ECLOGVE, OV
CHANT PASTORAL.
DEux bergers Escossois, s'esloignans de la
[...]oule,
S'assli
[...]ent à l'escart, ou la Tamise roule
Ses eaux dedans la mer; esgalement espris
D'vn beau desir tous deux, esgalement cheris
D'Apollon ayme-vers, & la troupe neufvaine,
Qui balle sur Parnasse & boit dans Hippocrenne,
Et tous deux apprentifs de Melin, ce sonneur,
Dont la lyre immortelle est pareille en honneur
A celles que jadis on prisoit dans Athenes,
Où celles qui chantoient les merveilles Romaines:
Or ces deux bergerots, avoient dés longue main
Les flammes d'un desir couvées dans leur sein;
[Page 6]D'esprouuer qui de deux emporteroit la gloire,
D'estre le plus aymé des filles de Memoire.
Iacquet, (en sousriant dit Robin) maintesfois
On en fait grand estat de ta flute & ta voix,
De tes accords Ianette est tellement esprise,
Qu'elle te louë seul & tous autres mesprise:
Mais certes, si l'amour que chacun porte à soy
N'aveugle mon esprit, ie jouë mieux que toy:
Car l'autre jour assis aupres de ma Catine,
Ma cornemuse enflant, j'apperceus a sa mine,
Que mes accents charmeux luy ravissoient l'esprit:
Lors, de sa blanche main, ma main la belle prit,
La serra, me donna ce beau los pour trophée,
Mon Robin jouë mieux que ne faisoit Orphée:
Parquoy, puisque le sort nous a tirez à part,
Voyons lequel se doit, plus vanter de son art.
Iacquet.
Robin, si ta Catine hausse ta cornemuse,
Il ne faut s'estonner, l'affection s'abuse,
Iugeant de ce qu'elle ayme ainsi, le fard qui peint
Les rides de son front, te semble son vray teint.
Robin.
Catine est mille fois plus belle que Ianette,
Et ma voix, mille fois est plus que ta voix nette:
Iaquet.
[Page 7]
Le berger, qui jadis donna la pomme d'or,
Donroit à laneton le prix sans doute encor:
Qui passe ta Catine & voire Charidore
Autant que l'oeil du iour la lueur de l'aurore
Or mesprise mes sons & mes amours, pour moy
Bon chantre ie t'advouë & chantre ie me croy:
Si Tmole doit iuger, la lyre Delienne,
Suprassera de loin la flutte Marsienne:
Mais Robin, n'estrivons, n'estriuons plus en vain,
Icy ma douce flutte, icy ma docte main;
Or, si tu as le coeur enfle ta cornemuse,
Iamais ne sera dit que Iacquet te refuse.
Robin.
Quel sera le sujet doncques, de nos debats?
Et qui coronnera du laurier nos esbats?
Iacquet.
Sçais-tu point, que Carlin descendu de la race,
De mille demy-Dieux, eschauffé de la grace,
Qui plus qu'humaine luyt, sur le front tout diuin
De la belle HENRIETTE, estresolu en fin
De quitter les appas de la perfide Espagne,
Et la belle espouser pour fidelle compagne?
[Page 8]Quel sujet fournira tout ce grand univers,
Plus digne de nos voeux, plus digne de nos vers?
Cela, peust donner voix à ces trouppes muettes
Qui noüent dans la mer, & les rendre poëttes:
Apres auoir chanté, si tu le veux Robin,
Nous graverons nos vers, sur le tronc de ce pin,
Auec le tronc croissant s'accroistra nostre gloire,
Laissons le iugement, au temps de la victoire:
Robin.
Ce sujet, mon Iacquet, est bien trop relevé
Pour le chant des bergers, il faut estre eslevé
Haut par dessus Parnasse, & d'vn vol temeraire,
S'approcher trop du feu, qui tout ce tout esclaire:
Le Iuge ne peut estre aucunement suspect,
Et ne peust par faueur, ny par dons estre infect.
Iacquet.
Les Dieux ne prisent pas le present qu'on leur donne,
Sur tout ils ont esgard au coeur, à l'ame bonne,
Carlin est demy-dieu, qui d'une iuste main,
Balancera nos dons au poix de leur dessein:
Mais, Robin, tourne l'oeil, regarde la colline
Que ie te monstre au doigt, de la mer plus voisine:
Ne vois-tu point de là, descendre comme las,
Vn homme droit vers nous guidant son petit pas?
[Page 9]Et si ie dois fier de si loin, à ma veuë,
C'est le bon Andriot, son pas, sa iupe bleuë,
M'asseurent que c'est luy, nous n'eussions peu trouuer
Iuge plus competant, deuant qui nous prouver:
Car il a tousiours eu Pallas sa bonne amie,
Et nul, nul mieux que luy, sonne la chalemie,
Et pour sa gentillesse, & pour son bel esprit,
Carlin luy fait grand bien, grand Carlin le cherit;
Il est son domestique, est nourry de ses gages,
Il luy donne à garder ses oyseaux & ses cages:
Il a des passereaux si dextrement appris:
Que guindez haut en l'air, ils tournent à ces cris,
Et laissant leurs esbats, sur Andriot se perchent,
Et privez de sa main leurs viandes ils cherchent,
Ie pense qu'il nous ayme; esgalement tous deux,
Qu'il soit de nos debats le Iuge si tu veux:
Andriot.
Chers mignons d'Apollon, grands fauoris des Muses,
Ou sont vos fluttes donc? où sont vos cornemuses?
Quoy? muets en ce lieu, à l'escart retirez,
Ou la saison, le Ciel & le sort conspirez
Courtizent vos accords, ces voutes qui sans cesse
Vont roulant à l'entour, vous taxent de paresse:
Imitez ces oyseaux; qui redoublant leurs chants,
Semblent remercier ce gratieux printemps:
[Page 10]Vos voix, sont aux refrains des rosignols esgales,
Plus douces mille fois, que celles des cigales:
I'ay laisse grand Carlin, & ses bergers accorts,
Leurs exercices tous, tant agiles que forts,
Et suiuy de vos pas la route retirée,
Qui guide vers ces bords, assourdis par Nerée,
Pour avoir mon oreille, & mes sens enyvrez
Des chansons, dont tousiours, mes enfans vous vivrez.
Robin.
Dieu te garde Androit, Carlin te soit propice,
Tu n'es point à chanter, ny a jouër novice,
Tes accents sont plus doux, plus mignons tes accords,
Que les vers que jadis Titire sur les bords,
Chantoit du lac de Mince, ou ceux qu'a Parthenope
Il chanta, surmontant le fils de Calliope:
C'est à toy seulement d'oser mettre la main,
A ce que d'attenter nous essayons en vain,
Nous voulons convier d'une voix mal-menée,
La nopciere Iunon, & le doux Hymenée,
Pour venir appaiser ce feu du tout divin
Qu'Amour a inspiré dans le coeur de Carlin:
Et pource, que tous deux nous pensons estre maistres,
A joüer, & chanter, nos petits vers champestres,
La verve nous à prise, à nous tirer à part,
Pour voir lequel des deux, est meilleur en son art,
[Page 11]Or nous te voulons faire en ce cas nostre arbitre,
Car tu as, a bon droict, d'vn bon Iuge le tiltre.
Andriot.
Le sujet, vos desseins, bergers, me plaisent bien,
Et pour oüyr vos chants ie ne refuse rien.
Iacquet.
Robin, tu fais l'appel, çà si tu veux commence,
Tu verras, que l'assault aura sa resistance.
Robin.
Fille du grand Saturne, à Iupin, femme, & soeur,
Tes paons piafans, frappez d'Amour au coeur
Attele à ton carrosse, & pleine de liesse,
Pleine de Majesté, comme du Ciel maistresse,
Descends sur ces bas lieux: apporte les ioyaux,
Que la terre, & la mer, celent dans leurs boyaux,
Ceinte des Royautez, de glorie couronnée,
Et tousiours de bon-heur sans fin environnée,
Viens fester avec nous, monstrer ton coeur enclin,
Au bien de Marion, & son espoux Carlin:
Que la felicité de ce bon temps retourne,
Qui d'oroit l'univers sous ton pere Saturne,
Quand sans ambition, sans enuie, sans Mars,
Tout vivoit en repos; par cy par là espars:
[Page 12]Qu'on goustoit les douceurs, que la sage nature
Respandoit sans tout fard, sur toute creature,
Qu'on suiuoit l'equité sans contrainte des loix,
Sand crainte des voleurs on dormoit par le bois:
La brebis n'auoit peur de la louue felonne,
La biche s'acostoit de la fauue lyonne,
Des sources sourdoit laict, les chesnes suoient miel,
L'an n'estoit qu'vn printemps par la bonté du Ciel:
On n'avoit point encor entamé la poictrine
De la feconde terre, & cherché dans sa mine,
Ce metal cause-mal, qui d'vn teint iaunissant,
L'Amour la pieté, la Foy va bannissant:
L'enfer n'avoit encor engendré dans sa pance,
La blemissante envie, & basse mesdisance,
L'orgueil mesprise-tout, la sotte vanité,
Et le desir d'avoir, peste de l'unité:
La terre n'avoit point sa face enseillonnée,
L'ours n'avoit point encor sa dentenfellonnée
Dans le sang des humains, l'inuiolable foy
Cymentant les amours, les tenoit en recoy,
Et la plaintive voix de l'Amoureux Titire,
Ne chantoit ses regrets, ne contoit son martyre,
Car de ialouse peur on n'estoit pas atteint,
Pour loger un tel mal le coeur estoit trop saint.
Ceste infidelité, qui deprave nos ames,
N'avoit pas infecte les hommes ny les femmes,
Or, Iunon, si tu peux, ameine nous ce bien,
Accouple Marion & Carlin d'vn tel lien,
[Page 13]Que le temps mange-tout, l'inconstante fortune,
Ne ronge pour iamais, à iamais n'importune:
Que tous les bergerots qui vivent par ces champs,
Paissant leurs troupeaux gras, entonnans leurs beaux chants,
Puissent, à plein souhait, auoir en abondance
Tout autant de bon-heur; que ton Iupin balance
De sa main darde-foudre: où, si la cruauté
De demy-more Ibere, & la desloyauté,
Troublant leur doux repos, interrōpant leurs carmes,
Change leur paix en guerre, & chansons en alarmes,
Lors monstre à ces felons, ces rogues brise-foy,
Des hommes & des Dieux qui mesprisent la Loy,
Que rien n'est assez fort contre la force Angloise,
Conjointe auec l'Escosse, & la valeur Françoise.
Iaquet.
Hymen, Dieu souuerain, qui par ta douce Loy
Detrampes de l'Amour l'amertume & l'esmoy,
Adoucissant les maux dont les vagues Cyprines
Martyrisant nos coeurs consumant nos poictrines
Les chantres emplumez, bourgeois legers de l'air,
Les poissons escaillez, citoyens de la mer,
Et tous les animaux que la feconde terre,
Ou porte sur son dos, ou dans son sein enserre,
A toy sont homagers, sans toy, la dure mort
Exerçant du destin l'inevitable effort,
Depeupleroit le monde, & foulant la nature,
La semence esteindroit de toute creature:
[Page 14]Or Hymen si iamais le manteau sa
[...]rané
Tu vestis fur le dos, le brodequin tanné
Sur le pied fretillard, vien plein de bons auspices,
Amene quant & toy Venus & ses delices,
Amene Cupidon, & ses freres germains,
Les aisles fur le dos, les flesches dans les mains,
Mais que leur pointe soit de bon or bien armée;
Que leur blessure soit par la douceur charmée,
Laisle par Marion leur soit ostée à tous,
Qu'il ne s'envolent onc du lit de son espoux:
Sur tout, n'oublie point les graces immortelles,
Venus & sans appas, quand Venus est sans elles:
Que ses gentilles soeurs apprestent vn beau lict,
Y mettent Marion, que Carlin soit conduit
Par elles seulement, & monté dans la couche,
Ou fors que luy tout seul a iamais nul ne
[...]ouche:
Loin de la tout regret, loin noises, loin malheurs,
Loin mescontentement, & loin ialouses peurs:
Que le plaisir tousiours, la concorde y habite,
Que la couple acouplée estroitement, imite
La vigne porte-grape, en menus entre-lacs
Qui serre des ormeaux, & le corps & les bras;
Que leur esbat sucré, dans neuf mois nous produise:
Vn petit Carlotin, qui quelque iour conduise
Les troupeaux de son pere, & fauory du sort,
Puisse estre comme luy non moins heureux que fort.
Mais vous, fatales soeurs, qui d'vne main severe
Disposez de nos iours, si vostre loy modere
[Page 15]Comme on dit iustement les choses d'icy bas,
Ou en filant la vie, ou coupant le trespas,
Filez à mon Carlin, & à sa belle amie,
La trame enfante-iours, forte, blanche & unie,
Et n'approchez, que tard, le trenchant affilé
Du rasoir cause-mort a ce fil bien filé.
Robin.
Carlin n'est point berger accablé de disette,
Qui meine un troupeau maigre enflant sa chalemette
Soubs les gages d'autruy, il nourrit mille fois
Beaucoup plus des bergers qu'on ne voit dans les bois
Des feuilles tomber dru, lors que l'halaine dure
Des Aquilons, abat leur verte cheueleure:
Ces bergers, par les bois, par les monts, par les vaux,
Des brebis gardent plus, des chevres, des taureaux,
Que des pleurs argentins, la larmoyante aurore
Ne verse dans le sein, de la deesse Flore.
Iacquet.
Le Pere à Marion estoit pasteur plus grand
Que pasteur de son temps, son domaine, s'estend
Depuis les bords frilleux de nostre grand Nerée,
Iusqu'aux bords chaleureux de la mer sans marée:
Là où iadis les Grecs bastirent de leurs mains
La ville, qui premiere arrefta les desseins
[Page 16]De ce grand Dictateur, qui dans la Thessalie
Son gendre, le Senat, defit, & l'Italie:
Le bon Dieu cuisse-né, enriche tous ses champs,
Ceres la blediere & Pomone en tout temps
Y sement leurs thresors, Flore la bigarrée,
De son plus riche esmail, embellit sa contrée:
Ces bergers sont en nombre aux estoilles esgaux,
Au sable de la mer, semblables ses troupeaux.
Robin.
Carlin est descendu de la race heroique
De ce pasteur fameux, hoir de la terre Attique,
Qui poussé d'vn desir d'eternizer son los,
Commit sa vie aux vents, & son espoir aux flots,
Quand monté sur le dos du nausrageux Neptune,
Par les bords Phariens il chercha sa fortune,
Ou, suivant le dessein d'vn magnanime coeur,
Il fut des ennemis d'Egypte le vainqueur;
Et eut pour son loyer, Scota la fille unique
Du Roy, qui commandoit la terre Memphitique:
Mais, n'ayant pas encor assouuy ceste faim
De gloire, qui tousiours luy becquetoit le sein,
Essaya derechef les perils de Nerée,
Et guide par la main des Destins, vers Borée,
Moüilla son ancre en fin, & d'vn commun accord
Et luy & ses suivants, prez l'estoille du Nord,
[Page 17]Entrerent en un pays, que l'Ocean emmure
Le ceignant a l'entour d'une muraille seure;
Ces bergers, en ceste Isle, ont suranné les ans,
Ont vescu fortunez; malgré l'effort du temps,
Repoussé courageux, les guerrieres conquestes
Des Romulides mains, armés de leurs houlettes:
Ot cent & sept Pasteurs du sang Cecropien,
Et descendus trestous de cet Athenien;
Ont eu de pere en fils, par une longue suite,
De l'invincible Thule, indomptez, la conduite:
Iacquin, le trois fois grand, pere du Grand Carlin,
Le premier commanda par arrest du destin
Tous les bergers de l'Isle, appaisa pacifique
Leur haine, & leur debat, laissa son fils unique
D'icelle l'heritier, luy imposa le faix,
De commander sur eux, & en guerre & en paix:
Or, Iacquin a jamais, puisse ta renommee
Vivre par tout le monde, en toutes parts semee,
Pour nous avoir conjoints estroittement d'vn lien,
Que rien ne peut dissoudre: &, Carlin, que ce bien,
Commence par ton pere, a finir ne commence:
Que ton heureux Hymen, ta Bretagne & ta France
Serre d'vn noeud si fort, que le temps mange tout,
De cet accord sacré ne voye point le bout.
Iacquet.
Le pasteur Phrygien qui defendit sa Troye
Si vaillamment dix ans, le rampart & la ioye
[Page 18]De ses parents chenus, la terreur & l'effory
Des homicides Grecs, & de leur brave Roy;
Revenant de l'estour des plus chaudes alarmes,
Du sang de l'ennemy ayant teintes les armes,
Embrazé, embrassa sa chaste femme un iour,
Grand champion de Mars, chaud champiō d'Amour
De cet embrassement Francus eut sa naissance,
Et les François, de luy, leur nom, & leur vaillance,
De là sont descendus ces preux pasteurs Gaulois,
Pharamond, & Martel, & Pepin, maintesfois
Qu'on nous va renōmant, nō moins pour leur iustice,
Que pour leurs grands exploits achevez en milice,
Cent langues, & cent voix, ne me suffirontpas
Pour conter les vertus, les hazards, les combats,
De ces grands Palladins, bergers de Charlemagne,
En France, en Italie, Afrique & Allemagne.
Bons Dieux! que diroit-on de ces pasteurs Vallois?
Que diroit-on bons Dieux! d'un pasteur Navarrois?
Pasteur, de tous pasteurs sans doute la merveille,
Savertu sans mesure, & patron, sans pareille,
Merite bien oe los, car, qui verra iamais
Pasteur plus fort en guerre ou bien plus iuste en paix?
Grand Pasteur si le sort envieux de tes gloires,
N'eust coupé (quel malheur!) le fil de tes victories
D'une main parricide, un ioug pesant & dur,
Ne chargeroit le col, ne briseroit le mur
De tes chers Navarrois, & de ta Pampelonne,
Voire, le fier Ibereeust perdu sa couronne.
[Page 19]Hé Dieux! quoy? falloit-il qu'une si basse main,
Escrivit vos arrests dans le creux d'un tel sein?
Si par le fer trenchant sa genereuse vie,
Luy deuoit estre en fin cruellement ravie;
Mars seulement luy-mesme, & son glaive vainqueur;
Devoit estre employé pour transpercer ce coeur.
Robin.
Carlin n'est pas de ceux qui riches en fortune,
Logent dans un corps laid, une ame encor commune,
Qui, par le seul surcroist des biens exterieurs
Faits grands, sont surmontez par leurs inferieurs,
Car, quoy que ces grādeurs soient presque sās limites,
Pour luy & ses vertus, elles sont trop petites.
Iaquet.
Marion si le sort taschoit à te pourvoir
Selon ton bel esprit, ta beauté, son pouvoir
Seroit defectueux, les corones royales
Ne sont a ton merite aucunement esgales,
Voire quand tout le monde accepteroit ta Loy,
Le monde tout entier est trop petit pour toy.
Robin.
Hostesses des forests, bocageres Dryades,
Deesses des hauts monts, vous, belles Oreades,
[Page 20]Si Carlin vous voyez, qui chasse quelquesfois
Sur les monts sourcilleux, dans l'espaisseur des bois,
Ne le regardez pas d'une amoureuse veuë,
vostre esperance helas! ne sera que deceuë,
Car, Carlin ne peut estre d'un autr' amour attaint,
Aymant sa Marion d'un coeur fidele & saint.
Iacquet.
Satyres chevre-pieds, & vous Faunes rustiques,
Vous Syluains montagnards, vos gestes impudiques
Bridez, quand Marion visite les guerets,
Les pasturages gras, les coustaux, les forests,
Quoy que vos ames soient de son amour frappées,
Ne la fouhaitez point, les lascives Napées,
Soient l'obiect de vos feux, nul autre que Carlin
Péut plaire à Marion, quand se seroit Iupin.
Robin.
Deux fois le iour assis sur le bord de Nerée,
Ie diray pour Carlin une chanson sacrée,
Mes Brebis; par les champs les herbes brouteront,
Les Tritons haut-sonants, mes chants escouteront;
La mer prendra le nom de Carlin de ma bouche,
Semant son los par tout, & où Phoebus se couche,
Et où sortant des eaux d'un bien heureux retour.
Il dore l'univers, & ramene le iour:
Iacquet.
[Page 21]
Moy, trois fois chaque iour sur ce mont porte-nuës,
Diray pour Marion, trois chansons incognuës:
Mes chevres chaumeront, charmées par ma voix,
Et lairont, pour m'oüir, de brouter par les bois:
Les Sylvains danseront, au son de mes aubades,
Mes refreins rediront les belles Oreades,
Ce nom de Marion, le suject de mes vers,
Phoebus le portera par tout cét univers:
Andriot.
Le Soleil se couchant, & se leuant de l'onde,
Et d'un tour retourné, tousiouts faisant la ronde,
Sous son lict, son midy, son rayonneux matin,
Tout voyant, ne vit rien digne de mon Carlin
Que seule Marion: & rien si digne d'elle
Que Carlin bel espous de ceste espouse belle:
Ce beau Dieu qui preside aux Castalides soeurs,
N'entend rien en douceur esgal à vos douceurs,
Bons Chantres, bien esgaux, vos gloires soient pareilles
Carlin & Marion, vous puissent à merueilles
Cherir incessamment, loin, loin, de tout mal-heur
Puissiez vous tous vos ans passer sous leur Grandeur:
Si que le temps mangeur, qui goulu tout devore,
Leurs noms, & leur vertus dans vos escrits honore.
FIN.