LA COPIE D'VNE LETTRE ENVOYEE D'ANGLETERRE A DOM BERNARdin de Mendoze Ambassadeur en France pour le Roy d'Espagne.
MONSEIGNEVR, lors que dernierementie vous faisois vn ample discours de l'estat de ce pais, & de l'attente continuelle en laquelle nous estions du secours tant desiré & promis, ie n'eusse iamais estimé auoir vne si lamentable occasion d'vn second escrit, comme elle s'offre maintenant par le triste changement des affaires d'estat pardeca: Si ne me puis-ie retenir (bien que ce soit auec autant de souspirs que nous auōs eu de desirs) que ie ne vous tienne aduerti de nostre condition, autant veritable que miserable, selon que moy & mes semblables en pouuons iuger. Car comme ainsi soit que vostre Seigneurie a eu iusques icy des long temps, la principale entremise, tant pardeca, qu'en France, de toutes nos affaires entre le Roy Catholique, assisté de tous les potentats de la saincte Ligue, & tous ceux de ce pais lesquels font profession d'obeissance à l'Eglise Romaine: I'espere que par la cōparaison que vous ferez de ceste grande esperance passée, aue le desespoir present de [Page 2] toutes choses, il se presentera quelque nouueau & meilleur discours à vostre esprit, par lequel l'estat & de nous & de nos amis absens à present deploré, puisse estre releué en nouuelle esperāce & plus certaine asseurance d'vn bon succes, qu'il n'est aduenu iusques icy. Pour cest effect i'ay iugé L'estat d'Angleterre selon l'opinion des Catholiques. estre necessaire de vous biē informer quelle est à present la disposition de ce pais, tout aultre que n'agueres nous n'en faisions nostre compte & dedans & dehors le Roiaume.
Vous scauez combien long temps nous auons esté retenus en ferme esperance de changement d'estat en ce pais, par les obtestations & instantes solicitations de la saincteté du Pape, du Roy Catholique, & aultres potentats de la Saincte Ligue, entreprenans l'inuasion & conqueste de ce Royaume: tellement que sur vostre asseurance & fermes promesses, nous estions de long temps persuadez, que le Roy Catholique s'estoit entierement chargé d'vne enterprise si haulte & glorieuse. Par ce moy en nous en auons attendu d'an en an l'execution, estans par vous nourris & soustenuz en continuelle esperance, & souuentesfois solicitez par vos instantes requestes & persuasions, d'accourager pardecà nos partizans, à ce qu'ils ne fussent point esbranslez (comme plusieurs estoient) par tant & tant de delais: mais se tinssent appareillez pour se ioindre auxforces estrangeres, lesquelles viendroient pour ceste inuasion. Ceneantmoins il y [Page 3] a eu tant de remises & prolōgations de la venuë de ces forces Roiales, specialement par la mer, que iusques à ce p [...]intemps nous en estions en desespoir. Lors vous nous donnastes aduis en toute asseurance, que tous ces grans preparatifz du Roy faictz en trois ou quatre ans, estoiēt entierement prestz, & sans aucune doubte entreroient ce prochain esté en nostre mer, auec des forces si puissantes, que nulle armèe d'Angleterre, voire de toute la Chrestienté, ne leur pourroit resister, non pas mesme les attendre & leur ozer faire teste. Et encores, pour plus grande seureté, & pour mettre hors de doubte ceste cō queste pretendue, à ce grand appareil se deuoit ioindre la puissante armée mise sus & tenue preste és pais bas tout l'an passé par le Duc de L'Armée du Duc de Parme en Flandres. Parme: auec laquelle il deuoit abborder, & ce Royaume estre soudain conquis, estant assailli tout ensemble tant par mer, que par terre. A cela estoient adioustées plusieurs raisons, desquelles on tiroit ceste conclusion, qu'il ne se trouueroit icy grande resistance ny par mer ny par terre: mais que le parti le plus fort, se ioindroit auec les forces estrangeres. Et de faict, sans telles aides au dedās, ie scay qu'on a tousiours doubté que toutes les forces estrangeres fussent bastantes, contre ce Roiaume, lequel est fossoié de la mer àl'entour, & peuplé d'vne nation la plus forte & puissante qui soit en la Chrestienté. Or auons-nous cōtinué toute ceste année en l'esperance [Page 4] de l'abbord de ces armées, pour y prendre Esperāce de victoire par l'Armée d'Espagne auee l'aide d'vn parti en Angleterre cest [...]st [...]. parti & y ioindre nostre assistance: en attente asseurée d'vne pleine victoire, iusques à ce mois dernier. Mais helas! ô mortelle destresse, nous sommes tous forcez de lamentertant en ce pais, que dehors, nostre soudain precipice d'vne haultesse de ioie sans mesure, en vneabisme de desespoir sans fons & sans riue: voire vne cheute & ruine si subite, que ie la puis dire auoir esté veuë de nos propres yeux, en l'espace d'huict ou neu [...]iours en ce dernier mois de Iuillet. Ce qui fut, depuis que la grandearmée Catholicque Toute l'esperāce d'Espagne faillie en neu [...] iours. commenca de su [...]gir és costes d'Angleterre, iusques à ce qu'elle fut contraincte de fuir de la coste de Flanders prochaine de Calais, vers ie ne scay quelles parties du Nord les plus froides & glacées. Alors toutes nos esperances & tous nos bastimens, selon qu'il en appert à present, d'vne conqueste imaginaire, ont esté entierement renuersées, comme si c'estoit par vn tremblement de terre: les chasteaux de nostre confiance ont esté mis par terre, lesquels sembient bien à present auoir esté bastis en l'air, ou sur les fl [...]ts & vagues de la mer. Biē est-il certain qu'ils sont pris & emportez au gré du vent, voire mesme hors de nos pensées. Et sur cela, ie suis tant estonné que ie ne scay que penser, d'vn ouurage de si long tēps proiecté & si soudain renuersé: veu que par quelque discours que ce soit, cela ne peut proceder des hommes ou de quelque puissance [Page 5] mondaine, mais seulement de Dieu. Que si cela est vray (comme nul ne peut attribuer ailleurs qu'à la puissance de Dieu ce grand changement & renuersemēt de nostre infortunée esperance) certainement il est dangereux & doubteux de iuger du droict de la cause, laquelle par tāt d'années nous auons demenée. Et pour certain La reformation par force du Pape prinse en mauuaise partdes Anglois. ie trouue de ma conoissance plusieurs bons & sages personnages, ayans secretement continué des long temps en vne deuote affection à l'authorité du Pape, lesquels commencent de bransler & discourir en leur esprit, que ceste voye de reformatiō pretēdue par sa saincteté, ne peult estre agreable & approuée de Dieu. Card'auoir quitté l'ancienne procedeure de l'Eglise par l'excommunication, en laquelle gist l'exercice du glaiue spirituel, pour vsurper le glaiue tēporel & le mettre en la main d'vn Monarque, a fin d'enuahir ce Royaume par force d'armes, voire, pour destruire & la persōne de la Roine, & tout le peuple qui luy obeit, (lequel pour vray ceste année a verifié estre comme infini & inuincible) cela faict qu'aucuns commencent de dire que ce desseing par violence, par massacres & conquestes, n'est nullemēt conuenable à la doctrine soit de Christ, soit de Saint Pierre, & de Sainct Paul ses Apostres. Et de faict, ie pnis dire à vostre Seigneurie, que ie trouue à present vn grand nōbre de peuple sage, aultrement continuāt en son ancienne Religiō, lequel condāne [Page 6] secretement ceste pretēdue reformation auec le feu & le sang. Iusques la que i'ay oui vn bon Theologien alleguer le texte de Sainct Gregoire en ces mots. Quid de Episcopis qui verberibus timeri volunt, Canones dicant, benè paternitas vestra nouit: Pastores sumus, non percussores: Noua enim est praedicatio quae verberibus exigit fidem. I'ay obtenu de luy ceste sentence, pource qu'elle me sembloit fort charitablement escrite. Mais laissant ceste auctorité, ie puis dire La publication praecipitée de la cōqueste pretendue d'Angleterre deuāt que l'armée Espagnole fust preste à porté grand dommage. pour certain, qu'il n'y a rien qui ait apporté tant de dommage à ceste entreprinse, que ceste publication hastiue & mal à propos, faicte en ce Roiaume (deuāt que l'armée d'Espagne fust preste à y faire voile) de plusieurs poinctz escrits, imprimez, & semez par tout le pais, pour faire entendre au peuple, que tout ce Roiaume seroit occupé & conquis, que la Roine seroit exterminée, & que toute la Noblesse, ensemble ce qu'il y a de gens de reputation, d'honneur & de biens qui luy obeissent & la voudroient defendre en resistant à ceste inuasion, seroient arrachez de fonds en comble, auec leurs familes: & leurs estats, honneurs, maisons & terres distribuées aux conquereurs. Ce sont choses lesquelles vniuersellemēt ont esté prinses en si mauuaise part, que les coeurs du peuple de toutes qualités ont esté esmeus, les vngs de cholere, les aultres de crainte, & tous sans exception, resolus de hazarder seurs vies pour resister à toute sorte de conqueste: [Page 7] de laquelle chacun peult dire que ce Roiaume n'a point esté menace ces 500. ans passez, & d'auantage. Or furent ces desseings apportez en ce Roiaume auec bonne creance, nonpoint en secret, mais par escrits publiques & imprimez, tellement, qu'ils prindrent viue racine au coeur du peuple de toutes sortes. Et defaict, c'estoient choses fort croiables. Premieremen [...], La publication hastiue de la Bulle du Pape end [...]mmage [...] la cause. à cause d'vne nouuelle Bulle laquelle i'ay venë publier de n'agueres à Rome par sa Saincteté, auec beaucoup plus de seuerité, qu'aulcun aultre de [...]es predecesseurs n'auoient faict, par laquelle la Roine estoit maudicte & priuée de sa Couronne, & l'entreprinse & conqueste de ce Roiaume commise, en l'authorité du Pape, au Roy Catholicque. Ce qu'il executeroit auec ses armées tant par mer que par terre, pour en pozer la Couronne sur sa teste, ou l'assigner à tel potentat que le Pape & luy nommeroient. Suiuit en second lieu, vne ample explication Les liures du Cardinal Alle [...] firent tort à la Conqueste pr [...] tendue. de ceste Bulle par vn nombre de liures Anglois Imprimez en Anuers ce mois d'Auril dernier, & enuoiez par decà, à l'instant qu'on estoit en attente de l'armée Espagnole. L'original en auoit esté escrit par Reuerend pere le Cardinal Allen, nommé par son propre escrit le Cardinal d'Angleterre. Or estoit ce liure dicté d'vn stile si violent, picquant & amer, voire (disent les aduersaires) si arrogant, faux & diffamatoire, cōtre la persōne de la Royne & du Roy Henry [Page 8] huictiesme son pere, contre sa noblesse & son conseil: que pour certain i'estois grandement naüré en mon coeur, voiant tant de bons personnages, mesmement de nostre religion, estre ainsi offencez, qu'il se trouuast en vn qui est mis au rang des peres de l'Eglise, & qui est subiect naturel de ceste Couroune, (encores qu'au dire des aduersaires il soit né de fort bas lieu) des propos si deshonnestes, indignes, irreuerens & violens, des menaces tant furieuses & sanglantes, contre la Roine & la noblesse, voire tout le peuple de sa propre patrie.
C'est à contrecoeur, & grandement à contrecoeur, qu'il me faille faire vn tel rapport du cō seil totalement mauuais & des procedeures desreglées & indiscretes d'vn tel Cardinal. Le monde parloit desia assés estrangement de sa promotion en telle place, comme s'ily auoit esté aduancé par corruption de la soeur du Pape: oultre le gre du college des Cardinaulx. Mais quoy qu'il en soit, l'intention du Sainct Pere & le desir aussi dudict Cardinal, sans ces fatales & sanglantes praedictions & menaces d'vne future inuasion & conqueste, eussent peu auoir leur effect par les forces notables du Roy Catholique.
Or pour donner plus de credit à ces prognostications La multitude de liures publiez pour monstrer la grandeur de l'armée d'Espagne apporte aussi dō mage. effroiables, fut aussi adioustée vne espece d'aultres liures Imprimez en Espagne & trāslatez en Francois (cōme on dict) de par vostre [Page 9] Seigneurie, contenant de longues & particulieres descriptiōs & catalogues des Armades, de Castille, d'Andelouzie, de Biscaie, de Guipousque, de Portugal, de Naples, de Sicile, de Raguze & d'aultres contrées du Leuant, auec vn amas infini de prouisions de toutes sortes pour ladicte armée: suffisant, comme on estime, pour la conqueste de plusieurs Roiaumes & Seigneuries. Or fut-ce vn grand argument publié par les aduersaires, pour resueiller les esprits de la Noblesse d'Angleterre contre les Espagnols. Ce sut vne inuention tres-pernic [...]ense pour monstrer l'intention de ceste conqueste non seulement de l'Angleterre, mais aussi de toute l'isle de Bretague. Car chaq'un estoit aduerti de remarquer en la description de ceste Armade vn tel denombrement de Princes, Marquis, Contes, Seigneurs appellez Aduenturiers sans office ny paie. Et derechef vn aultre nombre de personnes de qualité & honneur, & entre iceux plusieurs Capitaines & gens de cōmandement, sans charge, mais neantmoins prenans solde, & pour ceste cause nommez Entretenidos, qu'on pouuoit presumer que tous ceux-cy n'estans point pour faire seruice en l'Armade, auoiēt entreprins ce voiage pour occuper la place de toute la noblesse d'Angleterre & d'Escosse. Or ceste fiction trouua plus de creance qu'elle ne meritoit. Les forces de vray, estoient estrangement grandes & puissantes, mais ces liures passoient, [Page 10] tellement mesure en leurs amplifications, que toute la Chrestienté ne pourroit auoir faict, ou faire plus grāds preparatifz contre les Sarrazins ou les Turcs. Par ces mo [...]ens, la Roine auec son L'aduertisemēt de la grandeur des Armades sit que la Roine prepara les forces de son Roiaume oultre la constume. Roiaume estant ainsi aduertie & esmeue, print occasiō auec l'aide de son peuple, non seulemēt tres-affectionné vers sa Maiesté (comme elle en estoit bien persuadée) mais aussi extremement irrité, de mettre sus toutes leurs forces, pour se defendre contre ces conquestes prognostiquées. Lors on vit auec vne grand vistesse incroiable tous les coings de ce Roiaume fourmiller de gens arméz, tāt à cheual, comme à pied, & iceux tellement conduictz, exercez & faconnez à la guerre, que de nulle aage il ne s'est veu chose semblable en ce Roiaume. L'argent n'y a point esté espargné pour la prouisiō de cheuaux, d'armes, pouldres & aultres choses necessaires. Il n'a point manqué de pionniers, chariages & viures en chaque Comté du Roiaume sans aucune exception, pour attendre la venue des armées. Et pour ceste fourniture generale, chacun offroit volontairement, les vngs en grand nombre, le seruice de leurs personnes sans aucun gage: les aultres, de l'argēt pour les armes & pour la solde des soldats, facon estrange & non iamais ouie, soit en ce Roiaume, soit ailleurs. Or ceste raison generale incitoit tout le monde à contribuer liberalement, àscauoir qu'il n'estoit pas temps, de penser à l'espargne d'vne partie, lors qu'il falloit [Page 11] resister à vne conqueste laquelle menacoit d'vne perte vniuerselle.
Or ne pourrois-ie pas affermer quel nōbre s'est trouué prest en ce Roiaume, comme le scachant de moy-mesme: mais i'ay oui reciter, lors qu'il me faschoit le plus d'estimer qu'il fust veritable, que par toute l'Angleterre vers le Leuāt, Les armé [...]s preparées e [...] tous les quartiers d'Angleterre. le Ponāt, le Midy & le Septentrion, il n'y auoit endroict on l'on ne courust d'vne mesme volonté & promptitude pour le seruice de la patrie, & que telle Prouince s'est trouuée suffisante pour mettre sus vne armée de vingt mille cō batans, & en ce nōbre, quinze mille de bien armez & equippez, & en quelques Prouinces, iusques au nōbre de quarante mille bons hommes.
Les Comtez maritimes exposées au Midy depuis Cornouaille iusques en Kent. Et depuis Kent, vers l'Orient par Essex, Suffolk & Norfolk iusques à Lincolne (le plan desquelles contrées & de tous leurs haures vous fut parfaictement bien representé, lors que François Throgmorton en traicta premierement auec vostre Seigneurie) se sont trouuées si bien fournies de gēs de guerre, tant de leur ressort, que de l'aide des Bailliages voisins, qu'il n'y auoit place où l'on doubtast quelque abbort des forces estrangeres, qu'il ne s'y peust rēdre sur la place dans l'espace de 48. heures enuiron vingt mille combatans, tant de cheual que de pied, auec artillerie pourle camp, viures, pionniers & chariages. [Page 12] Et tout cela gouerné par la principale noblesse du pais, & rāgé soubz Capitaines de grā de expe [...]ience. Encores ay-ie ouy vne chose, autant prudemment ordonnée, comme bien executée en ce temps, laquelle n'estoit point cy deuant en praticque: c'est que comme les chefz & Toutes les bā des estoiēt cō duictes par les principaux Chevauers du Roiaume. Et composez de leurs vassaux & seruiteurs. membres des compagnies particulieres estoiēt hommes bien experimentez à la guerre, aussi pourasseuter & fortifier les bandes, on fit choix des principaux Cheualiers de toutes les Prouinces pour amener leurs vassaux & subiectz au camp, estans hommes puissans, bien fondez & de grād reuenu. Par ce moyen toutes les forces ainsi composées se disposerent resoluement de tenir ferme auec leurs Seigneurs & Capitaines, & les chefz de se confier en leurs vassaulx & subiectz. Et sur cela ie vous diray vne chose dont on se pourroit esmerueiller, mais laquelle m'a esté cōfermée pour veritable, qu'vn certain gentilhomme en Kent a dressé vne compagnie Estrange recit de la richesse d'vne compagnie de gens de pied. de 150. hōmes de pied, lesquels ensemble estoiēt riches (sans y cōprendre leurs terres) de la somme de cinq cens mille escus. Et ie vous laisse à pēser si telles gens ne combatroient pas opiniastrement pour la cōseruation de leurs biens. Or est-il en ce temps vray semblable, que plusieurs aultres compagnies ont esté composées de gens ainsi riches & puissans.
Ce m'est vn grand desplaisir d'auoir occasion de vous escrire d'vn tel stile, mais c'est pour [Page 13] vous representer au vif combien vous auez esté jusques icy trompé par les aduertissemens de plusieurs, lesquels n'auoient conoissance ny preuue suffisante de la verité. Et moy-mesme ie conlesse auoir esté abuzé en quelques choses, & notamment en ce que ie m'estois imaginé, que toutestois & quantes qu'il se verroit quelques forces estrangeres prestes de prendre terre en quelque part que ce fust de ce Roiaume: il ne se trouueroit qu'vn bien petit nombre d'hommes resolus pour y resister & pour la defence de la Roine, & iceux encores mal-habiles, peu exercez, rudes & ignorans en toutes les actions & fatigues de la guerre, & sans estre sulfisamment equippez & armez.
Ie me fantastiquois aussi que nous auiōs vn Erreur des Catholicques fugitifz au nombre de leurs partizans en Angleterre. grand nombre de nobles & gentilz-hommes de nostre Religiō en ce Roiaume, comme vous sçauez que nous en faisions estat lors qu'estiez en Angleterre, & combien que plusieurs depuis ce temps-là sont decedez, & qu à present nous n'en auons pas tant de dixaines, qu'alors nous en comptions de centaines: neantmoins nous pensions qu'il s'en trouueroit d'vn braue coutage & resolution lesquels pour la cause Romaine, surprendroiēt à l'improuiste les maisons, familles & forces des hereticques & aduersaires. Mais maintenant, telle est nostre misere qu'il a pleu à Dieu (selon que i'estime) pour nos pechez, ou pour confondre nostre orgueil & presumption [Page 14] de nos forces, de mettre icy és coeurs de tous vne mesme pensée & courage, pour s'opposer à ceste inuasion pretendue, voire aussi bien en ceux que nous tenons pour Catholiques, comme des hereticques: Tellemēt qu'il a esté notoire qu'en toute ceste ardeur de pouruoiance d'armes, de contribution d'argent, & toutes actions de la guerre, on n'a peu apperceuoir aucune differēce entre les Catholiques & ceux que nous nommons heretiques. Mais sur tout au faict de la Consentement & concurrence des Papistes & des Protestans pour resister à [...] conqueste. resistance à la conqueste & mesme à la defence de la personne de la Roine, on a veu par [...]out vne telle sympathie, concurrēce & consentement de toutes sortes de personnes sans respect de Religion, que chacun s'est monstré prest de combatre tous estrangers, comme s'ilz n'eussent esté qu'vn coeur & vn homme. Et cōbien que quelque peu des principaux gētilz-hōmes, desquels vous auez eu iusques icy les noms és rolles des Catholiques qui vous ont esté fournis, ayent esté enuo [...]ez en l'isle d'Ely, & restrainctz de leur liberté premiere sur le bruict de ces armées, & pendant l'attente de ceste pretendue inuasion: Il appert toutesfois que ceste restriction n'a poinct esté pour doubte qu'on eust qu'ils ne voulussent ioindre leur puissance auec nostre armée, mais seulement pour le faire conoistre à tous nos amis & compatriots, tant en Espaigne qu'en Flandres, voire sur tout à vous mesmes (car ainsi m'a-il esté rapporté) qui [Page 15] estes tenu principal autheur & instigateur de toute ceste entreprise: afin que toute esperance fust ostée à ces grandes armées, d'auoir aucune aide d'eux ou de leurs amis. Et de vray, ie voy bien maintenant qui que ce soit de nos amis, ou en Espagne, ou en Flandres, ou en quelque aultre part que ce soit, qui ait fait quelque estat semblable d'aucune aide contre la Roine ou contre son parti pardeca, qu'ilz se fussent trouucz trō pez si l'armée eust faict effort d'y prendre terre. Car, i'ay entēdu moymesme, que les principaux de ceux qui estoient retenus à Ely, ont faict offre Offre de [...] qu'on appelle Recusans, d'e [...] ploier leurs vies à resister [...] la conquest [...]. au conseil soubz leurs lettres & sings manuels, d'exposer leurs vies pour la defence de la Roine, laquelle ilz reclament sans, aucune difficulté pour leur Roine souueraine: & ce, contre toutes forces estrangeres, bien qu'elles fussent enuoyées du Pape, ou par son commādement. Et mesme plusieurs d'entre eux ont offert en ceste querelle de la conqueste du Roiaume par les estrāgers, de se trouuer en personne aux premiers rangs auec leurs cōpatriots, contre toutes forces estrangeres. Et sur cela mesme i'ay entendu d'vn amy secret que i'ay en Cour, qu'entre les Conseillers on enclinoit vne fois à ceste resolutiō, de les remettre en leur premiere liberté: mais le feu de la guerre estāt allumé par la venue de l'armée du Roy à la Crongne, & par l'apprest du Duc de Parme auec vne si grāde armée & amas de Nauires en Flādres qu'on attendoit iournellement [Page 16] deuoir prēdre terre en Angleterre, voire à, Londres, attendu aussi le general murmure du peuple contre tels Catholiques gens de quelque reputation. Cela fut cause de l'arrest desdictz gentilz-hommes à Ely, nonobstāt l'offre de leur seruice à la Roine, & demeurent ainsi au Palais de l'Euesque auec liberté de se pourmener au voisinage àl'entour, & sans auitre emprisonnement, que de defence de se departir pour aller en la ville ou par pais. Or ie tien neantmoins pour certain, qu'ilz persistent constammēt en l'obeissance de l'Eglise Romaine, pour laquelle toutesfois [...] ilz n'encourent aucun danger de leurs vies, mais seulement d'vne amende pour ne se vouloir trouuer aux Eglises: comme ainsi soit que par la Loy, quelque partie de leur reuenu est cō fisqué à la Roine, & le reste laissé pour l'entretenement d'eux, de leurs femmes & enfans. Or pour m'estendre vn peu sur ce propos qui ne sera pas inutile Par ceste procedeure, nos aduersaires pretendent que ces gentilz-hommes & aultres leurs semblables sont fauorablement traictez, n'estans point poursuiuis à la mort à cause de leur Religion, comme il se pratiquoit du temps de la Roine Marie, & comme iournellement (selou leur dire) les Anglois qui arriuent en Espagne, seulement pour le traficq de la marchandise, y sont tresrigourensement & barbarement traictez. Or de ce poinct toutessois & moy & d'aultres en communiquons priuément [Page 17] auec ceux de nos aduersaires, que nous ne pensons pas estre malicieusemēt bandez à persecuter à la mort pour le faict seul de la Religiō: Car, pour en parler en pure verité, & comme dict le prouerbe, pour ne mentir point, fust-ce du diable, en ce poinct grād nombre de nos aduersaires ne sont pas despourueus de charité. Nous Les Iesuites no sont executex pour la Religiō mais pour t [...]ahison. leur obiectōs les executiōs qui se font par tourmens & morts cruelles, tāt icy à l'entour de Lō dres, qu'aultres endroicts de ce Roiaume, de plusieurs que nous canonizons cōme Martyrs, entant que par leur mort [...]ilz rendent tesmoignage de leur obeissance au Pape & à l'Eglise Catholique de Rome. A cela nos aduersaires, qui mō strentauoir quelque goutte de charité, nous respondent, que nulle execution (qu'ils sachent) ne [...]'est faicte pour la Religion ou profession d'icelle, mais pource qu'on a trouué ceux qui ont esté executez, raudans secretement par tous les coings du Roiaume en habit desguise (selon que les aduersaires en parlent par moquerie) comme ruffiens, auec des plumes & habillemēs de couleur à la facon des courtizans, emploians toures sortes d'artifices pour inciter ceux du peuple, aūsquels ilz ozent s'adresser, non seulement à se reconcilier au Pape & à l'Eglise Romaine, mais [...]ussi de renoncer auec voeus & sermens à l'obeissance de la Roine, & la desauouer pour leur Souueraine, se tenans deschargez du deuoir de [...]idelité, & d'estimer les magistrats qui sot soubz [Page 18] elle, illegitimes & ausquels en conscience on ne doibt obeir, & beaucoup d'aultres pareilles choses que ie tien neantmoins pour pures & vaines calomnies. Mais eux pretendent que toutes les enterprinses de ces sainctz Prestres enuoyez auec commission pour le salut des ames, sont pures trahisons & directes contre la Roine & l'estat de tout ce Roiaume: Car ceux qui defendent tels iugemens & executions, debatēt & maintiennent expressement, que tous tels Prestres, Iesuites, Seminaires & aultres persuadans ainsi le peuple contre la personne de la Roine▪ les loix, le gouuernemēt & l'estat du Roiaume, & tous aultres qui se laissent emporter à leurs persuasions: sont traistres manifestes, & disent que [...]ou [...]es les poursuites & procés par les loix qui se font à l'encontre d'eux, en font foy. Et pour preuue de leurs argumens; les aduersaires monstrent quelquesfois les vraies copies des procés & iugemens, esquels il n'est faict nulls mention qu'ilz soient chargez pour le faict de la Religion: mais bien qu'ils ont attenté de persuader les subiects de la Roine, de quitter le deuoir de fidelité, & consequēment d'estre rebelles à leur Roine & Dame soueraine. Voila cō ment ces gens en tout temps à leur aduantage maintiennēt leurs procedeures, a [...]ee beaucou [...] de semblables argumens contre les Prestres & Iesuites, lesquels ont enduré la mort comme iuste & necessaire pour leur conscience. O [...] [Page 19] pouuons-nous repliquer sans peril & moy & quelques aultres (comme nous faisons auec propos modestes) en quelques petites compagnies, & leur obiectons la confession de la foy Catholique faicte par les patiens au lieu de leur supplice, & ce auec grande constance, que les aduersaires ne peuuent pas denier: tellement qu'll apparoist qu'ils meurent pour la Religion. Mais à cela d'aultrepart on allegue & maintient contre nous, qu'ilz ne sont ny accusez, ny condamnez, ny executez pour le faict de la Religion, ou pource qu'ilz se sont offerts à mourir pour leur dicte Religion, mais pour leurs praecedentes trahisons & conspirations contre la Roine & l'estat du Roiaume, neplus ne moins que de n'agueres Babington & tous ses complices: Car ceuxlà Babingtō souff [...]it paur ses trahisons, & non pour la Religiō [...]ncores qu'il [...]ist profession d'estre de la Religion Romaine. furent condamnez pour auoir attenté de susciter la guerre en ce Roiaume & de meurtrir la personne de la Roine, pour [...]y establir la Roine d'Escosse. Toutes lesquelles choses Babington & tous ses complices confesserent volontairemēt. Or furent-ilz condamnez & executez seulemēt pour ces grandes trahisons: Et toutesfois plusieursd'entre eux estans au lieu de leur supplice, en mesme sorte que ces Prestres & Iesuites, firēt confession de leur foy Catholique, auec offre de mourir pour icellc. Si est-ce (disent nos aduersaires) qu'on ne pourroit pas affermer que Babington & ses complices ayent esté mis à mort pour la Religion, mais pour leurs trahisons D'auantage [Page 20] pour mieux donner plus de lustre à ce Multitude de gentilz-hommes suspectez d'estre Papistes sans encourir danger de leurs vi [...]. qu'ils maintiennent & à leurs argumens, (ausquels moy & nos bons fidelles & Catholiques freres sommes bien empeschez de respondre) on allegue qu'il y a grand nombre de gentilz-hommes & damoiselles, voire aucuns de repuputation honorable, & aultres de qualité mediocre, tant aupres de la Cour comme au loing, lesquels sont manifestement cogneus estre de contraire Religion à celle qui est permise par les loix du Roiaume: Et toutesfois ils n'ont esté poursuiuis par aucune formalité de loy auec le danger de leurs vies, ny mis à la torture ny enprisonnez pour leurs opinions au faict de la Religion, pour les amener en quelque danger. Seulement quand il se presente contre eux des compleintes des paroisses où ilz demeurent, pour ne s'estre iamais trouuez aux Eglises par Pespace de certains mois, ou d'vne année toute entiere: lors estans accusez, & puis appellez pour respondre sur cela, s'ilz ne peuuent faire paroir de quelque excuse legitime, selon la prouision des loix: lors ilz sont condamnez en quelque amende pecuniaire à prendre sur leurs biens & terres, s'ilz en ont, sans qu'il s'en ensuiue aultre punition, & qu'il se face aucune inquisition ou examen de leur foy. Mais (disent ces defendeurs des loix) s'ilz se monstrent ouuertement ou de parole, ou de faict soubstraictz de leur fidelité & obeissance enuers la Roine, & qu'ils [Page 21] veillent persister en ceste desloiaulté, alors sontilz chargéz & punis de ces crimes, selon la teneur & prouision des loix.
Or ne fai-ie point mention de ces argumēs, pour les vouloir approuuer quant à moy: mais, pour vray, si en suis-ie esmeu auec aultres sages personnages, pour estimer en effect, que la temerité de plusieurs qui se coulent secretement en ce Roiaume, se disans estre Prestres, mais Plusieurs Prestres enuovez en Angleterre eunes, indiscrets & de mauuaise vie. pour la pluspart, ieunes, indoctes & legers, a fait grād' breche à la bōté de nostre cause commune. Que si eux & leurs semblables eussent paisiblement & secretement donné iustruction au peuple, estans plus circumspects en leur vie & comportemens, beaucoup plus grand nombre de persōnes eussent peu estre persuadées en leur consciences de se ioindre auec nous en la profession de nostre Religion. Dequoy ie suis tāt plus hardi de vous escrire, Monseigneur, à ce que vous puissiez conferer auec ceux de nostre Nation, lesquels ont communication auec vous, & eux aussi puissent traicter auec les peres Iesuites, qu'on face choix plus soigneusemēt de nos Anglois qui pourroient estre enuoiez cy apres en Angleterre, sans y aduancer le premier ieune homme qui se rencontrera auec plus de prouision de hardiesse, que de la doctrine & moderation requises en vne telle charge.
Au reste, en la premiere partie de mon discours, touchant ceste concurrence vniuerselle [Page 22] de tous les hommes de valeur, de force & de La grande force de l'armée Angloise pa [...] les nauires des villes maritime [...], lesquelles ont serui [...]a [...]s solde. biens en tout le corps de ce Roiaume, pour le seruice & defence de la Roine & de cest estat: i'ay oublié de vous descrire le grand nombre de nauires des subiectz de ce Roiaume, tant de Lō dres, que des aultres cités & ports de mer, lesquels ayans armé ceste a [...]née, ont esté bastans d'eux mesmes pour mettre sus vne iuste armée de mer, fournie pour certains mois aux propres coustz & despens des bourgeois, d'hommes, victuailles & munitiōs, & lesquels se sont ioinctz auec l'armée de la Roine tout cest esté dernier: chose qui n'a oncques esté ouïc par cy deuāt, sinon qu'autrefois telles nauires estoient tousiours prinses à gage ou solde, & munitionnées par les Rois de ce Roiaume. Par où il appert, à mon grand regret & de plusieurs aultres, combien par dessus l'ordinaire est vehemente l'affection & deuotion des villes & ports de mer: et telle, qu'ils se sont bien monstrez pardecà disposez à combattre, comme si c'eust esté pro aris & focis.
Quāt est du nombre & de la force des vaisseaux de la Roine, ie ne fay doubte que parcydeuant vous n'en aiez esté suffisamment informé: touteffois ie n'estime hors de propos de vous faire vn fidele rapport, selō qu'au plus pres i'en ay peu estre informé, de leur estat en ce dernier esté. Car pour certain i'ay esté grandement fasché de veoir combiē vous & aultres auez esté [Page 23] abuzez en cela: et non seulement en ce poinct touchant les nauires de la Roine, mais aussi de n'agueres en quelques aultres choses desquelles en partie, és communs propos de plusieurs, l'inuention & publication vous est tres-malicieusement imputée. Sur quoy ie vous veux bien faire vne petite digression, pour retourner puisapres à l'estat de l'armée de la Roine. C'est que Deux notan [...] mensonges imprimez à Paris, & imputez à Dom Bernardin de Mendoze. pareillement cest esté dernier on Imprima à Paris par vostre moyē (ainsi qu'on disoit) vne fausseté notable, laquelle i'ay veuë & leuë, asçauoir que le Roy d'Escosse auoit assiegé & prins Barvvik par assault, lequel à vostre dire il possede paisiblemēt. En quoy il n'y auoit rien de verité, ny mesme occasion de l'imaginer, encores que pour ma part ie l'eusse bien desiré, non pour aucune mienne bien-vueillance enuers ce Roy-là, mais pour veoir ceste Roine en trouble: Car pour certain il n'y a rien de bien à esperer pour nous de la part du Roy d'Escosse, quelque chose que les Euesques Escossois qui sont en France ayent cherché de vous persuader du contraire, veu qu'il est tellement enraciné en ceste Religiō Caluiniste, qu'il ne reste aucune esperance de le ramener au giron de l'Eglise Romaine: et ie pense que vous en estes deuëment informé tout de mesme, comme aussi il l'a bien fait paroir par sa poursuite violente contre quelques Catholiques, & contre tous ceux qui fauorizent l'Espagnol. Il s'imprima aussi n'a pas long temps à [Page 24] Paris vn aultre grād mensonge, & ce (au dire de vos ennemis) à vostre poursuite, ascauoir, qu'au mois de Iuillet dernier, quand les armées d'Espagne & d'Angleterre se rencontrerent & combatirent entre la France & l'Angleterre, lors les Espagnols remporterēt vne grande victoire, en laquelle My Lord Admiral d'Angleterre, auec seze des grās nauires de la Roine, auroiēt esté enfoncez au profōd de la mer, & que le reste auoit esté mis en fuite auec le Vice-admiral Francoys Drak. De ces deux notables mensonges que les aduersaires intitulēt de Dom Bernardin de Mendoze splendida mendacia, beaucoup de ceux qui vous honorent, ont esté griefuement outrez, que vous aiez si soudainement donné credit à vn tel rapport, pour le publier, comme vos enemis disent que vous auez faict. De moy, pour vostre honneur, autant qu'il m'a esté possible i'ay faict courir le bruit que ces choses & semblables estoient procedées de la legereté des François, entre lesquels vous estes: lesquels, en ces temps confus sement plus liberalement des mensonges, que des veritez: et non pas de vous, duquel i'estime tant l'honneur & la sagesse, qu'elle ne so vouldroit diffamer de telles faussetes & mensonges: consideré que tousiours vn bien peu de tēps descouure la verité de la chose laquelle estoit obscurcie de mensonge, auec discredit & infamie de celuy qui en est l'autheur. Si est-ce qu'encores s'est-il semé vn proposcomme estāt [Page 25] parti de vous en France, & lequel a causé contre vous vn grand mescontētement en Escosse, c'est que vous auriez dict ouuertement en grande compagnie & comme en brauant, que le ieuue Roy d'Escosse, que vous appellez en vostre langage vn garçon, auoit trompé le Roy vostre maistre: mais que si l'Armée du Roy prosperoit cōtre l'Angleterre, le Roy d'Escosse en perdroit sa Couronne. Et de cecy, le Roy d'Escosse en a eu aduertissemēt de France, & a vsé de tels termes contre vous, que pour rien ie ne vouldrois en faire le rapport moy-mesme. Mais pour laisser ceste digression & retourner à vous L'estat de l'a [...] mée de m [...] d'Angleterr [...] cest esté dernier. representer naifuement l'estat de l'armée nauale de la Roine tel qu'il a esté: elle se mist sus au cō mencement de l'année quand on sema le bruit de l'apprest de l'armée du Roy en Lisbonne, & de l'armée deterre sur les costes de Flandres auec l'equippage de mer: & fut diuisée en trois flottes, la plus grande, soubz la charge De Le Seigneur Haward Admiral. My Lord Charles Havvard grand Admiral d'Angleterre, duquel le pere, l'aieul, les oncles & grans oncles & aultres de sa maison issus de la noble maison des Ducs de Norfolk, ont aussi esté grans Admiraux deuant luy, dequoy la [...]rance & l'Escosse ont faict preuue suffi sante: l'aultre partie estoit ordonnee pour demeurer Le Seigneur Hēry Seymour. auec le My Lord Henry Seymour, second filz du Duc de Sommerset, lequel fut Protecteur du Roiaume au temps du Roy Edovvard, & frere [Page 26] du Comte de Hart ford qui est à present. Et ces deux bandes firent seiour pour vn temps au destroict de la mer d'entre Angleterre & F [...]ādres, soubz la charge dudict My Lord Admiral, pour considerer les actions du Duc de Parme. Vne troisiesme flotte estoit armée au Ponent d'Angletterre, qui regarde l'Espagne, soubz la conduicte du Seigneur Francois Drak, homme qui Le Sire Francois Drak. n'est que trop cogneu & de nom & de renommée à toute l' [...]spagne, et aux Indes du Roy, mais de grāde reputation en Angleterre: & icelle cō posée en partie de quelques vnes des nauires de la Roine, en partie des nauires des ports qui sont vers l'Occident. Mais apres l'aduertissemēt certain que la grāde armée d'Espagne estoit preste à sortir de Lisbone, & que la renommée vola par toute la Chrestiente qu'elle estoit inuincible, comme aussi cela fut publié par liures Imprimez: la Roine & tout son conseil furent, i [...] m'en asseure, quelque bonne mine qu'ils fissent, en perplexité non petite, attendans pour certain vn dangereux combat sur la mer, & apres cela vne descente & inuasion par la terre. Sur cela le My Lord Admiral fut commandé de faire voile à l'Ouest d'Angleterre vers l'Espagne auec les plus grans nauires, pour se ioindre auec Drak, lequel il fit Vice-admiral, & seiourner en la mer qui est entre la France & l'Angleterre, pour empescher l'entrée à l'armée d'Espagne. Lors aussi vint auec le My Lord Admiral le [Page 27] My Lord Thomas Havvard second filz du dernier Duc de Norfolk, & le My Lord Sheffeld Le Seigneur Thomas Haward. filz de la soeur de l'Admiral, femme de l'Ambassadeur pour la Roine en France, auec grand Le Seigneur Sheffild. nombre de riches & puissans Cheualiers Pour lors le My Lord Henry Seymour, sut laissé auec Le Seigneur Hēry Seymou [...]. bon nombre de nauires au destroict de la mer sur les costes de Flandres, pour prēdre garde au Duc de Parme.
Or copendant que ces deux armées furent ainsi diuisées, ie vous confesse que moy & aultres de nostre parti, secretement faisions du tout nostre compte, que nul de tous les nauires Anglois n'ozeroit attendre le regard de l'armée d'Espagne, ou que s'ils attendoiēt quelque combat, ilz seroiēt tous enfoncez des la premiere rē contre. Car nous auions conceu vne opinion si constante par le rapport de tout le monde de la grandeur & multitude des nauires, & l'armée d'Espagne, estant le choix des vaisseaux de toutes les Seigneuries du Roy, estoit si excessiuement monstrueuse par dessus toutes les armées de mer qui iamais ont esté veues en toute la Chrestienté, fans en excepter l'Armade de Lepante: qu'à nostre iugement nulle puissance ne pourroit subsister deuant elle. Mais vn fort peu de temps, voire le seul premier iour, descouurit manifestement au grand deshonneur de l'Espagne, combien lourdement en cecy nous nous [...]tions abuzez: Car l'armée Catholique estant [Page 28] arriuée és costes d'Angleterre, laquelle de vray les Anglois recognoissent leur auoir semblé beaucoup plus grande qu'ils n'esperoient, & aduoüent qu'ils furent estonnez au seul regard d'icelle: Neantmoins le My-Lord Admiral & Drak, ayans seulement cinquante nauires Angloises Le combat de l'Armée An [...]loise, auec l'Espagnole. hors du haure de Plemouth, dans lequel le reste estoit demeuré, sans attendre le reste de l'armée qui estoit à Plemouth pour faire vn nouueau rauitaillement, ilz offrirent incontinent le combat, & poursuiuirent furieusement toute l'armée d'Espagne composéed'euiron 160. vaisseaux, tellement qu'estant viuement assaillie tout vn iour par le continuel tonnerre des cannonades Angloises, elle s'enfuit sans iamais faire teste. Apres cela, l'armée d'Angleterre s'estant accreuë iusques au nombre de cent vesseaux grans & petits, renouuella le combat auec vne terrible tempeste de Canōs, tout ce iour-là, gaignant tousiours le vent sur l'armée Espagnolle. Ce me seroit chose trop safcheuse de reciter les particularitez, lesquelles les Angloisiont amplemēt descrites à leur grande louange: mais (pour en parler en vn mot) par l'espace de neuf iours entiers, ilz les forcerent continuellement & les forcerent de fuir, les briserent, enfoncerent & prindrent en trois iours de combat plusieurs des plus grans vaisseaux, desquels, & specialemēt du grād & principal nauire d' Andelouzie, & de Lamirande de Guipous [...]que, & pour le troisiesme [Page 29] de la principale Galeasse de Naples, grand nombre de prisonniers furent amenez à Londres & aultres ports de ce Roiaume: oultre beaucoup plus grand nombre de tuez & noiez, au grand deshonneur de toute l'Espagne. Or entre ces prisonniers il y auoit grand nombre de Capitaines tant de mer que de terre: & (ce qui fletrist l'honneur d'Espagne, & me naure le coeur de veoir l'instabilité de la fortune) nos ennemis se vantēt, qu'en tous ces combats par tant de iours diuers, les Espagnols n'ont iamais prins, ny enfoncé aucun nauire, ny basteau, non pas mesme rompu aucun mast, ou prins vn seul homme prisonnier. Chose pour certain du tout esmerueillable Les prisonniere Espagnols disent, que Christ en cest Esté, s'est monstré Lutherien en toutle voiage de l'armée Espagnole. aux Espagnols prisonniers, lesquels se despitent sut cela, tellement qu'aucuns, tout angoissez qu'ilz sont en leur esprit, ne laissent pas de dire qu'en tous ces combats, Iesus Christ s'est monstré Lutherien luy-mesme Et combien que tels propos soient indiscrets, & qu'on n'en doiue faire estat, si est-il pour certain tresmanifeste, qu'en tout ce voiage depuis que l'a [...]mée sortit de Lisbonne iusques à ceste heure, Dieu n'a pas mō strévn seul iour sa faueur aux nostres, comme il a faict continuellement à ces Lutheriens. Ce qui peult estre aduenu pour nostre bien, afin de nous cotriger [...]omme aians mis entierement nostre confiance [...]s forces humaines: & à la confusion cy apres des Lutheriens, en les enflant (comme [...] e [...]nemis) de prosperité, pour [Page 30] vn temps, laquelle soit puis apres cause de leur ruine. Au reste, entre aultres choses qui se diuulguēt au deshonneur du Duc de Medine (lequel on dict auoir prins sa place de grande hardiesse au fonds de son nauire pour plus grāde seureté) & au grand diffame des Espagnols de commandement, qui estoient en ceste arméc: on tient pour certain qu'ilz ne voulurent iamais tourner ny arrester leurs nauires pour la defence de leurs propres vaisseaux, lesquels estoient contrainctz de retarder & demeurer derriere, ains souffrirent que plusieu [...]s perissent deuant eux. De cela portent bon tesmoignage les trois grans vaisseaux, l'vn auquel fut prins Dom Pedro Dom Pedro de Valdez Capitaine general de l'Armade d'Andelouzie. de Valdez, l'aultre le Galion de Guipousque, lequel perit par le feu, & ceste Galeasse celebre, en laquelle Hugues de Moncada fut tué. Et de ceste Hugo de Moncada general des Galoasses de Naples. nonchalāce du Duc de Medine, les prisonniers Espagnols en parlent fort desauentageusement. Il se dict le semblable en Zelande par les Espagnols qui sont là, & qui furent sauuez auec Dom Diego Pimentelli, encores que le Galion auquel il estoit, batu des Canonnades Angloises sans aucun secours des nauires d'Espagne, perit la en abbordant à Flesinghe: comme semblablemen [...] vn aultre perit deuant Ostende par faulte de secours. Or vous faisant ce disc [...]rs, ie doy bien penser que vous estes oultré de douleur en vostre esprit, ou plustost de cholere contre moy d'vne si longue narration de choses si mal) plaisantes, [Page 31] encores qu elles ne soiēt que trop vraies. Et pourtāt aussi ie m'imagine que vous pouuez estre desireux d'entendre pour vostre plus grand contentement, quelle opinion nous reste par decà, nous trouuans ainsi frustrez de nostre tant esperée deliurance, par le mauuais succés de ceste grande enterprinse: ascauoir si nous deuons Con [...]idera [...]o [...] de ce qui se pou [...]oit sair [...] l' [...]nnèe pr [...] chaine, pou [...] reme [...]tre sus l'enterprins [...]. nous reconforter nous-mesmes par quelque discours vray semblable, que ce desseing se puisse renouër ceste année prochaine, pour le recouurement de nostre esperance perdue en ceste année, tāt fameuse & celebre par le nombre de 88. & verifiée estre telle par la grand' perte de tous les Catholiques. Sur quoy ie trouue pour certain ayant secretement conferé de n'agueres auec plusieurs de cest infortuné accident, que de long temps nous ne pouuons esperer probablement aucun bon succés. Et si en cela il y a quelque chose à esperer, certainement les forces de mer du Roy Catholique, de toute necessité doiuent estre beaucoup plus grandes, & m [...]cux gouernées qu'elles n'ont esté ceste année; car voicy que nous considerons. Ceste enterprinse d'inuasion & conqueste estoit principalement fondée sur certaines opinions probables de mauuais estat de ce Roiaume. Premierement de la folblesse des nauires Angloises, car tels estoient les aduis, lesquels (comme vous scauez) par diuerses Les 3. esp [...]ances conceu [...]s contre l'Angle [...]erie, à present [...]rustratoire [...]. voies l'année passée on vous donnoit d'icy: & [...]el aussi estoit le iugement de plusieurs pardeca. [Page 32] En quoy nous voyons par le seruice qu'ont rendu ces nauires toutes ces années, que nous auons faict vn erreur notable. Le second fondement estoit d'vn mescontentement supposé de grand nombre de peuple, le rendant mal affectionne au seruice de la Roine & de son gouuernement à l'encontre de ses ennemis. Finalement [...]. & principalement, d'vn grād & fort parti, lequel s'y trouueroit prest en faueur de la Religion Catholique, & lequel prendroit les armes contre la Roine à la premiere veuë de l'armée Catholique és costes d'Angleterre. De toutes lesquelles opinions, comme estans bien imprimées & resolues és esprits des gens de bien, nous scauons qu'il n'y a homme au monde qui en ait donné au Roy vne asseurance plus ferme que vous. Ce qui me met en crainte, toutes choses aians si mal succedé, que n'encouriez le danger de son indignation, encores qu'en cela ie ne fay doubte de vostre bonne intention. Or cōme ces trois opinions nous ont manqué ceste année, ainsi vous en pouuez-vous tenir certain pour l'aduenir. Ie scay bien qu'aucuns des nostres qui sont delà la mer, peuuent persister en leurs opinions contre l'experience qu'on en a veuë de n'agueres, & y a bien apparence qu'ils y sont cōme forcez pour se maintenir en credit, & continuer èn l'appoinctement qui leur est donné du Pape & du Roy, n'aians aucun aultre moien de se preseruer, ou de ieusner, ou de mendier: [Page 33] toutesfois pour ce que ie ne vouldrois point permettre à mon escient que vous fussiez beflé par eux, qui n'ont pas esté presens en ce Roiaume pour veoir par effect la refutation de leurs imaginations, comme moy & quelques aultres: ie vous veux deduire vn grand nombre d'argumens manifestes, bien que i'en sois nauré iusques au coeur, par lesquels selon vostre sagesse (pourueu que vous ne l'a souffriez point aueugler par les aultres) vous pourrez certainement recueillir quant à ces opinions d'intelligence & d'assistance en ce païs, que nous en aurons des preuues contraires aussi fortes ceste année prochaine, voire en quelque esgard plus fortes, qu [...]elles n'ont esté ceste année, si on veult biē calculer toutes choses. Car l'armée de mer d Angleterre a faict preuue ceste a [...]née à la veuë de tout le monde, de sa force & puissance en ces mers de decà, & qu'elle est suffisante de faire teste en sa facon de combatre, à vn nombre plus grand au double de Galions, Caraques, Galeasses & Galeres. Or est-il certain que leur nombre s'accroistra pardecà beaucoup d'auantage pour ceste année prochaine: Car ie scay qu'en ces iours derniers on a desia faict marché, fourni argent & L'armée de mer d'Angleterre sera plu [...] forte l'annee prochaine. depesché tout expres en Estland, pour faire amas de toutes sortes de prouisions pour la mer.
Et quant à l'accroissement d'vn nombre de bons nauires pour le seruice de la Roine, il y a desia grād quantité de bois prest, & ordre prins [Page 34] pour en abatre d'auantage és mois de Nouembre & Decembre prochains, sur les bords tant de la mer, que de la Tamise, pour bastir vn certain nombre de nauires de guerre, pareil à ceux qu'on a veu ceste année batre les grandes Armades & Chasteaux d'Espagne & d'Italie. D'auantage on aura pour certain grand nombre de nauires, non seulement de Holande & Zelande, mais aussi de Dannemark, & aultres endroicts de deuers l'Est, pour ioindre l'année prochaine auec l'armée Angloise, ce qu'on n'auoit point requis Offre des Holandois & Zelandois à la Roine, pour se ioindre a l'armée Angloise. l'année derniere: seulement certains Zelandois & Holandois Offrirent leur seruice selō qu'ils y estoiēt tenus, vers la fin de l'esté apres le combat qui se fit pres de Calais, pour se ioindre auec quelques nauires Anglois au d'estroict de la mer, pour defendre l'issue du Prince de Parme hors des ports de Flandres. Pour lequel seruice, il y a à present quarāte six bōs nauires de guerte soubz la cōduicte du Vice-admiral Iustinian de Nassau, homme qui ne s'accorde que trop bieu Iustinian de Nassau Admiral de Holand [...] auec 46. nauire [...] de guerre ioinct auec l'armée Angloise conrre le Prince de Parme. auec la nation Angloise, & qui est ennemy iuré de tous les Espagnols & Catholiques: & tiēton pour certain, qu'il vient en mer oultre cela, quarante nauires de la Holande Septentrionale, pour le mesme effect: tellement qu'il est à presumer que la force de ce Roiaume sera grande au double ceste année prochaine, plus qu'elle n'a esté la dernicre.
Voyons maintenant la seconde branche de [Page 35] nostre esperāce produicte de l'opinion conceuē du grand mescontentement de plusieurs personnes contre la Roine. Or le contraire s'est Argumens pour prouuer qu'il n'y a nul mescontentement du peuple enuers la Roine. clairement verifié ceste année, tant par ses actiōs propres à se maintenir en la beneuolēce de son peuple, que parvne deuotion generale & affectiōnée de tous estats, nobles ou inferieurs, riches ou poures enuers elle: voire si grande, que i'estime qu'il n'y a iamais eu Prince Chrestien qui ait eu plus de matiere de reiouissance & confiance en son peuple (chose, à mo [...] iugemēt, qui pourroit bien engendrer quelque racine d'orgueil en son coeur.) Elle d'aultrepart pour recō pense d'vn tel deuoir, s'est monstrée en toutes ses actions, voire lors que les dangers menacoient de plus pres, si soigneusement attentiue au bien de son peuple & à la conseruation de son estat, sans aucun esgard special ny pouruoiance particuliere pour sa personne, qu'aucun aultre Prince ne pourroit iamais faire d'auantage. Premierement, Lapouruoiance de la Roine, pour fortifier son Roiaume. pour faire entendre à son peuple quel soing elle auoit de fortifier son Roiaume contrctoute inuasion, elle a mis tres-soignesement ordre par commandemens reiterez, que tout son Roiaume fust en armes, s'en attribuant la cognoissance à elle mesme par les certificats qui luy en seroient enuoyez de mois en mois, par ceux qui estoient ses Lieutenans en chaque Bailliage de son Roiaume. Elle fist enuoier par toutes les prouinces, armes, poudres & aultres munitiōs, [Page 36] auec reglement pour tous les quartiers maritimes, là aussi elle fit dresser des armées pour defendre toutes les aduenues de la mer. Et, comme il m'a este rapporté par quelques vngs qui scauent le secret de la Cour, elle pressoit importunément son Conseil de ne laisser passer vn seul iour sans s'emploier à auancer ces affaires. Ceneantmoins elle fist continuer le traicté de la paix és pais bas par ses deputez, laquelle sans doubte elle desiroit bien, autāt qu'elle l'eust peu obtenir auec certaines cōditions. Ainsi pour vn plein contentement de son peuple, elle desiroit & entretenoit le pourparler de paix, sans negliger cependant de fortifier son estat, si tant esto it que paix ne peust estre obtenue. Mais en fin voiant ses demandes entierement refuzées (nouuelle fort agreable à nous aultres Catholiques) & entendant certainement que l'armée du Duc de Parme deuoit passer pour du tout destruire la Cité de Londres: elle reuoqua ses deputez, approcha en personne de Londres, & se vint loger cōme aux fauxbourgs, chose qui resiouit & asseura grandement toute la ville, laquelle faisoit monstre ordinairement d'entre les habitans de dix mille hommes armez & exercez. Et en oultre, tenoit prestz trente mille hommes de combat. Elle fist aussi dresser & camper son armée vers la mer fur la Tamise, huict ou dix lieues au dessoubz de la Cité de Londres, tēdant à la mer, là où l'armée estant arriuée, elle ne peut estre [Page 37] empeschée par aucun conseil, que pour accourager son peuple, elle ne fist resolutiō de monstrer qu'elle logeoit en vn corps de femme, vne ame genereuse & vn coeur du tout magnanime. Esle vint donc en son armée, en laquelle cōmandoit le Comte de Leycester, pour lors cāpée entre la Cité de Londres & l'ennemy, & passa diuerses La Roine en son armée, au plus grand dā ger de la descente des ennemis. fois tout au trauers: elle print son logis tout au pres, elle y retourna derechef & disna en l'armée, elle fist venë premieremēt de toutes les bā des selon qu'elles estoiēt distribuées par prouinces, chacune en leurs quartiers & cāps particuliers, & les reuisita de place en place: puis estàns rāgez en bataillons, cōme prestz à cōbatre, elle les circuit tout à l'entour & les cōsidera curieusemēt, n'estāt accōpagnée que du general de l'armée & de trois ou quatre aultres qui prinssent garde à elle: Encores pour representer son estat, ie cōsideray biē que l'espée estoit portée deuant elle, parle Cōte d'Ormond. Là elle fut saluée generalemēt Notable applaudissement du peuple pour la presence de l'armée en son camp. d'acclamatiōs, d'harquebouzades, de toutes sortes de tesmoignages d'amour, d'obeissance, de promptitude, de volonté de combatre pour elle: spectacle rare en vn cāp ou armée, attendu son sexe: mais le tout tendant à ceste fin, de monstrer vne merueilleuse concorde & mutuel amour entre la Roine & ses subiectz, & la reuerēce & obeissance des subiects enuers leur Princesse souueraine: pour lesquels deuoirs elle le [...] sceut bien caresser de remerciemens & paroles [Page 38] hōnestes, d'vne facon entierement Roialle. Or pourrois ie bien amplifier ceste description de beaucoup plus de particularités que i'ay veuës moi-mesme: car ie me trouuay là auec plusieurs aultres, là où me promenāt tout le iour de place en place, ie n'ouy iamais dire vn seul mot d'elle, sinō en louāt la dignité de sa personne & son cō portemēt Roial, & en priāt Dieu pour sa vie & cōseruatiō, auec execratiō de ses ennemis & des traistres & de tous Papistes, chacū monstrāt vn singulier desir de hazarder sa vie pour sa desēce.
Et oultre telles acclamatiōs generales, toute Le chant des Pseaumes en l'armée Angloise au camp. l'armée en chaque quartier, chātoit, elle l'oiant, à certain tēps fort deuotemēt & melodieus [...]ment plusieurs Pseaumes, accōmodez en telle forme de prieres à la louange de Dieu tout-puissant, que cela n'eust peu en facon quelcōque desplaire à aucun: chose qu'elle prisoit grandement, se cō ioignant auec eux & rendāt graces à Dieu auec paroles serieuses & graues. Ce que ie vous escry, vous le pounez biē tenir pour tout certain, ie ne le fay pas pour plaisir que i'y prenne: mais afin que par ces argumens, il vous conste que la Roine ne donne aucune occasion à son peuple, & que le peuple ne monstre aucun signe de mescontentemēt en ce qui luy est commandé pour le seruice de la Roine, comme on s'estoit par cy deuant imaginé.
Elle auoit aussi preparé vne armée d'enuiron 40000. hōmes de pied, & 6000. de cheual des [Page 39] prouinces qui sont au coeur du Roiaume, pour se tenir pres de sa persōne, sans desarmer les païs maritimes. Le tout soubz la charge de My Lord Hunsdon, Seigneur Chāberlā & Lieutenāt pour sa Maiesté, en ladicte armée. Tellement qu'au mesme tēps qu'elle estoit au camp, plusieurs s'acheminoiēt vers elle de diuerses prouinces: aucūs vindrēt iusques aux fauxbourgs & villages prochains de Lōdres, lesquels, à cause de la moisson Aultre Armée preparée pour la Roine, oultre celle qui estoit opposee a l'ennemy pour luy defendre la descente. prochaine, furent commandez de retourner en leur païs, lesquels pour vne grande part (nonobstant ce cōmandemēt) ne laissoient de s'auancer à leurs charges, pour veoir (cōme ilz disoiēt) la personne de la Roine, & pour cōbatre ceux qui se vantoient de la conqueste du Roiaume.
Et quoy que la plus grand' part desdicts soldats fust cōtraincte de s'en retourner, toutesfois les Capitaines conducteurs & les princi paux Cheualiers & Gentilz-hōmes vindrent iusques en Cour offrir leur seruice, lesquels furēt caressez auec beaucoup de remerciemēs, estans à present de retour pour la pluspart, auec pleine resolutiō & promesse d'entretenir de sorte leurs bā des prestes, qu'apres quelques heures d'aduertissement, ils les rameneront en bon equippage. Oultre les susdicts argumens opposez à l'opinion du mescon tētement du peuple, duquel on attendoit grand aduantage pour ceste entreprinse honorable, ie veux bien aussi vous representet certaines actions notables, faisans prcuue en ce [Page 40] mesme temps du contentement & promptitude de toute la Noblesse du Roiaume, laquelle n'estoit point contraincte de demeurer en son païs pour raison des charges & estats qu'ils fussent, comme sont les gouuerneurs & Lieutenās lesquels y commandent pour le faict des armes. Carsi tost qu'on entendit que la Roine estoit approchée de Londres, & que les armées s'assembloient pour se venir opposer de tous costés La puissant [...] Caualerie amenée par la noblesse, pour la defence de la personne de la Roine. à tous efforts des ennemis, & qu'on fut aduerti des costes de la mer que l'armée Espagnole estoit apparue: tous les grans Seigneurs du Roiaume, de l'Est à l'Ouest, & du Nord au Su, (ceux-là seulement exceptez lesquels ayans le gouernement des prouinces, n'en pouuoient legitimement estre absens, à cause de leurs charges, & quelque peu qui n'eurent moyen d'assembler des forces selon leur desir) se rendirent incontinent pres de la Roine, amenans auec eux chacun selon leur degré (& y emploiās iusqu'au bout leur puissance) des compagnies de gens de cheual, Lanciers, Cheuaux legers, Argoulets, lesquelles ilz logerent à l'entour de Londres, les entretenās à leurs charges tout ce temps, & iusques à ce qu'on eut cognoissance certaine, que l'armée d [...]Espagne estoit emportée par delà l'Escosse. Or plusieurs de ces Seigneurs firent monstre de leur Caualerie deuant la Roine, (voire au champ qui est deuant la porte de sa maison) auec grande admiration des hommes [Page 41] de iugement, à ce que i'ay entendu, tant pour le grand nombre qu'il y en auoit, que pour estre bien armez & montez: car n'estans point du nō bre de la Caualerie ordonnée en chacune prouince, ny rangez és compagnies, on n'eust point pensé qu'en tout le Roiaume, il y eust eu tant de cheuaux d'Espagne de telle valeur, excepté vers le Nord és limites d'Escosse, où les forces consistent principalement en Caualerie.
Le premier qui fit monstre de sa compagnie, La monstre de la compagnie de Caualerie du My Lord de Montagu, fut la premiere. fut le noble, vertueux & honorable Vicomte de Montagu, lequel, quelque chose qu'on iuge de luy pour la faict de la Religion, toutesfois on tient auoir tousiours declaré (comme encores à present il declare & proteste solennellement, tant à la Roine qu'en toutes les assemblées publicques de la Cour quelque maladif & aagé qu'il soit,) qu'il est prest, auec vne entiere resolution, de viure, & de mourir pour la Roine & pour son païs, contre tous ceux qui le voudront enuahir, soit Pape, Roy, ou Potentat quel qu'il soit, & qu'en ceste querelle il hazardera sa vie, ses enfans, ses terres & tous ses biens. Et pour faire preuue par effect de sa parole, il se representa personellemēt deuāt la Roine auec sa cōpagnie de gens de cheual d'enuirō deux cens hommes, conduicte par ses propres filz, & entre iceux vn ieune enfant, lequel estoit fort bien à cheual, heritier de sa maison; comme estant filz aisné & heritier de son filz. Chose notable & louée de [Page 42] plusieurs, de veoir legrād pere, le pere & le petit filz tous ensēble à cheual deuāt leur Roine pour son seruice. De moy, ie prenois vn grād desplaisir de veoir le contentement qu'auoient nos aduersaires en vn tel spectacle: mais pour vostre regard, Monseigneur, ie n'ay pas peu vous le taire, estimant que ce Seigneur vous est assés cogneu, comme aiant esté emploié en Ambassade vers le Roy Catholique plusieurs années, selon que i'ay entendu, de la part de la Roine, pour requerir confirmation des traictez d'amitié faictz au parauant entre leurs peres. Or ie ne doubte point qu'il n'y en ait par decà quelques aultres de mesme condition que ce Seigneur, de la faueur desquels il ne fault pas faire estat, quand il sera question d'attenter quelque chose contre la Roine ou d'enuahir ce Roiaume.
Il y eut au mesme temps plusieurs aultres qui Monstre de la Caualerie de quelques Seigneurs. firent monstre d'vn grand nombre de cheuaux de seruice: ce qui vous est vtile de scauoir, encores qu'il vous soit peu agreable, pour n'estre point abuzé par faulte de bien scauoir l'estat present de decà, afin que cy-apres vous puissiez mieux iuger ce qui est de faire, pour reparer la perte & le deshonneur du passê. Alors donc le Comte de Lincolne & le My Lord de VVindsor, Le Comte de Lincolne. Lord Windsor. (ioinctz auec eux quelques Cheualiers & gentilz-hommes) firent les monstres de leurs compagnies, comme le My Lord de Montagu auoit faict: & apres eux, le My Lord Chancelier fist Le Seigneur Chancelier. [Page 43] monstre en sa maison, d'vne braue trouppe de plusieurs vaillans hōmes, tāt de pied, que de cheual. Puis vn iour ou deux apres, le Cōte de VVar Le Comte d [...] Warwik. Lord Thresorier. Lord Compt [...] Le Comte de Leycester Lord Riche. Le Sire Walt [...] Mildmay. Sire Henry Cromwell. Sire Iean Pointes. vvick, My Lord Burghley grād Thresorier d'Angleterre, My Lord Compton, & sur le soir le Cōte de Leycester, auec le My Lord Riche (oultre plusieurs Seigneurs du Roiaume) firent mōstre chacun à part de leurs cōpagnies de cheual, au grand contentemēt de la Roine & de tout le peuple, lequel estoit là present par milliers. Deux iours apres, le Cōte d'Essex grād maistre de l'escurie de la Roine, auec aucuns des principaux gētilz-hō mes La grande cō pagnie de Cōte d'Essex. de sa suite, & de ses amis & seruiteurs, fist monstre deuant la Roine de 300. bons cheuaux de seruice, auec grand nōbre d'Argoulets, & vne belle cōpagnie de gēs de pied tous mousquetaires
Ceste monstre surpassa en nombre toutes les aultres compagnies particulieres, & le Comte luy-mesme auec grand nombre de Lanciers biē montez & armez, courut souuentesfois, notamment auec le Comte de Cumberland, comme s'ilz eussent esté en champ de battaille. Ce qu'ils appellent icy la course du champ, chose que ie Course du champ. n'auois iamais veuë au parauant. Il continua aussi vn long tēps auec sa compagnie de cheual, vn tournoy, auec force escharmouches, par ses Argoulets & gens de pied. Qui fut vn passetemps Tournoy. fort agreable à la Roine & à tout le peuple qui estoit là present à la foule. Parmi lequel i'entēdy maints propos picquans contre les Anglois [Page 44] Papistes (qu'ils appelloiēt tous traistres: & souhaitans que les Espagnols fussent presens au mesme chāp trois fois autant en nōbre, pour faire preuue de la valeur des Anglois. Ce m'estoit chose biē griefue d'ouir tels propos, auec maintes execrations contre tous ceux de leur païs, lesquels (comme ils disoiēt) trahissans meschāmēt leur propre patrie, auoiēt, autāt qu'en eux estoit, vilainement vēdu la liberté de leur païs aux Espagnols & aultres Papistes. Ce n'estoit pas lors à moy à cōtredire: que si ie l'eusse faict, pour certain l'indignation eust esté telle au spectacle de ceste belle Caualerie, qui leur redoubloit le courage, qu'en leur fureur ils m'eussent là tuè sur le champ & haché en mille pieces. Oultre les Seigneurs cy-dessus nommez, il estoit venu en la ville d'aultres belles cōpagnies amenées par le Cōte de VVorcester. Le Comte de Hertford, le My Lord Audely, le My Lord Morley, le My Lord Le Comte de Worcester. Le Comte de Hertsord. Lord Audely. Lord Morley. Lord Dacres. Lord Lomeley. Lord Montioy. Lord Sturton. Lord Darcy. Lord Sandes. Lord Mordāt. Dacres, le My Lord Lomeley, le My Lord Montioy, le My Lord Sturton, le My Lord Darcy, le My Lord Sandes, le My Lord Mordant, & par chacun des Seigneurs du priué Conseil: tellement que par l'estimation commune, ily auoit alors és enuirons de Londres, quelque 5000. cheuaux tous prestz pour le seruice de la Roine, sans la Caualerie qu'on auoit leuée pour le corps des armées & pour la garde des costes.
I'ay ouy d'auantage en fort bon lieu, là où i'estois sans mot dire, qu'ily en auoit encores [Page 45] deux fois autant tous prestz auec les grans Seigneurs absens, pour auoir l'oeil sur les affaires en leurs gouernemens particuliers. De ce nombre est le Marquis de VVinchester, lequel est estimé Marquis de Winchester. trespuissant & bien fourni de soy-mesme, & de cheuaux & d'armes, lequel est Lieutenant pour la Roine en la prouince de Hamptonne. Comme aussi le Comte de Sussex, Capitaine de Comte de Sussex. Portesemouth & Lieutenant en Dorcester. Apres luy on met en rang le Comte de Sherous bery, Comte de Sheous bery. Comte Mareschal d'Angleterre, Lieutenant pour la Roine en vn grand nombre de prouinces, & trespuissant de par soy-mesme tant en gens de cheual, que de pied: oultre la puissance du Seigneur Talbot son filz. Et combien que le Lord Talbot. Comte Darby fust lors en Flandres, d'où il est Comte Darby. n'agueres retourné, neantmoins son filz My Lord Strange Lieutenant en Lancaster & Chester Lord Strange. en l'absence de son pere, a faict leuée d'vne grande puissance de Caualerie. Et à propos de de ce Comte (pour monstrer l'affection de tout le païs enuers luy) i'ay entendu pour certain, que lors qu'il seiournoit trop long temps au gré du peuple en Flandres, & qu'on se doubtoit que le Duc de Parme ne le voulust arrester par delà auec les aultres Commissaires, le peuple generamēt determinoit en soy-mesme que le Seigneur Strange filz du Comte assisté de toutes les forces de Lācaster & Chester, passeroit la mer pour ramener le Comte chez soy. C'est vn conte ridicule, [Page 46] mais propre à monstrer la forme de l'amour du peuple enuers luy, lequel auec son fils est resoluëment bandé contre le Pape.
Le Comte de Bath, pareillement Lieutenant Comte de Bath en Deuonie auoit de grandes forces prestes, comme on dict, pour empescher la descente des estrangers en ceste coste-là Cōme aussi le Comte de Penbrook, Lieutenant [...]n Sommerset & VVilshir Offre du Cōte de Penbrook. & gouuerneur de Galles, estoit prest de venir vers la Roine auec t [...]qcēs ch [...]uaux & cinq cens hommes de pied, tous leuez & de sa retenue, les prouinces qui sont soubz sa charge demeurans pleinement fournies.
Ie laisse icy à parler de la trouppe de Caualerie des Contes de Northumberlād & Comberland, Cōte de Notthumberland. Comte de Cū berland. lesquels estans prestz d'en faire monstre, neantmoins si tost qu'ils entendirent l'approche de l'armée Espagnole, ces deux Comtes cour [...] rent volontairement & en toute haste vers la mer: & serendirent en l'armée de la Roine, deuantle combat qui se fist pres Calais. Là estans en diuers nauires de la Roine, ils luy firent de braues & notables seruices de leurs personnes, contre l'armée d'Espagne. Et pour vous monstrer vne generale & grande prōptitude de plusieurs aultres en ce mesme temps a emploier leur vies en ce mesme seruice, arriuerent aussi alors en l'armée de mer, grand nombre de gentilz-hommes de qualité, lesquels de leur propre mouuement, sans aucune charge & au desceu [Page 47] de la Roine, se ietterent en diuers de ses nauires esquels ils rendirent bon seruice, au combat qui se fit deuant Calais: le nombre desquelles estant fort grand, voicy le nom de ceux desquels il me peult souuenir. Monsieur Henry Brook, filz & Monsieur Henry Brook. Sir' Thomas Cecil. heritier de My Lord Cobham, le Sire Thomas Cecil, filz & heritier de My Lord Thresorier: le Sire Guillaume Hatton, heritier de My Lord Chā celier: Sir' Guillaume Hatton. Sir' Horatio Pallauicini. M. Robert Carie. Sir' Charles Blunt. le Sire Horatio Palauicini, Cheualier de Gennes: Monsieur Robert Carie, filz de My Lord Hunsdon: Sire Charles Blunt, frere de My Lord Montioye. Mais il se parle sur tout de deux gentilz-hommes de la Cour, nommez Thomas Gerard & Guillaume Haruie, lesquels pareillement M. Thomas Gerard. M. Guillaume Haruy. se rendirēt alors en l'armée, & lesquels m'estoient auparauant incogneus, mais à present, ils sont en la bouche d'vn chacun icy à l'entour de Londres, auec grande louange. Ces deux prindrēt le hazard en la barque d'vn des nauires, d'escaler la grande Galeasse en laquelle estoit Moncada, & y entrerent seulement auec leurs espées: hazard auquel, selon le recit commun, on n'en remarque point de semblable, si on compare la haulteur de ceste grāde Galeasse auec vn si pet it bateau. Mais encores, pour vous faire pleinemēt cognoistre cōbien ardente estoit l'affection des Seigneurs & gentilz-hōmes de toutes sortes à n'espargner leurs vies en ce seruice, il se dict que le Cōte d'Oxford, lequel est grand Seigneur & l'vn des plus anciens Comtes de ce Roiaume, Comte d'Oxford. [Page 48] se rendit aussi à la mer, pour combattre en l'armée de la Roine. Là se trouuerent aussi à mesme fin le secōd filz de My Lord Thresorier, appellé, selon qu'il m'en souuient, Robert Cecil. M. Robert Cecil. Arriuerent aussi au mesme temps à l [...] mer, My Lord Dudley, vn ancien Baron du Roiaume, & le Lord Dudley. Sir. VValter Ralegh, gentil-hōme de la chābre de Sir' Walter Ralegh. la Royne, & en sa cōpagnie grād nōbre de ieune Noblesse, entre lesquels il me souuient des noms de l'heritier de Sire Thomas Cecil nommé Guillaume M. Guilliaume Cecil. M. Edouard Darcy. M. Arthure Gorge. Cecil, Edouard Darcy, Arthur Gorge & aultres semblables: au denombrement desquels ie ne pren pas grand plaisir, sinon pour vous monstrer combien grandement nous auons esté deceus, de nous forger pardecà en nos esprits vn parti qui nous y fust fauorable: attendu que vous voiez que toutes sortes de personnes ont esté prestes tant par mer que par terre, à leurs propres charges, & sans attendre, ny commādement, ny entretenement, de hazarder leurs vies pour la defence de la Rome & du Roiaume.
Et quant aux forces du Comte de Huntington, Le Comte de Huntington. Lieutenant general vers le Nord d'Angleterre, on tient qu'il a mis sus en la prouince d'York & voisinnes, communément-ordonnées pour seruir contre l'Escosse, vne armée du nombre de 40000. hommes de pied bien armez, & pres de dix mille cheuaux pour se rendre pres de luy, si quelque occasiō & apparence se presentoit d'enuahir le Roiaume de ce costé là, auquel so [...] [Page 49] ioinctz auec leur forces, trois Seigneurs du Nord, le My Lord Scroop, le My Lord Darcy, Lord Scroop. Lord Darcy. Lord Evers. & le My Lord Evers.
Il y a aussi plusieurs aultres Seigneurs Lieutenans de prouinces, lesquels entretiennent bon nombre de Caualerie: comme le Comte de Kent Lieutenant en Bedford, le My Lord Hunsdon, Comte de Kent Lord Hunsdon. Seigneur Chāberlan Lieutenant en Nortfolk & Suffolk, le My Lord Cobham Lieutenant Lord Cobham▪ en Kent, le My Lord Gray en Buckingham, le Lord Gray. Lord North. Lord Chandos▪ Lord S. Iohn. My Lord North en Cambridge, le My Lord Chandos en Glocester, le My Lord Sainct-Iean en Huntingtō, le My Lord Buckhurst en Sussex. Lord Buckhurst. Ainsi donc par se recit particulier, duquel il n'est p [...]s hors de propos que vous aiez cognoissance, vous aurez a obseruer la disposition de toute la Noblesse de ce pais en ce temps à resister à toute inuasion. Et si d'auenture vous veniez à reuisiter vostre Catalogue ordinaire de tous les grans Seigneurs de ce Roiaume, vous trouueriez qu'ils sōt tous icy couchez, excepté trois ieunes Cōtes en bas aage, de Rutland, Southampton & Comte de Rutland. Comte de Southhamton. Comte de Bedford. Bedford, [...]ous trois esleuez en ceste Religion peruerse. Et partant il ne nous reste à parler que du Cōte d'Arundel, lequel est à present en la Tour, pour auoir attenté de s'enfuir hors de ce Roiaume à la solicitation de celuy qui est maintenant le Cardinal Allen. Or combien qu'il peut estre bien affectionné à la Religion Catholique, toutesfois i'ay entendu de fort bon lieu, qu'il a [Page 50] offert sa vie pour la defence de la Roine contre tout le monde. En oultre, quand bien on auroit pcu faire estat d'auoir vn parti en ce Roiaume, (chose du t [...]ut impossible, veu qu'il appert par les choses recitées que la nobl [...]sse est du tout asseurée pour la Roine, & que toute la force du peuple tend là voluntairement) en ce mesme temps a esté offert à la Roine vn si grand parti Offres au Roy d'Escosse á la Roine d'Angleterre. pour venir à son seruice & à la defence du Roiaume, que de toute la Christiētē ellen'en pourroit auoir de plus puissant en tous respects, c'estascauoir du Roy d'Escosse, l [...]qu [...]l entendant l'entreprise d'enuahir ce Roiaume, enuoia vn gentil-homme à la Roine (comme i'en ay esté certioré) pour-luy offrir toute sa puissance en la defence d'elle & de son Roiaume, &, s'il luy estoit à gré, qu'ily viēdroit en propre personne & defendroit ce Roiaume contre tous occupateurs, soit soubz pretexte de Religion, ou de quel que aultre pretence que ce soit. Et par cela, [...]ous pouuez veoir quel compte vous deuez faire des vaines promesses faictes au nom de ce Roy. Et comme vous voi [...]z que i'ay assez bon moyen d'auoir des intelligences des aultres forces Compagnies de cheual & de pied sournies par les Luesques. du Roiaume, ie vous puis bien encores asseurer que pour ceste defence, i'ay ouy & veu la liste & le rolle d'vn grand nombre de Caualerie & Infanterie, que les Euesques du Roiaume tiennent prestes à leurs charges, auec la contributiō lenée sur le Clergé, lesquelles compagnies [Page 51] tant de cheual que de pied doiuent estre conduictes par les Seigneurs & gentilz-hommes à la nomination de la Roine, & veulent qu'on nomme toutes ces bandes de ce vain titre, Milites sacri.
Venons maintenant au dernier poinct des principaux fondemens de nostre esperance conceuë, sur lequel ceste entreprinse d'inuasion estoit principalement bastie. C'est qu'il y auoit vne croiance certaine & generale qu'il se trouueroit en ce Roiaume vn fort parti de Catholiques, pour assister les assaillans contre la Roine, à la premiere veuë de l'armée d'Espagne. Or par mon discours precedent, touchant l'amour grand, ardent & vniuersel de tout le peuple enuers la Roine, & des grans offres de seruice n'agueres à elle faicts par toute la noblesse du Roiaume: il peut apparoir que ce fondement est fort ruineux, posé & assis sur des imaginations pures, comme sur du sablon mouuant, ou plustost sur quelque vapeur s'esuanouissant' en l'air. Si conste-il pour certain que le Roy d'Espagne & ses principaux ministres n'en faisoient pas peu de compte. Aussi ne se dict-il à present chose quelconque plus vniuersellement & d'vne voix plus lamentable par toute la multitude des prisonniers Espagnols, voire par les principaux d'entre eux, qu'à present ils voient euidēment combien le Roy leur maistre a esté vilainement pippé par telles persuasions, ou plustost meschāment [Page 52] trahy. Car ils disent qu'il n'y a homme de valeur en toute ceste armée, auquel on n'eust constamment affermé & donné parole d'asseurance pour tous ceux qui seruoient en ceste armée deuant qu'ils s'enbarquassent, qu'il ne leur falloit craindre aucune resistance pour faire descente en Angleterre: le Roy estant bien asseuré qu'ils trouueroient vne armée puissante de Catholiques toute preste en leur faueur, si tost que leur armée se verroit surgir en ces costes. Par ces propos ilz se disent auoir esté encouragez à ce voiage: aultrement, plusieurs d'entre eux iurent qu'ils n'eussent iamais mis le pied és nauires: discourans sur cela, que c'estoit contre toute apparēce de raison d'enuahir vn Roiaume en esperance de le conquerir, sans aucun titre de droict & quelque fort parti tout ensemble, mais specialement sans vn bon Qu'il n'est possible de conquerir vn Roiaume, sans faueur d'vn parti au dedans. & asseuré parti. Eux donc trouuans maintenant ces promesses du tout fausses, plusieurs desdicts prisonniers vous maudissent nomméement, comme estant Ambassadeur du Roy, entant, disent-ils, que sur l'opinion qu'on a euë de la cognoissance que vous auiez acquise en Angleterre, vous vous estiez en ce faict acquis aussi plus de creance qu'aucun aultre, & auez par plusieurs années solicité vostre maistre sur ceste esperance & autres semblables persuasions, de faire vne telle entreprise du tout à condamner par tout bon & sage discours, sans [Page 53] l'asseurance de ce dernier poinct, qui estoit d'auoir vn parti fort & asseuré dans ce Roiaume. Vous les orriez aussi maudire les Anglois fugitifz de leur païs, qu'ils ne font pas difficulté d'appeller meschans traistres, d'auoir offertà vendre leur patrie au Pape & au Roy d'Espagne, adioustans quant & quant ces prisonniers, qu'ils estoient persuadez que l'entrée de ce païs estoit si ouuerte, si foible à toute resistance, & le peuple si miserable, qu'ilz n'y attendoient pas plus de difficulté à le conquerir, qu'il s'en trouua du commencement à veincre quelques poures Indiens tous nuds à la premiere conqueste qui en fut faicte par le Roy Ferdinand. Mais maintenant ces mesmes prisonniers aians esté amenez des costes de la mer iusques à Londres, là où ilz ont obserue la force du païs & du peuple, ils en parlent auec admiration, & l'estiment inuincible, aultrement que par la trahison de quelque grād parti dans les entrailles du Roiaume. Or ne scay-ie pas s'ilz mettent ordinairement en auant tels propos selon le sentiment qu'ils en ont, ou pour plaire aux Anglois desquels ils recoiuent bon traictement, & lesquels par flatterie se laissent aiséement surprendre: mais vne chose scay-ie bien que ces propos leur sont ordinaires auec toute demonstration d'estre merueilleusement passionnez cōtre ceux qui ont persuadé ce voiage à leur Roy. Plusieurs d'entre eux aussi qui sont hommes de bon iugement & qui ont ouy [Page 54] parler de nos Anglois bānis lesquels ont esté en Espagne, là où aussi ils en ont cogneu quelques vns, (comme desia de long temps le Sir' François Sir' Francois Englefield. Lord Paget. Englefield, & de n'agueres le My Lord Paget & son frere) se sont curieusement enquis de leur puissance & credit pour former vn parti en ce païs, s'informans aussi du Comte de VVestmerlād, Comte de Westmerland. duquel toutesfois ils recognoissent que c'estoit vn homme dissolu: mais nos aduers [...]ires par decà les ont mis si bas auec tout le reste des aultres fugitifz, comme gens sans credit pour faire aucune leuée d'hommes sans l'auctorité de la Roine, lors mesme qu'ils estoient en leur meilleur estat, que les prisonniers s'estonnent comment ils peuuent deceuoir le Roy pour attraper pension de luy, sinon par charité à cause de la Religion. Bien confessent-ilz auoir vne Les tromperies de Stukeley enuers le Roy d'Espagne & le Pape. fois ouy en Espagne, comment le Roy fut pour vn bon coup trompé, lors qu'vn certain Thomas Stukeley Anglois particulier s'enfuit d [...]Irlande en Espagne, à cause de ses debtes & aultres mauuais deportemēs, n'aiant pas la valeur d'vn double, ses debtes estans payées, & estant second filz d'vn bien simple Gentil-homme: lequel toutesfois on creut incontinēt en Espagne, si tost qu'il se fut paré luy-mesme du titre, & vanté commes s'il eust esté vn Duc, vn Marquis & vn Comte d'Irlande. Et par ce moien fut lōg temps entretenu comme vn homme propre à faire grād seruice cōtre la Roine d'Angleterre, [Page 55] iusques à ce qu'à la longue le Roy descouurit sa tromperie, & ainsi le bannit d'Espagne: mais s'estant retiré à Rome, il fut ainsi entretenu par le Pape pour vn temps, & iusques à ce qu'il fut descouuert par quelques bons Catholiques, lesquels ne peurēt souffrir que la saincteté du Pape fust si lourdemēt moquée, dequoy les prisonniers discourans ioieusement & comment l'Empereur Charles, puis ce Roy & le Pape ont esté si dextrement villonnez par ce Stukeley, ils concluēt se gaudissans, que quelques vngs des Anglois, lesquels ont ainsi abuzé le Roy, se sont estudiez d'ensuiure les pas de Stukeley. Et pour certain, d'aultres auec moy auōs souuent rougi de honte oians tant de contes du Roy & du Pape, voire de l'Empereur Charles, lesquels vn tel galand que Stukeley auoit peu si apertement befler. Estant chose d'autant plus estrange d'auoir ainsi abuzé le Roy Catholique, qu'au tēps de sa residēce en Angleterre, cestuy-cy estoit cogneu de plusieurs de son conseil pour vn vanteur, belistre, ruffien, & pour la fin, vn pirate àl'encontre des Espagnols.
Maintenant, Monseigneur, par cest ample discours de mauuais succez en nos affaires, & suiuant l'opinion de ceux auec lesquels i'ay traicté de n'agueres, ausquels aussi mon iugement se conforme sans m'arrester à des imaginatiōs vaines: vostre Seigneurie peult veoir en premier lieu nostre calamité presente & nostre [Page 56] estat miserable. Et puis pour le second poinct, l'estat de la Roine, du Roiaume & de sō peuple, leur disposition & leurs forces du tout contraires a l'expectatiō du Pape, du Roy Catholique, & specialement de vous, Mōseigneur, & de tous aultres qui auez eu entre mains par beaucoup d'années ceste negociation presente: tellement que ie ne puis deuiner quel desseing sera, ou pourroit estre imaginé & suiui, attēdu que l'experience nous doibt auoir apprins, que nos affaires ne peuuent estre redressées par la force, & que nul changemēt n'y pourra apporter remede quand mesme la Roine finiroit ses iours, comme tous Princes sont mortels. Car & la generalité du peuple par tout le Roiaume est si fermement & desesperéement bandée contre nostre Religion, que rien ne pourroit preualoir contre la force de ceste vnion. Et quiconque succedera Nulle esperāce pour l'auctorit [...] du Pape, par aucun qui pui [...] fe succeder en la ligne Roiale. de droict à ceste Couronne apres la Roine (laquelle est en apparēce de viure aussi long temps qu'aucun aultre Roy Chrestien) si la Couronne vient au Roy d'Escosse ou à quelque aultre du sang Royal, comme il y en a beaucoup dans ce Roiaume descendus de toutes les deux maisons Roiales de York & Lancaster, nous ne pouuons faire nostre compte sur cela: car chacun de ceuxlà qui sont auiourd'huy en vie, ont manifestement vne disposition autant resoluë de resister à l'auctorité du Pape, qu'aucun aultre des plus affectionnez Protestans ou heretiques du monde. [Page 57] Ainsi donc, pour ce temps, afin de cōclurre, Conclusion de ce qui seroit l [...] meilleur, pour maintenir la Religion Catholique e [...] Angleterre. toutes circonstances bien pezées, ie ne voy plus d'aultre moyen, que de remettre la cause és mains du Dieu tout-puissant, & de tous les Sainctz de Paradis auec nos humbles supplications, & quant à la terre, d'auoir recours aux sainctz conseils du Pape & de ses Cardinaulx, les supplians humblement de soulager nos poures freres affligez, & d'enuoier en ce Roiaume des hommes prudens, sainctz & doctes, lesquels sans se mesler des affaires d'Estat, puissent en secret confermer nostre foy par leur doctrine, & par charitable instruction en gaigner d'aultres lesquels ne sont pas enracinez en l'heresie. Et pour le soulagement de ceux lesquels sont forcez de paier par an quelque somme d'argent de leur reuenu annuel, pource qu'ils ne veulent venir à l'Eglise, ce seroit vne consideration Toleration du Pape pour ceux qu'on appelle Recusans en Angleterr [...]. charitable, si pour quelque peu d'années il ne se pourroit point obtenir quelque dispense de sa Saincteté par souffrance, à ce qu'on puisse se trouuer aux Eglises sans changement de foy consideré qu'vn grand nombre ne s'ahurte point à cela pour aucune chose qu'ils remarquēt esdictes Eglises directement contraire à la loy de Dieu: mais pource qu'encores que le seruice & les prieres soient recuillies du corps des Escritures, ils ne sont pas toutesfois approuuées de l'Eglise Catholique & de sō chef, qui est la Saincteté du Pape: qui est la cause pourquoy [Page 58] tous les vrais Catholiques condamnent iustement ceste Eglise comme schismatique.
Mais par ceste souffrance, vn grand nombre de ceux qui seront perpetuellement Catholiques, pourroiēt iouir de leurs reuenus & libertés, & par la bonté de Dieu, la Religion Chrestienne pourroit auec plus de seureté prendre accroissement à la gloire de Dieu, qu'elle ne pourra iamais faire par puissance quelconque. C'est ainsi que la Religion Chrestienne a par tout cōmencé & qu'elle s'est espandue par tout le monde, non par force, mais seulement par la doctrine & l'exēple de saincteté des Prescheurs, nonobstant toutes les forces humaines. Ainsi donc ie finiray mes longues lettres auec ceste sentence repetée trois fois par Dauid en vn mesme Pseaume, ‘Et clamauerunt ad Dominū in tribulatione eorū, & de angustia eorum liberauit eos.’ Que pleust à Dieu que nous peussions asseoir sur cela le fondement de nostre esperance, car toutes aultres esperances sont vaines & frustratoires.
A Londres, ce d'Aoust. 1588.
[Page 59] APres auoir paracheué d'escrire ceste lettre laquelle considerant, ie trouue plus longue que ie ne vouldrois (encore que la diuersité des subiectz m'ait tiré plus auant que ie ne pensois) & aiant faict choix d'vn mien familier amy mieux versé en la langue Francoise que ie nesuis pour la traduire en Francois, le malheur a esté que n'ayant encores que commencé à mettre la main à l'oeuure, il est tombé malade d'vne fieure continuelle, par laquelle occasion & esperant sa conualescence, ceste lettre est demeurée entre ses mains quelque dix ou douze iours. Mais n'aiant aucun espoir de sa guerison, i'ay tant fait auec vn aultre tres-fidelle & asseuré Catholique aiant parfaicte cognoissance de la langue Francoise, qu'il a entreprins de la traduire: en quoy aussi il y a eu beaucoup de temps emploié, de sorte que la lettre estant escrite à la my-Aoust, i'ay esté contrainct de la paracheuer en cemois de Septēbre. Sur quoy i'ay trouué bon (pendant qu'on a esté apres à la traduire) d'adiouster quelques aultres choses aduenuës depuis, & venuës à ma cognoissance.
Enuiron le 7. d'Aoust passé, Monsieur l'Admiral retournāt de sa flotte, aiant poursuiui l'armée d'Espagne (à ce qu'on disoit) iusques au 55. degré du Nord, celle d'Espagne print sa roure vers les extremitez de Norvvege, ou vers les Orcades au delà de l'Escosse. Que si cela eut esté vray, on estimoit icy, qu'ilz passeroient à l'entour [Page 60] d'Escosse & d'Irlande: mais s'ilz tenoient la route de Norvvege, lors il pourroit bien estre, en cas qu'ilz peussent recouurir des mastz, dont par la flotte Angloise ilz auoient faict grand perte, qu'ilz pourroient retourner pardecà. Mais quāt à moy, ie leur ay souhaité plustost vn vent propice pours'en retourner par Irlande, estant pour plusieurs raisons en desespoir de leur retour, tantà cause de plusieurs choses dont ilz ne se pouuoient fournir en Norvvege, que pour ce que le Duc de Parme à faulte de matelotz, n'auo it moren de mettre en mer, ses forces. Toutesfois sur vn aduertissement d'Escosse qu'ilz estoient passez au delà des Orcades, & que le Roy d'Escosse auoit donné estroictement en charge par toutes les costes de la mer, qu'on ne souffrist les Espagnols descendre en aucune part, ains au contraire, que les Anglois non seulementy pourroient descendre, mais aussi estre aidez de toutes choses necessaires dont ilz pourroient auoir besoing. Sur cest aduertissement, di-ie, toute l'armée fut cassée, excepté toutesfois quelque vingt nauires, lesquels estoient soubs la charge de My Lord Henry Seymour, lesquels furent continués en la'mer, pour prendre garde aux desseings du Ducde Parme & veoir s'il entreprendroit quelque chose contre l'Angleterre (ce qui n'estoit vray-semblable) ou de la Zelande, ce qu'on commencoit à doubter, pendant qu'on estoit ainsi embesongné. Deux ou trois [Page 61] iours apres le bruit vint soudainnement à la Cour, que la flotte d'Espagne s'estoit rafraischie aux Isles de delà les Orcades, d'eau abondāment, & de pain, poisson, & chair pour del'argent, & qu'ilz retourneroient de decà, pour attendre encores vne aultre fois l'armée du Duc de Parme, & la conduire par mer en Angleterre. Surquoy il y eut vne aultre alarme, de laquelle ie scay bien que la Roine mesme & son Conseil n'estoient pas en petite perplexité. Mais à la fin on donna ordre d'arrester la flotte, & de ne la defarmer point, si qu'elle fut bien tost remise sus, seulement à l'occasion de ces bruits: dont i'auois auec plusieurs aultres quelque contentement, pour les veoir ainsi troublez, & sur chaque rapport leger, estre mis en grans despens. Mais ce plaisir ne dura pas plus de huict ou dix iours, pource que deux ou trois Pattaches qu'on auoit enuoyées expressémēt pour descouurir la flotte d'Espagne, leur apporterent nouuelles certaines qu'elle estoit au delà des Orcades, faisant voile vers l'Occident en bien mauuais poinct, & que beaucoup de leur gens estoient morts en ces quartiers du Nord, & le reste en grād' extremité à faulte de mastz & de mattelotz. Et sur ce, l'armée fut par nouuelle ordonnance rompue, fors ceux qui auoient auparauant esté commandés de prendre garde aux desseings du Duc de Parme. Et ainsi Monseigneur l'Admiral accompagné des My Lords Thomas Havvard, Henry [Page 34] Seymour & Sheffild, le Sir' François Drak, & tous les Capitaines (fors ceux qui auoiēt charge aux nauires lesquelles estoient soubs la charge de My Lord Henry pour veiller sur le Duc de Parme) retournerent à la Cour. Et sur ce retour de ces gēs de mer à la ville de Londres, il a couru de si horribles bruitz, afin d'esmouuoir les Seigneurs, Gentilz-hommes, Dames, Damoiselles & la populace de toutes sortes à vne haine mortelle contre les Espagnols, que les poures Espagnols prisonniers auoient grand peur d'estre massacrez: d'autant qu'on auoit publié, & le monde pour la pluspart le croioit, que les Seigneurs Espagnols de la flotte, auoient saict partage par entre eux des maisons des Seigneurs d'Angleterre, qu'ils nommoient par leurs noms propres, & qu'ilz auoient comme diuise l'Angleterre par portions pour eux-mesmes, & destiné tant à la Noblesse qu'au peuple, plusieurs sortes de morts cruelles: & que les Dames, & femmes, & filles deuoient estre exposées à toute villenie: les maisons des Marchantz les plus riches de Londres, enregistrées par nom, & dōnées aux Capitaines des bādes de la flotte Espagnolle, pour despouille. Et pour encore plus exasperer leur haine, on auoit faict publier qu'ils auoient apporté en leurs nauires vn grand nō bre de licolz pour en estrangler le commun peuple, & des fers grauez, lesquelz estans chauffez, les enfans au dessoubs l'aage de sept ans en [Page 65] seroient marquez, afin qu'on les recogneust à iamais pour enfans du pais conquis. Tels & semblables estoient les rapports, que ces gens de mer faisoient, comme les aians entenduz des Espagnols mesmes: de sorte que pour vn temps il y auoit vn grand mescontentement parmy le peuple de ce qu'on les permettoit viure, & crioient qu'ils deuoient estre tuez, comme leur intention estoit d'en faire aux Anglois. Mais les plus aduisez, & ceulx qui auoient la charge des prisonniers, n'aians aucun tel commandement du Conseil, les gardoient seurement, comme chose qui ne deuoit estre permise. Et afin de donner contentement au peuple par quelque aultre subiect, & à la requeste du my Lord Maire & de ses compagnons Senateurs de la ville de Londres, Dimanche dernier il y eut vn grand nombre de Banderolles, Enseignes, & Bānieres qu'on auoit gaignées sur les Espagnols, portées au cemeriere de S. Paul, & là publiquement mō strées au peuple durāt le presche, au grand contentement & resiouissance d'iceluy. Delà on les fit apporter à la Croix en Chepsyd, & delà au pont de Londres, qui fut cause d'addoucir la fureur du peuple, & de la changer en triumphe, se vantās par tout que c'estoit l'oeuure de Dieu qui auoit ouy les prieres du peuple, & auoit prins plaisir en leur precedentes prieres & ieusnes, en faisant que ces enseignes & Banderolles que les Espagnols auoient deliberé d'apporter & planter [Page 64] par tous les endroicts de la ville pour Trophées & marques de leur triumphes, estoient par la prouidence & bonté de Dieu & pour la punition de l'orgueil de l'Espagnol, maintenant plantées par les Anglois, comme des monumens de leur victoires, & de la perpetuelle ignominie des Espagnols. Sur ces remonstrances grāde resiouissance s'ensuiuit: & comme au mois de Iuin & Iuillet dernier, toutes les Eglises estoient remplies de peuple s'exercans en prieres & demonstrations de penitence, faisans leurs prieres à Dieu pour leur defence contre leurs ennemis: & en plusieurs Eglises, par trois fois la sepmaine des continuelles prieres, presches & ieusnes, tout le lōg du iour depuis le matin iusques au soir, auec vne grand' admiration de veoir vne telle & si continuelle deuotion, laquelle toutesfois moy & quelques aultres iugeames plustost proceder de peur que de deuotion: aussi maintenant depuis que la flotte Angloise est de retour, & celle d'Espagne defaicte, & qu'on a entendu des differentz en Flandres, des debatz entre les Espagnols & les aultres soldatz, du mespris du Duc de Parme par les Espagnols, incitez, à ce qu'on dict, par le Duc fils bastard du Roy Catholique, & le departement, & fuitte des matelotz dudict Duc de Parme, il y a icy semblable recours par le peuple aux Eglises, & aux presches, esquels il est enseigné de recognoistre Dieu, auquel de sa bonté [Page] il a pleu deliurer ce païs menacé de cōqueste, & pareillemēt aux prieres publiques pour en rendregraces à Dieu.
A Londres, ce de Septembre. 1588.