ATHALIE ACTE PREMIER Sc\`ene premi\`ere. - JOAD, ABNER. Abner Oui, je viens dans son temple adorer l'\'Eternel ; Je viens, selon l'usage antique et solennel, C\'el\'ebrer avec vous la fameuse journ\'ee O\`u sur le mont Sina la loi nous fut donn\'ee. Que les temps sont chang\'es ! Sit\^ot que de ce jour La trompette sacr\'ee annon\c cait le retour, Du temple, orn\'e partout de festons magnifiques, Le peuple saint en foule inondait les portiques ; Et tous, devant l'autel avec ordre introduits, De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits, Au Dieu de l'univers consacraient ces pr\'emices. Les pr\^etres ne pouvaient suffire aux sacrifices. L'audace d'une femme, arr\^etant ce concours, En des jours t\'en\'ebreux a chang\'e ces beaux jours. D'adorateurs z\'el\'es \`a peine un petit nombre Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre. Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal ; Ou m\^eme, s'empressant aux autels de Baal, Se fait initier \`a ses honteux myst\`eres, Et blasph\`eme le nom qu'ont invoqu\'e leurs p\`eres. Je tremble qu'Athalie, \`a ne vous rien cacher, Vous-m\^eme de l'autel vous faisant arracher, N'ach\`eve enfin sur vous ses vengeances funestes, Et d'un respect forc\'e ne d\'epouille les restes. Joad D'o\`u vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment ? Abner Pensez-vous \^etre saint et juste impun\'ement ? D\`es longtemps elle hait cette fermet\'e rare Qui rehausse en Joad l'\'eclat de la tiare : D\`es longtemps votre amour pour la religion Est trait\'e de r\'evolte et de s\'edition. Du m\'erite \'eclatant cette reine jalouse Hait surtout Josabet, votre fid\`ele \'epouse. Si du grand pr\^etre Aaron Joad est successeur, De notre dernier roi Josabet est la s\oe ur. Mathan, d'ailleurs, Mathan, ce pr\^etre sacril\`ege, Plus m\'echant qu'Athalie, \`a toute heure l'assi\`ege ; Mathan, de nos autels inf\^ame d\'eserteur, Et de toute vertu z\'el\'e pers\'ecuteur. C'est peu que, le front ceint d'une mitre \'etrang\`ere, Ce l\'evite \`a Baal pr\^ete son minist\`ere ; Ce temple l'importune, et son impi\'et\'e Voudrait an\'eantir le Dieu qu'il a quitt\'e. Pour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il n'invente ; Quelquefois il vous plaint, souvent m\^eme il vous vante ; Il affecte pour vous une fausse douceur, Et, par l\`a de son fiel colorant la noirceur, Tant\^ot \`a cette reine il vous peint redoutable, Tant\^ot, voyant pour l'or sa soif insatiable, Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez Vous cachez des tr\'esors par David amass\'es. Enfin, depuis deux jours, la superbe Athalie Dans un sombre chagrin para\^\i t ensevelie. Je l'observais hier, et je voyais ses yeux Lancer sur le lieu saint des regards furieux : Comme si, dans le fond de ce vaste \'edifice, Dieu cachait un vengeur arm\'e pour son supplice. Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douter Que sur vous son courroux ne soit pr\^et d'\'eclater, Et que de J\'ezabel la fille sanguinaire Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire. Joad Celui qui met un frein \`a la fureur des flots Sait aussi des m\'echants arr\^eter les complots. Soumis avec respect \`a sa volont\'e sainte, Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte. Cependant je rends gr\^ace au z\`ele officieux Qui sur tous mes p\'erils vous fait ouvrir les yeux. Je vois que l'injustice en secret vous irrite, Que vous avez encore le c\oe ur isra\'elite, Le ciel en soit b\'eni ! Mais ce secret courroux, Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ? La foi qui n'agit point, est-ce une foi sinc\`ere ? Huit ans d\'ej\`a pass\'es, une impie \'etrang\`ere Du sceptre de David usurpe tous les droits, Se baigne impun\'ement dans le sang de nos rois, Des enfants de son fils d\'etestable homicide, Et m\^eme contre Dieu l\`eve son bras perfide. Et vous, l'un des soutiens de ce tremblant \'Etat, Vous, nourri dans les camps du saint roi Josaphat, Qui sous son fils Joram commandiez nos arm\'ees, Qui rassur\^ates seul nos villes alarm\'ees, Lorsque d'Okosias le tr\'epas impr\'evu Dispersa tout son camp \`a l'aspect de J\'ehu : <> Voici comme ce Dieu vous r\'epond par ma bouche : <> Abner H\'e ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ? Benjamin est sans force, et Juda sans vertu. Le jour qui de leurs rois vit \'eteindre la race \'Eteignit tout le feu de leur antique audace. <> Joad Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ? Quand Dieu par plus d'effets montra-t-il son pouvoir ? Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir, Peuple ingrat ? Quoi ! toujours les plus grandes merveilles Sans \'ebranler ton c\oe ur frapperont tes oreilles ? Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours Des prodiges fameux accomplis en nos jours ? Des tyrans d'Isra\"el les c\'el\`ebres disgr\^aces, Et Dieu trouv\'e fid\`ele en toutes ses menaces ; L'impie Achab d\'etruit et de son sang tremp\'e Le champ que par le meurtre il avait usurp\'e ; Pr\`es de ce champ fatal J\'ezabel immol\'ee, Sous les pieds des chevaux cette reine foul\'ee, Dans son sang inhumain les chiens d\'esalt\'er\'es, Et de son corps hideux les membres d\'echir\'es ; Des proph\`etes menteurs la troupe confondue, Et la flamme du ciel sur l'autel descendue ; \'Elie aux \'el\'ements parlant en souverain, Les cieux par lui ferm\'es et devenus d'airain, Et la terre trois ans sans pluie et sans ros\'ee ; Les morts se ranimant \`a la voix d'\'Elis\'ee : Reconnaissez, Abner, \`a ces traits \'eclatants, Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps. Il sait, quand il lui pla\^\i t, faire \'eclater sa gloire, Et son peuple est toujours pr\'esent \`a sa m\'emoire. Abner Mais o\`u sont ces honneurs \`a David tant promis Et pr\'edits m\^eme encore \`a Salomon son fils ? H\'elas ! nous esp\'erions que de leur race heureuse Devait sortir de rois une suite nombreuse ; Que sur toute tribu, sur toute nation, L'un d'eux \'etablirait sa domination, Ferait cesser partout la discorde et la guerre, Et verrait \`a ses pieds tous les rois de la terre. Joad Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ? Abner Ce roi fils de David, o\`u le chercherons-nous ? Le ciel m\^eme peut-il r\'eparer les ruines De cet arbre s\'ech\'e jusque dans ses racines ? Athalie \'etouffa l'enfant m\^eme au berceau. Les morts, apr\`es huit ans, sortent-ils du tombeau ? Ah ! si dans sa fureur elle s'\'etait tromp\'ee ; Si du sang de nos rois quelque goutte \'echapp\'ee... Joad H\'e bien ! que feriez-vous ? Abner \^O jour heureux pour moi ! De quelle ardeur j'irais reconna\^\i tre mon roi ! Doutez-vous qu'\`a ses pieds nos tribus empress\'ees... Mais pourquoi me flatter de ces vaines pens\'ees ? D\'eplorable h\'eritier de ces rois triomphants, Okosias restait seul avec ses enfants ; Par les traits de J\'ehu je vis percer le p\`ere ; Vous avez vu les fils massacr\'es par la m\`ere. Joad Je ne m'explique point ; mais, quand l'astre du jour Aura sur l'horizon fait le tiers de son tour, Lorsque la troisi\`eme heure aux pri\`eres rappelle, Retrouvez-vous au temple avec ce m\^eme z\`ele. Dieu pourra vous montrer, par d'importants bienfaits, Que sa parole est stable et ne trompe jamais. Allez : pour ce grand jour il faut que je m'appr\^ete, Et du temple d\'ej\`a l'aube blanchit le fa\^\i te. Abner Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas ? L'illustre Josabet porte vers vous ses pas : Je sors et vais me joindre \`a la troupe fid\`ele Qu'attire de ce jour la pompe solennelle. Sc\`ene II. - JOAD, JOSABET. Joad Les temps sont accomplis, princesse : il faut parler, Et votre heureux larcin ne se peut plus celer. Des ennemis de Dieu la coupable insolence, Abusant contre lui de ce profond silence, Accuse trop longtemps ses promesses d'erreur. Que dis-je ? Le succ\`es animant leur fureur, Jusque sur notre autel votre injuste mar\^atre Veut offrir \`a Baal un encens idol\^atre. Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauv\'e, Sous l'aile du Seigneur dans le temple \'el\'ev\'e. De nos princes h\'ebreux il aura le courage, Et d\'ej\`a son esprit a devanc\'e son \^age. Avant que son destin s'explique par ma voix, Je vais l'offrir au Dieu par qui r\`egnent les rois. Aussit\^ot assemblant nos l\'evites, nos pr\^etres, Je leur d\'eclarerai l'h\'eritier de leurs ma\^\i tres. Josabet Sait-il d\'ej\`a son nom et son noble destin ? Joad Il ne r\'epond encor qu'au nom d'\'Eliacin Et se croit quelque enfant rejet\'e par sa m\`ere, \`A qui j'ai par piti\'e daign\'e servir de p\`ere. Josabet H\'elas ! de quel p\'eril je l'avais su tirer ! Dans quel p\'eril encore est-il pr\^et de rentrer ! Joad Quoi ! d\'ej\`a votre foi s'affaiblit et s'\'etonne ? Josabet \`A vos sages conseils, seigneur, je m'abandonne. Du jour que j'arrachai cet enfant \`a la mort, Je remis en vos mains tout le soin de son sort ; M\^eme, de mon amour craignant la violence, Autant que je le puis j'\'evite sa pr\'esence. De peur qu'en le voyant quelque trouble indiscret Ne fasse avec mes pleurs \'echapper mon secret. Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux pri\`eres, Consacrer ces trois jours et ces trois nuits enti\`eres. Cependant aujourd'hui puis-je vous demander Quels amis vous avez pr\^ets \`a vous seconder ? Abner, le brave Abner, viendra-t-il vous d\'efendre ? A-t-il pr\`es de son roi fait serment de se rendre ? Joad Abner, quoiqu'on se p\^ut assurer sur sa foi, Ne sait pas m\^eme encor si nous avons un roi. Josabet Mais \`a qui de Joas confiez-vous la garde ? Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde ? De mon p\`ere su eux les bienfaits r\'epandus... Joad \`A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus. Josabet Qui donc opposez-vous contre ses satellites ? Joad Ne vous l'ai-je pas dit ? nos pr\^etres, nos l\'evites. Josabet Je sais que, pr\`es de vous en secret assembl\'e, Par vos soins pr\'evoyants leur nombre est redoubl\'e ; Que, pleins d'amour pour vous, d'horreur pour Athalie, Un serment solennel par avance les lie \`A ce fils de David qu'on leur doit r\'ev\'eler. Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent br\^uler, Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ? Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur z\`ele ? Doutez-vous qu'Athalie, au premier bruit sem\'e Qu'un fils d'Okosias est ici renferm\'e, De ses fiers \'etrangers assemblant les cohortes, N'environne le temple et n'en brise les portes ? Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints, Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains, Ne savent que g\'emir et prier pour nos crimes, Et n'ont jamais vers\'e que le sang des victimes ? Peut-\^etre dans leurs bras Joas perc\'e de coups... Joad Et comptez-vous pour rien Dieu, qui combat pour nous ? Dieu, qui de l'orphelin prot\`ege l'innocence Et fait dans la faiblesse \'eclater se puissance ; Dieu qui hait les tyrans et qui dans Jezra\"el Jura d'exterminer Achab et J\'ezabel ; Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille, A jusque sur son fils poursuivi leur famille ; Dieu dont le bras vengeur, pour un temps suspendu, Sur cette race impie est toujours \'etendu ? Josabet Et c'est sur tous ces rois sa justice s\'ev\`ere Que je crains pour le fils de mon malheureux fr\`ere. Qui sait si cet enfant, par leur crime entra\^\i n\'e, Avec eux en naissant ne fut pas condamn\'e ? Si Dieu, le s\'eparant d'une odieuse race, En faveur de David voudra lui faire gr\^ace ? H\'elas ! l'\'etat horrible o\`u le ciel me l'offrit Revient \`a tout moment effrayer mon esprit. De princes \'egorg\'es la chambre \'etait remplie ; Un poignard \`a la main, l'implacable Athalie Au carnage animait ses barbares soldats Et poursuivait le cours de ses assassinats. Joas, laiss\'e pour mort, frappa soudain ma vue. Je me figure encor sa nourrice \'eperdue, Qui devant les bourreaux s'\'etait jet\'ee en vain, Et, faible, le tenait renvers\'e sur son sein. Je le pris tout sanglant. En baignant son visage, Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage ; Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser, De ses bras innocents je me sentis presser. Grand Dieu ! que mon amour ne lui soit point funeste ! Du fid\`ele David c'est le pr\'ecieux reste. Nourri dans ta maison, en l'amour de ta loi, Il ne conna\^\i t encore d'autre p\`ere que toi. Sur le point d'attaquer une reine homicide, \`A l'aspect du p\'eril si ma foi s'intimide, Si la chair et le sang, se troublant aujourd'hui, Ont trop de part aux pleurs que je r\'epands pour lui, Conserve l'h\'eritier de tes saintes promesses, Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses. Joad Vos larmes, Josabet, n'ont rien de criminel : Mais Dieu veut qu'on esp\`ere en son soin paternel. Il ne recherche point, aveugle en sa col\`ere, Sur le fils qui le craint l'impi\'et\'e du p\`ere. Tout ce qui reste encor de fid\`eles H\'ebreux Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs v\oe ux. Autant que de David la race est respect\'ee, Autant de J\'ezabel la fille est d\'etest\'ee. Joas les touchera par sa noble pudeur, O\`u semble de son sang reluire la splendeur ; Et Dieu, par sa voix m\^eme appuyant notre exemple, De plus pr\`es \`a leur c\oe ur parlera en son temple. Deux infid\`eles rois tour \`a tour l'ont brav\'e : Il faut que sur le tr\^one un roi soit \'elev\'e, Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses anc\^etres Dieu l'a fait remonter par la main de ses pr\^etres, L'a tir\'e par leur main de l'oubli du tombeau, Et de David \'eteint rallum\'e le flambeau. Grand Dieu, si tu pr\'evois qu'indigne de sa race, Il doive de David abandonner la trace, Qu'il soit comme le fuit en naissant arrach\'e, Ou qu'un souffle ennemi dans sa fleur a s\'ech\'e. Mais si ce m\^eme enfant, \`a tes ordres docile, Doit \^etre \`a tes desseins un instrument utile, Fais qu'au juste h\'eritier le sceptre soit remis ; Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis ; Confonds dans ses conseils une reine cruelle. Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle R\'epandre cet esprit d'imprudence et d'erreur, De la chute des rois funeste avant-coureur ! L'heure me presse, adieu. Des plus saintes familles Votre fils et sa s\oe ur vous am\`enent les filles. Sc\`ene III. - JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, le ch\oe ur. Josabet Cher Zacharie, allez, ne vous arr\^etez pas ; De votre auguste p\`ere accompagnez les pas. \^O filles de L\'evi, troupe jeune et fid\`ele, Que d\'ej\`a le Seigneur embrase de son z\`ele, Qui venez si souvent partager mes soupirs, Enfants, ma seule joie en mes longs d\'eplaisirs, Ces festons en vos mains, et ces fleurs sur vos t\^etes, Autrefois convenaient \`a nos pompeuses f\^etes. Mais, h\'elas ! en ces temps d'opprobre et de douleurs, Quelle offrande sied mieux que celles de nos pleurs ? J'entends d\'ej\`a, j'entends la trompette sacr\'ee, Et du temple bient\^ot on permettra l'entr\'ee. Tandis que je me vais pr\'eparer \`a marcher, Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher. Sc\`ene IV. - Le ch\oe ur. Tout le ch\oe ur chante. Tout l'univers est plein de sa magnificence. Qu'on adore ce Dieu, qu'on l'invoque \`a jamais ! Son empire a des temps pr\'ec\'ed\'e la naissance ; Chantons, publions ses bienfaits. Une voix, seule. En vain l'injuste violence Au peuple qui le loue imposerait silence : Son nom ne p\'erira jamais. Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance, Tout l'univers est plein de sa magnificence : Chantons, publions ses bienfaits. Tout le ch\oe ur r\'ep\`ete. Tout l'univers est plein de sa magnificence : Chantons, publions ses bienfaits. Une voix, seule. Il donne aux fleurs leur aimable peinture : Il fait na\^\i tre et mourir les fruits ; Il leur dispense avec mesure Et la chaleur des jours et la fra\^\i cheur des nuits ; Le champ qui les re\c cut les rend avec usure. Une autre Il commande au soleil d'animer la nature, Et la lumi\`ere est un nom de ses mains ; Mais sa loi sainte, sa loi pure Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains. Une autre \^O mont de Sina\"\i , conserve la m\'emoire De ce jour \`a jamais auguste et renomm\'e, Quand, sur ton sommet enflamm\'e, Dans un nuage \'epais le Seigneur enferm\'e Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire. Dis-nous pourquoi ces feux et ces \'eclairs, Ces torrents de fum\'ee, et ce bruit dans les airs, Ces trompettes et ce tonnerre ? Venait-il renverser l'ordre des \'el\'ements ? Sur ses antiques fondements Venait-il \'ebranler la terre ? Une autre Il venait r\'ev\'eler aux enfants des H\'ebreux De ses pr\'eceptes saints la lumi\`ere immortelle : Il venait \`a ce peuple heureux Ordonner de l'aimer d'une amour \'eternelle. Tout le ch\oe ur \^O divine, \^o charmante loi ! \^O justice, \^o bont\'e supr\^eme ! Que de raisons, quelle douceur extr\^eme D'engager \`a ce Dieu son amour et sa foi ! Une voix, seule D'un joug cruel il sauva nos a\"\i eux, Les nourrit au d\'esert d'un pain d\'elicieux. Il nous donne ses lois, il se donne lui-m\^eme. Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime. Le ch\oe ur \^O justice, \^o bont\'e supr\^eme ! La m\^eme voix Des mers pour eux il entr'ouvrit les eaux ; D'un aride rocher fit sortir des ruisseaux. Il nous donne ses lois, il se donne lui-m\^eme. Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime. Le ch\oe ur \^O divine, \^o charmante loi ! Que de raisons, quelle douceur extr\^eme D'engager \`a ce Dieu son amour et sa foi ! Une autre voix, seule. Vous qui ne connaissez qu'une crainte servile, Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer ? Est-il donc \`a vos c\oe urs, est-il si difficile Et si p\'enible de l'aimer ? L'esclave craint le tyran qui l'outrage ; Mais des enfants l'amour est le partage. Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits, Et ne l'aimer jamais ? Tout le ch\oe ur \^O divine, \^o charmante loi ! \^O justice, \^o bont\'e supr\^eme ! Que de raisons, quelle douceur extr\^eme D'engager \`a ce Dieu son amour et sa foi ! ACTE II Sc\`ene premi\`ere. - JOSABET, SALOMITH, le ch\oe ur. Josabet Mes filles, c'est assez ; suspendez vos cantiques. Il est temps de nous joindre aux pri\`eres publiques. Voici notre heure : allons c\'el\'ebrer ce grand jour, Et devant le Seigneur para\^\i tre \`a notre tour. Sc\`ene II. - JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, le ch\oe ur. Josabet Mais que vois-je ? Mon fils, quel sujet vous ram\`ene ? O\`u courez-vous ainsi tout p\^ale et hors d'haleine ? Zacharie \^O ma m\`ere ! Josabet H\'e bien ! quoi ? Zacharie Le temple est profan\'e. Josabet Comment ? Zacharie Et du Seigneur l'autel abandonn\'e. Josabet Je tremble. Hatez-vous d'\'eclaircir votre m\`ere. Zacharie D\'ej\`a, selon la loi, le grand pr\^etre mon p\`ere, Apr\`es avoir au Dieu qui nourrit les humains De la moisson nouvelle offert les premiers pains, Lui pr\'esentait encore entre ses mains sanglantes Des victimes de paix, les entrailles fumantes ; Debout \`a ses c\^ot\'es le jeune \'Eliacin Comme moi le servait en long habit de lin ; Et cependant du sang de la chair immol\'ee Les pr\^etre arrosaient l'autel et l'assembl\'ee. Un bruit confus s'\'el\`eve, et du peuple surpris D\'etourne tout \`a coup les yeux et les esprits. Une femme... peut-on la nommer sans blasph\`eme ? Une femme... c'\'etait Athalie elle-m\^eme. Josabet Ciel ! Zacharie Dans un des parvis, aux hommes r\'eserv\'e, Cette femme superbe entre, le front lev\'e, Et se pr\'eparait m\^eme \`a passer les limites De l'enceinte sacr\'ee ouverte aux seuls l\'evites. Le peuple s'\'epouvante et fuit de toutes parts. Mon p\`ere... Ah ! quel courroux animait ses regards ! Mo\"\i se \`a Pharaon parut moins formidable : <> La reine alors, sur lui jetant un \oe il farouche, Pour blasph\'emer sans doute ouvrait d\'ej\`a la bouche. J'ignore si de Dieu l'ange se d\'evoilant Est venu lui montrer un glaive \'etincelant ; Mais sa langue en sa bouche \`a l'instant s'est glac\'ee, Et toute son audace a paru terrass\'ee ; Ses yeux, comme effray\'es, n'osaient se d\'etourner ; Surtout \'Eliacin paraissait l'\'etonner. Josabet Quoi donc ? \'Eliacin a paru devant elle ? Zacharie Nous regardions tous deux cette reine cruelle, Et d'une \'egale horreur nos c\oe urs \'etaient frapp\'es. Mais les pr\^etres bient\^ot nous ont envelopp\'es. On nous a fait sortir. J'ignore tout le reste, Et venais vous conter ce d\'esordre funeste. Josabet Ah ! de nos bras sans doute elle vient l'arracher ; Et c'est lui qu'\`a l'autel sa fureur vient chercher. Peut-\^etre en ce moment l'objet de tant de larmes... Souviens-toi de David, Dieu, qui vois mes alarmes. Salomith Quel est-il, cet objet des pleurs que vous versez ? Zacharie Les jours d'\'Eliacin seraient-ils menac\'es ? Salomith Aurait-il de la reine attir\'e la col\`ere ? Zacharie Que craint-on d'un enfant sans support et sans p\`ere ? Josabet Ah ! la voici. Sortons : il la faut \'eviter. Sc\`ene III. - ATHALIE, ABNER, AGAR, suite d'Athalie. Agar Madame, dans ces lieux pourquoi vous arr\^eter ? Ici tous les objets vous blessent, vous irritent. Abandonnez ce temple aux pr\^etres qui l'habitent : Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais \`A vos sens agit\'es venez rendre la paix. Athalie Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma faiblesse. Va, fais dire \`a Mathan qu'il vienne, qu'il se presse ; Heureuse si je puis trouver par son secours Cette paix que je cherche et qui me fuit toujours. (Elle s'assied.) Sc\`ene IV. - ATHALIE, ABNER, suite d'Athalie. Abner Madame, pardonnz si j'ose le d\'efendre. Le z\`ele de Joad n'a point d\^u vous surprendre. Du Dieu que nous servons tel est l'ordre \'eternel. Lui-m\^eme, il nous tra\c ca son temple et son autel, Aux seuls enfants d'Aaron commit ses sacrifices, Aux l\'evites marqua leur place et leurs offices, Et surtout d\'efendit \`a leur post\'erit\'e Avec tout autre Dieu toute soci\'et\'e. H\'e quoi ! vous de nos rois et la femme et la m\`ere, \^Etes-vous \`a ce point parmi nous \'etrang\`ere ? Ignorez-vous nos lois ? et faut-il qu'aujourd'hui... Voici votre Mathan : je vous laisse avec lui. Athalie Votre pr\'esence, Abner, est ici n\'ecessaire. Laissons-l\`a de Joad l'audace t\'em\'eraire, Et tout ce vain amas de superstitions Qui ferment votre temple aux autres nations. Un sujet plus pressant excite mes alarmes. Je sais que, d\`es l'enfance \'elev\'e dans les armes, Abner a le c\oe ur noble, et qu'il rend \`a la fois Ce qu'il doit \`a son Dieu, ce qu'il doit \`a ses rois. Demeurez. Sc\`ene V. - MATHAN, ATHALIE, ABNER, suite d'Athalie. Mathan Grande reine, est-ce ici votre place ? Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ? Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ? De ce temple profane osez-vous approcher ? Avez-vous d\'epouill\'e cette haine si vive... Athalie Pr\^etez-moi l'un et l'autre une oreille attentive. Je ne veux point ici rappeler le pass\'e, Ni vous rendre raison du sang que j'ai vers\'e. Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire. Je ne prends point pour juge un peuple t\'em\'eraire : Quoi que son insolence ait os\'e publier, Le ciel m\^eme a pris soin de me justifier. Sur d'\'eclatants succ\`es ma puissance \'etablie A fait jusqu'au deux mers respecter Athalie ; Par moi J\'erusalem go\^ute un calme profond : Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond, Ni l'altier Philistin, par d'\'eternels ravages, Comme au temps de vos rois, d\'esoler ses rivages ; Le Syrien me traite et de reine et de s\oe ur ; Enfin, de ma maison le perfide oppresseur, Qui devait jusqu'\`a moi pousser sa barbarie, J\'ehu, le fier J\'ehu, tremble dans Samarie. De toutes parts press\'e par un puissant voisin, Que j'ai su soulever contre cet assassin, Il me laisse en ces lieux souveraine ma\^\i tresse. Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ; Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours, De mes prosp\'erit\'es interrompre le cours. Un songe (me devrais-je inqui\'eter d'un songe ?) Entretient dans mon c\oe ur un chagrin qui le ronge. Je l'\'evite partout, partout il me poursuit. C'\'etait pendant l'horreur d'une profonde nuit. Ma m\`ere J\'ezabel davant moi s'est montr\'ee, Comme au jour de sa mort pompeusement par\'ee. Ses malheurs n'avaient point abattu sa fiert\'e ; M\^eme elle avait encor cet \'eclat emprunt\'e Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, Pour r\'eparer des ans l'irr\'eparable outrage. <> En achevant ces mots \'epouvantables, Son ombre vers mon lit a paru se baisser ; Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser. Mais je n'ai plus trouv\'e qu'un horrible m\'elange D'os et de chairs meurtris et tra\^\i n\'es dans la fange, Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux Que des chiens d\'evorants se disputaient entre eux. Abner Grand Dieu ! Athalie Dans ce d\'esordre \`a mes yeux se pr\'esente Un jeune enfant couvert d'une robe \'eclatante, Tels qu'on voit des H\'ebreux les pr\^etres rev\^etus. Sa vue a ranim\'e mes esprits abattus ; Mais, lorsque revenant de mon trouble funeste, J'admirais sa douceur, son air noble et modeste, J'ai senti tout \`a coup un homicide acier Que le tra\^\i tre en mon sein a plong\'e tout entier. De tant d'objets divers le bizarre assemblage Peut-\^etre du hasard vous para\^\i t un ouvrage. Moi-m\^eme quelque temps, honteuse de ma peur, Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur. Mais de ce souvenir mon \^ame poss\'ed\'ee A deux fois en dormant revu la m\^eme id\'ee ; Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer Ce m\^eme enfant toujours tout pr\^et \`a me percer. Lasse enfin des horreurs dont j'\'etais poursuivie, J'allais prier Baal de veiller sur ma vie Et chercher du repos au pied de ses autels. Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels ! Dans le temple des Juifs un instinct m'a pouss\'ee, Et d'apaiser leur Dieu j'ai con\c cu la pens\'ee ; J'ai cru que des pr\'esents calmeraient son courroux, Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux. Pontife de Baal, excusez ma faiblesse. J'entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse, Le grand pr\^etre vers moi s'avance avec fureur. Pendant qu'il me parlait, \^o surprise ! \^o terreur ! J'ai vu ce m\^eme enfant dont je suis menac\'ee, Tel qu'un songe effrayant l'a peint \`a ma pens\'ee. Je l'ai vu, son m\^eme air, son m\^eme habit de lin, Sa d\'emarche, ses yeux, et tous ses traits enfin ; C'est lui-m\^eme. Il marchait \`a c\^ot\'e du grand pr\^etre, Mais bient\^ot \`a ma vue on l'a fait dispara\^\i tre. Voil\`a quel trouble ici m'oblige \`a m'arr\^eter, Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter. Que pr\'esage, Mathan, ce prodige incroyable ? Mathan Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable. Athalie Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu : Quel est-il ? de quel sang ? et de quelle tribu ? Abner Deux enfants \`a l'autel pr\^etaient leur minist\`ere : L'un est fils de Joad, Josabet est sa m\`ere ; L'autre m'est inconnu. Mathan Pourquoi d\'elib\'erer ? De tous les deux, madame, il se faut assurer. Vous savez pour Joad mes \'egards, mes mesures, Que je ne cherche point \`a venger mes injures, Que la seule \'equit\'e r\`egne en tous mes avis ; Mais lui-m\^eme, apr\`es tout, f\^ut-ce son propre fils, Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable ? Abner De quel crime un enfant peut-il \^etre capable ? Mathan Le ciel nous le fait voir un poignard \`a la main : Le ciel est juste et sage et ne fait rien en vain. Que cherchez-vous de plus ? Abner Mais, sur la foi d'un songe, Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se plonge ? Vous ne savez encor de quel p\`ere il est n\'e, Quel il est. Mathan On le craint, tout est examin\'e. \`A d'illustres parents s'il doit son origine, La spendeur de son sort doit h\^ater sa ruine. Dans le vulgaire obscur si le sort l'a plac\'e, Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit vers\'e ? Est-ce aux rois \`a garder cette lente justice ? Leur s\^uret\'e souvent d\'epend d'un prompt supplice. N'allons point les g\^ener d'un soin embarrassant ; D\`es qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent. Abner H\'e quoi ! Mathan, d'un pr\^etre est-ce l\`a le langage ? Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du carnage, Des vengeances des rois ministre rigoureux, C'est moi qui pr\^ete ici ma voix au malheureux ! Et vous, qui lui devez des entrailles de p\`ere, Vous, ministre de paix dans les temps de col\`ere, Couvrant d'un z\`ele faux votre ressentiment, Le sang \`a votre gr\'e coule trop lentement ! Vous m'avez command\'e de parler sans feinte, Madame : quel est donc ce grand sujet de crainte ? Un songe, un faible enfant que votre \oe il pr\'evenu Peut-\^etre sans raison croit avoir reconnu. Athalie Je le veux croire, Abner ; je puis m'\^etre tromp\'ee. Peut-\^etre un songe vain m'a trop pr\'eoccup\'ee. H\'e bien ! il faut revoir cet enfant de plus pr\`es ; Il en faut \`a loisir examiner les traits. Qu'on les fasse tous deux para\^\i tre en ma pr\'esence. Abner Je crains... Athalie Manquerait-on pour moi de complaisance ? De ce refus bizarre o\`u seraient les raisons ? Il pourrait me jeter en d'\'etranges soup\c cons. Que Josabet, vous dis-je, ou Joad les am\`ene ; Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine. Vos pr\^etres, je veux bien, Abner, vous l'avouer, Des bont\'es d'Athalie ont lieu de se louer. Je sais sur ma conduite et contre ma puissance Jusqu'o\`u de leurs discours ils portent la licence. Ils vivent cependant, et leur temple est debout, Mais je sens que bient\^ot ma douceur est \`a bout. Que Joad mette un frein \`a son z\`ele sauvage Et ne m'irrite point par un second outrage. Allez. Sc\`ene VI. - ATHALIE, MATHAN, suite d'Athalie. Mathan Enfin je puis parler en libert\'e ; Je puis dans tout son jour mettre la v\'erit\'e. Quelque monstre naissant dans ce temple s'\'el\`eve, Reine : n'attendez pas que le nuage cr\`eve. Abner chez le grand pr\^etre a devanc\'e le jour. Pour le sang de ses rois vous savez son amour. Et qui sait si Joad ne veut point en leur place Substituer l'enfant dont le ciel vous menace, Soit son fils, soit quelque autre... Athalie Oui, vous m'ouvrez les yeux. Je commence \`a voir clair dans cet avis des cieux. Mais je veux de mon doute \^etre d\'ebarrass\'ee. Un enfant est peu propre \`a trahir sa pens\'ee ; Souvent d'un grand dessein un mot nous fait juger. Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l'interroger. Vous, cependant, allez, et sans jeter d'alarmes, \`A tous mes Tyriens faites prendre les armes. Sc\`ene VII. - JOAS, JOSABET, ATHALIE, ZACHARIE, ABNER, SALOMITH, deux l\'evites, le ch\oe ur, suite d'Athalie. Josabet, aux deux l\'evites. \^O vous, sur ces enfants si chers, si pr\'ecieux, Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux. Abner, \`a Josabet. Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde. Athalie \^O ciel ! plus j'examine et plus je le regarde, C'est lui ! D'horreur encor tous mes sens sont saisis. (Montrant Joas.) \'Epouse de Joad, est-ce l\`a votre fils ? Josabet Qui ? lui, madame ? Athalie Lui. Josabet Je ne suis point sa m\`ere. (Montrant Zacharie.) Voil\`a mon fils. Athalie, \`a Joas. Et vous, quel est donc votre p\`ere ? Jeune enfant, r\'epondez. Josabet Le ciel jusqu'aujourd'hui... Athalie Pourquoi vous pressez-vous de r\'epondre pour lui ? C'est \`a lui de parler. Josabet Dans un \^age si tendre Quel \'eclaircissement en pouvez-vous attendre ? Athalie Cet \^age est innocent : son ing\'enuit\'e N'alt\`ere point encor la simple v\'erit\'e. Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche. Josabet, tout bas. Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche. Athalie Comment vous nommez-vous ? Joas J'ai nom \'Eliacin. Athalie Votre p\`ere ? Joas Je suis, dit-on, un orphelin. Entre les bras de Dieu jet\'e d\`es ma naissance, Et qui de mes parents n'eus jamais connaissance. Athalie Vous \^etes sans parents ? Joas Ils m'ont abandonn\'e. Athalie Comment ? et depuis quand ? Joas Depuis que je suis n\'e. Athalie Ne sait-on pas au moins quel pays est le v\^otre ? Joas Ce temple est mon pays : je n'en connais point d'autre. Athalie O\`u dit-on que le sort vous a fait rencontrer ? Joas Parmi des loups cruels pr\^ets \`a me d\'evorer. Athalie Qui vous mit dans ce temple ? Joas Une femme inconnue, Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue. Athalie Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ? Joas Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ? Aux petits des oiseaux il donne leur p\^ature, Et sa bont\'e s'\'etend sur toute la nature. Tous les jours je l'invoque, et d'un soin paternel Il me nourrit des dons offerts sur son autel. Athalie Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse ? La douceur de sa voix, son enfance, sa gr\^ace, Font insensiblement \`a mon inimiti\'e Succ\'eder... Je serais sensible \`a la piti\'e ? Abner Madame, voil\`a donc cet ennemi terrible. De vos songes menteurs l'imposture est visible, \`A moins que la piti\'e qui semble vous troubler Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler. Athalie, \`a Joas et \`a Josabet. Vous sortez ? Josabet Vous avez entendu sa fortune. Sa pr\'esence \`a la fin pourrait \^etre importune. Athalie, \`a Joas. Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ? Joas J'adore le Seigneur ; on m'explique sa loi ; Dans son livre divin on m'apprend \`a la lire, Et d\'ej\`a de ma main je commence \`a l'\'ecrire. Athalie Que vous dit cette loi ? Joas Que Dieu veut \^etre aim\'e, Qu'il venge t\^ot ou tard son saint nom blasph\'em\'e, Qu'il est le d\'efenseur de l'orphelin timide, Qu'il r\'esiste au superbe et punit l'homicide. Athalie J'entends. Mais tout ce peuple enferm\'e en ce lieu, \`A quoi s'occupe-t-il ? Joas Il loue, il b\'enit Dieu. Athalie Dieu veut-il qu'\`a toute heure on prie, on le contemple ? Joas Tout profane exercice est banni de son temple. Athalie Quels sont donc vos plaisirs ? Joas Quelquefois \`a l'autel Je pr\'esente au grand pr\^etre ou l'encens ou le sel ; J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ; Je vois l'ordre pompeux de ses c\'er\'emonies. Athalie H\'e quoi ! vous n'avez point de passe-temps plus doux ? Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous. Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire. Joas Moi ! des bienfaits de Dieu je perdrais la m\'emoire ? Athalie Non, je ne vous veux pas contraindre \`a l'oublier. Joas Vous ne le priez point. Athalie Vous le pourrez prier. Joas Je verrais cependant en invoquer un autre. Athalie J'ai mon Dieu que je sers ; vous servirez le v\^otre : Ce sont deux puissants dieux. Joas Il faut craindre le mien ; Lui seul est Dieu, madame, et le v\^otre n'est rien. Athalie Les plaisirs pr\`es de moi vous chercheront en foule. Joas Le bonheur des m\'echants comme un torrent s'\'ecoule. Athalie Ces m\'echants, qui sont-ils ? Josabet H\'e ! madame, excusez Un enfant... Athalie, \`a Josabet. J'aime \`a voir comme vous l'instruisez. Enfin, \'Eliacin, vous avez su me plaire ; Vous n'\^etes point sans doute un enfant ordinaire. Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'h\'eritier. Laissez l\`a cet habit, quittez ce vil m\'etier ; Je veux vous faire part de toutes mes richesses ; Essayez d\`es ce jour l'effet de mes promesses. \`A ma table, partout, \`a mes c\^ot\'es assis, Je pr\'etends vous traiter comme mon propre fils. Joas Comme votre fils ? Athalie Oui... Vous vous taisez ? Joas Quel p\`ere Je quitterais ! Et pour... Athalie H\'e bien ? Joas Pour quelle m\`ere ! Athalie, \`a Josabet. Sa m\'emoire est fid\`ele, et dans tout ce qu'il dit De vous et de Joad je reconnais l'esprit. Voil\`a comme, infectant cette simple jeunesse, Vous employez tous deux le calme o\`u je vous laisse. Vous cultivez d\'ej\`a leur haine et leur fureur ; Vous ne leur prononcez mon nom qu'avec horreur. Josabet Peut-on de nos malheurs leur d\'erober l'histoire ? Tous l'univers les sait ; vous-m\^eme en faites gloire. Athalie Oui, ma juste fureur, et j'en fais vanit\'e, A veng\'e mes parents sur ma post\'erit\'e. J'aurais vu massacrer et mon p\`ere et mon fr\`ere, Du haut de son palais pr\'ecipiter ma m\`ere, Et dans un m\^eme jour \'egorger \`a la fois (Quel spectacle d'horreur !) quatre-vingts fils de rois : Et pourquoi ? Pour venger je ne sais quels proph\`etes, Dont elle avait puni les fureurs indiscr\`etes : Et moi, reine sans c\oe ur, fille sans amiti\'e, Esclave d'une l\^ache et frivole piti\'e, Je n'aurais pas du moins \`a cette aveugle rage Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage, Et de votre David trait\'e tous les neveux Comme on traitait d'Achab les restes malheureux ? O\`u serais-je aujourd'hui, si, domptant ma faiblesse, Je n'eusse d'une m\`ere \'etouff\'e la tendresse ; Si de mon propre sang ma main versant des flots N'e\^ut par ce coup hardi r\'eprim\'e vos complots ? Enfin de votre Dieu l'implacable vengeance Entre nos deux maisons rompit toute alliance. David m'est en horreur, et les fils de ce roi, Quoique n\'es de mon sang, sont \'etrangers pour moi. Josabet Tout vous a r\'eussi ? Que Dieu voie et nous juge. Athalie Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge, Que deviendra l'effet de ses pr\'edictions ? Qu'il vous donne ce roi promis aux nations, Cet enfant de David, votre espoir, votre attente... Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente : J'ai voulu voir, j'ai vu. Abner, \`a Josabet. Je vous l'avais promis : Je vous rends le d\'ep\^ot que vous m'avez commis. Sc\`ene VIII. - JOAD, JOSABET, JOAS, ZACHARIE, ABNER, SALOMITH, l\'evites, le ch\oe ur. Josabet, \`a Joad. Avez-vous entendu cette superbe reine, Seigneur ? Joad J'entendais tout, et plaignais votre peine. Ces l\'evites et moi, pr\^ets \`a vous secourir, Nous \'etions avec vous r\'esolus de p\'erir. (\`A Joas, en l'embrassant.) Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage Vient de rendre \`a son nom le noble t\'emoignage. Je reconnais, Abner, ce service important. Souvenez-vous de l'heure o\`u Joad vous attend. Et nous, dont cette femme impie et meurtri\`ere A souill\'e les regards et troubl\'e la pri\`ere, Rentrons, et qu'un sang pur, par mes mains \'epanch\'e, Lave jusques au marbre o\`u ses pas ont touch\'e. Sc\`ene IX. - Le ch\oe ur. Une des filles du ch\oe ur Quel astre \`a nos yeux vient de luire ? Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux ? Il brave le faste orgueilleux, Et ne se laisse point s\'eduire \`A tous ses attraits p\'erilleux. Une autre Pendant que du dieu d'Athalie Chacun court encenser l'autel, Un enfant courageux publie Que Dieu lui seul est \'eternel, Et parle comme un autre \'Elie Devant cette autre J\'ezabel. Une autre Qui nous r\'ev\'elera ta naissance secr\`ete, Cher enfant ? Es-tu fils de quelque saint proph\`ete ? Une autre Ainsi l'on vit l'aimable Samuel Cro\^\i tre \`a l'ombre du tabernacle. Il devint des H\'ebreux l'esp\'erance et l'oracle. Puisses-tu, comme lui, consoler Isra\"el ! Une autre chante. \^O bienheureux mille fois L'enfant que le Seigneur aime, Qui de bonne heure entend sa voix, Et que ce Dieu daigne instruire lui-m\^eme ! Loin du monde \'elev\'e, de tous les dons des cieux Il est orn\'e d\`es sa naissance ; Et du m\'echant l'abord contagieux N'alt\`ere point son innocence. Tout le ch\oe ur Heureuse, heureuse enfance Que le Seigneur instruit et prend sous sa d\'efense ! La m\^eme voix, seule. Tel en un secret vallon, Sur le bord d'une onde pure, Cro\^\i t, \`a l'abri de l'aquilon, Un jeune lis, l'amour de la nature, Loin du monde \'elev\'e, de tous les dons des cieux Il est orn\'e d\`es sa naissance ; Et du m\'echant l'abord contagieux N'alt\`ere point son innocence. Tout le ch\oe ur Heureux, heureux mille fois L'enfant que le Seigneur rend docile \`a ses lois ! Une voix, seule. Mon Dieu, qu'une vertu naissante Parmi tant de p\'erils marche \`a pas incertains ! Qu'une \^ame qui te cherche et veut \^etre innocente Trouve d'obstacle \`a tes desseins ! Que d'ennemis lui font la guerre ! O\`u se peuvent cacher tes saints ? Les p\'echeurs couvrent la terre. Une autre \^O palais de David, et sa ch\`ere cit\'e, Mont fameux, que Dieu m\^eme a longtemps habit\'e, Comment as-tu du ciel attir\'e la col\`ere ? Sion, ch\`ere Sion, que dis-tu quand tu vois Une impie \'etang\`ere Assise, h\'elas ! au tr\^one de tes rois ? Tout le ch\oe ur Sion, ch\`ere Sion, que dis-tu quand tu vois Une impie \'etang\`ere Assise, h\'elas ! au tr\^one de tes rois ? La m\^eme voix continue. Au lieu des cantiques charmants O\`u David t'exprimait ses saints ravissements, Et b\'enissait son Dieu, son Seigneur et son p\`ere, Sion, ch\`ere Sion, que dis-tu quand tu vois Louer le dieu de l'impie \'etrang\`ere, Et blasph\'emer le nom qu'ont ador\'e tes rois ? Une voix, seule. Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore Verrons-nous contre toi les m\'echants s'\'elever ? Jusque dans ton saint temple ils viennent te braver. Ils traitent d'insens\'e le peuple qui t'adore. Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore Verrons-nous contre toi les m\'echants s'\'elever ? Une autre Rions, chantons, dit cette troupe impie : De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs, Promenons nos d\'esirs. Sur l'avenir insens\'e qui se fie. De nos ans passagers le nombre est incertain : H\^atons-nous aujourd'hui de jouir de la vie ; Qui sait si nous serons demain ? Tout le ch\oe ur Qu'ils pleurent, \^o mon Dieu, qu'ils fr\'emissent de crainte, Ces malheureux, qui de ta cit\'e sainte Ne verront point l'\'eternelle splendeur. C'est \`a nous de chanter, nous \`a qui tu r\'ev\`eles Tes clart\'es immortelles ; C'est \`a nous de chanter tes dons et ta grandeur. Une voix, seule. De tous ces vains plaisirs o\`u leur \^ame se plonge, Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d'un songe Dont on a reconnu l'erreur. \`A leur r\'eveil, \^o r\'eveil plein d'horreur ! Pendant que le pauvre \`a ta table Go\^utera de ta paix la douceur ineffable, Ils boiront dans la coupe affreuse, in\'epuisable, Que tu pr\'esenteras, au jour de ta fureur, \`A toute la race coupable. Tout le ch\oe ur \^O r\'eveil plein d'horreur ! \^O songe peu durable ! \^O dangereuse erreur ! ACTE III Sc\`ene premi\`ere. - MATHAN, NABAL, le ch\oe ur. Mathan Jeunes filles, allez : qu'on dise \`a Josabet Que Mathan veut ici lui parler en secret. Une des filles du ch\oe ur Mathan ! \^O Dieu du ciel, puisses-tu le confondre ! Nabal H\'e quoi ! tout se disperse et fuit sans vous r\'epondre ? Mathan Approchons. Sc\`ene II. - ZACHARIE, MATHAN, NABAL. Zacharie T\'em\'eraire, o\`u voulez-vous passer ? Au-del\`a de ce lieu gardez-vous d'avancer. C'est des ministres saints la demeure sacr\'ee ; Les lois \`a tout profane en d\'efendent l'entr\'ee. Qui cherchez-vous ? Mon p\`ere, en ce jour solennel, De l'idol\^atre impur fuit l'aspect criminel ; Et devant le Seigneur maintenant prostern\'ee, Ma m\`ere en ce devoir craint d'\^etre d\'etourn\'ee. Mathan Mon fils, nous attendrons ; cessez de vous troubler. C'est votre illustre m\`ere \`a qui je veux parler. Je viens ici charg\'e d'un ordre de la reine. Sc\`ene III. - MATHAN, NABAL. Nabal Leurs enfants ont d\'ej\`a leur audace hautaine. Mais que veut Athalie en cette occasion ? D'o\`u na\^\i t dans ses conseils cette confusion ? Par l'insolent Joad ce matin offens\'ee, Et d'un enfant fatal en songe menac\'ee, Elle allait immoler Joad \`a son courroux, Et dans ce temple enfin placer Baal et vous. Vous m'en aviez d\'ej\`a confi\'e votre joie, Et j'esp\'erais ma part d'une si riche proie. Qui fait changer ainsi ses v\oe ux irr\'esolus ? Mathan Ami, depuis deux jours je ne la connais plus. Ce n'est plus cette reine \'eclair\'ee, intr\'epide, \'Elev\'ee au-dessus de son sexe timide, Qui d'abord accablait ses ennemis surpris Et d'un instant perdu connaissait tout le prix. La peur d'un vain remords trouble cette grande \^ame : Elle flotte, elle h\'esite ; en un mot, elle est femme. J'avais tant\^ot rempli d'amertume et de fiel Son c\oe ur, d\'ej\`a saisi des menaces du ciel ; Elle-m\^eme, \`a mes soins confiant sa vengeance, M'avait dit d'assembler sa garde en diligence ; Mais, soit que cet enfant devant elle amen\'e, De ses parents, dit-on, rebut infortun\'e, E\^ut d'un songe effrayant diminu\'e l'alarme, Soit qu'elle e\^ut m\^eme en lui vu je ne sais quel charme, J'ai trouv\'e son courroux chancelant, incertain, Et d\'ej\`a remettant sa vengeance \`a demain. Tous ses projets semblaient l'un l'autre se d\'etruire. <> Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front. Jamais mensonge heureux n'eut un effet si prompt. <> Nabal H\'e bien ! pour un enfant qu'ils ne connaissent pas, Que le hasard peut-\^etre a jet\'e dans leurs bras, Voudront-ils que leur temple, enseveli sous l'herbe... Mathan Ah ! de tous les mortels connais le plus superbe. Plut\^ot que dans mes mains par Joad soit livr\'e Un enfant qu'\`a son Dieu Joad a consacr\'e, Tu lui verras subir la mort la plus terrible. D'ailleurs pour cet enfant leur attache est visible. Si j'ai bien de la reine entendu le r\'ecit, Joad sur sa naissance en sait plus qu'il ne dit. Quel qu'il soit, je pr\'evois qu'il leur sera funeste. Ils le refuseront : je prends sur moi le reste ; Et j'esp\`ere qu'enfin de ce temple odieux Et la flamme et le fer vont d\'elivrer mes yeux. Nabal Qui peut vous inspirer une haine si forte ? Est-ce que de Baal le z\`ele vous transporte ? Pour moi, vous le savez, descendu d'Isma\"el, Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d'Isra\"el. Mathan Ami, peux-tu penser que d'un z\`ele frivole Je me laisse aveugler par une vaine idole, Pour un fragile bois que, malgr\'e mon secours, Les vers sur son autel consument tous les jours ? N\'e ministre du Dieu qu'en ce temple on adore, Peut-\^etre que Mathan le servirait encore, Si l'amour des grandeurs, la soif de commander, Avec son joug \'etroit pouvaient s'accommoder. Qu'est-il besoin, Nabal, qu'\`a tes yeux je rappelle De Joad et de moi la fameuse querelle, Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir, Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon d\'esespoir ? Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carri\`ere, Et mon \^ame \`a la cour s'attacha toute enti\`ere. J'approchai par degr\'es de l'oreille des rois, Et bient\^ot en oracle on \'erigea ma voix. J'\'etudiai leur c\oe ur, je flattai leurs caprices, Je leur semai de fleurs les bords des pr\'ecipices ; Pr\`es de leurs passions rien ne me fut sacr\'e ; De mesure et de poids je changeais a leur gr\'e. Autant que de Joad l'inflexible rudesse De leur superbe oreille offensait la mollesse, Autant je les charmais par ma dext\'erit\'e, D\'erobant \`a leurs yeux la triste v\'erit\'e, Pr\^etant \`a leurs fureurs des couleurs favorables, Et prodigue surtout du sang des mis\'erables. Enfin, au dieu nouveau qu'elle avait introduit, Par les mains d'Athalie un temple fut construit. J\'erusalem pleura de se voir profan\'ee ; Des enfants de L\'evi la troupe constern\'ee En poussa vers le ciel des hurlements affreux. Moi seul, donnant l'exemple aux timides H\'ebreux, D\'eserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise, Et par l\`a de Baal m\'eritai la pr\^etrise. Par l\`a je me rendis terrible \`a mon rival ; Je ceignis la tiare, et marchai son \'egal. Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire, Du Dieu que j'ai quitt\'e l'importune m\'emoire Jette encore en mon \^ame un reste de terreur ; Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur. Heureux si, sur son temple achevant la vengeance, Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance, Et parmi le d\'ebris, le ravage et les morts, \`A force d'attentats perdre tous mes remords ! Mais voici Josabet. Sc\`ene IV. - JOSABET, MATHAN, NABAL. Mathan Envoy\'e par la reine Pour r\'etablir le calme et dissiper la haine, Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux, Ne vous \'etonnez-pas si je m'adresse \`a vous. Un bruit, que j'ai pourtant soup\c conn\'e de mensonge, Appuyant les avis qu'elle a re\c cu en songe, Su Joad, accus\'e de dangereux complots, Allait de sa col\`ere attirer tous les flots. Je ne veux point ici vous vanter mes services. De Joad contre moi, je sais les injustices ; Mais il faut \`a l'offense opposer les bienfaits. Enfin je viens charg\'e de paroles de paix. Vivez, solennisez vos f\^etes sans ombrage. De votre ob\'eissance elle ne veut qu'un gage : C'est, pour l'en d\'etourner j'ai fait ce que j'ai pu, Cet enfant sans parents qu'elle dit qu'elle a vu. Josabet \'Eliacin ! Mathan J'en ai pour elle quelque honte : D'un vain songe peut-\^etre elle fait trop de compte. Mais vous vous d\'eclarez ses mortels ennemis, Si cet enfant sur l'heure en mes mains n'est remis. La reine, impatiente, attend votre r\'eponse. Josabet Et voil\`a de sa part la paix qu'on nous annonce ! Mathan Pourriez-vous un moment douter de l'accepter ? D'un peu de complaisance est-ce trop l'acheter ? Josabet J'admirais si Mathan, d\'epouillant l'artifice, Avait pu de son c\oe ur surmonter l'injustice, Et si de tant de maux le funeste inventeur De quelque ombre de bien pouvait \^etre l'auteur. Mathan De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie Arracher de vos bras votre fils Zacharie ? Quel est cet autre enfant si cher \`a votre amour ? Ce grand attachement me surprend \`a mon tour. Est-ce un tr\'esor pour vous si pr\'ecieux, si rare ? Est-ce un lib\'erateur que le ciel vous pr\'epare ? Songez-y : vos refus pourraient me confirmer Un bruit sourd que d\'ej\`a l'on commence \`a semer. Josabet Quel bruit ? Mathan Que cet enfant vient d'illustre origine ; Qu'\`a quelque grand projet votre \'epoux le destine. Josabet Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur... Mathan Princesse, c'est \`a vous \`a me tirer d'erreur. Je sais que, du mensonge implacable ennemie, Josabet livrerait m\^eme sa propre vie, S'il fallait que sa vie \`a sa sinc\'erit\'e Co\^ut\^at le moindre mot contre la v\'erit\'e. Du sort de cet enfant on n'a donc nulle trace ? Une profonde nuit enveloppe sa race ? Et vous-m\^eme ignorez de quels parents issu, De quelles mains Joad en ses bras l'a re\c cu ? Parlez ; je vous \'ecoute et suis pr\^et de vous croire. Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire. Josabet M\'echant, c'est bien \`a vous d'oser ainsi nommer Un Dieu que votre bouche enseigne \`a blasph\'emer. Sa v\'erit\'e par vous peut-elle \^etre attest\'ee, Vous, malheureux, assis dans la chaire empest\'ee O\`u le mensonge r\`egne et r\'epand son poison ; Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ? Sc\`ene V. - JOAD, JOSABET, MATHAN, NABAL. Joad O\`u suis-je ? De Baal ne vois-je pas le pr\^etre ? Quoi ! fille de David, vous parlez \`a ce tra\^\i tre ? Vous souffrez qu'il vous parle ? Et vous ne craignez pas Que, du fond de l'ab\^\i me entr'ouvert sous ses pas, Il ne sorte \`a l'instant des feux qui vous embrasent, Ou qu'en tombant sur lui, ces murs ne vous \'ecrasent ? Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu ? Mathan On reconna\^\i t Joad \`a cette violence. Toutefois il devrait montrer plus de prudence, Respecter une reine, et ne pas outrager Celui que de son ordre elle a daign\'e charger. Joad H\'e bien ! que nous fait-elle annoncer de sinistre ? Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre ? Mathan J'ai fait \`a Josabet savoir sa volont\'e. Joad Sors donc de devant moi, monstre d'impi\'et\'e. De toutes tes horreurs, va, comble la mesure. Dieu s'appr\^ete \`a te joindre \`a la race parjure, Abiron et Dathan, Do\"eg, Achitophel. Les chiens, \`a qui son bras a livr\'e J\'ezabel, Attendant que sur toi sa fureur se d\'eploie, D\'ej\`a sont \`a ta porte et demandent leur proie. Mathan (Il se trouble.) Avant la fin du jour... on verra qui de nous... Doit... Mais sortons, Nabal. Nabal O\`u vous \'egarez-vous ? De vos sens \'etonn\'es quel d\'esordre s'empare ? Voil\`a votre chemin. Sc\`ene VI. - JOAD, JOSABET. Josabet L'orage se d\'eclare. Athalie en fureur demande \'Eliacin. D\'ej\`a de sa naissance et de votre dessein On commence, seigneur, \`a percer le myst\`ere ! Peu s'en faut que Mathan ne m'ait nomm\'e son p\`ere. Joad Au perfide Mathan qui l'aurait r\'ev\'el\'e ? Votre trouble \`a Mathan n'a-t-il point trop parl\'e ? Josabet J'ai fait ce que j'ai pu pour m'en rendre ma\^\i tresse. Cependant, croyez-moi, seigneur, le p\'eril presse. R\'eservons cet enfant pour un temps plus heureux. Tandis que les m\'echants d\'elib\`erent entre eux, Avant qu'on l'environne, avant qu'on nous l'arrache, Une seconde fois souffrez que je le cache. Les portes, les chemins lui sont encore ouverts. Faut-il le transporter aux plus affreux d\'eserts ? Je suis pr\^ete. Je sais une secr\`ete issue Par o\`u, sans qu'on le voie, et sans \^etre aper\c cue, De C\'edron avec lui traversant le torrent, J'irai dans le d\'esert o\`u jadis en pleurant, Et cherchant comme nous son salut dans la fuite, David d'un fils rebelle \'evita la poursuite. Je craindrai moins pour lui les lions et les ours... Mais pourquoi de J\'ehu refuser le secours ? Je vous ouvre peut-\^etre un avis salutaire. Faisons de ce tr\'esor J\'ehu d\'epositaire. On peut dans ses \'Etats le conduire aujourd'hui, Et le chemin est court qui m\`ene jusqu'\`a lui. J\'ehu n'a point un c\oe ur farouche, inexorable ; De David a ses yeux le nom est favorable. H\'elas ! est-il un roi si dur et si cruel, \`A moins qu'il n'eut pour m\`ere une autre J\'ezabel, Qui d'un tel suppliant ne plaign\^\i t l'infortune ? Sa cause \`a tous les rois n'est-elle pas commune ? Joad Quels timides conseils m'osez-vous sugg\'erer ? En l'appui de J\'ehu pourriez-vous esp\'erer ? Josabet Dieu d\'efend-il tout soin et toute pr\'evoyance ? Ne l'offense-t-on point par trop de confiance ? \`A ses desseins sacr\'es employant les humains, N'a-t-il pas de J\'ehu lui-m\^eme arm\'e les mains ? Joad J\'ehu, qu'avait choisi sa sagesse profonde, J\'ehu, sur qui je vois que votre espoir se fonde, D'un oubli trop ingrat a pay\'e ses bienfaits. J\'ehu laisse d'Achab l'affreuse fille en paix, Suit des rois d'Isra\"el les profanes exemples, Du vil dieu de l'\'Egypte a conserv\'e les temples ; J\'ehu, sur les hauts lieux enfin osant offrir Un t\'em\'eraire encens que Dieu ne peut souffrir, N'a pour servir sa cause et venger ses injures Ni le c\oe ur assez droit, ni les mains assez pures. Non, non ; c'est \`a Dieu seul qu'il nous faut attacher. Montrons \'Eliacin ; et, loin de le cacher, Que du bandeau royal sa t\^ete soit orn\'ee. Je veux m\^eme avancer l'heure d\'etermin\'ee, Avant que de Mathan le complot soit form\'e. Sc\`ene VII. - JOAD, JOSABET, AZARIAS suivi du ch\oe ur et de plusieurs l\'evites. Joad H\'e bien, Azarias, le temple est-il ferm\'e ? Azarias J'en ai fait devant moi fermer toutes les portes. Joad N'y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ? Azarias De ses parvis sacr\'es j'ai deux fois fait le tour. Tout a fui, tous se sont s\'epar\'es sans retour, Mis\'erable troupeau qu'a dispers\'e la crainte ; Et Dieu n'est plus servi que dans la tribu sainte. Depuis qu'\`a Pharaon ce peuple est \'echapp\'e, Une \'egale terreur ne l'avait point frapp\'e. Joad Peuple l\^ache, en effet, et n\'e pour l'esclavage, Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage. Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ? Une des filles du ch\oe ur H\'e ! pourrions-nous, seigneur, nous s\'eparer de vous. Dans le temple de Dieu sommes-nous \'etrang\`eres ? Vous avez pr\`es de vous nos p\`eres et nos fr\`eres. Une autre H\'elas ! si pour venger l'opprobre d'Isra\"el, Nos mais ne peuvent pas, comme autrefois Jahel, Des ennemis de Dieu percer la t\^ete impie, Nous lui pouvons du moins immoler notre vie. Quand vos bras combattront pour son temple attaqu\'e, Par nos larmes du moins il peut \^etre invoqu\'e. Joad Voil\`a donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle ! Des pr\^etres, des enfants, \^o sagesse \'eternelle ! Mais, si tu les soutiens, qui les peut \'ebranler ? Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler ; Tu frappes et gu\'eris, tu perds et ressuscites. Ils ne s'assurent point en leurs propres m\'erites, Mais en ton nom sur eux invoqu\'e tant de fois, En tes serments jur\'es au plus saint de leurs rois, En ce temple o\`u tu fais ta demeure sacr\'ee, Et qui doit du soleil \'egaler la dur\'ee. Mais d'o\`u vient que mon c\oe ur fr\'emit d'un saint effroi ? Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi ? C'est lui-m\^eme. Il m'\'echauffe. Il parle. Mes yeux s'ouvrent, Et des si\`ecles obscurs devant moi se d\'ecouvrent. L\'evites, de vos sons pr\^etez-moi les accords, Et de ses mouvements secondez les transports. Le ch\oe ur chante au son de toute la symphonie des instruments. Que du Seigneur la voix se fasse entendre, Et qu'\`a nos c\oe urs son oracle divin Soit ce qu'\`a l'herbe tendre Est, au printemps, la fra\^\i cheur du matin. Joad Cieux, \'ecoutez ma voix ; terre, pr\^ete l'oreille. Ne dis plus, \^o Jacob, que ton Seigneur sommeille. P\'echeurs, disparaissez : le Seigneur se r\'eveille. (Ici recommence la symphonie, et Joad aussit\^ot reprend la parole.) Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il chang\'e ? Quel est dans ce lieu saint ce pontife \'egorg\'e ? Pleure, J\'erusalem, pleure, cit\'e perfide, Des proph\`etes divins malheureuse homicide. De son amour pour toi ton Dieu s'est d\'epouill\'e. Ton encens \`a ses yeux est un encens souill\'e. O\`u menez-vous ces enfants et ces femmes ? Le Seigneur a d\'etruit la reine des cit\'es : Ses pr\^etres sont captifs, ses rois sont rejet\'es. Dieu ne veut plus qu'on vienne \`a ses solennit\'es. Temple, renverse-toi ; c\`edres, jetez des flammes. J\'erusalem, objet de ma douleur, Quelle main en ce jour t'a ravi tous tes charmes ? Qui changera mes yeux en deux sources de larmes Pour pleurer ton malheur ? Azarias \^O saint temple ! Josabet \^O David ! Le ch\oe ur Dieu de Sion, rappelle, Rappelle en sa faveur tes antiques bont\'es. (La symphonie recommence encore, et Joad, un moment apr\`es, l'interrompt.) Joad Quelle J\'erusalem nouvelle Sort du fond du d\'esert brillante de clart\'es, Et porte sur le front une marque immortelle ? Peuples de la terre, chantez. J\'erusalem rena\^\i t plus charmante et plus belle. D'o\`u lui viennent de tous cot\'es Ces enfants qu'en son sein elle n'a point port\'es ? L\`eve, J\'erusalem, l\`eve ta t\^ete alti\`ere ; Regarde tous ces rois de ta gloire \'etonn\'es : Les rois des nations, devant toi prostern\'es, De tes pieds baisent la poussi\`ere ; Les peuples \`a l'envi marchent \`a ta lumi\`ere. Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur Sentira son \^ame embras\'ee ! Cieux, r\'epandez votre ros\'ee, Et que la terre enfante son Sauveur ! Josabet H\'elas ! d'o\`u nous viendra cette insigne faveur, Si les rois de qui doit descendre ce Sauveur... Joad Pr\'eparez, Josabet, le riche diad\`eme Que sur son front sacr\'e David porta lui-m\^eme. (Aux l\'evites.) Et vous, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux O\`u se garde cach\'e, loin des profanes yeux, Ce formidable amas de lances et d'\'ep\'ees Qui du sang philistin jadis furent tremp\'ees, Et que David vainqueur, d'ans et d'honneurs charg\'e, Fit consacrer au Dieu qui l'avait prot\'eg\'e. Peut-on les employer pour un plus noble usage ? Venez, je veux moi-m\^eme en faire le partage. Sc\`ene VIII. - SALOMITH, le ch\oe ur. Salomith Que de craintes, mes s\oe urs, que de troubles mortels ! Dieu tout-puissant, sont-ce l\`a les pr\'emices, Les parfums et les sacrifices Qu'on devait en ce jour offrir sur tes autels ? Une des filles du ch\oe ur Quel spectacle \`a nos yeux timides ! Qui l'e\^ut cru, qu'on d\^ut voir jamais Les glaives meurtriers, les lances homicides Briller dans la maison de paix ? Une autre D'o\`u vient que pour son Dieu, pleine d'indiff\'erence, J\'erusalem se tait en ce pressant danger ? D'o\`u vient, mes s\oe urs, que pour nous prot\'eger, Le brave Abner au moins ne rompt pas le silence ? Salomith H\'elas ! dans une cour o\`u l'on n'a d'autres lois Que la force et la violence, O\`u les honneurs et les emplois Sont le prix d'une aveugle et basse ob\'eissance, Ma s\oe ur, pour la triste innocence Qui voudrait \'elever sa voix ? Une autre Dans ce p\'eril, dans ce d\'esordre extr\^eme, Pour qui pr\'epare-t-on le sacr\'e diad\`eme ? Salomith Le Seigneur a daign\'e parler ; Mais ce qu'\`a son proph\`ete il vient de r\'ev\'eler, Qui pourra nous le faire entendre ? S'arme-t-il pour nous d\'efendre ? S'arme-t-il pour nous accabler ? Tout le ch\oe ur chante. \^O promesse ! \^o menace ! \^o t\'en\'ebreux myst\`ere ! Que de maux, que de biens sont pr\'edits tour \`a tour ! Comment peut-on avec tant de col\`ere Accorder tant d'amour ? Une voix, seule. Sion ne sera plus. Une flamme cruelle D\'etruira tous ses ornements. Une autre voix Dieu prot\`ege Sion. Elle a pour fondements Sa parole \'eternelle. La premi\`ere Je vois tout son \'eclat dispara\^\i tre \`a mes yeux. La seconde Je vois de toutes parts sa clart\'e r\'epandue. La premi\`ere Dans un gouffre profond Sion est descendue. La seconde Sion a le front dans les cieux. La premi\`ere Quel triste abaissement ! La seconde Quelle immortelle gloire ! La premi\`ere Que de cris de douleur ! La seconde Que de chants de victoire ! Une troisi\`eme Cessons de nous troubler : notre Dieu, quelque jour, D\'evoilera ce grand myst\`ere. Toutes trois R\'ev\'erons sa col\`ere ; Esp\'erons en son amour. Une autre D'un c\oe ur qui t'aime, Mon Dieu, qui peut troubler la paix ? Il cherche en tout ta volont\'e supr\^eme, Et ne se cherche jamais. Sur la terre, dans le ciel m\^eme, Est-il d'autre bonheur que la tranquille paix D'un c\oe ur qui t'aime ? ACTE IV Sc\`ene premi\`ere. - JOAS, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, un l\'evite, le ch\oe ur. Salomith D'un pas majestueux, \`a cot\'e de ma m\`ere, Le jeune \'Eliacin s'avance avec mon fr\`ere. Dans ces voiles, mes s\oe urs, que portent-ils tous deux ? Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ? Josabet, \`a Zacharie. Mon fils, avec respect posez sur cette table De notre sainte loi le livre redoutable. Et vous aussi, posez, aimable \'Eliacin, Cet auguste bandeau pr\`es du livre divin. L\'evite, il faut placer, Joad ainsi l'ordonne, Le glaive de David aupr\`es de sa couronne. Joas Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ? Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ? Depuis que le Seigneur m'a re\c cu dans son temple, D'un semblable appareil je n'ai point vu d'exemple. Josabet Tous vos doutes, mon fils, bient\^ot s'\'eclairciront. Joas Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front ? Ah ! princesse, gardez d'en profaner la gloire. Du roi qui l'a port\'e respectez la m\'emoire. Un malheureux enfant aux ours abandonn\'e... Josabet, lui essayant le diad\`eme. Laissez, mon fils ; je fais ce qui m'est ordonn\'e. Joas Mais j'entends les sanglots sortir de votre bouche ! Princesse, vous pleurez ! Quelle piti\'e vous touche ! Est-ce qu'en holocauste aujourd'hui pr\'esent\'e, Je dois, comme autrefois la fille de Jepht\'e, Du Seigneur par ma mort apaiser la col\`ere ? H\'elas ! un fils n'a rien qui ne soit \`a son p\`ere. Josabet Voici qui vous dira les volont\'es des cieux. Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux. Sc\`ene II. - JOAS, JOAD. Joas, courant dans les bras du grand pr\^etre Mon p\`ere ! Joad H\'e bien, mon fils ? Joas Qu'est-ce donc qu'on pr\'epare ? Joad Il est juste, mon fils, que je vous le d\'eclare. Il faut que vous soyez instruit, m\^eme avant tous, Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous. Armez-vous d'un courage et d'une foi nouvelle. Il est temps de montrer cette ardeur et ce z\`ele Qu'au fond de votre c\oe ur mes soins ont cultiv\'es, Et de payer \`a Dieu ce que vous lui devez. Sentez-vous cette noble et g\'en\'ereuse envie ? Joas Je me sens pr\^et, s'il veut, de lui donner ma vie. Joad On vous a lu souvent l'histoire de nos rois. Vous souvient-il, mon fils, quelle \'etroites lois Doit s'imposer un roi digne du diad\`eme ? Joas Un roi sage, ainsi Dieu l'a prononc\'e lui-m\^eme, Sur la richesse et l'or ne met point son appui, Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui Ses pr\'eceptes, ses lois, ses jugements s\'ev\`eres, Et d'injustes fardeaux n'accable point ses fr\`eres. Joad Mais sur l'un de ces rois s'il fallait vous r\'egler, \`A qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ? Joas David, pour le Seigneur plein d'un amour fid\`ele, Me para\^\i t des grands rois le plus parfait mod\`ele. Joad Ainsi dans leurs exc\`es vous n'imiteriez pas L'infid\`ele Joram, l'impie Okosias ? Joas \^O mon p\`ere ! Joad Achevez, dites : que vous en semble ? Joas Puisse p\'erir comme eux quiconque leur ressemble ! (Joad se prosterne \`a ses pieds.) Mon p\`ere, en quel \'etat vous vois-je devant moi ? Joad Je vous rends le respect que je dois \`a mon roi. De votre a\"\i eul David, Joas, rendez-vous digne. Joas Joas ? Moi ? Joad, se relevant. Vous saurez par quelle gr\^ace insigne D'une m\`ere en fureur Dieu, trompant le dessein, Quand d\'ej\`a son poignard \'etait dans votre sein, Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage. Vous n'\^etes pas encore \'echapp\'e de sa rage : Avec la m\^eme ardeur qu'elle voulut jadis Perdre en vous le dernier des enfants de son fils, \`A vous faire p\'erir sa cruaut\'e s'attache, Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache. Mais sous vos \'etendards j'ai d\'ej\`a su ranger Un peuple ob\'eissant et prompt \`a vous venger. Entrez, g\'en\'ereux chefs des familles sacr\'ees, Du minist\`ere saint tour \`a tour honor\'ees. Sc\`ene III. - JOAS, JOAD, AZARIAS, ISMA\"EL, et les trois autres chefs des l\'evites. Joad continue. Roi, voil\`a vos vengeurs contre vos ennemis. Pr\^etres, voil\`a le roi que je vous ai promis. Azarias Quoi ? c'est \'Eliacin ? Isma\"el Quoi ! cet enfant aimable... Joad Est du roi Juda l'h\'eritier v\'eritable, Dernier n\'e des enfants du triste Okosias, Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas. De cette fleur si tendre et sit\^ot moissonn\'ee, Tout Juda, comme vous, plaignant la destin\'ee, Avec ses fr\`eres morts le crut envelopp\'e. Du perfide couteau comme eux il fut frapp\'e ; Mais Dieu d'un coup mortel sut d\'etourner l'atteinte, Conserva dans son c\oe ur la chaleur presque \'eteinte, Permit que, des bourreaux trompant l'\oe il vigilant, Josabet dans son sein l'emport\^at tout sanglant, Et n'ayant de son vol que moi seul pour complice, Dans le temple cach\^at l'enfant et la nourrice. Joas H\'elas ! de tant d'amour et de tant de bienfaits, Mon p\`ere, quel moyen de m'acquitter jamais ? Joad Gardez pour d'autres temps cette reconnaissance. Voil\`a donc votre roi, votre unique esp\'erance. J'ai pris soin jusqu'ici de vous le conserver : Ministres du Seigneur, c'est \`a vous d'achever. Bient\^ot de J\'ezabel la fille meurtri\`ere, Instruite que Joas voit encor la lumi\`ere, Dans l'horreur du tombeau viendra la replonger. D\'ej\`a, sans le conna\^\i tre, elle veut l'\'egorger. Pr\^etres saints, c'est \`a vous de pr\'evenir sa rage. Il faut finir des Juifs le honteux esclavage, Venger vos princes morts, relever votre loi, Et faire aux deux tribus reconna\^\i tre leur roi. L'entreprise, sans doute, est grande et p\'erilleuse. J'attaque sur son tr\^one une reine orgueilleuse, Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux De hardis \'etrangers, d'infid\`eles H\'ebreux. Mais ma force est au Dieu dont l'int\'er\^et me guide. Songez qu'en cet enfant tout Isra\"el r\'eside. D\'ej\`a ce Dieu vengeur commence \`a la troubler ; D\'ej\`a, trompant ses soins, j'ai su vous rassembler. Elle vous croit ici sans armes, sans d\'efense. Couronnons, proclamons Joas en diligence. De l\`a, du nouveau prince intr\'epides soldats, Marchons, en invoquant l'arbitre des combats Et, r\'eveillant la foi dans les c\oe urs endormie, Jusque dans son palais cherchons notre ennemie. Et quels c\oe urs si plong\'es dans un l\^ache sommeil, Nous voyant avancer dans ce saint appareil, Ne s'empresseront pas \`a suivre notre exemple ? Un roi que Dieu lui-m\^eme a nourri dans son temple, Le successeur d'Aaron de ses pr\^etres suivi, Conduisant au combat les enfants de L\'evi, Et, dans ces m\^emes mains, des peuples r\'ev\'er\'ees, Les armes au Seigneur par David consacr\'ees ! Dieu sur ses ennemis r\'epandra sa terreur. Dans l'infid\`ele sang baignez-vous sans horreur ; Frappez, et Tyriens, et m\^eme Isra\'elites. Ne descendez-vous pas de ces fameux l\'evites Qui, lorsqu'au dieu du Nil le volage Isra\"el Rendit dans le d\'esert un culte criminel, De leurs plus chers parents saintement homicides, Consacr\`erent leurs mains dans le sang des perfides, Et par ce noble exploit vous acquirent l'honneur D'\^etre seuls employ\'es aux autels du Seigneur ? Mais je vois que d\'ej\`a vous br\^ulez de me suivre. Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre, \`A ce roi que le ciel vous redonne aujourd'hui, De vivre, de combattre et de mourir pour lui. Azarias Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos fr\`eres, De r\'etablir Joas au tr\^one de ses p\`eres, De ne poser le fer entre nos mains remis, Qu'apr\`es l'avoir veng\'e de tous ses ennemis. Si quelque transgresseur enfreint cette promesse, Qu'il \'eprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse ; Qu'avec lui ses enfants, de ton partage exclus, Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus. Joad Et vous, \`a cette loi, votre r\`egle \'eternelle, Roi, ne jurez-vous pas d'\^etre toujours fid\`ele ? Joas Pourrais-je \`a cette loi ne pas me conformer ? Joad \^O mon fils, de ce nom j'ose encor vous nommer, Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes. Loin du tr\^one nourri, de ce fatal honneur, H\'elas ! vous ignorez le charme empoisonneur ; De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse, Et des l\^aches flatteurs la voix enchanteresse. Bient\^ot ils vous diront que les plus saintes lois, Ma\^\i tresses du vil peuple, ob\'eissent aux rois ; Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volont\'e m\^eme ; Qu'il doit immoler tout \`a sa grandeur supr\^eme ; Qu'aux larmes, au travail le peuple est condamn\'e, Et d'un sceptre de fer veut \^etre gouvern\'e ; Que, s'il n'est opprim\'e, t\^ot ou tard il opprime : Ainsi de pi\`ege en pi\`ege, et d'ab\^\i me en ab\^\i me, Corrompant de vos m\oe urs l'aimable puret\'e, Ils vous feront enfin ha\"\i r la v\'erit\'e, Vous peindront la vertu sous une affreuse image. H\'elas ! ils ont des rois \'egar\'e le plus sage. Promettez sur ce livre, et devant ces t\'emoins, Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ; Que, s\'ev\`ere aux m\'echants, et des bons le refuge, Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge, Vous souvenant, mon fils, que, cach\'e sous ce lin, Comme eux vous f\^utes pauvre et comme eux orphelin. Joas, au milieu de la table, ayant la main sur le livre saint. Je promets d'observer ce que la loi m'ordonne. Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne. Joad Venez : de l'huile sainte il faut vous consacrer. Paraissez, Josabet : vous pouvez vous montrer. Sc\`ene IV. - JOAS, JOAD, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, AZARIAS, ISMA\"EL, les trois autres chefs des l\'evites, le ch\oe ur. Josabet, embrassant Joas. \^O roi, fils de David ! Joas \^O mon unique m\`ere ! Venez, cher Zacharie, embrasser votre fr\`ere. Josabet, \`a Zacharie. Aux pieds de votre roi prosternez-vous, mon fils. (Zacharie se jette aux pieds de Joas.) Joad, pendant qu'ils s'embrassent. Enfants, ainsi toujours puissiez-vous \^etre unis ! Josabet, \`a Joas. Vous savez donc quel sang vous a donn\'e la vie ? Joas Et je sais quelle main sans vous me l'e\^ut ravie. Josabet De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer. Joas Joas ne cessera jamais de vous aimer. Le ch\oe ur Quoi ! c'est l\`a... Josabet C'est Joas. Joad \'Ecoutons ce l\'evite. Sc\`ene V. - JOAS, JOAD, JOSABET, etc., un l\'evite. Un l\'evite J'ignore contre Dieu quel projet on m\'edite, Mais l'airain mena\c cant fr\'emit de toutes parts ; On voit luire des feux parmi des \'etendards, Et sans doute Athalie assemble son arm\'ee. D\'ej\`a m\^eme au secours toute voie est ferm\'ee ; D\'ej\`a le sacr\'e mont o\`u le temple est b\^ati D'insolents Tyriens est partout investi ; L'un deux, en blasph\'emant, vient de nous faire entendre Qu'Abner est dans les fers et ne peut nous d\'efendre. Josabet, \`a Joas. Cher enfant, que le ciel en vain m'avait rendu, H\'elas ! pour vous sauver j'ai fait ce que j'ai pu : Dieu ne se souvient plus de David votre p\`ere ! Joad, \`a Josabet. Quoi ! vous ne craignez pas d'attirer sa col\`ere Sur vous et sur ce roi si cher \`a votre amour ? Et quand Dieu, de vos bras l'arrachant sans retour, Voudrait que de David la maison f\^ut \'eteinte, N'\^etes-vous pas ici sur la montagne sainte O\`u le p\`ere des Juifs sur son fils innocent Leva sans murmurer un bras ob\'eissant, Et mit sur le b\^ucher ce fruit de sa vieillesse, Laissant \`a Dieu le soin d'accomplir sa promesse, En lui sacrifiant, avec ce fils aim\'e, Tout l'espoir de sa race, en lui seul renferm\'e ? Amis, partageons-nous : qu'Isma\"el en sa garde Prenne tout le c\^ot\'e que l'orient regarde : Vous, le c\^ot\'e de l'Ourse, et vous, de l'occident ; Vous, le midi. Qu'aucun, par un z\`ele imprudent, D\'ecouvrant mes desseins, soit pr\^etre, soit l\'evite Ne sorte avant le temps et ne se pr\'ecipite ; Et que chacun enfin, d'un m\^eme esprit pouss\'e, Garde en mourant le poste o\`u je l'aurai plac\'e. L'ennemi nous regarde, en son aveugle rage, Comme de vils troupeaux r\'eserv\'es au carnage, Et croit ne rencontrer que d\'esordre et qu'effroi. Qu'Azarias partout accompagne le roi. (\`A Joas.) Venez, cher rejeton d'une vaillante race, Remplir vos d\'efenseurs d'une nouvelle audace ; Venez du diad\`eme \`a leurs yeux se couvrir, Et p\'erissez du moins en roi, s'il faut p\'erir. (\`A un l\'evite.) Suivez-le, Josabet. Vous, donnez-moi ces armes. Enfants, offrez \`a Dieu vos innocentes larmes. Sc\`ene VI. - SALOMITH, le ch\oe ur. Tout le ch\oe ur chante. Partez, enfants d'Aaron, partez. Jamais plus illustre querelle De vos a\"\i eux n'arma le z\`ele. Partez, enfants d'Aaron, partez. C'est votre roi, c'est Dieu pour qui vous combattez. Une voix, seule. O\`u sont les traits que tu lances, Grand Dieu, dans ton juste courroux ? N'es-tu plus le Dieu jaloux ? N'es-tu plus le Dieu des vengeances ? Une autre O\`u sont, Dieu de Jacob, tes antiques bont\'es ? Dans l'horreur qui nous environne, N'entends-tu que la voix de nos iniquit\'es ? N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ? Tout le ch\oe ur O\`u sont, Dieu de Jacob, tes antiques bont\'es ? Une voix, seule. C'est \`a toi que dans cette guerre Les fl\`eches des m\'echants pr\'etendent s'adresser. <> Tout le ch\oe ur O\`u sont les traits que tu lances, Grand Dieu, dans ton juste courroux ? N'es-tu plus le Dieu jaloux ? N'es-tu plus le Dieu des vengeances ? Une voix, seule. Triste reste de nos rois, Ch\`ere et derni\`ere fleur d'une tige si belle, H\'elas ! sous le couteau d'une m\`ere cruelle Te verrons-nous tomber une seconde fois ? Prince aimable, dis-nous si quelque ange au berceau Contre tes assassins prit soin de te d\'efendre ; Ou si dans la nuit du tombeau La voix du Dieu vivant a ranim\'e ta cendre ? Une autre D'un p\`ere et d'un a\"\i eul contre toi r\'evolt\'es, Grand Dieu, les attentats lui sont-ils imput\'es ? Est-ce que sans retour ta piti\'e l'abandonne ? Le ch\oe ur O\`u sont, Dieu de Jacob, tes antiques bont\'es ? N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ? Une des filles du ch\oe ur, sans chanter. Ch\`eres s\oe urs, n'entendez-vous pas Des cruels Tyriens la trompette qui sonne ? Salomith J'entends m\^eme les cris des barbares soldats, Et d'horreur j'en frissonne. Courons, fuyons, retirons-nous \`A l'ombre salutaire Du redoutable sanctuaire. ACTE V Sc\`ene premi\`ere. - ZACHARIE, SALOMITH, le ch\oe ur. Salomith Cher Zacharie, h\'e bien ! que nous apprenez-vous ? Zacharie Redoublez au Seigneur votre ardente pri\`ere. Peut-\^etre nous touchons \`a notre heure derni\`ere ; Pour l'horrible combat, ma s\oe ur, l'ordre est donn\'e. Salomith Que fait Joas ? Zacharie Joas vient d'\^etre couronn\'e. Le grand pr\^etre a sur lui r\'epandu l'huile sainte. \^O ciel ! dans tous les yeux quelle joie \'etait peinte \`A l'aspect de ce roi rachet\'e du tombeau ! Ma s\oe ur, on voit encor la marque du couteau ; On voit para\^\i tre aussi sa fid\`ele nourrice, Qui, cach\'ee en un coin de ce vaste \'edifice, Gardait ce cher d\'ep\^ot et n'avait de ses soins Que les yeux de ma m\`ere et que Dieu pour t\'emoins. Nos l\'evites pleuraient de joie et de tendresse, Et m\^elaient leurs sanglots \`a leurs cris d'all\'egresse. Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil, \`A l'un tendait la main, flattait l'autre de l'\oe il, Jurait de se r\'egler par leurs avis sinc\`eres, Et les appelait tous ses p\`eres ou ses fr\`eres. Salomith Ce secret au-dehors est-il aussi sem\'e ? Zacharie Ce secret dans le temple est encor renferm\'e. Des enfants de L\'evi la troupe partag\'ee Dans un profond silence aux portes s'est rang\'ee. Tous doivent \`a la fois pr\'ecipiter leurs pas, Et crier pour signal : <> ! Mais mon p\`ere d\'efend que le roi se hasarde, Et veut qu'Azarias demeure pour sa garde. Cependant Athalie, un poignard \`a la main, Rit des faibles remparts de nos portes d'airain. Pour les rompre, elle attend les fatales machines, Et ne respire enfin que sang et que ruines. Quelques pr\^etres, ma s\oe ur, ont d'abord propos\'e Qu'en un lieu souterrain, par nos pr\^etres creus\'e, On renferm\^at du moins notre arche pr\'ecieuse. <<\^O crainte, a dit mon p\`ere, indigne, injurieuse ! L'arche qui fit tomber tant de superbes tours, Et for\c ca le Jourdain de rebrousser son cours, Des dieux des nations tant de fois triomphante, Fuirait donc \`a l'aspect d'une femme insolente ?>> Ma m\`ere, aupr\`es du roi, dans un trouble mortel, L'\oe il tant\^ot sur ce prince et tant\^ot vers l'autel, Muette et succombant sous le poids des alarmes, Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes. Le roi de temps en temps la presse entre ses bras, La flatte... Ch\`eres s\oe urs, suivez toutes mes pas ; Et, s'il faut aujourd'hui que notre roi p\'erisse, Allons, qu'un m\^eme sort avec lui nous unisse. Salomith Quelle insolente main frappe \`a coups redoubl\'es ? Qui fait courir ainsi ces l\'evites troubl\'es ? Quelle pr\'ecaution leur fait cacher leurs armes ? Le temple est-il forc\'e ? Zacharie Dissipez vos alarmes : Dieu nous envoie Abner. Sc\`ene II. - JOAD, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, ABNER, ISMA\"EL, deux l\'evites, le ch\oe ur. Joad En croirai-je mes yeux, Cher Abner ? Quel chemin a pu jusqu'en ces lieux Vous conduire au travers d'un camp qui nous assi\`ege ? On disait que d'Achab la fille sacril\`ege Avait, pour assurer ses projets inhumains, Charg\'e d'indignes fers vos g\'en\'ereuses mains. Abner Oui, seigneur, elle a craint mon z\`ele et mon courage ; Mais c'est le moindre prix que me gardait sa rage. Dans l'horreur d'un cachot, par son ordre enferm\'e, J'attendais que, le temple en cendre consum\'e, De tant de flots de sang non encore assouvie, Elle v\^\i nt m'affranchir d'une importune vie, Et retrancher des jours qu'aurait d\^u mille fois Terminer la douleur de survivre \`a mes rois. Joad Par quel miracle a-t-on obtenu votre gr\^ace ? Abner Dieu dans ce c\oe ur cruel sait seul ce qui se passe. Elle m'a fait venir, et, d'un air \'egar\'e : <> Joad Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu'on doit suivre ? Abner Et tout l'or de David, s'il est vrai qu'en effet Vous gardiez de David quelque tr\'esor secret, Et tout ce que des mains de cette reine avare Vous avez pu sauver et de riche et de rare, Donnez-le. Voulez-vous que d'impurs assassins Viennent briser l'autel, br\^uler les ch\'erubins, Et, portant sur votre arche une main t\'em\'eraire, De votre propre sang souiller le sanctuaire ? Joad Mais si\'erait-il, Abner, \`a des c\oe urs g\'en\'ereux De livrer au supplice un enfant malheureux, Un enfant que Dieu m\^eme \`a ma garde confie, Et de nous racheter aux d\'epens de sa vie ? Abner H\'elas ! Dieu voit mon c\oe ur. Pl\^ut \`a ce Dieu puissant Qu'Athalie oubli\^at un enfant innocent, Et que du sang d'Abner sa cruaut\'e contente Cr\^ut calmer par ma mort le ciel qui la tourmente ! Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins ? Quand vous p\'eririez tous, en p\'erira-t-il moins ? Dieu vous ordonne-t-il de tenter l'impossible ? Pour ob\'eir aux lois d'un tyran inflexible, Mo\"\i se par sa m\`ere au Nil abandonn\'e, Se vit, presque en naissant, \`a p\'erir condamn\'e ; Mais Dieu le conservant contre toute esp\'erance, Fit par le tyran m\^eme \'elever son enfance. Qui sait ce qu'il r\'eserve \`a votre \'Eliacin ; Et si, lui pr\'eparant un semblable destin, Il n'a point de piti\'e d\'ej\`a rendu capable De nos malheureux rois l'homicide implacable ? Du moins, et Josabet comme moi l'a pu voir, Tant\^ot \`a son aspect je l'ai vu s'\'emouvoir ; J'ai vu de son courroux tomber la violence. Princesse, en ce p\'eril vous gardez le silence ? H\'e quoi ! pour un enfant qui vous est \'etranger Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse \'egorger Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu d\'evore Le seul lieu sur la terre o\`u Dieu veut qu'on l'adore ? Que feriez-vous de plus, si des rois vos a\"\i eux Ce jeune enfant \'etait un reste pr\'ecieux ? Josabet, tout bas \`a Joad. Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse : Que ne lui parlez-vous ? Joad Il n'est pas temps, princesse. Abner Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez. Tandis qu'\`a me r\'epondre ici vous balancez, Mathan pr\`es d'Athalie, \'etincelant de rage, Demande le signal et presse le carnage. Faut-il que je me mette \`a vos sacr\'es genoux ? Au nom du lieu si saint qui n'est ouvert qu'\`a vous, Lieu terrible o\`u de Dieu la majest\'e repose, Quelque dure que soit la loi qu'on vous impose, De ce coup impr\'evu songeons \`a nous parer. Donnez-moi seulement le temps de respirer. Demain, d\`es cette nuit, je prendrai des mesures Pour assurer le temple et venger ses injures. Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours Pour vous persuader sont un faible secours : Votre aust\`ere vertu n'en peut \^etre frapp\'ee. H\'e bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque \'ep\'ee ; Et qu'aux portes du temple, o\`u l'ennemi m'attend, Abner puisse du moins mourir en combattant. Joad Je me rends. Vous m'ouvrez un avis que j'embrasse. De tant de maux, Abner, d\'etournons la menace. Il est vrai, de David un tr\'esor est rest\'e ; La garde en fut commise \`a ma fid\'elit\'e. C'\'etait des tristes Juifs l'esp\'erance derni\`ere, Que mes soins vigilants cachaient \`a la lumi\`ere. Mais puisqu'\`a votre reine il faut le d\'ecouvrir, Je vais la contenter, nos portes vont s'ouvrir. De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagn\'ee : Mais de nos saints autels qu'elle tienne \'eloign\'ee D'un ramas d'\'etrangers l'indiscr\`ete fureur : Du pillage du temple \'epargnez-moi l'horreur. Des pr\^etres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre ? De sa suite avec vous qu'elle r\`egle le nombre. Et quant \`a cet enfant si craint, si redout\'e, De votre c\oe ur, Abner, je connais l'\'equit\'e ; Je vous veux devant elle expliquer sa naissance : Vous verrez s'il le faut remettre en sa puissance, Et je vous ferai juge entre Athalie et lui. Abner Ah ! je le prends d\'ej\`a sous mon appui. Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m'envoie. Sc\`ene III. - JOAD, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, ISMA\"EL, deux l\'evites, le ch\oe ur. Joad Grand Dieu, voici ton heure, on t'am\`ene ta proie. Isma\"el, \'ecoutez. (Il lui parle \`a l'oreille.) Josabet Puissant ma\^\i tre de cieux, Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux, Lorsque, lui d\'erobant tout le fruit de son crime, Tu cachas dans mon sein cette tendre victime ! Joad Allez, sage Isma\"el, ne perdez point de temps ; Suivez de point en point ces ordres importants ; Surtout qu'\`a son entr\'ee, et que sur son passage Tout d'un calme profond lui pr\'esente l'image. Vous, enfants, pr\'eparez un tr\^one pour Joas ; Qu'il s'avance suivi de nos sacr\'es soldats. Faites venir aussi sa fid\`ele nourrice, Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse. (\`A un l\'evite.) Vous, d\`es que cette reine, ivre d'un fol orgueil, De la porte du temple aura pass\'e le seuil, Qu'elle ne pourra plus retourner en arri\`ere, Prenez soin qu'\`a l'instant la trompette guerri\`ere Dans le camp ennemi jette un subit effroi. Appelez tout le peuple au secours de son roi : Et faites retentir jusques \`a son oreille De Joas conserv\'e l'\'etonnante merveille. Il vient. Sc\`ene IV. - JOAD, JOSABET, JOAS, troupe de pr\^etres et de l\'evites, etc. Joad continue. L\'evites saints, pr\^etres de notre Dieu, Partout sans vous montrer environnez ce lieu ; Et, laissant \`a mes soins gouverner votre z\`ele, Pour para\^\i tre attendez que ma voix vous appelle. (Ils se cachent tous.) Roi, je crois qu'\`a vos v\oe ux cet espoir est permis, Venez voir \`a vos pieds tomber vos ennemis. Celle dont la fureur poursuivit votre enfance Ver ces lieux \`a grands pas pour vous perdre d'avance. Mais ne la craignez point. Songez qu'autour de vous L'ange exterminateur est debout avec nous. Montez sur votre tr\^one, et... Mais la porte s'ouvre : Permettez un moment que ce voile vous couvre. (Il tire un rideau.) Vous changez de couleur, princesse ? Josabet Ah ! sans p\^alir, Puis-je voir d'assassins le temple se remplir ? Quoi ! ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte... Joad Je vois que du saint temple on referme la porte. Tout est en s\^uret\'e. Sc\`ene V. - ATHALIE, JOAS cach\'e derri\`ere le rideau, JOAD, JOSABET, ABNER, suite d'Athalie. Athalie, \`a Joad. Te voil\`a, s\'educteur, De ligues, de complots, pernicieux auteur, Qui dans le trouble seul as mis tes esp\'erances, \'Eternel ennemi des supr\^emes puissances ! En l'appui de ton Dieu tu t'\'etais repos\'e : De ton espoir frivole es-tu d\'esabus\'e ? Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie. Je devrais sur l'autel o\`u ta main sacrifie Te... Mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter. Ce que tu m'as promis, songe \`a l'ex\'ecuter. Cet enfant, ce tr\'esor qu'il faut qu'on me remette, O\`u sont-ils ? Joad Sur le champ tu seras satisfaite : Je te les vais montrer l'un et l'autre \`a la fois. (Le rideau se tire.) Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois. Connais-tu l'h\'eritier du plus saint des monarques, Reine ? De ton poignard connais du moins ces marques. Voil\`a ton roi, ton fils, le fils d'Okosias. Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas. Abner Ciel ! Athalie, \`a Joad. Perfide ! Joad Vois-tu cette Juive fid\`ele, Dont tu sais bien qu'alors il su\c cait la mamelle ? Il fut par Josabet \`a ta rage enlev\'e. Ce temple le re\c cut, et Dieu l'a conserv\'e. Des tr\'esors de David voil\`a ce qui me reste. Athalie Ta fourbe \`a cet enfant, tra\^\i tre, sera funeste. D'un fant\^ome odieux, soldats, d\'elivrez-moi. Joad Soldats du Dieu vivant, d\'efendez votre roi. (Ici le fond du th\'e\^atre s'ouvre. On voit le dedans du temple, et les l\'evites arm\'es sortent de tous c\^ot\'es sur la sc\`ene.) Athalie O\`u suis-je ? \^O trahison, \^o reine infortun\'ee ! D'armes et d'ennemis je suis environn\'ee. Joad Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux \'echapper, Et Dieu de toutes parts a su t'envelopper. Ce Dieu que tu bravais en nos mains t'a livr\'ee : Rends-lui compte du sang dont tu t'es enivr\'ee. Athalie Quoi ! la peur a glac\'e mes indignes soldats ? L\^ache Abner, dans quel pi\`ege as-tu conduit mes pas ? Abner Reine, Dieu m'est t\'emoin... Athalie Laisse l\`a ton Dieu, tra\^\i tre, Et venge-moi. Abner, se jetant aux pieds de Joas. Sur qui ? Sur Joas ! sur mon ma\^\i tre ! Athalie Lui, Joas ? lui, ton roi ? Songez, m\'echants, songez Que mes armes encor vous tiennent assi\'eg\'es. J'entends \`a haute voix tout mon camp qui m'appelle. On vient \`a mon secours. Tremblez troupe rebelle. Sc\`ene VI. - ISMA\"EL, JOAS, JOAD, ATHALIE, etc. Isma\"el, \`a Joad. Seigneur, le temple est libre et n'a plus d'ennemis. L'\'etranger est en fuite, et le Juif est soumis. Comme le vent dans l'air dissipe la fum\'ee, La voix du Tout-Puissant a chass\'e cette arm\'ee. Nos l\'evites, du haut de nos sacr\'es parvis, D'Okosias au peuple ont annonc\'e le fils, Ont cont\'e son enfance au glaive d\'erob\'ee, Et la fille d'Achab dans le pi\`ege tomb\'ee. Partout en m\^eme temps la trompette a sonn\'e : Et ses sons et leurs cris dans son camp \'etonn\'e Ont r\'epandu le trouble et la terreur subite Dont G\'ed\'eon frappa le fier Madianite. Les Tyriens, jetant armes et boucliers, Ont, par divers chemins, disparu les premiers ; Quelques Juifs \'eperdus ont aussi pris la fuite ; Mais, de Dieu sur Joas admirant la conduite, Le reste \`a haute voix s'est pour lui d\'eclar\'e. Enfin, d'un m\^eme esprit tout le peuple inspir\'e, Femmes, viellards, enfants, s'embrassant avec joie, B\'enissent le Seigneur et celui qu'il envoie. Tous chantent de David le fils ressuscit\'e. Baal est en horreur dans la sainte cit\'e ; De son temple profane on a bris\'e les portes ; Mathan est \'egorg\'e. Athalie Dieu des Juifs, tu l'emportes ! Oui, c'est Joas ; je cherche en vain \`a me tromper. Je reconnais l'endroit o\`u je le fis frapper ; Je vois d'Okosias et le port et le geste. Tout me retrace enfin un sang que je d\'eteste. David, David triomphe : Achab seul est d\'etruit. Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit. C'est toi qui, me flattant d'une vengeance ais\'ee, M'a vingt fois en un jour \`a moi-m\^eme oppos\'ee, Tant\^ot pour un enfant excitant mes remords, Tant\^ot m'\'eblouissant de tes riches tr\'esors Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage. Qu'il r\`egne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ; Et que, pour signaler son empire nouveau, On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau ! Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa m\`ere : Que dis-je, souhaiter ! Je me flatte, j'esp\`ere Qu'indocile \`a ton joug, fatigu\'e de ta loi, Fid\`ele au sang d'Achab qu'il a re\c cu de moi, Conforme \`a son a\"\i eul, \`a son p\`ere semblable, On verra de David l'h\'eritier d\'etestable Abolir tes honneurs, profaner ton autel, Et venger Athalie, Achab et J\'ezabel. Joad Qu'\`a l'instant hors du temple elle soit emmen\'ee, Et que la saintet\'e n'en soit pas profan\'ee. Allez, sacr\'es vengeurs de vos princes meurtris, De leur sang par sa mort faire cesse les cris. Si quelque audacieux embrasse sa querelle, Qu'\`a la fureur du glaive on le livre avec elle. Sc\`ene VII. - JOAS, JOAD, JOSABET, ABNER, etc. Joas Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction, D\'etournez loin de moi sa mal\'ediction, Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie. Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie. Joad, aux l\'evites. Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi ; Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi. Roi, pr\^etres, peuple, allons, pleins de reconnaissance, De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance, Et, saintement confus de nos \'egarements, Nous rengager \`a lui par de nouveaux serments. Abner, aupr\`es du roi reprenez votre place. Sc\`ene VIII. - Un l\'evite, JOAS, JOAD, etc. Joad, au l\'evite. H\'e bien ! de cette impie a-t-on puni l'audace ? Le l\'evite Le fer a de sa vie expi\'e les horreurs. J\'erusalem, longtemps en proie \`a ses fureurs, De son joug odieux \`a la fin soulag\'ee, Avec joie en son sang la regarde plong\'ee. Joad Par cette fin terrible, et due \`a ses forfaits, Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais Que les rois dans le ciel ont un juge s\'ev\`ere, L'innocence un vengeur, et l'orphelin un p\`ere.