Discours sur la declaration faicte par le Sieur de la Noue.
LA qualité & condition differente des personnes qui entrent en la tragedie sur laquelle le Sieur de la Noue a esté contrainct de publier ceste Defenfe, nous donne vn beau subiect pour recognoistre diuers effects, qui nous apprendront à conduire nostre vie plus sagement, & là rappotter principalement à l'hōneur de Dieu (qui est le premier degré de piete) & au salut du pais (qui est le second) & nous rendra aduisez pour ne tomber és defaults que plusieurs font en l'vn & en l'aultre poinct.
Le graue, magnanime, & sententieus parler du Sieur de la Noue monstre, comme les mariniers ont tousiours l'oeil sur l'estoille du Nort, ou sur l'eguille qui la marque: aussi que l'obligation qu'on a aux hommes de quelque qualité qu'elle soit, ne nous doibt [Page] empescher, qu'en toutes nos actions nous ne iettions l'oeil sur la saincte volunté de Dieu, & suiuant icelle, toutes les fois que nostre vocation nous y appelle: que nous n'entrions alaigrement à la defense de la Iustice, encores que pour icelle nous deussions souffrir persecution. Et puis que nos bienfaicts ne peuuent monter iusques à Dieu, il reste q̄ nous les employons vers ceux qui nous sont principallement recommandez par sa Majesté, & les plus aymez de sa bonté. L'Eglise est la premiere, pour laquelle il a liure ce qui luy estoit le plus cher, cest son Filz. Et combien que touts les membres d'icelle sont en sa garde comme la prunelle de l'oeil: toutesfois la Veufue & L'orphelin tiennent le premier lieu, & le plus sacré degre entre ceulx qui lui plaist nous recommander. Puis-doncq que pour la iuste defense de l'Eglise de Dieu, & d'vn paouure Orphelin, Le Sieur de la Noue s'est voué, & consacré, non point legerement, mais aiant meurement examine cest affaire, & en aptes, l'auoir entreprise courageusement, ne faisant (au pris de son debuoir) aulcune estime des dangers qui en peuuent aduenir: Ie ne diray point, c'est acquis vne grande louange [Page] deuant les hommes (car il ne la cerche point) mais a laissé vn bel exemple à tous ceulx auxquels Dieu a departi des moiens pour aider en biens, en authorité, en sçauoir, en vaillantise, de secourrir la iustice de Dieu pressée par les tyrans, de rapporter tout ce qu'ils ont de puissance à celui auquel il fault qu'ils en rendent compte, & par lequel (s'ils en abusent) seront iettez es tenebres exterieures, sans remission, où bien ils receuront sa gratieuse sentence, pour entrer en la ioye du Seigneur. D'auantage, en cest exemple Dieu monstre comment il tire èn practique, ainsi que par force, là valeur qu'il a donnee aux hommes, quand pour des raisons de terre ils là veulent obscurcir & tenir enseuelie, d'aultant (comme dict vn Poëte) Que la vertu cachée ne differe guerez de faineantise.
Ceuls d'aultre part qui ont tiré violentement de ce Gentil-homme, & apres vne prison si cruelle des promesses si rudes & si mal-gratieuses, monstrent le naturel des tyrans: lesquels se monstrent assez effroiables, felons, & terribles, quand ils pensent auoir le tems propre à iouër le personnage cruel du Lyon: Mais quand auecq vn sens rassis, [Page] & iugement asseuré, on vient à les confideter de plus prest: on trouue qu'entre touts les animaux, le Tyarn est là plus craintisue & pusillamme beste, & que cruauté & lascheté de courage, sont deux qualitez inseparables du tyran. Car comment peuuent ils aultrement interpreter ces cruelles promesses tirées par force de la bouche d'un simple Cheuallier? Pourtant ne pouuons nous assez hauloner le coeur Magnanime du noble & gentil Prince de Galles, lequel aiant eu rapport que le vaillant Bertrant du Guesclein, pour lors encrores simple Gentil-homme Breton (comme aussi est le Sieur de la Noue) disoit qu'ille craignoit, le mist incontinent en liberté sur sa foi, aiant accordé de sa rancon.
Le Prince de Parme, affecte le nom de victorieus, glorieus, inuincible, & grand Cappitaine, & aultres tiltres ambitieus & superbes, que les flatteurs Italiens lui attribuent, & ne se contentant de tels tiltres, corche par trop sottement, & d'une ambition descouuerte & effrontée, le nom de grand Alexandre, pourtant porte il en sa deuise, Sa Tyros, deuise du Grand Alexandre, & baptisant à la mode Romaine, cest à dire Papale, le gallion [Page] qu'il a faict bastir en Anuers, non pas dēs ouuriers du pais, car ce ne sont que forfantes, mais par des Messers venus d'Italie, dorez & velouitez: il ne se contenta de le faire appeller de son nom, qui est Alexandre, mais le nomma comme parrain de ce Bucephale le Grand Alexandre: veu qu'attendu les beaux effects, & le parrain & le filleul estoient deux vrais Sandiekeuken. Mais ie demande rois volontiers à ce sot & superbe tout ensemble, si Alexandre le Grand s'est ainsi gouueiné enuers ses ennemis, comme il a faict enuers le Sieur de la Noue, & s'il ose aueq vn coeur si bas affecter le nom de ce braue Prince? Si George Castriot vraycment grand Cappitaine & nomme Scanderberch, qui signifie Alexandre le Grand a este tel enuers sès ennim is, ores qu'ils fussenr Turcs? Si l' Arragonois Gonsalue qui a vraiement merite le tiltre de Grand Cappitan, a commis actes si indignes & d'vn courages si raualle? Et s'il croit que le vaillant Don Ieaen d' Austriche. duquel il se mocque, eust voulu s'abbaisset iusques à vne telle villainie? Tellement quand il n'auroit commise aultre laschere que ceste-cy, il fait assez cognoistre à tout le monde, voir à ceulx [Page] qui soubs vmbre de ses prosperitez fortuites s'y sont pour vn temps abusez, que iamais ne fust ny grand Cappitaine ny Cappitaine, au coeur desquels n'entre iamais si vil & si rabbaissé conseil. Et n'est de besoing ici de monstrer son ignorance au faict de la guerre en ses preparatifs d'Anuers, auecq des monstrueux vaisseaux qui ne pourroien pas seulement nauiger sur l'Ecau, & aultre petit appareil, pour trauerser iusques en Angleterre, & passer auccq si miserable equippage par dessus le ventre des Hollandois & Zeelandois? Il ne seroit besoing de parler de sa sottise biēnalle en son assemblee de Pleyttes, & son irresolu conseil de les changer de place en place, à l' Escluse, à Nieuport, à Dunckercke, my son peu de courage, de n'anoir osé auecq quarante mil hommes de cō bat, apprestez deux ans entiers, venir aux mains auecq vne petite trouppe de Zeelandois & Hollandois, & deuant ses yeulx veoir vne si orgueilleuse armée, venue sur son conseil, estre barrue & fouettee des Anglois, comme qui chastieroit des Esclaues, & veoir dis-ie, perir tant de Noblesse deuāt ses yeux. Et pensez Messieurs qui lisez ceci, si Alexandre le Grand, Iulius Caesar, & aultres grands [Page] Cappitaines eussent faict telles & si lourdes faultes. Il ne faudroit aussi mettre en compte sa bestise en ses entreprises de Berghes & Ter Tolen: car ce seul acte lasche, monstre assez, qu'il est indigne d'untel nom, & que les succes quil a eus, ne procedent d'aulcune vertu qui soit en lui, qui n'en a aultre que celle de ses predecesseurs, monstres de nature. Et de faict, si vne fois ceste fontaine d'or des Jndes, luy venoit à tarir, lors on verroit à clair, qu'il est vraiement l'asne, qui faisoit peur aux aultres animaulx, quand il estoit vestu de la peau du Lyon: mais quand ils descouurirent ses longues oreilles, ils le traicterent selon ses merites: Et cest vn tel homme qui promettoit tant de recompenses à ceuls qui estoient si fols de le croirc, & qui s'apprestoit pour se faire couronner Roy d'Angleterre, par le Cardinal Alain. Estant doncq tel comme ceste Declaration nous le descouure, il nous apprend assez, que nous ne le debuons craindre, non plus que son maistre ne sy deburoit fier, comme à celuy qui lui fera vn iour s'il peult, vn meschant tour, pour ses droicts pretendus en Portugal, suiuant les consultations faictes parson Pere & son Oncle le Cardinal Farnese, & [Page] comme desia il en donne assez de preunes par le mauuais traitement qu'il faict aux Espaignoss, qui n'est pas encores vn traict de Grand Cappitaine.
Quant aux mutins & seditieux, destinez à touce malediction, qui ont faict ces dernreres esmotions en France, on peut en leurs personnes remarquer comme en vn vif tableau, la face de l'hypocrite, qui prend le masque de la Religion pour couurir la peste de son ambition. Et comme iamais vn homme de bien, & qui a la crainte de Dieu au coeur, ne vouldroit faire scruir le nom de Dieu à vn si vil & si infame effectiaussi il appert que sont gens sans Dieu, & sans Religion, qui persecutent les enfans de Dieu, pour paruenir à estre Rois des enfans des hōmes, soubs vn fauls nom d'estre successeurs de Charles le Grand, auquel ils n'appartiennent de rien: Et quand ils luy appartiendroient, si est-ce quil ny auoit rien, mais en estoit vsurpateur sur la race des Meroueens, vrais Rois & legitimes, desquels sont descendus en droitte ligne masculine, les Rois qui regnent, & ceuls qui ont regné depuis six conts ans, comme aussi ceuls de Bourbon, seuls Princes restants apres le Roy, lequel aussitient [Page] la prescription paisible de six sieeles: Et neantmoins contre leur Roy, leur bienfaicteur, sans estre contraincts ny en la conscience, ny en l'honneur, ny en vie, ny ny en biens, ont ose faire guerre ouuerte, faire soubsleuer les Parisiens, gents mutins & lesquels aux troubles de France, ont tousiours suiui le meschant parti, & le tout à raison de quelques traictez & promesses secretes faictes au Pape de Rome, Tyran Catholicque & vniuersel de la chrestienté, & à quelques Princes estrangers, pour quelque argent qu'ils en ont tire, ce qui ne peut tumber en ame que de trahistre.
Telles gens doncques ne sont à craindre, gens sans Dieu, sans honneur, & qui auecq tant de puissance, nont peu aultre chose executer, que de faire mutiner vne insensee po pulace. Et ne fault doubter de l'asistance de Dieu contre des hommes si peruers, & qui lui font la guerre ouuertement se couurants neantmoinsmeschament de son nom sacré.
Quant au Baron d' Aussonuille qui assiege Iamets, que peut on veoir en lui, sinon ce pourceau qui foulloit du groing & des pieds les sainctes perles? & se retournoit pour mordre? car ce gros & gras pourceau ayant [Page] gousté le don celeste, & en ayant faict profession, iusques à auoir accompaigne le vaillant Prince de Conde Louis, & mesmes iusques au siege de Poictiers, duquel lieu il se retira en Allemaigne, auecq le non iamais assez loué Prince d'Orange, cōmencea premierement à fouller au pieds l'Euangile par mots de risée: Depuis voiant la sanglante iournée de Saint Barthelemi, & les Seigneurs morts par lesquels il esperoit s'aduancer en France, il s'assist au banc des mocqueurs, & conioignist ses conseils auecq les cōtempteurs, & finalement non plus cōme vn Apostat simple, mais comme vn Apostat persecuteur, se'st mis à poursuiure ceuls quil cognoist en sa conscience, estre plus gens de bien que luy, ce qui aduertist vn chascun de prendre garde à soy, affin que celuy qui est debout, ne vienne à tumber, car Dieu iuste iuge punist en tels mocqueurs, vn peché par vn autre, iusques à ce que telles gens se precipitent en la fosse obscure, habitation des Dragons & bestes sauluages, accōpissement de toutes miseres: Le tout par vn iuste iugement de Dieu, qui ne laisse rien impuni.