluy qui la faict.

Il y en a encore vn nombre infiny qui ne pourroient estre acheptez selon leur valleur que par vn grand Monar­que; Il me suffit, de peur de vous ennuyer, de vous dire seulement, qu'a vn des bouts de cétte gallerie a trois costez il y a vn portrait du Roy de la Grande-Bretaigne armé, a cheual, de la main de Monsieur le Cheuallier Vandheich. Et a n'en mentir point, son pinceau en conseruant la Maje­sté de ce Grand Monarque, la tellement animee par son in­dustrie, que si les yeux pouuoyent estre creus tous seuls, ils souttiendroient hardiment qu'il vit dans ce portrait, tant s'aparance en est sensible.

La Grande Chapelle du Chasteau est assise a vn des bouts de cétte gallerie son assiette, son bastiment, & les ornemens qui luy seruent de pareure, sont également dignes de re­marque.

De vous exprimer le grand nombre de chambres toutes rapissees & garnies superbement de toutes sortes de meu­bles, [Page] ou la Court debuoit étre logee, sans mettre en conte les diuers apartemens qu'on auoit reserué, & dont Monsi­eur le Viscomte de Fabroni auoit vn des principaux, il me seroit impossible. Vous sçaurez seullement, que le Sieur Labate qui faisoit tousjours la charge de Mareschal des lo­gis, marqua de sa craye auec toute liberté, cinquante cham­bres separees des apartemens entiers; & toutes ensemble fu­rent meublees par le commandement particullier de la Reyne de la Grande-Bretaigne, comme prenant ses diver­tissemens ordinaires aux soings continuels de donner toute sorte de satisfaction a la Reyne sa Mere. Et cétte grande despence d'vne si grande quantité de riches meubles, faisoit voir de nouueau la richesse & la puissance d'vn grand Mo­narque, puis qu'en vne seulle de ses maisons de plaisance, il y auoit assez de place pour y faire loger fort commodement la plus grande Reyne du monde, auec toute sa Court.

On y voit encore deux grands Jardins, l'vn a parterres de diuerses figures, bordez de tous costez d'vne haye de Boüis, cultiuee soigneusement de la main d'vn sçauant Jardinier, affin que les allees qu'elle borne de deux co­stez, en paroissent plus agreables. Toutes les belles fleurs sans nombre y sont semees; & comme il y en a beaucoup qui sont filles de l'Esté, celles-là de l'Automne, & celles-cy de l'Hyuer, si le Printems n'en voit qu'vne partie esclose, chacune des autres saisons fait épannouir les siennes en par­ticullier, pour le contentement du publicq: de sorte qu'en tout temps les yeux y treuuent leur diuertissement par la beauté des coulleurs toutes differentes, dont elles sont émaillees.

L'autre Jardin tout joygnant de la mesme estendüe a di­uerses [Page] alees, les vnes sablees, & les autres plus éleuees her­bues, mais toutes en semble bordees de deux costez d'vn in­finité d'arbres fructiers, en rendent la promenade si agreable qu'on nes'y ennuye jamais.

Ce Jardin est borné d'vn costé d'vne longue gallerie cou­uerte & grillee par le deuant, ou l'on peut admirer toutes les plus rares merueilles de l'Italie, en vn grand nombre de sta­tues de pierre, & de bronse; Et comme le Roy a qui elles apartiennent, ne trouue jamais trop chair ces ouurages qui sont hors de prix, pour étre hors d'exemple, on les aporte à Londre de toutes les parties du monde comme a vne foire, ou le debit s'en fait heureusement.

Ces deux Jardins sont limitez d'vn grand Parc, a diverses allées, toutes couuertes de l'ombrage d'vn nombre infiny de chesnes, dont la viellesse est fort agreable, pour étre fort vtil­le a l'espreuue du Soleil. Ce parc est remply de bestes sau­uages, toutesfois, comme c'est le lieu ordinaire de la prome­nade des Dames de la Court, leurs douceurs les ont telle­ment apriuoisees, qu'elles se rendent toutes a la force de leurs appas, plutost qu'a la poursuitte des chiens. Il est temps de changer de discours.

La Reyne de la Grande-Bretaigne étoit en attante dans la chambre de la Reyne sa Mere, auec toutes les plus gran­des & les plus belles Dames de la Court; mais veritable­ment, cétte Princesse, quelque grosse qu'Elle fut emportoit le prix sur toutes ensemble, soit pour la grace, ou pour la majesté, en quoy Elle n'a jamais treuué de compagne: Je ne parle point de la grandeur de sa vertu, ny de la bonté de son esprit, puis que l'vn & l'autre sont les objects de l'admi­ration publique.

Le nouveau bruit des canons m'aduertit des aproches de leurs Majestez, d'ailleurs les fanfares des trompetes, & la foule du monde qui s'assemble dans la basse-court du Châ­teau de Sainct-James, me persuade puissamment qu'Elles n'en sont pas fort éloignees. Ce qui me confirme toutes­fois le plus en cétte creance, cét l'aduis particullier quela Reyne de la Grande-Bretaigne en reçoit par vn Gentil-homme exprez: ce qui l'obligea a descendre de la chambre ou Elle étoit jusques au bas du grand degré, auec le Prince de Galles, le Duc d'Yorke, ses deux Fils, & les deux Prin­cesses ses Filles, suiuie de toutes ses Dames.

COMME LA REYNE DANGLETER ACOMPAIGNEE DE SES ENFANS SE IET TE AVX PIEDS DE LA REYNE SA MEREA SON ARRIVEE DANS LE PALAYS DE. S. IAMES

LA Reyne étoit assise au milieu, ayant le Roy son Beau Fils a son costé droit, & la Reyne sa Fille a l'autre, & tous ces Princes & ces Princesses audeuant de leurs Maje­stez. Toute la chambre encore remplie des plus grands Sei­gneurs, & des plus grandes Dames d'Angleterre en rendoit le sejour si agreable, que les puls melancholiques y trouuoient leur Paradix terrestre.

Certes je gouttay vn extreme contentement, a voir vn si grand nombre de belles Dames étrangeres, mais a leur abord étant muettes pour moy je les contemplois de loing comme des statues de Lisippe, ou des portraits d'Appelle, ausquels il ne manque que la parolle affin de passer pour miracle: car en effect, comme la Nature auoit pris plaisir de parer leurs visages de tous les charmes qui peuuent don­ner de l'amour, leur langage seul choquant mon esprit par les oreilles, le diuertissoit des pensees de les adorer.

Mais enfin cétte Royalle compagnie se separa, en rom pant ce grand Cercle, ou comme dans vn Ciel, trois beaux Astres de mesme éclat luisoient tous en semble. Leurs Ma­jestez de la Grande-Bretaigne, auec les Princes, & les Prin­cesses leurs Enfans, s'en retournerent a Whit-hall, laissant la Reyne dans sa chambre fort contente de se voir a vn Port & si tranquille & si assuré.

REPRESENTATION DES FEVS DE IOYE QVIFVRENT FAICTS SVR LEAV DANS LONDRES A L'HONNEVR DE LA REYNE LA NVICT DVIOVR DE SON ENTREE

IMaginez-vous maintenant l'impatience de sa Majesté en l'attente de l'honneur, & du contentement de voir la Reyne sa Mere. Certes le carrosse ou Elle étoit, auec le Roy son Beau-Fils, ne fut pas plutost entré dans la basse­court de Sainct-Iames, que la Reyne sa Fille se leua de sa chaire, & marchant quelques pas toute seule pour luy al­ler au deuant, Elle fut jusques a la portiere, qu'Elle ouuroit des-ja de volonté, n'ayant point assez de force, lors qu'ay­ant esté preuenuê en effect; Elle se jetta a genoux aux pieds de la Reyne sa Mere, deslors qu'Elle fut décendue de car­rosse; & sa Majesté ne l'eut pas plutost releuee par le seul effort de ses premiers embrassemens pour la baiser, que cét­te vertueuse Princesse comblee de joye & de contentement, se jetta encore a ses pieds pour vne seconde fois, comme si Elle y eut des-ja estably son throsne. Ce qui obligea encore la Reyne sa Mere a se seruir de la mesme viollence qu'Elle auoit des-ja excercee, pour la faire releuer comme Elle fit à force de caresses.

N'attendez-point icy des harangues; vne extremé joye faict des muets par tout, aussibien qu'vne grande tristesse. Et puis comme la Nature & l'Amour agissoient en cette rencontre, ils faisoient cognoistre d'abord leur souueraine­té, en noûant les langues, en serrant les coeurs, & en tenant ouuerts les yeux seulement pour donner passage a mille larmes de joye, aprez avoir osté la bonde a la source qui les produisoit.

Veritablement je n'avois encore jamais véu tant de joye, ny tant de pleurs ensemble: ear come tous ceux qui étoient temoings de cétte action se sentoient touchez d'vne alle gresse extreme, elle-mesme ne pouuant s'exprimer que par [Page] lés yeux, les rendoit mouillez des larmes qu'elle puisoit des coeurs, pour faire cognoistre son excez par cet éloquent langage.

Ces deux grandes Reynes cependant égallement muet­tes de joye étoient si fort occupees, I'vne en ses tendres em­brassemens renouuellez sans cesse, l'autre en ses tres-hum­bles soubmissions, dont Elle ne se lassoit jamais, que jefus mille fois rauy en l'admiration d'vn object ou la Nature, & l'Amour, la Joye, & l'Humilité étoient en dispute de leur preeminence.

Mais enfin la Reyne de la Grande-Bretaigne qui estoit tous-jours en action de rendre de nouueaux debuoirs a la Reyne sa Mere, luy presentant le Prince de Galle, le Duc d'Yorcke, la Princesse & sa Soeur, tous ensemble, a l'exem­ple de la Reyne leur Mere, se jetterent a ses pieds pour re­ceuoir sa benediction, laquelle fut accompagnec de tand de nouuelles caresses que sa Majesté leur fit, que je confesse mon impuissance a exprimer, ny leur nombre, ny leur tendresse.

Toute cétte allegresse se termina de la sorte fort heureu­sement, puis que tout le monde y eut part. LeRoy & Mon­sieur le Comte d'Arondel grand Mareschal d'Angleterre, & tres-grand veritablement en toutes choses, prirent la Reyne soubs les bras, & la Reyne sa Fille marchant aprez, menee par Monsieur le Baron de Goring son grand Escuy­er, auec les Princes & les Princesses ses enfans, tous ensem­ble suiuis d'vne foule de Seigneurs & de Dames, monterent dans la chambre de la Reyne, ou aprez que les plus grandes Dames du pays eurent faict la reuerence a sa Majesté, on y tint vn des plus beaux Cercles que je vis jamais.

[...] [...]LE DE LEVRS MAGESTES DANS LA CHAMBRE DE [...]ENCE [...]A [...] S. IAMES

LA Nuict suiuante ne fut pas moins belle que le Jour qui l'auoit precedee: car l'esclat d'vn nombre infiny de feux de joye, joint a celuy d'autant d'estoilles qui luisoient a mesme temps, le Ciel & la Terre tout a la fois paressoient égallement remplis de lumiere, & quoy que l'vne fut dif­ferante de l'autre, toutes ensemble auoient des apas si puissans pour se faire aimer, qu'il est croyable que quand le So leil eut peu paroistre, il n'eut pas ose de peur que sa clarté en fut mesprisee. A n'en mentir point l'Esté ne m'auoit ja­mais faictvoir vn de ses jours aussi agreable que cétte nuict estoit belle, son object auoit des charmes pour conten ter tous les sens. Les yeux éclairez d'vne lumiere de feux de joye qu'Elle-mesmes auoit allumez, les arréttoit delici eusement a leur admiration: les oreilles attachees auec vn pareil plaisir, a l'armonie des acclamations d'allegresse, que tout le peuple auoit mis en chansons, pour les chanter en dansant dans toutes les rues, estoient également satisfaictes: l'odorat auoit ses delices affectees a l'odeur du bois de Ca nelle, & de Romarin qu'on brusloit en mille lieux: & le goust se treuuant assouuy par l'excellence de toutes sortes de vins, que les bourgeois a l'enuy, presentoient aux passans, afin de boire tous ensemble, a la santé de leurs Majestez. Toute la Ville paressoit a mesme temps en armes, en feu, & en joye; mais ces armes ne faisoient que des blesseures d'amour, a force d'estre agreables; mais ce feu n'embrasoit que des corps insensibles, qu'on auoit de­stinez a l'assouuissement de son auidité, pour jouir de la dou­ce lumiere de son embrasement: Et enfin cétte joye ne charmoit pas seulement les plus melancholiques de plai­sir, [Page] mais encore la Tristesse mesmes. D'où-vint qu'elle se tint cachee auec l'Enuie, pour euiter la force de ces char­mes.

Veritablement si je n'eusse esté témoing de toutes ces ve­ritez, j'aurois eu de la peine d'y adjoutter foy. Represen­tez-vous que toutes les ruês de cétte grande Ville étoient tellement éclairees par vn nombre sans nombre de feux qu'on y auoit allumez, & par la mesme quantité de flambeaux, dont on auoit paré les balcons & les fenestres, qu'a voir de loing toute cette lumiere ramassee en vn seul object, on n'eut sçeu le considerer qu'auec beaucoup d'é­tonnement, tant il paressoit prodigieux pour estre ex­traordinaire. Que si je me represente encore tous ces flambeaux qui luisoient également tous a la fois, & sur le haut des Palais, & au plus profond de la Tamise, j'ay de la peine encore a déttacher mon esprit d'vne si agrea­ble pensee: car sans mentir la Mer cétte nuict-là se fai­soit voir si éclatante, que je ne doutois plus qué le So­leil couchat tous les soirs dans l'onde: Et en suitte je m'imaginois, qu'vn nouueau Phaeton voulant conduire le char de la Lune, s'estoit encore precipité du haut des Cieux dans cét eslement, tant il étoit lumineux. Je crains de vous ennuyer.

Enfin cétte Nuict, où plutost ce Jour entier de vingt­quatre heures se passa, sans que les plus melancholiques y prissent garde, tant il auoit occupé l'esprit de plaisir en s'é­coulant. Ce que je vous puis dire encore, c'est que tous les diuers passetemps qu'on peut s'imaginer, ayant ban­ny le sommeil de leur compagnie, toutes celles qui s'é­toient assemblees en mille lieux pour cellebrer cétte feste [Page] estoient si fort éueillees qu'elles auoient desja oublié l'vsage du repos.

Le lendemain Monsieur de Bellieure Ambassadeur extraordinaire de France, vint feliciter la Reyne de son heureuse arriuee dans Londre; mais durant son audience il ne voulut jamais se couurir deuant sa Majesté, quoy qu'Elle l'en pressat plusieurs fois, témoignant par ce respect extraordinaire, qu'il s'en acquittoit enuers le Roy son Maistre, le rendant à la Reyne sa Mere. Cettes je puis dire de luy, aprez la voix publique, que son nom de­celloit son merite, puis que tous ceux qui le portent som esleuez hors du commun, dans vne estime particuliere. Cét vne Race qui de siecle en siecle sert d'hornement a l'Hi­stoire demesme qu'a la France, ne nous produisant que de Chancelliers, des Presidens au Mortier, & des Ambassadeurs: Que si quelques vns du mesme tige ont suiuy la profession des Armes, ils se sont faicts admirer par la gran­deur de leur courage, autant que les autres par la force de leur esprit.

Monsieur Joachimi Ambassadeur ordinaire de Mes­sieurs les Estats des Prouinces vnies des Pays-Bas, en An gleterre depuis douze ou quinze ans: Personnage dont la probité jointe a ses longs seruices, ayant vielly dans des continuels employs de grande importance, le met hors du commun parmy les personnes de sa condition; vint aussi vne heure aprez felliciter sa Majesté de la part de Messi­eurs les Estats, de son heureux voyage, comme y ayam contribué de leurs soings aussibien que de leurs veux.

Monsieur Coneo dont le merite est assez cognu, [...] manqua pas a mesme temps de venir donner la bonne heur [...] [Page] a la Reyne, touchant son heureuse arriuee, de la part dê sa Saincteté; ce qu'il fit de bonne grace, a la satisfaction parti­culiere de sa Majesté.

Monsieur Saluieti Resident du grand Duc de Tos­cane en Angleterre, s'acquitta fort dignement du mes­me debuoir enuers la Reyne, de la part de son Maistre, & le compliment qu'il luy fit fut tres-agreable a sa Ma­jesté.

Monsieur Justiniani Ambassadeur de la Serenissime Republique de Venise en Angleterre, fut des derniers a faire ses complimens a la Reyne, pour la felliciter comme les autres de son heureux voyage, estant arriué quelques jours aprez Elle dans Londre; ce qui m'a empesché de le mettre dans son rang.

Madame sa femme vint visitter aussi sa Majesté, qui la receut auec tous les honneurs qui se rendent a vne person­ne de cétte condition. Mais je puis dire encore sans flatte­rie, que sa Vertu jointe a sa Beauté n'en meritoient pas moins.

Ce mesme jour la Reyne de la Grande-Bretaigne étant venuê voir la Reyne sa Mere, leurs Majestez s'en al­lerent toutes ensemble suiuies de leur Court a Sommer­set, qui est le nom d'vne maison qui appartient a la Reyne de la Grande-Bretaigne, dont ayant donné vne partie aux Capucins, Elle y a faict bastir vne magnifique Chapelle, qu'Elle deffraye de toutes les despences journallieres de la rente de ses menus plaisirs; comme n'en ayant point de plus grand que celluy d'exercer sa Pieté, demesmes que toutes ses autres vertus.

Ce fut dans cétte belle Chapelle ou leurs Majestez [Page] entendirent le Te Deum laudamus, que la Musique excellente de la Reyne de la Grande-Bretaigne chanta, en action de graces de l'heureuse arriuee de la Reyne sa Mere; Et aprez auoir acheué leurs deuotions, & s'estre promenees quelque temps dans le beau Jardin de cétte Royalle maison, Elles remonterent en carrosse, & s'en reuindrent à Sainct-James, suiuies de toute leur Court, oú la Reyne de la Grande-Bretaigne, ayant prins conge de la Reyne sa Mere, se retira chez Elle.

COMME MESSIEVRS DV CONSEIL PRIVE VIENNENT SALVER LA REYNE DANS SA CHAMBRE

LE Jour suiuant les Seigneurs du Conseil priué vindrem en corps faire la reuerence à la Reyne dans sa chambre: Et Monsieur le Comte Dorset, grand Chambellan de la Reyne de la Grande-Bretaigne, Conseiller d'estat & priués Seigneur de marque & de consideration en toutes sortes de qualitez, portant la parole pour tous ensemble luy dit:

Que le Roy son Beau-Fils, & leur Maistre, leur ayant commandé de venir faire la reuerence a sa Majesté, pour luy offrir leur tres-humble seruice; Ce commandement leur auoit esté fort agreable, puis qu'en y obeissant, ils auoient l'honneur & la satisfaction de s'acquitter de leur debuoir enuers la plus grande Reyne du monde. Mais qu'en son particulier il s'estimoit heureux d'auoir esté choisy de toute la compagnie, pour en porter parolle a sa Majesté, & se seruant a propos de cétte occasion del'as­seurer qu'il estoit son tres-humble, & tres-obeissant ser­uiteur.

La Reyne respondit:

Qu'Elle se sentoit beaucoup obligee de l'honneur qu'­Elle receuoit d'vne compagnie si Illustre, & quElle n'ou­blieroit jamais les témoignages de la bonne volonté qu'El­le luy rendoit, le remerciant du soing qu'il auoit voulu prendre, de luy en porter la parolle, comme luy estant fort agreable.

A ces derniers mots Monsieur l'Archesque de Cantorbe­ry, & tous les autres Conseillers d'estat firent la reuerence a sa Majesté, chacun en son rang. Ce qui estoit fort curieux a voir, & digne de remarque.

[...]
[...]
COMME LE NY LORD MAIOR A COMPAIGNEDE SES COLLEGVES VIENT SALVER LA REYNE LVY FAIRE SES PRESENS

DEux jours aprez le Milord Mairê, vestu de sa robe or dinaire de velours cramoisy auec la chesne d'or pendra au col, accompagné des vingtquatre Aldermans de Lond [...] parez aussi de leurs robes d'escarlate doublees de Martre [...] tous bien montez, ayant leurs huyssiers chargéz de leurs marques de Justice qui marchoient deuant eux, vint faire la reuerence a sa Majesté, & present d'vne grande coupe d'or massif richement élabouree d'vn prix inestimable. Voicy son harangue traduite,

Harangue du Milord Maire à la REYNE.

MADAME, ENcore que nous venions par ordre exprez du Roy vostre Beau-Fils & nostre Maistre, rendre ce debuon a vostre Majesté, la volonté que nous en auons tousjour euê auant mesmes son arriuee, ayant preuenu ses comman demens, nous n'aurons pas beaucoup de peine a luy perfu ader combien ils nous ont esté agreables, puis qu'ils nous seruent d'occasion de faire offre a sa Majesté de nos tres humbles seruices en particulier, & de cétte coupe d'or tout a la fois de la part de la Ville. Il est vray Madame que la petitesse de ces offrandes na point de rapport a l [...] grandeur de vostre Majesté; mais quand Elle considerera la place qu'Elle occupe aujourd'huy sur la terre, de la plus grande Reyne qu'on y vit jamais; Elle ne s'estonner [...] point si'cette Isle qui n'en fait qu'vne petite partie, n'a [...] en soy qui soit digne de luy estre presenté. De sorte que [Page] la perfection de nostre zelle, supleant au defaut de nostre pouuoir, nous esperons que ce present luy sera agreable, & d'autant plus encore qu'il est accompagné, & de nos veux, & de nos prieres pour le succez de ses desirs, & l'ac­croissement de ses prosperitez.

La Reyne fort sensible a ces nouueaux témoignages de bonne volonté que le Milord Maire luy auoit rendus, & parces paroles & par ce present luy respondit.

Qu'Elle étoit marrie de ne pouuoir se reuancher que par ses remerciemens de tant de faueurs qu'Elle auoit desja re­ceues, & qu'Elle receuoit encore par ce beau present que la Ville luy faisoit; mais que si l'occasion s'offroit quel­que jour de témoigner le resentiment qui luy en demeu­roit, Elle en fairoit voir vne plus digne recognoissance, & qu'en attendant Elle en conserueroit cherement le sou­uenir, aussibien que de la peine qu'il auoit prise en parti­culier auec tous ses Collegues.

Cétte action se termina de la sorte, 'auce vne commune satisfaction & de la Reyne, & du Milord Maire, s'en re­tournant chez luy fort contant du bon acceuil que sa Ma­jeste luy auoit faict.

Quelques jours apres Monsieur le Viscomte de Fabroni & Monsieur le President le Coigneux, étant allez saluer le Roy dans Whit-hall; ils furent accueillis de sa Majesté auec vn fort bon visage, & Monsieur le Viscomte de Fa­broni eut l'honneur de l'entretenir vne heure entiere tou­chant les affaires de la Reyne, dequoy il fut fort satisfaict, aussibien que de sa personne, par les loûanges que sa Maje­sté luy donna & en particulier & en publicq, soit pour sa probité, soit pour la passion extreme qu'il auoit au seruice [Page] de la Reyne sa Maitresse, ayant esté informé plusieurs fois & en diuerses rencontres, des bons & longs seruices qu'il auoit rendus a sa Majesté.

Monsieur le President le Coigneux qui eut lebonheur aussi de luy parler quelque temps en receut beaucoup d'honneur & de satisfaction: & depuis mesmes sa Majesté a témoigné fort souuent en diuerses rencontres, l'estime particuliere qu'Elle faisoit & de son esprit, & de sa vertu.

Ils eurent encore audience de la Reyne de la Grande-Bretaigne le jour suiuant, ou ils ne receurent pas moins d honneur ny de contentement qu'en la premiere: car com­me Monsieur le Viscomte de Fabroni eut entertenu égalle­ment sa Majesté de l'état des affaires de la Reyne sa Mere: La Reyne sa Fille le loûa grandement de sa fidellité, & des grands seruices qu'il luy auoit rendus, dont les dernieres preuues luy étoient fort sensibles. Monsieur le President le Coigneux eut demesmes toute sorte de sujet de satisfaction de cétte grande Princesse, par l'estime qu'Elle témoigna faire de son merite.

Leurs Majestez cependant de la Grande-Bretaigne visi­toient de jour a autre la Reyne: Je dis de jour a autre, car cétte vertueuse Princesse les visitoita son tour demesmes; si quelque indisposition ne l'arrestoit dans sa chambre, ne pouuant goutter vn plus sensible plaisir que celluy de les voir a tous momens. Et demesme puisje dire aussi verita­blement, que le Roy & la Reyne de la Grande-Bretaigne paressoient égallement si contans en presence de la Reyne leur Mere, que leur joye extreme se faisoit ressentir aussi­tost que cognoistre de tous ceux qui en étoient témoings.

On ne parloit que de festins, de bals, & de commedies, ou [Page] toutes les Dames de la Reyne, & ses Filles d'honneur étoient inuitees, & l'on eut adjoutté a cétte rejoûissance le diuertis­sement des balets, si la Reyne de la Grande-Bretaigne n'eut estéenceinte; & d'ailleurs les tristes nouuelles de la mort du Duc de Sauoye, en faisant porter le deuil a toutes les deux Courts, causerent vne longue treue a toute sorte de passe­temps.

Durant leur interualle Monsieur du Perron Euesque d'Angoulesme, & grand Aumonier de la Reyne de la Grande-Bretaigne. Prelat dont le merite aussi fameux que le nom, le met hors du pair parmy ses semblables, se fit don­ner audience a leurs Majestez, suiuies de toutes leurs Courts le jour de Noel, dans la Chapelle de Sommerset, ou il pres­cha auec tant d'elloquence a son ordinaire, que ses enuieux mesmes furent contrains d'étre ses admirateurs. De moy jen fus tres-satisfaict, comme informé d'ailleurs qu'il estoit aussi esloquent en effects qu'en parolles, puis qu'il pratique tout le bien qu'il presche.

Je finiray cét ouurage au commencement de cétte annee, vous demandant pour estrene vostre approbation, en faueur de mes veilles, quoy que j'en sois desja recompencé de la gloire qui me demeure d'auoir employé mon temps pour vn si digne sujet.

FIN.

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